L’Imposture des Naundorff/5

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Victor Palmé (p. 33-48).

CHAPITRE IV

Réponse aux principales objections contre la mort du Dauphin au Temple.




Les abusés qui veulent croire à l’évasion de Louis XVII, et les faux dauphins, de concurrent à concurrent, de père en fils, se sont transmis un petit dossier d’objections, au moyen desquelles ils prétendent réduire à néant les cent preuves qu’on a données de la mort, au Temple, de l’enfant royal. La Légitimité continue ce commerce et trouve encore, paraît-il, des dupes. C’est pourquoi il faut examiner l’une après l’autre ces objections, et démontrer qu’elles n’ont aucune valeur.

Il y en a neuf : la première est tirée de ce qui se passa au cimetière de Sainte-Marguerite, en 1816, lors des fouilles qu’on y entreprit sur les ordres du roi ; la deuxième, de l’avanie faite à Pelletan par Louis XVIII, quand ce monarque refusa d’accepter le cœur de son neveu, que lui offrait l’illustre et vieux chirurgien. De ces deux objections est née la troisième, qui consiste à dire : évidemment Louis XVIII ne croyait pas que le fils de son frère fût décédé au Temple, car, s’il l’avait cru, il n’aurait point agi de cette façon. La quatrième s’appuie sur la rédaction du procès-verbal d’autopsie au bas duquel Pelletan, Jeanroi, de Lassus et Dumangin ont apposé leur signature. La mort du médecin Desault, appelé, vers le milieu de floréal, auprès de Louis XVII pour le soigner, et succombant au bout de trois semaines, quelques jours avant son malade, a motivé la cinquième objection. Il en reste quatre, qui viennent : d’abord, des soi-disant témoignages de la femme Simon ; puis, de la maladie scrofuleuse dont souffrait l’enfant qui s’est éteint le 8 juin 1795 ; ensuite, de son prétendu mutisme ; enfin, des projets d’évasion certainement nourris par Frotté et des discours attribués à Charette. Voilà, énumérées, toutes les grandes objections ; je ne crois pas en avoir oublié une seule. Maintenant que le lecteur en a sous les yeux la liste, je les aborde.

L’année qui suivit la seconde rentrée en France des Bourbons, les Chambres décidèrent que des monuments seraient construits « à la mémoire de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Mme  Élisabeth et de Louis XVII ». Ces monuments furent élevés et placés à Paris, dans une chapelle qui existe encore, malgré la Commune de 1871 et le conseil municipal d’aujourd’hui : la Chapelle expiatoire. Vers cette époque, on transférait à Saint-Denis les restes du roi et de la reine martyrs. Mais le corps de Louis XVII n’eut point la même fortune. Pourquoi cela ? Voici :

Quand on voulut commencer les recherches nécessaires afin de découvrir le cercueil du fils de Marie-Antoinette, une grosse difficulté s’éleva tout de suite. On se demandait à quel endroit précis le corps avait été inhumé. Le comte Anglès, préfet de police, pour arriver à le savoir, montra l’activité la plus grande. « Ses agents, rapporte M. Chantelauze, parvinrent à retrouver plusieurs des fonctionnaires républicains qui avaient eu mission d’assister à l’enterrement, et quelques-uns des employés du cimetière à cette époque. » M. Chantelauze donne leurs noms, en indiquant la part qu’ils avaient prise à l’événement. C’étaient :


Dusser, l’ancien commissaire de police de la section du Temple, qui avait dirigé l’inhumation ;
Voisin, le conducteur des convois, qui avait été chargé du matériel de la cérémonie ;
Bureau, le concierge du cimetière, qui remplissait encore la même fonction ;
Lasne, le dernier gardien du petit prince, qui avait escorté son cercueil ;
La veuve du fossoyeur Bertrancourt, dit Valentin, qui avait creusé la fosse de l’enfant royal ;
Decouflet, ami de Valentin, et qui, de même que la veuve de ce dernier, affirmait avoir reçu de lui, en confidence, les indications les plus précises sur l’emplacement où se trouvait le cercueil du petit prince.


En effet, la veuve et l’ami de Valentin déclarèrent, tous deux, avoir entendu, de la bouche même du fossoyeur, mort en 1809, les « révélations » suivantes, qu’a reproduites M. Chantelauze et que je transcris textuellement d’après lui : Le Dauphin avait donc été déposé dans la fosse commune. « Mais, la première nuit qui suivit l’inhumation, lorsque toutes les lumières des environs furent éteintes, Valentin se rendit avec sa bêche à la fosse.

« Par une marque de lui seul connue, il n’eut pas de peine à retrouver l’emplacement de la bière, sur laquelle, d’ailleurs, il avait eu soin de faire un signe avec de la craie. Il mit à l’exhumer une activité fiévreuse ; puis, afin de bien s’assurer qu’il ne commettait pas d’erreur, il en souleva le couvercle mal cloué, et il aperçut la tête d’un enfant dont le crâne avait été ouvert (pour l’autopsie). Cela fait, il chargea la bière sur son épaule, et courut la déposer dans une fosse particulière qu’il avait déjà secrètement creusée, – afin de courir moins de risques à être surpris dans cette pieuse besogne, – d’un bout dans le mur de fondation et de l’autre dans le cimetière, à la gauche de l’église Sainte-Marguerite, du côté de l’autel de la communion. Afin de pouvoir reconnaître le cercueil, Valentin avait eu soin de clouer sur son couvercle “une croix de Malte avec des lattes”. »

Voilà ce que racontaient Decouflet et la veuve de Valentin. Celle-ci ajoutait encore que son mari, peu d’heures avant de mourir, lui avait tenu ce propos : « Un jour on te fera du bien et tu seras heureuse ; quand on aura retrouvé le Dauphin, on me récompensera en toi. » Positivement, le récit de la veuve et de l’ami de Valentin ne laissait rien à désirer, on le voit, sous le rapport de la précision, et il est bien permis de croire que ces deux honnêtes gens disaient la vérité.

Oui, mais Dusser et Voisin, l’ancien commissaire de police et l’ancien conducteur des convois, donnaient d’autres renseignements. Ils ne s’accordaient, ni entre eux, ni avec les confidents de Valentin. Alléchés par la perspective de la forte récompense qui suivrait certainement la découverte du corps de Louis XVII, Dusser et Voisin voulaient tirer à eux tout le bénéfice et se déclaraient chacun seul possesseur du secret. Le premier, qui, en 1816, rapporte M. Chantelauze, « sollicitait de nouveau un poste de commissaire de police, en se donnant pour royaliste, prétendit que, sans crainte de devenir suspect, il avait pris sur lui de faire enterrer dans une fosse à part le corps du prince ; mais il ne put indiquer de lieu précis ». Quant au second, il affirma qu’il avait descendu lui-même le corps au fond d’une fosse particulière, creusée d’avance par lui-même aussi. Comme il était retiré à Bicêtre, on l’en fit sortir, et « conduit dans le cimetière par les agents du comte Anglès, il traça, à gauche de la croix élevée au milieu du cimetière, un carré d’environ dix pieds de longueur sur douze de largeur, dans lequel il soutint que l’on trouverait, à six pieds de profondeur, le cercueil du jeune roi, fait en bois blanc, et ayant à la tête et au pied un D écrit par lui avec du charbon ».

Il faut rappeler aussi la déposition du sieur Charpentier, qui vint déclarer à la préfecture de police que c’était lui qui, le 13 juin 1795, « cinq jours après la mort du Dauphin », avait enterré dans le cimetière de Clamart le corps de Louis XVII, préalablement déposé en un cercueil de plomb. Je n’insiste pas sur les dires du sieur Charpentier, dires qui, d’ailleurs, fourmillaient d’invraisemblances, ne prouvaient en tout cas rien contre la mort de Louis XVII au Temple, et « n’avaient pour but que de dérouter les recherches », comme l’écrit avec raison M. Chantelauze.

Il faut noter de plus la déclaration d’un certain Duclos de Valmer, homme très estimable, qui, se disant renseigné par un fossoyeur, indiquait encore un autre endroit.

Vous comprenez la perplexité du préfet de police, et de Louis XVIII, en présence de toutes ces réponses contradictoires. Cependant les fouilles prescrites furent commencées ; l’on suivait les indications de la veuve et de l’ami de Valentin, qui avaient paru les plus vraisemblables. Pendant ce temps-là, l’opposition prodiguait ses railleries. « Aussi malveillante qu’implacable, l’opposition avait déjà mis tout en œuvre, dit M. Chantelauze, pour jeter des doutes sur l’authenticité des restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette, bien qu’elle eût été constatée par l’ancienne et constante tradition sur le lieu de l’inhumation, par les dépositions des témoins oculaires, par la découverte de débris de vêtements, etc. » À propos du corps de Louis XVII, on recommença le même triste manège ; mais voyant que les railleries ne suffisaient point, l’opposition s’emporta bientôt ; elle en vint jusqu’à reprocher à Louis XVIII, « dans les termes les plus violents, d’évoquer avec une audacieuse ostentation les spectres sanglants de sa famille ». Ce fut le coup de grâce. « Pour ne pas réveiller les plus cruels souvenirs de la Terreur », Louis XVIII, « ce prince modéré, politique et sage », d’après M. Chantelauze, ou plutôt, à mon avis, ce prince empressé à faire toutes les concessions, Louis XVIII donna l’ordre de suspendre les fouilles entreprises. Et voilà comment le corps de Louis XVII ne repose pas dans les caveaux de Saint-Denis[1].

Le roi voulait au moins qu’un service solennel fût célébré en cette basilique pour l’âme de son neveu. Les préparatifs s’achevaient, quand tout fut arrêté. En veut-on la raison ? J’ai recours une fois de plus à M. Chantelauze : « Louis XVIII venait d’apprendre, écrit-il, par le primicier de l’abbaye, qu’aux termes de ses anciens règlements, il n’était permis d’y célébrer de services funèbres que pour les princes dont les corps reposaient dans les caveaux de cette église. »

Et maintenant, je suppose tout de même, en dépit du bon sens, que Louis XVIII ne croyait pas à la mort de son neveu, et je me demande ce qu’aurait fait, le cas étant donné, cet abominable usurpateur, ce grand criminel ? Mais, il n’est pas possible d’en douter : alors, il eût été jusqu’au bout de son mensonge infâme. Il n’aurait à coup sûr point voulu, en renonçant, en reculant, s’exposer à laisser planer des soupçons qu’il devait redouter par-dessus tout. En somme, il était bien certain que les recherches ne resteraient pas sans résultat ; quel qu’il fût, l’enfant mort au Temple le 8 juin 1795 avait été enterré quelque part ; on aurait retrouvé à la fin le petit cadavre portant les traces de l’autopsie, et qui serait venu dire, en présence de ces restes, après vingt et un ans passés : « Ce n’est point là le fils de Louis XVI » ? La reculade de Louis XVIII suffirait au besoin, seule, à prouver son innocence.

De même, croit-on qu’il aurait eu l’audace de refuser le cœur de son neveu, que lui offrait Pelletan, s’il avait eu sur la conscience le crime que lui ont reproché les partisans des faux dauphins ? Il se serait dit, au contraire : « Prenons-le bien vite, ce cœur, sans quoi tout le monde va deviner que Louis XVII n’est pas mort. » Non, ce monarque n’avait pas le moindre doute touchant le décès de l’enfant royal au Temple, et il était également convaincu de la vérité du récit que faisait Pelletan. Mais le cœur dérobé pendant l’autopsie avait été plus tard volé à l’illustre chirurgien, par un de ses élèves. Ce ne fut qu’au bout de bien des années que Pelletan le retrouva. L’authenticité n’était plus d’une évidence irrésistible, et Louis XVIII, cédant aux conseils d’un ancien carme, le Père Élysée, son médecin ordinaire et l’ennemi personnel de Pelletan, n’accepta point ce reste pour ainsi dire sacré. Y avait-il là matière à tout un véritable échafaudage de suppositions et d’accusations ?

Je me suis beaucoup étendu sur les trois difficultés que l’on soulève à cause de l’insuccès des fouilles au cimetière, du refus de recevoir le cœur, et de l’attitude de Louis XVIII. C’étaient les trois grosses pièces ; maintenant, je vais marcher plus vite.

Je prends d’abord le texte du procès-verbal de l’autopsie : « Parvenus, déclarent les quatre médecins, au deuxième étage, dans un appartement, dans la seconde pièce duquel nous avons trouvé dans un lit le corps mort d’un enfant qui nous a paru âgé d’environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être le fils de Louis Capet, etc. »

Eh bien, de ces trois mots : « nous ont dit... » il a été conclu, sans exception, par tous ceux qui ne veulent point croire à la mort du fils de Louis XVI au Temple, que les quatre médecins s’étaient refusés, malgré la terreur qu’inspirait la Convention, à reconnaître pour l’enfant royal le cadavre qu’on leur présentait. Et alors donc, conséquemment, il est prouvé de la façon la plus évidente, etc. Vous devinez la suite. Il n’y a qu’un malheur : c’est que les mots : « nous ont dit être... » se retrouvent dans tous les procès-verbaux d’autopsie. C’est la formule consacrée : Dumangin, Pelletan, de Lassus et Jeanroi l’ont employée comme l’ont fait, le font et le feront tous leurs collègues.

À ce propos, je note, sans y insister, la contradiction suivante : ces imperturbables logiciens qui, s’appuyant sur le procès-verbal d’autopsie, n’hésitent pas à proclamer l’héroïque résistance qu’opposèrent aux ordres de la Convention, Dumangin, Pelletan, de Lassus et Jeanroi, lesquels cependant ne furent pas inquiétés le moins du monde, et vécurent encore bien des années, ces mêmes logiciens rigoureux n’hésitent pas davantage à expliquer par un empoisonnement la mort du chirurgien Desault, coupable à peu près du même crime que ses confrères ! Appelé auprès de Louis XVII, Desault vient le voir dès le 6 mai, revient, pendant plus de trois semaines, tous les jours, quoique souffrant depuis quelques mois d’une grave affection nerveuse, tombe tout à fait malade le 29, et meurt le 1er juin. Il n’en faut pas douter, il s’est aperçu à la longue que ce n’était pas le Dauphin qu’il soignait. Il ne s’est pas contenté de voir, il a parlé, – l’imprudent ! et la Convention, sans perdre une minute, a ordonné qu’on l’empoisonnât. Voilà ! Mais sur quoi donc s’appuient les partisans des faux dauphins pour nous raconter une aussi tragique aventure ? J’emprunte ma réponse à un travail que M. Ernest Bertin a publié dans le Journal des Débats :


{{g| « Ils allèguent le prétendu témoignage d’une veuve Thouvenin, se disant nièce par alliance de Desault, qui affirmait avoir entendu raconter par la veuve même de Desault que son mari n’avait pas reconnu Louis XVII dans l’enfant malade au Temple, qu’il avait rédigé un rapport dans ce sens, et que le jour où il avait déposé ce rapport il fut empoisonné en dînant avec des conventionnels. Mais, qui garantit la parole de la veuve Thouvenin ? Richemont, et c’est tout dire. Que vaut, en effet, ce témoignage non légalisé d’une femme que personne, sauf les intéressés, n’a ni vue, ni entendue, contre l’attestation du premier élève de Desault, Bichat, qui déclare que son maître mourut d’une fièvre maligne ; contre celle de Corvisart, qui fit l’autopsie du corps et constata « l’intégrité parfaite des viscères abdominaux » ? Ajoutez que l’historien de Louis XVII, Eckard, qui a recueilli les souvenirs des amis de Desault, ne fait pas l’ombre d’une allusion à un doute du chirurgien sur la qualité du malade. »|2}}


Donc, c’est une semaine avant le Dauphin qu’est mort Desault. Ce point n’a été contesté ni par Richemont, ni par Naundorff, ni par d’autres. Il n’est contesté par personne. Il ne saurait l’être du reste. Eh bien, lisez ce qui suit : « Le chirurgien Desault, lorsqu’on lui représenta le cadavre du prétendu Louis XVII, déclara qu’il ne reconnaissait point le corps du jeune prince auquel il avait donné ses soins précédemment. » Qui a dit cela, qui a commis cette grosse erreur de fait ? La femme Simon. Du coup, l’on voit quelle confiance on peut mettre dans les fameuses réponses de cette mégère aux questions qui lui furent posées, lors des enquêtes de 1816 et de 1817. D’ailleurs, il suffit de rapprocher ces dépositions les unes des autres pour montrer qu’elles n’ont aucune valeur.

Ainsi, en novembre 1816, la femme Simon déclare que « la veille du jour où la mort du jeune prince fut annoncée dans les papiers publics, elle vit, se trouvant à l’école de chirurgie, passer la voiture du blanchisseur employé au Temple ; qu’elle reconnut une manne ou panier dans lequel on aura pu introduire un autre enfant destiné à être substitué au jeune prince qu’elle dit avoir été enlevé à cette époque ».

En août 1817, elle affirme « qu’elle ne doute nullement qu’il ait été enlevé de la prison du Temple parce qu’elle fut informée dans le temps, par le cuisinier de la prison, et de ce fait et de la translation au Temple d’un enfant rachitique et contrefait, qu’elle avait elle-même vu sortir de l’école de médecine dans un panier qu’on avait chargé sur une voiture de linge sale ». Il fallait que ce panier fût bien mal fermé, ce qui était d’une prodigieuse imprudence !

En novembre 1816, elle raconte que, se trouvant dans une salle des Incurables (elle y avait été admise en 1796, et le fait rapporté se serait passé en 1805 ; du reste, le faux dauphin Hervagault vint la voir à cette époque), « le prince entra accompagné d’un nègre, la salua en portant la main à son cœur et en lui faisant signe de garder le silence, et, arrivé à son lit, il dit : “Je vois qu’on ne m’avait pas trompé” ».

Elle assure en août 1817 « qu’elle le reconnut non seulement au premier aspect, mais à divers gestes de vivacité, auxquels il se livra pour l’engager à ne pas trahir l’incognito qu’il avait intérêt à garder et qui lui rappelèrent ceux qui lui échappaient lorsqu’il était sous sa garde ».

On le voit, de 1816 à 1817, le doute s’est changé en certitude et la conjecture en affirmation. De nouveaux détails sont venus s’ajouter aux premiers. Comme le dit M. Bertin : « Qui ne sent, dans ces visions amplifiées et embellies d’une année à l’autre, que le témoin s’ingénie à justifier l’importance qu’on lui accorde et à se donner des titres à la reconnaissance de la famille royale. » Et c’est sur de pareilles billevesées que s’appuient, fièrement, ceux qui refusent d’accorder une autorité quelconque aux dépositions de Lasne, de Gomin et de tant d’autres personnes ! La mégère, complice du hideux Simon, l’aide du bourreau dont les sévices rendirent le malheureux petit prince malade et précipitèrent sa mort, est plus digne de créance que trente témoins honorables !

Mais au sujet de la maladie du fils de Louis XVI, les partisans des faux dauphins m’arrêtent. L’autopsie, disent-ils, révéla que l’enfant décédé au Temple était scrofuleux. Or, on naît scrofuleux, on ne le devient pas. Louis XVII n’était pas né scrofuleux ; donc, ce n’est pas lui qui a succombé le 8 juin 1795. Je laisse encore M. Chantelauze répondre pour moi : « Le premier Dauphin était mort scrofuleux, ainsi que le constate le procès-verbal de son autopsie. Le second Dauphin, entré dans son cachot avec des germes de scrofules (qu’il tenait de naissance et qui s’étaient développés d’une manière inquiétante sous Simon), en sort dans un état presque désespéré. Ses gardiens constatent que ses bras et ses jambes s’étaient allongés aux dépens du buste, et qu’il a trois tumeurs au genou, au poignet, à la saignée du bras, etc. » Je n’insiste pas[2].

Je n’insiste pas davantage sur le prétendu mutisme de l’enfant mort au Temple. Barras, Gagnié, Caron, Laurent, Gomin, Lasne, Damont, Bellanger, Barelle, Desault, Pelletan, d’autres encore l’ont entendu parler, à maintes reprises, depuis sa sortie du cachot jusqu’à la minute qui a précédé sa mort. On en a des témoignages précis, et la chose est même d’une telle évidence que les naundorffistes ont dû renoncer, en partie, à cette légende ridicule et recourir à une autre fable, d’ailleurs non moins absurde, dont je dirai quelques mots, quand je m’occuperai de leur Louis XVII.

J’arrive à la dernière objection : en général, les faux dauphins ont prétendu avoir été tirés du Temple par Frotté. Richemont l’a toujours affirmé, Naundorff l’a toujours assuré. Les avocats de Naundorff produisent même la copie, la copie seulement, bien entendu, de trois lettres de Laurent, du timide Laurent, de l’homme qui avait si peur de se compromettre. Par ces trois lettres, datées du 7 novembre 1794, des 5 février et 3 mars 1795, « Laurent, dit M. Bertin, donne à Frotté les détails les plus précis sur la situation de Louis XVII, caché dans les combles du Temple et sauvé à demi, sur l’attitude du muet qu’on lui a substitué, sur le dessein de B... (Barras) de substituer à ce muet un enfant malade, etc. ». Mais, véritablement, Naundorff joue de malheur, continue M. Bertin ; en effet, dans une lettre confidentielle (et cette fois l’original existe), adressée à une dame Atkyns, « qui s’était vouée comme lui au salut de la famille royale, lettre datée du seize mars 1795, Frotté rappelle avec tristesse l’impossibilité de cette délivrance et renonce même au projet qu’il avait formé de s’enfermer avec le Dauphin, parce que sa mort est inévitable et prochaine ». Charette échappe comme Frotté au faux Louis XVII. M. de La Sicotière a lumineusement démontré, on va le voir dans le chapitre V, que les deux proclamations de 1795, citées par Richemont et Naundorff, où Charette parle de l’évasion du fils de Louis XVI, sont des pièces apocryphes. Et de plus, on a conservé de Charette une proclamation officielle, authentique, datée de 1796, où il accuse en termes formels les républicains d’avoir empoisonné le jeune prince.

Que reste-t-il des objections soulevées par ceux qui croient, et par ceux qui feignent de croire à la « survivance » ?

  1. Le corps de la princesse Élisabeth n’y repose pas non plus, d’ailleurs ; il ne fut pas même recherché. Si les naundorffistes se piquaient de logique, ils devraient en conclure que la princesse Élisabeth a survécu, elle aussi, à la Révolution.
  2. Peuchet, l’archiviste, rappelle que « d’après l’arrêt prononcé par les oracles des deux facultés de Paris et de Montpellier, la plus longue durée de la vie du prince, en l’entourant d’artifices et de soins, ne devait pas dépasser l’époque de l’entrée dans la puberté ».