L’Impôt sur les bénéfices de guerre
Parmi les nombreuses révolutions fiscales qu’aura amenées la crise actuelle, il en est une qui s’est produite simultanément chez plusieurs des belligérans et aussi chez certains neutres et qui mérite d’être examinée ; elle constitue une taxe d’une nature spéciale, une sorte de reprise exercée par l’Etat sur des revenus extraordinaires encaissés par un certain nombre de contribuables : nous voulons parler de l’impôt sur les bénéfices dus à la guerre. Celle-ci, a-t-on dit, a provoqué, en matière économique comme en d’autres domaines, des bouleversemens. Alors que beaucoup de familles voient leurs ressources diminuées, certains négocians et industriels ont réalisé des bénéfices considérables sur les fournitures qu’ils ont faites. Il a dès lors paru équitable de les soumettre à un impôt spécial. L’idée maîtresse d’une taxe de ce genre n’a rien de choquant, mais l’application équitable en est malaisée. Nous allons voir comment elle a été traduite dans la législation des divers pays qui l’ont adoptée.
Le véritable impôt de guerre est celui qui atteint des bénéfices dépassant ceux qui pouvaient être considérés comme normaux, c’est-à-dire qui représentaient la moyenne de ceux que le contribuable avait réalisés au cours d’une période déterminée avant le mois d’août 1914. Certaines législations, au lieu de rechercher directement le profit obtenu, ont trouvé plus simple de ne considérer que l’importance du patrimoine des citoyens à une date fixe, la fin de l’année actuelle par exemple, et de les imposer dans le cas où ce chiffre accuserait une plus-value par rapport à une date antérieure. Dans un troisième système, on ne tient pas compte du passé, de l’époque qui précédait la guerre ; on s’occupe uniquement de comparer le revenu avec le capital possédé et on taxe le revenu lorsqu’il dépasse un pourcentage fixé par la loi. Ici on peut arriver à taxer des revenus de guerre qui non seulement ne dépassent pas les revenus de paix, mais qui même leurs seraient inférieurs ; c’est ce qui se présente dans l’hypothèse où le taux du pourcentage avant la guerre était supérieur à celui que la loi fixe comme point de départ de l’impôt.
L’idée de l’impôt tel qu’il a été conçu en France séduit au premier abord. Elle flatte le sentiment d’égalité qui se retrouve toujours au fond de l’âme humaine, puisque le résultat de cette taxe spéciale doit être d’obtenir le versement dans les caisses publiques d’une partie des bénéfices réalisés par certains membres de la communauté, alors que beaucoup d’autres souffraient. La majeure partie de ces bénéfices provient directement ou indirectement de contrats faits avec l’Etat, et qui procurent aux fournisseurs des profits extraordinaires. Si tel est le cas, — et chacun sait qu’en mainte circonstance il en est bien ainsi, — cela prouve une fois de plus que l’Etat est un détestable commerçant, qu’il fait mal ses commandes, qu’il paie beaucoup trop cher. Nous ne méconnaissons-pas les circonstances exceptionnelles au milieu desquelles la guerre a éclaté et qui expliquent en partie les fautes commises par l’Administration. Ce n’est pas le moment de rechercher les responsabilités ; dans bien des cas, la nécessité d’agir vite a fait accepter des propositions qui, en temps normal, eussent été passées au crible d’une discussion plus serrée et d’un examen plus sévère. Mais il n’en est pas moins évident que l’impôt sur les bénéfices de guerre, dans la pensée de ses créateurs et surtout dans l’opinion populaire, constitue une sorte de reprise par l’Etat des avantages excessifs qu’il a eu le tort de consentir à un certain nombre de privilégiés.
L’un des inconvéniens de cette façon d’agir est de ne pas atteindre les profits réalisés par les étrangers sur des marchés conclus au dehors, ni sur des fournitures faites par des manufactures situées sur territoire non français. Ne sont pas non plus atteintes les commissions touchées par les intermédiaires étrangers que la loi n’exempte pas, il est vrai, mais qui échappent à son application, s’ils ne résident pas en France.
Quoi qu’il en soit, nous sommes, depuis le 1er juillet 1916, en présence du texte d’une loi votée par le Sénat et la Chambre, et promulguée à l’Officiel, sous le titre de Contribution extraordinaire sur les bénéfices exceptionnels ou supplémentaires réalisés pendant la guerre. Elle vise les bénéfices réalisés depuis le 1er août 1914 jusqu’à l’expiration du douzième mois qui suivra celui de la cessation des hostilités : 1° par les personnes, non patentées, exception faite des agriculteurs vendant leur récolte à l’Etat, ayant passé des marchés, soit directement, soit comme sous-traitans, pour des fournitures destinées à l’Etat ou à une administration publique, et par toutes personnes ayant accompli un acte de commerce à titre accidentel ou en dehors de leur profession, en vue du même objet ; 2° par les personnes, patentées ou non, ayant prêté leur concours pécuniaire ou leur entremise, moyennant rémunération, redevance ou commission, pour la conclusion d’un marché avec l’Etat ou une administration publique ; 3° par les sociétés ou personnes passibles de la contribution des patentes, dont les bénéfices ont été en excédent sur le bénéfice normal ; 4° par les exploitans d’entreprises assujetties à la redevance proportionnelle prévue par la loi minière de 1810, Les quatre catégories atteintes par la loi sont donc les fournisseurs, les intermédiaires et bailleurs de fonds, les patentés ordinaires, les exploitans de mines.
Le bénéfice normal auquel doivent être comparés celui qui sera réalisé pendant la période allant du 1er août 1914 au 31 décembre 1915 et celui de chacune des années suivantes, est la moyenne des produits nets réalisés au cours des trois exercices antérieurs au 1er août 1914. Le bénéfice normal sera toujours considéré comme ayant été d’au moins 5 000 francs ou de 6 pour 100 des capitaux engagés dans les entreprises, tels qu’ils résultent d’actes, de livres de commerce régulièrement tenus ou d’autres preuves certaines. En ce qui concerne la période du 1er août 1914 au 31 décembre 1915, la comparaison avec le bénéfice normal est faite après avoir majoré celui-ci de cinq douzièmes, de façon à mettre en présence deux périodes égales, de dix-sept mois chacune.
Le produit net, pour le temps de guerre, est calculé en établissant le bilan de chaque entreprise, suivant les règles antérieures propres à cette entreprise, notamment en déduisant la réserve légale et celles qui sont habituellement consacrées à l’amortissement des bâtimens et du matériel. Sont en outre déduites du bénéfice supplémentaire : 1° les sommes destinées aux amortissemens supplémentaires nécessités soit par les dépréciations exceptionnelles du matériel résultant de la prolongation de la durée journalière du travail normal, soit par le fait d’installations ou de dépenses spéciales effectuées en vue de fournitures de guerre ; 2° la somme représentant l’intérêt à 6 pour 100 des capitaux employés dans les entreprises situées en pays envahi ou sinistré et à l’amortissement habituel de ces entreprises.
En obligeant les contribuables à établir leur bilan suivant les règles appliquées par eux antérieurement, la loi les empêche de modifier leur comptabilité en vue d’une dissimulation.
L’impôt ne s’applique pas aux bénéfices obtenus dans des établissemens exploités à l’étranger par des sociétés ayant leur siège en France. Il n’eût pas été équitable de l’exiger, car les Etats dans lesquels sont situés ces établissemens, peuvent, eux aussi, percevoir un impôt de même nature. D’ailleurs, si on eût essayé d’étendre ainsi l’action de la loi, les sociétés auraient constitué en organismes indépendans leurs usines situées en dehors du territoire national.
Voyons maintenant comment l’impôt est assis.
Les fournisseurs et intermédiaires doivent produire, dans les deux mois qui suivent le soixantième jour après la promulgation de la loi, la déclaration du bénéfice exceptionnel par eux réalisé pendant la période du 1er août 1914 au 31 décembre 1915. La même déclaration est exigée d’eux à l’avenir, dans les trois mois qui suivront le 31 décembre de chaque année, aussi longtemps que la loi reste en vigueur.
Les patentés ou exploitans de mines ont la faculté de produire une déclaration indiquant : 1° le bénéfice net réalisé pendant la période à laquelle se rapporte l’imposition ; 2° le bénéfice normal ; 3° l’excédent constituant le bénéfice supplémentaire ; 4° les sommes déduites pour la réserve légale et les amortissemens habituels. Si le contribuable ne veut ou ne peut fournir les élémens nécessaires à la détermination du bénéfice normal. il évaluera celui-ci à 30 fois le moulant de sa patente. Il indiquera, s’il y a lieu, la somme à déduire du bénéfice supplémentaire du chef des pertes d’exploitation ou des amortissemens extraordinaires. Les déclarations sont soumises à l’examen d’une commission siégeant au chef-lieu du département et comprenant : le trésorier payeur général, le directeur des contributions directes et du cadastre, le directeur des contributions indirectes, le directeur de l’enregistrement, des domaines et du timbre.
La Commission examine la déclaration. Si elle ne l’accepte pas, elle invite le contribuable à se faire entendre dans le délai d’un mois, au cours duquel il peut présenter ses observations par lettre recommandée. Ces formalités remplies, la commission fixe la base de la contribution : si l’intéressé maintient sa déclaration, le litige est porté devant une Commission supérieure.
La taxation d’office, pour les contribuables qui n’auront pas fourni de déclaration, sera établie par la Commission départementale : 1° pour les contribuables non patentés, à l’aide des élémens recueillis par les services publics et notamment par l’examen des marchés ; 2° pour les assujettis à la redevance des mines, par la comparaison du produit net servant de base à cette redevance avec la moyenne du produit net des trois exercices antérieurs ; 3° pour les sociétés qui publient des bilans, par la comparaison des trois bilans antérieurs avec celui de l’exercice imposable ; 4° pour les patentés et les sociétés non soumises à la publication de leurs bilans, d’après les élémens dont dispose la Commission. Elle peut faire procéder par l’un ou l’autre des services financiers à des vérifications sur place, en présence des intéressés, ceux-ci dûment appelés.
Cette partie de la loi applique les principes établis en 1914 en matière d’impôt sur le revenu : il ne serait pas logique que le contribuable fût soumis à deux régimes différens pour l’évaluation du revenu qui sert de base dans les deux cas. Comment admettre, disait le rapporteur de la Commission sénatoriale, M. Aimond, que le même bénéfice soit évalué d’une autre manière, lorsqu’il s’agira d’inscrire la même personne sur les rôles de la contribution nouvelle ? Car si tous les assujettis à l’impôt sur le revenu ne sont pas soumis à la contribution extraordinaire de guerre, tous ceux qui doivent cette dernière figureront sur les rôles de l’impôt sur le revenu de 1916.
Dans le délai d’un mois à partir du jour où elles ont reçu notification des chiffres arrêtés par l’Administration, les personnes ou sociétés taxées d’office peuvent contester sa décision. Dans le même délai, le contrôleur peut contester toute déclaration qu’il juge inexacte. Ces litiges sont portés devant une commission supérieure siégeant au ministère des Finances et comprenant un président de section du Conseil d’Etat, deux conseillers maîtres à la Cour des Comptes, deux inspecteurs des finances, le directeur général et un administrateur des contributions directes, six membres désignés par la réunion des présidens des Chambres de commerce. La Commission supérieure statue sur mémoires : ses décisions sont rendues en dernier ressort.
L’impôt est de 50 pour 100 : il est calculé, pour les bénéfices exceptionnels réalisés par les intermédiaires et bailleurs de fonds, sur la totalité de ces bénéfices ; pour les sociétés et les personnes patentées ou exploitans de même, à raison de 50 pour 100 de la portion du bénéfice qui excède 5 000 francs.
La loi est plus sévère pour les intermédiaires et bailleurs de fonds que pour les commerçans et industriels. Elle oblige les premiers à une déclaration, qui n’est que facultative pour les seconds. Ceux-ci déduisent une somme de 5 000 francs de leur bénéfice imposable, tandis que les autres sont frappés pour la totalité. On a jugé que ceux qui sortent de leurs compétences ordinaires pour conclure des marchés sont moins intéressans que ceux qui, par profession, ont été amenés à faire des fournitures à l’Etat.
Telles sont les principales dispositions de la loi française, sur laquelle nous reviendrons après avoir examiné ce qui a été décidé sur la même matière dans un certain nombre d’autres pays, de manière à comparer la façon dont chacun d’eux a compris et appliqué la taxation des bénéfices de guerre.
L’impôt anglais a été voté en 1915. Il est institué par le chapitre III de la deuxième loi de finances de 1915 (Finance Act, no 2). Il est appelé droit sur l’excédent de bénéfices (Excess profits duty). Il est appliqué pour la première fois en 1916. Il absorbe la moitié de l’excédent des profits réalisés par les commerçans et industriels pendant la période de leurs comptes annuels, arrêtés à une date comprise entre le 4 août 1914 et le 1er juillet 1915. Cet excédent n’est taxé que s’il atteint 200 livres sterling (5 000 francs) ; il se calcule de la manière suivante : on prend la moyenne des deux plus forts des trois exercices précédens ; cette moyenne constitue l’étalon des bénéfices antérieurs à la guerre (pre-war standard of profits). Si les comptes n’ont pas été arrêtés, et qu’une année ou davantage se soit écoulée sans qu’ils l’aient été, les commissaires du revenu intérieur détermineront la période qui devra être prise comme base. Si cette période est inférieure à un an, l’exemption de 200 livres sera réduite proportionnellement. Toutefois, s’il est prouvé que la moyenne des bénéfices des trois derniers exercices a été, par suite de la dépression commerciale anormale, inférieure d’au moins 25 pour 100 à celle des trois exercices antérieurs, le chiffre étalon se calculera en prenant les résultats de quatre des six dernières années. Prenons des exemples.
Primus arrête sa comptabilité au 30 septembre de chaque année. Il a gagné, pour les exercices clos le 30 septembre des années 1911, 1912, 1913 et 1914, respectivement 860, 940, 450 et 1 580 livres. Son bénéfice normal est fixé à 860 + 940 / 2, c’est-à-dire 900 livres. Il a gagné, dans l’année close le 30 septembre 1914, qui sert à établir l’impôt, 1 580 livres sterling, c’est-à dire 680 livres de plus que l’étalon ; il paiera moitié de cet excédent, diminué au préalable de 200 livres, c’est-à-dire 240 livres.
Secundus arrête ses comptes le 30 juin. Il a gagné, pour les douze mois se terminant le 30 juin 1912, 1 020 livres ; pour les douze suivans, 0 ; pour les douze suivans, 980 ; et pour l’année s’arrêtant le 30 juin 1915, 2 020 livres. La base est 1 020 plus 980, soit 2 000 divisés par 2, c’est-à-dire 1 000 livres ; l’excédent de bénéfice est donc de 1 020 livres ; déduisant 200 livres, il en reste 820, sur lesquelles il doit à l’Etat la moitié, c’est-à-dire 410 livres.
S’il est prouvé que le bénéfice étalon d’avant-guerre a été inférieur à une somme représentant 6 pour 100 du capital de la société évalué à la clôture du dernier exercice clos avant le 5 août 1914, il sera admis que le profit étalon est un revenu de 6 pour 100 dudit capital. S’il s’agit d’une entreprise gérée par un particulier ou d’une société en nom collectif n’ayant pas réalisé un bénéfice d’au moins 7 pour 100, un revenu de 7 sera pris comme étalon. Il est même admis que ce pourcentage conventionnel (statutory percentage) pourra être élevé par les commissaires du revenu intérieur, devant lesquels un appel serait porté à cet effet.
La loi prend soin de définir le capital ; il consiste, d’après elle, dans les élémens d’actif acquis par voie d’achat, comptés au prix d’acquisition moins l’amortissement, en créances desquelles l’impôt sur le revenu est déduit, en élémens non payés en argent, évalués d’après l’estimation au jour où ils ont été ajoutés au capital. Les dettes et engagemens viennent en déduction de l’actif. La loi prend des précautions pour permettre une évaluation raisonnable du capital, et entre à ce sujet dans des détails minutieux. Elle admet des changemens provenant de modifications survenues entre les associés, du fait que, à cause de la guerre, les réparations usuelles auront été retardées, que des travaux exceptionnels entrepris à l’occasion de la guerre sont destinés à perdre leur valeur après la paix. Ces motifs pourront être admis par les commissaires du revenu intérieur, autorisés à s’écarter, dans ces divers cas, des règles posées par la loi pour l’estimation du capital. Le législateur a spécifié que les bénéfices mis en réserve devront être considérés comme faisant partie du capital. Lorsque le prix d’un élément d’actif a été acquitté autrement qu’en espèces, il sera établi d’après la valeur qu’avaient les objets remis en paiement à la date où ce paiement a été effectué. Des actions d’apport, qui ne représenteraient que la valeur d’un fonds de commerce, d’une clientèle, n’entreront pas en ligne de compte, si elles sont restées en la possession de celui qui les a reçues. Au contraire, les brevets seront considérés comme un élément d’actif.
Si le capital de l’entreprise a été augmenté durant la période considérée, on déduira du bénéfice une somme représentant l’intérêt légal (statutory percentage) sur cette augmentation, depuis l’époque à laquelle elle aura été réalisée. Inversement, si le capital a été diminué, le bénéfice sera augmenté d’un montant (art. 41) correspondant à l’intérêt sur la somme qui représente la diminution. Si un capital employé au cours des trois années antérieures à la guerre n’a commencé à être rémunérateur qu’au cours de la période envisagée, l’intérêt légal sera ajouté aux bénéfices pris en considération.
Les règles établies pour calculer les bénéfices sont analogues à celles qui sont admises en matière d’impôt sur le revenu, sauf que les sommes payées pour intérêt, rentes, redevances et autres sur lesquelles l’impôt sur le revenu est perçu, peuvent être déduites du bénéfice. Le revenu des placemens n’est pas frappé, sauf dans le cas de sociétés dont l’objet principal est de faire des placemens, comme les compagnies d’assurances ; les traitemens des directeurs et employés des entreprises ne pourront dépasser ceux qui étaient en vigueur avant la guerre.
Tout contribuable sujet à cette taxe doit faire une déclaration avant le 31 janvier 1916. Les commerces et industries (trades and businesses) atteints par la loi sont ceux qui sont exercés dans le Royaume-Uni et ceux qui sont exercés ailleurs par des personnes résidant dans le Royaume-Uni. Sont exemptées les exploitations agricoles dans le royaume, les charges et emplois, les professions dont les profits dépendent essentiellement des qualifications personnelles de ceux qui les exercent et pour lesquelles les dépenses de capital sont nulles ou insignifiantes. Les intermédiaires dont le métier consiste à percevoir des commissions sont frappés.
Certaines usines travaillant plus spécialement pour la défense nationale ont été placées sous la surveillance directe de l’Etat et portent le nom d’établissemens contrôlés. Elles ne conservent que le cinquième de la part de leurs bénéfices dépassant le montant antérieur : pour elles, l’impôt s’élève donc à 80 pour 100.
Le législateur allemand a considéré l’augmentation du patrimoine comme devant former la base de l’impôt à percevoir. Il frappe la somme dont la fortune des particuliers s’est accrue dans la période triennale comprise entre le 1er janvier 1914 et le 31 décembre 19J6. Il n’a pas besoin de poser de règles nouvelles pour l’assiette de cet impôt, parce que les renseignemens nécessaires seront fournis au fisc par les rôles de l’impôt sur la fortune (Besitzsteuer) établi par la loi du 3 juillet 1915. Dans l’augmentation de fortune imposable ne figure pas celle qui provient d’héritage, à moins que le défunt lui-même n’ait augmenté, avant sa mort, sa fortune au cours de la guerre. La loi énumère encore d’autres sources d’enrichissement qui ne sont pas frappées par elle, telles que les sommes touchées en vertu d’une donation, d’une assurance ; elle donne au Conseil fédéral le pouvoir de décider quels transferts de fortune devront être exemptés. D’autre part, elle a cherché à atteindre les accroissemens que le contribuable aurait dissimulés, en les faisant, par exemple, passer sur la tête de ses enfans.
Le législateur pose en principe qu’il ne taxera pas seulement les bénéfices nés directement de la guerre, tels que ceux qu’obtiennent les fournisseurs des armées ; il entend frapper les augmentations de fortune réalisées de toute autre manière. Il estime que les privilégiés qui ont vu leur capital s’accroitre d’une façon quelconque doivent abandonner à la patrie une partie de cette plus-value, alors que tant d’autres ont subi des pertes.
La loi a frappé plus particulièrement les augmentations de patrimoine coïncidant avec une augmentation de revenu. Ainsi que le fait remarquer l’exposé des motifs, c’est exceptionnellement que, en temps de guerre, une fortune aura grossi autrement que par la capitalisation d’un excédent de revenu ; il n’est guère à supposer que les élémens constitutifs antérieurs d’un patrimoine aient été l’objet d’une plus-value. L’inconvénient du système est de ne pas frapper l’augmentation de revenu qui aura été dépensée ; mais il a l’avantage d’écarter les inégalités qui proviennent des différences de législation de l’impôt sur le revenu entre les États particuliers. Il tient compte du renchérissement de la vie, puisqu’il n’atteint que la portion de l’excédent du revenu qui a été capitalisée. Si le législateur n’avait considéré que le revenu, il aurait pu frapper injustement un contribuable qui, ayant avant la guerre subi cette diminution passagère de son revenu, aurait simplement retrouvé sa situation normale : cette erreur est évitée par la prise en considération du capital.
L’impôt, en ce qui concerne les sociétés, est assis sur les bénéfices supplémentaires qu’elles réalisent en temps de guerre. Dès le 24 décembre 1915, l’Allemagne, en prévision de l’établissement prochain d’un impôt sur les bénéfices de guerre, avait enjoint aux sociétés par actions, en commandite, minières, de porter à une réserve spéciale à créer 50 pour 100 des bénéfices supplémentaires réalisés au cours d’un exercice de guerre. Sont considérés comme tels les trois exercices annuels dont le premier embrasse le mois d’août 1914. Le bénéfice supplémentaire résulte de la différence entre la moyenne des bénéfices antérieurs et les bénéfices réalisés au cours d’un exercice de guerre. La réserve spéciale doit être administrée séparément du reste de l’actif et placée en fonds de l’Empire ou d’un Etat confédéré. Elle n’est pas soumise à l’impôt : celui-ci ne peut, en aucun cas, lui être supérieur. Comme l’impôt frappe à la fois les particuliers elles sociétés, il y a superposition.
A la fortune calculée selon les prescriptions de la loi de 1915, on ajoutera le montant des acquisitions d’immeubles ou d’entreprises situés à l’étranger, ainsi que les sommes consacrées à l’acquisition de métaux précieux, de perles, de pierres précieuses, d’objets d’art, de bijoux, d’objets de luxe, toutes les fois que le prix de l’achat a atteint ou dépassé 1 000 marks.
La taxe n’est perçue que si l’augmentation de fortune a été d’au moins 3 000 marks. Les fortunes ne dépassant pas 6 000 marks ne tombent pas sous le coup de la loi. Celles qui ne dépassent pas 9 000 marks à la fin de la période envisagée ne sont imposables que si elles contiennent un accroissement supérieur à 6 000 marks.
Le taux d’imposition varie de 5 à 25 pour 100. Il est de 5 pour les premiers 2 000 marks d’accroissement, de 6 pour 100 pour les 3 000 suivans, de 8 pour les 50 000, de 10 pour les 100 000, de 15 pour les 300 000, de 20 pour les 500 000, et, à partir de cette limite, de 25 pour 100. Quelle que soit l’importance de l’accroissement, le taux de chaque tranche reste en vigueur : c’est ainsi que 600 000 marks paieront 13,63 et non 25 pour 100.
Pour le contribuable qui a vu son revenu augmenter, le taux sera doublé jusqu’à concurrence de la somme qui correspond à son revenu supplémentaire. Il commence à 10 et s’élève a 48,24 pour 100 quand l’augmentation de patrimoine atteint 10 millions de marks.
On considérera comme augmentation de revenu la différence entre le revenu du temps de paix et celui du temps de guerre, calculés selon les prescriptions de la loi.
Est considéré comme revenu de paix le revenu d’après lequel le contribuable a été imposé pour la dernière fois avant la guerre. Lorsqu’il n’y a pas eu de fixation administrative du revenu, le contribuable est taxé à raison du revenu le plus faible de la classe dans laquelle il a été inscrit.
Le contribuable dont le revenu imposable était inférieur à 10 000 marks sera considéré comme ayant eu un revenu de ce montant.
Est considéré comme revenu de guerre le revenu global d’après lequel le contribuable a été taxé lors de trois assiettes successives, postérieures à la dernière évaluation du temps de paix. Au chiffre du revenu ainsi obtenu seront ajoutés tous les produits d’une activité tendant au lucre réalisés par le contribuable entre le 1er août 1914 et le 31 décembre 1916, mais qui, d’après la législation en vigueur, ne sont pas considérés comme faisant partie du revenu imposable. Les bénéfices résultant de participations à des sociétés à responsabilité limitée n’entrent pas en ligne de compte, sauf dans le cas où le capital initial était d’un million de marks, ou davantage, et où il y avait plus de six associés. Les fortunes des époux doivent être additionnées, alors même que chacun d’eux acquitte séparément l’impôt sur le revenu.
Le contribuable qui cessera de résider en Allemagne avant le 1er janvier 1917 ne sera pas pour cela exempt du présent impôt.
La société qui possède plus de 5 pour 100 du capital d’une autre société pourra déduire de l’augmentation de ses propres bénéfices la part pour laquelle les titres de la seconde y ont contribué. Le taux de l’impôt varie avec l’augmentation de revenu : il est du dixième du bénéfice supplémentaire lorsque celui-ci représente 2 pour 100 sur le capital et les réserves, et s’élève jusqu’à 30 pour 100 de ce bénéfice, lorsque ce dernier est supérieur à 20 pour 100. Une surtaxe variant de 10 à 50 pour 100 s’ajoute à l’impôt dans le cas où les bénéfices dépassent 10 pour 100 : la majoration maxima est appliquée à partir d’un bénéfice de 30 pour 100.
Les sociétés étrangères sont taxées d’après les principes posés dans la loi du 24 décembre 1915 ; l’échelle va de 10 à 45 pour 100 des bénéfices de guerre, selon que ceux-ci s’élèvent de 50 000 à 2 millions de marks.
Le législateur ne s’est pas contenté d’imposer les fortunes qui, au 31 décembre 1916, seront supérieures à ce qu’elles étaient trois ans auparavant. Il a considéré que celles qui n’avaient pas, dans cet intervalle, fléchi de plus d’un dixième, devaient également être mises à contribution, mais dans une mesure beaucoup plus faible. Le contribuable qui se trouve dans ce cas paiera 1 pour 100 de la somme qui, dans l’évaluation nouvelle, dépasse 90 pour 100 de l’ancienne. Ainsi, celui qui avait 360 000 marks en 1913 et qui n’en a plus que 340 000 en 1916, paiera 160 marks, parce que 90 pour 100 de 360 000 font 324 000 marks, soit 16 000 marks de moins que ce qu’il a encore.
L’impôt sur les bénéfices de guerre (Imposlo sui profitti dipendenti della guerra) a été établi en Italie par un décret du 21 novembre 1915. Il frappe les nouveaux revenus obtenus par suite de la guerre européenne, durant la période qui s’étend du 1er août 1914 au 31 décembre 191S, par les commerçans, industriels et intermédiaires, ainsi que les revenus de même nature qui, durant cette même période, ont dépassé les revenus dits ordinaires et déterminés par le législateur. Il s’applique de même à l’année 1916 et au premier semestre de 1917.
Au début, les commerçans et industriels devaient payer le dixième du bénéfice compris entre 8 et 10 pour 100 du capital investi dans l’entreprise, 15 pour 100 du bénéfice entre 10 et 15 pour 100, 20 pour 100 du bénéfice entre 15 et 20 pour 100, et 30 pour 100 du bénéfice supérieur à 20 pour 100. Un décret d’août 1916 a majoré ces taux, qui s’élèvent maintenant jusqu’à 38 pour 100.
Les intermédiaires paient 5 pour 100 sur ce qui dépasse leur revenu ordinaire de 1 à 5 dixièmes ; 10 pour 100 sur ce qui le dépasse de 5 à 10 dixièmes ; 15 pour 100 sur ce qui va à 20 dixièmes ; 20 pour 100 sur ce qui va à 30 dixièmes ; et 30 pour 100 sur ce qui dépasse 30 dixièmes. Les excédens inférieurs à 2 500 lire sont exempts.
Viennent ensuite les contribuables soumis à l’impôt sur la richesse mobilière. La loi définit le revenu ordinaire : la moyenne de celui qui a servi de base à l’assiette de la taxe sur la richesse mobilière pour les années 1913 et 1914. Les revenus des particuliers et sociétés qui n’étaient pas encore soumis à la taxe sur la richesse mobilière seront déterminés par ceux de contribuables de la même catégorie. En aucun cas, le revenu ordinaire ne peut être évalué à moins de 8 pour 100 du capital investi. On entend par capital investi celui qui résulte d’actes, livres de commerce et autres documens certains, antérieurs à la publication de la loi, ou celui qui est effectivement employé à produire le revenu.
Le nouveau revenu majoré par la guerre sera fixé par l’administration des impôts directs, qui se servira à cet effet des moyens mis à sa disposition par la loi de 1877, relative à la taxe sur la richesse mobilière. Elle admettra la déduction des amortissemens exceptionnels à appliquer aux installations faites en vue de fournitures de guerre. La déduction des commissions payées aux intermédiaires est autorisée, mais les négocians et industriels restent solidairement responsables de l’impôt dû par les intermédiaires.
Les particuliers, sociétés et corporations assujettis à l’impôt ont dû faire une déclaration au cours du mois de janvier 1916 ; ceux dont la déclaration aura été reconnue inférieure de plus d’un tiers à la somme fixée par l’administration paieront double droit.
Le décret primitif, dont nous venons de résumer les dispositions a été modifié par celui du lieutenant général du royaume qui est daté du 23 décembre 1915. Un règlement paru le 15 janvier 1916 donne des éclaircissemens au sujet des divers élémens sur lesquels s’appuie l’assiette du nouvel impôt : capital investi, revenu ordinaire, procédure et contentieux. Le règlement explique que la procédure instituée ne se substitue pas à celle qui détermine l’assiette de la taxe sur la richesse mobilière, mais qu’elle s’y ajoute. L’un des points les plus délicats est celui du capital investi. Pour les sociétés anonymes, il est constitué par le capital versé et les réserves ; pour les autres entreprises, c’est le capital qui a été effectivement employé et qui sert à l’exploitation. Les dépenses faites en vue d’installations provoquées par la guerre peuvent être ajoutées au capital.
Les revenus ne sont soumis à l’impôt nouveau que s’ils dépassent 8 pour 100 du capital. L’excédent au delà de 8 pour 100 est donc frappé deux fois, par la taxe sur la richesse mobilière et par l’impôt nouveau.
Sont présumés bénéfices de guerre, jusqu’à preuve du contraire, ceux qui résultent d’une augmentation de la production ou du commerce, ou de l’élévation des prix survenue postérieurement au 1er août 1914. Les particuliers ont dû déclarer, avant le 15 février 1916, leurs revenus imposables pour la période qui s’étend du 1er août 1914 au 31 décembre 1915. Ils feront, avant le 15 février 1917, la déclaration correspondant à l’exercice 1916 et, avant le 15 août 1917, celle qui sera relative au premier semestre 1917. Les sociétés, indépendamment de la publication de leurs bilans, doivent faire une déclaration. Si l’exercice social ne coïncide pas avec la période que couvre l’impôt, on calculera les bénéfices effectivement réalisés pendant ce laps de temps. Les déclarations indiqueront le capital investi, le revenu brut, la période envisagée, les échéances des contrats de fournitures faites à l’Etat ou à des administrations publiques, les frais, charges, amortissemens et provisions à déduire. Les intermédiaires énonceront les affaires conclues par eux, les noms et domiciles des commerçans et industriels avec qui ils ont traité, le montant des commissions perçues pour chaque organisation, les revenus mobiliers inscrits à leur nom en leur qualité d’intermédiaires.
L’esprit de la loi est de ne frapper que les augmentations de revenus dues à la guerre et non celles qui sont dues à d’autres causes. Mais l’impôt s’applique aux particuliers ou sociétés que des lois spéciales ont exemptés de l’impôt sur la richesse mobilière.
La loi hollandaise impose toute augmentation de revenu survenue depuis le 1er août 1914, et considère que cette augmentation provient de l’état de guerre, à moins que le contraire ne soit prouvé. Sont soumises à l’impôt toutes personnes ou sociétés exerçant un métier ou une profession. L’impôt est dû annuellement sur tout revenu dépassant d’au moins 2 000 florins (environ 5 000 francs au change actuel) celui qui avait été encaissé pendant l’année expirée le 31 juillet 1914. Tout produit du capital formé d’un surplus de revenu sur lequel l’impôt aura été précédemment payé ne sera imposé que s’il dépasse 5 pour 100 dudit capital. Est exempte l’augmentation de revenu provenant d’un dividende distribué par une société anonyme imposée pour l’année où ce dividende aura été gagné.
L’impôt est de 30 pour 100 de l’augmentation. Un sixième de l’impôt est versé à une caisse de secours destinée à venir en aide aux communes qui auront particulièrement souffert de la guerre.
En Danemark, une loi du 10 mars 1916 a créé pour deux années un impôt extraordinaire sur les personnes et les sociétés, qui s’ajoute aux taxes sur le revenu et sur le capital créées par la loi de 1912. Toute personne ou société résidant en Danemark et imposée sur un revenu annuel d’au moins 8 000 couronnes, (12 000 francs environ) doit acquitter, pour les deux exercices compris entre le 1er décembre 1914 et le 1er décembre 1916, un impôt extraordinaire sur les gains réalisés par elle au delà de la moyenne de ses revenus des trois années antérieures. Le taux de l’impôt est de 10 pour 100. On retranche de la masse des bénéfices imposables une part d’autant plus faible que la somme est plus forte. Pour les sociétés, l’impôt varie de 10 à 20 pour 100 de l’excédent des bénéfices à partir d’un revenu dépassant 8 pour 100 du capital-actions. Le maximum est perçu à partir d’un revenu représentant 20 pour 100 du capital.
En Suède, une ordonnance du 11 juin 1915 a organisé un impôt sur les bénéfices de guerre, frappant les assujettis à l’impôt sur le revenu et sur le capital, dans les cas suivans : lorsque le revenu annuel dépasse 10 000 couronnes, lorsque le revenu de la société dépasse 5 pour 100 du capital ou le revenu des années 1913 et 1914. Le taux varie de 12 à 18 pour 100.
La Norvège a établi un impôt analogue. D’après une communication faite en juillet 1916 par le ministre des Finances au Parlement de Christiania, le produit de cet impôt pour l’exercice 1915-1916 n’a même pas donné la moitié de la somme attendue, 40 millions de couronnes au lieu de 90 millions prévus au budget.
Les Américains ont projeté d’imposer une taxe de 5 pour 100 aux fabricans d’explosifs sur leurs recettes ne dépassant pas 1 million de dollars et de 8 pour 100 sur ce qui dépasse cette somme. Les fabricans de cartouches, obus, armes de guerre paieraient également un impôt calculé sur leurs recettes brutes. Le taux serait de 2 pour 100 jusqu’à 250 000 dollars et s’élèverait, par échelons, à 5 pour 100 sur ce qui dépasse un million. Les fondeurs et raffineurs de cuivre paieraient de 1 à 3 pour 100, d’après une échelle graduée selon les recettes variant de 25 000 à 10 millions de dollars. D’après un autre projet, ce seraient les bénéfices nets qui seraient frappés : les usines de munitions paieraient 10 pour 100 de ces bénéfices et les usines livrant les matières employées a la fabrication de munitions, 5 pour 100.
Les diverses législations que nous venons d’examiner, bien que tendant au même résultat, se distinguent les unes des autres par des caractères qu’il est intéressant de faire ressortir. En France comme en Angleterre, on frappe les bénéfices réalisés pendant la guerre, sans se préoccuper de rechercher si l’excédent des profits sur la période normale est dû ou non aux événemens actuels. Dans les deux pays, on admet que le capital a dû rapporter un revenu de 6 pour 100 qui est considéré comme normal. Les deux législations se sont préoccupées de poser des règles pour l’établissement des bilans : mais ces règles sont moins précises en France, où l’on se borne à autoriser la déduction des sommes destinées aux amortissemens supplémentaires. En Angleterre, de nombreux articles de la loi entrent dans des détails minutieux. La loi française parle du bénéfice « normal constitué par la moyenne des produits nets réalisés au cours des trois exercices antérieurs au 1er août 1914, et à partir d’un minimum déterminé par le revenu à 6 pour 100 des capitaux engagés dans les entreprises. »
La loi italienne a supprimé, en ce qui concerne les commerçans et industriels, la comparaison avec le passé : elle frappe leurs bénéfices en raison du revenu qu’ils représentent par rapport au capital engagé. Le taux de 8 pour 100 est pris comme limite du revenu non imposable, quel qu’ait d’ailleurs été le revenu antérieur : à mesure que le pourcentage du bénéfice augmente, le taux de l’impôt devient plus fort. Ce n’est que pour les intermédiaires que les bénéfices réalisés sont rapprochés du revenu antérieur à la guerre et taxés d’après la proportion qui existe entre ces deux chiffres.
En Angleterre, on ne soumet à la taxe que les négocians et hommes d’affaires ; en France, on impose les patentés et les intermédiaires qui ont pris un intérêt quelconque dans des contrats de fournitures de guerre à l’Etat. La loi anglaise exempte expressément les agriculteurs, les fonctionnaires, les professions libérales. La loi française, qui s’étend à tous les patentés, comprend donc certaines catégories de contribuables qui ne sont pas touchés par l’excess profit tax.
Le bénéfice normal est calculé en France d’après la moyenne des trois dernières années, tandis qu’en Angleterre le contribuable est autorisé à choisir les deux plus favorables et, parfois, à remonter jusqu’à la sixième année qui a précédé la guerre. La loi italienne frappe les bénéfices réalisés, par suite de la guerre européenne, par les commerçans, industriels et intermédiaires, ainsi que les revenus de même nature qui ont dépassé la normale. L’origine des revenus est ici visée d’une façon beaucoup plus précise que dans les lois française et anglaise.
En Allemagne, le point de vue est différent. C’est le capital et non le revenu qui est pris en considération. Partout où il y eu augmentation de capital, quelle qu’en ait été l’origine, l’impôt est dû : la non-diminution de capital dans une limite déterminée donne même ouverture à une certaine taxation. Cette conception s’est présentée d’autant plus naturellement à nos ennemis que, il n’y a pas longtemps, ils avaient établi un impôt sur l’accroissement de la fortune, dont l’assiette sert de base à celle de leur nouvel impôt baptisé Kriegsgewinnsteuer, littéralement : taxe du gain de guerre. Aux États-Unis, les diverses propositions étudiées par le Congrès de Washington tendent à imposer les bénéfices d’une catégorie limitée d’industriels, qui fabriquent des armes et des munitions.
Le prélèvement sur le revenu extraordinaire est de moitié en France et en Angleterre ; en Italie, il ne dépasse en aucun cas 38 pour 100. Quant à la taxe allemande, elle s’élève jusqu’à 25 pour 100 de l’augmentation du capital, et peut atteindre près de la moitié du revenu supplémentaire : mais elle s’applique, ne l’oublions pas, à une période triennale et ne frappe le revenu que s’il a été capitalisé.
Au point de vue du rendement de la taxe, le pays qui en attend le plus de ressources est l’Angleterre : pour l’année fiscale, du 1er avril 1916 au 31 mars 1917, le chancelier de l’Échiquier a évalué le produit de l’excess profit tax à 86 millions de livres, soit à 2 400 millions de francs. En France, nous ignorons quel sera le chiffre encaissé de ce chef par le Trésor.
Pour les divers pays dont nous avons examiné la législation, l’idée était nouvelle : ni en France, ni en Italie, ni en Angleterre, ni ailleurs, on n’avait encore admis le principe d’une taxe spéciale sur un ordre de bénéfices déterminé. Les Allemands avaient ouvert la voie en imposant l’accroissement de la fortune constaté dans une période fixée ; les bénéfices exceptionnels récoltés pendant la guerre et grâce à la guerre viennent tout naturellement grossir le patrimoine de ceux qui les ont réalisés, jusqu’à concurrence tout au moins de la partie qui n’en a pas été dépensée. Dès lors, il n’était pas nécessaire d’envisager les sommes produites par ces bénéfices, indépendamment des autres causes d’accroissement du patrimoine ; il suffisait d’appliquer à l’ensemble de la plus-value le taux de guerre : c’est ce qu’a fait la loi de juin 1916.
Le caractère de ces diverses lois est d’être exceptionnelles. Il est possible toutefois que le principe de la taxation de la plus-value de la fortune, qui avait déjà fait son apparition en Angleterre dans le célèbre budget présenté par Lloyd George en 1907, soit appliqué dans des pays où il était inconnu jusqu’ici. Nous souhaitons que, s’il doit en être ainsi, l’expérience soit faite avec modération : le très grand danger des impôts de ce genre est de décourager l’esprit d’épargne. Ceux qui travaillent à constituer ou accroître un patrimoine cesseraient de lutter en vue d’atteindre ce but, le jour où ils verraient l’Etat réclamer une part grandissante du capital créé par leurs efforts. C’est la considération supérieure qu’il ne faut jamais perdre de vue lorsqu’on légifère dans ce domaine, où les erreurs d’une fiscalité aveugle pourraient avoir les conséquences les plus graves au point de vue de l’avenir de la fortune nationale et de la nation elle-même. Gardons-nous surtout d’une tendance à laquelle nous n’avons cédé que trop aisément et trop souvent : celle de copier servilement des législations étrangères, sans nous préoccuper des différences fondamentales qui séparent certains peuples du nôtre, — la mentalité allemande de la mentalité française.
RAPHAËL-GEORGES LEVY.