L’Inde d’aujourd’hui d’après les écrivains indiens/01

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L’Inde d’aujourd’hui d’après les écrivains indiens
Revue des Deux Mondes4e période, tome 156 (p. 378-408).
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L’INDE D’AUJOURD’HUI
D’APRÈS LES ÉCRIVAINS INDIENS

I
LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET LA VIE PUBLIQUE

Des événemens considérables ont, au cours de ces dernières années, ramené l’attention sur l’Inde. Guerre aux frontières, troubles à l’intérieur ; la famine, la peste, tous les fléaux se sont abattus à la fois sur ce grand pays. Le problème indien s’est posé devant l’Europe, car il y a un « problème indien. » Beaucoup de gens doutent qu’il puisse être résolu, et c’est déjà une tâche difficile que d’en préciser nettement les données. Où les chercher ? A qui les demander ? Aux publicistes anglais ? Certes ils abondent. Depuis cent quarante ans que l’Angleterre a commencé la conquête territoriale de l’Inde, toute une littérature anglo-indienne est venue au jour : il faudrait une vie d’homme pour la dépouiller et je ne suis pas sûr que ce grand effort aboutît à une certitude solidement établie. L’immense monceau de livres se rangerait en deux tas inégaux : les optimistes, nombreux, bruyans, écoutés, et le petit groupe des pessimistes, qui prophétisent dans le désert. En voulant les concilier, on risquerait de tomber dans ce piteux état de nullité intellectuelle que les sots décorent du nom d’impartialité et qui consiste à tout affirmer et à tout nier sur toutes les questions. Faudra-t-il s’en tenir aux documens officiels, aux actes publics, à la statistique ? Mais les actes publics ne prennent de signification que lorsqu’on en connaît bien les antécédens et les résultats. La statistique, dans l’Inde, est née d’hier et personne n’ose encore s’y appuyer. Les chiffres ne commencent à devenir intéressans que si l’on peut les opposer les uns aux autres. Or, le recensement de 1881 est si incomplet que, lorsqu’on veut le rapprocher de celui de 1891, les élémens de comparaison s’évanouissent. Impossible d’apprécier en nombres exacts l’accroissement de la population, les variations de la fortune publique, le mouvement social et intellectuel ; dans certains cas, impossible de savoir même si ce mouvement est progressif ou rétrograde.

Ne serait-il pas plus simple de retenir une cabine à bord d’un bateau de la Compagnie Péninsulaire et Orientale et d’aller étudier l’Inde chez elle en la traversant de part en part de Bombay à Calcutta ? L’expérience personnelle et la vision locale ont des avantages qu’on ne peut contester et, dans un âge comme le nôtre, cette méthode est d’un emploi relativement facile. Est-elle applicable à l’Inde ? J’en doute. Pour une foule de raisons, dont quelques-unes vont être expliquées dans les pages qui suivent, l’Inde se dérobe au passant. Un touriste qui a visité les parties les plus intéressantes du pays, dans des conditions exceptionnellement favorables, c’est-à-dire avec les poches bourrées de lettres de crédit et de lettres d’introduction, rapportera de la terre des rajahs des albums pleins de croquis, des herbiers pleins d’échantillons et le souvenir des bons dîners européens faits chez les fonctionnaires anglais. Entre le sorbet et le café, on lui aura expliqué l’Inde et ce sera absolument la même chose que s’il était resté au coin de son feu et s’il s’était assimilé la littérature optimiste dont je parlais tout à l’heure.

Reste un dernier moyen d’information : interroger l’Inde elle-même, lui demander ce qu’elle pense de ses maîtres et de son avenir. C’est ce que j’ai essayé de faire. On m’avait prévenu que j’échouerais. Je parlais un jour de ce projet devant deux Anglais. Tous les deux sourirent. Le premier dit : « Interroger l’Inde ! Elle ne vous répondra pas. C’est une muette ! » — « C’est une morte, dit le second, ou plutôt elle n’a jamais existé. Où prenez-vous l’Inde dans ce pêle-mêle de races, de langues, de religions et d’intérêts opposés ? Entre un Mahratte et un Birman, un Sikh et un Bengalais, il n’y a d’autre rapport que l’obéissance commune au vice-roi qui réside à Simla ou à Calcutta. L’Inde n’est pas une nation, ce n’est qu’une expression géographique. » Mais j’ai déjà vécu quelque temps. Dans mon enfance, j’ai entendu dire la même chose de l’Allemagne et de l’Italie ; et, avant que je fusse sorti de la jeunesse, l’une et l’autre étaient devenues de grandes, de puissantes nations. Bien qu’elle ne soit pas près d’avoir la même fortune, dès aujourd’hui l’Inde existe et elle parle ; elle parle très clairement. Je m’efforce d’analyser et d’interpréter les témoignages qu’elle m’a fournis, en leur assignant un certain ordre systématique qui en fait les anneaux d’une chaîne, les termes successifs d’un raisonnement continu. Je les ai comparés avec les témoignages anglais, contrôlés par la statistique officielle, mais sans m’exagérer, — on vient de le voir, — la valeur des uns ni l’exactitude de l’autre. Comme j’ai à condenser en peu de pages des faits et des idées à l’expression desquels un volume suffirait à peine, c’est aux écrivains indigènes que je dois laisser la justification complète de mes brèves affirmations. J’ai suivi leur pensée jusqu’au bout ; je l’ai même suivie plus loin qu’ils ne l’ont fait eux-mêmes. Là où ils s’arrêtent, hésitans, un peu effrayés, je me suis permis de conclure à leur place. Enfin ils m’ont révélé — quelques-uns sans le vouloir et sans le savoir — la psychologie de leur race, ses dons, ses aspirations, ses infirmités, sa force et sa faiblesse, ses chances de relèvement comme aussi les causes internes qui retardent son affranchissement et l’ont empêchée jusqu’ici de prendre rang parmi les grandes nationalités modernes.


I

La première pensée qui vient à l’esprit lorsqu’on aborde le problème indien, c’est de démêler, parmi les événemens qui viennent d’affliger l’Inde, les faits passagers et accidentels, les causes profondes et permanentes qui, ramenées par les mêmes circonstances et opérant dans les mêmes conditions, aboutiront aux mêmes tristes résultats, toujours aggravés. On se convainc très vite que la famine et la peste appartiennent à cette seconde classe de phénomènes, qu’elles sont les conséquences directes, nécessaires, inévitables de la misère, d’une misère sans analogue et sans nom, auprès de laquelle l’indigence de nos grandes villes d’Occident semblerait presque un état de bien-être et de confort. Il y a eu autrefois des famines locales, produites par des années de sécheresse exceptionnelle. Depuis la création des chemins de fer, la famine dans le sens originel du mot, c’est-à-dire celle qui résulte du manque d’alimens, est devenue impossible. En cas de disette, la Birmanie nourrirait le Penjab et les provinces du nord-ouest, ou vice versa ; Madras viendrait au secours de Bombay et réciproquement. « La famine actuelle, ce n’est pas le manque d’alimens, mais le manque d’argent pour acheter ces alimens[1]. » Ce qui le prouve, c’est qu’on a vu des affamés périr en grand nombre dans des districts qui, à ce moment même, exportaient des millions de tonnes de grains. Cette famine-là est plus aiguë à certains momens, mais elle est chronique, endémique ; elle ne cesse jamais. Quand on s’épouvante à l’idée que, pendant les quatre-vingts premières années du siècle, dix-huit millions d’êtres humains sont morts d’inanition dans l’Inde, on n’est encore qu’à mi-chemin de l’atroce vérité. Voici ce que dit un journaliste de Bombay, M. Malabari, le plus sage et le plus sincère des témoins que j’ai à citer : « En 1875, on calculait que quarante millions d’Indiens mouraient de faim. Maintenant il y en a quatre-vingts millions[2]. » Puis, expliquant sa pensée, il ajoute que ces malheureux n’ont pour subsister qu’un léger repas par jour. « C’est juste assez pour ne pas mourir, ce n’est pas assez pour vivre et pour travailler. » Vienne maintenant la peste : elle trouvera devant elle des organismes épuisés, incapables de lui opposer une résistance assez longue pour donner le temps à la science de les secourir. Elle les touche et ils tombent. « Elle les terrasse, dit M. Malabari, comme un géant ferait d’un enfant[3]. » Elle est chez elle, elle règne sans partage dans ces quartiers sordides qu’une administration nonchalante jusqu’à la lâcheté n’a pas su assainir : la saleté et la misère, qui vont de compagnie, lui ont préparé les logis et ont assuré son triomphe.

Mais pourquoi l’Inde est-elle pauvre à ce point ? L’a-t-elle toujours été ? La réponse est facile. L’Inde, il y a deux cents ans, était le pays le plus riche et le plus fertile du monde. M. Pramatha Nath Bose, qui a dressé le bilan de la civilisation hindoue sous le gouvernement anglais et qui compare sans cesse l’époque actuelle avec celle de la domination musulmane, ne nous laisse aucun doute à cet égard. On trouvera dans son livre[4] les témoignages des voyageurs espagnols, portugais, norvégiens et chinois. Le plus concluant de tous est celui de notre compatriote, François Bernier, ce médecin qui vécut plusieurs années à la cour d’Aureng Zeb. Il décrit avec admiration et complaisance les merveilles de l’industrie indienne : broderie sur étoffes, sculpture en bois et en ivoire, peinture sur métal et sur mica, verre travaillé et coloré, poteries, incrustations, mosaïques, armes damasquinées ; par-dessus tout, ces tissus que l’Occident se disputait à prix d’or, cette « rosée du matin » si soyeuse, si brillante et si fine, presque invisible à force d’être transparente. Versailles et son grand roi sont pauvres, mesquins, quasi barbares auprès de Delhi et des splendeurs qui entouraient le Grand Mogol. L’Inde semblait à Bernier un abîme de richesse où venaient se perdre, pour n’en plus jamais sortir, les métaux précieux du monde entier.

On pensera que cette opulence extraordinaire était concentrée dans les mains de quelques grands seigneurs, mais il n’en est rien. Ceux qui se donneront la peine d’étudier la constitution des castes et l’organisation collectiviste du village hindou comprendront que cette accumulation des bénéfices de l’agriculture et de l’industrie au profit d’une classe était chose impossible dans l’Inde. On n’y trouvait rien qui ressemblât, de près ou de loin, aux « patrons » et au « capital. » Dans les communautés rurales (ceci s’applique surtout au Bengale), les zemindars n’étaient que les gérans de la propriété publique. Quant à l’argent gagné par les artisans, il restait dans leurs mains. L’adresse, l’expérience, le goût personnel étant (avec un très modeste outillage) la seule mise de fonds nécessaire, l’existence du menu peuple était assurée. M. Bose nous a donné le budget des recettes et des dépenses d’un portefaix sous le règne d’Akhbar (fin du XVIe siècle). Les salaires étaient plus élevés qu’aujourd’hui ; les loyers et les vêtemens beaucoup moins chers, ainsi que les denrées de consommation. La conclusion se déduit toute seule. Avec une population moindre de moitié, l’Inde fournissait à son gouvernement un revenu égal à celui de l’Inde actuelle, soit environ sept cent cinquante millions de francs, dont pas une parcelle ne sortait du pays.

Ce dernier point est très important. L’anarchie qui suivit, au XVIIIe siècle, les persécutions religieuses inaugurées par Aureng Zeb, a durement éprouvé l’Inde, mais, si les actes de brigandage qui ont signalé cette période faisaient passer violemment la fortune publique et privée d’une main dans une autre, il n’en est pas moins vrai que le pays, pris dans son ensemble, n’en fut pas sensiblement appauvri.

Avec l’arrivée des Anglais dans la péninsule, tout change. Du jour où ils prennent pied dans le Bengale date la mise en coupe réglée de l’Inde au profit d’une nation étrangère. Pendant les vingt premières années, c’est une curée effrayante, une course aux millions presque folle. À cette période s’attachent les noms de lord Clive et de Warren Hastings. Le premier a commis des faux parfaitement avérés[5], mais la gloire de Plassey empoche les historiens anglais d’apercevoir ces peccadilles. Quant à Warren Hastings, dont on a fait un bouc émissaire, il faut dire, à sa décharge, que, à la manière d’un Richelieu, il n’a frappé que les grands. Ses actes de violence, de perfidie et d’arbitraire visaient des princes ou des rivaux en autorité. Si bien qu’aujourd’hui encore, le peuple vénère sa mémoire. Ces deux hommes ont dans leur vie des pages glorieuses. Mais rien ne rachète l’infamie de cette tourbe d’aventuriers qui se ruèrent à leur suite sur le Bengale et qui s’y montrèrent, sinon aussi cruels, du moins plus rapaces que les Espagnols au Nouveau Monde. Du moins les Espagnols avaient-ils une tendance à s’attarder dans les pays d’outre-mer ou même à s’y établir définitivement ; les Anglais faisaient main basse sur tout ce qui était bon à prendre et s’enfuyaient au plus vite avec leur butin pour laisser la place à une nouvelle couche d’envahisseurs affamés.

L’arrivée, en 1786, de lord Cornwallis, premier gouverneur général nommé par la Couronne, avec des pouvoirs bien plus étendus que ceux de Warren Hastings[6], inaugura la seconde période de l’occupation anglaise, période qui a duré jusqu’en 1858. On introduisit de la régularité, de la méthode et de la décence dans l’exploitation de l’Inde ; les allures et les procédés furent différens ; les gentlemen prirent la place des aventuriers sans aveu et des enfans perdus de la spéculation. Au fond, le système demeura le même et les résultats, lentement, commencèrent à apparaître. En 1838, Montgomery Martin poussait un cri d’alarme et calculait que, par le retrait continuel de l’argent envoyé en Angleterre, et en tenant compte des intérêts composés, plus de 700 millions de livres sterling (de 17 à 18 milliards) avaient été soustraits à la richesse de l’Inde[7].

En 1858, l’existence de la Compagnie des Indes a pris fin et la troisième époque de l’occupation anglaise a commencé. A-t-elle arrêté la spoliation progressive de l’Inde par ses maîtres étrangers ? Non : elle lui a imprimé une vitesse croissante. La somme expédiée annuellement dans la métropole, qui était de trois millions de livres en 1838 et de cinq en 1859, était montée, en 1883, à dix-huit millions et demi ; elle atteint maintenant, à ce que nous assure M. Hyndman, le chiffre de trente millions de livres qui équivalent à plus de sept cent cinquante millions de notre monnaie.

Ici il faut renoncer à notre critérium habituel. La balance du commerce, en accusant l’excès considérable de l’exportation sur l’importation, pourrait faire croire à l’état le plus florissant, si on l’interprétait comme nous le faisons en Europe, mais rien ne serait plus loin de la vérité. Traitemens, pensions, annuités, produits commerciaux, dividendes industriels, sous mille formes et par mille canaux, c’est, en réalité, la substance, la nourriture vitale de l’Inde qui s’en va sans compensation et sans retour ; ou, si elle revient, ce sera déguisée en emprunt d’Etat. On prête à l’Inde l’argent qu’on lui a extorqué, pour le lui reprendre une seconde fois, grossi d’une nouvelle extorsion. Tout ce qui paraissait devoir enrichir l’Inde, et ce qui enrichit, en effet, les nations occidentales, a contribué à l’appauvrir. Les grands travaux d’irrigation, qui devaient rendre le retour de la famine impossible, ont été conçus et exécutés d’après les méthodes européennes, sans une connaissance suffisante des besoins et de la nature des lieux, au mépris de ces humbles et vieilles pratiques qui faisaient sourire la science moderne, mais dont le temps avait éprouvé l’efficacité. Souvent inutiles, parfois nuisibles, ils ont toujours été onéreux. En vingt ans, de 1858 à 1878, sept mille milles de voies ferrées ont été construits ! Les six septièmes de ce réseau appartiennent à l’initiative privée. Faits par des ingénieurs anglais avec des capitaux anglais, leur produit va directement en Angleterre, et l’Inde n’a rien à y prétendre. Si, pendant la période de construction, ils ont assuré l’existence à quelques milliers d’indigènes, l’exploitation de ces lignes est aujourd’hui presque exclusivement dans des mains étrangères, et la question de savoir si la facilité et le bon marché des transports a profité, en fin de compte, aux producteurs agricoles, semble être résolue négativement par la majorité des observateurs. Un septième du réseau total a été construit par l’Etat et a coûté plus d’un demi-million par mille. À ce taux extravagant, on ne s’étonnera pas d’apprendre que ces chemins de l’Etat donnent des bénéfices minimes. Ce qui surprend, c’est qu’ils fassent leurs frais.

Je n’ai pu découvrir que la moindre portion du commerce extérieur appartînt aux natifs de l’Inde, si l’on excepte quelques riches parsis de Bombay. Ailleurs l’esprit d’entreprise et les capitaux font défaut.

Les écrivains indigènes sont assez bien fondés à dire que, vers la fin du dernier siècle, l’Inde et l’Angleterre, au point de vue industriel, se trouvaient à peu près sur le même pied et qu’à certains égards, l’Inde avait l’avantage. La transformation soudaine de l’outillage après 1815 a pris l’Inde par surprise. Tandis que l’ère des machines s’ouvrait en Europe et qu’une classe nouvelle, celle des patrons, se créait pour en profiter et grandissait rapidement, l’Inde, paralysée par son immuable système social, assistait à ce mouvement, et en subissait le contre-coup sans pouvoir l’imiter. Il fallait donner le temps à cette vieille société de se réconcilier avec les exigences d’un âge nouveau, la protéger pendant la période d’apprentissage et d’essai contre une concurrence trop bien armée. C’est ce qu’on ne fit point, et le libre-échange vint porter le dernier coup à cette industrie sans capital, toute de génie et d’effort personnel, purement individualiste. Elle mourut lentement, et les derniers métiers sur lesquels étaient nées tant de délicates merveilles disparurent l’un après l’autre : la « Rosée du matin » avait cédé la place aux hideux calicots peints de Manchester.

Une nouvelle industrie est enfin venue au monde, mais ce sont les étrangers qui l’ont créée. Eux seuls pouvaient supporter les frais d’étude et de premier établissement, les dépenses légales, les expériences coûteuses, les longs tâtonnemens, la publicité sous ses diverses formes, toutes les dépenses que nécessite le lancement d’une grande entreprise. Il y a cependant une exception à la règle. L’industrie cotonnière appartient pour une moitié aux indigènes. Lorsque, au moment de la guerre de Sécession, le coton des Etats-Unis vint à manquer, l’Inde se laissa tenter par cette occasion unique. Pendant deux ans, la production cotonnière donna de beaux résultats ; mais, après la guerre, l’industrie anglaise, qui n’est ni généreuse ni sentimentale, rendit sa pratique au coton américain qui vaut mieux que le coton indien. La Chine, le seul client que le coton indien eût gardé jusqu’à ces derniers temps, sollicitée par d’habiles rivaux, lui ferme peu à peu son marché.

Ainsi, par un mouvement opposé à celui qui se produit en Occident, tout ce qui vivait autrefois de l’industrie se rejette vers l’agriculture et lui demande sa subsistance. On calcule que 90 pour 100 de la population travaillent la terre. Pour comprendre l’importance de cet appel, chaque jour plus énergique, aux ressources productives du sol, il faut se souvenir que le nombre des habitans augmente sans cesse, suivant une proportion mal connue, mais qui doit être formidable dans ce pays de mariage précoce et obligatoire, où la religion ferme le ciel impitoyablement à quiconque ne laisse derrière lui aucune postérité, mâle. Or, à mesure que la terre de l’Inde a plus de bouches à nourrir, sa fertilité décroît, ainsi que les moyens de la réparer[8]. On allègue que, depuis trente ou quarante ans, des terres en friche ont été mises en rapport dans diverses parties de la contrée. Il est vrai que des marais ont été desséchés ; que, sur certains points, des cultures nouvelles, plus profitables que les anciennes, ont été introduites avec l’emploi des méthodes modernes et des instrumens perfectionnés ; que des fermes modèles ont été établies pour initier les natifs à l’usage de ces méthodes et de ces instrumens. Mais le bien produit par ces remèdes ou ces palliatifs s’aperçoit à peine en présence du mal qui grandit chaque jour. Il est moindre dans les parties de l’Inde qui sont demeurées sous l’administration directe des rajahs. Là on n’impose ni les prairies ni les jachères, ou, du moins, on ne les impose que d’une façon nominale. On accorde au raïa des délais pour s’acquitter, dans les années de famine ; quelquefois même, on lui fait remise entière de l’impôt. Aucune complaisance, aucun tempérament de ce genre à attendre de la loi anglaise, toujours raide et stricte, et qui ne s’humanise qu’après avoir été obéie. Cette loi justifie sa sévérité par une curieuse doctrine légale et économique dont je veux dire deux mots en passant. Elle remonte au gouvernement de lord Cornwallis, et date de l’organisation qui fut alors donnée à la propriété foncière dans le Bengale. Depuis de longs siècles, les Anglais avaient oublié ce socialisme patriarcal qui est, d’ordinaire, la première étape de la vie rurale. C’est pourquoi ils ont commis au Bengale la même faute qu’ils avaient déjà commise en Irlande : ils virent dans le zemindar, chef héréditaire de la communauté villageoise et simple gérant de ses biens, une sorte de seigneur féodal, quasi-propriétaire du sol. Puis ils entrevirent la vérité sans l’accepter franchement. Comme ils ne voulaient pas du communisme local, ils se réfugièrent dans le collectivisme d’Etat. Quelques-uns de leurs théoriciens professent ce principe, que toute terre, dans l’Inde, appartient au gouvernement. En sorte que la redevance annuelle payée par le paysan ne serait pas un impôt, mais un loyer.

Impôt ou loyer, la charge est trop lourde pour ses maigres épaules. Le raïa des territoires anglais ne peut donner à sa terre ni le repos absolu de la jachère, ni le repos relatif des assolemens. Sa charrue ne fait que gratter la surface du sol ; elle ne creuse pas ce sillon profond où le grain va s’enfouir pour chercher les élémens nutritifs des couches inférieures. L’engrais des bestiaux, qui devrait servir à refaire la richesse du terroir, est réservé comme combustible. Les bestiaux eux-mêmes dépérissent, faute de pâturages. L’épizootie en enlève annuellement une quantité évaluée à 7 millions et demi de livres. La race se détériore et s’affaiblit : elle sera bientôt incapable de fournir aucun travail. L’homme et l’animal souffrent du même mal ; ils meurent de faim[9].

Examinez, en effet, le misérable budget du raïa, M. Dadabhai Naoroji l’établissait, il y a plus de vingt ans, en prenant pour base la statistique officielle du Penjab[10] et M. Bose, qui disposait de documens encore plus sûrs et surtout plus étendus, a recommencé le même calcul, il y a quatre ans[11]. Il lui a même été possible de dresser des tableaux indiquant les variations des salaires pour les travailleurs agricoles, dans les différens districts de l’Inde, pendant les dix années qui séparent le recensement de 1881 et celui de 1891. M. Dadabhai Naoroji trouvait que, pendant l’année 1877-1878, la production totale du Penjab avait été de 35 350 000 livres sterling pour une population de 17 600 000 habitans ce qui donne, par tête, une moyenne de deux livres sterling. Dix ans plus tôt, cette moyenne était de 2 livres, 9 shillings, 5 pence. Pour apprécier combien ces ressources sont infimes, il faut se rappeler qu’en Angleterre, la moyenne du revenu par tête d’habitant est de 33 livres ou 825 francs de notre monnaie. Voici quel était, en 1877, d’après Dadabhai Naoroji, le rapport des dépenses et des recettes pour une famille de quatre personnes. Le budget des dépenses comprenait trois chapitres : 1° nourriture, 2° vêtemens, 3° loyer et autres frais de nécessité absolue. Au chapitre de la nourriture, ni viande, ni vin, rien que du riz, de la farine, des légumes, du thé et, pour l’homme, un peu de tabac. Au chapitre des vêtemens, figurent seulement les habits de travail, rien pour les jours de fête. Au chapitre des frais divers, rien pour le plaisir et l’amusement, rien pour les mariages, les naissances, les enterremens, seules occasions qui puissent entraîner le raïa à quelque dépense. Le total atteignait 34 roupies par personne ou 136 pour toute la famille. Le budget des recettes était de 20 roupies par tête, soit 80 pour la maison entière. La roupie équivalant alors à 2 shillings, ou 2 fr. 50, le budget de cette famille s’établissait ainsi : dépenses, 345 francs, recettes 200 francs, déficit annuel 145 francs.

Les chiffres de M. Bose démontrent malheureusement que la situation a encore empiré. Les salaires n’ont jamais dépassé 4 pence (0 fr. 40) par jour ; ils sont tombés, dans certains districts et dans certaines années, à 1 penny un quart (de 0fr. 11 à 0 fr. 12) ; M. Bose évalue le gain annuel du raïa à 33 shillings.

Sur ces 33 shillings, l’Etat en prend 5. C’est avec les 5 shillings extorqués à ce misérable affamé que s’alimentent les traitemens énormes du vice-roi, du commandant en chef, du Lord Chief Justice, des membres du Conseil et des fonctionnaires du Civil service. C’est le raïa qui paye leur Champagne, leurs landaus, les dentelles de leurs femmes, les gages de leurs sommeliers musulmans et de leurs valets de chambre hindous. Cet homme qui ne peut nourrir ses enfans nourrit une armée étrangère d’occupation de 75 000 hommes. Dans la dernière année de la Compagnie, les frais d’entretien de chaque soldat se montaient à 19 livres par an. Le gaspillage insensé, qui est le trait caractéristique de l’administration anglaise, a élevé ce chiffre, en vingt ans, à la somme absurde de 79 livres, sans doute dépassée aujourd’hui. C’est l’Inde qui paye les frais des petites guerres, souvent abominables d’injustice et de cruauté, que l’Angleterre a soin d’entretenir sur sa frontière du Nord-Ouest ; c’est l’Inde — détail encore plus inattendu — qui a fait face aux dépenses de la guerre d’Egypte en 1882. On avait créé un Famine Fund pour empêcher le retour de la disette. Lorsqu’en 1897, on a cherché cette ressource, on a trouvé une caisse vide. L’argent destiné à acheter du pain aux Indiens avait servi, par un virement deux fois meurtrier, à tuer des Afridis. Enfin, c’est encore l’Inde qui entoure de bien-être et de luxe la vieillesse de ses anciens administrateurs rentrés dans la métropole. Tout cela avec les 5 shillings du raïa, et quiconque a dîné dans une de ces belles maisons voisines de Hyde Park, où l’Anglo-Indien prend sa fastueuse retraite, a dévoré une fraction infinitésimale de cet étrange trésor, fait de misère accumulée.

« Nous saignons l’Inde ! » s’écriait un jour lord Salisbury. Il y a vingt ans de cela, et la saignée continue ; et lord Salisbury est toujours ministre ; et je n’ai pas entendu dire que, si les nuits de Sa Seigneurie sont mauvaises, ce soit l’Inde saignante et exténuée qui trouble son sommeil. Saigner le travailleur dont la force est notre capital puisqu’il produit à notre profit, est-ce une politique humaine, est-ce une politique intelligente ? Les Espagnols ont-ils fait pis à Cuba, ou les Turcs en Arménie ? Ce qui est certain, c’est que les Anglais, à bien des égards, ont fait regretter la domination musulmane. L’observation n’est pas de moi, elle est de lord William Bentinck, dont personne ne contestera la compétence ni la sincérité. Un écrivain hindou va plus loin : à ses yeux, le gouvernement anglais dans l’Inde est pire que tous les systèmes de conquête primitive, y compris celui qui consistait à égorger tous les mules de la nation subjuguée, à prendre les femmes pour concubines et les enfans pour esclaves. Le vainqueur s’installait dans la maison et dans le lit du vaincu ; peu à peu il subissait les influences du milieu et de la race ; il restituait à la circulation et à la richesse générale tout ce qu’il avait pris aux particuliers, comme le nuage de pluie rend à la terre l’eau absorbée par les rayons du soleil. Avec les Anglais dans l’Inde, rien de tel. Au lieu d’une heure de pillage, cent cinquante ans de spoliation méthodique, graduée, progressive. Au lieu du massacre après la bataille, c’est un peuple condamné à mourir d’une mort lente, enfermé dans la Tour de la Faim et, — chose affreuse ! — s’y multipliant. Une mortalité effrayante[12], une natalité plus effrayante encore. Serait-ce vraiment là le dernier mot de la « colonie d’exploitation ? » Serait-ce le chef-d’œuvre de la « race supérieure » qu’on propose tous les jours à notre imitation ?


II

Quel remède à de tels maux ? Que doit faire l’Inde ? Se lever, s’armer, chasser les Anglais ? L’idée est si enfantine, si follement absurde que personne ne songe à la discuter sérieusement. Il suffit, pour la réfuter, d’un sourire et d’un haussement d’épaules. Avec leurs vingt mille fonctionnaires et leur double armée, les Anglais tiennent l’Inde d’une prise vigoureuse et ne la lâcheront que s’il leur plaît. Or, il ne leur plaît pas. En d’autres temps, quelques-uns de leurs théoriciens politiques leur conseillaient cet abandon, mais ces temps sont loin et les courans ont changé. « Si vous n’avez plus besoin de nous, disait un fonctionnaire anglais à M. Malabari, pourquoi ne nous renvoyez-vous pas chez nous ? » Et l’écrivain, se courbant devant cette cruelle boutade, répondait : « Vous savez bien que nous ne pouvons nous passer de vous. » Rien de plus vrai : les Anglais se sont rendus indispensables. « S’il leur prenait fantaisie, dit encore M. Malabari, de s’embarquer tous à Bombay et d’abandonner l’Inde à ses propres destinées, ils trouveraient, en arrivant à Aden, un télégramme qui les supplierait de revenir[13]. »

A quelle phase de son émancipation politique l’Inde en est-elle arrivée aujourd’hui ? Quelle dose d’autonomie est-elle capable de supporter ? Quelle distance la sépare encore du but à atteindre, c’est-à-dire de l’autonomie complète ? C’est précisément ce que je cherche. Mais, pour le moment, je me contente de l’affirmation qui m’est fournie par des observateurs compétens et assidus : l’Inde n’est pas prête à se gouverner elle-même. Donc une révolution, outre qu’elle serait impossible, serait inutile ; elle inaugurerait une anarchie sans nom ; loin d’arrêter la ruine du pays, elle la consommerait. Il faut chercher des moyens moins radicaux, moins violens, pour retenir ou pour ramener la fortune de l’Inde dans les mains du peuple indien.

Les deux principaux qu’on ait suggérés sont ceux-ci : faire une part, — la plus grande possible, — aux natifs dans la propriété et l’exploitation des innombrables entreprises commerciales et industrielles auxquelles donne lieu la mise en valeur des ressources nationales ; remplacer peu à peu les étrangers par des fonctionnaires indigènes dans les hauts postes administratifs à gros traitemens et à grosses retraites et, par-là, mettre un terme à l’exode des millions.

Sur le premier point, il est à remarquer que toutes les bonnes affaires sont déjà aux mains des Anglais. Il y a quarante ans que l’on a commencé le réseau indien, et c’est en 1896 qu’a été ouverte, pour la première fois, au public une ligne construite avec des capitaux hindous. J’ignore les résultats, mais je crains de les deviner. Tout le monde sait qu’en fait de chemins de fer, les spéculateurs de la dernière heure sont rarement les mieux servis. On a vu plus haut la désastreuse entrée de l’Inde dans l’industrie cotonnière. Elle ne peut songer à l’industrie métallurgique, à cause de l’énorme mise de fonds nécessaire et ne peut aborder l’industrie minière que sur une très petite échelle. Ce qui lui manque encore plus que le capital, c’est l’initiative, l’imagination et l’audace industrielle, si merveilleusement développées chez ses maîtres, c’est le goût même de ces choses. Ce peuple, ne l’oublions pas, a placé l’argent au troisième rang dans la hiérarchie sociale, après le courage et l’intelligence. Son aristocratie est une aristocratie intellectuelle, et, d’après ce mot, il ne faut pas imaginer une corporation ambitieuse et bien rentée, qui passe par la littérature pour arriver au pouvoir politique et à la fortune, mais une catégorie particulière de penseurs ou, si l’on veut, de rêveurs, dont l’autorité est toute morale. Ils sont presque en haillons, et tout s’incline devant eux. Cela est beau, assurément, cet hommage rendu à la pure supériorité de l’esprit, mais cela est fâcheux à un certain point de vue, car, comme le dit excellemment M. Bose, il est bon que l’intelligence reste en contact avec les forces vivantes et qu’elle les dirige, pour le plus grand bien de l’humanité. Il ne faut pas permettre à ces forces de jouer toutes seules, à l’aventure, sous la poussée des appétits. On fera donc bien de combattre ces tendances ultra-idéalistes de l’âme hindoue en développant parmi les hautes classes l’étude des sciences expérimentales, ainsi que l’enseignement technique pour les fils d’artisans. En même temps, on fera comprendre à tous que, par l’association, l’épargne du pauvre peut lutter de puissance avec le capital individuel et le vaincre.

Mais tout cela se fera lentement. Un siècle n’est qu’un jour dans la vie d’une société qui se vante d’avoir déjà vécu cinq ou six mille ans. « Nous labourons, dit M. Malabari qui se souvient d’avoir été un poète et dont la pensée revêt volontiers une forme métaphorique, nous labourons, une génération à venir sèmera ; puis il en viendra une autre encore qui récoltera. » Quand je vois l’avance prise par leurs compétiteurs, je tremble pour cette récolte si lointaine.

La question du Civil Service est toute différente. Les indigènes ont fait de grands efforts, d’immenses sacrifices, matériels et moraux, pour y pénétrer. On leur en a, légalement, ouvert la porte et, cependant, ils ne peuvent y entrer. Pourquoi ?

M. Joseph Chailley-Berta donné ici même[14] des détails très intéressans et très exacts sur l’origine et l’organisation de ce corps de fonctionnaires. Mais, sur l’esprit de l’institution, sur les phases historiques qu’elle a déjà traversées et sur les services qu’elle rend aujourd’hui, mon opinion sera un peu différente de la sienne.

C’est Macaulay quia doté l’Angleterre de ce système en 1853. Nous l’avait-il emprunté ? On serait tenté de le croire. Car le concours du Civil Service, c’est notre baccalauréat, mais un baccalauréat aggravé et renforcé, un baccalauréat à compartimens, avec sections obligatoires et sections facultatives. En tout cas, c’est tout l’opposé de la sélection naturelle qui préside, en Angleterre, au recrutement de toutes les autres carrières. Macaulay embrassa l’idée et l’appliqua avec l’énergie décisive et la précision autoritaire, caractéristiques d’un homme qui ne douta jamais un moment de ses principes, de ses talens, de sa chance, ni de ses amis. Dicter à des jeunes gens une version de Sénèque, les interroger sur la métrique d’Horace, sur l’Histoire romaine, sur la grammaire française et allemande, sur la géométrie dans l’espace et le calcul différentiel[15], tout cela pour savoir s’ils étaient capables de bien gouverner l’Inde, c’eût été un peu niais, si ce n’avait été très machiavélique. Macaulay et ses collaborateurs voulaient tout simplement réserver les bonnes places, grassement payées, du Civil Service aux étudians des Universités, c’est-à-dire aux jeunes gens des vieilles familles, et aussi aux nouveaux venus de cette aristocratie de la banque, du négoce et de l’industrie, qui s’était adjointe à la classe dirigeante depuis la réforme de 1832. Une élite, dit M. Chailley-Bert. Une élite, soit ; mais l’élite sociale, l’élite intellectuelle même, donne-t-elle forcément, dans des circonstances toutes particulières, une élite administrative ?

Avec ce nouveau régime, et plus encore lorsque la Compagnie des Indes eut quitté la scène, on s’aperçut que les hommes avaient changé aussi bien que les traditions. Mais le changement s’accusa plus encore à partir de 1877. À cette époque, lord Salisbury, secrétaire d’Etat pour l’Inde sous le dernier ministère de Disraeli, abaissa de quatre années le minimum et le maximum de l’âge prescrit pour les candidats. Il fallait, désormais, pour se présenter, avoir dix-sept ans au moins et dix-neuf au plus. C’était fermer la porte aux étudians des Universités et, en même temps, l’ouvrir toute grande à la démocratie. Des gentlemen on tombait aux fils de la petite bourgeoisie ambitieuse. Ils avaient passé par les cramning shops, où ils avaient été bourrés d’une science artificielle, machinale, provisoire, mis en état de traverser la terrible épreuve et d’affronter la fameuse version qui était le « Sésame, ouvre-toi ! » du Civil Service.

A une race d’hommes hardis, énergiques, habitués à l’action physique, pour qui le commandement était un besoin de nature et un don héréditaire, s’était substituée une génération de bureaucrates rivés à une besogne de cabinet. Ceux-là avaient traité les natifs comme le chef traite ses soldats, s’intéressant à leurs traditions et à leurs progrès ; ceux-ci ne savaient rien de la vie indienne et ne cherchaient point à la connaître ; ils tenaient les indigènes à distance par leur hautaine réserve, faite de timidité et d’orgueil. Des déplacemens fréquens et des changemens continuels d’attributions ne leur permettaient de rien approfondir. C’était le nomadisme administratif que la France connaît bien, avec toutes ses conséquences. Les anciens aimaient la vie large et facile de l’Orient, jouaient au rajah sans trop de déplaisir et répandaient l’argent en pluie autour d’eux. Les nouveaux civilians étaient d’un âge et d’une classe où l’on sait compter. Toutes les économies, comme toutes les pensées du moderne Anglo-Indien sont pour cette famille qu’il a laissée derrière lui en Europe et vers laquelle il s’échappe dès qu’il peut obtenir quelques semaines de congé. Des fils à Eton ou à Rugby ; des enfans plus jeunes au bord de la mer, sous la direction d’une gouvernante, pendant que leur mère promène, çà et là, son demi-veuvage, son élégant ennui qui, peut-être, ne repousse pas toujours les consolations. Ajoutez à cela les préoccupations d’une santé qui se délabre et qui, vers la quarantième année, fait voir la vie, les hommes et les choses sous de noires couleurs. Tel est le civilian de l’époque actuelle, et vous ne trouverez plus chez lui, qu’à l’état d’exception, ce haut sentiment de l’autorité et des devoirs qu’elle entraîne, qui, pendant un demi-siècle, rachetait les erreurs et les fautes des agens de la Compagnie. En 1892, on s’est aperçu de la bévue commise et on a reporté les limites d’âge à vingt et un et vingt-trois ans ; on a rendu ainsi aux gradués d’Oxford et de Cambridge l’accès du service. Trop tard ! pendant ces quinze ans, l’esprit nouveau a envahi les vieilles demeures universitaires, et il est à craindre que le niveau des administrateurs fournis à l’Inde par la Métropole ne se relève jamais. Sans aucun doute, la vénalité et les concussions d’autrefois ont disparu et, à ce point de vue, on conçoit que lord Dufferin, un ancien vice-roi, ait pu écrire à M. Chailley-Bert : « Il n’y a pas au monde un pareil corps de fonctionnaires ! » Mais qu’importe à l’Inde, si la vertu d’aujourd’hui lui coûte plus cher que la corruption d’autrefois ?

On est ainsi ramené à la question posée plus haut : Pourquoi ne pas admettre les Indiens dans le service civil ? Chaque fonctionnaire indigène que vous y introduisez diminue d’une quantité appréciable et les charges budgétaires et la brèche faite au capital national. En effet, si je prends pour base d’appréciation l’échelle comparative des traitemens pour les fonctionnaires inférieurs, Indiens, Européens et Eurasiens (on nomme ainsi les métis), il résulte des chiffres placés sous mes yeux que l’administration par les natifs coûte cinq fois moins cher que l’administration par les employés de race anglaise pure. Inutile d’insister sur le fait que tout l’argent gagné par le fonctionnaire indigène demeure dans l’Inde et s’ajoute à la richesse générale.

L’introduction des natifs de l’Inde, Mahométans, Hindous ou Parsis, dans les postes élevés de l’administration aurait encore d’autres avantages. Elle ouvrirait un débouché à l’activité des classes cultivées ; elle mettrait fin ou, du moins, elle apporterait un soulagement à ce singulier état de langueur et d’inquiétude qui les mine et les étiole. Elle rétablirait la communication entre la race gouvernante et la race gouvernée. Le fonctionnaire indien mettrait au service du gouvernement sa connaissance profonde et en quelque sorte innée des mœurs et des sentimens intimes qui fait si cruellement défaut au moderne civilian. Ainsi l’intérêt, la politique, la justice semblent d’accord, et il y a longtemps que les Anglais l’ont reconnu. Dès 1834, au temps où lord William Bentinck, ce grand homme de bien, était vice-roi, le gouvernement déclarait que « nul des sujets de Sa Majesté résidant dans l’Inde ne pourra être réputé incapable d’occuper une place ou un emploi quelconque dans le service public à raison de son lieu de naissance, de son extraction ou de sa couleur. » Voici les paroles qu’on mettait en 1858 sur les lèvres de la Reine, au moment où, par la disparition de la Compagnie des Indes, elle reprenait la souveraineté directe de son empire asiatique : « Nous nous considérons comme liée envers les natifs de l’Inde par le même lien moral qu’envers tous nos autres sujets et, avec la protection du Dieu tout-puissant, nous remplirons ce devoir consciencieusement et fidèlement. Et c’est aussi notre volonté que tous nos sujets, autant que faire se pourra, à quelque race ou à quelque religion qu’ils appartiennent, soient librement et équitablement admis à remplir tous emplois et charges de notre service, pour lesquels ils seront dûment qualifiés par leurs aptitudes, leurs connaissances et l’intégrité de leur caractère. « C’est là un noble langage. J’y trouve comme un parfum d’antique sagesse et d’antique vertu, le souvenir des temps lointains où le Roi était un juge et un père. Mais, pas plus que les promesses de 1834, ces paroles n’ont été suivies d’effet. Les Indiens sont, en principe, admissibles dans le service civil, mais à la condition de venir passer à Londres l’examen institué par lord Macaulay. La version qui devait assurer à la haute bourgeoisie le monopole et l’exploitation exclusive de l’Inde rend ici un nouveau service en tenant à distance les candidats indiens. Avec tous ses corollaires, elle suppose cinq ou six années d’études qui ne peuvent se faire qu’à Londres. A l’époque décisive de la formation physique et intellectuelle, le jeune Hindou, — peut-être déjà marié et père de famille, — doit aller vivre au milieu de cette grande ville étrangère où tous les actes de la vie ordinaire, où la moindre parole, le moindre geste blessent profondément ses croyances et ses traditions. Là, il devra s’assimiler toute la science de l’Occident et nul ne peut dire s’il ne lui empruntera pas, en même temps, quelques-uns de ses vices. Pour sa famille, quel sacrifice pécuniaire et quel sacrifice moral !

J’ai connu quelques jeunes gens qui traversaient cette difficile épreuve. L’un d’eux m’avait beaucoup frappé par sa douceur et sa gravité mélancoliques, par ses grands yeux ardens et tristes, pleins de rêves et, déjà, de regrets. Frêle de corps, délicat de manières, sensitif comme une jeune fille, il semblait, par momens, en arrière de ses compagnons ; à d’autres instans, c’étaient eux qui me semblaient des enfans auprès de lui. En sorte qu’il suggérait alternativement l’idée de l’infériorité de sa race, puis l’idée contraire. Il est mort tué par le climat anglais, loin de ses parens et de ses dieux, loin du soleil de l’Inde et de l’eau des fleuves sacrés. Son histoire, je le crains, est celle de bien d’autres.

Le premier coup qui attend l’enfant des hautes castes, au seuil de cette voie hasardeuse, c’est la perte de son rang. Nul ne peut voyager au-delà des mers sans être frappé de déchéance sociale. Je sais bien que les brahmanes, s’appuyant sur un antique précédent, pris dans l’histoire diplomatique des anciens rois, rendent sa caste au jeune candidat qui a réussi dans le concours. Mais le refusé ne bénéficie point d’une telle faveur. Il revient dans son pays, appauvri, attristé, diminué, n’aimant plus rien de ce qu’il a aimé, ne croyant plus rien de ce qu’il a cru. Notre mot de « raté » est, dans sa cruelle insolence, trop faible pour peindre la profonde et incurable misère de cette vie manquée, de cette fortune détruite, de cette intelligence à jamais troublée.

Dès l’année 1869, M. Dadabhai Naoroji faisait ressortir les inconvéniens de cet état de choses, qui, en proclamant l’égalité absolue, avait créé la plus choquante inégalité[16]. « Si vous voulez justifier les nobles promesses de 1834 et de 1858, établissez des examens simultanés à Londres et dans l’Inde. Que le voyage en Europe soit exigé seulement des candidats qui ont réussi et s’accomplisse durant l’année de probation. » Pendant plus de vingt ans, M. Dadabhai Naoroji plaida, sans se lasser, la cause de ses compatriotes, mais le gouvernement ne l’écoutait point. En 1892, sur neuf cent soixante membres que comprenait le Civil Service, vingt et un seulement étaient natifs de l’Inde.

Aux élections générales de 1892, M. Dadabhai fut envoyé au Parlement non par un bourg-pourri, mais par une des plus importantes circonscriptions de la Cité. On l’appelait en souriant the member for India et, en effet, malgré la constitution, il était véritablement à Westminster le représentant des idées et des sentimens de l’Inde. Il obtint de la majorité libérale, en 1893, une résolution qui consacrait le principe de l’examen simultané à Londres et dans l’Inde, mais ce fut encore là une vaine parole. On sait comment la précaire majorité libérale de 1892 fut balayée aux élections de 1895. Dadabhai Naoroji ne rentra pas au Parlement. A sa place, les conservateurs avaient suscité un faux prophète dans la personne d’un certain Bhavnagri. Ce personnage vint, « au nom du peuple de l’Inde, » nier toutes les vérités qu’avait affirmées Dadabhai Naoroji et ramasser tous les sophismes qu’il avait démolis. Après quoi, il alla se montrer à ses compatriotes. Dans ces mêmes provinces qui, l’année précédente, avaient acclamé Dadabhai Naoroji, on organisa une ovation au pseudo-tribun. Banquets, toasts, musiques, bannières, rien n’y manqua de ce que peut procurer l’argent, judicieusement dépensé, dans un pays où les cris d’enthousiasme sont pour rien. Mais cette parodie eut le succès qu’elle méritait et l’écho des vivats qui saluaient M. Bhavnagri se perdit dans une immense risée[17]. La situation n’a donc point changé et la « résolution » de 1893 demeure lettre morte. Le nombre des indigènes qui réussissent à se glisser dans le Service Civil n’augmente pas.

Quelles raisons donnent les Anglais pour tenir les Indiens à l’écart des fonctions administratives ? L’autorité du fonctionnaire indien, dit-on souvent, est médiocre auprès de ses compatriotes ; elle est nulle auprès des Européens. Mais n’est-ce pas la faute des Européens, qui affichent, en toute circonstance, la conscience de leur prétendue supériorité ? On semble quelquefois soupçonner l’intégrité des natifs. Plaisant soupçon de la part d’un peuple qui a donné au monde en général et à l’Inde en particulier de si étonnans exemples de corruption financière ! À ce sujet, M. Dadabhai a rappelé qu’en 1793, la Compagnie des Indes avait « acheté » le Parlement. L’expérience de tous les jours prouve que les cas de vénalité sont très rares parmi les fonctionnaires natifs. Quelques-uns, surtout parmi les magistrats, ont été des modèles de désintéressement et de sublime charité. Tel ce juge à la cour suprême de Calcutta, un Vincent de Paul sous l’hermine, qui donnait sa pensée à Dieu, son temps aux affligés, et sa fortune aux pauvres[18].

Dira-t-on que l’Inde est incapable de produire des hommes d’État ? Si l’on ne se soucie pas d’interroger l’histoire, qu’on se tourne vers l’Inde des rajahs, et les faits répondront. Cette partie du pays est restée la plus prospère. On croit communément en France que le résident ou l’agent anglais est le véritable administrateur des territoires encore soumis à l’autorité des souverains natifs. C’est une erreur. En bien des cas, l’agent anglais n’est qu’un témoin incommode, un espion hautain, qui peut tout, mais qui ne fait rien… sinon des rapports secrets. Et c’est, assurément, de toutes les formes de gouvernement, la plus démoralisatrice et la plus dégradante pour ceux qui l’exercent comme pour ceux qui la subissent. Si fâcheuse qu’elle soit, elle laisse un certain champ d’action aux talens des politiciens indigènes. Je citerai comme types de cette classe deux hommes dont le souvenir vivra longtemps dans l’Inde : Dinkur Rao et Madhava Piao. Celui-ci a montré, comme dewan de Travancore, des aptitudes financières et administratives hors ligne et ces aptitudes ont été mises en lumière par un excellent article de la Calcutta Review. Or, qui est l’auteur de cet article ? Le prince de Travancore lui-même, écrivain et penseur distingué, un de ceux auxquels il faut demander le secret des opinions religieuses de son temps et de sa race. Quant à Dinkur Rao, il était, au moment de la révolte des Cipayes, dewan du maharajah Scindia, souverain de Goualiore. Le prince et son ministre restèrent fidèles aux Anglais. Les soldats mutinés massacrèrent leurs officiers européens, puis se précipitèrent dans le palais avec leurs épées teintes de sang. « Livre-nous, crièrent-ils au maharajah, le traître Dinkur, l’ami des Anglais ! — Non, répondit le prince en posant la main sur l’épaule de son ministre. C’est mon serviteur. Que nul ne touche à un cheveu de sa tête ! » Plusieurs jours se passèrent avant qu’une force armée vînt à leur secours. L’orage éloigné, comment les Anglais récompensèrent-ils le dévouement de ces deux hommes ? En gardant dans leurs mains les forteresses de Scindia et en ne tenant aucun compte des promesses faites en son nom. C’est pourquoi, vingt ans après, le vieux Dinkur Rao disait, en secouant sa tête blanche, avec une sévère tristesse : « Autrefois la parole du peuple anglais était une inscription gravée sur le roc avec une pointe de fer. Maintenant, ce n’est plus qu’un billet à ordre souscrit par un débiteur sans scrupule[19]. »


III

La race qui a produit un Madhava Rao, un Dinkur Rao, n’est ni incapable, ni indigne de se gouverner elle-même ou, tout au moins, d’aider les Anglais dans le gouvernement, comme elle a, pendant de longs siècles, fourni des administrateurs et des hommes d’Etat à ses maîtres musulmans. Ce qui tient les Indiens hors du Civil Service, c’est donc, avant tout, la volonté arrêtée de ne les y point admettre. Cependant, l’éducation politique de l’Inde est commencée et se poursuit, souvent en dehors des Anglais, quelquefois malgré eux, quelquefois avec leur concours et sous leur inspiration. Car, d’une part, il y a toujours du mouvement dans la vie la plus stagnante et, de l’autre, de généreuses inconséquences devaient troubler et ont en effet troublé l’exécution du plan égoïste qui refuse de partager le gouvernement et la richesse de l’Inde avec l’Inde elle-même. De cette race somnolente, sont sortis des apôtres d’émancipation et de progrès. Il s’est trouvé des Anglais qui se sont dévoués à la même cause au point de lui sacrifier leur fortune et leur vie. L’Inde a connu des administrateurs dont le seul désir était d’être justes et de faire le bien. Parmi ceux-là, elle place lord Ripon, qui fut gouverneur général au temps du second ministère Gladstone. Lord Ripon a servi de cible, en Angleterre, aux caricaturistes et aux petits journaux satiriques. Pourquoi ? Je n’y vois d’autre raison que sa conversion au catholicisme. Lord Ripon n’est pas un homme d’Etat de premier ordre, mais il a été, de notre temps, l’un des derniers spécimens d’une espèce disparue et à jamais regrettable : le libéral anglais, c’est-à-dire l’honnête homme qui essayait d’appliquer la morale à la politique. Or, la morale politique, qui parle aussi haut et aussi clairement dans les consciences libres et saines que la morale privée, ne reconnaîtra jamais à un peuple la tutelle d’un autre peuple que pour un temps limité. « Tant que nous serons là, pensait évidemment lord Ripon, nous devons y trouver notre compte, mais l’Angleterre doit apprendre à ses sujets indiens à se passer d’elle. » Dans cet esprit, il a créé un embryon de self-government, dont voici les principaux traits.

Au plus bas degré de l’échelle administrative, on a laissé à l’agglomération rurale, au village, son caractère enfin compris après un long malentendu. Avec son tribunal arbitral, sa « coutume » propre, son bien indivis, dont les produits se consomment en commun, son auberge, qui est un hospice, son poète, son blanchisseur et son barbier, qui sont des fonctionnaires, souvent héréditaires, comme son magistrat, son prêtre, son comptable et son garde champêtre, le village indien est une des plus curieuses formations sociales qui existent ; et, par sa durée, il a prouvé sa vitalité[20]. Cette vitalité diminuera plutôt qu’elle n’augmentera, à mesure que le raïa prendra conscience de cette communauté politique, plus vaste et plus importante, dont il est membre et dont il doit retirer de plus grands bénéfices.

À cette vieille institution se superpose l’organisation de lord Ripon, qui date de quinze ans à peine. Elle se compose des local boards, que j’appellerai des conseils cantonaux, et des district boards, qui sont des conseils d’arrondissement ou de province. Les deux tiers des local boards sont élus. Ils ont le droit de nommer leur président et désignent une proportion notable des membres qui siègent dans les assemblées du degré supérieur. L’élément natif se fortifie chaque jour dans ces conseils. Pendant la période décennale qui va de 1882 à 1894, le nombre des Européens qui y avaient été appelés par l’élection a diminué de moitié ou des deux tiers, dans certains cas des quatre cinquièmes. Huit cents villes, dont le territoire embrasse de 15 à 16 millions d’habitans, ont reçu des institutions municipales. Enfin, le principe de la représentation élective a pénétré jusque dans le conseil législatif qui entoure le gouverneur général et les gouverneurs particuliers de Bombay et de Madras. Un certain nombre des membres de ces conseils sont, sinon élus, du moins proposés au choix du gouvernement par un corps électoral composé des municipalités, des conseils locaux, dont plusieurs se réunissent pour nommer un délégué, des sénats universitaires, des chambres de commerce et enfin des représentans choisis par les groupes de propriétaires fonciers.

Comment fonctionne cette machine complexe, combinaison ingénieuse (trop ingénieuse ! ) de poids et de contrepoids ? Je n’en sais rien et je crois que personne ne le sait. Çà et là apparaissent des symptômes qui donnent lieu à de tristes réflexions. Lorsque la peste a éclaté à Bombay, les autorités indigènes ont été très lentes à comprendre que, dans certains cas, le dévouement n’est plus une vertu, mais un devoir strict pour les hommes publics. Les magistrats municipaux n’ont su payer ni de leur personne, ni de leur argent, ni de leur parole. Ils ont laissé aux Anglais l’odieux de certaines mesures, absolument justifiées et nécessaires. Cette mollesse m’inquiète. Passé le cercle de famille, l’Hindou ne sait pas décider, ne sait pas ordonner. Il n’a pas encore acquis ou il n’a pas encore retrouvé le sentiment de la responsabilité, ni su prendre, comme le Japonais, le courage de ses nouvelles notions occidentales.

Si les pouvoirs locaux, institués par lord Ripon, fonctionnent dans une obscurité relative et ne donnent pas encore de résultats clairement appréciables, les opérations du Congrès, au contraire, ont été, dès le premier jour, ardemment éclairées par les discussions contradictoires de la presse, comme par le croisement de cent projecteurs électriques. Ce mouvement n’émane pas de l’action directe du gouvernement, mais il doit beaucoup à l’initiative de certains Anglais, tels que sir William Hunter[21], la plus haute autorité sur les questions indiennes et le meilleur ami que l’Inde possède en Angleterre. Sir William Hunter voit dans le Congrès le « réveil de l’Inde, » le « commencement d’une vie nationale, » une « grande force qui travaille non à la dissolution mais à la consolidation de l’Empire. » Parmi les Indiens, le Congrès a excité un vif enthousiasme, mais il a rencontré une violente opposition chez certaines classes et dans certains milieux : l’un et l’autre ont contribué à son succès, si le succès est, en politique, de faire beaucoup de bruit.

Qu’est-ce que le Congrès ? Le mot est une heureuse équivoque. Un congrès est quelquefois une assemblée régulièrement élue et investie de pouvoirs législatifs, constituans ou même souverains. Un congrès plus souvent est une réunion d’hommes sans mandat précis dont le rôle, purement critique et consultatif, consiste à éclairer l’opinion publique, à formuler des objections, à préparer des solutions. Le Congrès indien appartient à cette seconde catégorie, mais il copie les allures, observe les formes des congrès souverains. Par l’apparat dont il s’entoure et par la nature même des sujets sur lesquels il délibère, il est identique à nos grands corps politiques. Comme le Parlement de Paris en 1648, il doit une partie de son importance à une homonymie, à une flatteuse confusion de mots. Que ses résolutions deviennent des lois et ce congrès platonique, ce congrès d’amateurs se transforme en un congrès effectif comme celui qui siège à Washington. Mais cela n’est pas et cela ne doit pas être. Ce serait brûler une étape dans l’histoire du progrès de l’Inde. Comme le dit son meilleur interprète[22], « l’heure de gouverner n’est pas encore venue pour elle, mais seulement l’heure de contrôler. »

Le congrès se réunit tous les ans dans une des grandes villes de l’Inde, au mois de décembre, et dure seulement trois ou quatre jours. Le nombre des délégués varie de six cents à douze cents. Les princes y jouent un rôle actif à côté d’hommes de caste inférieure que recommande un talent ou une compétence spéciale. Les Parsis qui, suivant l’expression d’un de mes correspondans de Bombay, sont « le sel de l’Inde, » s’y mêlent aux Hindous, et les Mahométans qui, d’abord, s’étaient élevés contre le congrès, mais qui se sont ravisés, y tiennent une place supérieure à leur proportion numérique parmi la nation. Le Congrès discute une vingtaine de questions, dont quelques-unes se subdivisent, au besoin, en sous-questions. Deux ou trois membres, en moyenne, prennent la parole sur chaque question ; puis l’on passe aux voix et le Congrès vote une résolution. Quelques-unes sont de simples manifestations de loyauté ou de courtoisie envers la Reine-Impératrice, le gouvernement de la métropole, le vice-roi ou quelque personnage important. Si une bonne réforme a été introduite au courant de l’année qui finit, on la salue d’une expression de gratitude collective ; si une loi douteuse a fait son apparition dans le statut, on la discute, on suggère des correctifs et des amendemens. On examine les anciens griefs, on signale de nouveaux besoins. Administration, travaux d’utilité générale, impôts, éducation, hygiène et assistance publique, législation industrielle et commerciale, mesures propres à soulager la famine, à circonscrire la peste, à développer le bien-être, la liberté, l’instruction, le Congrès passe une revue rapide de tous ces problèmes et fait le tour de l’Inde sociale et politique.

Lorsqu’un Français lit ces discours et ces résolutions, deux mots se présentent à son esprit, deux mots de notre vocabulaire politique d’autrefois : les « cahiers » et les « remontrances. » C’est à peu près sur ce ton que parlaient nos ancêtres dans les assemblées de l’ancien régime, et les séances du Congrès rappellent assez bien celles de nos États généraux, moins le vote des subsides qui donnait une singulière autorité aux dissertations politiques de nos antiques députés. C’est le même esprit de soumission et d’indépendance, qui cherche sa voie, sa mesure et sa forme. Comme le député aux États, l’orateur du Congrès oscille entre les larges déclarations de principes et le petit détail personnel ou local. Étonné du retentissement de sa voix, il a peur d’être éloquent, il se méfie de la rhétorique, qui pourrait le trahir, mais n’a pas encore saisi l’agile et familière dialectique du debater, trouvé le véritable diapason oratoire des assemblées délibérantes[23].

L’impression finale est une impression de respect, de sympathie, de foi en l’avenir. Mais une inquiétude s’y mêle. Combien de temps le Congrès indien saura-t-il se maintenir dans ce rôle difficile et ingrat, presque douloureux, d’un parlement qui critique sans agir, qui contrôle et ne gouverne pas ? Il lui faudra des vertus presque surhumaines, sinon il sera, quelque jour, brutalement rappelé à la modestie. Quoi qu’il arrive, il a déjà rempli une grande tâche. Par ses discussions, il a confondu le vieux sophisme sur l’incapacité politique des natifs. En groupant dans son sein les religions, les provinces et les classes, il a réfuté trois fois l’idée particulariste, fait pressentir l’unité morale de la race, plaidé en faveur de ce fait que l’Inde est une nation.

Ce sont des missionnaires qui ont fondé au Bengale, en 1823, le premier journal en langue indigène. Il ne faudrait pas en conclure que la presse native doive sa naissance à l’initiative des Anglais ; tout au plus pourrait-on dire qu’elle doit ses progrès à leur tolérance. Elle n’a pu se développer et grandir qu’après la suppression du timbre et de l’impôt sur le papier. Mais elle rencontre un obstacle à sa croissance dans la diversité des dialectes qui enferme chaque organe dans une zone relativement restreinte. La rareté de l’annonce, la pauvreté générale, la multiplicité même de ces feuilles, le manque de talent, de bonne foi, d’autorité chez la grande majorité des rédacteurs, telles sont les causes qui maintiennent la presse indienne dans une sorte d’enfance. Beaucoup de journaux, y compris ceux qui sont rédigés en anglais par les natifs, végètent avec un tirage de huit cents à quatre mille. On cite comme une exception un journal hebdomadaire du Bengale, qui atteint un tirage régulier de vingt mille. Le fameux numéro du Keseri, en langue mahratte, qui a fait tant de bruit, il y a deux ans, et valu une si dure condamnation à l’écrivain n’atteignait pas un tirage utile de sept mille. Mais les journaux passent de main en main et leur influence est plus grande que ces humbles chiffres ne le feraient supposer.

J’ai lu un certain nombre de ces journaux : je les ai trouvés très inférieurs à ce que me faisaient espérer les procès-verbaux du Congrès. Le journaliste indien a peu de connaissances économiques ; il ignore l’histoire de son propre pays presque autant que celle des nations occidentales. Ses articles sont encore plus mal pensés que mal écrits. On n’y trouve point une série d’argumens connexes, une progression dialectique, une démonstration qui marche des prémisses à la conclusion, mais un assemblage de phrases sans lien, des métaphores, des hyperboles et surtout des personnalités. Sur ce point, le journaliste indien semble avoir pris pour modèle et pour type la basse presse de New-York et de San-Francisco.

Pratiquement, les journaux de l’Inde sont libres. Faute d’une législation spéciale, le gouvernement est dans la nécessité ou d’ignorer les excès de la presse, ou de transformer en « crimes » ce que nous appellerions « délits. » Il prend d’ordinaire le premier parti. Deux fois seulement en vingt-huit ans, il s’est souvenu qu’un article inséré en 1870 dans la loi criminelle lui permettait d’assimiler à la sédition patente et à la trahison effective toute « tentative pour semer la désaffection. » La désaffection, mot hypocrite et vague qui doit déplaire à un juriste honnête homme !

C’est avec cet article qu’on a frappé M. Tilak en 1897. Assurément, M. Tilak n’est pas le premier venu. Né en 1856, il était, il y a vingt ans, étudiant à Bombay et passait souvent les nuits dans des discussions passionnées sur les misères présentes et la grandeur future de l’Inde. Il fit alors le serment de ne jamais accepter de fonctions aux gages des oppresseurs de son pays. Après avoir pris ses degrés en arts et en droit, il retournait à Pounah, où il lançait successivement avec ses amis un journal en anglais (le Mahratta), un journal en langue mahratte (le Keseri), une imprimerie, un atelier artistique et un collège d’enseignement secondaire. Puis, par suite de dissentimens survenus entre les associés, les entreprises durent être séparées et Tilak resta seul maître des deux journaux. Ce n’était pas assez pour cette dévorante activité. Mathématicien, légiste et philologue, il professait la géométrie, créait des cours pour les apprentis avocats, publiait un volume sur la chronologie des Vedas qui attirait l’attention de Max Millier. Il essayait d’y prouver, par le nom même des constellations, que les Grecs ne s’étaient pas encore détachés du tronc aryen, à l’époque où les livres sacrés avaient été composés, et il les faisait remonter jusqu’à l’an 4000 environ, avant notre ère. Il était chargé, en 1895, d’organiser la réception du Congrès à Pounah, mais se brouillait avec ses collaborateurs et se retirait sous sa tente. C’est un vrai Mahratte, fier, généreux, combatif, autoritaire ; rien ne lui manque de ce qui caractérisait ses pères au temps où ils combattaient avec nous, pas même ce fatal esprit de discorde qui, au moment décisif, paralysa leur résistance et les livra, d’une manière définitive, au joug de l’étranger.

Strictement orthodoxe, M. Tilak prend, en toutes circonstances, la défense de la vieille religion, peut-être parce qu’il y voit le levier de l’émancipation, le ciment de la future unité nationale. Mais sert-il bien cette unité lorsqu’il ressuscite des souvenirs propres à entretenir l’esprit particulariste, les rivalités de races et de religions ? C’est ainsi qu’il a fait son héros de Shivaji, un rajah qui, au XVIIe siècle, chassa les Musulmans et donna l’indépendance à ses compatriotes. A son instigation, la tombe du grand Mahratte a été restaurée et, chaque année, une fête solennelle réunit les dévots de ce culte patriotique. En 1897, la fête avait été reculée, à cause de la peste, jusqu’au 13 juin. Quelques jours après, le Keseri publiait un morceau intitulé Paroles de Shivaji. Le vieux guerrier sortait de sa tombe, jetait un regard autour de lui et s’écriait : « O mes amis, pourquoi me réveiller ? Aujourd’hui comme autrefois les étrangers dominent mon pays. On force la déesse Laxmi à s’exiler ; on immole ma mère, la vache sacrée, la vache divine… » Ce langage était clair pour les lecteurs du journal mahratte : c’étaient deux vérités économiques traduites en paraboles. Laxmi qui s’exile, c’est la sortie régulière et progressive de la richesse dont il a été parlé plus haut. Transformer les bœufs et les vaches en viande de boucherie, c’est ruiner le paysan, qui a besoin, pour vivre, de leur travail, de leur lait, de leur engrais, et qui, faute de prairies, ne peut multiplier le bétail. Ici nous prenons sur le fait la naissance des symboles.

Le même numéro, en racontant la cérémonie du 13, rapportait les paroles inconsidérées d’un professeur, qui avait déclaré que toutes les armes étaient bonnes contre les tyrans et que les tuer était une action louable. Cette effusion oratoire était tirée le 15 juin à 6 700 exemplaires et sept jours après, le commissaire Rand et le lieutenant Ayerst tombaient à Pounah, assassinés par des fanatiques qui sont demeurés longtemps inconnus.

M. Tilak, tenu pour responsable des paroles qu’il avait imprimées et dénoncé par son excellent confrère de Calcutta, le Times of India, comme ayant excité au meurtre et prêché la « désaffection, » était traduit, au mois de septembre, devant un jury composé de six Européens, d’un Parsi et de deux Hindous. Comparez la justice anglaise en Angleterre et la justice anglaise dans l’Inde. Ici, l’accusé est jugé par douze hommes de sa nationalité qui doivent se mettre tous d’accord ; là-bas, il est condamné à la majorité de six contre trois, par des étrangers qui ne comprennent pas ce qu’il a écrit et s’en rapportent au témoignage du traducteur. Et le juge prononce la sentence : dix-huit mois de prison ! C’était beaucoup pour une hyperbole et deux métaphores. Que les fleurs de la rhétorique coûtent cher là où celles de la nature coûtent si peu !

La condamnation de M. Tilak blessait trop manifestement le sentiment de la justice pour être maintenue. On ne tarda pas à la commuer en une peine insignifiante. Double échec pour le gouvernement. Sa rigueur avait été taxée de cruauté et sa clémence parut une faiblesse.

Behramji M. Malabari est un journaliste d’une tout autre espèce que M. Tilak. Parsi d’origine, il est né d’humbles parens, dans cette vieille ville de Surate, jadis opulente et magnifique, qui pleure sa gloire disparue. Il a gardé en lui, dans sa personne, dans ses idées, dans son talent, quelque chose de toutes ces tristesses, lointain héritage atavique ou profondes impressions d’enfance : la race exilée, la ville déchue, la pauvreté du premier logis. Sa mère, veuve de bonne heure et sans ressources, pour donner un protecteur à l’enfant, se remaria à un vieux marchand de Surate. Mais le marchand fit de mauvaises affaires et voilà le petit Behramji, à douze ans, obligé de subvenir à ses propres besoins et de contribuer aux dépenses de la maison. À la fois élève et professeur, il suivait des cours toute la journée ; le matin et le soir, il donnait, à son tour, des leçons. Ces premières sensations d’écolier, jeux, douleurs, rêveries, enfantines tendresses, vagabondages de l’âme et du corps, tout cela terminé par la brusque apparition de la mort qui arrache de ses bras sa mère bien-aimée et, en quelques heures, fait de l’enfant un homme : Malabari a raconté ces choses dans des fragmens autobiographiques[24], que nul, je crois, ne pourra plus oublier après les avoir lus et qui se placent dans certaine région de la mémoire avec le début des Confessions, celui de David Copperfield, le premier livre du Petit Chose, d’Alphonse Daudet, et d’autres pages du même genre, où revivent, sous une forme artistique, de fines et précoces émotions. Malabari n’est pas un scholar comme Tilak. Il a échoué trois fois à l’examen de « matriculation » devant l’Université de Bombay et, après avoir été admis la quatrième année, n’a pas poussé plus loin. Mais il a les dons naturels que ne confère aucun diplôme, l’imagination du poète et les instincts de l’écrivain. Il a publié deux recueils de vers en guzerati, d’abord dans le sous-dialecte parsi, puis dans celui des Mahrattes. Je ne puis juger ces poèmes et je renvoie le lecteur aux appréciations compétentes et motivées de Mlle D. Menant. Je ne connais rien de son volume de vers anglais, the Indian Muse. En revanche sa prose me cause un plaisir tout particulier. C’est de l’anglais très pur et très clair, mais affiné, coloré, assoupli, attendri, orientalisé, marqué au sceau d’une forte et séduisante personnalité intellectuelle.

M. Malabari a aussi fait œuvre d’historien en racontant, dans Gujerat and the Gujaratis, le curieux passé de sa province natale, mais il a trouvé de bonne heure sa vraie vocation dans le journalisme. Il a acheté pour vingt-cinq roupies le Spectator of India qui, dans ses mains, est devenu une des feuilles les plus influentes et les plus respectées de l’Inde. Il en a fait un instrument de propagande plutôt que de polémique ; il y a discuté les mesures et les principes, non les hommes. Il ne s’était point juré de ne jamais recevoir l’argent des Anglais, mais il a fait plus et mieux. Il a refusé, en 1887, la dignité de sheriff de Bombay, qui, en cette année de jubilé, lui eût valu les honneurs du Knight-hood. En revanche, il accepte, il réclame le concours des Anglais pour faire le bien et, — disons-le à leur honneur, — il l’a souvent obtenu.

J’ai longuement insisté sur ces deux hommes, parce qu’ils représentent les deux partis qui divisent dans l’Inde l’élite intelligente : le parti orthodoxe et le parti de la réforme. Ils s’opposent en tout : par leur origine, par leur caractère, par leurs aspirations, par leur programme et par les moyens à l’aide desquels ils travaillent à l’accomplir : Tilak s’est jeté sur le terrain des revendications politiques ; Malabari, au contraire, se maintient sur celui de la réforme sociale. Il a compris que le véritable obstacle à la renaissance, au progrès de l’Inde, était dans la constitution même de la société et de la famille, et que là doit commencer l’œuvre de régénération. Entre la culture européenne et les idées du foyer, entre la pensée et les mœurs s’est produit un antagonisme effrayant. Deux civilisations, deux conceptions de la vie se livrent une bataille intime, et l’âme hindoue en est déchirée presque jusqu’à la mort. C’est un cruel, mais utile spectacle, sans analogue, je le crois, dans l’histoire humaine. Il faut nous le donner, en prenant pour guides M. Malabari et ceux qui pensent comme lui.


AUGUSTIN FILON.

  1. Behramji M. Malabari, India in 1897.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Pramatha Nath Bose, A history of Hindu civilization under British rule. Vol. I et II, 1894 ; roi. III, 1896. Calcutta, London and Leipzig.
  5. Rao Saheb Mahipatram Rupram, A Manual of the history of India, 2e édit., Bombay, 1880.
  6. Sir Alfred Lyall, Rise of the British Dominion in India, 3e édit. London, 1893. Sir Robert Seeley, The Colonial Expansion of England, 2e part.
  7. H. M. Hyndman, The Bankruptey of India, 1886.
  8. Voir Bose, Hindu Civilization.
  9. Ramji, A Tragedy of the Famine. London, 1897.
  10. Dadabhai Naoroji, The Condition of India, Bombay, 1881.
  11. Pramatha Nath Bose, Hindu Civilization.
  12. Le chiffre des décès était de 20 pour 1 000, il y a trente-cinq ans. Il est monté graduellement à 34, 36, 38 et, dans certains districts, a atteint 42.
  13. R. M. Malabari, The Indian Problem. Bombay, 1894.
  14. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1892, Les Anglais en Birmanie : L’Administration, les lois, les fonctionnaires.
  15. India list and India office list, 1898.
  16. Dadabhai Naoroji, Admission of educated natives into the Indian Civil Service, Bombay, 1893.
  17. The Indian political estimate of M. Bhavnagri M. P. Or the Bhavnagri boom exposie. Bombay, 1897.
  18. Bose, Hindu Civilization.
  19. James Routledge, English Rule and Native Opinion. London, 1878.
  20. T. B. Pandian, Indian village folk. London. 1898.
  21. Sir W. Hunter est l’auteur du livre intitulé The Indian Empire, its people, history and products.
  22. B. M. Malabari, The Indian Problem.
  23. Report of the twelfth Indian national Congress held at Calcutta, 1896.
  24. Dayaram Gidumal, Life and Life work of Behramji M. Malabari. Bombay, 1888. Seconde édition anglaise, London (Fisher Unwin, 1892). Traduction française par D. Menant avec préface par M. J. Menant. Paris, 1898, Flammarion. — L’introduction que Mlle Menant a placée en tête de cette biographie l’achève et l’éclairé par une foule de détails précieux. On y retrouve ce talent sobre, cette informationnelle et sûre, ce jugement ferme et délicat qui ont recommandé au monde érudit et lettré l’Histoire des Parsis.