L’Impôt Progressif en France/33

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Librairie Guillaumin & Cie (p. 104-105).

CHAPITRE XXXI

Sur les latifundia





En faisant reposer le droit de propriété, sur le principe faux et dangereux de l’acquisition ou plutôt de l’accumulation de la richesse par l’intérêt, c’est-à-dire par l’usure, on l’a exposé à toutes les critiques des écoles proudhoniennes, socialistes, collectivistes. Si donc nous voulons mettre ce droit de propriété primordial, nécessaire, à l’abri de ses dangereux adversaires, corrigeons en la mauvaise application par la progression de l’impôt ; donnons-lui pour base solide le travail qui, lui, reste toujours dans les limites du besoin légitime, récompense chacun selon son mérite, et ne produit jamais ces excès de richesse qui ont toujours perdu les nations chez lesquelles ils se sont développés. Les latifundia qui ont perdu l’empire romain nous perdront à notre tour. Chez nous ils sont même beaucoup plus dangereux ; ils se forment surtout au moyen de la richesse mobilière, plus facile à accaparer que la richesse immobilière, et ils arrivent souvent à mettre les forces financières et politiques entre les mains d’étrangers à la nation. Cet effet était déjà signalé bien avant la fin de l’empire romain. « Latifundia perdidere Italiam », disait Pline. De l’Italie ils se sont étendus dans tout l’empire. Ces vastes domaines qui avaient absorbé l’héritage de tant de pauvres familles contenaient des parcs, des jardins, des portiques, des promenades ; c’était autant d’enlevé à l’agriculture, dit M. Boissier, dans ses Promenades archéologiques. N’est-ce pas précisément ce spectacle auquel nous assistons encore de nos jours ?

Avec une meilleure organisation économique, avec des lois qui, au lieu de favoriser l’accumulation de la richesse en quelques mains, la répartiraient d’une manière moins inégale, ces effets funestes seraient supprimés ou, au moins retardés. Ce n’est pas la richesse, qui est mauvaise en elle-même ; c’est l’abus qui résulte de sa trop inégale répartition. Dans une législation prévoyante tout devrait tendre à en favoriser la distribution entre les mains du plus grand nombre. Peu de fortune entretient la santé physique et morale et crée la liberté ; trop de richesse produit fatalement la corruption chez deux qui la possèdent et la servitude chez ceux qui en sont privés.

« Sans doute pour une société, l’état le plus favorable à la diffusion du bien-être, l’état vers lequel se meut la civilisation est celui où tous les hommes posséderaient une partie de capital. Les jeunes gens qui entrent dans la vie doivent ne jamais perdre de vue cette vérité. Des hommes de cœur qui veulent remplir leurs devoirs envers la société, des parents désireux de voir leurs enfants lancés dans un monde d’honorables efforts et non de luttes désespérées, n’ont pas besoin qu’on leur apprenne combien il est en leur pouvoir de contribuer à cette grande et noble fin ».

(Ellis. Guillaumin, Paris, 1850).