L’Islam (Landrieux)/Les trompe-l’œil de l’Islam

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Lethielleux (p. 1).



I
LES TROMPE-L’OEIL
DE
L’ISLAM





L’Islamisme est une création géniale de l’enfer.

C’est une religion et une politique, plus encore peut-être une politique qu’une religion, en ce sens que Mahomet a fait de sa religion un appui pour sa politique.

C’est une législation fondue dans une théologie, un gouvernement soudé à un sacerdoce ; un ensemble d’institutions, de rites et de croyances qui ont constitué l’armature du monde musulman.

C’est une religion d’une certaine envergure, mais hybride, bâtie d’abord sur le Monothéisme, dogme fondamental de la religion d’Abraham, avec des matériaux disparates et déformés, extraits pêle-mêle de l’Évangile et surtout de la Bible, dans l’espoir d’attirer les Juifs et les Chrétiens, mixture singulière, synthèse mal venue des religions en présence et en conflit, qui apportait aux races orientales, mystiques, paresseuses et sensuelles, avec une dogmatique très simplifiée, une morale aisée sans contrainte.

Mahomet, mauvais berger, fit mine de conduire les âmes à Dieu, pour les en détourner plus sûrement. Il se présenta comme Envoyé par Dieu, pour achever l’œuvre d’Abraham, de Moyse et de Jésus, en réconciliant dans l’Islam, les Juifs et les Chrétiens.

Vains appels, qui n’eurent pas plus d’écho dans un camp que dans l’autre : d’où la haine de Mahomet contre la Synagogue et contre l’Église, rancune de son orgueil déçu.

L’Islam, qui marquait un progrès sur la religion attardée des Arabes, trouva quelque crédit chez les indigènes. Il apparut à ces descendants d’Ismaël comme un legs lointain d’Abraham, avec le prestige et la magie de son nom. Il s’est imposé à eux par l’autorité et la séduction d’une grande idée politique et religieuse.

Les princes eurent intérêt à le soutenir parce qu’il leur mettait en mains, par la concentration des deux pouvoirs, un merveilleux instrument de domination. Et les grands coups de sabre ont singulièrement accéléré la conversion de leurs sujets.


Comme un grand fleuve boueux qui charrie quelques paillettes d’or, l’Islam ne vaut que pour autant qu’il reflète la Bible.

Son Évangile, le Koran, est un recueil indigeste et décousu des oracles de Mahomet, rédigé non par le Prophète, qui ne savait pas écrire, mais, plus tard, par ses disciples.

Il se compose de 6632 versets répartis en chapitres qu’on appelle les Sourates et alignés, sans critique aucune, d’après leur dimension, en commençant par les plus longs, pour finir par les plus courts.

Il renferme, sous un amas confus de sentences incohérentes et creuses, de contes burlesques, d’invectives violentes ou puériles, avec des longueurs fastidieuses et des redites sans fin, des préceptes utilitaires, de sages leçons et quelques belles images calquées sur la Bible. Mais encore ces récits bibliques y sont-ils mutilés et dénaturés. « Les grandes figures de l’Histoire Sainte, écrit M. de Voguë, dont chacun de nous retrouve les silhouettes colossales gravées au fond de sa mémoire par les leçons de sa mère, y sont réduites aux proportions des personnages de contes de fées ».

On a relevé, dans le Koran, 255 contradictions qui mettent fort en peine les exégètes musulmans.

Telle est la Religion qui tient encore courbés, sous son joug de fer, plus de 200 millions d’êtres humains.

C’est une manie, qui pourrait bien être un mot d’ordre, de réhabiliter toutes les religions fausses à mesure qu’on s’acharne à déprécier le catholicisme.

Cette tactique habile fait des dupes jusque dans nos rangs.

On accueille, dans les milieux catholiques, avec la même complaisance, la même crédulité déplorable et naïve, toutes les critiques, même les pires, contre l’Église, la nôtre, et toutes les apologies, toutes les tirades ronflantes et admiratives en faveur des autres.

On s’imagine que de prêter ainsi une oreille facile aux reproches que nous font nos adversaires et aux éloges qu’ils se donnent, c’est faire preuve d’une grande largeur d’esprit.

L’Islam, comme le Protestantisme, comme le Bouddhisme, a bénéficié de cette étrange mentalité.

Que de livres écrits sous cette impression, par des hommes très sincères, mais trop confiants, qui se sont laissés prendre aux trompe-l’œil de l’Islam.

Naguère, à Alger, à Tunis, au Congrès des Orientalistes, au Congrès de l’Afrique du Nord, on applaudissait encore ces apologistes de l’Islam, dont la thèse est un défi au bon sens et à l’Histoire : La Tolérance dans l’Islam.

Ici, on vante la loyauté, la bonne foi de Mahomet. Là, on essaie de réhabiliter la morale du Koran. Ailleurs, on s’extasie devant la piété des musulmans.

Ces jugements ont-ils quelque fondement ?

Regardons-y d’un peu plus près.

Voyons d’abord ce que vaut la piété des musulmans ; ce que pèse la morale de l’Islam ; ce qu’enseigne le Koran sur la tolérance.

Nous tirerons ensuite des conclusions sur les conséquences de la politique française en pays musulmans.


I


La piété chez les Musulmans.


J’ai été comme tout le monde frappé par les démonstrations publiques de la foi des Musulmans. Généralement, cette foi est profonde, elle est sincère.

Le chant des Muezzins appelant les croyants à la prière, dans le silence profond des nuits d’Orient, m’a toujours impressionné.

La prière dans les mosquées ne m’a jamais paru un spectacle banal. Un soir surtout, à Tlemcen, j’ai été vivement ému, en voyant une masse compacte de 2000 Arabes rangés côte à côte, dans un ordre parfait, les riches mêlés aux pauvres, sans distinction de classes, sans privilèges, pour faire ensemble, avec les prostrations liturgiques, la prière officielle. Et mon émotion allait presque aux larmes, car je voyais plus loin, je voyais autre chose. En entendant ces hommes réciter, avec une telle dignité, ces prières dont chaque verset enveloppe, sous des mots de respect, une erreur ou un blasphème, je songeais à tant de catholiques qui, chez nous, ne prient jamais.

Et pendant que les burnous blancs se prosternaient lentement sur les tapis épais, pendant que ce chœur d’hommes, à l’unisson des voix, grave comme la psalmodie des moines au fond d’un cloître, roulait son écho sonore sous les voûtes basses de cette mosquée, plus vide et plus froide qu’un temple protestant, une vision lointaine attristait ma pensée : le tabernacle solitaire, nos églises de France désertes et silencieuses !

Une autre fois, — c’était à Lagouat — aux premières lueurs de l’aube, vers quatre heures du matin, je me sentis bercé dans mon sommeil par une mélodie lointaine qui semblait tomber du ciel sur la ville endormie. Des voix isolées modulaient un chant plaintif et grave auquel d’autres voix, bientôt, répondirent. Peu à peu, le nombre s’accrut des voix mystérieuses et le choral s’enfla, entraîné par une voix au timbre plus aigu qui tombait de plus haut et les dominait toutes ; et, bientôt, ce fut le chœur puissant d’une cité tout entière qui priait, dans la nuit.

C’est entendu, ils ont de la religion. Mais leur religion est toute concentrée sur cette grande idée de Dieu que Mahomet a empruntée à notre Bible et à notre Évangile.

Ils ont de la foi. Ils adorent et ils prient.

Mais c’est tout.

Rien qui corresponde à ce que nous appelons la piété, la religion du cœur, la religion intérieure, la vie surnaturelle.

Leur religion a toute son expression dans la pratique extérieure, dans le formalisme cultuel, dans le geste liturgique.

Ils n’ont pas même su conserver intacte cette croyance au vrai Dieu, d’où l’Islam tire toute sa grandeur. Ils l’ont défigurée. La formule qui l’exprime : « Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est le Prophète de Dieu ! » est la négation de la Trinité plus encore que l’affirmation de l’unité de Dieu. Et là-dessus, ils ont entassé un monceau de fables et de superstitions.

Ils prient. Mais ils ne prient pas comme nous prions.

Leur prière s’absorbe dans la louange ; c’est l’écrasement de l’âme dans l’adoration du Tout-Puissant, plutôt que l’élévation de l’âme dans l’amour, le cri filial vers le Père qui est au Ciel.

Ils prient. Mais leur prière tout en formules est encerclée dans un réseau étroit, aux mailles serrées, de minutieuses prescriptions, méthodiques, sèches et brutales comme la théorie militaire. On dirait que le souci d’occuper le corps l’emporte sur la préoccupation d’intéresser l’âme : 109 règles spéciales sur les conditions externes de la prière : purifications à faire, orientation à observer, distractions à éviter, attitude à prendre, agencement du vêtement, etc. ; 101 sur les heures de la prière ; 165 sur l’appel à la prière...[1].

Ils prient. Mais ils ne connaissent pas ce sentiment profond de piété intime qui recueille, qui isole, qui cherche l’ombre, la solitude et le silence.

Chose étrange ! Ces gens-là qui enveloppent leur vie privée d’un mystère impénétrable, étalent au grand jour leurs dévotions. Ils ont le respect humain à rebours.

Un arabe, un turc, béat, inerte, assis devant sa porte, sans penser à rien, se mettra à marmotter une prière, il égrènera son chapelet si quelqu’un, n’importe qui, vient à passer.

J’ai voyagé, toute une semaine, en diligence, avec des Mozabites. Aux relais, ils descendaient, s’éloignaient de dix pas à peine, s’installaient bien en évidence et faisaient leur prière. Mais ils remontaient en voiture avec de la terre au front qu’ils n’essuyaient qu’après, pour qu’on sache et qu’on voie que leurs prostrations avaient été profondes.

Dans le M’Zab, sur les places publiques, en plein marché, il y a une estrade fixe en maçonnerie, d’un mètre ou deux de hauteur, qu’on appelle la M’Salla et qui sert à la prière : les dévots y montent, un par un, quelquefois deux, pour faire, coram populo, parade de leur religion.

Leur Rhamadan qui parait si rude et qui l’est en effet pour ceux qui travaillent, n’est pas non plus ce que, de loin, il parait être. Il se réduit, en définitive, à une simple transposition des heures de repas, grâce aux deux ou trois festins dont les pénitents de Mahomet agrémentent, la nuit, leur abstinence légale.

Car, si l’abstinence doit être absolue, du lever au coucher du soleil, au point que les plus fervents, avec une rigidité d’observance puérile et pharisaïque, évitent d’avaler leur salive, il est loisible, et c’est d’usage universel, de faire joyeusement la noce depuis le soir jusqu’au matin. Les nuits de Rhamadan sont des nuits de fête. Les marchés regorgent. C’est le mois où l’on mange le plus. En sorte que, à bien prendre les choses, leur fameux Carême n’était, au temps de Mahomet, surtout en Orient, qu’une atténuation très sensible du Carême chrétien d’autrefois, qui durait six semaines, ne comportait qu’un seul repas, le soir, toujours maigre, et ne connaissait pas ces reprises nocturnes.

Que dire encore de ces étranges confréries de derviches, d’Aïssaouas surtout, que penser de ces mystiques acrobates, énergumènes et déments, qui ont la prétention d’incarner, dans leurs rites sauvages et burlesques, l’ascèse de l’Islam ?

Jamais, nulle part, l’effort de l’âme pour s’abstraire, pour s’évader de la chair, pour s’enlever, pour aller à Dieu, n’a ravalé l’homme plus bas, dans l’ignominie, au niveau de la bête.

J’ai lu leurs prières. Il en est de puériles. Il y en a dont la formule, au moins, ne déparerait pas nos eucologes. Mais, comme rien chez eux ne peut être simple, ils les répètent cent fois, mille fois, jusqu’à dix mille fois de suite, scandées par le charivari de l’orchestre.

Après ces interminables psalmodies, noyées dans un nuage épais d’encens, qui avaient commencé graves et dignes d’abord, comme une prière de moines, pour s’achever en hurlements, dans un vacarme assourdissant de tambourins, de fifres et de cymbales, les Aïssaouas s’animent, s’échauffent, s’entraînent à balancer violemment la tête en avant, en arrière, au rythme accéléré de l’infernale musique. Ils se montent à un degré de surexcitation, d’ivresse, de frénésie qui va jusqu’à la convulsion épileptique.

Alors, de l’allure bestiale des fous furieux, marquant machinalement la mesure, du balancement de leur tête, les yeux injectés, la bave aux lèvres, toujours hurlant le nom d’Allah, ils s’approchent du Mokkadem impassible, beau vieillard à barbe blanche, qui leur fait avaler, dans une sorte de communion satanique, des scorpions vivants.

Puis, par bonds, comme des fauves, ils s’en vont décrocher à une panoplie d’énormes broches que j’ai eues en mains, que j’ai palpées et retournées dans tous les sens et qui ne sont pas truquées. Ils s’en transpercent les joues, les bras, les jambes. Ils se les enfoncent même à travers le ventre.

A Kairouan, le Mokkadem qui nous avait placés tout près de lui, le Père D. et moi, par déférence, nous fit amener comme on amène une bête, sur ses quatre pattes, un de ces malheureux, pris dans le tas, qui s’était perforé ainsi les deux joues et aux flancs duquel pendaient deux lames plantées à vif dans les chairs.

J’ai mesuré, avec mes doigts, pour me rendre bien compte, la distance du coin de la bouche au trou de la broche : il s’était réellement transpercé de part en part et la plaie ne saignait pas.

Quand le sabbat a assez duré, on les traîne, les uns après les autres, aux pieds du Mokkadem, ou bien ils y viennent d’eux-mêmes. Il les prend, un par un, la tête sur ses genoux, les caresse doucement, se penche sur eux, leur murmure à l’oreille quelques formules de prière ; puis, d’un geste lent, il retire les broches ; et c’est fini. Ils sont remis sur pied, ils reprennent leurs sens.

Ils franchissent la porte et se retrouvent, comme tout le monde, perdus, résorbés dans le mouvement de la rue.

Une autre fois, à Bizerte, au sortir d’une séance analogue, je voulus faire dire à un Musulman intelligent, instruit, qui nous recevait chez lui, sa pensée sur ces singuliers ascètes que le peuple vénère comme des saints et qu’il appelait, lui, du moins devant nous, des fous.

— Est-ce sérieux ? Y a-t-il des dessous, un tour de main, une duperie quelconque ?

— Sérieux ? bien sûr, dit-il. Mais Allah ne demande pas cela. Ce sont des fous !

Et il se hâta d’aiguiller la conversation sur un autre sujet.

Un quart d’heure plus tard, j’y revins, en le pressant tellement qu’il ne put éluder l’indiscrète question.

— « Que veux-tu ? Quand des hommes sont saints et qu’ils prient bien, peut-on jamais savoir ce qu’Allah fera pour eux ! »

Lui aussi, au fond, pensait comme les autres, il canonisait ces extatiques à face de possédés.


II


La Morale de Mahomet


Tout est comme cela, chez eux, dans ce pays de mirage. De loin, sous les feux éblouissants du soleil, c’est merveilleux ! De près, l’illusion tombe et la réalité désenchante.

Autant ils affichent leurs pratiques religieuses, autant ils dissimulent leur vie intime. Car ce formalisme religieux, aux rites solennels, au geste hiératique, n’est qu’une belle façade derrière laquelle se meut à l’aise une morale facile, élargie à plaisir pour qu’on puisse y loger, sans trop de honte, toutes ces voluptés qu’ailleurs on appelle des vices.

L’Évangile a bien dit : « Celui qui fait le mal n’aime pas la lumière du jour ».

La maison arabe, la maison musulmane plutôt, est triste, maussade, d’aspect hostile et sournois : pas de fenêtres sur la rue, ou bien elles sont aveuglées par les moucharabiehs et munies de grilles solides ; la porte basse et massive est toujours close ; elle fait l’effet d’une porte de prison. On l’entr’ouvre à peine pour entrer ou sortir et l’œil le plus indiscret n’arrive même pas à jeter, en passant, un regard furtif sur la cour. Il se heurte tout de suite à un mur qui fait écran.

La polygamie, simultanée ou successive, ravale la femme au tout dernier rang de l’échelle sociale. Achetée, vendue, renvoyée, elle ne compte pas. Adulée ou piétinée, toujours méprisée, elle est la chose du maître, avilie sous les caresses, tout autant que sous les coups, petite bête de luxe avec laquelle on joue, bête de somme qu’on exploite et qu’on rejette dès qu’elle est hors d’usage.

La polygamie, pour ce motif utilitaire, est appréciée chez les Arabes terriens des Ksours. Ils ont autant de femmes qu’ils en peuvent nourrir : ce sont des bras qui travaillent et qui ne coûtent pas cher. J’ai vu, en Orient, de pauvres femmes attelées à la charrue avec l’âne et traitées comme lui ; c’est tout dire, car, l’orient, c’est l’enfer des ânes.

Et cette claustration étroite, ces voiles épais, cet ensemble d’observances rigides et d’implacables sanctions qui répriment les moindres écarts, tout cela donne la mesure de la confiance que ces gens-là ont dans la vertu les uns des autres.

En Kabylie, les femmes, qui paraissent jouir d’une liberté relative, ne sortent jamais seules. Elles vont généralement par groupes, et quand parfois vous en croisez quelqu’une, dans un sentier, qui paraît isolée, un œil aux aguets quelque part la surveille. Leur corvée quotidienne, c’est de descendre aux fontaines, fort éloignées bien souvent, pour y puiser l’eau du ménage : il y a des chemins qui leur sont affectés, où les hommes ne s’aventurent pas.

Il est à remarquer que ces réserves ne visent pas seulement les étrangers, mais tout homme quel qu’il soit. Le voisin ignore tout de la vie intime et familiale de son voisin. Le frère ne connaît pas la femme de son frère. On se voit entre hommes ; on traite les affaires, à la boutique qui est toujours éloignée de la maison, au bazar, ou au marché. Les rares visites que les hommes se font entre eux sont reçues au divan, l’unique pièce accessible, à proximité de la porte.

A Ghardaia, à Ouargla, les terrasses des maisons sont entourées d’un mur qui monte à près de deux mètres, pour empêcher que l’œil ne plonge dans la maison du voisin. Malgré cela, quand un homme veut monter sur sa propre terrasse, il est encore obligé d’avertir tout le voisinage, par un cri convenu, pour que les femmes qui seraient sur les terrasses d’alentour aient le temps de disparaître.

Même à Constantinople, où la vie moderne a pris possession de la rue, où les turcs s’évadent tant qu’ils le peuvent du moule oriental, à Constantinople, en 1912, après la révolution émancipatrice, un effendi ne rentrera pas chez lui si sa femme reçoit la visite d’une autre femme.

Le Mozabite a toujours à la main, quand il sort, une énorme clef, rattachée par une courroie à son poignet ; cela veut dire : « Je suis dehors, mais ma femme est en sûreté ».

On ne fera croire à personne que ce luxe de précautions soit un argument en faveur de la vertu des Musulmans.

Non pas que tous soient nécessairement débauchés au sens où nous l’entendons, nous autres, car tels et tels actes que nous qualifions vices, sont chez eux parfaitement légitimes, puisque Mahomet a très habilement allégé le Décalogue des préceptes gênants, le VIe et le IXe, en écornant fortement les autres.

Toutes ces belles qualités de droiture, d’équité, de proverbiale fidélité à la foi jurée, qu’on prête si libéralement aux Musulmans sont surfaites, comme tout le reste.

Le vol chez eux est passé à l’état d’industrie : l’Arabe est « chapardeur ». Le mensonge est pour eux un besoin. Ils mentent même lorsque c’est inutile, autorisés d’ailleurs par le Koran, qui n’y voit aucun mal s’il s’agit de tromper sa femme ou de tromper le Roumi. Quant au parjure, il ne déshonore pas son homme : il n’y a pas de pays où l’on puisse se procurer aussi aisément de faux témoins et à si bon compte.

Il faut dire qu’on y regarde de plus près entre soi qu’avec l’étranger ; que la morale est plus serrée de croyant à croyant et qu’il se rencontre tout de même d’honnêtes Musulmans qui valent mieux que leur religion, mieux surtout que Mahomet[2].

J’ai noté ce propos recueilli à Constantinople, de la bouche d’un turc très haut placé, homme intègre qui eut jadis un rôle important dans le Gouvernement et dont je tairai le nom : « Il est difficile, disait-il, d’être honnête en observant le Koran ».

Ils ont grand air et ils en imposent : voilà la vérité. Le pharisaïsme n’est pas mort : il s’est fait musulman.

On ne peut nier que cette belle façade ne dissimule de profondes misères et que ce monde-là ne soit pourri. Les conversations entre hommes, avant, après la prière, entre deux prières, sont des conversations de corps de garde. Les vices honteux sont fréquents et précoces, en pays musulmans.

Les croyants sont sincères, au moins dans le peuple, mais la religion, chez eux, ne s’identifie pas avec la vie morale : elle est superposée, elle est parallèle : c’est un trompe-l’œil, c’est du pharisaïsme : « sépulcres blanchis, pleins de corruption ! »

Et puis, c’est si commode, quand on a vagabondé hors du droit chemin musulman, si large, si coulant ; quand tout de même on a péché, c’est si facile ! On fait quelques ablutions et il n’y paraît plus. Point n’est besoin de profonde componction, ni de pénibles aveux : un peu d’eau sur la peau et la conscience est purifiée.

Je les ai vus et longuement observés, dans les mosquées, aux fontaines des ablutions, où trois ou quatre à la fois se purifient, pendant que les autres attendent patiemment leur tour.

Tout est prévu, ordonnancé ; pas un geste qui soit spontané. On doit commencer par la main droite, monter jusqu’au coude par trois fois, puis la gauche ; après, c’est le pied droit jusqu’à la cheville, ensuite l’autre ; enfin le visage, les oreilles, les yeux, le nez, la bouche, la tête, méthodiquement. Alors on est pur comme un ange. On s’ébroue un moment, on quitte ses sandales, quand on en a, et l’on s’installe sur les nattes pour y faire sa prière. Les mots en sont comptés et le rite se décompose en quelques mouvements toujours identiques, nets et précis comme un exercice militaire, la Rekâa.

Qu’importent les rechutes ! Il suffit d’être pur au moment de la prière ; et, pour être pur, on se repurifie avec l’eau de la fontaine.

Et pour aller au ciel, il est nécessaire, et, c’est assez, de prononcer la formule, la Chahada en levant l’index, avant que de mourir. Aussi, un bon Musulman ne risque jamais sa peau sans faire le geste sacré, le Chahed, en récitant la formule.

J’ai rencontré, dans la région de Ouargla, une équipe de R’tas, ces fameux cureurs de puits, groupés en confrérie, qui sont voués à l’entretien des vieux puits artésiens dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

Le R’tas se bouche le nez et les oreilles avec du coton huilé. Il se fait descendre, par une corde lestée d’une grosse pierre, dans le puits souvent très profond. Il y reste un temps qui n’en finit pas, quatre, cinq et six minutes ! Sur un signal, on le remonte. Il reparaît transi, grelottant, avec un petit couffin rempli de vase et de cailloux ; et, pendant qu’il se réchauffe à la flamme d’un grand feu, un autre descend pour ramener un second couffin de boue. Et c’est ainsi du matin jusqu’au soir, tout le long de l’année.

Or, ce métier est dangereux et je voyais ces hommes faire scrupuleusement le geste sacré avant chaque plongée.

C’était, après ce bras rigide, après cette main levée, cet index tendu vers le ciel qui s’enfonçait le dernier sous l’eau.

Que si pourtant on manque son coup, eh bien, ce n’est qu’ajourné, on y arrive tout de même : l’Enfer n’est éternel que pour les Roumis.

Nous sommes loin, très loin, du sentier aride et épineux, tout jalonné de croix, qui aboutit à la porte étroite du Ciel de l’Évangile. Mahomet nous a changé tout cela.

Comment, avec une doctrine aussi large, une religion si accommodante, si complaisante, la morale, telle que nous l’entendons, tiendrait-elle debout ?

Comment, le frein une fois cassé, des tempéraments humains, des natures orientales surtout, ne seraient-elles pas entrainées par la fougue des passions débridées ?

Alors, pour que tout de même l’état social soit possible, on a donné du jeu aux passions.

A voir leur nombre et la place qui leur est faite dans la cité, on dirait que les courtisanes, même celles de bas étage, sont reconnues d’utilité publique.

Elles vont et viennent librement, mêlées à la vie de tout le monde, parées comme des reines de comédie, la tête haute, sans être autrement méprisées ni tenues à l’écart. C’est une profession qui n’est pas décriée comme elle l’est en pays chrétiens ; à tel point que, dans les fêtes publiques, elles sont admises comme telles ; elles y figurent d’office.

A Ghardaia, dans une grande course de chameaux organisée par l’autorité militaire française, quelque chose comme le concours hippique, je vois encore ces filles, bercées dans leurs riches bassours qu’empanachaient des plumes d’autruche, se promener, aux pas dolents de leurs chameaux, aux tout premiers rangs de l’assistance.

La polygamie, qui laisse à chacun de la marge à son foyer, est une sauvegarde pour tous.

Ce régime farouche de réclusion et de surveillance des femmes, qui trahit l’insécurité du milieu et la défiance mutuelle, prévient bien des scandales. L’hypocrisie des mœurs cache les autres et la crainte du fusil, du poison ou du poignard supplée à la vertu.

On m’a montré, en Kabylie, un vieillard, implacable justicier, sur le front duquel l’exécution tragique de sa propre fille, un drame à la Brutus, avait mis une sorte d’auréole.

La fille coupable doit dénoncer son séducteur ; c’est la loi. Celle-là restait muette. Le père, lassé d’attendre, convoqua un jour tout le village pour les funérailles de son enfant vivante. Sur le bord de la fosse, il lui passa au cou un lacet et lui fit une suprême sommation. Elle se tut. Stoïquement, il l’étrangla, aidé par ses fils, et l’on procéda, sur le champ, avec les rites accoutumés, à la cérémonie funèbre.

Tout homme convaincu d’avoir adressé la parole à une femme qui n’est pas la sienne est puni d’amende et banni pour deux ans.

On comprend qu’avec des étançons de ce calibre on arrive tout de même à faire tenir debout, à peu près, le vieux précepte mosaïque : « Tu ne prendras pas la femme de ton prochain ! »

S’il nous fallait un argument de plus pour confondre la morale de l’Islam, l’immorale conception du ciel musulman nous le fournirait.

D’abord, c’est un ciel tout arabe ; et cela seul trahit la fabrique humaine.

Une religion divine, ou qui se croit telle, ne peut pas ne pas prétendre à l’universalité. Elle doit convenir, non pas à un pays, à une race, mais à l’humanité ; non pas à un groupe d’hommes, mais à tous les hommes, sauf, comme le catholicisme, à se plier, dans les formes secondaires du rite, au tempérament des différents peuples.

Mahomet, arabe, en plein pays arabe, n’a pas su voir plus loin ni plus haut que l’horizon arabe : il a bâti son ciel pour les Arabes, avec des matériaux arabes.

Il suffit pour s’en convaincre d’avoir vu de près ce monde-là.

L’idée qu’on se fait du bonheur dépend, plus souvent qu’on ne le pense, par contraste, soit de la souffrance ou de la peine du moment : on serait heureux de se chauffer lorsqu’on a froid, de se reposer quand on est fatigué, de manger lorsqu’on a faim ; ou bien encore de la convoitise, de la passion satisfaites.

Or l’Arabe, l’homme du désert, nomade perpétuel, sans patrie, sans foyer, qui s’en va de campement en campement, à travers les solitudes arides, mornes, hostiles, brûlées de soleil, l’Arabe qui vit de rien, qui ne boit que l’eau saumâtre des puits ou l’eau amère et tiède de sa gherba, l’Arabe soupire après l’ombre épaisse des bois, après les sources fraîches de l’oasis ; et c’est fête pour lui quand une réjouissance quelconque le ramène en face d’un bon festin.

Ces festins, les Diffa, sont des festins de Pantagruel. On y sert des monceaux de viande, des bêtes entières, moutons, chamelons rôtis tout d’une pièce. Les convives en sortent repus pour huit jours.

Enfin, l’arabe est sensuel ; et, quand il monte dans le Nord, à Biskra, à Constantine, à Tunis, il court les mauvais lieux, les quartiers mal famés où pullulent les cafés maures, les danseuses, les courtisanes et les petits théâtres obscènes. Car cette gravité solennelle, de rêveur et non d’ascète, n’a que l’épaisseur du burnous ; et ce pardessus cache un noceur plutôt qu’un mystique.

Le Paradis de Mahomet n’est qu’un amalgame de ces trois éléments : l’oasis, la Difa et les Houris, qui sont les Almées de l’autre monde[3].

C’est un jardin de délices, une oasis merveilleuse, avec des palais splendides, un luxe éblouissant, — car l’arabe aime le faste, les bijoux, les parfums ; — et l’on y trouve accumulées toutes les jouissances, et les plus sensuelles, que la volupté peut rêver.

Le Koran, dont les descriptions sont déjà très matérielles, est encore assez discret sur ce chapitre délicat, bien que les traductions atténuent singulièrement la crudité des termes arabes.

Le ciel qu’il laisse entrevoir a encore une certaine tenue ; il n’en étale pas trop cyniquement les turpitudes[4] ; mais les commentateurs et les théologiens de l’Islam n’ont pas eu la même réserve. Ils ont accumulé, sur les données laconiques du Livre, des extravagances et d’audacieuses franchises que nos oreilles ne supportent pas.

Tantôt c’est du Rabelais, et du pire, et nous n’en parlerons pas. Tantôt, c’est du Boccace, de l’Hoffmann, et du plus fantastique : en voici quelques échantillons :

« Les arbres de l’oasis sont énormes, un cavalier n’en ferait pas le tour en galopant toute sa vie[5] ».

« Les arbres sont en émeraude, leurs branches s’abaissent d’elles-mêmes à portée de la main pour que les élus puissent, sans effort, en cueillir les fruits[6] ».

« Le fameux arbre Touba, qui ressemble au noyer, donne du raisin dont les grappes sont si grandes qu’un corbeau, qui marcherait tout un mois, n’en atteindrait pas le bout[7].

« Il y aura des chevaux superbes, ailés, sellés de pierres précieuses, qui n’auront ni crottin, ni urine[8].

Le Koran dit : « qu’on mangera pour la seule jouissance » (xix, 63) ; il parle « de viandes abondantes (lii, 22), de la chair délicieuse des oiseaux (lvi, 21), des vins exquis, qui ne donneront ni maux de tête ni étourdissements » (Ibid., 17-18 — xliii, 72 — lxxvi, 15, 25) de bon vieux vin bouché : « ils boiront d’un vin exquis et scellé, le cachet sera de musc » (lxxxiii, 25).

La plume des commentateurs est autrement prolixe : « Chaque élu a son palais ; chaque palais a 70 pavillons de jacynthe rouge ; chaque pavillon, 70 chambres d’émeraude verte ; dans chaque chambre, 70 tables de plusieurs kilomètres de longueur ; sur chaque table, 70 plats différents ; et Allah donnera à chaque croyant la capacité de les manger tous, en un seul repas. »

« Chaque homme aura la force de cent hommes, pour manger.

« Après le banquet d’Allah, il y aura le banquet de Mahomet qui durera 5000 ans, puis celui d’Abou-Beker qui durera 24.000 ans, ensuite celui d’Omar, 12.000 ans, etc…

« On leur servira des oiseaux gros comme des chameaux dont la seule vue fera venir l’eau à la bouche. L’élu s’écriera : que sa chair doit être succulente ! et aussitôt l’oiseau tombera devant lui, cuit, bouilli ou rôti, selon son goût. Il le mangera, n’en laissant que les os, et l’oiseau ressuscitera et reprendra son vol ».

« L’élu sera préservé des inconvénients de la digestion. »[9].

Il y en a comme cela des pages et des pages, avec un luxe invraisemblable de détails puérils, bizarres et grossiers. C’est du délire et de la folie, de la folie malsaine, car le chapitre des Houris dépasse encore tout ce que l’imagination la plus dévergondée peut inventer : la béatitude céleste n’est qu’une noce grossière, une débauche éternelle, l’apothéose éhontée de l’instinct, de l’instinct inférieur qui ne dépasse pas le niveau de l’estomac.

La vision de Dieu ne paraît pas peser bien lourd dans les conceptions mystiques de l’Islam. Le Koran ne semble la concéder que pour une fois. Certains docteurs pensent que les élus verront Dieu pendant 300 ans d’abord, puis, tous les vendredis ; et, comme il faut toujours un faux pli, une grimace, une note étrange et niaise, « Dieu se montrera aux élus dans un bloc immense de camphre blanc »[10].

L’extravagance, la puérilité, le manque d’harmonie, l’incohérence, voilà bien le trait caractéristique des œuvres diaboliques.

Cette tare d’excentricité et d’obscénité, qu’il n’est plus possible de dissimuler depuis que le monde musulman ouvre ses fenêtres, ou plutôt depuis qu’on a forcé sa porte, jette le discrédit sur l’Islam.

Les esprits clairvoyants, les hommes de bon sens, s’en rendent bien compte. Ils sont embarrassés de leurs croyances enfantines, étriquées, mal charpentées, malvenues.

J’ai recueilli l’aveu de ce malaise au cours d’une entrevue qu’un ami m’avait ménagée avec quelques professeurs d’une Université musulmane, leurs Docteurs en Sorbonne.

Ils m’ont dit qu’il ne fallait pas juger l’Islam d’après la mentalité étroite et superstitieuse du peuple, que la religion avait perdu sa pureté primitive et qu’ils travaillaient, eux, dans leur enseignement, à dégager la vraie doctrine, des légendes et des fables qui la défigurent, superfétations dont Mahomet n’est pas responsable et qui viennent des théologiens et des commentateurs. Ils prétendent que les descriptions réalistes et sensuelles du paradis musulman doivent s’entendre dans un sens tout mystique.

Bref, ils sont modernistes.

Ils renient leurs traditions et leurs théologiens ; et, à force de rogner et d’épurer, à force de jeter du lest, ils feront de la doctrine de l’Islam, déjà si maigre et si pauvre, une petite chose encore plus vide, plus confuse et plus vague, trop éthérée pour le peuple, trop chétive et trop creuse pour ceux qui réfléchissent et qui pensent.

Ils ont beau dire et beau faire, l’Islam n’a pas les reins assez solides pour supporter une réforme. Le jour où il ne pourra plus être ce qu’il est aujourd’hui, il ne sera plus rien.

Il a vécu de vols et d’emprunts. S’il a pu, de loin, faire quelque illusion, il le doit à la grande idée monothéiste qui lui sert de façade et à trois ou quatre préceptes moraux dont Mahomet a trouvé la formule dans la Bible ou dans l’Évangile.

Quant à son apport personnel, il est tout en incohérence et en immoralité, pour aboutir, en définitive, à cette étrange conclusion d’offrir le vice comme suprême récompense de la vertu.

Si donc la piété ne vaut pas grand’chose, la morale assurément ne pèse pas lourd.

J’ai sous les yeux la lettre d’un professeur de l’Université, la nôtre, qui a passé de longues années, à titre de précepteur, dans les milieux musulmans du nord de l’Afrique, et j’y lis cet aveu : « J’ai connu de très belles âmes chez les catholiques, chez les protestants aussi, et même chez les juifs. Je n’en ai pas rencontré chez les mahométans ».


III


La tolérance dans l’Islam


Les musulmans ont toujours eu, sur ce point, mauvais renom. Le fameux « Crois ou meurs ! » est resté dans l’histoire comme la caractéristique de l’apostolat musulman.

Aujourd’hui, on rencontre des gens qui parlent, à pleine bouche, de la tolérance de l’Islam et qui alignent quelques versets du Koran à l’appui de leur dire ; car il y a, en effet, dans le Koran, des maximes de tolérance :

« Prêche les hommes, ne les commande pas avec violence » (lxxxviii, 22). — « Ton ministère se borne à la prédication ». — (xiii, 40. xxxv, 21). — « Souffre les infidèles avec patience » (86, 17). — « Ne leur nuis point » (xxxiii, 47). — « Aie pour eux de l’indulgence » (v, 16). — « Ne faites pas violence aux hommes à cause de leur religion » (ii, 257).

Il y a autre chose aussi dans le Koran :

« Mettez à mort les idolâtres partout où vous les rencontrerez » (ix, 5). — « Tuez-les partout où vous les trouverez » (iv, 93) ; car « L’idolâtrie est pire que le meurtre » (ii, 187). — « Faites-en un grand carnage » (xlvii, 4). « Si le sort des armes les fait tomber en ton pouvoir, effraie, par leur supplice, ceux qui les suivent » (viii, 59). — « Lorsque vous attaquez, soyez inébranlables (viii, 47). — « Ceux qui combattent ont leur récompense assurée auprès de Dieu » (ii, 274). — « Si vous refusez de marcher, redoutez les vengeances divines : les supplices attendent tous ceux qui reculent » (xlviii, 16) ; etc., etc. Enfin et surtout, la Sourate IXe tout entière, la Sourate du Sabre, consacrée à la Guerre sainte, qui compte 130 versets.

Les arguments, les textes, à première vue, ne manquent donc pas pour soutenir l’une et l’autre thèse.

Mais, ce qu’on ignore généralement et ce que les musulmans se gardent bien de dire, c’est qu’il y a, dans le Koran, des versets supprimés, mis de côté, non avenus, qui ne comptent plus.

Une maxime arabe nous fournirait la clef du problème : « Si tu es piquet, patiente ! Si tu es maillet, frappe ! »

Tout le secret de la politique musulmane à l’égard des Roumis est là. Il serait aisé d’en faire la preuve, siècle par siècle, l’histoire en main.

Mahomet a connu ces deux positions.

Il a été piquet, à La Mecque, pendant les premiers temps, puis maillet, à Médine.

A La Mecque, on ne l’écoute pas, on lui tourne le dos : il est humble, timide, hésitant. Pour amadouer ses adversaires, il fait le bon apôtre, il file doux, il est tolérant, il s’en tient à la persuasion, à la prédication.

Mais, sitôt qu’à Médine il se sent appuyé, à mesure que son prestige s’affirme, il reprend confiance ; il jette le masque ; il parle en maître ; il est violent, intransigeant ; il devient agressif, contre les Arabes récalcitrants de La Mecque qui l’ont méprisé, contre les Juifs qui ont repoussé ses avances, contre les chrétiens qui résistent.

Il a donc eu deux manières. Mais la vraie, c’est la seconde. Et si l’on veut démêler, dans le fouillis des oracles musulmans, sa pensée profonde, la loi directrice qu’il entend laisser à ses disciples, il faut la chercher dans la IXe Sourate, la Sourate du Sabre, la dernière en date, qui renferme son testament politique et religieux : la haine du roumi, la lutte sanglante, inexorable, la Guerre sainte qui s’impose à tout musulman comme le plus sacré des devoirs.

Plus tard, ces hésitations du début, ces fluctuations que les circonstances lui avaient imposées et qui n’étaient que le reflet de ses embarras successifs, devinrent gênantes. Il essaya de se couvrir, pour sauver la face, par une révélation. C’était son grand moyen, et il s’en servait même pour rétablir la paix dans son ménage (lxvi, 8), et modérer un peu la coquetterie exagérée de ses femmes (xxxiii, 33).

Il mit sur le compte de Dieu ses contradictions : « Si nous changeons un verset du Koran, est-il écrit à la XVIe Sourate, verset 103, Dieu sait ce qu’il fait ». Et ailleurs : « Nous n’abrogeons aucun verset sans le remplacer par un autre meilleur » (ii, 100).

C’était poser le principe des abrogations, dont les commentateurs ont précisé les règles.

Il y a, dans le Koran, 207 versets, qui figurent toujours dans le texte, mais qui sont abrogés par 93 autres. Le 5e Verset de la IXe Sourate : « Tuez-les tous, partout où vous les trouverez. » en abroge à lui seul 124.

Or, ce sont précisément tous les versets de tolérance, toutes ces maximes pacifistes qui sont abrogées ; et, voici, formulé en termes très clairs, le principe général : Chaque fois qu’il est dit à Mahomet : « Éloigne-toi d’eux, ne leur fais pas violence ! » Chaque fois qu’il lui est ordonné de supporter avec patience Juifs et Chrétiens, ces versets là sont abrogés par la IXe Sourate[11].

Le droit musulman s’inspire de cette doctrine et déclare :

Art. 245 : « La guerre sainte est l’état normal du musulman ».

Art. 246 : « L’état de guerre doit être considéré au point de vue individuel et au point de vue international : Au point de vue individuel, tout infidèle est virtuellement livré aux musulmans. Au point de vue international, la guerre sainte est une guerre d’extermination de tous les apostats arabes ou idolâtres qui ne se convertiraient point à l’Islam, puis, des Chrétiens et des Juifs qui refuseraient de se soumettre au joug musulman et de payer tribut ».

Il est à remarquer qu’il y a là une distinction. Pour les Arabes récalcitrants : Crois ou meurs !

Pour les Juifs et les Chrétiens : Crois, paye, ou meurs !

La guerre sainte est un devoir strict pour tout musulman valide. Quels que soient les textes des traités, la paix n’est jamais qu’une trêve.

Que l’on ne croie pas qu’il s’agit ici de doctrines surannées : tout cela est enseigné couramment dans les universités musulmanes, du Caire à Damas, partout, même à Tunis, et, à notre barbe, en Algérie ; cela est écrit dans les livres musulmans qui sont réédités tous les jours.

De fait, en pratique, la terre se divise en pays d’Islam (Dar-el-Islam) et en pays de guerre (Dar-el-Narb).

Les pays d’Islam sont de trois sortes : les musulmans ; les non musulmans soumis, mêlés aux musulmans, sur les terres musulmanes ; les non musulmans soumis, mais hors des territoires musulmans, et gouvernés par leurs propres chefs, tributaires du Sultan.

Les pays de guerre comprennent d’abord les nations qui n’ont pas de traité et avec lesquelles l’état de guerre est, en principe, permanent ; puis les nations qui ont des traités et vis-à-vis desquelles il y a trêve provisoire.

En terre musulmane, les non musulmans (Dimmi) spécialement les chrétiens, paieront un tribut, la capitation, (ix, 29) et on leur imposera, pour les humilier, « l’obligation de porter eux-mêmes leur argent chez l’émir, qui les recevra assis, leur donnera un coup de poing sur la tête et les fera chasser ensuite par ses gens ».

On ne tolèrera leur culte qu’aux dures conditions réglées par le Pacte d’Omar :

1° Interdiction de construire de nouvelles églises, et de réparer les anciennes.

2° Libre accès des églises et des monastères aux musulmans. Obligation de les y accueillir et de les y hospitaliser comme en caravansérail.

3° Défense d’ériger ou de montrer des croix en public.

4° Sonneries de cloches seulement tolérées, pourvu qu’elles soient très discrètes. — Enterrements, sans chant dans la rue.

5° Obligation de traiter les musulmans avec honneur, de se lever en leur présence, de s’effacer dans les rues pour les laisser passer.

6° Défense de porter le costume musulman et d’enfreindre les lois somptuaires sur le vêtement.

7° Interdiction du cheval ; et, sur les mulets et les ânes, pas de selles : « Ils s’y tiendront assis d’un côté, sans monter jamais en cavalier, et ils mettront pied à terre chaque fois qu’ils rencontreront un musulman ».

8° Leurs maisons ne prendront pas jour sur les maisons musulmanes.

9° Complication et restriction du droit de propriété.

J’entends l’objection : « Mais qui donc aujourd’hui songe encore au pacte d’Omar ? »

Dans les temps modernes, il semblerait, en effet, qu’un souffle de tolérance, en dépit des doctrines, ait passé sur l’Islam, et j’ai entendu le Pape Léon XIII, en 1893, dire à un ambassadeur qui lui apportait solennellement les vœux et les présents du Sultan : « Plût à Dieu que la Sainte Église obtienne, des gouvernements catholiques, la liberté que lui laisse le Sultan dans ses États ! »

Rappelons-nous le proverbe arabe : « Si tu es piquet, patiente ; si tu es maillet, frappe ! »

Il y a bel âge que les gloires du Padischah sont éclipsées. Le Sultan, qui s’effondre aujourd’hui sous les coups des Bulgares, n’était déjà plus, en ce temps-là, que l’ombre de lui-même. On ne disait point tout haut « il n’a ni armée qui compte, ni marine qui vaille, » car on se le figurait moins malade encore qu’il n’était et l’ombre hautaine de Guillaume II masquait sa misère. En réalité, il ne tenait debout qu’épaulé, à contre cœur, par la jalousie mutuelle des Puissances. Pas une ne se risquait à y toucher, crainte des autres, mais le Grand-Turc n’était plus qu’un mannequin entre les mains de l’Europe.

C’est donc moins à son bon vouloir qu’à cette rivalité d’influences diplomatiques qui pesaient sur la politique de l’Islam, que l’Église devait, en Turquie, sa liberté.

L’Algérie est colonie française ; la Tunisie est sous le protectorat français, et la crainte salutaire des baïonnettes et des canons maintient le cimeterre des croyants au fourreau.

Le piquet patiente, mais on sent bien tout de même que le maillet s’impatiente, prêt à prendre sa revanche sur les Francs de Charles Martel et sur les petits-fils des Croisés.

Jusqu’à 1830, les Maures et les Sarrazins, les pirates des côtes barbaresques étaient la terreur de l’Europe méridionale. Les bagnes de Tunis et d’Alger regorgeaient de chrétiens captifs.

Les massacres de Patras et de Chio, en 1822, ceux de Damas, en 1860, ne sont pas oubliés : vingt fois ils ont failli se renouveler ; j’ai recueilli là-bas, au Liban, sur place, dans les Consulats, en 1908, des faits qui ne laissent aucun doute : l’ordre était donné ; il s’en est fallu de rien qu’il ne fût exécuté.

Les Arméniens ont été égorgés en masse, en tas, pêle-mêle, avec des raffinements de cruauté inouïs, sur un signe du sultan-rouge. Le compte de ces hécatombes est effrayant : 200.000, au bas mot, en 1896 ; 30.000 en 1909 ! Sans compter les milliers de jeunes filles enlevées par troupeaux, qu’on n’a jamais revues, proie prélevée par le vice sur le carnage, réservée à des drames de honte et de sang, dans le mystère des harems musulmans où elles ont dû abjurer, subir, ou mourir. Car, dans ces accès de frénésie qui n’ont rien d’humain, la bête se réveille dans le Turc, assoiffée de sang et de luxure.

Les mutilations féroces dont furent victimes les prisonniers italiens, en Tripolitaine, et nos soldats, au Maroc, sont d’hier.

Ce sont des procédés pareils, des assassinats, des viols et des atrocités sans nom qui ont exaspéré les chrétiens des Balkans. Et les journaux, tous les matins, nous apportent, avec le récit des tueries sauvages et lâches qui marquent, du sang des femmes et des enfants, les étapes de l’Islam en déroute, l’écho sinistre des appels à la Guerre sainte qui tiennent en alerte le monde musulman tout entier.

Non, non, qu’on ne s’y méprenne point, la tolérance n’est pas, chez eux, un principe : ce n’est qu’un procédé, une attitude du moment, une tactique prudente en face du plus fort.

L’intolérance est un dogme. La Guerre sainte est un devoir.

Le musulman n’est tolérant que quand les événements l’y obligent.

Lorsqu’il est le plus faible et qu’il ne peut faire autrement, il dissimule et il attend ; mais, sous la cendre, le feu couve toujours : « Baise la main de ton ennemi, en attendant que tu puisses la mordre ! »

  1. En voici quelques échantillons :
      Pendant la prière, on ne doit jamais cracher à droite, mais à gauche, et, si c’est à la Mosquée, dans le pan de son manteau. — Il ne faut pas courir pour aller à la prière. — On entre du pied droit, à la Mosquée ; on sort du pied gauche. — C’est un péché de ne pas bien s’aligner dans le rang. — Il doit y avoir contact avec les voisins, d’épaule à épaule et de pied à pied. — Le dos doit être horizontal pendant l’inclination. — Sept parties osseuses du corps doivent toucher le sol : le front, les deux mains, les deux genoux, les deux pieds. — Le nez également, même s’il y a de la boue, etc.
      Cf. El BOKARI. Les traditions islamiques. — Traduction Houdas. Édit. in-4* publiée par l’École des langues orientales vivantes. Paris, 1903. T. 1, p. 154, 157, 207, 243, 264, 271.
  2. Mahomet a eu 30 femmes. Il a pris Aïtcha à 9 ans. Il a forcé son beau-frère Saïd à divorcer pour lui prendre sa femme.
  3. Cf. Koran. Sourate xxxi. 7 — lxxxviii. 10 — lvi, 12.
  4. Le Koran : S. lvi. 88 — xliv. 52 — xxx. 14 — xxi. 63 — lii. 19 — xliii. 71 — iii. 13 — lii. 20. — xxxvi. 55 — xxxv. 52.
  5. Abd-er-Rahim — Qortouby.
  6. Koran lxxvi, 14 — lxix, 23.
  7. Abou-Amama, — Qortouby.
  8. Tirmidy-Abd-er-Rahim, — Qortouby.
  9. Cf. Abou-Beker, — El. Siouti, — Khazeu, — Anas, — Abd-er-Rhahim, etc…
  10. Abdallah-ben-Messaoud. — Hassan. — Qortouby.
  11. Abou’l Kassem Habath Allah, dans son traité des Abrogés et des abrogeants.