L’Italie d’hier/Piazza delle erbe

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Charpentier & Fasquelle (p. 15-18).

PIAZZA DELLE ERBE

Piazza delle Erbe, à Vérone

Près d’une colonne de marbre rose, sur laquelle le soleil monte avec l’heure, comme à un mât de cocagne.

une immense façade de maison, entièrement peinte à la fresque, et représentant des escalades du ciel par des Antée et des Encelade, et de terribles mêlées de corps-géants ; des fresques, qui semblent la toile michelangelesque d’une arène de lutteurs colossaux, et dans lesquelles, des fenêtres, habitées par des têtes vivantes, font, çà et là, un trou dans une anatomie du mur.

En bas, sous de grands parapluies de toile blanche, transpercés de lumière, éclate le bariolage des fichus et des bonnets des vendeuses d’herbes, ainsi que des bleuets et des coquelicots, sur les champs verts des laitues, des porreaux, des choux, étalés à leurs pieds. Ce sont des vendeuses brunes, les cheveux roulés sur les tempes, en des volutes ressemblant à celles dont l’Ionie a fait le chapiteau de ses colonnes, et ce sont quelques vendeuses blondes, dont les cheveux crespelés et folâtres mettent autour de leur ovale comme un rayonnement ensoleillé.

Beaucoup de ces marchandes sont de vieilles femmes de la campagne, portant un tout petit chapeau de paille, d’où s’échappent, entremêlés à d’énormes pendeloques d’or attachées à leurs oreilles, de libres mèches de cheveux, buttant de leurs tortils grisonnants leurs jaunes profils sculpturaux, qu’on dirait sculptés dans du buis.

Et en plein de cette verdure potagère, l’on voit, et des quartiers de bœuf saignants, posés sur les premières marches d’escaliers de palais ruinés ; et de la triperie, au bas de laquelle des chiens, sans couleur et hérissés, lappent des détritus de mous ; et des étalages de pic-verts : un manger dont on est friand ici, oiseaux jaunes aux têtes rouges.

À côté, se vendent des petits bouquets, montés sur de grandes tiges, et des choses de toutes sortes et de toutes couleurs, parmi lesquelles cherchent leur chemin, des ânons chargés de fagots, perdus dans la broussaille de leur charge.

Là, toute la matinée, se promènent et errent, côte à côte avec de vieux Italiens, au nez rubicond, faisant leur marché dans un cabas, caché sous le manteau, les petites bourgeoises de Vérone, à la démarche alanguie, la tête voilée d’une dentelle blanche, le front bombé, les yeux rapprochés du nez, la bouche aux lignes tourmentées : — de délicates femmes, toutes charmantes de la grâce souffreteuse des Botticelli et des Gozzoli, et qui semblent, en ce nord de l’Italie, des modèles, conservés vivants, des tableaux primitifs.