Aller au contenu

L’Instruction des enfants mentalement anormaux à l’étranger

La bibliothèque libre.
L’Instruction des enfants mentalement anormaux à l’étranger
Revue pédagogique, second semestre 190139 (p. 406-426).

L’Instruction des enfants
mentalement anormaux
à l’Étranger.

(Voyage d’étude en Allemagne et en Angleterre)
(1900-1901)

I. — Définition et classification.

Tous les maîtres ont vu se présenter dans leurs classes des enfants de 9, 10, 11 et même 12 ans, n’ayant jamais pu, à cause d’un état psychique défectueux, fréquenter aucun établissement d’instruction primaire, ou ne l’ayant fait qu’incidemment, par intervalles, sans en avoir, par suite, pu tirer aucun profit. La psychologie de ces enfants anormaux est variable à l’infini, elle se schématise en types absolument différents, et même opposés, types qui n’ont que ce point de commun, d’être pathologiques. Ce qu’on voit le plus fréquemment, ce sont des enfants à caractère autoritaire, violents, indisciplinés, se querellant avec tout le monde, insupportables dans une collectivité, rendant même la vie intolérable à leurs proches par leurs mauvais instincts, — Ou bien des apathiques, continuellement passifs et sans réaction. — D’autres sont des choréiques, des épileptiques, des névrosés, des instables, des impulsifs. — On apprend des parents que, après une première enfance souvent normale, ces enfants ont cessé vers l’âge de 6 ou 8 ans le plus souvent — plus tard aussi — de réaliser les progrès attendus. D’autres se sont au contraire montrés tels dès leurs premières années. Bref, on trouve communément que ces enfants paraissent plus jeunes que leur âge : ce qui est visible déjà à leur allure, à leurs fréquentations, à leurs jeux. Aussi désigne-t-on ces différents types — malgré leur diversité nosographique — sous le nom général d’arriérés (schwachbegabter et schwachsinniger des Allemands, mental deficient des Anglais, deficienti des Italiens).

On peut convenir de ne comprendre, sous cette dénomination d’arriérés, que ce qui répond aux degrés les moins avancés de l’état morbide nommé en psychiâtrie la dégénérescence mentale, c’est-à-dire :

1° Les dégénérés simples, où les facultés psychiques sont normalement développées, mais dans un défaut variable d’équilibre ;

2° Les débiles, qui sont d’un degré au-dessous dans l’échelle de l’intelligence ou de la morale ;

3° Les imbéciles, dont le développement est encore moins complet.

Mais il peut y avoir confusion. Ainsi les dégénérés tout à fait inférieurs, les idiots, sont aussi, bien entendu, des arriérés : ils le sont au degré le plus accentué, et leur étude relève de l’Assistance, non de la Pédagogie proprement dite. Or, dans le langage courant, on confond volontiers les mots idiot et arriéré — dont la signification, il faut le dire, n’est même pas encore absolument fixée en psychiâtrie, — au grand préjudice de la clarté de cette question. C’est pourquoi nous trouvons meilleur de nous servir du terme d’« Enfants mentalement anormaux » qui énonce le caractère pathologique sans indiquer l’impossibilité d’éducation. D’autant que certains de ces enfants mentalement anormaux ne sont nullement des arriérés, au sens strict.

La définition et la classification générale de ces dégénérescences étaient nécessaires. N’insistons pas sur leurs causes : elles sont du ressort de la psychiâtrie proprement dite. Nous les avons étudiées ailleurs[1]. Mentionnons, seulement, comme causes générales, l’hérédité ascendante — et surtout l’alcoolisme des parents, — et, comme cause déterminante, les maladies d’épuisement. Signalons aussi la part de la mauvaise éducation, par indifférence, malhabileté ou indignité du milieu familial, et l’influence toujours néfaste des grandes agglomérations urbaines modernes, de la licence de la presse, etc., causes de bien des dégénérescences acquises. D’ailleurs, la cause importe peu, pour l’instant. Il s’agit de savoir ce que, une fois mis en présence de l’enfant reconnu arriéré, on devra décider d’en faire. lei est la difficulté…

II. — Insuffisance de nos moyens actuels d’assistance et d’instruction.

Les plus attardés de ces enfants doivent être mis dans des groupements spéciaux, dits Asiles d’Idiots. Ainsi le département de la Seine, un des plus éclairés en cette matière, envoie ces enfants à Bicêtre, à la Salpétrière, à Vaucluse (Seine-et-Oise). Disons à ce propos que la création d’asiles de ce genre, où des écoles sont nécessairement ménagées, s’impose dans chaque département : il n’y en a pas un seul où il n’y ait au moins 300 enfants des deux sexes à qui s’adresse impérieusement ce mode d’assistance. Malheureusement, en France, nous sommes, déjà de ce côté, bien loin de compte, car bien des départements n’ont encore que des quartiers annexés aux grands asiles d’aliénés, et même, souvent, n’ont rien du tout.

Voilà pour les plus arriérés. Mais les autres, ceux qui sont moins compromis intellectuellement ou moralement, les dégénérés simples, les débiles, les imbéciles, seulement faibles d’esprit, ne sont nullement justiciables, pour la plupart, de ce mode d’assistance. On peut même affirmer que l’asile est souvent contre-indiqué pour eux, parce que le contact des idiots, crétins et imbéciles inéducables leur serait des plus préjudiciables.

Espérera-t-on, d’autre part, pouvoir les laisser chez eux ? On a étudié ce mode d’assistance qui consiste à les confier définitivement à leurs familles, avec un secours dit représentatif (plusieurs délibérations du Conseil général de la Seine). Mais c’est alors faire de l’assistance, non de l’éducation. C’est éluder l’instruction d’individus pouvant être instruits comme les autres, c’est presque ratifier leur déchéance mentale, car les familles sont le plus souvent ignorantes, et n’ont que trop de tendances à considérer ces enfants en retard comme des gêneurs, et à les traiter en parias, à moins, tout au contraire, qu’elles ne les « gâtent » démesurément, ce qui est d’ailleurs tout aussi mauvais. De plus, leur présence constante dans le milieu familial peut amener leurs frères ou sœurs — d’autant plus facilement qu’ils sont souvent aussi des dégénérés prédisposés — à imiter leurs mauvaises habitudes, à contracter leurs tics, etc. Enfin la vie semi-indépendante conduira facilement le petit malade aux habitudes de paresse et de débauche — auxquelles il n’est que trop enclin…

Pour des enfants de ce genre, il faut, de toute nécessité, l’École. Mais, dans ce cas, que deviennent-ils ? Comme nous l’avons dit, ils sont destinés à quitter l’école primaire, à peu près comme ils y sont entrés, avec le découragement en plus. En effet, les classes normales ont une population à peu près homogène au point de vue de l’âge, de la capacité… Tous les écoliers y ont des habitudes semblables (discipline, respect de l’ordre…). Les irréguliers détonnent dans ce milieu, autant par leur insuffisance cérébrale que par leurs défauts physiques. Leurs tics, leurs grimaces, les exposent aux risées des camarades ; leurs crises, leurs convulsions, survenant en pleine classe, les rendent bientôt insupportables aux maîtres. — S’il arrive cependant qu’ils ne sont pas un élément de désordre (c’est quelquefois le cas), ils font une obstruction constante au fonctionnement régulier de la classe. Le maître, ne pouvant, d’autre part, détourner pour eux seuls son attention des élèves normaux, ils ne ramassent que des bribes de son enseignement. Ils sont vite lassés et délaissés, jusqu’au jour où, avec l’insouciance des parents, le désir de vagabonder les rejette à la rue. Accessibles à toutes les suggestions, surtout les mauvaises, ils vont alors grossir le nombre des sans-travail, future clientèle des Bureaux de bienfaisance et des prisons.

III. — Statistique générale.

Pour bien fixer les idées, il est nécessaire de connaître le nombre proportionnel de ces enfants mentalement anormaux. On est tenté de croire, au premier abord, que les cas dont nous parlons sont tout à fait exceptionnels. Il n’en est rien. Nous allons donner des chiffres : chiffres provenant de statistiques étrangères, car en France aucune statistique de ce genre n’a encore été faite.

Voici d’abord une statistique d’origine médicale, c’est-à-dire portant sur un nombre déterminé d’enfants pris dans un milieu hospitalier, Dans le service du Dr Hendrix, à la Polyclinique de Bruxelles, il s’est présenté, de 1891 à 1897, 10 161 enfants au-dessous de treize ans : sur ce nombre, les Drs Daniel et De Moor, les psychiâtres bien connus, en ont trouvé 205 incapables, physiquement ou psychiquement, de suivre les cours d’une école ordinaire.

Mais voici des statistiques de pédagogues. Elles nous sont données par la Suisse.

À la demande d’un grand nombre de sociétés d’enseignement, un recensement général a été pratiqué, en 1897, dans les différents cantons helvétiques, par les soins du bureau des statistiques au département fédéral de l’Intérieur. On a dénombré les aveugles, sourds-muets, infirmes et faibles d’esprit. Voyons seulement ces derniers : ils s’élevaient au chiffre de 7 667, c’est-à-dire à la proportion de 16 sur 1 000 élèves normaux. Une statistique plus récente du canton de Zürich donne même le chiffre de 3 à 4 p. 100 (Fisler).

Et encore faut-il remarquer que ces chiffres sont toujours inférieurs à la réalité : ils ne tiennent compte, en effet, que des enfants des classes pauvres. Sans doute, dans les classes riches, moins exposées aux causes dégénératives de toutes sortes, le nombre des enfants psychiquement anormaux est relativement minime. Il y en a cependant. Mais on donne à l’enfant un maître spécial, et l’on tient la chose cachée, de manière à ne pas compromettre l’établissement des autres enfants, tant on a honte du petit déshérité !

Une autre conclusion intéressante de ces statistiques : c’est, en général, dans les classes de garçons que l’on a le plus souvent l’occasion de rencontrer des arriérés. Pour les filles, elles restent souvent dans leur famille, à aider au ménage, et échappent ainsi à tout contrôle. C’est pour cela que certains auteurs, en particulier le pédagogue américain bien connu, Monroë, élèvent jusqu’à 10 % le chiffre des anormaux des écoles.

Nous croyons, pour notre part, et d’après notre propre expérience, que ces chiffres suisses et américains sont quelque peu exagérés. Nous nous en tiendrons à la moyenne de 1 1/2 à 2 p. 100 (adoptée aussi par les statistiques anglaises). On voit que cette proportion, sans être considérable, est cependant très digne d’attention. Les enfants mentalement anormaux sont donc loin d’être exceptionnels. Nous resterons certainement très au-dessous de la vérité en affirmant qu’il y a, actuellement, en France, 50 000 enfants de ce genre — pour lesquels tout est à faire.

IV. — Organisation générale à l’étranger ;
classes et écoles spéciales.

Le problème de l’éducation de ces enfants anormaux est actuellement résolu de la manière la plus complète et la plus satisfaisante dans la plupart des États étrangers. La nécessité de les instruire en les tenant à part des autres, jointe à la possibilité de les grouper, a fait créer des classes spéciales (dites aussi classes annexes, parce qu’elles sont annexées aux écoles ordinaires), qui leur sont tout entières réservées. Cette organisation, relativement récente, est aujourd’hui définitivement et fortement constituée. — Aussi, depuis plusieurs années que nous nous occupons de cette question, nous sommes-nous décidés à aller l’étudier sur place, en Belgique, en Angleterre et en Allemagne. — Dans ce dernier pays, nous avons recueilli, tout récemment (avril 1901), de nombreuses indications. Comme c’est aussi en Allemagne que l’organisation est actuellement le plus perfectionnée, c’est là que nous allons l’étudier en premier lieu.

Familiarisons-nous, tout d’abord, avec les termes de Hilfklassen (classes auxiliaires) et de Nebenklassen (classes annexes), qui sont aujourd’hui classiques. Ils ont remplacé avantageusement les noms de schwachsinniger-schule (écoles pour faibles d’esprit) qui blessaient l’amour-propre de certaines familles.

Allemagne. — La première ville allemande où fut créée une Hilfklasse fut Dresde. C’était en 1867, sur la motion des professeurs Kern et Staetzner. Puis bientôt suivaient cet exemple : Géra (1871), Apolda (1877), et, en 1881, Brunschwig, à l’instigation du Dr Berkhan. En même temps, c’était Leipzig (1881), puis Dortmund (1883), Cologne (1886), Düsseldorff (1888), Lübeck, Aix-la-Chapelle (1888), Frankfort (1889). En 1897, il y avait déjà 43 villes ayant des classes annexes bien organisées ; on comptait à cette époque 4 281 enfants mentalement anormaux, répartis en 202 classes, et instruits par 225 maîtres. — Depuis, l’Allemagne a encore progressé : elle compte actuellement 30 villes à avoir cette institution fonctionnant d’une manière durable.

Le plan général d’organisation est de deux modalités différentes. Ou bien il s’agit de simples classes spéciales annexées à l’école communale (Gemeinde-schule). Ou bien ces classes sont groupées en véritables écoles autonomes, qui prennent le nom d’Hilfschule (écoles auxiliaires). Les villes ont choisi centre ces deux systèmes. Celui des Hilfklassen est, naturellement, celui des petites villes ; mais bien des petites villes, aussi, ont bâti de grandes écoles. Et, d’autre part, certains grands centres n’ont que des classes disséminées. On parle même, dans certaines villes, à Berlin par exemple, de l’avantage qu’il y aurait à réunir plusieurs de ces Hilfklassen et même des Hilfschulen en quelques grandes écoles-modèles, et le docteur Gerstenberg, Stadtschulrath à Berlin, est un des plus distingués partisans de ce projet.

Frankfort. — C’est à Frankfort que nous avons commencé la visite des classes allemandes. Là, il existe une véritable Hilfschule. Elle est située dans le vieux Gymnasial-Gebaüde de la Prediger Strasse, c’est-à-dire dans une des parties les plus populeuses du centre de la ville. Mais on est en train de construire une nouvelle école, à l’heure actuelle presque terminée : elle est située dans un des beaux quartiers de l’ouest de la ville, Hölderlinstrasse. Elle comprend un bâtiment pour le recteur et le personnel, un autre, plus grand, pour l’école proprement dite, avec trois étages, chacun comprenant trois belles classes, une salle d’attente, une chambre pour le maître.

L’école actuelle se compose de 6 classes, s’élevant en degrés de la 1re à la 6e.

Au début de 1900, 47 garçons et 55 filles étaient mis à la disposition de l’école (ce qui fait 1/2 p. 100 pour les 20 000 élèves environ des écoles primaires). Mais 43 enfants seulement étaient admis, parce que l’école auxiliaire ne reçoit que 20 à 25 enfants par classe, alors que l’école ordinaire en prend au maximum 60 pour les classes élémentaires, et 40 pour les classes supérieures. Nous trouvons ici cette limitation rigoureuse du nombre des élèves par classe, qui est absolument nécessaire. — Signalons aussi, à Frankfort, le mélange des sexes, que nous avons retrouvé aussi dans d’autres villes.

Donnons quelques statistiques.

Nombre d’élèves (en 1898) : 127 (74 garçons, 53 filles).

Répartition, suivant les classes : VI, 23 élèves ; V, 23 élèves ; IV, 22 élèves ; III, 27 élèves ; II, 19 élèves ; I, 13 élèves. Répartition, au point de vue confessionnel : protestants, 85 ; catholiques, 36 ; israélites, 5.

Chaque enfant a un bulletin sanitaire (Gesundheitschein) et une feuille individuelle (Personalbogen). Ces papiers accompagnent l’enfant dans toute sa scolarité. La feuille individuelle contient les observations de chaque maître, la date de naissance, celle de l’entrée, la cause du renvoi de l’école ordinaire, la durée du stage scolaire antérieur, les antécédents maladifs, les affections chroniques, les défauts physiques, la tare héréditaire éventuelle. Les parents sont interrogés méticuleusement sur tous ces points. De plus, deux colonnes plus grandes servent aux remarques journalières sur les progrès, l’application, les mutations de classes. Y sont mentionnées aussi les conditions de famille, l’influence, sur les enfants, des parents ou des tuteurs. — Le bulletin sanitaire est le même que celui qui est exigé lors de la réception des élèves nouveaux dans les écoles communales, à Frankfort et à Wiesbaden. Il fait mention de la taille, du poids, de la largeur de poitrine, des affections cutanées, des extrémités, de la colonne vertébrale, des yeux, oreilles, bouche, de la parole, etc.

La Hilfschule de Frankfort a, avons-nous dit, 6 classes, de sorte que l’enfant puisse être enseigné de huit à quatorze ans. Détail curieux : ce sont les mêmes maîtres qui suivent l’enfant, pendant cinq ans tout au moins, ce qui leur permet de le mieux connaître, ainsi que sa famille.

Cologne. — À Cologne, nous avons trouvé une organisation générale absolument semblable. Il y a 2 Hilfschule, dirigées chacune par un recteur, sous l’autorité de l’Inspecteur des écoles du département (Kreisschulinspektor), le Schulrath, docteur Brandenberg.

Dans l’école du Nord — celle que nous avons vue — il y a 3 classes pour chaque sexe (les sexes sont, ici, séparés). Dans l’école du Sud, il y en a 2. Chaque classe a de 22 à 30 élèves. Comme à Frankfort, chaque élève a un bulletin de santé et un bulletin individuel.

Nombre des élèves (en 1898) : 274 (143 garçons, 131 filles), de toutes les confessions.

Leipzig. — À Leipzig, nous avons trouvé une Hilfschule très complètement organisée, et qui publie un intéressant rapport, chaque année. C’est dans un même établissement — annexé à la 3e Bürgerschule (école municipale}, et dirigé par le docteur Richter — que les Hilfklassen au nombre de 14 sont groupées, en une Hilfschule. Il y a 14 maîtres, un par classe, et un chef d’atelier. Les enfants sont, comme ailleurs, classés, non d’après leur âge, mais d’après leur capacité. Il y a 5 degrés.

Le nombre des élèves, dans ces dernières années, est resté sensiblement le même : 204 (120 garçons, 84 filles). Sur ce chiffre : 39 (22 garçons, 17 filles) ont quitté l’école, à Pâques 1899, 29 simplement arrivés à la fin de leurs études, 4 emmenés par leurs parents au loin, 1 transféré dans une autre école auxiliaire, 1 à l’établissement de sourds-muets, et 4 incapables de tout progrès, rendus à leur famille ou mis dans des asiles d’idiots.

De plus, il existe au nord de la ville, deux Nebenklasse (28 élèves, dont 19 garçons et 9 filles), et dans la banlieue, à Plagwitz, trois (50 élèves, dont 36 garçons et 14 filles). Une nouvelle Nebenklasse vient d’être créée à Gohlis (annexée à la 20e Bezirksschule).

Statistique confessionnelle : 203 protestants, 2 israélites.

Garçons et filles sont mêlés, sauf pour les classes de gymnastique et de travaux manuels. Pour ces cours, on réunit d’ailleurs plusieurs classes du même sexe. Les élèves des 4 premières classes les mieux doués en musique et en chant, suivent, deux heures par semaine, des cours supplémentaires de chant, sous la conduite d’un maître.

On a institué, pour les enfants dont les parents sont occupés dans la journée, deux cours supplémentaires {les lundis et mercredis), où les enfants restent avec les maîtres, s’occupant sous leur direction des travaux qui leur plaisent le plus. 65 p. 100 des élèves se sont inscrits à ces cours.

Berlin. — À Berlin, il n’existe pas de Hilfschule, à proprement parler, mais des Hilfsklassen, annexes en plus ou moins grand nombre aux Gemeindeschule (écoles communales). Sur 250 écoles que compte la ville, il en est 52 qui ont de ces classes auxiliaires. Nous avons visité une de ces écoles, l’école n° 11, Georgen-Kirche Platz : elle compte 1 Nebenklasse pour 16 classes normales. Une autre, Rheinsbergerstrasse, en compte 5. Toutes ces écoles sont organisées sur le même modèle : ce sont des écoles primaires ordinaires.

Autres villes. — Citons encore, en Allemagne, comme dignes d’être visitées, les écoles de :

Hambourg : 4 écoles, composées respectivement de 4, 5, 4, 3 classes, 312 élèves ; Düsseldorf, 4 classes, 119 élèves ; Krefeld, 3 classes, 86 élèves ; Breslau, 10 classes, 205 élèves ; Dresde, 7 classes, 104 élèves ; Magdebourg, 7 classes, 173 élèves.

Ajoutons que la moyenne des élèves, dans chaque Hilfklasse allemande, est rigoureusement fixée. Une institution privée, universellement connue, celle de Sophienhöhe, près Iéna, en compte seulement 3 à 9. Par contre, les écoles de Brunschwig en ont de 34 à 42. — À Berlin, le chiffre admis est 12. — Mais la moyenne générale est de 18 à 20.

Recrutement des élèves. — Quant au recrutement des élèves des Hilfklassen, partout en Allemagne (comme d’ailleurs aussi en Norvège), il se fait parmi ceux qui ont suivi régulièrement les cours ordinaires de l’école pendant deux années, sans avoir fait aucun progrès. Mais une admission plus précoce est exceptionnellement tolérée. À Berlin, un élève de ce genre est signalé à l’inspecteur des écoles par le recteur. À Frankfort, c’est le maître qui informe la Schuldeputation. La nécessité de cette mutation est alors discutée en réunion par l’inspecteur des écoles, le recteur de l’endroit, et le maître, avec le concours d’un médecin officiellement désigné. Le Schulinspektor décide, après audition des parents ou tuteurs — qui sont toujours consultés — si l’enfant a réellement besoin des classes annexes (Berlin, article 2 du Règlement).

À la fin de chaque semestre, un rapport du maître à l’inspecteur des écoles conclut au maintien de l’enfant à l’école annexe ou à son envoi dans une école ordinaire. Après avoir, au besoin, observé l’enfant en classe, l’inspecteur décide (Berlin, article 5 du Règlement).

Grande-Bretagne. — L’organisation que nous avons étudiée en Angleterre, quoique moins minutieusement établie, est cependant aussi très complète. Le School Board for London (Conseil des écoles de Londres) s’est depuis longtemps occupé de cette question : il a constitué (1860-1891) une commission chargée d’étudier l’enseignement spécial de tous les anormaux (sourds-muets, aveugles, faibles d’esprit). Et, chaque année, les superintendants de chaque groupe spécial adressent à cette commission un rapport sur les classes dont ils sont chargés.

C’est en 1892 qu’ont été ouvertes les premières classes pour les enfants arriérés, à Londres.

D’après le règlement actuel, promulgué par le School Board, un nombre suffisant de classes doit leur être réservé dans chaque école. Un certain nombre de ces écoles, où existent 2, 3, 4, 5 classes spéciales, deviennent ainsi de véritables centres. Ces centres sont actuellement au nombre de 31. Trois ont été ouverts en 1892, — 4 en 1893, — 4 en 1894, — 6 en 1895, — 9 en 1896, — 5 en 1897.

Le nombre des places est de 2 126, dont 1 204 étaient occupées le 1er mai 1897.

Le maximum des élèves, pour un seul maître, est fixé à 20.

Les enfants à recevoir dans les classes auxiliaires sont désignés par le directeur des écoles élémentaires. Ils sont examinés ensuite par un médecin du School Board, notre distingué confrère et ami, M. Shuttleworth, et par le directeur des écoles spéciales.

L’ensemble de cette organisation est surveillée par une dame-inspectrice, qui est actuellement Mistress Burgwin. Elle a pour fonctions de visiter les écoles ordinaires, de s’y enquérir des enfants pouvant convenir aux classes annexes (qu’elle signale alors dans un rapport au School Board), et de diriger l’organisation générale des écoles-centres.

À part Londres, on peut citer, en Angleterre, comme dignes d’être visitées, les écoles de Leicester, les plus anciennes. Il y en a aussi de très modernes à Birmingham, Bolton, Bradford, Brighton, Bristol, Burnley, Bury, Nottingham et Plymouth.

Ajoutons que toute cette organisation anglaise a été provoquée par la recommandation de la commission royale pour l’instruction des anormaux « que les enfants arriérés doivent être séparés des écoliers ordinaires, et recevoir une instruction spéciale ».

Voyons maintenant, rapidement, ce que les autres pays ont fait, dans cette voie.

Suisse. — À la Suisse revient l’honneur de la création de la première école médico-pédagogique, fondée à Adensberg, en 1848. Aujourd’hui la Suisse, en plus de ses 10 asiles spéciaux, compte 41 classes auxiliaires.

Le nombre des enfants suivant ces classes est de 567 — sur 7 767 enfants arriérés ou faibles d’esprit : les autres enfants de cette catégorie étant placés dans des établissements spéciaux, ou des orphelinats, — ou même n’étant pas encore placés du tout (statistique de 1898).

Zürich est la ville qui compte le plus grand nombre de ces classes ; elle en a 9. Bâle en a 8 ; Berne, 4.

Cet important mouvement a succédé surtoutà la conférence de Zürich (1889), et aux conférences faites à l’occasion du centenaire de Pestalozzi (1896), en particulier celle de Lucerne.

D’autre part, nous avons dit que la Suisse avait une institution importante : le recensement annuel, ordonné par le conseil fédéral, de tous les enfants peu doués atteignant l’âge d’entrer à l’École.

Italie. — En Italie, après quelques essais disséminés et la création de l’École privée de Vercurago, près Bergame, s’est formée une ligue nationale de protection des Enfants arriérés. Le ministre de l’Instruction publique, le Pr Bacelli, recommandait, dans une lettre circulaire (1899), de la favoriser. En moins d’un an, on réussissait ainsi à fonder 14 comités provinciaux dont font partie des préfets, des maires, des présidents de province. Cette campagne a été renforcée par des conférences faites dans les principales villes.

Le Pr Tamburini a fondé, à Bologne, l’école de San-Giovanni ; le comité toscan, l’institut de Settignano, près Florence. À Gênes et à Rome se sont ouvertes plusieurs maisons de traitement et d’éducation, celle de Rome dirigée par le docteur de Sanctis, qui examine systématiquement ses jeunes malades sous les rapports anthropologiques, psychologiques et neurologiques. Les enfants y sont classés en imbéciles (3 degrés), et arriérés (tardivi).

Actuellement on organise à Rome un grand institut, dont les frais seront couverts par toute la province, et un autre à Milan, fondé par l’initiative des citoyens : des classes spéciales, en plus, à Parme, Turin, Milan, Gênes (1899).

On étudie aussi, au ministère de l’Instruction publique et dans les municipalités, le moyen de donner l’unité d’organisation à toutes ces fondations, et, en attendant, l’État rend obligatoire l’instruction primaire aux enfants arriérés (circulaires ministérielles aux préfets et aux autorités scolaires).

Belgique.— À Bruxelles s’est ouverte en 1890-1891 la première classe pour enfants arriérés (garçons) (directeur : M. de Wemel). L’école prospérant, bientôt une différenciation put y être faite : les infirmes, auxquels il est impossible d’apprendre les premiers éléments, la 2e section, où les élèves lisent quelque peu, la 3e section, où ils terminent, en quelque sorte, leurs études.

Mais on a fait mieux : en 1897 a été fondée une École d’Enseignement spéciale, où les élèves sont envoyés par les directeurs d’écoles, si, lors de leur entrée ou en cours de scolarité, ils présentent quelque chose d’anormal. À l’école spéciale, ils sont examinés par le directeur et par l’un des deux psychiâtres attachés à l’établissement, les docteurs Daniel, médecin en chef, le docteur Demoor, médecin adjoint.

On reçoit là : 1° les arriérés pédagogiques, qui, sans troubles psychiques, ont cependant fréquenté irrégulièrement les écoles ordinaires ; 2° les arriérés médicaux ; 3° les indisciplinés ; 4° les enfants présentant des troubles de la parole (bégaiement, balbutiement, blésité) qui rendent leur séjour à l’école primaire bien difficile.

Les arriérés à caractère passif sont séparés des turbulents indisciplinés.

Le personnel de l’École comprend : un directeur, une institutrice, dix instituteurs, un instituteur suppléant, une pianiste, une institutrice spéciale, donnant chaque semaine quelques leçons aux élèves les plus en retard.

Hollande. — Depuis 1896, il y a à Rotterdam une classe annexe.

À Amsterdam, c’est une école spéciale qui a été ouverte, le 1er mai 1899. Elle avait au début 3 classes, et tend à s’augmenter depuis. Elle a été fondée par la Société de Patronage des enfants arriérés et bègues, qui dispose, outre ses propres fonds, d’une subvention de 5 000 florins de la municipalité.

À y relever ceci de particulier que chaque élève peut être réuni à d’autres, des normaux, pour les différents cours. Danemark. — Il y a plusieurs classes auxiliaires, dont un certain nombre — représentant 230 élèves — dépend des établissements du docteur Keller.

Norvège. — Les classes spéciales y ont été établies dans ces 20 dernières années. Il y en a une à Bergen. La Hilfschule de Christania est plus universellement connue. Elle comprend 24 classes — avec 304 élèves (statistique de 1897).

États-Unis. — Aux États-Unis, les instituts pour enfants anormaux sont nombreux : 200 environ, dont la plus grande part, 173, est soutenue par les fonds des États respectifs. Citons la Calefornia-Home, Santa Clara (California), — l’Indiana School, Richmund (Indiana), — la Kentucky Institution, à Frankfort (Kentucky) la Fount Hill Privat Institution, près d’Ellicott City (Maryland), la Privat Institution, à Barr (Massachussets), — la Wulbur Home and School, à Kalamazoo (Michigan), la Nebraska Institution, à Béatrice (Nébraska), — l’Ohio Institution, à Columbus {Ohio}, — la Pennsylvania Training School à Elwyn (Pennsylvania), — l’Iowa Institution, à Gleenwood (lowa), — la Font-Hill Private Institution, à Ellicote City (M. J), les Massachussets Schools, à South Boston (Mass.), les Minnesota Schools, à Faribault (Minn.), etc.

Les frais annuels d’entretien et d’instruction des enfants anormaux, aux États-Unis, s’élèvent à environ 37 millions de francs.

Australie. — En Australie, une institution privée a été établie à Melbourne, et le docteur Stawell a demandé tout récemment, à l’Association Australienne pour l’avancement des Sciences, l’établissement d’une école publique à Victoria.

Japon. — Une école spéciale a été récemment ouverte à Tokio, par les soins de M. R. O-Suga.

V. — Programmes d’Études.

Il est certains points sur lesquels notre attention a été attirée par MM. les Recteurs, lors de notre visite aux Hilfschulen allemandes, et intéressants à relater ici. En particulier, l’emploi du temps, les programmes d’études.

Pour cette question, il doit y avoir, on le comprend, des règles spéciales aux écoles ou classes auxiliaires. Car, au point de vue pédagogique général, les enfants mentalement anormaux présentent un certain nombre de caractères communs, notamment l’inatténtion, la fatigue intellectuelle rapide, la compréhension lente, marques du manque d’évolution normale des centres d’association, — sans parler des troubles psychiques résultant ou du manque de développement ou, simplement, du peu d’affinité d’un ou de plusieurs organes sensoriels. Ce qu’il faut développer, surtout, dans tous les cas, c’est la gymnastique des sens. On y arrive par l’enseignement concret, les leçons de choses, au sens propre du terme. Il faut, bien entendu, pour cela, utiliser les aptitudes spéciales. Les notions concrètes une fois établies, on éveille alors progressivement les facultés de raisonnement et d’abstraction. C’est la méthode générale. Elle doit être appliquée — c’est le secret du succès, — avec une très grande douceur, des encouragements, une stimulation incessante de l’amour-propre. Nous avons vu les maîtres allemands, en particulier, s’adonner à cette tâche avec une véritable foi.

Pour ce qui est du programme lui-même, dans certains endroits, Londres par exemple, la plus grande liberté est laissée à chaque maître. On lui demande d’arriver à instruire l’enfant, — le faisant seul juge des procédés applicables à chaque cas.

Partout ailleurs, il y a, au contraire, une détermination exacte des heures de travail, et de leur attribution.

Signalons, comme modèle, le tableau indiqué par Demoor et Daniel, psychiâtres de l’école de Bruxelles.

Éducation scientifique, 6 heures : Calcul mental et écrit, 4 heures ; Syst. métrique, 1 heure ; Formes géométriques, 1 heure. Éducation esthétique, #4 heures : Chant, 1 h. 1/2 ; Dessin, 1 h. 1/2 ; Dessin géométrique, 1 heure.

Éducation littéraire, civique et morale, 7 h. : Lecture et Récits, 3 heures ; Instruction et Langue, 1 h. 1/2 ; Deuxième langue, 1 h. 1/2.

Voici comment les cours sont organisés : ils durent de 8 h. 1/2 à 11 h. 1/2 et de 1 h. 1/2 à 4 heures, dans la journée. Ce qui fait 5 h. 1/2 par jour. Le jeudi, il y a congé tout l’après-midi.

Chaque demi-journée est coupée d’une récréation qui dure vingt minutes, — de manière à prévenir tout surmenage, et à maintenir l’attention en éveil, dans les meilleures conditions possibles.

Dans les écoles de Frankfort et de Leipzig, on enseigne surtout la langue maternelle, la religion, l’histoire, l’histoire naturelle. Les leçons de choses, les exercices manuels, le traitement des vices de la parole figurent aussi en première place. Le règlement des cours recommande aussi le chant, le jeu, les exercices en liberté, et la brièveté des devoirs qui doivent être faits à la maison. — Les punitions sont réduites au minimum.

Il y a, à la Hilfschule de Leipzig, trente heures de classe par semaine. — À Frankfort, il en va autrement pour les différentes classes. Les classes I, Il, III, ont 26 heures. Les classes IV et V, 24. La classe VI, 22.

Chaque heure de classe est suivie de 10 à 15 minutes de repos.

À Francfort — comme à Leipzig — en toutes les classes l’enseignement est donné simultanément sur les mêmes matières, de sorte que l’enfant, suivant sa disposition, peut être désigné pour une classe inférieure ou plus élevée.

À la Hilfschule de Cologne, le nombre des heures d’études est de 26.

À Berlin, — où existe — ne l’oublions pas — le système des classes annexes, — l’instruction comprend seulement, en règle générale, 12 heures par semaine, soit en moyenne 2 par jour. Les matières au programme sont les mêmes qu’à Frankfort, Leipzig, Cologne. Les leçons de choses sont particulièrement recommandées. D’ailleurs, le plan d’études est proposé par le recteur de chaque école et soumis à l’approbation du Schulinspektor. — Mais, de plus, les enfants des classes annexes, en dehors de leurs heures d’étude ordinaires, prennent part à quelques exercices de l’école primaire commune (sur proposition du maître et après avis du Schulinspektor), de préférence pour les leçons de calcul, le chant, la gymnastique.

Dans toutes les écoles allemandes, on développe beaucoup le chant. Il est enseigné dès le début, méthodiquement. On choisit tout autant les chants doux et graves que les enflammés, patriotiques. On réunit le plus souvent plusieurs classes, pour l’ensemble. C’est un excellent exercice pour le développement de la sensibilité et de l’’émotivité chez les anormaux, et ils y prennent un très grand plaisir.

Pour la lecture, on emploie les méthodes phonétiques ou de syllabation : chaque Hilfklasse a, pour cela, d’ingénieux appareils, qui se rapprochent de nos cartons syllabateurs.

On associe très ingénieusement la lecture à l’écriture, c’est-à-dire le travail des mains aux exercices de l’ouïe et de la vue. De plus, chaque mot est une petite leçon de choses, ce qui lui communique quelque variété, par conséquent quelque attrait.

Les opérations d’arithmétique se font avec des bâtonnets, des figures géométriques, ou sont ramenés à des exercices pratiques empruntés aux usages de la vie.

Partout en Allemagne nous avons été frappés de l’importance donnée aux leçons de choses, où l’élève peut toucher du doigt, manier les objets dont on lui parle : cet enseignement — utile entre tous — se fait à propos de tout. Il serait trop long d’énumérer les appareils plus ou moins ingénieux qui servent à ces démonstrations : des dessins de toutes sortes, des tableaux, des jouets, jouets coûteux parfois, et compliqués, démontables. Par exemple des poupées, des chariots avec cocher, chevaux, marchandises diverses dont on apprend le nom, la forme, l’emploi, des cuisines miniatures, etc.

On cherche également beaucoup à développer les facultés d orientation. Pour cela, fréquemment, des promenades sont organisées à la campagne, ou à la ville même (à Leipzig en particulier). À Berlin, plusieurs recteurs ont insisté devant nous sur la portée de cet enseignement.

Toutes ces leçons, essentiellement pratiques, sont aussi celles qui permettent le mieux d’apprécier les aptitudes spéciales des élèves et de les mettre à même d’en profiter, quand il s’agira pour eux de gagner leur vie (travaux de ferme, jardinage…).

Les statistiques montrent, en effet, que 72 p. 100 des élèves sortis de ces classes sont en état de gagner leur vie. Le reste, nécessairement, ou va aux asiles d’arriérés, ou tombe à la charge de l’Assistance publique.

Statistique des enfants sortis des Hilfschulen.
1898
-
En état
de gagner leur vie.
-
À moitié
en état.
-
Incapables
de gagner leur vie.
-
Nombre total
d’élèves.
-
Cologne
152
20
15
274
Frankfort
la plupart
-
10
127
Düsseldorf
090
09
05
119
Dresde
114
57
29
204

VI. — Personnel enseignant.

Si les élèves des classes auxiliaires offrent, à un point de vue très général, des caractères communs dont on peut s’inspirer pour la détermination d’un programme, il n’en est pas moins vrai que chaque enfant mentalement anormal présente, en réalité, sa particularité psychologique : chaque maître doit, avant tout, la connaître, s’il veut arriver à « prendre » l’enfant comme il le faut. Or, une pareille investigation psychologique n’est pas à la portée du premier venu, si intelligent qu’il soit. Le psychisme des enfants arriérés forme bien réellement toute une science. Déméler si un écolier inattentif l’est par paresse ou par instabilité nerveuse, apprécier les défauts d’équilibre du jugement et du raisonnement, juger de la morbidité des écarts d’imagination, se rendre un compte exact de l’état de faiblesse des facultés sensibles et sensorielles, est toujours une tâche délicate. Il faut y être préparé par un enseignement spécial. Bien des punitions ne risqueront plus, ainsi, de s’égarer en venant frapper des enfants en réalité malades ou infirmes. Et inversement, des dissipés et des pervertis à punir n’échapperont pas à leur punition à la faveur d’un doute habilement jeté dans l’esprit du maître sur leur normal équilibre cérébral. La pédagogie des arriérés marche de pair avec la connaissance de leur psychologie, — souvent assez complexe.

C’est ce qu’on a compris à l’étranger, et partout l’on a créé des cours spéciaux, sanctionnés par des diplômes, pour l’enseignement des enfants anormaux {arriérés, bègues…). L’Angleterre, l’Allemagne, la Norvège, la Belgique, ont des institutions de ce genre ; depuis 1899, Rome aussi compte un cours spécial pour cet enseignement.

Notons aussi que, presque partout, c’est l’élite des professeurs que l’on charge de cette tâche délicate. Ce serait, en effet, une singulière manière de comprendre l’instruction des enfants mentalement anormaux que de prétendre y voir un débouché pour des maîtres ayant échoué autre part. Plus que partout ailleurs, on doit ici exiger d’eux le bon sens, la bonne volonté, et la patience.

Naturellement, ces maîtres doivent être payés davantage, en proportion de la difficulté de leur travail.

À Londres, le salaire des institutrices des Classes Auxiliaires est celui des maîtresses assistantes dans les écoles ordinaires, plus 10 livres sterling (250 francs) pendant la première année ; cette somme est portée à 15 livres sterling (375 francs) par an, les années suivantes.

La nomination est faite à la suite d’un examen, pour un an. Elle est renouvelée. Elle est, au bout de 5 ans, sujette à revision, pour que les maîtresses puissent, si elles le veulent, passer dans les écoles ordinaires.

L’organisation allemande est autre. À Berlin, l’instituteur d’arriérés est choisi parmi les maîtres titulaires des écoles, sur proposition du Schulinspektor, par la Schuldeputation (ou conseil supérieur des écoles). Il reçoit le traitement ordinaire, plus 300 marks par an. Pas de retraite. — Il doit donner, ses classes annexes finies, quelques heures de travail supplémentaire dans les classes d’élèves ordinaires, jusqu’à 24 heures en tout par semaine. — Les institutrices ne doivent pas être mariées.

À Leipzig, le recteur de la Hilfschule touche 300 marks en plus. Chaque maître, 200. — La Hilfschule recevant des bègues (dans la proportion de 3 p. 100 environ), les maîtres sont choisis de préférence parmi ceux qui ont suivi les cours du célèbre laryngologiste berlinois, Gutzmann.

À Frankfort, le recteur de la Hilfschule a un supplément de 500 marks. Un des maîtres en a 300. Un autre des maîtres, et 3 maîtresses, 200 seulement.

À la Hilfschule de Cologne, recteur et maîtres ont, comme supplément, 300 marks.

Les instituteurs et institutrices de l’école spéciale de Bruxelles ont, de même, une gratification annuelle de 100 francs.

VII. — Conclusions.

Nous espérons que, chez nous aussi, l’on finira par comprendre que les enfants faibles d’esprit ont droit, comme les enfants normaux, à l’instruction. Ils y ont même plus droit encore, s’il est possible, puisque la lutte pour l’existence les trouve dans une situation d’infériorité marquée, et qu’ils sont ainsi parmi ceux que tout État, toute démocratie en particulier, doit avoir surtout à cœur de relever et de fortifier. La société a d’ailleurs, à cela, un intérêt de premier ordre. Car élever ces enfants en dignité, c’est aussi, pratiquement, les mettre à même de gagner leur vie plus tard : c’est aussi, en attendant, diminuer un peu cette criminalité juvénile, qui fait des progrès si inquiétants. Pour arriver à ce but, les classes spéciales, mieux encore, les écoles spéciales, sont un puissant moyen. Car, nous le répétons, un grand nombre d’arriérés et de déséquilibrés sont justiciables de ces écoles, et ne sont justiciables que d’elles. Même, dans certains cas où il pourrait y avoir hésitation entre l’internement dans un asile et la mise dans un établissement d’instruction, c’est encore à ce dernier moyen que l’on devra donner la préférence. Laisser, en effet, le faible d’esprit au milieu des siens tout en lui assurant l’externat scolaire, charger l’instituteur de cette tâche, délicate et humaine entre toutes, de régler, par des conseils discrets, des encouragements incessants, l’attitude, souvent injuste et pleine de préjugés, de son entourage, c’est lui assurer à la fois ces deux précieux avantages : l’instruction et l’éducation appropriées, et la conservation de la vie de famille, qui, intelligemment entendue, n’est pas moins nécessaire à son relèvement.

Dans cette voie, il ne reste plus à la France, patrie des Séguin, des Itard, des Bourneville, ouvrière de la première heure pour tant d’œuvres d’instruction publique et d’assistance, qu’à imiter ce qu’ont fait les autres pays d’Europe. Il faut rattraper le temps perdu. En présence de l’impuissance, compréhensible, de l’initiative privée, au-dessus des atermoiements des villes, que l’État prenne la cause en main. Qu’il décide d’abord, en principe, que les faibles d’esprit, les débiles intellectuels et moraux, auront droit à recevoir — pendant un nombre d’années et suivant des conditions à déterminer — un enseignement spécial, décrété obligatoire.

Dr Manheimer Gommès
Chef de clinique des maladies mentales à la Faculté de Paris,
Médecin adjoint des asiles.

  1. Les Troubles mentaux de l’Enfance, précis de Psychiâtrie avec les applications pédagogiques et médico-légales. — (Préface de M. le Professeur Joffroy.) — 1 vol., Paris, Soc. Éd. Scient, 1899.