L’Imposture des Naundorff/13
La Légitimité a-t-elle fini de me répondre ? Il faut le croire, puisque celui de ses rédacteurs qui s’était chargé de me pulvériser, le noble vicomte Raoul de la Barre, a pris congé, en déclarant, avec son urbanité ordinaire, dans le numéro du 24 mai, qu’il attend, pour se dire mon humble serviteur, le jour où je serai devenu un honnête homme. Ô vicomte !
Cependant, elle n’a pas encore soufflé mot de mon dernier article. Le vicomte Raoul pense-t-il donc y avoir sérieusement répondu par cette simple question : « Que pourraient bien faire à la naissance de Naundorff les vices ou les vertus de sa progéniture ? » Laissera-t-il passer, sans les relever, sans chercher seulement à les expliquer, à les atténuer, les déclarations et les révélations de M. Le Chartier ? Certes, il est tout naturel que la Légitimité ne tienne pas à mettre sous les yeux de ses lecteurs ces pièces accablantes ; mais alors, elle n’aurait point dû annoncer, presque formellement, qu’elle reproduirait dans leur intégralité mes articles ; elle n’aurait point dû déclarer, le 1er février 1885, qu’elle ferait « connaître toutes » mes « passes d’armes » ; elle n’aurait point dû s’engager, le 22 février, à « donner toutes » mes « objections », etc., etc.[2]
Du reste, malgré son fier langage, la Légitimité en a pris fort à son aise avec mon travail. Elle s’est arrangée à peu près constamment de manière à faire croire à ses lecteurs qu’elle n’en dissimulait pas une ligne, quand, au contraire, lorsqu’elle se trouvait en face d’un argument qui la gênait par trop, elle n’hésitait point à le supprimer. Ainsi, sous le prétexte audacieux qu’il n’y avait rien, absolument rien, qui concernât Guillaume Naundorff dans mes deux articles sur les trente faux Louis XVII, elle s’est abstenue avec soin d’en citer autre chose que trois ou quatre fragments sans importance. Or, non seulement ces deux articles contiennent divers passages qui regardent, d’une façon plus ou moins directe, le Prussien Naundorff ; mais c’est là que nous avons parlé en détail du fameux ouvrage de Regnault-Warin ! Et M. le vicomte de la Barre, voulant que ses crédules lecteurs continuent à ignorer que le récit de la fuite du prince, le séjour en Vendée, l’entrevue avec Charette, la proclamation de celui-ci annonçant l’évasion du Dauphin, tout cela est tiré du Cimetière de la Madeleine, roman donné comme roman par son auteur, M. le vicomte ne dit pas un mot, ne donne pas une ligne de toute cette partie de notre travail ! Plus loin, quand il le faudra, il nommera bien en passant Regnault-Warin, mais il s’abstiendra de toute explication. Ah ! qu’il me serait facile de qualifier justement cette étrange manière de tenir ses promesses, si je voulais emprunter un gros mot au riche vocabulaire de M. Raoul de la Barre.
Ce monsieur, en effet, qui, d’ailleurs, n’est pas de la Barre, ni vicomte le moins du monde, mais qui cache sous un pseudonyme vaniteux son véritable nom : Dupuy, et sous un faux titre de noblesse sa véritable qualité : prêtre, ce monsieur a toujours l’insulte à la bouche. Oui, le vicomte de la Barre n’est autre que le directeur de la Légitimité, lui-même<ref> J’avais cru d’abord, sur la foi d’un renseignement qui me paraissait offrir toutes les garanties, que le pseudonyme de vicomte Raoul de la Barre appartenait à un autre prêtre : M. l’abbé Berton. Celui-ci, en effet, a signé, signe encore de cette manière des articles dans la Légitimité. Mais il m’a écrit une lettre qui a été publiée le 7 juin par l’Univers, pour me dire qu’il n’était point l’auteur des réponses qui m’ont été adressées, qu’il en déplorait le ton violent, comme il « déplore la facilité avec laquelle le prince Charles, et surtout madame Amélie acceptent les révélations et visions de toutes sortes ». Il ajoutait que l’auteur des articles consacrés à mon travail était M. l’abbé Dupuy, et M. l’abbé Dupuy reproduisant la lettre de M. Berton, s’est bien gardé de lui opposer la moindre dénégation.</ref>. C’est lui qui m’a répondu, émaillant ses incohérences de continuelles grossièretés, dont voici quelques spécimens pour l’édification du public : « Sot !... farceur !... gamin mal embouché !... mauvais petit drôle !... éhonté menteur !... » Etc.
Montrons, par un seul exemple, avec quelle facilité M. Dupuy se répand ainsi en invectives. Il cite cette phrase de mon travail : « Gruau, ancien magistrat, qui s’appelait d’abord tout simplement Gruau, qui ensuite ajouta de lui-même à ce nom roturier les trois mots de la Barre, qui, après, par la grâce de Naundorff, devint le comte de la Barre, etc. » La citation faite, le pseudo-vicomte me répond en ces termes : « Mensonge ! il a signé M. Gruau tout court jusqu’au 21 janvier 1838, et comte M. Gruau de la Barre depuis ce jour jusqu’à sa mort. Nous défions l’Univers de nous indiquer, imprimée ou manuscrite, la signature intermédiaire qu’il invente ! »
M. l’abbé Dupuy n’est pas d’ailleurs le seul à m’avoir gracieusement arrangé de la sorte, dans la Légitimité. Il est même un peu pâle, il est faible quand on le compare à M. Ludovic Briault. Un prêtre aussi, ce dernier. Il a soin de n’en rien dire aux lecteurs du journal naundorffiste, mais il l’est. M. l’abbé Ludovic Briault a l’honneur de desservir la paroisse de Nuret-le-Feron, canton de Saint-Gaultier (Indre). Ah ! monsieur Dupuy, que vous êtes encore loin de ce modèle ! Le 22 février 1885, sur la simple annonce de mon travail, M. Briault m’assénait dans la Légitimité, « une volée de bois vert », en langue... verte aussi. C’était intitulé : Un Gamin. « Affreux petit roquet, bavant comme une bête enragée, me disait-il... qui avez été pris en flagrant délit de calomnie et de mensonge !... toutou hargneux !... jeune Pierrot !... lâche et insolent !... Qui donc vous a conféré le monopole des injures ? »
M. l’abbé Ludovic Briault, curé de Nuret-le-Feron, canton de Saint-Gaultier (Indre), me disait encore : « Nous allons nous donner la satisfaction de vous tirer les oreilles. » J’engage vivement M. l’abbé Briault, puisqu’il trouve à cet exercice tant de satisfaction, et qu’il y montre tant de brio, à le continuer tout à son aise... de loin ; cela ne me gêne pas. Ses violences de style, en effet, ne peuvent me nuire ; au contraire, elles servent plutôt la cause que je défends. Mais, s’il veut être le premier dans ce genre de composition, il faut qu’il travaille bien, car, tout supérieur qu’il soit à M. l’abbé Dupuy, il a, lui aussi, son maître. Ce maître est un certain J. de Hoste, chantre au lutrin de La Bassée, département du Nord. Ce J. de Hoste m’a écrit la lettre suivante :
« La Bassée, le 13 mars.
« Monsieur Pierre Veuillot, employé,
Je crois que ce naundorffiste un peu... exalté ne m’avait pas écrit sa lettre pour qu’elle fût publiée. En la retrouvant dans ce travail, il éprouvera, sans doute, une forte humiliation. Tant pis, il n’avait qu’à mieux se tenir. Je n’en daignerai pas, d’ailleurs, tirer d’autre vengeance que celle de l’imprimer tout vif.
Ces échantillons du style des partisans de la « princesse » Amélie et du « prince » Charles, c’est à dessein que je les ai donnés. J’en pourrais citer bien d’autres encore ; les naundorffistes ayant injurié de même tous ceux qui ont voulu discuter avec eux. Mais le lecteur est édifié suffisamment, il voit ce que sont ces gens-là, et déjà cette phrase lui est venue sur les lèvres : « On ne parle pas ainsi quand on croit avoir raison ! » En effet, pour que des prêtres, comme le curé de Nuret, M. l’abbé Ludovic Briault, comme le directeur de la Légitimité, M. l’abbé Dupuy, perdent à ce point la notion du respect que chacun se doit à lui-même, oublient si complètement le caractère sacré dont ils sont revêtus, se répandent en insultes furieuses, écument à la lettre, dès qu’on se permet de leur opposer une contradiction, il faut qu’ils sentent le peu de solidité de ce qu’ils appellent leurs preuves. Et alors, à tout prix, ils cherchent une diversion.
Excusons-les, car, en vérité, que deviendraient-ils, ces malheureux, s’ils n’outrageaient point, à pleine bouche, ceux qui démolissent leur fragile échafaudage ? Ils ne se trompent pas, quand ils ont l’idée que leurs preuves et leurs arguments ne valent rien. Déjà je l’ai cent fois démontré, au cours de ce travail. Les réponses que m’a faites la Légitimité complètent à merveille ma démonstration.
On pense bien qu’il n’est pas question ici de suivre, pas à pas, M. le vicomte Dupuy à travers ses incohérentes fantaisies. Ce serait beaucoup trop long, et les diatribes de M. l’abbé Raoul de la Barre ne méritent point, certes ! qu’on leur accorde tant de place et tant d’importance. Il suffira que j’en relève cinq ou six passages : ceux qui, à côté des autres, semblent presque sérieux. Avec ces échantillons, le lecteur pourra juger du reste.
Je n’irai point, en effet, me donner, par exemple, la peine de prouver à nouveau que jamais l’Univers n’a cru à l’évasion du Dauphin. La Légitimité, loyalement, bien que j’aie démontré le contraire, s’obstine à répéter qu’en 1850 M. Bailly inclinait, tout au moins, à penser que Louis XVII n’était pas mort au Temple, et le pseudo-vicomte Raoul, quoiqu’il prétende, comme on sait, me citer toujours exactement, a soin de supprimer les quelques lignes consacrées dans mon travail à la réfutation de cette fausseté.
Je ne reviendrai point davantage sur les prétendus aveux de la duchesse d’Angoulême. Elle était « certaine » de la mort de son frère au Temple. Ceux qui avaient eu le tort de mettre en doute cette certitude n’ont plus le droit de le faire, après avoir pris connaissance du témoignage si explicite de M. le chevalier d’Auriol. La Légitimité qui, d’ailleurs, n’est pas d’accord avec elle-même, et dit, ici : que la fille de Marie-Antoinette savait positivement que son frère n’était pas décédé le 8 juin 1795, là : que cette vénérable princesse hésitait seulement à croire à ce trépas, la Légitimité oppose au chevalier d’Auriol le baron de Maistre, dont, bien entendu, elle ne produit pas de déclaration directe. Or, M. le baron de Maistre, qui, dès le temps de Louis-Philippe et jusqu’à sa mort, entretint des relations affectueuses avec MM. Veuillot, approuva beaucoup les articles où l’Univers dénonça et démontra l’imposture des faux dauphins, particulièrement de Richemont et de Naundorff. En outre, ce gentilhomme, la loyauté même, n’eût certainement pas été, comme il le fut toute sa vie, le serviteur passionné du roi Charles X et du comte de Chambord, s’il eût cru à l’existence d’un Louis XVII quelconque.
Mais, puisque le témoignage du chevalier d’Auriol ne suffit point à la Légitimité, je m’en vais en citer un autre, plus considérable encore. Je le tire d’une lettre adressée, tout dernièrement, par Mgr le duc de Parme à M. le comte de Viefville. Mgr le duc de Parme s’exprime en ces termes : « J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les articles sur l’imposture des Naundorff qu’a publiés, dans l’Univers, M. Pierre Veuillot. Je vous prie d’aller trouver M. Veuillot de ma part, et de lui exprimer ma reconnaissance pour ces articles que je serai heureux de posséder quand il les aura réunis en brochure, comme il l’annonce dans l’Univers.
« Ma mère (la sœur du comte de Chambord) m’a très souvent parlé de ces faux Louis XVII, surtout de Naundorff. La duchesse d’Angoulême, qui a élevé ma mère, lui en avait parlé quelquefois. Elle était sûre, lui avait-elle dit, de la mort de son frère, et elle se rappelait fort bien ces tristes journées au Temple. Je ne sais pas au juste quel avertissement secret elle avait reçu de la mort de son frère. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle en était sûre. Un jour, un imposteur se jeta à son cou, en l’appelant : Ma sœur ! Elle en fut excessivement indignée, et cela la rendit presque malade ; elle répétait : « Comme si je ne savais pas que mon frère est mort, est certainement mort ! » Voilà les paroles de la duchesse d’Angoulême, que ma mère m’a bien souvent redites. C’est donc un mensonge des Naundorff de prétendre que la duchesse d’Angoulême savait que son frère était vivant. Je vous prie de le dire à M. Pierre Veuillot, qui pourra le mettre dans sa brochure. »
Inutile, n’est-ce pas, d’insister davantage ?
Je ne veux pas m’attarder non plus à montrer, en détail, le côté plaisant des argumentations du pseudo-vicomte. Lui qui s’écrie d’un ton pénétré : « Il n’y a sur la terre qu’un journal sérieux, c’est la Légitimité ! » il ose nous reprocher de citer, à l’appui de notre thèse, Lafont d’Aussonne : Oh ! dit-il, tout scandalisé, oh ! « Un moine défroqué ! Fi ! monsieur Pierre Veuillot, voilà donc vos témoins ! ». Or, {{Corr|Lafont d’Aussone|Lafont d’Aussonne}} est tout simplement une des « autorités » sans cesse invoquées par les naundorffistes. Ils trouvent tout naturel de s’appuyer sur les prétendues révélations de ce moine défroqué ; mais, si je me permets de profiter d’un aveu que Lafont d’Aussonne a laissé par hasard échapper : « Halte-là » me déclare, avec une indignation profonde et sainte, M. l’abbé Dupuy. N’est-ce pas véritablement comique ?
N’est-il pas comique aussi de voir la Légitimité m’accuser de mensonge parce que, poussant à fond l’un de ses raisonnements favoris, j’en ai démontré toute l’absurdité ? Elle aime à dire que si les derniers Bourbons de France, – elle ne parle point de ceux d’Espagne et d’Italie, – ont été malheureux, c’est à cause de leur conduite vis-à-vis de son Louis XVII. Là-dessus, faisant observer que de tous ces Bourbons le plus cruellement traité fut Louis XVI, je réponds : « Il ne me paraît en vérité pas admissible que le Roi-Martyr ait payé de sa tête un forfait, qui aurait été commis, ultérieurement à son assassinat, sur la personne de son fils, par son frère cadet, tandis que celui-ci a régné bien tranquillement, et s’est éteint bien doucement dans la prospérité la plus enviable. On comprend qu’une malédiction divine ait poursuivi la race de Caïn, après le meurtre qu’avait perpétré son chef ; mais il n’est jamais venu à la pensée de personne, avant les Naundorff, de soutenir qu’Adam et Ève ont été chassés du paradis terrestre, parce que Caïn devait, pas mal d’années plus tard, égorger son frère Abel ! » La Légitimité cite les lignes qu’on vient de lire, fait semblant de croire que je lui attribue textuellement le passage qui concerne Adam et Ève, Caïn et Abel, puis me confond en ces termes qui respirent la victoire : « L’Univers est vraiment trop généreux de nous prêter un raisonnement aussi saugrenu. Nous le mettons au défi de produire la page où nous aurions soutenu pareille imbécillité ! – La page s’il vous plaît ? »
Autre exemple de discussion serrée : J’ai publié les principaux considérants de l’arrêt si dur par lequel, en 1874, la cour de Paris a débouté les Naundorff. M. l’abbé Dupuy répond que les juges de 1874 ne confirmèrent ainsi la sentence des juges de 1851, que parce qu’ils s’attendaient au prompt retour d’Henri V. En 1874, le prompt retour d’Henri V était devenu déjà bien problématique ; mais je n’insiste pas là-dessus, ce n’est pas la peine ; je continue à suivre M. Dupuy. Il ajoute que l’arrêt en question ne fut pas rendu à l’unanimité. À preuve, dit-il, que le président de la cour, M. de Gillardin, s’était écrié dans un salon où l’on s’entretenait de l’affaire, quelques jours avant le jugement : « C’est clair comme de l’eau de roche ! » Eh quoi, M. de Gillardin a tenu ce langage ? Soit ! Je vous en crois d’autant plus volontiers sur parole, monsieur l’abbé, que je suis tout à fait du même avis que l’honorable président. À son exemple, en effet, je trouve la question, malgré vos multiples efforts pour l’embrouiller, « claire comme de l’eau de roche ».
Il faut changer de ton, et répondre sérieusement à la Légitimité, quand, à propos des preuves que j’ai données de la mort de Louis XVII, elle accuse Lasne et Gomin de n’avoir été que des parjures, des imposteurs, des faux-témoins. Pour motiver ces calomnies contre deux hommes parfaitement honorables, elle s’appuie sur quelques divergences qui ont été relevées entre la déposition de Gomin en 1837, et les trois dépositions de Lasne en 1834, 1837 et 1840. Lasne, d’après la Survivance et la Légitimité, s’est gravement contredit lui-même, et a gravement contredit Gomin. C’est ce que l’on va voir. Je prends la Légitimité, je prends la Survivance, je m’en rapporte, tout comme si je n’avais pas vingt fois sujet de m’en défier, à ce qu’elles avancent, et je pèse la portée, la gravité des contradictions qu’elles signalent entre les trois témoignages de Lasne et celui de Gomin.
Lasne, en 1837, déclare que le « jeune prisonnier du Temple est mort sur son bras gauche » ; en 1840, il dépose que le Dauphin est mort « les bras autour de son cou ». L’abbé Dupuy s’exclame ; il trouve qu’on ne saurait se démentir soi-même d’une façon plus scandaleuse. En vérité ? ─ C’est « après une maladie de deux jours que le prince a rendu le dernier soupir », affirme Lasne en 1837, et, en 1840, il dit qu’à « son arrivée au Temple », il fut mis en présence « d’un malheureux enfant qui inspirait la pitié et presque le dégoût ». Quelle contradiction ! s’écrie la Survivance, qui estime évidemment que, lorsqu’on est déjà dans un triste état, on ne peut attraper une maladie qui vous emporte en quarante-huit heures. Puis elle continue, de concert avec la Légitimité : « En 1840, Lasne assure que, pendant deux jours, le corps du prince fut exposé. Il a donc pu facilement être vu et reconnu par toutes les personnes qui allaient et venaient dans le Temple, ainsi que par les hommes de garde. En 1837, il se tait sur ce détail qui, s’il eût été vrai, n’aurait pas échappé à sa mémoire. » En 1837, Lasne avait dit qu’au 10 août il était commandant en chef du bataillon des Droits de l’Homme ; en 1840, il se rectifie : « Ce n’est qu’après le 10 août, dépose-t-il, que j’ai été nommé à ce grade ; auparavant, j’étais capitaine des grenadiers du poste Saint-Antoine. » Or, en 1834, il avait déclaré – lapsus évident ! – qu’il était capitaine aux gardes françaises. L’abbé Dupuy souligne ces contradictions, et lève les bras au ciel.
Quant à Gomin, c’est encore pire : Interrogé par le juge d’instruction, il affirme en premier lieu « qu’il avait vu plusieurs fois le Dauphin avant sa détention ; quelques lignes plus bas, il prétend qu’il l’avait vu souvent ». Il dit : « Je suis entré au Temple vers le 8 thermidor. » (Le 9 thermidor, c’est la date si retentissante de la chute de Robespierre.) Et il n’a été nommé que trois mois plus tard ! Il dit : « J’ai assisté aux derniers moments du prince. » Et quelques minutes avant l’instant précis de la mort, il était sorti pour aller prévenir la Convention ; il ne revint qu’un quart d’heure après le décès ! Il dit : « Je voyais le prisonnier constamment. » Et il ne le voyait que trois fois par jour ! « Ah ! quel faux témoin ! » s’écrie le directeur de la Légitimité !
Admirez ensuite comme Lasne et Gomin s’accordent peu ! L’un déclare que le Dauphin est mort à deux heures ; l’autre dépose qu’il était environ trois heures. Lasne reconnaît que l’enfant ne parlait guère ; Gomin soutient qu’il a causé bien des fois avec lui. Quels imposteurs ! n’est-ce pas ? Quels faux témoins !
Voilà les contradictions phénoménales que la Survivance et la Légitimité relèvent, triomphalement, entre les trois dépositions de Lasne et celle de Gomin. Je disais tout à l’heure qu’il fallait répondre à cela sérieusement ; j’avais tort. Il suffit de hausser les épaules, après avoir rappelé que les deux gardiens du fils de Louis XVI parlaient, en 1837, de faits qui s’étaient passés plus de quarante années auparavant, et que ces deux octogénaires ne se sont jamais contredits sur les points d’importance ; ils ont toujours soutenu, par exemple, qu’ils connaissaient le Dauphin avant sa détention[3] ; ils ont toujours affirmé que l’enfant mort au Temple, le 8 juin 1795, était certainement Louis XVII. Comme le déclare M. de La Sicotière, « leur langage, trop uniforme, trahirait un apprêt, un parti pris que nous aimons mieux n’y pas trouver ».
On pense bien que les naundorffistes ne contestent pas l’autorité, la bonne foi de Lasne et de Gomin, pour aller s’incliner ensuite devant les autres témoins du décès. Le commissaire Damont n’est qu’un menteur. Sous la Restauration, en effet, il s’est glorifié d’avoir toujours été royaliste. Or, en 1795, il ne disait à personne un mot qui pût donner de lui cette idée. Donc, c’est un fourbe ; donc son témoignage doit être mis à l’écart. N’est-ce pas logique ? Ainsi, voilà Damont proprement exécuté. Je poursuis la revue. Il y a les quinze officiers municipaux, qui ont affirmé reconnaître le Dauphin. Ceux-là, ils ne méritent pas même, d’après la Légitimité, qu’on s’occupe d’eux. Est-il possible ? Oui, vraiment ! Et si vous désirez connaître le motif de ce dédain cruel et commode, vous n’avez qu’à lire les quelques lignes ci-dessous, qui débordent, vous allez le voir, de l’esprit le plus délicat :
{{g| « Suivons un de ces officiers de la garde nationale à son retour au logis. Il reçoit le baiser de sa femme et répond à ses questions : « Tout s’est bien passé. Figure-toi, ma chère, qu’on nous a montré le corps en nous demandant d’attester que c’était bien le fils du tyran. Je me suis dit : Tiens ! il y a donc du louche ? Mais, si ce n’est pas le petit Capet, celui qui a fait le coup n’est pas le premier venu. ─ Et alors ? ─ Et alors, je n’ai pas voulu mettre mon doigt entre l’enclume et le marteau et j’ai signé que c’était le petit Capet, puisqu’on nous le demandait. ─ Oh ! que tu as bien fait ! Est-ce que ça nous regarde, nous, la politique ? ─ Bien entendu. Aussi, ce n’est pas ton petit homme qui ira se compromettre. Chacun pour soi, après tout ! » ─ Et les quinze officiers pompiers auront été embrassés par leurs femmes. »|2}}
Ah ! qu’en termes galants, etc. Le malheur, c’est que le raisonnement humoristique de M. l’abbé Dupuy s’effondre sous le poids d’une simple réflexion, la suivante : Mais, il n’y eut pas seulement quinze officiers municipaux, il y en eut vingt appelés à déclarer que l’enfant mort la veille au Temple était bien le fils de Louis XVI. Quinze d’entre eux signèrent l’attestation demandée. Les cinq autres ne crurent point devoir imiter cet exemple, et disant, ceux-ci : qu’ils n’avaient presque pas connu, ceux-là : qu’ils n’avaient même pas du tout connu le Dauphin, quand il était encore aux Tuileries, ils se refusèrent tranquillement à certifier l’identité. Eh bien – qu’on me permette de replacer une remarque déjà faite au début de ce travail, et que, d’ailleurs, la Légitimité n’a point reproduite – : en s’abstenant, ces cinq officiers ont péremptoirement démontré que leurs collègues n’avaient rien à craindre, qu’ils étaient libres de signer ou de ne pas signer, à leur idée. Conclusion le témoignage des quinze « gardes nationaux » a beaucoup de valeur, et la Légitimité a tort de le dédaigner.
Et les médecins ? Pelletan, Jeanroi et Lassus avaient certainement vu le petit prince dans les années qui précédèrent son entrée au Temple. Je l’ai prouvé. Ils ont maintes fois déclaré qu’ils le reconnurent. Je l’ai prouvé aussi. Qu’en dit la Légitimité ? La Légitimité ne se trouble pas le moins du monde. Non seulement elle s’entête à nier, malgré les Mémoires de Mme la duchesse de Tourzel, malgré les affirmations que Pelletan lui-même prodigua toute sa vie, malgré tant d’autres témoignages si nets, si écrasants, que ces trois médecins aient reconnu l’enfant royal ; mais elle va jusqu’à prétendre que Pelletan, quoiqu’il ait dit cent fois le contraire, ne l’avait point vu aux Tuileries, et elle ose insinuer que Lassus et Jeanroi l’avaient si peu vu, si peu, que vraiment leurs déclarations ne signifient rien du tout.
C’est sur le procès-verbal d’autopsie que la Légitimité persiste à s’appuyer pour maintenir, qu’en dépit de leurs attestations, les médecins n’ont jamais cru se trouver en présence du cadavre de Louis XVII. À ce propos, elle me reproche de n’avoir pas cité tout le début de ce document. Je n’en ai pas cité non plus le préambule, où les quatre médecins disent qu’ils ont été chargés « de procéder ensemble à l’ouverture du corps du fils de défunt Louis Capet » ; mais, ce n’est point là ce que M. Dupuy me demande, et je veux lui donner satisfaction. À ces quelques lignes : « ... nous avons trouvé le corps mort d’un enfant qui nous a paru âgé d’environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être le fils de Louis Capet... », j’ajoute donc le membre de phrase suivant : « ... et que deux d’entre nous ont reconnu pour être l’enfant auquel ils donnaient des soins depuis quelques jours. »
Maintenant que ses ordres sont exécutés, M. Dupuy devrait, en récompense, me dire ce qu’il voit à son avantage dans ce complément de citation. Il souligne les mots deux d’entre nous et les mots depuis quelques jours. Aurais-je contesté, par hasard, que Pelletan et Dumangin ne furent appelés à soigner le prince qu’après la mort du chirurgien Desault ? Et la Légitimité, pour se tenir convaincue, voudrait-elle donc que Jeanroi et Lassus, qui n’avaient pas encore vu, elle ne l’ignore point, Louis XVII dans sa prison, eussent, comme Pelletan et Dumangin, déclaré qu’ils lui « donnaient des soins depuis quelques jours » ? Non, la seule chose qui puisse étonner un instant, quand on lit le procès-verbal, ce sont les quatre mots nous ont dit être. Et, pour que l’étonnement cesse, il suffit, comme je n’y ai pas manqué, de faire observer qu’il s’agit là d’une formule habituellement employée dans les procès-verbaux d’autopsie. M. l’abbé Dupuy, lui-même, n’ose point soutenir le contraire, malgré tout son aplomb : « C’est la formule consacrée ? me répond-il. Oui, pour un simple particulier, mais pour un prince du sang ! » Et il m’oppose le procès-verbal de l’autopsie du premier Dauphin, où les quatre mots en question ne se trouvent pas.
Monsieur l’abbé, apprenez que le premier Dauphin est mort en juin 1789, à Meudon, Louis XVI régnant, tandis que le duc de Normandie, second Dauphin, est mort en juin 1795, au Temple, la Convention gouvernant. Il aurait fait beau voir, à cette époque-là, que des médecins se permissent de ne pas traiter le petit Capet comme un simple particulier !
La Légitimité est encore moins sérieuse, lorsqu’elle prétend que les Mémoires de Mme la duchesse de Tourzel n’ont aucune valeur. Pourquoi n’ont-ils aucune valeur, selon M. Dupuy ? Parce que, racontant les conversations qu’elle eut avec Jeanroi et Pelletan sur Louis XVII, la duchesse de Tourzel leur fait tenir à tous deux, en notant elle-même cette similitude, un propos presque identique : « Les ombres de la mort n’avaient point altéré la beauté de ses traits », déclare Jeanroi, et Pelletan répète : « Les ombres de la mort n’avaient point altéré ses traits. » Là-dessus, voici, en substance, l’argumentation de la Légitimité : On ne parle plus comme cela aujourd’hui ; donc, on ne parlait pas comme cela sous la Restauration ; donc, ni Pelletan ni Jeanroi n’ont pu prononcer cette phrase ; donc, la duchesse de Tourzel en a imaginé la forme ; donc, elle en a imaginé le fond ; donc, elle a imaginé tout ce qu’elle rapporte de Jeanroi et de Pelletan. Et M. l’abbé Dupuy conclut en ces termes textuels son raisonnement péremptoire : « Cette idée de faire répéter la même phrase par deux hommes différents et à plusieurs années de distance, constitue une invraisemblance tellement inintelligente, qu’elle démolit de fond en comble sur ce point l’autorité que M. Veuillot prête aux Mémoires de Mme de Tourzel. »
Tout ce que me répond la Légitimité, au sujet des explications que j’ai données à propos de l’attitude prise par Louis XVIII, en 1815 et durant les années suivantes, est de cette force-là. Aussi m’abstiendrai-je d’y répliquer. Je note seulement un mot qui est échappé à M. Dupuy. Je lui avais fait remarquer que le corps de la princesse Élisabeth ne fut pas plus recherché que celui du Dauphin, et j’avais ajouté : « Si les naundorffistes se piquaient de logique, ils devraient en conclure que la princesse Élisabeth a survécu, elle aussi, à la Révolution. » ─ « L’oubli de Louis XVIII, répond la Légitimité, l’oubli de Louis XVIII relativement aux restes – disons : aux reliques – de cette princesse, sa propre sœur, ne prouve qu’une chose contre lui : c’est qu’il n’avait pas de cœur. » Ainsi donc, M. l’abbé Dupuy déclare que le roi Louis XVIII ne s’est pas occupé du corps de sa propre sœur, parce qu’il n’était qu’un profond égoïste. Mais, s’il ne s’est guère occupé du corps de son neveu, c’est évidemment, d’après le même abbé Dupuy, pour une autre raison.
Je me suis étendu assez longuement sur les réponses, les soi-disant réponses, que la Légitimité a faites à la première et à la plus courte partie de mon travail, celle où j’ai donné les preuves de la mort du Dauphin au Temple. Maintenant, je vais avancer d’un pas très rapide. En effet, – mais va-t-on me croire, après tout ce que je viens de citer ? – c’est encore, malgré tant d’extravagances, à propos de cette première partie que la feuille naundorffiste a dit le moins de choses déraisonnables. Dès qu’il a été personnellement question de son faux Louis XVII, elle s’est mise tout de suite à battre la campagne, presque sans discontinuer, et de la manière la plus lamentablement folle. Ce qu’elle a produit alors ne ressemble plus, même de loin, à de la discussion ; c’est du délire, à travers lequel la raison ne se manifeste que par des éclairs de mauvaise foi. Un moment j’ai pu croire que la Légitimité allait accuser Naundorff, lui aussi, de n’avoir été, comme le comte de Chambord, qu’un aspirant à l’usurpation. Il s’agissait d’un certain Dujol, qui prétend descendre en ligne directe d’Henri II, par le duc d’Alençon, frère puîné d’Henri III. M. l’abbé Dupuy affirme d’abord que j’ai inséré, dans l’Univers, les réclamations de ce M. Dujol avec une complaisance marquée ; puis il ajoute :
{{g| « Au surplus, il est certain que la branche aînée de la Maison de France n’est point la branche aînée de la famille de Bourbon. Les Bourbons-Busset sont la tige dont Henri IV n’était qu’un rameau... Mais, ils n’ont réclamé autre chose d’Henri IV que des charges de cour, et, en consentant ainsi à leur déchéance, ils ont légitimé, s’il en était encore besoin, Henri de Navarre et ses descendants. »|2}}
Après quoi, le rédacteur de la Légitimité conclut par cette révélation véritablement inattendue : « Que M. Dujol soit donc un Valois ! Eh ! nous connaissons bien des descendants mâles et légitimes de Louis IV d’Outremer... ! »
M. Dupuy a de belles relations, c’est incontestable. Je le crois sur parole et n’écoute pas les mauvais plaisants qui pourraient dire : « Ce maniaque voit des princes de famille royale un peu partout. » La preuve péremptoire, en effet, que M. Dupuy ne voit point partout des fils de roi, c’est qu’il réclame avec rage contre ce que j’ai raconté du malheureux Gruau, devenu, lui aussi, faux Louis XVII aux environs de la soixante-quinzième année. Non seulement il n’admet point que l’auteur des Intrigues dévoilées ait eu, dans les veines, la moindre goutte de sang bourbonien, mais il conteste même que Gruau se soit jamais prétendu le fils de Louis XVI. Pour expliquer par quelle fatale erreur on a pu attribuer, sans être sur-le-champ démenti, cette fantaisie burlesque à l’homme qui fut longtemps le plus fidèle champion de Naundorff, la Légitimité invente une histoire impossible. Cependant, comme je veux être de la plus scrupuleuse loyauté, je dois dire que M. Dupuy démontre assez bien, qu’en tout cas Gruau n’a point persisté jusqu’au bout dans ses prétentions ; à la fin de sa vie, de nouveau il lutta pour les enfants de son ancien maître.
C’est d’après les déclarations mêmes de celui-ci, le lecteur se le rappelle, déclarations faites par le juif prussien en 1818, lors de son mariage, renouvelées en 1824 devant la justice, que j’ai constaté la naissance de Naundorff à Postdam, en 1775. « Puisque vous affirmez que notre prince est né à Postdam, répond M. Dupuy, produisez donc son acte de naissance. » Je ne produirai pas l’acte de naissance de l’imposteur ; la Légitimité sait bien pourquoi : elle sait que son faux dauphin était juif, et qu’en 1775, les juifs n’avaient pas, en Allemagne, d’état civil. On ne leur dressait point, par conséquent, d’acte de naissance.
Si le journal naundorffiste n’accorde aucune portée aux déclarations émanant de Naundorff lui-même, quand ses déclarations détruisent la thèse qu’il soutient, il en est tout différemment lorsqu’il y trouve un point d’appui. Alors, ce que dit son faux Louis XVII constitue, au contraire, « un document historique de première valeur ». Par exemple, il est bien forcé de reconnaître qu’il y a, « dans le récit de l’évasion, des affirmations dénuées de preuves directes ». Mais que lui importe, du moment que c’est son roi lui-même qui a parlé !
Messieurs les abbés Briault, Dupuy, et autres prêtres zélés partisans de Naundorff, souffrez de ma part une simple question : Votre prince a positivement et plusieurs fois soutenu, comme je l’ai déjà raconté, qu’il avait de longs entretiens avec un ange du ciel ; il a même écrit sous la dictée, à l’en croire, de cet ange, un évangile nouveau et plusieurs autres fantaisies de ce calibre. Les affirmations qu’il multipliait à ce propos étaient aussi nettes que celles relatives au récit de son évasion. Elles se ressemblaient même par un autre endroit : « elles étaient dénuées de preuves directes. » Vous déclarez croire pleinement aux premières, la parole de Naundorff vous paraissant une garantie de la plus haute valeur. Oui ou non, croyez-vous de même aux secondes ?
Tout en proclamant, du reste, que le récit du « prince » lui semble digne d’une confiance aveugle, la Légitimité s’efforce de le corroborer par quelques essais de preuves. J’avais fait observer que Naundorff n’apportait pas un seul nom à l’appui de ses dires. M. l’abbé Dupuy cherche de son mieux à combler cette grave lacune. Il nomme, entre autres, les deux enfants qui furent successivement, d’après les naundorffistes, substitués à Louis XVII. Le premier, le muet, s’appelait, dit-il, Tardif de Moidrey ; le second, l’idiot, s’appelait Léninger. Vraiment, le premier s’appelait Tardif de Moidrey, monsieur Dupuy, vous déclarez que c’est prouvé ! Permettez-moi donc de porter à votre connaissance, et à celle de mes lecteurs, la lettre suivante, que M. Tardif de Moidrey, si honorablement connu des catholiques, vient de m’adresser :
« Paris, le 26 mai 1885.
« Cher monsieur,
Voilà quel est le degré de confiance que méritent les preuves des naundorffistes ; voilà le degré d’attention que méritent leurs arguments ! En vérité, il est bien inutile de prolonger cette réplique. Je constate seulement que M. Dupuy a soin de ne pas donner une ligne, une seule, ni des circulaires envoyées par le faux dauphin à « MM. les archevêques et évêques », ni du manifeste contre le Pape. Il déclare qu’on citera ces pièces, encadrées des explications nécessaires, dans l’appendice problématique d’un vaste ouvrage intitulé : Le roi de France, que la Légitimité publie en ce moment par tout petits paquets. Ladite publication en est au chapitre premier.
Avant de finir, je veux relever encore l’une des accusations de « mensonge impudent » lancées contre moi par ce digne ecclésiastique. Naundorff, ai-je écrit, « a reproduit avec fidélité », dans le récit de son prétendu séjour en Vendée, « toutes les péripéties, tout l’enchevêtrement du Cimetière de la Madeleine ». La Légitimité m’oppose les Mémoires de Naundorff, où les inventions de Regnault-Warin ne sont pas textuellement reproduites, mais résumées en quelques mots. Je ferai observer à M. Dupuy que si, dans ses Mémoires, Naundorff n’a point copié précisément Regnault-Warin, ses défenseurs n’ont pas eu la même discrétion. Or, comme Naundorff, quand il se révéla au monde, se trouvait, d’après ses propres dires, le seul survivant des acteurs et des témoins de son évasion et de son voyage : ou bien c’est lui-même qui a raconté à ses dupes le roman de Regnault-Warin, en le donnant pour son histoire personnelle et véridique, et alors mon accusation subsiste ; ou bien ce sont les défenseurs de Naundorff qui ont eu l’idée de copier le Cimetière de la Madeleine, et alors ce procédé les juge, et condamne avec eux la cause soutenue par de tels moyens.
En terminant, je dois donner à mes lecteurs des nouvelles de la situation particulière de M. l’abbé Dupuy. On n’a pas oublié les renseignements qu’il m’a fallu produire sur ce prêtre. Dès le 26 avril, M. l’abbé Dupuy m’a promis dans son journal une réponse terrible. Je l’attends encore. Il me défiait aussi de m’adresser à l’évêché de Périgueux, pour avoir la confirmation des renseignements que j’avais reçus et publiés. Je ne me suis point adressé à l’évêché de Périgueux ; cependant, l’évêché a répondu, ce qui me dispense, on le comprendra, de nommer mon correspondant. Voici la réponse de l’évêché : Depuis quelques jours, M. Dupuy n’est plus aumônier ; tous ses pouvoirs lui ont été retirés ; il n’a gardé que la permission de dire la messe dans la chapelle de l’hospice. J’émets le vœu bien sincère que la peine dont il est frappé lui ouvre enfin les yeux. Il sentira combien sa conduite était devenue peu digne d’un prêtre. Il en changera. Alors, après s’être montré justement sévère, l’évêché de Périgueux pourra se montrer clément.
Et j’en reste là, estimant avoir terminé mon œuvre et démontré d’une façon péremptoire « l’imposture des Naundorff ».
- ↑ Le travail qu’on vient de lire a paru, sous forme d’articles, dans le journal l’Univers. La Légitimité m’ayant répondu, je lui ai répliqué, toujours dans l’Univers, à la date du 29 mai 1885, de la façon que voici.
- ↑ Je publie ce passage tel qu’il a paru, le 29 mai, dans l’Univers. Toutefois, je constate que la Légitimité, sentant qu’un plus long silence de sa part était impossible, qu’il serait pour elle trop accablant, s’est décidée à répondre le 31 mai, c’est-à-dire vingt-quatre jours après sa publication, à mon article (devenu chapitre maintenant) sur la progéniture de Naundorff. Elle fait, avec une mauvaise grâce bien excusable, de précieux aveux dans cette réponse. Elle reconnaît que les enfants de Naundorff ne sont pas le moins du monde considérés en Hollande comme princes de la maison de Bourbon. Elle reconnaît que « Charles XI » appartenait encore à l’hérésie protestante, quand il a voué la France au Sacré-Cœur. Elle reconnaît que M. Le Chartier a dit la vérité en parlant de la « voyante » de Lyon, etc. Par exemple, elle conteste que M. l’abbé Dupuy ait jamais poussé un prêtre à se révolter, absolument, contre son évêque.
- ↑ Il paraît cependant, qu’à son arrivée au Temple, Gomin aurait déclaré à Laurent qu’il ne connaissait pas le Dauphin. Gomin se défiait évidemment, au premier abord, de Laurent, dont il ne pouvait savoir que deux choses : qu’il passait pour un jacobin, et qu’il avait été nommé à son poste par Robespierre.