L’Impôt Progressif en France/61

La bibliothèque libre.

D’un fonctionnaire





Vous avez des idées justes, parce que la pratique de la vie vous a appris bien des choses. Mais précisément parce que vos idées sont sérieuses et pratiques, elles laisseront indifférents les gens qui aiment mieux jouir et digérer en paix que réfléchir ; elles ne trouveront que des adversaires chez les exploiteurs intéressés à faire l’agitation qui permet d’exploiter ; nous sommes usés, frappés d’impuissance ou d’aveuglement ; voilà ma conviction absolue ; mon plus grand regret est de voir ce qui est mal, ce qu’on doit éviter, mais de ne pas voir ce qu’il faudrait faire.

J’approuve absolument votre étude, qui représente une somme de travail et de méditation considérable. Je vous dirai que je ne vois pas trop la possibilité de fixer une base de perception sur certaines valeurs. Que valent dix hectares de forêts plantés depuis cinq ans, depuis dix ans ; que vaut une usine en construction ? que rapportent ces immeubles ? Ce ne sont pas des valeurs, ce sont des espérances qui ne produisent rien actuellement ; les laisserez-vous exemptes d’impôt jusqu’au jour où elles commenceront à produire, pour les frapper alors très lourdement. La perspective ne serait assurément pas un encouragement à l’esprit d’initiative. En principe, vous avez raison ; frapper les gens d’autant plus qu’ils sont plus riches, c’est juste à tous les points de vue, mais que de difficultés dans la pratique !

Voici les réponses : Si l’impôt progressif, comme c’est probable, doit frapper à la fois le capital et les revenus, tant que le sol d’une forêt ne rapporte rien, il est imposable seulement comme capital, sur une estimation très faible qui ne varie guère, en France, de cinquante à deux cents francs par hectare. Quant à l’impôt sur le revenu, si la forêt est aménagée, on en connaît très bien le revenu. Si l’exploitation est accidentelle, on peut répartir le revenu sur la période d’exploitation divisée par le nombre d’années. S’il s’agit d’une plantation nouvelle, il serait peut-être juste d’attendre l’exploitation avant d’exiger l’impôt. Si, par exemple, après cinquante ans, l’exploitation donne cinquante mille francs, l’impôt serait dû, et alors exigible sur cinquante mille francs ; et si l’impôt était de 1 % il serait de 500 francs.

Votre travail m’a plu ; je reconnais, comme vous, que la misère et la grande richesse sont également mauvaises conseillères ; tout ce qui peut guérir d’un côté modérer de l’autre, est bon. Mais si on arrive à l’État providence, si on diminue l’initiative individuelle, si on touche au droit de propriété, on arrive à des conséquences fâcheuses.

Je crois que l’impôt, progressif dans une juste mesure, mettrait un frein salutaire à l’insatiable avidité de certains hommes, ce qui serait un bon résultat. Et, d’un autre côté, en dégrevant le travail et la petite propriété, en créant comme ailleurs, la vie à bon marché, les travailleurs réaliseraient plus facilement un petit capital et s’attacheraient davantage au pays qui leur fournirait ainsi une existence plus facile ; c’est malheureusement le contraire qui se pro duit aujourd’hui. Tout est cher parce que tout est imposé.