L’Isthme de Panama
L’isthme de Panama, resserré en largeur, comme on le verra, est hors de proportion par sa longueur avec tous les isthmes du monde. De Tehuantepec et des bords du Guasacoalco, où il se soude à l’Amérique du Nord, au fond du golfe de Darien, où il s’unit au massif de l’Amérique méridionale, il y a 2,300 kilomètres (575 lieues). C’est, à peu de chose près, le double de la distance d’Amsterdam à Lisbonne. Les autres isthmes célèbres sont cinquante ou cent fois moins longs. C’est qu’ils sont situés entre deux golfes avancés dans les terres ou entre une mer et une baie, tandis que l’isthme de Panama sépare deux mers épandues[1].
Dans sa forme générale, on dirait d’une immense chaussée dirigée en ligne droite de l’ouest-nord-ouest à l’est-sud-est, et présentant, du côté qui regarde l’Europe, deux renflemens : l’un, assez spacieux pour qu’en nos contrées on en fît un beau royaume, est la péninsule de Yucatan, qui, avec la presqu’île de Floride et l’île de Cuba, enclot la vaste nappe d’eau appelée le golfe du Mexique, et qui a presque les dimensions de la Méditerranée[2] ; l’autre, qui figure un demi-cercle, plus étendu encore, est occupé par la confédération de l’Amérique centrale. Dans sa configuration générale, l’isthme s’amincit à mesure qu’il approche de l’Amérique du Sud. De ce côté, il se termine par un fer à cheval, sur lequel est située la ville de Panama, et qui est baigné à l’occident par une baie semi-circulaire, parsemée d’îles et même d’élégans archipels en miniature restés célèbres par les perles que les Espagnols y trouvèrent.
Au premier abord, il semble nécessaire d’explorer minutieusement, sur chacun des flancs de l’isthme, une côte de cette extraordinaire longueur de 2,300 kilomètres pour découvrir le point où devrait être placé le canal des deux océans ; mais, quelque imparfaites que soient les connaissances géographiques sur cette partie du nouveau continent, on reconnaît bientôt que le nombre des localités où l’on peut, avec chance de succès, rechercher un passage est assez restreint. Les points où l’isthme se rétrécit, et où il est naturel de frapper pour faire brèche, sont au nombre de cinq seulement. Énumérons-les.
1. — En commençant par le nord, on rencontre d’abord l’isthme de Tehuantepec, où deux cours d’eau, le Guasacoalco et le Chimalapa, adossés l’un à l’autre, se déversent l’un dans l’Océan Atlantique, l’autre dans le Pacifique. À vol d’oiseau, la distance est de 220 kilomètres.
2. — De l’autre côté de la presqu’île de Yucatan, la carte indique, du fond de la baie de Honduras, sur l’Atlantique, à l’Océan Pacifique, une distance assez faible, d’environ 200 kilomètres à vol d’oiseau, et montre, tout auprès, des cours d’eau qui ont leurs sources non loin de l’Océan Pacifique et viennent, presque en ligne droite, se jeter dans l’Atlantique.
3. — Plus au midi, à l’autre extrémité du diamètre de l’hémicycle décrit par l’Amérique centrale, une belle nappe d’eau, le lac de Nicaragua, communiquant avec l’Atlantique par un magnifique fleuve, le San-Juan de Nicaragua, est située au milieu des terres comme un prolongement de cette mer, qui ainsi semble pénétrer jusqu’à deux ou trois myriamètres de l’Océan Pacifique.
4. — Ensuite apparaît l’isthme de Panama proprement dit. C’est là que la longue chaussée qui relie l’une à l’autre les deux Amériques a son minimum d’épaisseur. De la ville de Panama sur le Pacifique à celle de Porto-Belo sur l’Atlantique, la distance à vol d’oiseau est de 65 kilomètres. De même entre Panama et Chagres, et ici une partie de l’espace se franchit au moyen de la rivière Chagres, qui roule un grand volume d’eau ; de même encore entre Chagres et la baie de Chorrera, qui est un peu à l’ouest de Panama. Ce n’est pourtant point entre Panama ou la baie de Chorrera et Chagres ou Porto-Belo que l’isthme de Panama est réduit à sa moindre épaisseur ; un peu plus à l’est, à la baie de Mandinga (ou San-Blas), il paraît n’avoir plus qu’une cinquantaine de kilomètres.
5. — Enfin là où l’isthme cesse et où l’Amérique du Sud s’épanouit brusquement en un vaste éventail, on trouve, sur la surface même de cette Amérique, un passage remarquable entre les deux océans. Dans le golfe de Darien, qui borde l’isthme à l’orient, se décharge un beau fleuve, l’Atrato, dont quelques affluens de gauche, et particulièrement le Naipipi, ont leurs sources très voisines de l’Océan Pacifique, et dont l’un des rameaux supérieurs se rapproche beaucoup, au nord de Novita, d’un fleuve tributaire du Pacifique, qui porte comme tant d’autres le nom vénéré de San-Juan. Je n’ose assigner aucune largeur précise à la ligne qu’il faudrait suivre pour passer, par la vallée du Rio Atrato, d’un océan à l’autre. Ce serait cependant un assez long trajet. D’après la dernière carte d’Arrowsmith, de l’embouchure de l’Atrato, dans la mer des Antilles, à celle du San-Juan, dans l’Océan Pacifique il y aurait au moins 450 kilomètres. Par le Naipipi, le trajet serait à peu près moitié moindre.
Voici donc cinq localités où l’isthme se présente favorablement quant à la largeur. Mais quelle serait la hauteur à gravir ? Ne serait-elle pas de l’ordre de celles devant lesquelles l’art de l’ingénieur le plus osé recule avec effroi et se reconnaît vaincu ! Au premier abord, on est porté à le craindre. Le nouveau continent offre une chaîne de montagnes sans pareille au monde pour sa continuité. Du cap Horn, promontoire par lequel l’Amérique méridionale regarde le pôle austral, au terres glacées qui terminent l’Amérique du Nord, s’étend la chaîne des Andes comme une épine dorsale longue de quatorze mille kilomètres, trente-cinq fois la longueur des Pyrénées. Qu’on se place dans l’Amérique méridionale en un point quelconque du littoral occidental, à Guayaquil, à Lima, à Valparaiso jusqu’au détroit de Magellan et à la Terre-de-Feu, partout on rencontre devant soi cette crête altière couverte de neiges éternelles, séparant la vallée du fleuve des Amazones, où dix empires ne se trouveraient pas à l’étroit[3], celles du Magdalena, de l’Orénoque et de la Plata, tributaires de l’Atlantique, des torrens qui se précipitent dans l’Océan Pacifique. Que des bords de la mer on gravisse le plateau, qu’on monte à Bogota, à Quito, c’est-à-dire à la hauteur du Canigou et du pic du Midi, au double de celle du Ballon-d’Alsace, et on la retrouve encore au-dessus de sa tête, se redressant plus fière ; on a devant soi le Cotopaxi et le Chimborazo, dans les flancs desquels s’engloutiraient l’Ossa et le Pélion tant vantés. Dans l’Amérique septentrionale, il en est de même. C’est d’abord le plateau mexicain, dont l’élévation égale celle de montagnes majestueuses, et qui est surmonté lui-même de sommets audacieux, comme le pic d’Orizaba et la Sierra Nevada (chaîne neigeuse) de Mexico. Ce sont ensuite les Montagnes Rocheuses, qui se sont trouvées assez hautes, assez escarpées, pour opposer une infranchissable barrière à la race entreprenante des États-Unis, que rien n’avait pu arrêter. Constamment, au travers des Californies et des possessions anglo-américaines, britanniques et russes, la même chaîne élève inflexiblement son arête blanchie par la neige et hérissée çà et là de cimes coniques dont la tête au ciel est voisine, et dont le pieds touchent à l’empire des morts, au royaume igné de Pluton ; car d’une extrémité à l’autre sont distribués des volcans[4]. En résumé, abstraction faite des cimes qui la dominent, la chaîne a une élévation qui est rarement de moins de 2,000 mètres (une demi-lieue). Elle est épaisse et massive ; quelquefois, comme au Mexique, dans la Nouvelle-Grenade et au Pérou, elle se déploie en un immense plateau. Dans l’Amérique du Nord comme dans l’Amérique du Sud, on peut la considérer, sur le versant du Pacifique au moins, comme insurmontable pour toute voie de communication autre qu’une route ordinaire.
L’isthme de même est montagneux. Il offre des sommets ardus et d’innombrables volcans qui souvent ébranlent le sol, dévastent les cités, et ont motivé ce dicton sur l’admirable ville de Guatimala, bâtie dans la plus délicieuse vallée du monde, mais dominée par des volcans terribles d’une hauteur sans pareille[5] : qu’elle avait le paradis d’un côté et l’enfer de l’autre. Cependant l’observateur qui s’aventure dans ce dédale de montagnes et de collines reconnaît que là du moins la chaîne n’est point absolument continue. Sur quelques points, et pour de courts intervalles, elle a courbé la tête et laissé la place non-seulement à des gorges mais à quelques vallées transversales où pourrait être frayé un passage pour un canal ou pour un chemin de fer à pentes douces. Par un heureux hasard, la force souterraine qui, postérieurement à la formation du continent, souleva la longue chaîne des Andes, se trouva affaiblie dans l’isthme ; elle y exerça une action fort inégale, et y produisit des groupes montagneux distincts et séparés, et non plus une crête inflexible. Peut-être se divisa-t-elle pour appliquer une partie de sa puissance à faire surgir de la mer, à quelque distance de là, l’archipel des Antilles. Dans l’isthme, on trouve des cimes qui ne le cèdent pas au Mont-Blanc, le roi des Alpes ; cependant en plusieurs points, qui sont justement ceux désignés tout à l’heure, où l’isthme est le plus étroit, l’arête saillante du sol, le haut de la digue interposée entre les deux océans, n’atteint pas au-dessus de leurs flots une élévation supérieure à celle qu’on sait faire franchir à un canal ordinaire au moyen d’écluses.
Ce n’est pas chose nouvelle que de s’occuper d’un passage de l’Océan Atlantique au Grand-Océan, des mers qui emplissent le vaste et profond chenal ménagé par la nature entre l’Europe et le continent américain à celles qui baignent de leurs flots les côtes de la Chine et du Japon et l’autre littoral de l’Amérique. Christophe Colomb, quand, sur ce vaisseau si long-temps sollicité, il s’embarqua pour l’expédition à jamais mémorable qui nous donna un nouveau monde, avait pour but de montrer aux hommes un passage plus facile vers la Chine. Jusqu’alors, la regardant comme située à l’orient, on jugeait qu’on devait s’y rendre en marchant de l’ouest à l’est. Colomb prit au contraire la route de l’est à l’ouest qu’il supposait plus courte[6]. Un monde ignoré jusqu’à lui se rencontra sur son chemin ! Après qu’il eut découvert ces terres inconnues, il crut avoir abordé aux îles de l’Asie dépendant du domaine du Grand-Khan, c’est le nom qu’on donnait à l’empereur de la Chine, et il est mort après ses quatre voyages dans la persuasion qu’il avait été en Asie. Cependant Colomb eut une vague connaissance de la mer que nous nommons l’Océan Pacifique et de sa proximité de l’Atlantique dans les parages voisins de Panama ; ce fut à son quatrième et dernier voyage, qui précéda sa mort de deux années, et pendant lequel il reconnut, sur une grande étendue, le continent américain le long de l’isthme lui-même et au-delà du côté du midi[7]. Les indigènes lui apprirent qu’une autre mer existait non loin de là. Confondant toujours l’Amérique avec l’Asie, il exprimait le voisinage des deux mers dans la province de Veragna, où il venait de débarquer, en disant que certaines terres de Ciguare, dont il s’estimait très proche et qu’il croyait à dix journées seulement du Gange, étaient, par rapport à la côte de Veragua, sur l’Atlantique, dans la même situation que Tortose, sur la Méditerranée, à l’embouchure de l’Èbre, relativement à Fontarabie en Biscaye sur l’Océan. Mais Colomb ne vit pas de ses yeux l’Océan Pacifique. Cet honneur fut réservé à Vasco Nuñez de Balboa, l’un des hommes les plus étonnans qu’ait alors produits l’Espagne, si fertile à cette époque en héros dignes de l’admiration reconnaissante des peuples.
Je ne puis prononcer le nom de Balboa sans y joindre l’expression d’une commisération profonde. C’est un exemple amer des souffrances auxquelles furent voués presque tous les hommes qui jouèrent un grand rôle dans la découverte de l’Amérique. Ce nouveau monde a été vraiment enfanté dans la douleur de ceux qui le donnèrent à la civilisation européenne. Colomb dans les fers, Cortez délaissé, à la fin de sa vie, comme un obscur aventurier, et mourant consumé de chagrin, sont les deux grandes figures d’un tableau peu honorable pour l’espèce humaine. À côté d’eux mérite de figurer en une place apparente l’héroïque Balboa sur un gibet. Une petite colonie s’était établie à Santa-Maria sur l’isthme, et les colons avaient choisi Balboa pour leur chef, parce que c’était un homme d’une intrépidité sans égale et d’une activité infatigable. Jaloux de faire ratifier ce titre par la cour d’Espagne, Balboa exécuta des incursions chez les tribus voisines, et acquit ainsi la certitude qu’il existait un autre océan à peu de distance, à six jours de marche, lui disaient les Indiens, et ils ajoutaient que par là on se rendait à un empire qui abondait en or. Ils voulaient parler du Pérou. Balboa entreprit de pénétrer jusqu’à cette mer mystérieuse. Sa réputation de vaillance et de loyauté attira autour de lui une troupe d’hommes déterminés ; mais les difficultés du sol et les attaques des naturels retardèrent sa marche. Enfin, le vingt-cinquième jour, le 25 septembre 1513, du haut de la sierra de Quaregna, dont il avait voulu seul gravir le sommet, il aperçut la mer : c’était l’Océan Pacifique.
À cette vue, tombant à genoux, il remercia le Tout-Puissant de lui avoir réservé la gloire d’une découverte si profitable à sa patrie, et quelques jours après, arrivé au bord de la mer, il y entra, armé de son épée et de son écu, en prit possession au nom de son maître, et fit serment de la lui conserver[8]. Il revint par une autre route à Santa-Maria, non sans avoir fréquemment combattu. À la réception de sa dépêche, la cour d’Espagne fut ravie ; Elle crut tenir enfin la clé des trésors des Grandes-Indes, où puisaient alors les Portugais. On résolut d’envoyer des troupes à Santa-Maria et dans la contrée nouvellement explorée, afin de poursuivre ce qui avait été commencé si heureusement ; mais les affaires d’Amérique ou des Indes étaient dirigées par un de ces êtres malfaisans à qui la gloire de leur prochain est insupportable, et dont le plus grand bonheur consiste à torturer les plus nobles caractères, dès qu’ils voient la foule leur apporter de l’admiration et du respect : race venimeuse qui empoisonne l’existence des hommes de génie, sans s’inquiéter du dommage ainsi causé à la chose publique. C’était ce Fonseca qu’on avait vu astucieusement acharné contre Colomb, même du vivant de la reine Isabelle, sa protectrice ; le même qui poursuivit de sa haine perfide l’illustre amiral jusque dans ses héritiers, et qui, pour mettre le comble à ses infâmes artifices, trempa dans un complot pour assassiner Cortez, lorsque celui-ci eut acquis une immense renommée.
Fonseca, au lieu de donner le commandement à Balboa, choisit un homme dépourvu de titres, Pedro Arias de Avila (appelé dans les chroniques Pedrarias Davila). Un des premiers actes de Pedrarias fut d’infliger, sous prétexte de quelques irrégularités commises long-temps auparavant et en d’autres contrées, une grosse amende à Balboa, quoique celui-ci, à la tête de quatre cent cinquante hommes prêts à le suivre jusqu’au bout du monde, se fût empressé de se soumettre à son autorité. Quelques années plus tard, quand Balboa se fut signalé par de nouveaux exploits, lorsqu’il se préparait à cingler du côté du Pérou, qu’on n’avait pas atteint encore, Pedrarias, qui s’était un moment réconcilié avec lui, et lui avait même donné sa fille, le fit arrêter, condamner à mort par des affidés, et exécuter malgré les supplications des colons.
L’existence des deux océans une fois avérée, on ignorait si l’Amérique ne formait qu’un continent, ou si elle se partageait en plusieurs masses séparée par des détroits. Dès les toutes premières années du XVIe siècle, dans un intervalle de quinze ans, à partir du premier départ de Colomb, les découvertes s’étaient pourtant prodigieusement étendues. Non-seulement Colomb, à son troisième voyage, avait mouillé à l’embouchure de l’Orénoque[9], et, au quatrième, était descendu dans l’isthme à la province de Veragna ; mais, dès 1497, le fils d’un Vénitien établi à Bristol, Sébastien Cabot, envoyé par le gouvernement anglais, avait visité les rivages brumeux et froids du Labrador, et, en 1498, avait longé la côte, depuis la baie d’Hudson, qui touche à la mer Glaciale, jusqu’à la pointe méridionale de la Floride. En 1499 et 1500, le Florentin Americ Vespuce, avec Juan de la Cosa, sous Alonzo de Ojeda, avaient reconnu le continent de l’Amérique méridionale, depuis le golfe de Darien, sur la côte du Venezuela et de la Guyane, et s’étaient rapprochés de l’équateur au point de n’en être plus qu’à 3 degrés terrestres ou 350 kilomètres. En 1500, l’un des glorieux compagnons de Colomb, voyageant pour son propre compte, Vicente Yañez Pinzon, pareillement en compagnie de Vespuce, avait pris possession du cap Saint-Augustin[10] et avait découvert l’embouchure du fleuve des Amazones. C’était la première fois que les Espagnols pénétraient en Amérique dans cet hémiphère austral où, du côté de l’Afrique, depuis long-temps les navigateurs portugais avaient étendu leur domaine. En 1500, l’un des trois Cortereal, Français extraordinaires par leur bravoure, plus remarquables encore par leur dévouement fraternel, avait fait un voyage de découverte vers l’embouchure du Saint-Laurent du Canada, pour le roi de Portugal. La même année, un Portugais, Pedro Alvarez Cabral, avait par hasard découvert le Brésil en se rendant aux Indes par le cap de Bonne-Espérance, et plusieurs navigateurs s’y étaient rendus après lui, entre autres Vespuce, naviguant alors pour le roi de Portugal. Des expéditions clandestines s’étaient faites, et avaient répandu beaucoup de notions qu’on trouve consignées sur les cartes du temps. La rumeur populaire les avait grossies. On commençait à sentir que la création était doublée, comme l’a dit Voltaire en l’honneur de Colomb, et l’on reconnaissait enfin que les pays où l’on était parvenu étaient distincts de l’Inde, de la Chine ou du Japon, quoique Pinzon et Vespuce fussent persuadés, comme Colomb lui-même, qu’ils avaient parcouru les côtes d’Asie contiguës au Cathay (c’était le nom que portait alors l’empire chinois en Europe).
Un mobile qui exerce toujours une grande influence sur les actions des hommes et les évènemens de l’histoire, la rivalité, la jalousie, la concurrence (ces différens noms représentent les nuances diverses bonnes ou mauvaises d’un même sentiment), poussait les Espagnols plus avant à l’ouest. Dans l’intervalle du second au troisième voyage de Colomb, mais à une époque telle qu’on ne put le savoir dans la péninsule ibérique qu’après que l’Amiral[11] se fut mis en route pour la troisième fois[12], un des plus grands hommes qu’ait vus naître le Portugal, Vasco de Gama, avait découvert la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance. Parvenus ainsi dans l’Inde d’Alexandre-le-Grand, dans la populeuse contrée que rendaient célèbre en Europe ses perles et ses épices, les Portugais s’étaient couverts de gloire, et avaient fait des conquêtes d’où ils avaient rapporté de grandes richesses. Jusque-là, au contraire, en cherchant ces mêmes régions, les navigateurs espagnols découvraient des espaces vastes sans doute, mais dont l’importance politique et commerciale était actuellement fort mince. Ils avaient à lutter contre la nature plus que contre les hommes, et cette lutte leur semblait sans gloire quoiqu’elle ne fût pas sans péril. Ils trouvaient des peuplades peu nombreuses, primitives et sans civilisation ; ils n’étaient entrés encore ni dans l’empire de Montezuma ni dans celui des Incas. Les succès de la cour de Lisbonne troublaient le sommeil de Ferdinand et de ses conseillers. Entre les hommes audacieux qui abondaient alors chez les deux peuples, l’émulation était la même qu’entre leurs souverains. L’esprit d’aventure et le désir de faire fortune d’un tour de main, qui est si vif de nos jours, mais qui alors était plus ardent encore, excitaient les esprits à se précipiter vers le pays des épices, où l’on s’imaginait qu’il n’y avait qu’à se baisser pour recueillir de la renommée et des trésors. Celui-ci, s’inspirant d’un sentiment plus noble, s’embarquait pour aller convertir des païens et arracher des ames à l’enfer ; celui-là était en quête d’une source merveilleuse qui avait le don de rajeunir quiconque se plongeait dans ses eaux[13]. L’ambition individuelle et la fierté nationale, la soif de l’or, l’ardeur du prosélytisme religieux, la passion du merveilleux et les froids calculs de la politique, étaient d’accord pour lancer ce que l’Espagne avait de plus vaillant du côté de l’Amérique afin de saisir les Indes, qu’on en supposait au moins voisines. Pour atteindre ce but, il n’y avait, disait-on, qu’à trouver ce qu’on appelait dès-lors le secret du détroit, c’est-à-dire, entre les diverses terres découvertes par Colomb et ses émules, un bras de mer qui permît de s’avancer tout droit à l’ouest jusques al nacimiento da la especeria. De 1505 à 1507, une grande expédition fut préparée à cet effet par la cour d’Espagne. On devait serrer de près la côte du Brésil, afin d’y découvrir ce détroit qu’on désirait, et auquel on croyait, par l’effet de cette illusion qui nous porte à prendre nos souhaits pour des espérances fondées. L’expédition fut un peu retardée et ne partit que le 29 juin 1508, de San-Lucar. Elle reconnût la côte de l’Amérique méridionale depuis le cap Saint-Augustin, qui est déjà, on l’a vu, dans l’hémisphère austral, jusqu’au Rio Colorado, qui est de 5 degrés (555 kilomètres) au-delà du Rio de la Plata ; mais elle passa devant l’embouchure de la Plata sans l’apercevoir. En 1515, deux ans après que Balboa avait vu et touché l’Océan Pacifique, Juan Diaz de Solis, qui avait commandé avec Vicente Yañez Pinzon l’escadrille de 1508, reçut l’ordre de se rendre vers le sud, afin de pénétrer dans cet océan par le détroit qu’on espérait toujours, et de revenir, en remontant vers le nord, par derrière ce qu’on appelait la Castille d’Or (c’est la partie de la Colombie actuelle attenante à l’isthme), jusqu’à ce qu’il fût à hauteur de l’île de Cuba. Il devait examiner si par là n’existait pas quelque détroit pour retourner. L’intrépide Fiaz de Solis descendit en effet le long des côtes du Brésil, entra dans la Plata, qui pendant une douzaine d’années porta son nom (Rio de Solis), jeta l’ancre à l’îlot de Martin Garcia, dont il a été question dans ces derniers temps, et fut massacré par les indigènes avec huit personnes de sa suite. Cette expédition servit seulement à constater que la côte ferme de l’Amérique méridionale s’étendait sans solution de continuité jusqu’à la Plata, et on pouvait inférer du voyage précédent de Diaz de Solis avec Pinzon, qu’il en était de même jusqu’au Rio Colorado.
Les Portugais, braves et entreprenans plus encore que les Espagnols, s’il est possible, cherchaient de leur côté le secret du détroit. Les deux voyages de Gaspar Cortereal, l’un en 1500, l’autre en 1501, étaient dirigés vers le nord, afin de découvrir le passage du nord-ouest de l’Océan Atlantique vers le Grand-Océan boréal, que depuis trente ans les Anglais ont recommencé à chercher avec des prodiges de patience, de courage et d’habileté. Quand Gaspar eut péri dans ces épouvantables mers, le second Cortereal, Miguel, fit en 1502 un voyage dans le même but et sans plus de succès[14]. Enfin, en 1517, le Portugais Magellan vint à Valladolid offrir ses services à la cour d’Espagne, et affirma qu’il avait connaissance d’un détroit entre l’Atlantique et le Pacifique, par le sud. Il disait l’avoir vu consigné sur une carte tracée par un géographe fameux de l’époque, Martin Behaim de Nuremberg. C’était une assez mauvaise raison, car d’où Behaim savait-il l’existence de ce détroit ? On confia cependant à Magellan une escadrille ; il partit, trouva en effet, à la fin d’octobre 1520, le détroit qui conserve son nom, et entra dans le Grand-Océan le 28 novembre de la même année. Mais ce passage était trop reculé pour faciliter les communications avec l’Asie ; il servit seulement à gagner le Chili et le Pérou, après que ces deux pays eurent été colonisés[15]. Il était d’ailleurs dangereux, et lorsque le cap Horn eut été reconnu par Lemaire et Schouten, envoyés par les Hollandais, jaloux de pénétrer aussi dans le pays des épices (1616), il fut abandonné par les navigateurs[16] qui préférèrent faire le tour de l’Amérique du Sud jusqu’au bout.
Exactement à l’époque où Magellan découvrait le détroit qui perpétue sa mémoire, Cortez conquérait le Mexique. Durant son amitié passagère avec Montezuma, il l’interrogea sur le secret du détroit, qui importait tant à sa cour, et sur la possibilité de trouver sur le littoral mexicain de l’Atlantique un mouillage moins mauvais que celui de la Vera-Cruz. Selon une dépêche de Cortez à Charles-Quint, du 30 octobre 1520, l’empereur mexicain, sur sa demande, lui remit une carte de la côte, où les pilotes espagnols reconnurent l’embouchure d’une grande rivière que Cortez envoya étudier par Diego Ordaz. C’était le Guasacoalco. On sut bientôt qu’il n’y avait pas de détroit en ce point ; mais il fut constaté qu’entre le Guasacoalco et Tehuantepec, le continent s’amincit et présente un isthme favorable pour une communication rapide et facile d’une mer à l’autre par le Guasacoalco et le Chimalapa. D’assez grands établissemens furent élevés à Tehuantepec. On y plaça de vastes chantiers de construction. L’expédition de Hernando de Grijalva, qui fit voile pour la Californie, en 1534, afin de découvrir le détroit désiré, non moins que pour conquérir de nouvelles terres, sortit de Tehuantepec et les navires sur lesquels Cortez s’embarqua à Chametla pour la même destination avaient été construits de même, à l’embouchure du Rio Chimalapa, avec des matériaux venus par le Guasacoalco.
Bientôt l’espoir d’un détroit voisin du golfe du Mexique, ou situé dans les espaces où s’étend l’isthme, fut détruit de toutes parts. Cependant on continua à le chercher plus au loin. Les Portugais avaient renoncé à leurs explorations du nord-ouest ; les Anglais commencèrent les leurs. Au commencement du XVIIe siècle et même dès les dernières années du XVIe, on vit apparaître successivement Davis, Hudson et Baffin, qui laissèrent leurs noms à différens parages qu’ils avaient visités les premiers. Plus tard encore on se mit à rechercher le passage par cette voie, non d’Europe en Asie, mais d’Asie en Europe. Dans les premières années du XVIIIe siècle, le Suédois Behring, naviguant pour le compte de la Russie, prouva que le continent américain était séparé du continent asiatique, et mourut de misère dans l’île qui a gardé son nom, près du détroit qui le conserve aussi. Le troisième voyage de Cook avait pour objet de passer par le nord d’Asie en Europe. M. de Châteaubriand s’était préoccupé, dans sa jeunesse, du passage du nord-ouest ; il fut au moment de le poursuivre de sa personne, et, quand il rendit visite à Washington, il l’en entretint avec transport. C’est dans ces mers glacées du nord-ouest que de nos jours se sont illustrés les Parry, les Ross et plusieurs autres navigateurs britanniques. Du côté du midi, après la découverte du cap Horn, les recherches durent cesser. Cependant on conçut encore quelque espoir, en 1790, de trouver une communication entre le golfe de Saint-George, dépendance de l’Atlantique, située par 45 et 47 degrés de latitude australe, c’est-à-dire à 700 kilomètres en-deçà du détroit de Magellan, et les bras de mer de la côte du Chili. Une expédition, envoyée alors par la cour d’Espagne, constata que cette idée était chimérique.
Que l’Espagne était majestueuse et belle au XVIe siècle ! Que d’audace, que d’héroïsme et de persévérance ! Jamais on n’avait vu tant d’énergie, d’activité ; jamais non plus tant de bonheur. C’était une volonté qui ne connaissait pas d’obstacles. Une poignée d’hommes conquérait des empires sur des populations innombrables et courageuses comme celles du Mexique. Leurs entreprises matérielles étaient au niveau de leurs hauts faits sur le champ de bataille, et de leurs gestes politiques. Rien ne l’arrêtait, ni les fleuves, ni les solitudes, ni les montagnes, dont rien n’approche en Europe. Ils bâtissaient des villes superbes, et tiraient des flottes des forêts en un clin d’œil ; on avait vu Cortez, au siége de Mexico, lancer sur les lacs seize mille embarcations. On eût dit un peuple de géans ou de demi-dieux. On pouvait croire que tous les travaux propres à relier les climats ou les océans les uns aux autres allaient s’accomplir à la voix des Espagnols comme par enchantement, et puisque la nature n’avait pas ménagé de détroit au centre de l’Amérique, entre l’Atlantique et la mer du Sud, eh bien ! tant mieux pour la gloire de l’espèce humaine ! on y suppléerait par des communications artificielles. Qu’était-ce, en effet, pour des hommes pareils ? Cette fois c’en était fait ; il ne devait plus rester rien à conquérir, et la terre allait se trouver trop petite.
Certes, si l’Espagne fût demeurée ce qu’elle était alors, on l’eût vue en effet créer ce qu’on s’était flatté de trouver tout fait par la nature. Elle eût creusé un canal ou plusieurs canaux pour tenir lieu de ce détroit tant cherché. Les hommes de science le lui conseillaient. En 1551, Lopez de Gomara, auteur d’une Histoire des Indes « faite, dit M. de Humboldt, avec autant de soin que d’érudition, » proposait la réunion des deux océans par des canaux, en trois points qui sont précisément les mêmes où en ce moment on s’en occupe, ainsi qu’on le verra tout à l’heure : 1o Chagres, 2o Nicaragua, 3o Tehuantepec. Mais le feu sacré s’éteignit tout à coup en Espagne. La péninsule eut pour la gouverner pendant un long règne un prince qui mit sa gloire à emmailloter la pensée, et qui gaspilla une puissance immense en vains efforts pour l’enchaîner hors de ses domaines dans toute l’Europe. Ce fut Philippe II. De ce moment, l’Espagne engourdie devint étrangère aux innovations des sciences et des arts, à l’aide desquelles d’autres peuples, et particulièrement l’Angleterre et la France, développaient leur grandeur et leur prospérité. Si à partir de cette époque elle s’appropria quelques-unes de ces innovations qui étendent la force de l’homme, ce fut seulement dans les arts de la guerre, car l’Espagne a conservé jusqu’à la fin du XVIIIe siècle un corps d’artillerie savant, des ingénieurs militaires éminemment recommandables, et d’habiles marins. Après que la France eut donné l’exemple des canaux à point de partage, et que le canal du Midi eut montré que l’on pouvait ainsi gravir les crêtes en bateau, il ne paraît pas que le gouvernement espagnol ait sérieusement voulu se servir de ce procédé pour établir une communication dans l’isthme entre la mer des Antilles et la mer du Sud. Le mystère dont étaient enveloppées les délibérations du conseil des Indes n’est pas toujours demeuré tellement profond qu’on n’ait pu savoir ce qui s’y était passé. M. de Humboldt, auquel le gouvernement espagnol ouvrit libéralement l’accès et de ses colonies, et, ce qui est plus surprenant, de ses archives, trouva dans ces dernières plusieurs mémoires sur la possibilité d’une jonction des deux océans par le lac de Nicaragua ; mais dans aucun de ceux qui sont arrivés à sa connaissance, le point principal, dit-il, qui est la hauteur du terrain dans l’isthme, ne se trouve éclairci : l’illustre voyageur fait même remarquer que ces mémoires sont français ou anglais. Depuis le jour, glorieux dans l’histoire des conquêtes de la civilisation, où Balboa traversa l’isthme de Panama, le projet d’un canal entre les deux océans a occupé tous les esprits. Dans les conversations des posadas espagnoles, on s’en entretenait comme d’une légende ; et quand par hasard passait un voyageur venant du Nouveau-Monde, après lui avoir fait raconter les merveilles de Lima et de Mexico, la mort de l’inca Atahualpa et la défaite sanglante des braves Aztèques, après lui avoir demandé son opinion sur l’Eldorado, on le questionnait sur les deux océans et sur ce qui arriverait, si on parvenait à les joindre. Dans toute l’Europe, on en berçait l’imagination des écoliers. Seul le gouvernement espagnol n’en prenait aucun souci. Il y a vingt années encore, c’était un des romans de l’esprit humain ; l’idée était restée à l’état fantastique ; il n’en existait pas une étude que le plus modeste de nos ingénieurs des ponts-et-chaussées n’eût jugée indigne de lui.
Dès 1520 et 1521, Cortez pensait à une communication des deux océans : il l’établit même grossièrement par le moyen d’une route unissant le Chimalapa au Guasacoalco. À la fin du XVIIIe siècle, alors que l’Espagne semblait vouloir, sous Charles III, sortir de sa léthargie, on se remit à parler vivement d’une communication navigable au Mexique par ce même isthme de Tehuantepec, et dans le royaume de Guatimala, par le lac de Nicaragua ; mais il ne se fit, de part et d’autre, que des études sommaires et défectueuses, puis cette étincelle de zèle disparut. Autour du lac de Nicaragua, tout resta comme par le passé. Si dans l’isthme de Tehuantepec, en 1798, on ouvrit une route de terre de 140 kilomètres, de la ville de Tehuantepec au confluent du Saravia avec le Guasacoalco, cette route était si mauvaise, et de nombreux changemens de véhicules jusqu’à la Vera-Cruz y gênaient tellement le commerce, que vers 1804 on voyait souvent, ce qui doit subsister encore aujourd’hui, les marchandises aller de Tehuantepec à la Vera-Cruz, par la direction de Oaxaca, à dos de mulet. Pendant le cours de la guerre entre Napoléon et l’Angleterre, tant que l’Espagne fut l’alliée de la France, l’indigo de Guatimala, le plus précieux des indigos connus, vint par cette dernière voie au port de la Vera-Cruz, et de là en Europe. Le prix du transport était de 30 piastres par charge (de 138 kilogrammes,) et les muletiers employaient trois mois pour faire un trajet qui en ligne droite est de 320 kilomètres. Pour prendre nos mesures françaises, c’était sur le pied de 3 fr. 40 c. pour 1,000 kilogrammes et pour chaque kilomètre de la distance à vol d’oiseau. Par la route de Tehuantepec à l’embarcadère du Saravia, si elle eût été en bon état, et par le Guasacoalco, la dépense eût été réduite des trois quarts au moins en argent et en temps. Sur un canal en bon entretien, les prix de transport, avec un droit de péage, varient de 5 à 10 centimes habituellement par 1,000 kilogrammes et par kilomètre parcouru, et en France le roulage ordinaire se contente de 20 à 25 centimes.
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, l’Espagne avait besoin d’un bon service de transports dans l’isthme de Panama. Les trésors du Pérou s’expédiaient en Europe par la voie de Panama, et se rendaient, au travers de l’isthme, de Panama à Porto-Belo, d’où les galions les emportaient. Cependant, entre Panama et Porto-Belo, il n’y eut jamais qu’une détestable route. Quelquefois on envoyait des marchandises d’Europe à Panama en les faisant arriver à Chagres, d’où elles remontaient en bateau jusqu’à Cruces. De Cruces à Panama, elles allaient à dos de mulet sans qu’il y eût seulement un sentier entretenu à cet effet. C’était par là pourtant que s’acheminaient les voyageurs se rendant du Pérou ou du Chili à la Nouvelle-Grenade, au Venezuela, ou aux autres possessions espagnoles du littoral de l’Atlantique. Les relations les moins irrégulières qu’il y eût entre les deux océans étaient du port d’Acapulco à la Vera Cruz par Mexico. Le trajet à vol d’oiseau est de 613 kilomètres, et, avec les détours, de 800 kilomètres au moins, et il faut plusieurs fois s’élever à des hauteurs infinies pour redescendre dans de profonds vallons[17]. C’est ainsi que l’Espagne entendait l’art des communications dans ses domaines du Nouveau-Monde, d’où avec un bon système de transports elle eût tiré des trésors inouïs, car ils étaient si vastes, qu’il s’en fallait d’un quart seulement qu’ils n’égalassent la demi-surface de la lune, et en fertilité et en richesse ils étaient plus remarquables encore qu’en étendue. Agir de la sorte pour les communications en général et pour les rapports entre les deux océans qui séparent l’Amérique en particulier, c’était méconnaître ses intérêts, froisser ceux de la civilisation et légitimer sa propre déchéance ; car si dans les affaires privées la propriété implique le droit d’abuser ou de ne pas user, il n’en est pas de même dans celles de la civilisation. Ici subsiste, de droit divin, une loi de confiscation contre les états qui ne savent pas tirer parti du talent que le maître leur a confié, ou qui s’en servent contrairement à quelques-uns[18] des penchans les plus invincibles de la civilisation, comme est celui du rapprochement des continens et des races. Ce droit extrême est écrit trop souvent en lettres de sang et de feu à toutes les pages de l’histoire pour qu’il soit possible de le révoquer en doute.
Nous arrivons ainsi aux temps modernes. Pour mieux apprécier ce qui a été fait ou projeté et ce qui est à faire, posons plus explicitement la question ; rendons-nous compte, autant que possible, avec détail, des facilités et des obstacles que l’isthme présente à qui recherche les moyens de le percer.
Mais d’abord serait-ce un canal ordinaire qu’il y faudrait ? quelle serait même la nature de la communication à ouvrir ? Devrait-on rester fidèle à l’idée d’un canal, ou conviendrait-il d’adopter ces voies perfectionnées où la vapeur fait glisser sur le fer, avec une rapidité inouïe et une économie toujours croissante, les plus pesans fardeaux ? Si l’on préfère un canal, quelles devront en être les proportions ? Afin de répondre pertinemment à ces questions, il faut d’abord s’interroger sur le but dans lequel on percerait l’isthme.
Les services à attendre d’un canal au travers de l’isthme de Panama ne sont pas tout-à-fait les mêmes pour les Européens ou pour les peuples de l’Amérique. Pour l’Europe, il n’abrégerait pas le voyage de la Chine ou des Grandes-Indes, et encore moins celui des îles de la Sonde, où la Hollande possède d’admirables colonies, et où l’on doit supposer que d’autres peuples, alléchés par les succès des Néerlandais, ne tarderont pas a en fonder de nouvelles. La navigation d’Europe en Chine et aux Indes se fait par le cap de Bonne-Espérance, et il semble que, s’il y a un isthme à trancher pour abréger ce long pèlerinage, ce soit celui de Suez. Règle générale, les voyages qu’on raccourcirait en perçant l’isthme de Panama sont, avant tout, ceux qui ont lieu en doublant le cap Horn, extrémité de l’Amérique méridionale. Or, l’on passe par le cap Horn pour aller d’Europe au Pérou, sur la côte occidentale du Mexique, ou dans les possessions attenantes des États-Unis, de l’Angleterre et même de la Russie. C’est par le cap Horn qu’on se rend dans certains parages de l’Australie, dans la Nouvelle-Zélande, aux îles Marquises, aux îles de la Société, à ces innombrables archipels de la mer du Sud, qui appellent des maîtres, aux îles Sandwich, que convoite plus d’une puissance maritime, parce qu’elles occupent entre l’occident de l’Amérique du Nord et les régions de la Chine et du Japon une position comparable à celle de Malte entre l’Espagne, la France, l’Italie d’un côté, et les rivages du Nil de l’autre. Pour activer les relations de l’Europe avec ces vastes pays, pour que les essaims de nos races aillent les féconder, la rupture de l’isthme de Panama serait extrêmement avantageuse.
À l’égard de la Chine et du Japon, à ne considérer que les distances, il n’y aurait, disons-nous, aucun profit à en espérer. Le tour du monde étant représenté par 360 degrés de longitude, la Chine, en prenant le chemin de Panama, est à 230 degrés de nous, c’est-à-dire aux deux tiers de la circonférence terrestre ; par l’autre route, au contraire, abstraction faite du grand circuit que l’on décrit autour de l’Afrique quand on double le cap de Bonne-Espérance, le trajet n’est que de 130 degrés, un seul tiers. Cependant la zone comprise entre les tropiques présente au navigateur qui cingle vers l’ouest, avec une mer presque toujours sereine, un autre avantage inappréciable : toute l’année, le souffle des vents alisés y gonfle les voiles des navires lancés dans la direction de l’est à l’ouest ; au sein des flots eux-mêmes, un courant aussi ancien que le monde, aussi imperturbable que les lois de la gravitation universelle (le gulph stream des Anglais, le courant équatorial des autres géographes), pousse tout autour de la terre les navires dans le même sens. Du Havre ou de Londres à Canton, autour du cap de Bonne-Espérance, en coupant ainsi la ligne deux fois, le parcours est de 24,500 kilomètres ; par l’isthme de Panama, il serait de 27,000[19]. Mais cet excédant de parcours serait plus que compensé par l’assistance des vents alisés et du courant équatorial et par l’absence de tout péril pendant la majeure partie de l’année[20]. Imaginez qu’on a pu faire le trajet d’Acapulco à Manille sur une simple chaloupe pontée[21] ; il y a 16,500 kilomètres, trois fois la distance de la côte d’Afrique aux Antilles. En somme, pour aller d’Europe en Chine, un navire qui prendrait la voie de l’isthme économiserait une quinzaine de jours sur un voyage qui dure de quatre mois à quatre mois et demi ; mais on ne pourrait revenir par la même route, parce qu’alors on aurait contre soi le courant équatorial et les vents alisés. Pour atteindre la baie de Noutka, — dans l’archipel de Quadra et Vancouver, sur la côte du nord-ouest de l’Amérique, là où s’est fait un grand commerce de fourrures, — ou près de là, l’embouchure de la rivière Columbia, qui traverse le territoire d’Oregon, dépendant des États-Unis, un vaisseau parti d’Europe fait, en doublant le cap Horn, 27,500 kilomètres ; en traversant l’isthme de Panama, il n’en aurait plus que 16,500 à parcourir. Pour gagner le Pérou, le revers occidental de l’Amérique centrale, et les ports mexicains d’Acapulco, de San-Blas et de Mazatlan, l’avantage serait très marqué aussi ; de même pour les îles Marquises, les Sandwich, et les archipels inhabités du Grand-Océan. Quant à la Nouvelle-Hollande, il en serait comme pour la Chine. Enfin on conçoit que les navires qui, allant en Chine, se proposeraient de toucher à l’un des ports de la côte occidentale de l’Amérique, depuis le Pérou jusqu’à la baie de Noutka, auraient une raison décisive pour se diriger par l’isthme de Panama.
Le problème se présente en des termes un peu différens pour les États-Unis. Ce peuple éminemment navigateur a déjà des relations étendues avec la Chine et avec tous les pays riverains du Grand-Océan boréal ou austral. Il se livre avec ardeur et succès à la pêche. Il possède sur la côte du nord-ouest du nouveau continent le vaste territoire de l’Oregon, vers lequel le flot de la population est impatient de se porter par l’intérieur, et qui se coloniserait rapidement, si l’on pouvait s’y rendre par mer au lieu d’avoir à escalader les Montagnes Rocheuses et à franchir les déserts qui bordent le Mississipi à droite, ou qu’arrose le Missouri sans pouvoir les fertiliser. La coupure de l’isthme serait donc, toutes choses égales d’ailleurs, d’un immense intérêt pour les États-Unis ; mais toutes choses ne sont pas égales. Les États-Unis sont plus que l’Europe voisins de l’isthme, et ainsi, pour eux, le bénéfice du percement ressort plus manifeste. Pour se rendre de New-York ou de la Nouvelle Orléans à Guayaquil, à Lima, à Valparaiso, la route de l’isthme serait presque en ligne droite. De New-York ou de Boston à Canton, il y a, par la route actuelle du cap de Bonne-Espérance, 25,000 kilomètres ; par l’isthme de Nicaragua, il n’y en aurait plus que 23,300. Relativement à cette destination, le passage de l’isthme allonge pour l’Europe ; il raccourcit pour les bâtimens des États-Unis. De Boston ou de New-York à l’embouchure de la rivière Columbia, dans l’Oregon, la distance par le cap Horn est de 28,500 kilom. ; par l’isthme, elle serait réduite à 14,000, la moitié.
Ainsi, pour reproduire à peu près les expressions de M. de Humboldt, les principaux objets de la coupure de l’isthme américain sont : la prompte communication d’Europe et d’Amérique aux côtes occidentales du nouveau continent, le voyage de la Havane et des États-Unis à la Chine, aux Philippines et même un jour au Japon quand notre audacieuse race de Japhet aura forcé cet autre empire de l’extrême Orient à sortir de son isolement superbe, ainsi qu’elle vient de le faire pour la Chine ; la colonisation de l’Oregon et des îles du Grand-Océan, la navigation d’Europe ou des États-Unis en Chine avec escale sur la côte occidentale de l’Amérique, et enfin la grande pêche du cachalot. Quant aux expéditions directes d’Europe en Chine, elles s’achemineraient par là tout au plus à l’aller, mais non pas au retour.
La civilisation est extrêmement retardée sur le versant de l’Amérique qui touche à l’Océan Pacifique, et elle pénètre à peine dans les archipels du Grand-Océan ; le versant oriental du nouveau continent, par cela seul qu’il a été plus accessible à l’Europe, se trouve bien plus avancé[22], car c’est notre Europe qui répand à flots la lumière sous laquelle s’épanouissent l’intelligence et l’activité des nations. L’équilibre se rétablirait, si l’isthme s’abaissait sous la main de l’Europe, et la navigation du canal de l’isthme s’en ressentirait.
L’isthme lui-même, qu’occupaient avant la conquête des nations dont la puissance est attestée par les monumens qu’une végétation d’une vigueur luxuriante n’a pu encore achever de détruire, terre fortunée, si quelqu’une peut l’être quand le travail n’y anime pas l’homme et n’y maîtrise pas les forces de la nature ; l’isthme, transformé en un carrefour où se réuniraient les productions de toute l’Amérique et de l’archipel des Antilles, aurait pour le commerce un vif attrait qui déterminerait le plus souvent son choix en faveur de cette route.
La destination d’une communication dans l’isthme une fois fixée, la nature de cette communication s’ensuit. Quand le but est bien connu, les moyens se révèlent vite. C’est une voie maritime qu’il faut, un canal praticable pour de grands navires. Hors de là il n’y a pas de choix, tout se vaut : petit canal, chemin de fer ou chaussée pavée ou macadamisée, tout est également bon, ou plutôt rien n’est bon, car le commerce a horreur des transbordemens : à quelles avaries sont exposées les marchandises qui ont à changer plusieurs fois de véhicules ! quelles pertes de temps ces opérations n’entraînent-elles pas ! Il faut qu’un trois-mâts parti de Bordeaux ou de Liverpool puisse sans désemparer, sans s’arrêter plus de deux à trois jours dans l’isthme, aller tout droit jusqu’à Canton, si tel est son bon plaisir.
Le canal de l’isthme de Panama est une œuvre d’avenir ; or, sans se faire illusion, on peut regarder la navigation à vapeur comme destinée à largement empiéter dans un avenir prochain sur la navigation exclusive à la voile ; on devra donc adapter le canal aux grands navires à vapeur de l’ordre des paquebots transatlantiques, autant qu’on a déjà des idées arrêtées sur les proportions de ces bâtimens.
Telles sont les bases du programme du percement de l’isthme. À toute œuvre conçue différemment, l’Europe n’aurait rien à voir, aucun secours à apporter.
Entendons-nous bien cependant. Nous maintenons que toute communication autre qu’un canal praticable au moins aux grands navires du commerce n’apporterait directement aucune amélioration, aucune extension aux rapports de l’Europe avec les régions éloignées que baigne le Grand-Océan, et ne serait pas digne de la sollicitude de la France ou de l’Angleterre, mais des ouvrages plus modestes exerceraient des effets salutaires sur la contrée qu’ils traverseraient. Dans nos régions européennes bien percées dans tous les sens, nous ne nous faisons pas une idée de ce que c’est qu’un pays dépourvu de moyens de transport, nous n’avons pas la mesure des embarras que la civilisation y rencontre. Ce sont choses qu’on n’apprécie qu’après les avoir vues. Une zone de vingt lieues de large sans chemins oppose à l’avancement de l’esprit comme aux innovations matérielles une barrière plus insurmontable que l’inflexible volonté du tyran le plus habile et le mieux servi. Une bonne route, longue de vingt-cinq lieues dans l’isthme de Tehuantepec, entre le port de Tehuantepec et le Guasacoalco, là où il est constamment navigable, opérerait une révolution ailleurs que dans l’isthme. Tout l’empire mexicain en éprouverait l’heureuse influence ; non-seulement on verrait les terres fertiles et salubres de l’intérieur de l’isthme renaître à la culture et la plaine de Tehuantepec se couvrir une seconde fois des riches récoltes qui l’embellissaient avant la conquête et avant les boucaniers, mais toutes les relations seraient transformées entre le littoral oriental et celui de l’occident. Le courant européen s’épancherait alors sur l’ouest du Mexique, qu’aujourd’hui il ne peut atteindre. Un service passable de navigation fluviale par le lac de Nicaragua entre les deux océans aviverait de même les rives du lac, et imprimerait un nouvel essor à l’homme sur les rivages occidentaux de l’Amérique centrale, parce que l’infatigable Europe aurait enfin prise sur eux. De même de toute ouverture pratiquée d’une mer à l’autre, le fût-elle sur d’humbles proportions. Un pareil ensemble de communications locales et spéciales aurait, il faut le reconnaître, des effets généraux dont l’Europe se ressentirait sans doute indirectement. Mais, dans ce qui précède, j’ai raisonné comme un fils de l’Europe s’occupant avant tout des intérêts de cette grande patrie, avec la conviction que ce qui profite directement à l’Europe sert le genre humain J’ai recherché ce qui importait à l’Europe, ce qui lui allongeait les bras, et c’est en ce sens que j’ai recommandé exclusivement un canal maritime. D’ailleurs, si l’isthme de Panama est largement percé, ce sera l’Europe qui en aura fourni les fonds ; il est donc permis de songer à elle, quand on cherche à déterminer les caractères que doit avoir l’entreprise.
Je n’ai point la prétention d’indiquer ici les dimensions à donner au canal des deux océans. Je crois cependant qu’il conviendrait de s’écarter peu de celles qu’on a adoptées sur deux canaux maritimes que l’Europe possède, le canal Calédonien, traversant de part en part la Haute-Écosse, et le canal du Nord, d’Amsterdam aux environs du Helder, praticables l’un et l’autre pour les grands bâtimens de commerce et même pour des frégates. Ils ont été ouverts depuis la paix. Le premier a une largeur de 12 pieds anglais (37 mètres 10 centimètres) à la ligne d’eau ; c’est plus qu’il ne faut pour toute espèce de bâtimens. Sa profondeur est de 20 pieds (6 mètres 10 centimètres) ce qui suffirait pour un navire de 800 à 900 tonneaux, c’est-à-dire pour les plus gros bâtimens de commerce. Le tirant d’eau d’un paquebot transatlantique en pleine charge est de 5 mètres 25 centimètres ; mais il faut sous la quille d’un pareil navire, dans un canal, un demi-mètre d’eau. Aussi un paquebot transatlantique traverserait commodément un canal de 5 mètres 75 centimètres de profondeur, et l’on peut croire que, sous le rapport du tirant d’eau, ces navires à vapeur de 450 chevaux resteront à peu près ce qu’ils sont aujourd’hui. Les proportions similaires du canal du Nord ne diffèrent guère de celles du canal Calédonien ; seulement elles sont de 38 mètres et de 6 mètres 32 centimètres. Les écluses du canal Calédonien qui sont assez nombreuses, ont 52 mètres 46 centimètres de long sur 12 mètres 20 centimètres de large. Il faudrait les allonger d’une vingtaine de mètres et les élargir de 6 et 1/2 pour qu’elles pussent recevoir les paquebots transatlantiques tels qu’on les construit aujourd’hui. Les canaux à grande section, en France, ont 15 mètres de largeur à la ligne d’eau, et 1 mètre 65 centimètres de profondeur[23] ; leurs écluses ont 32 mètres 50 centimètres de long sur 5 mètres 20 centimètres de large. Les canaux anglais et américains sont un peu moindres[24]. Des canaux semblables au canal Calédonien et au canal du Nord coûtent beaucoup plus cher que les autres. Chez nous, les canaux de 1821 et 1822 ont coûté en moyenne 125,000 fr. par kilomètre, et les canaux, plus récemment entrepris, de la Marne au Rhin, de l’Aisne à la Marne, et latéral à la Garonne, reviendront à 300,000 fr. Les canaux anglais, de dimensions exiguës comme ils sont, ont exigé 135,000 fr., et les canaux américains n’ont réclamé que 101,000 fr. en moyenne. Le canal Calédonien, sur un développement de 34 kil. et demi[25], a coûté 25 millions de fr., soit 725,000 fr. par kilom. Le canal du Nord paraît avoir coûté, en tout, une même somme pour un parcours plus que double, 81 kilom., soit 310,000 fr. par kilom. ; mais il n’a pas d’écluses, si ce n’est à ses deux extrémités[26]. La construction d’une écluse en France, sur un canal ordinaire à grande section, grace à l’habileté qu’ont acquise nos ingénieurs, revient maintenant à 75 ou 80,000 fr. Aux prix de Brest, où la maçonnerie hydraulique se fait à bon compte, une écluse destinée aux paquebots transatlantiques de 450 chevaux coûterait, pour la maçonnerie et les portes, et par conséquent sans les fouilles à opérer pour lui ménager son lit en terre et sans les pilotis des fondations quand il y a lieu, 350,000 francs ; disons tout compris 400,000 francs au moins. Pour un vaisseau de ligne à trois ponts, à Brest, c’est 50,000 francs de plus, quoique l’écluse des navires à vapeur de 450 chevaux soit plus longue et plus large ; mais elle est moins profonde, parce qu’un navire à vapeur de 450 chevaux, tel que le Christophe Colomb ou le Canada, qui ont été construits à Brest, n’a en charge qu’un tirant d’eau de 5 mètres 25 centimètres, et qu’un grand vaisseau à trois ponts comme le Valmy cale 7 mètres 95 centimètres[27].
Cette condition d’un canal maritime qui permette aux navres européens ou anglo-américains de se rendre, sans rompre charge, d’un océan à l’autre jusqu’à Lima, à Acapulco ou à Macao, en entraîne une autre qu’il ne faut pas passer sous silence. Le canal devra être en jonction immédiatement avec la pleine mer. Je veux dire qu’il devra, par chacune de ses extrémités, déboucher dans un port offrant un mouillage suffisant aux navires, non pas seulement à une certaine distance du rivage, mais tout juste contre la terre ferme. En beaucoup de ports, à Panama, par exemple, le mouillage est un peu éloigné de terre. Le chargement et le déchargement s’opèrent par l’intermédiaire de pirogues ou d’autres alléges. Ce n’est qu’un médiocre inconvénient en un port qui est un terme de voyage : il en résulte un surcroît de frais pour déposer ou prendre une cargaison, et peu importe alors ; mais aux issues d’un canal océanique, ce ne serait rien moins qu’une interruption de la navigation. Le canal serait complètement dépouillé de son caractère maritime. Autant vaudrait une muraille en travers, de cent pieds d’élévation, par le beau milieu de la ligne du canal. Cette clause supplémentaire du programme ne sera pas aisée à remplir, et un savant capitaine de vaisseau de notre marine royale, qui revient des parages voisins de l’isthme, me disait avec infiniment de raison qu’elle lui semblait devoir donner plus d’embarras que le creusement même d’un canal de 5 à 6 mètres de profondeur entre les deux océans. Enfin ce caractère de canal maritime interdit les souterrains. Il faudrait, en effet, même en démontant les mâts de hune, des voûtes plus élevées que celle du Pausilippe, pour que des navires pussent s’y engager, à moins que les constructeurs ne trouvent un expédient pour rendre facilement mobile la mâture tout entière.
Nous ne mentionnons pas ici les soins qu’il faudrait prendre pour assurer la salubrité des terres que traverserait le canal. Quelque économie de temps qu’on dût trouver à venir chercher l’isthme, la plupart des navires le fuiraient si ce devait être un charnier. Mais on sait que la cause la plus puissante d’insalubrité en ces chaudes régions réside dans les marécages et les eaux stagnantes. Il serait facile, très probablement, pendant la construction du canal d’assécher les marais et d’assurer l’écoulement des eaux d’alentour. Le canal lui-même y servirait. Ce seraient deux opérations liées.
Après ces réflexions préliminaires, entrons plus avant dans le sujet. Au préalable, pourtant, il n’est pas inutile de donner une idée des difficultés que l’art est accoutumé à affronter et à vaincre, et de déterminer exactement le sens de quelques termes techniques dont nous serons obligé fréquemment de nous servir.
Les canaux, tels qu’on les construit depuis l’invention des écluses par les Italiens au XVe siècle, sont des lignes de navigation fort différentes des rivières. Toute rivière coule dans un lit légèrement en pente, et a un courant plus ou moins fort. C’est ainsi que les anciens s’efforçaient de creuser des canaux, et ils réussissaient rarement dans cette imitation de la nature. Un canal à la moderne n’a pas de courant, et se forme d’une série de bassins creusés de main d’homme, plus ou moins longs, quelquefois de plusieurs lieues, et étagés à la suite les uns des autres, chacun parfaitement de niveau. On dirait d’un escalier aux marches très étroites entre la rampe et le mur, mais fort longues, tandis qu’une rivière peut se comparer à un plan incliné extrêmement doux. Dans une rivière, l’eau coule à des hauteurs très variables, selon les saisons ; dans un canal, elle est introduite artificiellement, tout juste en quantité suffisante pour qu’il y en ait toujours une même profondeur déterminée d’avance. À ces dispositions, on trouve l’avantage non-seulement de s’affranchir des courans, mais encore d’obtenir, au moyen d’une quantité d’eau à peine égale à celle que roule un faible ruisseau, une navigation plus permanente et plus commode que celle qu’offrent de grands fleuves. La navigation du canal du Midi, par exemple, est préférable à celle de la Seine, du moins dans l’état où ce beau fleuve est laissé. Cependant la Seine débite, quand elle est au plus bas, après les chaleurs de la canicule, 100 à 120 mètres cubes (100,000 à 120,000 litres) par seconde. Le canal du Midi n’en dépense pas la centième partie. Un mètre cube par seconde suffit à tous ses besoins.
Faire un canal de niveau d’une seule pièce, d’une extrémité à l’autre, est impossible dans la plupart des cas[28]. Un canal se compose donc, je le répète, de pièces d’eau successives dont chacune est de niveau et par conséquent sans courant. Ces bassins appelés biefs, s’échelonnent les uns à la suite des autres, comme feraient de longs gradins. Ainsi, d’un bief à l’autre, le niveau change brusquement ; communément, la différence de niveau entre deux biefs qui se succèdent est de 2 mètres et demi à 3 mètres. À la séparation de deux biefs est toujours placée une écluse, construction en maçonnerie garnie de portes, qui sert à faire passer un bateau du bief supérieur dans le bief inférieur, ou réciproquement. Il n’est personne qui n’ait vu fonctionner une écluse ; nous avons en France assez de canaux pour cela. Au surplus, la manœuvre se fait ainsi : une écluse est un passage entre deux murs massifs, long et large autant qu’il le faut pour recevoir un bateau, et fermé de deux portes adossées, l’une au bassin supérieur, l’autre au bassin inférieur. Quand on ouvre la porte d’en haut, en fermant celle d’en bas, l’écluse est en communication avec le bassin supérieur, et l’eau s’y établit au même niveau qu’en ce bassin. Si on ouvre la porte d’en bas en tenant close celle d’en haut, l’écluse est en rapport avec le bassin inférieur, et prend de même son niveau. Le jeu de l’écluse résulte de cette faculté d’y avoir alternativement l’eau au même niveau qu’en chacun des deux biefs. On y introduit le bateau en ouvrant la porte du côté par lequel il arrive. Ensuite on ferme cette porte pour ouvrir l’autre, et on n’a plus qu’à le pousser en avant.
La différence de niveau entre deux bassins successifs est ce qu’on nomme la pente (ou bien la chute) rachetée par l’écluse qui les sépare, ou, pour mieux dire, qui les unit.
Le point de partage d’un canal est celui où les bassins ou biefs, après avoir monté, semblables à des gradins successifs, pendant un certain espace, cessent de s’élever ainsi au-dessus les uns des autres pour se mettre à descendre en sens opposé ; cette pente nouvelle prend le nom de contre-pente. Tous les canaux n’ont pas de point de partage, car il en est où les biefs vont toujours en montant sans jamais redescendre. Il est des canaux, au contraire, qui présentent successivement plusieurs points de partage ; ils ont alors plusieurs pentes et contre-pentes.
La difficulté et les frais de l’établissement d’un canal dépendent principalement de deux élémens, la longueur du parcours et la somme des pentes à racheter par les écluses. Toutes choses égales d’ailleurs, plus un canal est long, et plus il coûte cher. De même, les écluses étant des ouvrages dispendieux, leur multiplicité influe beaucoup sur le chiffre de la dépense.
Pour fixer les idées sur la longueur des canaux qu’on pourrait entreprendre et sur l’élévation qu’on est autorisé par l’expérience à faire gravir à un canal, citons quelques exemples de canaux achevés ou en cours d’exécution.
Quant à la longueur, on est habitué à faire parcourir aux canaux ordinaires des espaces indéfinis. Le canal de Bourgogne et le canal du Midi ont chacun 240 kilomètres ; le canal de la Marne au Rhin en a 300 ; le canal du Berry, 320 ; le canal du Rhône au Rhin, 349 ; le canal de Nantes à Brest, 374 ; la série des canaux qui unissent Londres à Liverpool, 425. Dans l’état de New-York, le canal Érié, digne à tous égards de son nom de grand canal, a 586 kilomètres ; les canaux compris dans la ligne de Philadelphie à l’Ohio en ont 445 ; le canal de la Chesapeake à l’Ohio en a 549 ; plusieurs autres canaux des États-Unis ont de 400 à 550 kilomètres.
Les pentes que les ingénieurs rachètent sans trop d’efforts, au moyen d’écluses distribuées sur le parcours d’un canal, sont considérables quand il s’agit d’un canal ordinaire. Le canal du Berry a 246 mètres de pente ou de contre-pente à racheter, et 115 écluses ; le canal du Midi, 252 mètres et 99 écluses ; le canal du Rhône au Rhin, 393 mètres et 160 écluses ; le canal de Bourgogne, 501 mètres et 191 écluses ; le canal de Nantes à Brest, 355 mètres et 238 écluses.
Les canaux anglais offrent moins de pente à racheter que ceux de la France. La suite des canaux qui s’étendent de Londres à Liverpool présente 443 mètres de pente et de contre-pente et 185 écluses. De tous les canaux de l’Angleterre, sur celui qui a le point de partage le plus élevé, le canal de Leominster, cette élévation est de 142 mètres au-dessus de l’une des extrémités.
En Amérique, sur le canal Érié, la somme des pentes et des contre-pentes n’est que de 20 mètres avec 83 écluses. Les deux canaux qui, avec deux chemins de fer, forment la ligne de Philadelphie au fleuve Ohio, ont 358 mètres de pente et 151 écluses. Le magnifique canal de la Chesapeake à l’Ohio aura 963 mètres de pente et de contre-pente et 398 écluses, et dans la première partie actuellement achevée, il présente 176 mètres de pente et 74 écluses.
Mais il s’agirait ici de dimensions inusitées. La cuvette d’un canal maritime tel que le canal Calédonien représente une excavation huit fois et demie plus grande que celle d’un des canaux habituels de la France, dits à grande section, et en France une écluse telle qu’il la faudrait sur le canal des deux océans coûterait quatre à cinq fois plus qu’une écluse ordinaire. Ainsi, pour comparer avec une approximation grossière les divers canaux que nous avons passés en revue au canal projeté de l’isthme, il faudrait réduire leur longueur dans le rapport de 8 1/2 à 1, et la pente qui y est rachetée par des écluses ou le nombre de celles-ci dans le rapport de 4 ou 5 à 1. À ce compte, le canal de Nantes à Brest équivaudrait pour l’isthme à un canal de 44 kilomètres, qui aurait une pente ou contre-pente à racheter de 123 mètres, ou encore 53 écluses. Le canal Érié agrandi représenterait pour l’isthme un canal d’environ 100 kilomètres avec 20 écluses rachetant 44 mètres de pente et de contre-pente.
Une difficulté qu’il est bon de prévoir lorsqu’on creuse des canaux est celle de les fournir d’eau[29]. Sous ce rapport, le climat des tropiques présente plus d’avantage que celui de nos pays tempérés. On évalue que dans les régions tropicales du Nouveau-Monde, là particulièrement où le sol est couvert de forêts, l’eau pluviale est cinq à six fois plus abondante qu’à Paris[30]. On y aurait donc assez de facilité pour remplir des réservoirs. L’évaporation, à la vérité, est plus grande entre les tropiques ; mais M. de Humboldt, à la suite de recherches et d’expériences faites avec le soin qu’il apporte à toute chose, estime qu’elle ne l’est que dans le rapport de 16 à 10. L’affluence des eaux pluviales pour une même superficie étant supérieure dans le rapport de 50 ou 60 à 10 comparativement à Paris, et de 4 à 10 vis-à-vis de l’Europe méridionale, on voit que, tout compte fait, de ce côté l’isthme de Panama n’aurait rien à envier à l’Europe. Nous verrons d’ailleurs bientôt que, dans la direction qui se recommande le plus, on aurait peu à s’inquiéter de l’approvisionnement du canal. C’est un service que la nature semble, là, avoir pris à cœur d’assurer. Retournons enfin à la description de l’isthme, en reprenant successivement les cinq localités signalées plus haut pour la faible largeur à laquelle l’isthme s’y réduit.
I. Isthme de Tehuantepec et du Guasacoalco. — En ce point, le plateau mexicain se déprime à un degré extrême. D’une hauteur semblable à celle des pics pyrénéens, le sol s’abaisse à un niveau qui est presque pareil à celui de la Beauce, et il est creusé par la vallée d’un fleuve large et profond, le Guasacoalco, qui coule d’abord dans une direction parallèle au double littoral, c’est-à-dire de l’orient à l’occident, et ensuite se dirige du sud au nord jusqu’à ce qu’il se décharge dans le golfe du Mexique. Le port que forme l’embouchure du Guasacoalco est l’un des meilleurs qu’offrent les rivières du pourtour du golfe du Mexique ; il vaut celui que donne le Mississipi lui-même. Autrefois donc, comme nous l’avons dit, l’attention avait été attirée sur cet isthme. On s’était beaucoup entretenu d’un projet de canal à y creuser ; mais on n’y pensait plus, lorsqu’on fit une découverte imprévue. C’était en 1771. On reconnut à la Vera-Cruz, parmi l’artillerie de la forteresse de Saint-Jean d’Ulua, des canons fondus aux Philippines, à Manille. Comme avant 1767 les Espagnols ne tournaient ni le cap de Bonne-Espérance ni le cap Horn pour se rendre aux Philippines, et faisaient tout leur commerce avec l’Asie au travers du Mexique par le galion d’Acapulco, on ne concevait pas que ces canons fussent venus de Manille à la Vera-Cruz. Comment avaient-ils traversé le continent mexicain ? Impossible de conduire des fardeaux pareils d’Acapulco à Mexico, et de là à la Vera-Cruz. Il fut constaté à la fin, par une chronique de Tehuantepec, que ces canons avaient été amenés par l’isthme ; qu’ils avaient remonté le Chimalapa aussi haut que possible, s’étaient ensuite acheminés par terre jusqu’en un point où, par les hautes eaux, commence sur le Guasacoalco une bonne navigation. L’imagination publique en fut frappée. Si des pièces de gros calibre avaient traversé l’isthme, n’était-ce pas la preuve qu’une communication avantageuse entre les deux océans pouvait s’établir par Tehuantepec et le Guasacoalco, pour peu qu’on aidât la nature. Ainsi qu’il arrive ordinairement, le public exagérait les facilités qui se présentaient. On disait que le Guasacoalco avait ses sources tout près de la mer Pacifique ; qu’à son approche, la Cordillère s’était nivelée, et que telle ou telle rivière, l’Ostuta ou le Chimalapa, versait également ses eaux dans les deux océans. Le vice-roi don Antonio Bucareli donna ordre à deux ingénieurs, don Augustin Cramer et don Miguel del Corral, d’examiner le terrain dans le plus grand détail. Leur exploration fut fort imparfaite ; on ne voit pas qu’ils aient opéré aucun nivellement ni déterminé aucune hauteur, et leur conclusion se ressentit de l’enthousiasme au moins prématuré dont l’opinion s’était prise pour le canal des deux mers par cette direction. Cependant ils firent connaître que par le Guasacoalco on ne franchirait pas plus des deux tiers de l’isthme, que de l’embarcadère de Malpasso, qui est au-dessus de celui de la Cruz, placé au confluent du Saravia, il y aurait encore jusqu’à la mer du Sud un trajet de 110 kilomètres (26 lieues de Castille), et qu’aucune rivière ne communiquait avec les deux mers à la fois. Ils signalèrent la difficulté de faire aboutir le canal à un bon mouillage sur l’Océan Pacifique. Jusque-là ils étaient dans le vrai ; mais, passant ensuite dans la fable, ils émirent l’opinion qu’un canal des deux mers joignant le Chimalapa au Guasacoalco pouvait s’exécuter sans écluses ni plans inclinés. D’après les dernières études qui eurent lieu à la fin du XVIIIe siècle, sous le vice-roi Revillagigedo, homme éclairé, plein d’ardeur pour le bien public, le canal de jonction entre le Chimalapa et le Rio del Malpasso, affluent du Guasacoalco, n’aurait eu que 25 kilomètres. Il s’agissait non d’un canal maritime, mais d’une ligne praticable pour des bateaux ou de grandes pirogues.
Les études de MM. Cramer et del Corral, et celles qui eurent lieu après eux, laissèrent donc l’isthme de Tehuantepec en excellente renommée. Quand furent terminées les guerres de la révolution française, en 1814, les cortès espagnoles, sur la proposition d’un député mexicain, don Lucas Alaman, qu’on a vu depuis ministre des affaires étrangères à Mexico, décrétèrent le canal ; mais la lutte de l’indépendance du Mexique se rouvrit bientôt, et le décret n’eut aucune suite.
Peu après l’indépendance du Mexique, le général du génie don Juan Orbegoso fut détaché par le gouvernement mexicain pour procéder à une exploration. Ce savant officier se mit à l’œuvre en 1825. Il fit des observations astronomiques pour déterminer des latitudes et des longitudes. Il mesura l’élévation du sol au-dessus de la mer, non par des nivellemens, mais au moyen d’un baromètre, ce qui, dans les régions équinoxiales cependant, donne des résultats d’une approximation remarquable. Malheureusement le baromètre dont il se servit n’était pas tout-à-fait orthodoxe[31]. Résumons les résultats de son pénible travail :
L’isthme, mesuré du rivage du golfe de Tehuantepec à la barre du Guasacoalco, a une largeur de 220 kilomètres. Les lagunes communiquant avec la mer, qui sont à l’est de Tehuantepec l’une derrière l’autre, réduiraient cette distance d’au moins 21 kilomètres.
Le Guasacoalco offre à sa barre 4 mètres d’eau pour le moins (d’autres observateurs ont dit davantage). Il est même arrivé qu’un vaisseau de ligne espagnol, l’Asia, poursuivi par la tempête, ait pu, il n’y a pas long-temps, entrer dans le fleuve[32]. La barre est fixe et courte. Une fois la barre franchie, on trouve une profondeur suffisante pour les bâtimens de mer jusqu’à une dizaine de lieues. Il serait facile de le rendre navigable en tout temps pour de grands bateaux de rivière jusqu’au confluent du Saravia, qui est à moitié de l’espace entre les deux océans[33]. Il y a lieu de croire qu’on devrait creuser un canal latéral à partir de Piedra Blanca (ou Peña Blanca), en remontant jusqu’au Saravia ; c’est un espace de 55 kilomètres en ligne droite. Le sol, principalement formé d’une argile aisée à entamer, s’y prêterait. Entre ces deux points, le cours du fleuve est très sinueux, et un canal latéral raccourcirait le trajet de moitié. À la rigueur, cependant, une navigation permanente serait possible dans le lit du fleuve, presque partout, non-seulement jusqu’au Saravia, mais jusqu’au Malpasso. Au-dessus, un canal tout artificiel serait indispensable.
La crête du versant des eaux, fort abaissée dans l’isthme, est d’ailleurs bien plus voisine du Pacifique que de l’Atlantique. Au sud de la Chivela, on trouve un col qui n’est qu’à 251 mètres au-dessus de la mer. Le col de Saint-Michel de Chimalapa est à 393 mètres. L’art de l’ingénieur saurait faire franchir des élévations pareilles à un canal. La hauteur des montagnes ne présenterait donc pas au passage d’un canal des deux océans un obstacle insurmontable, à la condition cependant qu’on pût conduire au sommet un suffisant approvisionnement d’eau. Mais le rapport du général Orbegoso renverse tout l’espoir qu’on avait d’une navigation fluviale régulièrement bonne dans le Chimalapa ou dans tout autre cours d’eau pour descendre dans l’Océan Pacifique. Le Chimalapa n’est praticable, même pour des pirogues, que pendant la saison des pluies. À San-Miguel de Chimalapa, qui est à 40 ou 45 kilomètres des lagunes attenantes à la mer, et même 13 kilomètres plus bas, son lit est à sec pendant le tiers de l’année. Le sol étant perméable et les vallées très ouvertes, il ne serait pas facile d’établir de grands réservoirs pour suppléer à l’absence des eaux fluviales en recueillant les pluies. Un canal sur le versant de l’Océan Pacifique devrait s’alimenter des eaux du Guasacoalco lui-même, amenées par une rigole au travers de la crête.
Il n’est pas démontré que la disposition du sol interdise absolument l’établissement d’une pareille rigole. À partir de leurs sources, le Guasacoalco et le Chimalapa coulent parallèlement l’un à l’autre de l’est à l’ouest, séparés par une distance de 28 kilom., pour se détourner, le premier à Santa-Maria de Chimalapa, vers le nord, le second à 6 kilom. au-dessous de San-Miguel, vers le sud, afin d’atteindre chacun son océan. Une rigole tracée obliquement du Guasacoalco au Chimalapa, dans la partie de leurs cours où ils sont parallèles, atteindrait celui-ci, sans avoir à se développer sur plus de 30 à 40 kilomètres, ce qui, pour une rigole alimentaire, n’a rien d’inusité. À Santa-Maria, le Guasacoalco coule à un niveau qui est à peu près le même que celui du Chimalapa à San-Miguel. Il n’y aurait donc qu’a prendre le Guasacoalco un peu au-dessus de Santa-Maria pour qu’il vint se verser naturellement à San-Miguel dans le Chimalapa ; mais il faudrait que le terrain permit à la rigole de passer, moyennant des souterrains médiocrement étendus. La direction dans laquelle le général Orbegoso a cherché un passage n’y est pas favorable, car il faudrait être en souterrain presque sur toute la distance. Il est allé à peu près tout droit de Santa-Maria à San-Miguel[34].
Le général Orbegoso conclut en ces termes, que la canalisation de l’isthme de Tehuantepec demeure problématique et gigantesque[35] ; mais il regarde comme facile une communication résultant d’une bonne route entre les lagunes de Tehuantepec et le Guasacoalco.
On aurait ensuite à remédier, s’il était possible, à l’absence d’un port passable sur l’Océan Pacifique. Tehuantepec mérite à peine le nom de rade. On y arrive par deux lagunes successives et profondes d’environ 5 mètres, dont l’une est très allongée parallèlement au littoral ; l’autre, placée en arrière de celle-ci et beaucoup plus courte, a encore 17 kilomètres. Depuis la fin du XVIe siècle, Tehuantepec est très peu fréquenté ; la mer se retire journellement de ces côtes ; l’ancrage y devient d’année en année plus mauvais, le sable que charrie le Chimalapa augmente la hauteur et l’étendue des barres sablonneuses placées au débouché de la première lagune dans la seconde, et de celle-ci dans la mer, et déjà Tehuantepec n’est plus accessible qu’à des goëlettes.
L’exploration du général Orbegoso constata dans l’isthme la présence d’une magnifique végétation, indice d’un sol riche. Même avant le voyage de M. de Humboldt, les belles forêts de Tarifa avaient attiré l’attention de la cour d’Espagne. La fertilité de la spacieuse plaine de Tehuantepec fut pareillement avérée de nouveau. Il en fut de même de la salubrité relative du pays, à une certaine distance de la mer. Enfin on se souvint que jadis l’isthme avait été fort peuplé, et on en conclut naturellement qu’il pourrait le redevenir. De là un plan de colonisation qui fut mal exécuté, et se termina par la mort ou la dispersion des colons, mais qu’on pourrait reprendre avec avantage.
Le projet de faciliter la communication entre les deux océans par l’isthme n’a pourtant pas été abandonné. Il y a deux ans, le gouvernement mexicain a concédé l’entreprise à don Jose Garay. Si je suis bien informé, l’œuvre a reçu un commencement d’exécution ; mais il ne s’agit plus d’un canal maritime, d’un ouvrage qui tienne lieu d’un bras de mer. Le plan est infiniment plus modeste, et se rapproche de celui du général Orbegoso.
II. Isthme de Honduras. — Après l’isthme de Tehuantepec, la chaussée placée entre les deux océans se flanque du contrefort massif de la péninsule de Yucatan et s’élève dans la même proportion. Les montagnes sont hautes, serrées les unes contre les autres, et présentent un obstacle continu. Il en est d’abord de même de l’autre côté de la presqu’île autour de la baie de Honduras, elles forment une muraille à pic qui semble se dresser subitement du sein des flots, car, suivant l’historien Juarros, le nom de Honduras fut donné à la baie parce que les sondages ne trouvaient pas le fond de la mer, et qu’on n’y pouvait jeter l’ancre. Les montagnes sont ainsi rangées en cirque autour de la baie depuis le méridien de l’île d’Utilla jusqu’au cercle de latitude de Balise. Leur élévation mal déterminée est de plus de 2,000 mètres[36]. La Balise, sur les rives de laquelle les Anglais se sont donné un établissement qui, avec l’île voisine de Roatan, les rend maîtres de la baie, s’échappe en bondissant, de cataracte en cataracte, du sein de ces montagnes.
À mesure qu’on s’éloigne de l’Atlantique pour se rapprocher du Pacifique, la surface générale du terrain, abstraction faite des sommets qui s’y dressent comme sur un piédestal, va en montant. En arrière des cimes étalées en double rideau sur le pourtour de la baie, se déploie un plateau qui reproduit sur une moindre échelle l’imposante majesté du plateau d’Anahuac[37], mais en égale, sous un ciel plus délicieux encore, les plus rares magnificences. Il est surmonté de montagnes volcaniques dont la hauteur est évaluée par un observateur exact, le capitaine Basil Hall, à 4,000 mètres. Presque tout droit derrière la tête de la baie de Honduras, sur ce plateau enchanté, lorsque déjà il s’est beaucoup rabaissé, est située, à 500 ou 600 mètres au-dessus de la mer, non loin du Pacifique, la belle cité de Guatimala, au pied de deux volcans les plus beaux à contempler et les plus magnifiquement réguliers dans leur forme élancée qu’il y ait dans l’univers, mais aussi les plus formidables en leur colère. Sans cesse ils menacent la ville : trois fois déjà elle a dû être transportée en masse d’un point à un autre, et jamais les populations n’ont pu consentir à s’éloigner de cette plaine tiède, salubre, admirablement arrosée, où la nature étale toutes les richesses de la végétation, toutes les splendeurs et tous les charmes dont peut être orné un paysage ; elles semblent éperdument amoureuses de ces sites ravissans. Sur le côté méridional de la baie, la chaîne s’incline. Le Golfo Dulce, baie intérieure attenante à la baie ouverte de Honduras, pénètre dans les terres à une centaine de kilomètres, et de son extrémité la plus avancée dans l’isthme jusqu’au Pacifique, il n’y a que 100 kilomètres environ ; le Polochic, qu’il reçoit et qu’on dit praticable pour des bateaux à vapeur, pourrait servir à franchir une partie de ce dernier intervalle. Malheureusement, derrière le Polochic et les autres cours d’eau qui se déchargent dans le Golfo Dulce, les montagnes présentent une barrière insurmontable pour un canal. Un peu plus au sud-est une vallée transversale, celle de Comayagua, faisant brèche dans l’arête de partage, s’étend d’une mer à l’autre, et débouche dans le golfe de Conchagua (ou Fonseca) sur le Pacifique ; elle a été reconnue, il y a sept ou huit ans, par don Juan Galindo. Cette vallée est arrosée sur le versant de l’Atlantique par le Jagua, sur celui du Pacifique par le Sirano (ou San-Miguel), l’un et l’autre navigables. Mais jusqu’à quelle distance de leurs mers respectives le sont-ils ? combien de mois chaque année ? quel moyen aurait-on de les joindre l’un à l’autre par un canal à point de partage ? C’est ce que nous ne saurions dire. On peut cependant tenir pour certain, dès à présent, qu’il n’y a pas de canal maritime possible dans cette direction à moins de frais infinis. La distance est trop grande, et l’art aurait trop à faire pour suppléer à l’insuffisance des facilités naturelles.
Ces belles contrées sont encore très mal connues. On n’en trouve pas deux cartes qui se ressemblent. Tous les géographes s’accordent cependant à signaler quelques rivières qui prennent leurs sources près de l’un des océans pour aller de là se décharger dans l’autre. La plus remarquable est le Motagua qui, sortant d’un petit lac situé à quelques lieues du Pacifique, se jette dans l’Atlantique après avoir parcouru les cinq sixièmes au moins de l’espace qui sépare les deux mers. Les tributaires du Pacifique qui offrent le même caractère sont très peu nombreux. Même dans l’isthme, depuis Tehuantepec jusqu’au golfe de Darien, on voit persévérer la loi de la nature qui a accordé dans le nouveau continent un cours beaucoup plus long aux tributaires de l’Atlantique qu’à ceux de l’autre océan dont les sources s’entrelacent avec les leurs[38]. Le Camaluzon (ou Camaleçon), l’Ulua, paraissent aussi être navigables assez avant ; mais tous ces cours d’eau partent de points très élevés d’où il serait difficile ou impossible de conduire un canal dans l’océan opposé. Le Motagua, par exemple, naît sur un plateau d’une très grande hauteur. La province de Quesaltenango, qu’il traverse, donne toutes les productions des pays tempérés de l’Europe, ce qui, par 15 degrés de latitude, suppose une grande élévation. Les écrivains espagnols, et entre autres Juarros, disent que c’est un climat froid ; on sait que c’est le même terme qu’on applique à la vallée de Mexico où l’on se passe aisément de feu toute l’année. L’expression n’a donc point le sens que nous pourrions lui attribuer ; elle suppose pourtant une élévation de plus de 2,000 mètres sans préjudice d’une plus grande hauteur pour les cimes qui dominent le pays.
À Chimaltenango, qui est dans le même bassin, les eaux se séparent entre les deux océans. L’eau des gouttières du côté droit de la cathédrale se rend dans l’Atlantique, celle du côté gauche va dans le Pacifique ; mais il ne s’ensuit absolument rien pour la possibilité d’une communication navigable entre les deux mers.
Nous tiendrons pour constant que, derrière la baie de Honduras, il peut y avoir place seulement pour des canaux de petite navigation entre les deux océans, et que sur ce point aussi nous sommes déboutés de toutes prétentions à un canal maritime. Allons donc plus loin, c’est-à-dire de l’autre côté de l’Amérique centrale, au lac de Nicaragua.
III. Isthme de Nicaragua. — Mesurée de rivage à rivage, la distance des deux océans est encore de 250 kilomètres environ ; mais une grande déchirure a creusé au milieu des terres le lit d’un lac spacieux, celui de Nicaragua, inépuisable réservoir qui s’épanche dans l’Atlantique par un fleuve large et profond, le San-Juan. Les deux océans deviennent ainsi fort voisins l’un de l’autre ; et deux golfes, celui de Papagayo et celui de Nicoya, ont échancré le littoral du Pacifique, comme afin que cet océan fit à son tour une partie du chemin. Au-delà de ce fleuve et de ce lac le voyageur qui vient de l’Atlantique rencontre un second lac, celui de Leon (ou de Managua) dont l’extrémité n’est aussi qu’à quelques lieues de l’Océan Pacifique, et qui se déverse dans le premier par un autre fleuve, le Tipitapa. Enfin sur la côte voisine du lac de Léon est un port, celui de Realejo, dont on a dit autrefois qu’il était le plus beau peut-être de la monarchie espagnole. Ces lacs et ces nobles cours d’eau en chapelet rappellent ceux qui, en Écosse, occupent une gorge entre les deux mers qui baignent les flancs de la Grande-Bretagne, et à l’aide desquels on a fait un canal assez spacieux pour recevoir des frégates, le canal Calédonien. Ils invitent de même l’homme à compléter de mer en mer, par une coupure, une communication dont l’importance serait à celle du canal Calédonien à peu près dans la proportion d’un détroit au Grand-Océan, ou de l’île de la Grande-Bretagne au continent des deux Amériques.
Le lac Nicaragua a 153 kilomètres de long, 50 de large, et à peu près partout il offre une profondeur de 25 mètres. Le fleuve San-Juan, qui continue le grand axe du lac, c’est-à-dire qui coule à l’est, a un parcours, de 127 kilomètres. Le lac de Leon a, dans sa plus grande dimension, 63 kilomètres, et un pourtour de 147 ; la rivière Tipitapa, par laquelle il se déverse dans le lac de Nicaragua présente un développement de 48 kilomètres. Ainsi il y a de l’Atlantique au fond du lac de Nicaragua 190 kilomètres, et au fond du lac de Leon 301[39]. La ville de Leon, sur le lac du même nom, et celle de Grenade, sur le lac de Nicaragua, sont de populeuses cités.
Ici la jonction des deux océans peut s’opérer, soit par le lac de Leon, en se dirigeant de là sur le port de Realejo ou sur celui de Taramindo[40], ou encore sur la rivière Tosta, qui, sur la route de Leon à Realejo, descend du volcan de Telica, soit en allant du bord occidental du lac de Nicaragua lui-même au port de Saint-Jean du sud, dans le golfe de Papagayo ; soit enfin en se rendant de la pointe méridionale du lac à la baie de Nicoya (aussi nommée baie de Caldera). Cela fait, il resterait cependant à améliorer le cours du fleuve San-Juan de Nicaragua, et, si l’on devait aller jusqu’au lac de Leon, celui du Tipitapa, de manière à les rendre praticables pour de forts navires. Le fleuve San-Juan de Nicaragua est parcouru toute l’année, d’une extrémité à l’autre, par des pirogues d’un tirant d’eau de 1 mètre à 1 mètre 20 centimètres, mais presque partout il présente une beaucoup plus grande profondeur. Par des travaux de perfectionnement à trois ou quatre rapides[41] qu’on y rencontre çà et là, il serait possible et même facile aux navires tirant 3 mètres et demi à 4 mètres de se rendre en tout temps de la pleine mer au lac. Le volume d’eau que débite le fleuve est même assez considérable pour que l’on pût, avec plus de dépense, obtenir des résultats plus avantageux encore. On peut en dire autant du Tipitapa. La barre du fleuve San-Juan de Nicaragua a 3 mètres et demi d’eau, et, sur un point, elle offre, suivant M. Robinson, une passe étroite de 7 mètres et demi de profondeur[42].
Le grand obstacle à une communication océanique par le pays de Nicaragua ne paraît donc point résider dans le fleuve San-Juan ; il n’est pas non plus dans le lac, quoiqu’il y ait quelquefois des coups de vent d’une grande violence ; mais quelle serait la difficulté qu’opposerait la muraille à renverser ou à percer entre le lac de Nicaragua ou le lac de Leon et l’Océan Pacifique ?
Aucune contrée n’est hérissée d’autant de volcans que cette partie de l’Amérique, du 11e degré de latitude au 13e ; mais dans les environs du lac de Nicaragua, les montagnes par le cratère desquelles le feu souterrain se fraie un passage sont en petits groupes isolés et quelquefois en cimes solitaires. Ce n’est plus une chaîne continue. Elles s’élancent de la plaine, laissant entre elles des vallées, ou tout au moins des passages. L’étroite langue de terre qui sépare le lac de Nicaragua de l’Océan Pacifique, toute parsemée de volcans qu’elle est, présente un terrain de peu d’élévation. Les récits du célèbre navigateur Dampier, qui avait guerroyé dans ces régions, autorisaient à supposer que, dans les trois tracés du lac de Leon à Realejo, du lac de Nicaragua à la baie de Papagayo ou à celle de Nicoya, le terrain est le plus fréquemment uni et en savanes. Entre la ville de Leon et la côte de Realejo, le sol naturel offre un bon chemin pour les voitures, et d’un bout à l’autre il semble tout-à-fait plat[43] ; mais l’œil d’observateurs, même exercés, apprécie difficilement les saillies du terrain lorsqu’il monte graduellement. « Rien de plus trompeur, dit M. de Humboldt, que le jugement que l’on porte de la différence de niveau sur une pente prolongée et par conséquent très douce. Au Pérou, j’ai eu de la peine à croire mes yeux en trouvant, au moyen d’une observation barométrique, que la ville de Lima est de 91 toises (176 mètres) plus élevée que le port du Callao. Les mangliers que Dampier a vus sur la route de Realejo à Leon sont de sûrs indices d’un sol déprimé et humide ; mais il ne dit point qu’il les ait observés sur toute la ligne.
Il faut donc des nivellemens soignés : rien n’y peut suppléer. À la fin du siècle dernier, quelques années avant la révolution française, alors que les idées d’amélioration et de progrès germaient partout, la cour d’Espagne fit exécuter un nivellement du golfe de Papagayo au lac de Nicaragua. C’est alors que fut connue pour la première fois l’élévation du lac au-dessus de l’Océan. L’ingénieur don Manuel Galisteo trouva que la distance de l’Océan au lac était de 29,910 mètres, que le faîte du terrain était à 86 mètres 62 centimètres au-dessus de l’Océan, et à 45 mètres 75 centimètres au-dessus du lac, ce qui donnait pour la hauteur du lac lui-même, relativement à l’Océan, 40 mètres 87 centimètres. Le creusement d’un canal au niveau du lac n’eût rencontré de difficulté que dans un intervalle de 9,600 mètres attenant au lac. L’élévation du terrain au-dessus du lac y est d’au moins 18 mètres 30 centimètres, et même pendant 2,800 mètres elle est de 41 mètres 18 centimètres, et pendant 540 mètres de 52 mètres. Le canal exigerait donc un souterrain, car on ne fait pas de tranchée de 52 mètres ni même de 40. Vingt mètres représentent la limite à laquelle ordinairement on s’arrête. Il a fallu les trésors dont disposaient les vice-rois du Mexique, les souvenirs de l’ancienne grandeur castillane, et peut-être aussi l’inexpérience des ingénieurs espagnols en matière de souterrains, pour que, dans le but d’assurer l’écoulement des lacs voisins de Mexico, qui menaçaient cette belle capitale, on ait osé entreprendre et on ait pu terminer la tranchée de Huehuetoca, dont la profondeur est de 45 à 60 mètres pendant un intervalle de plus de 800 mètres, et de 30 à 50 mètres pendant un autre espace de 3,500 mètres. D’ailleurs elle a coûté des sommes inouies[44], et l’on ne répéterait pas l’expérience sur les bords du lac Nicaragua.
Les résultats du nivellement de don Manuel Galisteo ne furent divulgués qu’après l’indépendance du Guatimala. Un officier de la marine anglaise, M. Bailey, chargé par le gouvernement de l’Amérique centrale d’étudier le canal des deux océans, les découvrit et les communiqua à l’envoyé britannique, M. Thompson, qui les publia ; mais M. Bailey, se méfiant de cette exploration qui semble n’avoir pas été effectuée par les moyens les plus sûrs, la recommença en suivant une autre ligne, et, dans une relation récente pleine d’intérêt sur l’Amérique centrale, M. J.-L. Stephens, ci-devant chargé d’affaires des États-Unis dans ce pays, a fait connaître le travail de M. Bailey.
M. Bailey, choisissant un autre tracé, était parti d’un point situé sur la rivière San-Juan du Sud, à 2 kilomètres de la mer Pacifique ; les forts navires remontent ce cours d’eau jusque-là. Il n’a trouvé que 25,950 mètres de distance entre l’océan et le lac. Le point culminant du terrain, situé à 5,895 mètres du point de départ, est à une élévation au-dessus de la mer de 187 mètres 78 centimètres. Le lac est élevé de 39 mètres 11 centimètres, et par conséquent à 148 mètres 67 centimètres au-dessous du point culminant. On l’aborde par une plage unie. D’après un profil de canal présenté par M. Stephens[45], conformément aux données topographiques recueillies par M. Bailey, le canal irait en s’élevant à partir du lac, pour s’abaisser ensuite vers la mer du Sud. Sur les 13 kilomètres attenant au lac, il n’y aurait qu’une écluse rachetant une pente de 2 mètres 97 centimètres ; puis sur un intervalle de 1,600 mètres, il faudrait cinq ou six écluses, afin de racheter une chute de 19 mètres 52 centimètres. On serait alors au point le plus élevé du canal. Ce point de partage occuperait un espace de 4,800 mètres dont les deux tiers seraient en tranchée profonde, le reste en souterrain. De là jusqu’à la mer du sud, il n’y aurait plus que 4,800 mètres, espace sur lequel seraient distribuées les écluses réclamées par la pente de 61 mètres qu’il faudrait racheter. Le travail de M. Bailey et celui de don Manuel Galisteo s’accordent donc pour attester qu’en faisant intervenir un souterrain, le canal est tout-à-fait praticable, et même que l’épaisseur de la crête ne présente à l’exécution d’un souterrain aucune difficulté qui surpasse celles dont on est habitué à triompher.
Ainsi, d’après le projet publié par M. Stephens, le canal s’élèverait, par des écluses successives, à 22 mètres 9 centimètres au-dessus du lac, afin d’aller chercher dans le terrain un point où la crête à couper par un souterrain soit fort peu épaisse. Mais il faudrait qu’à cette hauteur on trouvât une quantité d’eau suffisante pour subvenir aux besoins du canal. Si l’on voulait que le canal tirât ses eaux du lac lui-même, ce qui probablement serait indispensable, car rien dans l’exposé de M. Stephens n’indique à quelles autres sources on pourrait puiser, le souterrain, placé au niveau du lac, rencontrerait la crête en un point où elle serait beaucoup plus épaisse, et, au lieu de 1,600 mètres, il devrait en avoir 5,790. L’art européen en est venu à ne pas s’effrayer de travaux pareils. Sur le canal de la Marne au Rhin, à Mauvage, il y a un souterrain de près de 5,000 mètres ; le grand souterrain du canal de Saint-Quentin, celui de Riqueval, a 5,677 mètres. Le souterrain du point de partage sur le canal de la Chesapeake à l’Ohio, en Amérique, aura 6,509 mètres. Celui de Pouilly, sur le canal de Bourgogne, a 3,333 mètres. Les canaux anglais offrent plusieurs souterrains de 2000 à 4,000 mètres. Sur les chemins de fer anglais, on en rencontre de 4,800 mètres (chemin de fer de Sheffield à Manchester) et de 2,800 mètres (chemin de fer de Londres à Birmingham)[46] ; le chemin de fer de Lyon à Marseille aura des souterrains fort étendus aussi. Cependant sur un canal maritime, en supposant qu’on pût en admettre, ce qui est bien douteux, ils devraient être plus spacieux et plus élevés, doubles en largeur et en hauteur de ce qui est en usage sur un canal à grande section, dans l’hypothèse même où les navires seraient démâtés ; ce serait une surface de percement quadruple, et la dépense serait accrue d’autant dans les circonstances les plus propices.
Suivant les autres directions, les renseignemens techniques manquent. Je lis dans une description de l’Amérique centrale et du Mexique, imprimée à Boston en 1833[47], que la ligne de faîte entre le lac de Leon et l’Océan Pacifique s’abaisse jusqu’à n’être plus que de 15 mètres 55 centimètres au-dessus du lac. L’auteur ajoute que du même lac à la rivière Tosta il n’y a que 19 kilomètres, et que la rivière Tosta, au point où l’on pourrait la rejoindre, est à 91 centimètres au-dessus du lac. Ce serait fort heureux, car dès-lors on serait affranchi de la pénible obligation d’un souterrain, une tranchée de 16 mètres au maximum n’ayant rien qui sorte de la pratique la plus usuelle des ponts-et-chaussées. Mais ce livre ne fait pas connaître l’origine des informations auxquelles il initie le public, et l’on n’en trouve trace nulle autre part. Il faut donc les accueillir avec beaucoup de réserve. Tout ce pays est à explorer encore. Ces contrées, si intéressantes pour le commerce de l’univers, si attrayantes par leur éclat, leur fertilité et le charme de leur climat, ont été moins fréquentées par les voyageurs en état de les apprécier et par les savans avides des secrets de la nature que les plateaux inhospitaliers de la Tartane, les déserts brûlans de l’Afrique et les glaces du pôle. Pour mettre le lecteur à même de juger de l’obscurité qui règne encore sur la géographie la plus élémentaire du pays, il nous suffira de mettre en regard les unes des autres les évaluations de la distance de Realejo au lac de Leon présentées par les divers observateurs. Dampier la porte à 20 milles anglais (32 kilomètres). M. Léon Leconte, jeune Français plein de courage, qu’un noble sentiment de patriotisme a déterminé à faire plusieurs voyages dans l’isthme, à l’effet de rechercher le meilleur tracé du canal des deux océans et de placer cette entreprise sous le patronage de son pays dit que de Redejo à Moabita sur le lac, il y a 30 milles (48 kilomètres). M. Stephens, d’après M. Bailey, estime à 60 milles (96 kilomètres) l’espace entre Realejo et le lac de Leon. Cette dernière estimation est exagérée. D’après M. Léon Leconte, du port de Taramindo au lac de Leon, il n’y aurait en ligne droite que 3 lieues, soit 13 à 14 kilomètres.
L’élévation du lac de Leon au-dessus du lac de Niaragua paraît être de 8 mètres 74 centimètres[48] ce qui le suppose à 47 mètres 86 centimètres au-dessus de l’Océan. Cette différence de niveau pourrait se racheter par 15 écluses, en supposant qu’un jour des barrages accompagnés d’écluses dussent être établis de distance en distance tout le long du fleuve San-Juan et de la rivière Tipitapa. On voit que, même en remontant jusqu’au lac de Leon, le canal des deux océans ne requerrait que trente écluses, en admettant, il est vrai, que du lac de Leon à Realejo ou à quelque autre port de la même côte le terrain permît d’ouvrir un canal qui prît ses eaux dans le lac lui même, et par conséquent ne s’élevât jamais au-dessus du niveau du lac. C’est ce qu’on a pu faire sans souterrain sur un canal célèbre dans les fastes des travaux publics, le canal Érié. En quittant le lac Érié, il se déploie à ciel ouvert et même sans tranchée bien profonde, d’abord au niveau du lac, puis à un niveau inférieur, et emprunte au lac les eaux dont il a besoin pour l’espace extraordinaire de 256 kilomètres. Sur le reste de son parcours, il puise à d’autres sources. Mais la plage du lac de Leon se présente-t-elle dans des circonstances aussi exceptionnellement avantageuses ? Nous ne savons ; il n’y a cependant pas lieu d’en désespérer.
Il ne s’agit pas seulement de parvenir en canal jusqu’à la mer du Sud pour que le problème soit complètement résolu, il faut encore trouver là un bon port. Celui de San-Juan du Sud, du voisinage duquel était parti M. Bailey, et qui s’indiquait naturellement, est-il bon ou seulement passable ? Sur ce point, on n’est pas d’accord. Les uns le représentent comme une rade foraine, les autres comme un excellent mouillage. Cependant M. Bailey et M. Stephens, qui sont les derniers explorateurs venus dans le pays, s’accordent à en faire l’éloge. M. Stephens le trouve fort bien abrité, et M. Bailey, qui l’a sondé, l’a reconnu d’une grande profondeur. Il est bordé de rochers à pic contre lesquels les navires peuvent mouiller en sûreté[49], mais il est de peu d’étendue. On assure qu’une vingtaine de navires le rempliraient. En 1840, quand M. Stephens le visita, c’était une profonde solitude. Il y avait des années qu’on n’y avait vu une voile.
Nicoya paraît être de même un assez bon mouillage ; il est situé sur une rivière que les bâtimens de mer peuvent remonter jusqu’à une certaine distance. Le port de Taramindo, qui, selon M. Leconte, se recommande par sa proximité du lac de Leon, a, dit-il, assez d’analogie avec celui de San-Juan du Sud. Pourtant celui de Realejo mérite une attention toute particulière. Juarros, que personne n’a contredit en cela, le caractérise en ces termes : « Il n’y a peut-être pas, dit-il, un meilleur port dans la monarchie espagnole, et dans le monde connu il est bien peu de ports qui lui soient préférables. D’abord il est assez vaste pour que mille vaisseaux y soient à l’abri ; l’ancrage est bon partout, et les gros vaisseaux peuvent venir à quai sans courir le moindre risque. L’entrée et la sortie sont extrêmement faciles, et nulle part on ne rencontrerait une pareille abondance de matériaux de construction[50]. »
Au-delà du lac de Nicaragua, les montagnes se redressent encore une fois, mais l’isthme se rétrécit de plus en plus. Il a d’abord 130 à 150 kilomètres dans la province de Veragua ; sur la baie de Panama, il est à son minimum. À Panama, il n’est que de 65 kilomètres, et à la baie de Mandinga, qui est un peu plus loin à l’est, c’est moins encore[51]. La hauteur des montagnes, de laquelle bien plus encore que de la largeur de l’isthme dépend la possibilité du canal, est très variable dans le long intervalle du lac de Nicaragua au massif de l’Amérique méridionale. D’après le mémoire adressé par M. Wheaton à l’institut de Washington, dans la province de Costa-Rica, attenant à celle de Nicaragua, l’élévation moyenne de la chaîne est d’environ 1,600 mètres ; c’est la hauteur des sommets les plus élevés des Vosges. Dans la province de Veragua, elle paraît atteindre celle des Pyrénées, et un plateau y règne uniformément sur un certain espace ; mais quand on s’avance plus à l’est et qu’on se place sur l’isthme de Panama proprement dit, qui borde, sur l’Océan Pacifique, le vaste espace semi-circulaire qu’on nomme la baie de Panama, on voit la charme se briser, s’éparpiller, rentrer sous terre, pour se relever bientôt, il est vrai ; car dans l’isthme de Panama lui-même, à l’est de Chagres, entre cette ville et Porto-Belo et au-delà, la chaîne se redresse. Cependant, à la baie de Mandinga, où l’isthme est réduit à son minimum d’épaisseur, M. Wheaton assure, sans indiquer les autorités sur lesquelles il s’appuie, qu’une autre vallée se présente transversale de mer à mer.
Arrivons donc à l’isthme de Panama.
IV. — Isthme de Panama proprement dit. — Au commencement du siècle, M. de Humboldt se plaignait de ce que, dans l’isthme de Panama, la hauteur de la Cordillère qui forme l’arête de partage fût aussi peu connue qu’elle pouvait l’être avant l’invention du baromètre et l’application de cet instrument à la mesure des montagnes. Il n’existait ni un nivellement de terrain, ni une détermination bien exacte des positions de Panama et de Porto-Belo, quoique la couronne d’Espagne eût dépensé des sommes énormes pour fortifier ces deux places et en faire de grands établissemens destinés à garder comme de vigilantes sentinelles chacun l’un des deux océans. De toutes parts, on disait que le canal de Panama serait une œuvre à illustrer un règne et un siècle, et pas un ingénieur n’y était envoyé pour en mesurer, même approximativement, les difficultés. D’habiles navigateurs, Dampier et Wafer, étaient passés par là et y avaient fait un séjour ; ils avaient observé comme le bourgeois de Londres ou de Paris le plus étranger à la science géographique l’aurait pu faire. Tout ce qu’ils avaient rapporté de ces lieux, au sujet de la configuration du terrain se réduisait à cette information vague, qu’à l’œil le pays ne paraissait pas hérissé de montagnes, que la chaîne centrale, dont les proportions ne dépassaient pas celles de collines, était fractionnée, morcelée, et qu’on y trouvait des vallées laissant un libre cours aux rivières, un facile passage aux chemins. Bourguer et La Condamine étaient restés trois mois dans l’isthme, ainsi que les astronomes espagnols don George Juan et Ulloa, leurs compagnons de labeurs. Ni les uns ni les autres n’avaient eu la curiosité de consulter leur baromètre pour apprendre au monde quelle était la hauteur du point le plus élevé sur la route qu’on suivait entre les deux océans.
L’aspect général du pays qui entoure Panama et s’étend par derrière jusqu’à l’autre océan est celui d’une surface plane de laquelle s’élèvent en grand nombre des collines isolées les unes des autres ou groupées en petits massifs, entre lesquels se déploient, en se contournant, des vallées boisées et quelquefois des savanes ou prairies sans arbres. Les sommets ont rarement plus de 100 à 150 mètres. Entre Chagres d’un côté et la baie de Chorrera, située sur l’autre mer, à 17 kilomètres à l’ouest de Panama, ils deviennent encore plus rares et moins élevés ; sauf quelques saillies solitaires, on dirait un sol parfaitement uni ; c’est l’impression qu’il a laissée sur plusieurs navigateurs qui ont défilé sur ces côtes. Les cours d’eau sont multipliés ; ceux du versant de l’Atlantique se réunissent et du nord et du midi pour former le Rio Chagres, qui débouche au port du même nom, et qui, dans la partie de son cours où la marée se fait sentir, et particulièrement jusqu’au confluent du Trinidad présente une profondeur de 5 mètres et demi à 6 mètres 75 centimètres, et plus encore, suivant le rapport du commandant Garnier, de la marine française. Le cours général du Chagres figure un demi-cercle dont la corde est au nord. Il coule d’abord au sud-est, puis, se détournant insensiblement, il finit par se diriger vers le nord-ouest et atteint ainsi l’Océan. Il est navigable, pour de grandes pirogues, depuis Cruces, qui est placé dans l’isthme, aux trois cinquièmes de sa largeur, à partir de l’Atlantique, et en suivant les sinuosités du fleuve à 82 kilom. du rivage. Son principal affluent, le Rio Trinidad, qu’il rencontre à 21 kilom. de son embouchure, vient du midi et lui apporte beaucoup d’eau ; le Trinidad est navigable lui-même assez avant. Depuis long-temps, le voyage entre les deux océans s’effectue d’abord au moyen de pirogues qui remontent les voyageurs de Chagres à Cruces, puis avec des mulets, sur le dos desquels hommes et marchandises franchissent l’intervalle de 20 à 22 kilomètres qui sépare Cruces de Panama. Sur le versant du Pacifique, les cours d’eau moins centralisés, si je puis ainsi dire, se rendent plus isolément à la mer. L’un d’eux, le Caïmito, qui se charge dans la baie de Chorrera et qu’on appelle Quebra Grande dans sa partie supérieure, a ses sources très voisines de celles du Trinidad. Un autre, le Rio Grande, qui se jette dans la baie de Panama, semble destiné ainsi à jouer un rôle dans la communication des deux océans. Son principal affluent est le Farfan (ou Falfan), qui s’y verse par la droite, tout près du rivage.
Depuis long-temps, la facilité des communications d’un océan à l’autre par Panama avait été remarquée. À l’origine de la conquête, ce fut une route fréquentée. C’est par là que passa François Pizarre, quand il revint d’Europe plein d’espoir, avec les encouragemens du grand Cortez[52], à la tête d’une petite armée destinée à conquérir le Pérou, dont il avait vu les côtes en un premier voyage. Bien plus, si l’on s’en rapporte à la tradition, cet homme entreprenant fit construire une route pavée au travers de l’isthme, entre Cruces et Panama. Aujourd’hui et depuis longues années, cette route est défoncée, méconnaissable. Dans nos pays de l’Europe tempérée, c’est de l’herbe qui s’efforce de croître entre les pavés des chemins ou entre les assises des monumens ; dans les climats voisins de l’équateur, ce sont des arbres qui y poussent, et ainsi, à moins que la main vigilante de l’homme ne soit là sans cesse, ses ouvrages périssent bientôt, et c’est avec effort qu’on en retrouve les traces. M. Léon Leconte assure cependant avoir très bien reconnu les vestiges de la route attribuée à Pizarre.
Panama resta jusqu’au milieu du XVIIIe siècle le rendez-vous des trésors de l’Amérique méridionale se dirigeant vers la métropole. À Panama, qui était bien fortifié sur le Pacifique, répondait, sur l’autre océan, Porto-Belo (ou Puerto-Belo), ainsi nommé par Christophe Colomb, qui le découvrit en 1502, parce que c’est un port excellent. Les galions d’Espagne venaient prendre à ce dernier port les espèces du Pérou et du Chili. Une mauvaise route unissait Porto-Belo à Panama, mais il ne paraît pas qu’il y ait jamais eu un service organisé de transport en diligence ou même en charrette.
L’abandon où l’isthme a été laissé pendant les deux derniers siècles pourrait donner lieu de croire, ainsi que quelques personnes l’ont écrit, que « l’Espagne, par une politique ombrageuse, voulait refuser aux autres peuples un chemin au travers de possessions dont elle a dérobé long-temps la connaissance au monde entier. » Mais c’était plus de l’incurie que du calcul. Si quelque nation entreprenante avait voulu se rendre maîtresse de l’isthme, elle l’eût pu dans l’état d’inculture et de dépeuplement où il restait sous la domination espagnole. On y trouvait en effet de belles fortifications, mais pas de bras pour les défendre. Il est du moins certain que l’Espagne ne faisait rien pour utiliser ce passage si bien indiqué. On voyait, il y a quarante ans, des productions des provinces de la Nouvelle-Grenade, riveraines du Pacifique, se rendre dans l’Océan Atlantique par une longue navigation de Guayaquil à Acapulco, c’est-à-dire d’un port situé bien au midi de la pointe méridionale de l’isthme à un port placé bien au nord de l’autre extrémité, pour franchir ensuite les deux cents lieues d’Acapulco à la Vera-Cruz à dos de mulet, au travers des aspérités colossales du sol mexicain.
À peine Bolivar eut-il affranchi la Colombie et assuré à Ayacucho l’indépendance du Pérou, dont les patriotes avaient imploré son secours, que son attention se tourna du côté de l’isthme de Panama proprement dit, dépendance de la république aux destinées de laquelle ce grand homme présidait. Un ingénieur anglais, M. Lloyd, reçut de lui, en novembre 1827, la mission de dresser le plan de l’isthme et d’y rechercher la meilleure ligne à suivre pour faire communiquer les deux océans par un canal ou par une route macadamisée. M. Lloyd arriva à Panama en mars 1828, et y fut joint par le capitaine Falmarc, ingénieur suédois au service de la Colombie. Ces deux commissaires jugèrent que, pour mieux remplir leur mandat, et d’abord pour déterminer le niveau relatif des deux mers, ils n’avaient rien de mieux à faire que de suivre la vieille route de Panama à Porto-Belo, jusqu’à la rencontre de la rivière Chagres, qui, avons-nous dit, se jette dans l’autre océan, et de descendre ensuite cette rivière jusqu’au port de Chagres. C’était un circuit de 150 kilomètres environ, entre deux points qui ne sont éloignés l’un de l’autre, à vol d’oiseau, sur la carte publiée par M. Lloyd, que de 65. On ne peut s’expliquer le choix de ce tracé que par le désir de faire jouir des avantages de la communication océanique la cité renommée jadis de Porto-Belo. Il s’en faut de peu que Panama et Porto-Belo ne soient exactement vis-à-vis l’un de l’autre sur l’isthme mais rien ne donnait l’espoir de rencontrer dans cette direction une dépression extraordinaire de la ligne de faîte entre les deux océans. Il résulte au contraire du mémoire de M. Lloyd, inséré dans les Transactions Philosophiques de la Société Royale de Londres (1830), que la configuration du sol devient de plus en plus montueuse entre Panama et Porto-BeIo, à mesure qu’on s’approche de cette dernière ville, et qu’un canal y serait impraticable.
Le point de partage entre Panama et la rivière Chagres fut trouvé à Maria-Henrique, qui est éloigné de 21 kilomètres 3/4 de Panama et de 15 kilomètres de la rivière. La hauteur du point de partage entre les deux océans, mesurée ainsi pour la première fois dans l’isthme de Panama proprement dit, fut de 196 mètres 39 centimètres au-dessus de la mer moyenne à Panama, et de 197 mètres 46 centimètres au-dessus de L’Atlantique à Chagres ; car le niveau des deux mers n’est pas le même à marée moyenne, le Pacifique est de 1 mètre 7 centimètres au-dessus de l’Atlantique[53]. Moyennant une tranchée semblable à celles qu’on pratique journellement, le niveau de l’eau, dans le bief de partage du canal, serait ramené aisément à 190 mètres environ au-dessus de l’Atlantique (191 mètres 7 centimètres au-dessus du Pacifique).
M. Lloyd ne dit rien sur la possibilité de conduire un approvisionnement d’eau convenable au point culminant de Maria-Henrique. Il est évident, pour quiconque parcourt son mémoire, qu’il se proposait de faire d’autres études, et qu’il sentait le besoin de les faire ; mais après deux campagnes qui pourtant avaient duré seulement l’une du 5 mai au 30 juin, l’autre du 7 février à la fin d’avril, craignant de prolonger son séjour dans une contrée malsaine pour les Européens non acclimatés, ou peut-être par d’autres motifs, il revint en Angleterre[54]. D’ailleurs, en supposant qu’on pût conduire à Maria-Henrique la quantité d’eau nécessaire pour alimenter le canal, et en faisant abstraction des proportions extraordinaires à donner ici aux écluses, on se fût trouvé, pour les pentes à racheter, en-deçà des limites habituelles. La pente en effet eût été, sur le versant de l’Atlantique, de 190 mètres, sur celui du Pacifique, de 191, total, 381 mètres. D’après ce qui a été rapporté plus haut, ce n’est qu’un peu plus des deux tiers du canal de Bourgogne, beaucoup moins de la moitié du canal, à demi exécuté présentement, de la Chesapeake à l’Ohio, où la pente et la contre-pente, avons-nous dit, seront de 963 mètres.
Quelque incomplet qu’ait été le travail de MM. Lloyd et Falmarc, et quoique leur nivellement n’ait pas été répété, ainsi que M. Lloyd le reconnaît, on est cependant autorisé à en conclure non-seulement, ce qu’au surplus on savait déjà, que l’isthme est déprimé aux environs de Panama, mais encore qu’il l’est notablement plus dans certaines directions que dans celle de Maria-Henrique ; car M. Lloyd, qui paraît avoir beaucoup examiné le pays, conclut formellement en signalant pour le chemin de fer, si l’on en voulait un entre les deux océans, deux tracés s’écartant peu de la ligne droite qui unirait Panama et Chagres. Ces deux tracés ne diffèrent qu’en ce qu’ils aboutissent sur le Pacifique, l’un à Panama même, l’autre à la baie de Chorrera. D’ailleurs, au lieu d’aller jusqu’au port de Chagres, ils se terminent au confluent du Rio Chagres et du Rio Trinidad, le Rio Chagres pouvant être remonté jusque-là, on l’a déjà vu, par de forts navires.
À l’égard d’un canal, son opinion est que probablement le meilleur tracé consisterait à remonter le Trinidad, de manière à venir se rattacher à l’un des cours d’eau qui se déversent dans l’Océan Pacifique. D’ailleurs M. Lloyd ne songeait pas à un canal maritime, et, circonstance qui l’excuse, la question ne lui avait point été ainsi posée.
Pendant dix années, à partir de l’exploration de MM. Lloyd et Falmarc, il n’y eut aucune étude nouvelle. Le temps se passa en vains efforts pour constituer des compagnies financières capables de mener à fin ce grand œuvre. Enfin la compagnie franco-grenadine, en ce moment encore investie du privilége de la communication des deux océans par Panama, envoya de la Guadeloupe, où résident ses chefs français, MM. Salomon, un ingénieur, M. Morel, qui dut prendre la question au point où l’avaient laissée les deux ingénieurs commissionnés par Bolivar. Il a cherché le tracé d’un canal un peu au midi de la ligne droite qui serait conduite de Chagres à Panama, en se plaçant dans l’angle compris entre le Rio Chagres et le Rio Trinidad, et il en a trouvé un plus que satisfaisant, comme on va le voir.
Le Bernardino, l’un des tributaires du Rio Caïmito, résulte de la jonction de deux ruisseaux, dont l’un garde le nom de Bernardino, et l’autre a reçu celui de Yequas. Les diverses variantes du canal des deux océans qu’a présentées M. Morel consistent à venir chercher l’un ou l’autre de ces rameaux en passant tantôt à droite, tantôt à gauche d’un monticule qui les sépare. Le terrain situé dans l’angle du Rio Chagres et du Rio Trinidad est marécageux ; on y trouve des eaux stagnantes, de véritables lacs dont l’un, celui de Vino Tinto, a plus d’une lieue de diamètre. M. Morel projetait d’abord de traverser le Vino Tinto, afin de venir aux sources du Yequas ; de là, après s’être tenu quelque temps latéralement au Bernardino, on se fût dirigé, au travers d’autres marécages, sur le Rio Farfan (ou Falfan), affluent du Rio Grande, et on sait que celui-ci baigne pour ainsi dire les faubourgs de Panama. Un autre tracé de M. Morel, plus récent encore, partirait du confluent même du Trinidad et du Chagres, et laisserait à droite le lac du Vino Tinto pour traverser un autre lac non dénommé encore, car c’est un terrain tellement vierge, que les traits les plus caractéristiques de la configuration du sol, montagnes, rivières et lacs, n’y ont pas même de nom. De là, en longeant le Lyrio, affluent du Caño Quebrado, qui lui-même se jette dans le Chagres au-dessus du Trinidad, on s’avancerait en ligne droite jusqu’aux sources du Bernardino proprement dit, et on le suivrait jusqu’à 5 kilomètres environ de la baie de Chorrera. On prendrait ensuite à gauche pour contourner les collines de Cabra (nommées collines de Biqué sur les plans de M. Morel), en passant à leur pied du côté de la mer. On continuerait ainsi jusqu’au Rio Farfan et au Rio Grande. Par l’un et l’autre de ces tracés, le canal est très court, et le point de partage est déprimé à un degré inespéré. Entre le lac Vino Tinto et l’Yequas, M. Morel le trouvait de 11 mètres 28 centimètres seulement au-dessus de la mer moyenne à Panama. En venant du confluent du Trinidad et du Chagres rejoindre le Bernardino proprement dit, il ne l’a plus trouvé qu’à 10 mètres 40 centimètres. Il suffirait que la mer montât de la hauteur d’une des maisons les plus basses de Paris pour que les deux océans fussent joints naturellement, et que l’Amérique méridionale devînt une île entièrement séparée de l’Amérique du Nord. Et comme rien n’est plus facile ni plus usuel que de creuser des tranchées de 15 à 16 mètres de hauteur, et qu’on va même sans très grand effort jusqu’à 20 mètres, on voit qu’en restant dans la limite des travaux habituels, on pourrait creuser le canal, même en donnant à sa cuvette la grande profondeur de 7 mètres, de telle façon qu’il s’alimentât, au moment même des plus basses marées, avec les seules eaux de la mer. Mais dans le terrain marécageux qui forme cette vallée transversale d’océan à océan, on devrait avoir toute facilité pour s’approvisionner d’eau sans recourir à la mer. Un canal situé de la sorte devrait requérir d’ailleurs un faible approvisionnement d’eau, quelles qu’en fussent les dimensions, car les filtrations, qui, de toutes les causes de dépense d’eau sur les canaux, sont les plus actives, n’y seraient aucunement à craindre.
Quant à la longueur, du canal entre Chagres et Panama par le dernier tracé de M. Morel, qui, pour se conformer au texte de la loi de concession votée par le congrès de la Nouvelle-Grenade, ne s’est arrêté ni au Rio Farfan ni même au Rio Grande, et s’est étendu jusque dans l’intérieur de Panama à la Playa Prieta, elle serait de 75,400 mètres (dix-neuf lieues de poste), et déduction faite de la navigation dans le lit du Chagres, de 54 kilomètres et demi, dont 28 sur le versant de la mer du Sud, et 26 et demi sur celui de l’Atlantique. Ce serait l’un des canaux les plus courts du monde. Il serait plus curieux encore par l’absence des écluses, car il ne lui en faudrait aucune, si ce n’est à chaque extrémité pour corriger l’effet des marées en retenant au moyen des portes, dont toute écluse est munie, les eaux à un niveau fixe dans le canal pendant le flux et le reflux. Tels sont les résultats soumis au gouvernement français par MM. Salomon au nom de la compagnie franco-grenadine. Je ne dirai pas qu’ils sont surprenans ; ce ne serait point assez : ils tiennent du merveilleux. Ils sont incroyables, tant c’est de l’imprévu, de l’inoui, tant c’est au-delà de ce qu’on pouvait espérer. Cependant il est impossible d’admettre que MM. Salomon soient, pour nous servir d’une vieille formule usitée dans les traités de philosophie, ou trompés ou trompeurs. Trompeurs, comment le seraient-ils ? Ils ont sollicité du gouvernement qu’il fit vérifier leurs indications par un ingénieur de son choix. Trompés, c’est aussi malaisé à penser : ils se portent forts pour leur ingénieur, et celui-ci a répété ses opérations et les a contrôlées les unes par les autres. Au reste, M. Morel se serait trompé non pas d’un mètre, ce qui, eu égard à la précision avec laquelle on sait faire les nivellemens aujourd’hui, serait considérable, mais de 10 et de 20 sur l’élévation du point de partage, qu’on serait autorisé à considérer l’œuvre comme très facile encore.
Si ces renseignemens se vérifient, comme il faut le croire, ce sera un sujet d’éternels reproches à adresser aux anciens gouvernans de l’Espagne de n’avoir pas fait explorer minutieusement l’isthme, et de n’y avoir pas ensuite fait une trouée d’océan à océan. Les nivellemens ne sont pas très aisés dans ces régions tropicales, là particulièrement où il y a de l’eau. Ce n’est pas seulement qu’alors le pays est insalubre, et que les insectes dévorans sont multipliés dans l’atmosphère au point de l’épaissir. C’est plus encore qu’alors la végétation acquiert une force extraordinaire et une densité dont, en Europe, nous ne pouvons avoir l’idée. Ce sont des fourrés où il faut une force armée pour se frayer un étroit passage, et qui se ferment sur les pas de ceux qui viennent de les ouvrir. Je me souviens d’un conte de fée où figurait un personnage doué d’une ouïe si fine, qu’il entendait l’herbe croître. Cette hyperbole est bonne à citer pour faire comprendre la rapidité et la vivacité avec laquelle les arbres et les lianes poussent et s’entrelacent, sous le soleil des tropiques, dans les terres basses où l’eau abonde. Mais rien ne peut excuser le gouvernement espagnol de n’avoir pas découvert et utilisé dans l’intérêt général des relations humaines cette extraordinaire vallée, si elle existe bien réellement, et il nous paraît impossible d’en douter. Il disposait d’hommes héroïques qui traversaient la chaîne des Andes à la plus grande élévation, au milieu des neiges, sans vivres, presque sans vêtement, malgré les précipices affreux et les bêtes féroces, malgré les flèches empoisonnées des Indiens, les angoisses de la faim et la rudesse indomptable du climat dans les cols de la chaîne des Andes. À trois siècles tout juste en arrière de nous, il n’avait pas à appeler et à exciter les hommes entreprenans ; il n’avait qu’à les laisser faire. Quel fléau n’a pas été Philippe II, et quelle malédiction n’a pas mérité sa mémoire !
Qu’on me permette une autre réflexion : nul moins que moi n’est porté à déprécier le temps présent. Le genre humain, en ce siècle, se montre grand par l’audace et l’étendue de ses entreprises sur la nature qui l’entoure, sur la planète qui lui a été donnée pour demeure. Il est vraiment doué d’une puissance de mise en œuvre qui excite mon admiration et mon respect. Une circonstance pourtant me frappe et humilie ma vanité d’enfant du XIXe siècle. Ce canal de l’isthme, au tracé duquel nous venons enfin d’arriver, les conquistadores espagnols en avaient eu la révélation et en avaient conçu le dessein. En 1528, quinze ans seulement après que l’existence de la mer du Sud avait été constatée de visu, un canal avait été proposé précisément par ce même tracé, du Rio de Chagres, du Rio Trinidad, et du Caïmito ou du Rio Grande ; mais on n’y avait plus songé depuis. Quelque endormeur de la civilisation avait sans doute dit à Madrid que c’était difficile, impraticable, ou, qui sait ? funeste au maintien de la puissance espagnole ; chacun l’avait répété ; il y avait eu chose jugée. Et voilà que cette même idée reparaît de nos jours comme une nouveauté, pour recevoir, je l’espère, la sanction de la pratique. La civilisation est comme un trésor que les nations successivement portent en avant de station en station, en y ajoutant sans cesse des richesses nouvelles tirées du fonds de leur génie, et que quelquefois il faut sauver à la hâte, comme le pieux Énée emportait ses pénates du sac de Troie. Mais le faix est lourd : il faut, pour le mouvoir, de robustes épaules sous lesquelles s’agite un grand cœur. À certains instans, des peuples noblement inspirés ou poussés par le flot du genre humain tout entier le déplacent et le portent en un clin d’œil bien au-delà des limites aperçues par leurs devanciers. D’un bond, l’on croirait qu’ils vont franchir l’espace qui nous sépare du but définitif ; lorsque tout à coup, par l’épuisement de leurs forces, ou à la suite de quelques grandes fautes qui les troublent, ou par l’effet d’un vice dans leur tempérament, ou bien par l’égoïsme et l’ineptie de leurs chefs, on les voit chanceler dans leur marche, et le rôle sublime de coryphées du genre humain passe à d’autres. Cette substitution est toujours violente, et dans le choc il s’égare plus que des parcelles du précieux dépôt. Plus tard, on retrouve ces riches joyaux abandonnés sur le bord du chemin, et presque toujours quelque tradition des anciens temps qui s’est religieusement transmise dans l’ombre a aidé à cette seconde découverte. En ajoutant ces nouveaux fleurons à la couronne de l’humanité, on est trop enclin à oublier que ce qu’on lui donne n’est que la dépouille d’un siècle antérieur, et on s’affranchit de la reconnaissance qu’on doit à de grands esprits et à des cœurs bienfaisans auxquels pourtant cette récompense est bien méritée ; car l’injustice des contemporains et l’amertume de la vie semblent, par une loi fatale, former le patrimoine des hommes en qui la Providence a mis le feu sacré de l’invention. Le vautour de Prométhée n’est point une fable ; c’est une histoire véritable de tous les jours.
Pour une communication océanique, avons-nous dit, de bons débouchés en mer aux deux extrémités ne sont pas moins indispensables que de favorables conditions topographiques et hydrauliques, telles qu’une faible épaisseur de terre ferme à trancher, l’absence des montagnes et un approvisionnement d’eau suffisant pour alimenter une belle ligne de grande navigation. Tant que, sous ce rapport maritime, l’isthme entre Chagres et Panama ne nous aura pas donné satisfaction, les avantages extraordinaires qu’il présente pour le creusement d’un canal large et profond seront encore comme non avenus. Or donc, y a-t-il à Panama et à Chagres un bon port, aisé à rendre accessible pour les navires arrivant de l’intérieur par le canal, tout comme pour ceux venant de la pleine mer ?
Le port de Chagres est formé par la rivière de ce nom. Sur la barre de la rivière, suivant le capitaine Garnier, commandant le brick le Laurier, de la marine française, on trouve encore une profondeur d’eau de 4 mètres et demi, et, d’après ce même officier, dans des circonstances favorables, un navire calant 4 mètres peut y entrer. Quand le vent est fort, la barre est presque infranchissable. On va alors dans la baie de Limon, qui est à 6 ou 7 kilomètres à l’est de Chagres (M. Lloyd estime cette distance à 4,800 mètres seulement).
La barre offre sous le sable un rocher calcaire tendre qui, se redressant au milieu, partage la rivière en un double chenal. Il serait possible d’accroître la profondeur de l’eau sur la barre partout où le rocher se présente sous une faible épaisseur de sable ou de vase, en y faisant jouer la mine ; mais on a la ressource de substituer à l’entrée de la rivière Chagres la baie de Limon, où les vaisseaux de ligne eux-mêmes peuvent mouiller, et qui n’est séparée de la rivière Chagres que par une plage sablonneuse tout unie, dans laquelle il serait aisé de creuser un canal. Il faudrait cependant une jetée dans la baie pour défendre les navires des vents du nord. Ce serait alors un des ports les plus sûrs et les plus spacieux.
Une fois dans le Chagres, les navires ont, sous le fort San-Lorenzo, un mouillage de 5 mètres et demi à 7 mètres 32 centimètres ; puis, dans le chenal, au moins jusqu’au Trinidad, ils trouvent une profondeur à peu près égale[55]. Du côté de la pleine mer, l’eau va en s’approfondissant fort vite à partir de la barre. À 1,800 mètres de là, il y a 17 mètres d’eau.
On serait donc servi à souhait du côté de l’Atlantique. Sur le versant du Pacifique, le port qui s’indique naturellement est celui de Panama, qu’on pourrait, avec plus de raison, qualifier de rade ou même de golfe, car c’est un espace ouvert parsemé de jolies îles. Nulle part les bâtimens n’y peuvent atterrir. La plage plonge doucement sous l’eau, et ce n’est guère qu’à 2,000 mètres de terre que l’on trouve, à marée basse, 6 mètres d’eau. Les navires, pour être très bien abrités, vont se ranger sous un groupe de trois îles qui sont à 3,500 mètres au sud de la ville, en face de l’embouchure du Rio Grande, et que l’on nomme Llenao, Perico et Flamingo. De là les cargaisons s’envoient en ville sur des pirogues[56].
Le Rio Grande, par lequel le canal déboucherait dans l’Océan Pacifique, présente à sa barre fort peu d’eau. À marée basse, c’est d’un mètre à deux, et de même ce n’est qu’à une certaine distance en mer qu’on trouve sur cette plage un mouillage dont puisse s’accommoder une corvette de guerre ou un paquebot transatlantique sur le modèle actuellement en construction ; mais, tout le long de cette côte, existe sous la vase, à peu de profondeur, un calcaire madréporique, corail grossier qui se prêterait facilement à un creusement sous-marin. Le groupe des trois îles contre lesquelles se tiennent de préférence les navires étant vis-à-vis de l’embouchure du Rio Grande, on pourrait, moyennant des travaux hydrauliques qui pourtant seraient considérables, établir entre ces îles et l’emplacement actuel de la barre un bon port, d’un accès facile et du côté de la terre et du côté de la mer.
Je ne crois pas inutile de dire ici que peut-être y aurait-il plus d’avantage à diriger le canal par le Rio Farfan, affluent du Rio Grande, que par le Rio Grande lui-même. Pareillement il y aurait lieu d’étudier si, du côté de la baie de Chorrera, il ne serait pas plus aisé qu’à Panama même de ménager un mouillage commode, profond et sûr, bien accessible des deux côtés, et si par conséquent ce ne serait point là que devrait aboutir le canal en suivant le Caïmito.
Autant que l’on peut en juger avec les renseignemens insuffisans auxquels on est réduit encore en Europe sur cette entreprise, la dépense requise pour établir des ports irréprochables à chacune des extrémités du canal serait supérieure à celle du canal lui-même.
V. — Isthme de Darien. — D’après ce qui précède, on doit croire qu’il y a très peu de chances de trouver ailleurs un tracé plus avantageux que celui du lac de Nicaragua et surtout de l’isthme de Panama proprement dit. Cependant nous avons encore à examiner un autre passage, celui de l’isthme de Darien, sur lequel un moment on s’était bercé des plus belles espérances. L’isthme de Darien est bordé du côté de l’Atlantique par le golfe de Darien[57]. Il présente certainement une dépression extraordinaire du sol. Sur son flanc méridional, les montagnes se dressant subitement à une hauteur prodigieuse, les Andes majestueuses de l’Amérique du Sud apparaissent inopinément dans toute leur splendeur et déploient leurs escarpemens sans pareils. Dans le voisinage immédiat des abruptes Cordillères de Quindiù et du Choco, où le voyageur ne peut même plus se fier au pied pourtant si sûr des mules, et où l’homme qui n’a pas la force de grimper est réduit à se faire porter sur les épaules de l’homme ; à côté de cimes couvertes de neiges au moins une grande partie de l’année, ce qui, sous l’équateur, suppose une hauteur extrême, on voit les montagnes s’effacer tout à coup, et une vallée transversale s’ouvrir d’océan à océan. Un beau fleuve, le Rio Atrato, qui coule droit du milieu au nord et se jette dans le golfe de Darien, à peu près au milieu de l’espace compris entre Porto-Belo et Carthagène, et qui est navigable sur une grande étendue, passe fort près d’autres cours d’eau qui sont tributaires de l’Océan Pacifique. L’un de ses affluens, le Naipipi, qui est navigable pour des canots, se rapproche beaucoup du port de Cupica, situé sur le Pacifique, entre le cap Corrientes et le cap San Miguel. Il n’y a que cinq à six lieues (24 à 28 kilomètres) de Cupica à l’embarcadère du Naipipi, et on avait assuré à M. de Humboldt que cet intervalle était occupé par un espace tout-à-fait aplani. À la fin du siècle dernier, des projets avaient été présentés au gouvernement espagnol, afin de diriger par là le commerce entre les deux océans. Cupica devait devenir, disait-on, une nouvelle Suez ; mais un officier anglais, le capitaine Cochrane, qui descendit l’Atrato en 1824, donne des renseignemens en contradiction avec ceux auxquels M. de Humboldt avait ajouté foi. Il en résulterait que l’établissement d’un canal entre l’Atrato et Cupica par la vallée du Naipipi est impossible[58].
Mais, plus haut, près de Novità, l’Atrato est aisé à mettre en rapport avec le San-Juan, qui se jette dans l’Océan Pacifique et qui est navigable. M. Cochrane, qui a visité les lieux avec soin (particularly inspected), dit-il, estime à 360 mètres environ la distance qui sépare le San-Juan, ou plutôt la Tamina, son tributaire, de la Raspadura, affluent de l’Atrato. Les deux cours d’eau, ainsi voisins, portent canot l’un et l’autre. Pour les faire communiquer, il faudrait une tranchée presque entièrement dans le roc, d’environ 20 mètres de profondeur[59]. Les deux océans seraient ainsi joints l’un à l’autre. Par le Naipipi, l’Atrato et un canal entre le Naipipi et Cupica, en le supposant praticable, la distance d’un océan à l’autre serait d’environ 250 kilomètres ; par le Rio San-Juan, le vallon de la Raspadura et l’Atrato, ce serait un trajet de 4 à 500 kilomètres. À peu de frais, on établirait une voie de communication praticable pour des barques légères pendant une partie de l’année seulement, par l’une au moins de ces deux directions, par la plus longue ; mais si l’on voulait une communication permanente pour des navires de mer, ce serait un travail de titans, car il faudrait alors creuser de main d’homme, sur la majeure partie de cette distance, un immense fossé et le garnir de grandes écluses.
Ainsi nous arrivons à cette conclusion, que, sur beaucoup de points, il est possible d’opérer entre les deux océans des jonctions d’utilité locale que les pouvoirs publics des différens états entre lesquels l’isthme est partagé ne sauraient trop encourager ; mais les communications qui pourraient exercer de l’influence sur le commerce général du monde et abréger la navigation entre les deux continens, ou d’un revers à l’autre de l’Amérique, sont très peu nombreuses. À moins d’une découverte imprévue du côté de la baie de Mandinga, deux seulement peuvent être proposées, celle du lac Nicaragua et celle de Chagres à Panama ; encore la première est-elle soumise à des obstacles, à des inconvéniens, à des dangers desquels on ne s’affranchirait pas facilement, et dont quelques-uns même sont de telle nature, qu’il faudrait absolument se résigner à les subir en tâchant de s’en accommoder comme de servitudes naturelles. C’est donc à Panama véritablement qu’on est réduit. Là seulement on peut espérer, sans une dépense extrême, une communication accessible aux plus forts navires, et aujourd’hui on semble autorisé à y compter.
Il est un projet de canal auquel on ne peut s’empêcher de comparer celui de l’isthme américain. Je veux parler du percement de l’isthme de Suez. Ces deux isthmes sont associés dans tous les esprits ; il n’est pas une intelligence où Suez ne rime à Panama.
L’isthme de Suez se présente au premier abord sous l’aspect le plus avantageux pour le creusement d’un canal. C’est un sol bas que les eaux n’ont encore qu’à demi abandonné. Il est impossible à l’observateur de ne pas demeurer convaincu qu’autrefois la mer passait par là, et que l’Afrique, complètement détachée de l’Asie, fut longtemps une île ; car, lorsque de Suez on se dirige sur Thyneh, qui est à côté des ruines de Péluse, sur l’autre revers de l’isthme, baigné par la Méditerranée, on rencontre d’abord un bassin allongé, si creux, que le fond en est à 16 mètres au-dessous de la basse-mer à Suez : c’est celui des Lacs Amers de Pline, que les Arabes ont appelés la Mer du Crocodile. Il n’a pas moins de 40 kilomètres, et il se développe exactement dans la direction de Suez à Péluse : à peu de distance de là se montre, toujours dirigé de même, le lac Temsah ; puis ce sont des lagunes qui communiquent enfin avec la vaste nappe du lac Menzaleh, limite occidentale de la plaine de Péluse. Ainsi, quand on traverse l’isthme de part en part, on a sans cesse à ses côtés, presque sans solution de continuité, des lagunes et des lacs, et jamais devant soi un pli de terrain. Le nivellement de M. Lepère a indiqué pour les points les plus élevés des hauteurs de 5 mètres, 6 mètres, 7 mètres et demi, et une seule fois de 10 mètres 62 centimètres au-dessus de la basse Méditerranée. Or, le Nil au Caire pendant les crues, est au moins à 12 mètres au-dessus de cette même mer.
Par son rétrécissement, l’isthme semble non moins favorable à l’établissement d’un canal. Il n’y a, en effet, que 120 kilomètres de Suez à la plage de Faramah, sur laquelle est Thyneh ; et si l’on tient compte de ce que le flot s’étend sur un espace de 5 kilomètres au nord de Suez à la marée haute, le minimum de la distance qui constitue vraiment l’isthme est réduit à 115 kilomètres. Ce serait moins encore, si du côté de la Méditerranée on considérait comme une dépendance de la Méditerranée le lac Menzaleh, qui en effet communique avec elle.
L’inégalité de niveau d’une mer à l’autre, qui se présente déjà à l’isthme de Panama, se reproduit ici bien plus marquée. Les nivellemens de M. Lepère, lors de l’expédition française en Égypte, ont montré que la basse mer de vive eau[60] dans la mer Rouge à Suez est de 8 mètres 12 centimètres au-dessus de la basse Méditerranée à Thyneh. La marée de vive eau à Thyneh est de 35 centimètres seulement ; à Suez, elle est de 1 mètre 89 centimètres : de sorte que la différence extrême entre les deux mers est de 9 mètres 90 centimètres. C’est, à quelques centimètres près, l’élévation maximum du continent américain au-dessus des flots, dans l’isthme de Panama sur la ligne suivie par M. Morel.
De cette élévation relative de la mer Rouge et de la dépression générale du sol de l’isthme, il suit qu’un canal, même sur de belles dimensions, de la mer Rouge à la Méditerranée, serait aisé à creuser et à approvisionner. Il s’alimenterait de la mer Rouge elle-même, dont, à marée haute, les eaux seraient recueillies dans les Lacs Amers, convertis en réservoirs. L’entretien et le curage exigeraient des soins ; mais on y subviendrait sans une peine extraordinaire. Le plus grand embarras serait de trouver un bon port pour déboucher dans la Méditerranée. En cela, le problème est infiniment plus difficile que du temps des anciens, non-seulement parce que les navires modernes tirent plus d’eau que ceux des Phéniciens, des Grecs et des Romains, ou que les galères du moyen-âge, mais surtout parce que la côte s’atterrit sans cesse à l’est du Nil par l’effet des sables que charrient les courans, et par les troubles du fleuve lui-même qui viennent s’y déposer.
Le canal de l’isthme de Suez n’est pas seulement un projet ; il a existé. L’histoire le dit, et les voyageurs en reconnaissent facilement les vestiges. Strabon semble l’attribuer au grand Sésostris ; Hérodote et Diodore de Sicile en font honneur à Néchos, fils de Psammetique. Darius, roi de Perse, le fit continuer, et il paraît l’avoir achevé, quoiqu’on en ait revendiqué le mérite pour le deuxième des Ptolémées qui probablement se borna à le restaurer. Mais il ne coupait pas l’isthme précisément et ne mettait pas Suez en communication avec Péluse, soit que les rois d’Égypte redoutassent l’encombrement du canal par les sables mobiles qu’on rencontre dans le désert, soit qu’ils ne voulussent pas déboucher dans la Méditerranée, qualifiée chez eux de mer orageuse, soit par suite de la politique d’isolement qu’ils avaient adoptée vis-à-vis des autres peuples, soit enfin qu’un canal de Suez à Péluse leur parût une communication extra-égyptienne, et en effet elle se fût développée en dehors de l’Égypte proprement dite, et n’eût été d’aucun service aux populations de la vallée du Nil. Le Canal des Rois, c’était son nom, unissait Suez à la branche pélusiaque du Nil, presque comblée aujourd’hui ; le point de jonction était à Bubaste, à une certaine distance au-dessous de l’emplacement actuel du Caire. Il avait de grandes dimensions. Sa largeur était de 33 à 50 mètres ; sa profondeur d’au moins 5 mètres ; Pline dit le double. Il s’alimentait du Nil, qui, pendant les crues, est plus élevé non-seulement que la mer Rouge, mais que tout le pays adjacent. De Bubaste sur la branche pélusiaque, il s’étendait droit à l’est dans une grande vallée qu’on appelle l’Ouady, se détournait ensuite vers le midi pour rejoindre une grande dépression occupée par les Lacs Amers, d’où par une coupure de 22,000 mètres on gagnait le port de Suez. Sa longueur totale était d’environ 165 kilomètres.
Lors du grand repos que semble faire la civilisation pendant le calme majestueux dont jouissait l’empire romain au IIe siècle, le canal fut rétabli ; le bras artificiel du Nil qui lui amena alors des eaux fut nommé le fleuve Trajan par l’empereur Adrien, en mémoire de son père adoptif.
Comblé de nouveau par les sables dont l’action dévastatrice s’aidait de celle des Arabes nomades, intéressés à être, avec leurs chameau, les rouliers du désert, le canal fut réparé encore une fois par les Sarrasins. Ce fut par la volonté d’Omar, le même qu’on dépeint si farouche, et auquel la déesse aux cent voix, en cela au surplus convaincue de mensonge, a attribué l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Amrou venait de conquérir l’Égypte ; Omar lui ordonna de rétablir les communications entre la vallée du Nil et la Mecque, dans l’intérêt de la ville sainte. On modifia cependant le canal en changeant encore une fois la prise d’eau, déjà déplacée par les Romains, et en la portant au sein du Caire, afin d’avoir plus de courant. Après les travaux d’Amrou, le canal porta le nom du prince des croyans.
Il semblait être dans sa destinée que tous les conquérans de l’Égypte se proposassent d’y attacher leur nom. Quand les Français, conduits par Bonaparte, furent les maîtres de l’Égypte, le général en chef voulut le rétablissement de cet antique ouvrage. Il y mettait tant de prix, qu’il en commença la reconnaissance en personne. Il alla jusqu’à Suez, parcourut les environs de cette ville, et, dans cette excursion, il fut exposé aux plus grands périls. Sa présence d’esprit seule le sauva d’une mort pareille à celle du Pharaon acharné à la poursuite du peuple hébreu.
Les ordres du vainqueur des Pyramides furent ponctuellement exécutés par M. Lepère, ingénieur des ponts-et-chaussées, et c’est de son important travail que j’extrais les renseignemens qu’on va lire.
Le canal, tel que M. Lepère l’a proposé, suivrait à peu près la ligne du Canal des Rois. Il aurait 153 kilomètres et demi, partagés en quatre biefs ; les Lacs Amers en feraient partie intégrante. Il emprunterait ses eaux au Nil : pendant les crues qui donnent l’abondance, le niveau du Nil est à 4 mètres 74 centimètres au-dessus de la basse mer à Suez ; mais à l’étiage, quand il est réduit à sa dernière limite, il est au contraire au-dessous de la mer Rouge de 4 mètres 62 centimètres : ainsi, dans la saison des hautes eaux seulement, le canal serait praticable. Pendant quatre à cinq mois, chaque année, la navigation serait interrompue. Ce serait un inconvénient extrême. Nous ne sommes plus aux jours où l’on se contentait de communications intermittentes. Le temps est passé où, par exemple, les galions d’Espagne pouvaient n’aller à Porto-Belo que de trois en trois ans, sans que personne réclamât. En cela comme en autre chose, les hommes veulent aujourd’hui être en permanence les rois de la création.
Comment faire cependant pour avoir une navigation du Nil à Suez toute l’année ? Il faudrait, vers le milieu du canal, un bassin plus spacieux que le lac Mœris et aux bords élevés, qui se remplirait pendant les crues, lorsque le fleuve serait à sa plus grande hauteur ; le canal amènerait lui-même les eaux nourricières du fleuve à ce réservoir, qui les lui restituerait peu à peu en les faisant durer autant que possible. Le réservoir devrait avoir une grande contenance, et ici ce ne serait possible qu’avec une grande superficie ; mais, à cause de la rapidité de l’évaporation dans ces chaudes contrées, sous l’influence des vents secs du désert, on perdrait une forte proportion de l’eau ainsi mise en réserve. Ce serait un ouvrage sur l’échelle de ce que faisaient jadis les rois d’Égypte. Pour la portion du canal attenante à la mer Rouge, on recourrait naturellement aux eaux de cette mer. Il y aurait lieu de voir si, pour le reste, on ne suppléerait pas partiellement à la ressource d’un réservoir par des machines qui puiseraient de l’eau dans le Nil et l’élèveraient à la hauteur nécessaire ; on a déjà recours à ce procédé sur plusieurs canaux. Avec la condition d’une navigation non interrompue pendant toute l’année, le canal du Nil à Suez devient, on le voit, fort difficile. Cependant qui pourrait dire que la civilisation moderne soit forcée de reculer devant des entreprises semblables à ce que, dans la limite de ses besoins, savait accomplir la civilisation antique ? Le progrès même dans l’art des constructions n’est-il donc qu’un vain mot ?
Une fois parvenu de Suez au Nil, on ne serait encore qu’a moitié chemin de la Méditerranée. Le fleuve, il est vrai, descend dans cette mer ; malheureusement dans les basses eaux il ne laisse plus passer que de petites barques, et ses deux bras principaux, celui de Rosette et celui de Damiette, communiquent avec la mer par des passes étroites et périlleuses où ne pourrait se hasarder aucun navire d’un tirant d’eau même médiocre[61]. Ce fut ce qui donna naissance à Alexandrie. Alexandre, qui était non-seulement un grand capitaine, mais aussi un grand esprit et un grand roi, conçut le dessein de nouer des rapports réguliers entre la Grèce et les Indes. Deux lignes s’offraient à lui, celle du golfe Persique et celle du golfe Arabique ou mer Rouge. Il ne choisit pas : il les prit toutes deux. Son ambition était infinie ; mais ses facultés étaient prodigieuses : son pouvoir sur les hommes et sur la nature n’avait pas de bornes. Et il n’y avait que lui-même auquel il ne sût pas toujours commander. Pour développer le commerce entre l’Orient et l’Occident (la Grèce était de l’Occident alors), il fonda Alexandrie en un point du désert où se trouvait, par exception, un bon port. Ce fut une des conceptions les plus intelligentes et les plus hardies de cette tête audacieuse, une des plus heureuses entreprises de cet homme auquel tout réussit.
Les navires venant de Suez par le canal devraient se diriger sur Alexandrie, parce qu’il n’y aurait pas pour eux d’autre moyen d’entrer en mer. Comment atteindre ce port pendant la longue saison, où le Nil n’est plus accessible qu’à de petites canges tirant d’un mètre d’eau à un mètre et demi ? À cet effet, de vastes travaux seraient indispensables. Il faudrait évidemment, 1o améliorer la navigation d’une partie du fleuve dans son lit, à partir du débouché du canal de Suez, en y relevant le niveau de l’eau par des barrages de retenue ; 2o sur le reste de l’espace qu’on aurait à suivre, creuser un canal latéral ; 3o unir Alexandrie au Nil par un canal. Cette dernière partie de l’œuvre est accomplie, mais imparfaitement, par le canal d’environ 94 kilomètres qu’a restauré le vice-roi Méhémet-Ali. La portion du fleuve à améliorer par des barrages ou à remplacer par un canal latéral serait d’environ 180 kilomètres ; ce serait donc une étendue totale de 274 kilomètres, sur laquelle d’importans travaux seraient indispensables. Avec le canal de Suez au Nil, la distance totale entre Suez et Alexandrie serait de 427 kilomètres environ. C’est bien long et ce serait bien cher.
Aussi y a-t-il lieu de se demander si un canal direct de Suez à la Méditerranée ne serait pas préférable. Le trajet en ligne droite est d’un peu plus de 100 kilomètres. La ligne qu’a nivelée M. Lepère aurait environ 150 kilomètres ; mais sur cet espace sont compris les Lacs Amers pour 40 kilomètres. Sur presque toute la distance, le lit du canal semble avoir été préparé par la nature. « Nous croyons, dit M. Lepère, qu’il n’y aurait que quelques parties de digues à construire jusqu’au Ras-el-Moyeh (c’est-à-dire sur la meilleure partie du parcours). Le désert s’élevant de toutes parts au-dessus de ce bas-fond, la navigation pourrait y être constante, et il serait facile d’y entretenir une profondeur plus considérable que sur le canal de Suez au Caire. » S’il était possible de créer un port auprès de l’ancienne Péluse, ce parti serait assurément le meilleur. Là gît la principale difficulté de la jonction des deux mers par l’isthme de Suez. M. Lepère pensait que, ce port une fois creusé sur le bord de la Méditerranée, on pourrait y opérer ce qu’on nomme des chasses, à l’aide des eaux de l’autre mer, qu’on ramasserait dans des bassins spacieux dont les Lacs Amers tiendraient lieu, et qu’on lâcherait ensuite de manière à nettoyer le chenal et à entraîner les sables que les courans auraient pu amener dans le port. Mais ces chasses n’auraient effet qu’autant qu’on aurait uni le canal au Nil, et qu’on y jetterait pendant les crues les eaux du fleuve. Le niveau du Nil étant fort élevé alors, les chasses auraient un courant d’une grande vivacité. L’illustre Prouy, qui a rendu compte officiellement du travail de M. Lepère, ne considérait pas le port comme impossible moyennant cette dernière précaution. C’est donc à examiner.
Il ne me paraît pas qu’il y ait d’autre moyen de percer l’isthme de Suez, dans l’intérêt du commerce général du monde, que de pratiquer un canal direct de Suez à la Méditerranée.
Jusqu’à ce que cet ouvrage ait été accompli, les marchandises iront d’Europe aux Grandes-Indes et en Chine sur des navires doublant le cap de Bonne-Espérance. Suez ne sera un point de passage que pour les voyageurs et les dépêches qui franchiront chacune des deux mers sur les ailes de la vapeur. En ce moment, on a quelquefois des nouvelles de Bombay à Paris en trente-un jours, malgré le temps perdu pour prendre du charbon à Aden et pour traverser l’isthme. Trente-un jours ! et les anciens en mettaient quarante pour parcourir la mer Rouge toute seule. Des améliorations nouvelles se préparent, et l’agent anglais qui a organisé ce service pour le compte de l’Angleterre, M. Waghorn, espère réduire le trajet à vingt-sept jours de Bombay à Londres. En 1774, les Anglais, pour la première fois, commencèrent à se servir de l’isthme de Suez pour le transport des dépêches des Indes. On put alors avoir des lettres de quatre-vingt-dix jours de date, et quand c’était de quatre-vingts jours on criait au miracle.
M. Lepère, comparant la navigation de l’Inde par le cap de Bonne-Espérance avec celle par la Méditerranée, l’Égypte et la mer Rouge, a trouvé que la différence de trajet serait de 26,100 kilomètres à 13,300, de près de moitié. Il estimait que, si l’on coupait l’isthme de part en part de Suez à Thyneh, la traversée pourrait être réduite de cinq mois à trois. L’art de la navigation s’est perfectionné depuis lors, mais dans les deux directions également le voyage en serait abrégé[62], et le rapport des durées des traversées resterait le même.
Concluons au sujet de l’isthme de Panama. Le problème de la jonction des deux océans par un canal maritime se présente aujourd’hui à Panama dans des termes tels que, si la scène se passait en Europe, le dénouement serait plus facile, du moins en ce qui concerne le creusement proprement dit du canal, que ne l’a été la réunion de l’Atlantique à la mer du Nord par le canal Calédonien, ou celle d’Amsterdam au mouillage du Helder par le canal du Nord. Ce ne serait qu’un jeu pour des gouvernemens tels que le nôtre ou celui de la Grande-Bretagne. En effet, le développement de la ligne serait plus court que la ligne d’Amsterdam au Helder, dans le rapport de 54 1|2 à 81 ou de 1 à 1 1/2. À la vérité, il serait plus long de moitié que l’ensemble des coupures exécutées entre les lacs ou latéralement aux rivières sur le canal Calédonien ; mais la pente à racheter par des écluses serait à peu près nulle, tout comme sur le canal du Nord (nous raisonnons toujours dans l’hypothèse de l’exactitude du plan de M. Morel), tandis que sur le canal Calédonien on a dû construire 23 écluses pour racheter une pente d’environ 100 pieds anglais[63] de chaque côté, sans compter quelques écluses régulatrices, c’est-à-dire servant par leurs portes à retenir les eaux pendant les crues des lacs ou des rivières.
Mais dans l’isthme de Panama il n’est pas aisé d’apprécier ce que coûterait un ouvrage semblable. La population y est clairsemée ; elle est généralement peu amie du travail ; elle n’en sent pas assez le besoin. Au sujet du nombre des ouvriers qu’on pourrait ramasser avec le concours actif du gouvernement grenadin, les renseignemens les plus contradictoires ont été produits. À qui croire ? La présomption est cependant qu’il serait indispensable d’emmener d’Europe des maçons, des mineurs, des terrassiers même. Voulussent-ils travailler, les indigènes ne le savent pas. Ils n’ont jamais eu occasion de pratiquer ni même de voir de grands déblais et de grands remblais, ni à plus forte raison des excavations sous-marines.
D’un autre côté, c’est une responsabilité effrayante que d’enrôler des ouvriers européens afin de les conduire dans l’isthme. C’est en effet un climat dangereux pour qui n’y est pas né ou ne s’y est pas préparé, meurtrier pour qui s’expose à l’ardeur du soleil ou qui respire les miasmes qu’exhalent les marécages et même toute terre fraîchement remuée. On aurait à abriter les travailleurs, à les camper, à pourvoir à leur bien-être ; il faudrait leur tracer les règles d’une bonne et sévère hygiène, et, ce qui est bien plus difficile, même en leur en fournissant tous les moyens, les leur faire observer malgré les tentations que la nature des tropiques sème sur les pas de l’homme. Pendant six mois de pluies, de mai en octobre, tout travail à ciel ouvert serait forcément suspendu. Que ferait-on alors des terrassiers ? Comment les garantir du mal du pays et de toutes les plaies que l’oisiveté engendre ?
Ce ne sont point des impossibilités que je signale, ce sont des difficultés, de celles que des hommes capables, d’une volonté forte et d’un esprit éclairé, savent lever. Loin de moi la prétention d’esquisser ici, même sommairement, le programme de ce qu’il y aurait à faire pour s’assurer le concours d’une grande quantité de bras dans l’isthme, pour empêcher que le canal des deux océans ne fût obtenu qu’au prix de milliers de victimes humaines. Il me semble, et je ne le dis que pour indiquer comment à mes yeux l’obstacle n’est point insurmontable, que des hommes disciplinés d’avance, dressés à la règle militaire, habitués à se suffire dans les cas imprévus, tels enfin que nos admirables soldats du génie, pourraient, transportés en corps sous la conduite de leurs braves et savans officiers, en qui ils ont toute confiance, entreprendre l’œuvre avec chance de succès, et aborder, sans crainte d’être terrassés par elle, la nature des régions équinoxiales, quelque rude jouteuse qu’elle soit, quelque séduction qu’elle sache employer pour énerver celui qui tente de résister à ses caresses perfides. Et c’est probablement à une détermination semblable qu’il faudrait en venir. Rien de plus simple, au surplus, si les gouvernemens des deux peuples de l’Europe occidentale, qui sont les deux premières puissances maritimes du monde, jugeaient à propos de se concerter pour l’accomplissement de ce noble dessein.
On trouverait le gouvernement de la Nouvelle-Grenade animé des dispositions les meilleures, pourvu qu’il ne vît aucun péril pour ses droits de souveraineté, dont il est justement jaloux. C’est un gouvernement éclairé : il sent quel prix l’ouverture du canal de Panama donnerait à une grande portion du territoire de la république. Il n’a cessé d’appeler l’industrie européenne à s’en charger ; il a accueilli à bras ouverts tous les prétendans qui se sont présentés, en mettant à leurs pieds, on peut le dire, les conditions les plus brillantes. Je ne parle que de la Nouvelle-Grenade, parce que nul tracé n’est désormais comparable à celui de Panama. D’ailleurs l’Amérique centrale est maintenant dans une telle situation, qu’il serait impossible de traiter avec elle. Après l’indépendance, le gouvernement s’y montra empressé à favoriser l’ouverture de l’isthme par le lac de Nicaragua. On se souvient qu’en 1825 une compagnie s’étant présentée avec le roi des Pays-Bas à sa tête, la concession lui avait été accordée. Les mesures se prenaient pour commencer les travaux, quand la révolution belge éclata, et le roi Guillaume fut contraint d’abandonner ses projets sur le fleuve San-Juan de Nicaragua et ses conventions avec le congrès de l’Amérique centrale, pour s’occuper des bouches de l’Escaut et s’entendre avec la conférence de Londres. Aujourd’hui l’esprit de l’Europe a cessé d’animer ces états ; il en a été banni. Les peaux-rouges y sont les maîtres, comme les noirs à Haïti, et des ténèbres semblables à celles qui couvrirent l’Europe après l’invasion des barbares semblent s’être répandues sur ces belles régions, dignes d’une domination meilleure.
Quant à la question de savoir si une compagnie pourrait accomplir l’œuvre par ses seules ressources, on ne pourrait la résoudre que moyennant une connaissance exacte du chiffre de la dépense, et l’on n’en a pas même une idée approximative. On doit croire pourtant que ce chiffre serait très élevé. Les travaux maritimes à opérer aux deux débouchés du canal dans la mer paraissent devoir être étendus. Les bénéfices, à la vérité, pourraient monter assez haut ; on assure que déjà il entre dans le Grand-Océan ou il en sort, par le cap de Bonne-Espérance ou le cap Horn, plus de 2,500 grands navires, représentant ensemble plus d’un million de tonneaux. À dix francs de péage par tonneau, en supposant qu’on eût les deux tiers des navires, la recette brute serait de 6,667,000 francs, ce qui, sauf accidens, pourrait laisser 4 à 5 millions de profit net. Mais si les frais de premier établissement, y compris les travaux maritimes, allaient à cent millions, et il faut bien se tenir prêt à des dépenses de cet ordre, les actionnaires ne recueilleraient qu’un intérêt insuffisant. Dans des affaires pareilles, il y a tant d’élémens problématiques ou incertains, tant de causes de mécomptes, que des capitalistes se décideraient difficilement à y aventurer leurs capitaux, le profit net parût-il devoir être beaucoup plus fort, à moins que de puissans gouvernemens, tels que ceux de France et d’Angleterre, ne leur apportassent leur garantie et leur concours.
Du reste, on ne voit pas pourquoi les gouvernemens de ces deux grands pays ne s’accorderaient pas prochainement en faveur de cette opération quand ils l’auront fait étudier. L’Europe est actuellement dans un mouvement d’expansion par lequel elle range la planète tout entière sous ses lois. Elle veut être la souveraine du monde ; mais elle entend l’être avec magnanimité, afin d’élever les autres hommes au niveau de ses propres enfans. Rien de plus naturel que de renverser les barrières qui l’arrêtent dans son élan dominateur, dans ses plans de civilisation tutélaire. Qu’y aurait-il d’étrange à ce que les deux nations les plus puissantes et les plus avancées se concertassent pour abattre la muraille qui barre le chemin du Grand-Océan et de ses rivages infinis ? Le moyen de faire aimer la paix et d’en perpétuer le règne, c’est de la montrer non-seulement féconde, mais pleine de majesté et même d’audace. Il faut qu’elle possède le don d’étonner les hommes, de les passionner s’il se peut, en même temps que celui de les enrichir. Malheur à elle, ou plutôt malheur à nous-mêmes, si elle paraissait condamnée à être froidement égoïste dans ses sentimens, mesquine dans ses conceptions, pusillanime dans ses entreprises ! De ce point de vue, le projet de couper l’isthme de Panama se recommande assez hautement ; et cette œuvre ne servît-elle qu’à établir, par la communauté d’efforts, un lien de plus entre la France et l’Angleterre, lors même qu’il devrait en coûter à notre trésor 30 ou 40 millions, il faut convenir qu’on a souvent plus mal dépensé l’argent des contribuables.
- ↑ Pour bien préciser des tenues dont nous nous servirons souvent, rappelons qu’on désigne sous le nom d’Océan Atlantique la portion de l’Océan qui est bordée, d’un côté par l’Europe et l’Afrique, de l’autre par les deux Amériques. La vaste mer qui s’étend de la Chine et de l’Inde au pôle austral, et du versant occidental des Amériques au revers oriental de l’Afrique, est le Grand-Océan. Dans le voisinage de l’Amérique, entre les tropiques, celui-ci est nommé l’Océan Pacifique, à cause de la sécurité qu’il présente aux navigateurs, particulièrement auprès de l’Amérique méridionale. Au contact de l’isthme de Panama, sur les côtes du Mexique et de l’Amérique centrale jusqu’à l’Amérique méridionale, on l’appelle souvent la mer du Sud. Nous emploierons ces trois dénominations de Grand-Océan, d’Océan Pacifique et de mer du Sud. La portion de l’Atlantique qui baigne l’isthme se compose du golfe du Mexique et de la mer des Antilles.
Les rameaux de la chaîne des Andes, qui se développe d’une extrémité à l’autre de l’Amérique, sont désignés par le nom de Cordillères, qui implique ainsi l’idée d’un contrefort de la chaîne ou de l’ensemble d’une crête, et non celle d’un sommet isolé. La crête centrale est habituellement qualifiée de même.
- ↑ Le golfe du Mexique a 1,650 kilomètres de l’est à l’ouest et 1,200 du nord au midi. Ce sont à très peu près les dimensions de la Méditerranée entre l’Espagne et la Grèce, entre l’Afrique et la France.
- ↑ L’étendue de la vallée du fleuve des Amazones est égale à douze fois environ celle de la France.
- ↑ On trouve des volcans en Amérique non-seulement entre les tropiques, mais jusqu’aux deux extrémités. Le mont Saint-Élie, placé au terme habitable de l’Amérique du Nord, est un volcan. Plusieurs volcans sont plus au nord encore, dans l’Amérique russe. L’Amérique du Sud se termine par la Terre-de-Feu, ainsi nommée à cause de ses volcans.
- ↑ M. Thompson (Official visit to Guatimala, p. 239) fait remarquer que les volcans de Guatimala ont une élévation de 4,026 mètres au-dessus de leur base. Le Chimborazo est élevé de 6,530 mètres au-dessus de la mer ; mais, sa base étant de 2,902 mètres, il ne reste que 3,628 mètres pour la hauteur au-dessus de la base. Au Mexique, le Popocatepelt a 5,400 mètres au-dessus de la mer ; mais sa hauteur au-dessus de sa base n’en est que la moitié.
- ↑ Ces deux opinions étaient fondées l’une et l’autre. La terre étant ronde, pour se rendre d’un point à un autre, on est également certain d’arriver en prenant à droite ou à gauche sur le grand cercle de la sphère tracé par ces deux points ; mais ces deux chemins ne sont pas également courts, et l’un peut être infiniment plus long que l’autre. Pour qu’ils fussent exactement égaux, il faudrait que les deux points se trouvassent aux extrémités d’un même diamètre sur ce grand cercle. Colomb, par une bien heureuse erreur, s’imaginait que le trajet serait moins long d’Europe en Chine en marchant de l’est à l’ouest qu’en prenant le tour de la terre à rebours, C’est-à-dire de l’ouest à l’est.
- ↑ L’expédition partit de Cadix le 11 mai 1502, et rentra le 7 novembre 1504. Colomb y découvrit la côte de l’isthme de Panama depuis Honduras jusqu’à l’Amérique du Sud, dont il reconnut une partie. Il mourut le 20 mai 1506. Les deux premiers voyages de Colomb l’avaient conduit à l’archipel des Antilles. Le troisième l’avait mené sur la Côte-Ferme, au Delta de l’Orénoque et sur la côte de Paria, et par conséquent loin de l’isthme ; il y avait pris terre le 1er août 1498. C’était la première fois que Colomb abordait sur le continent américain. Jusqu’alors il n’en avait vu que les îles ; mais, dès le 24 juin 1497, Sébastien Cabot, envoyé par les Anglais, avait découvert le continent de l’Amérique du Nord.
- ↑ Le premier qui navigua sur ces eaux mystérieuses fut Alonzo Martin de San-Benito, l’un des compagnons de Balboa, qui, avant la prise de possession par celui-ci, découvrit une descente au golfe de San-Miguel, sur lequel il trouva un canot.
- ↑ L’Orénoque a son embouchure par le degré de latitude boréale.
- ↑ Le cap Saint-Augustin est, de l’autre côté de la ligne, dans le Brésil, à 8 degrés 2 minutes de latitude australe.
- ↑ El Amirante ; c’est le nom sous lequel Christophe Colomb est désigné dans l’Amérique espagnole.
- ↑ Le départ de Vasco de Gama est du 8 juillet 1497. Il doubla le Cap le 2 novembre 1497, et arriva à Calecut le 20 mai 1498. Le troisième départ de Colomb est du 30 mai 1498.
- ↑ C’est ce que cherchait Ponce de Léon et ce qui lui fit faire ses périlleuses expéditions en Floride.
- ↑ Il y succomba pareillement, et son frère, l’aîné des trois, Vasqueanes Cortereal, gouverneur de Terceire, fit armer, en 1503, une caravelle à ses frais, afin d’aller à la recherche de ses frères Gaspar et Miguel. Le roi don Manuel l’empêcha de partir par un ordre formel.
- ↑ Ils ne le furent que quelques années après la découverte du détroit de Magellan. Le premier débarquement de Pizarre au Pérou est de 1526.
- ↑ Le détroit de Magellan s’ouvre par 52 1/2 degrés de latitude australe, c’est-à-dire bien loin de l’équateur. Le cap Horn est à 3 degrés plus loin vers le pôle.
- ↑ Le passage de Rio Frio, entre la Vera-Cruz et Mexico, est 3,196 mètres au-dessus de la mer à la Vera-Cruz. Mexico est à 2,276 mètres. De là, pour aller à Cuercavaca, on franchit l’ancien camp de Cortez, situé à 2,996 mètres, pour redescendre à 516 mètres, et remonter encore à 1,380 mètres à Chilpanzingo.
- ↑ Je dis quelques-uns, car je ne suis pas de ceux qui accusent le gouvernement espagnol d’avoir été barbare et exterminateur dans l’administration de ses colonies. Dans l’ensemble, il s’y est montré humain, quoiqu’on lui ait fait une réputation contraire. Les colons ont eu de grands reproches à se faire ; mais l’esprit des ordonnances espagnoles envers les indigènes du Nouveau-Monde et les efforts généreux de l’administration coloniale ont été favorables à la cause de l’humanité et de la civilisation en ce qui concernait ces populations.
- ↑ Ce sont les distances directes sans détours. Les distances itinéraires, c’est-à-dire réellement parcourues par les navires, seraient plus fortes du quart ou d’un cinquième.
- ↑ Le Grand-Océan cependant ne mérite tout-à-fait le nom de Pacifique que du parallèle de Coquimbo à celui du cap Corrientes, entre le 30e degré de latitude australe et le 5e degré de latitude boréale. Il est là d’une sérénité constante. Au-delà il n’en est pas de même en toute saison.
- ↑ C’est le pilote don Francisco Maurelli qui eut ce courage, au commencement du siècle, pour apporter aux Philippines la nouvelle de la rupture entre l’Angleterre et l’Espagne.
- ↑ Si le Chili surpasse en prospérité les autres républiques de la côte occidentale de l’Amérique, on peut l’attribuer à ce que par le cap Horn il est d’un accès plus facile. C’est pour cela que probablement, pour s’y rendre d’Europe, le passage du cap Horn pourra continuer à être préféré.
- ↑ Le canal latéral à la Garonne a des dimensions un peu plus fortes.
- ↑ Le canal Érié se reconstruit depuis quelques années avec plus de largeur et de profondeur. Il surpassera même le canal du Midi et le canal latéral à la Garonne. Le canal de la Chesapeake à l’Ohio est à peu près à l’image de nos canaux à grande section. Le canal latéral au Saint-Laurent dans le Canada a 30 mètres et 1/2 de largeur à la ligne d’eau et 3 mètres de profondeur.
- ↑ Le développement de la ligne tout entière est de 85 kilomètres ; mais il n’y a de canal creusé que sur 34 1/2 kilomètres ; le reste est dans le lit des lacs ou des rivières.
- ↑ Ce ne sont que des écluses régulatrices nécessitées par la marée qui change chaque instant le niveau de la mer, tandis que, dans le canal, on a besoin d’un niveau constant.
- ↑ On doit croire que la substitution des hélices aux roues à aubes, comme organes moteurs des navires à vapeur, permettra de réduire la largeur des écluses destinées à les recevoir, puisqu’ils seront alors dégagés des grands et incommodes tambours qu’ils portent sur leurs flancs. On réduirait alors la longueur de la coque et on en augmenterait la largeur. Un paquebot de 450 chevaux pourrait dès-lors entrer dans l’écluse des vaisseaux à trois ponts, qui a 67 mètres 60 centimètres de long et 18 mètres 22 centimètres de large. Quant à la profondeur d’une écluse, elle a pour minimum absolu le tirant d’eau des navires auxquels elle est réservée, augmenté d’environ un demi-mètre, car il faut bien que ces navires restent à flot.
- ↑ Le canal hollandais du Nord est pourtant ainsi ; mais la Hollande est un pays exceptionnellement nivelé par la nature.
- ↑ On ne s’en est pas toujours assez préoccupé en France.
- ↑ L’eau pluviale représente tous les ans à Paris une couche de 50 à 55 centimètres : entre les tropiques dans le nouveau continent, c’est communément de 2 mètres 70 centimètres à 3 mètres.
- ↑ « Les observations barométriques ne méritent qu’une confiance médiocre. Le seul baromètre que possédât la commission avait été fait par moi, et il est probable qu’il avait pris l’air pendant le voyage, ce qui peut avoir influé sur l’exactitude des points mesurés. Leur hauteur respective doit néanmoins être assez exactement déterminée. Nos calculs ont été corrigés par les observations que nous avons faites plus tard à Tehuantepec.
« Cette unique ressource, nous eûmes le malheur d’en être privés dans une nouvelle excursion que nous avions entreprise ; notre baromètre se brisa en sortant de Tehuantepec, et nous fûmes obligés de tout abandonner. » (Extrait du rapport de don Juan Orbegoso.)
- ↑ Pour le faire sortir, il fallut l’alléger de son artillerie. Un vaisseau de ligne tirant de 7 à 8 mètres d’eau, il faut qu’il trouve sur la barre d’un fleuve une profondeur d’eau de 9 à 10 mètres.
- ↑ La latitude de l’embouchure du Guasacoalco est de 18 degrés 8 minutes ; celle de la côte près de Tehuantepec est de 16 degrés 11 minutes ; celle de l’embarcadère du Saravia sur le Guasacoalco est de 12 degrés 12 minutes, et les trois points sont à peu près sur le même méridien.
- ↑ À San-Miguel, le Chimalapa est à 173 mètres au-dessus de la mer : le village de Santa-Maria est à 286 mètres ; mais le Guasacoalco est de beaucoup plus bas que le village. 13 kilomètres plus bas, il est à 160 mètres 10 centimètres, ce qui permet de supposer que le niveau du fleuve à Santa-Maria est à 170 mètres environ.
- ↑ Eu égard probablement aux sommes dont pourrait disposer le gouvernement mexicain.
- ↑ Je lis dans un mémoire présenté à l’institut de Washington par M. Wheaton que le pic d’Omoa, qui domine le port du même nom sur la baie de Honduras, est à 1,995 mètres, et le pic de Congrehoy (ou Congrejal) à 1,958 mètres. Ces deux montagnes sont sur le bord méridional de la baie, là où la chaîne qui la borde cesse d’être continue et laisse des ouvertures.
- ↑ C’est le nom du Mexique dans la langue des Aztèques.
- ↑ Le Sirano, que nous citions tout à l’henre, y fait cependant exception.
- ↑ Ce sont les évaluations de M. Bailey. Les autres observateurs et géographes attribuent au lac de Nicaragua de plus grandes dimensions. Quant à la profondeur, ils lui en assignent une moindre, mais plus que suffisante pour de grands navires.
- ↑ Ce port m’a été signalé par M. Léon Leconte. Je n’ai pu le retrouver sur aucune des cartes que nous avons en France.
- ↑ On désigne ainsi les points où le courant est beaucoup plus vif et oppose un grand obstacle aux navires qui remontent. Quand un rapide est bien caractérisé, il interrompt la ligne navigable.
- ↑ Les traditions, qui partout sont sujettes à présenter les choses et les hommes comme allant en dégénérant, assurent qu’avant 1685 le fleuve était d’une navigation bien meilleure. On dit que jusqu’alors les trois-mâts le remontaient et venaient jeter l’ancre contre des flots où l’on voit les ruines d’un fort près duquel on mouillait, et où l’on trouve encore une profondeur de 9 à 10 mètres. Mais à cette époque le régime du fleuve subit une grande altération. Il s’ouvrit vers la mer une voie nouvelle par où s’échappe, sous le nom de Rio Colorado, une portion considérable de ses eaux. À proprement parler, c’est maintenant la principale branche. D’après un jaugeage de M. Bailey, rapporté par M. Stephens, le Colorado roule, en temps de basses eaux, 360 mètres cubes d’eau par seconde ; c’est trois fois le débit de la Seine à Paris pendant l’étiage. Quand les eaux sont hautes, le Colorado écoule par seconde 1,095 mètres cubes. Ce fut la guerre, cause de tant de dérangemens dans le monde, qui occasionna cette révolution dans le Rio San-Juan de Nicaragua. La mer des Antilles et les parages voisins étaient alors infestés de boucaniers, hommes résolus auxquels leur courage inoui eût mérité l’admiration de la postérité, si rien pouvait faire admirer la dévastation et le pillage. Ces audacieux bandits menaçaient de leurs incursions tous les établissemens espagnols voisins de la mer. Afin de les empêcher d’entrer dans le San-Juan de Nicaragua, on coula à l’entrée du fleuve des carcasses de navires, des radeaux, tout ce qu’on put trouver. Les arbres de dérive vinrent grossir cet obstacle ; bientôt il arrêta l’écoulement des eaux, et le fleuve fut forcé de se frayer un passage dans une autre direction. Depuis lors, les gros bâtimens cessèrent de remonter le fleuve. On m’a assuré qu’il existait des documens établissant qu’auparavant se tenait à Grenade une foire annuelle où paraissaient de quatorze à dix-huit navires venus d’Europe, en faisant échelle à Carthagène et à Porto-Belo. Il faudrait probablement rétablir l’ancien lit en barrant l’ouverture par laquelle s’épanche le Rio Colorado et en nettoyant le vieux chenal.
- ↑ La ville de Leon, dit Dampier, est à 20 milles (32 kilomètres) dans le pays. On y va sur un chemin plain et uni, au travers d’un pays plat, composé de grands pâturages et de pièces de bois de haute futaie. À environ cinq milles du lieu de débarquement (voisin de Realejo), il y a une sucrerie ; trois milles plus loin, une autre, et à deux milles de là on rencontre une belle rivière qu’il faut passer et qui n’est pas fort profonde. Outre cette rivière, on ne trouve d’eau qu’à une ville des Indiens qui est à deux milles de Leon. De là le chemin est agréable, sablonneux et droit. » (Traduction de Dampier, imprimée à Rouen en 1723, t. I, p. 280).
- ↑ La longueur totale de la tranchée est de 20,585 mètres. L’écoulement des lacs a exigé quelques autres travaux moins importans, et l’opération entière a absorbé 31 millions de francs, en comptant, à la vérité, les frais de beaucoup d’écoles, d’essais avortés et de fausses manœuvres.
- ↑ Ce projet a été tracé, d’après les nivellemens de M. Bailey, par M. Horace Allen, habile ingénieur des États-Unis, auquel M. Stephens communique ses notes. Peut-être M. Bailey, d’après les connaissances qu’il avait des lieux, particulièrement sous le rapport des eaux à employer, l’eût-il tracé fort différemment.
- ↑ Voir pour les dimensions des souterrains de plusieurs canaux ou chemins de fer le Cours de Construction de M. Minard p. 303.
- ↑ Mexico and Guatimala, t. II, p. 285.
- ↑ D’après M. Stephens, telle serait la pente du Tipitapa sur les dix premiers kilomètres à partir du lac de Leon. M. Léon Leconte considère cette pente comme celle du cours entier de la rivière.
- ↑ Un marin expérimenté, M. d’Yriarte, qui a beaucoup parcouru ces parages, certifiait à M. Stephens que les vents du nord, qui de novembre à mai sont dominans sur le lac de Nicaragua et le golfe de Papagayo, ont une telle violence, qu’ils empêcheraient un navire d’entrer dans le port ; mais cet obstacle ne pourrait-il pas être vaincu par des remorqueurs à vapeur ? On avait dit aussi à M. de Humboldt que cette côte était fort orageuse, tandis que d’autres témoignages l’avaient à peu près rassuré sur ce point. Presque tout est entaché de doute sur ces contrées, et elles réclament une minutieuse exploration, presque au même degré qu’il y a trois siècles
- ↑ Juarros, traduction anglaise de M. Baily, lieutenant de la marine anglaise ; 1823, p. 337.
- ↑ En 1825, M. de Humboldt estimait le minimum de largeur de l’isthme à 14 lieues marines (78 kilomètres). Les cartes plus récentes réduisent ce minimum assez notablement.
- ↑ François Pizarre débarqua a Nombre-de-Dios, port de l’Atlantique entre Chagres et Porto-Belo. Il avait rencontré en Espagne Fernand Cortez, entouré alors de la gloire que lui avait value la conquête du Mexique. Cortez, qui avait une grande ame et se plaisait à encourager la jeunesse dans d’audacieuses entreprises, fournit des fonds à François Pizarre. De Nombre-de-Dios, ce dernier se rendit à Panama, où l’attendait son ancien compagnon de fatigues et futur compagnon de succès, Almagro.
- ↑ D’après le mémoire publié par M. Lloyd, la mer moyenne à Panama serait plus élevée qu’à Chagres de 1 mètre 7 centimètres ; différence huit fois moindre qu’entre la mer Rouge à Suez et la Méditerranée aux bouches du Nil. À Panama, la différence de la haute à la basse mer (ce qu’on nomme la marée) serait, deux jours après la pleine lune, de 6 mètres 47 centimètres ; mais quelquefois, sous l’influence de certains vents et par le concours de diverses circonstances, elle irait à 8 mètres 37 centimètres. À Chagres, elle ne serait que de 32 centimètres. Le moment de la haute mer est d’ailleurs le même dans les deux ports. Régulièrement tous les jours, à un certain instant, la mer serait à Panama de 4 mètres 13 centimètres plus haute qu’à Chagres. Au moment de la basse mer, elle serait plus basse de 1 mètre 99 centimètres, et à la mer moyenne elle reprendrait une supériorité, avons-nous dit, de 1 mètre 7 centimètres.
On voit par là que la marée est très faible à Chagres et très marquée à Panama. D’un pays à l’autre, et même d’un port au suivant, la marée, on le sait, varie beaucoup, Sur la côte des États-Unis, le long de l’Atlantique, elle est, au midi de New-York, de 1 1/2 mètre à 2 mètres. Au nord, elle augmente successivement ; elle est à Boston de 3 1/2 mètres, et, sur le littoral de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, dans la baie de Fundy, de 10, 15, et même, dit-on, de 20 mètres. À Brest, elle est de 7 mètres, à Saint-Malo de 13, et à Granville de 14.
Mais M. Lloyd a exagéré les marées de l’Océan Pacifique à Panama. D’après les observations tout récemment rapportées de la mer du Sud par l’expédition de La Danaïde, que commandait M. Joseph de Rosamel, capitaine de vaisseau, à Panama, les plus fortes marées sont de 5 mètres et les plus faibles de 3 mètres 25 centimètres.
- ↑ MM. Lloyd et Falmarc se mirent à l’œuvre le 5 mai 1828, quoique la saison des pluies eût commencé. Leur nivellement partait de la rue Sal-si-Puede, qui touche à la mer, à l’endroit de la plage appelé Playa-Prieta. À 36,760 mètres de Panama, ils rencontrèrent la rivière Chagres. Après s’être élevés, à Maria-Henrique, à 196 mètres 39 centimètres au-dessus de la mer Pacifique, ils étaient là redescendus à 49 mètres 76 centimètres. Tel était le niveau du Chagres en ce point le 7 février 1829. De là à Cruces, ils trouvèrent par la rivière une distance de 31,070 mètres, et une pente de la rivière de 34 mètres 95 centimètres. De Cruces à l’embouchure, il y a une distance de 82 kilomètres, et la pente n’est que de 15 mètres 88 centimètres. Depuis la Bruja, qui est encore à 18 kilomètres de Chagres, la rivière n’a plus de pente.
Il résulte du projet tracé par M. Lloyd que le terrain entre Panama et le Rio Chagres, selon la direction qu’il a suivie, est bombé et s’élève graduellement dans les deux sens, non cependant sans quelques ondulations, au lieu d’offrir, comme l’a trouvé M. Bailey, entre le lac Nicaragua et l’Océan Pacifique, au milieu du trajet, une crête saillante qu’il suffit de percer par un souterrain assez court pour être dispensé de gravir la majeure partie de la pente.
- ↑ Rapport du commandant Garnier, du brick le Laurier, au contre-amiral Arnoux, page 36 d’une publication faite en 1843 par MM. Salomon, à Londres.
- ↑ L’expédition de la Danaïde, commandée par M. Joseph de Rosamel, a dressé de la côte de Panama une excellente carte, dont la gravure s’achève en ce moment au dépôt de la marine, et à laquelle nous empruntons les renseignemens cités ici. Cette carte est due particulièrement a M. Fisquet, enseigne de vaisseau.
- ↑ On a même compris sous ce nom pendant long-temps tout le fer à cheval de l’isthme de Panama proprement dit.
- ↑ Voici le passage du capitaine Cochrane : « Le Naipipi est en partie navigable, mais c’est une navigation très dangereuse. Le commerce ne saurait y recourir. Quant à construire un canal ou un chemin de fer, c’est impossible, du moins c’est ce qui résulte des renseignemens que me donna, à Citerà, un officier colombien, le major Alvarès, qui venait par là de Panama. Il me dit qu’il avait trouvé le Naipipi sans profondeur, d’un courant rapide, et hérissé de rochers ; que, du Naipipi à Cupica, on avait à franchir trois rangées de collines (three sets of hills), et qu’il ne voyait pas comment on pourrait opérer une jonction du Naipipi au Grand-Océan. De toutes les observations qu’il m’a été possible de recueillir à ce sujet, je tire la conséquence que le baron de Humboldt (qui n’a pas été sur les lieux) aura été mal informé à l’égard de cette communication avec l’Océan. » (Journal of a residence and travels in Columbia, during the years 1823 and 1824, par le capitaine Ch. Stuart Cochrane, vol. II, p. 449.)
- ↑ On avait même dit à M. de Humboldt, qui n’avait pas été sur les lieux, que cette jonction avait été opérée par les soins d’un moine industrieux, curé de Novita, et que par ce canal des canots chargés de cacao étaient venus d’une mer à l’autre. Probablement ce récit se fonde sur quelques travaux d’amélioration qui auront été opérés dans le lit de la Baspadura.
- ↑ Les marées de vive eau sont celles qui ont lieu après la pleine ou la nouvelle lune, ce sont les plus grandes. Les marées qui ont lieu aux deux autres quartiers de la lune sont les plus faibles.
- ↑ Le Boghaz (c’est ainsi qu’on nomme chacune de ces passes) de Damiette est le meilleur des deux ; mais on n’y trouve qu’une profondeur assez constante d’ailleurs de 2 1/3 mètres à 2 1/2 mètres quand le fleuve est bas, de 3 1/4 mètres pendant les crues. Le Boghaz de Rosette n’a dans les mêmes circonstances que de 1 1/3 mètre à 1 1/2 mètre, et de 2 1/3 mètres à 2 1/2 mètres. Ce sont d’ailleurs des passages mal abrités pendant l’hiver.
- ↑ M. Lepère supposait que le but du voyage serait Pondichéry et que le point de départ serait Lorient, dans le cas du trajet par le Cap, et Marseille dans l’autre cas.
- ↑ Exactement 27 mètres 45 centimètres du côté de l’Atlantique, et 28 mètres 68 centimètres du côté de la mer du Nord.