L’Italie d’hier/Pietro di Lorenzo

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Charpentier & Fasquelle (p. 75-76).

Pietro di Lorenzo. — Paysage immense. Perspective sans fin de roches dressant, dans un ciel noirâtre, des pics jusqu’à une mer d’un vert dur et froid. Et les plates-formes, et les pentes, et les cavernes, et les anfractuosités de ces roches, sont toutes garnies de moines de toutes les couleurs, de moines noirs, de moines blancs, de moines gris, ainsi qu’une moinerie moinante, qui, en compagnie de toutes les bêtes, redevenues les bêtes sans dents du Paradis terrestre, aurait pris possession de ce coin de terre, d’où s’élève vers Dieu, dans une perpétuelle extase, l’adoration des anachorètes.

On y voit priant, de saints vieillards vêtus seulement de leurs cheveux blancs, on y voit de jeunes moines, à cheval sur des cerfs, récitant des oraisons, ou lisant leur bréviaire, dans des chars traînés par des lions. Et ce sont sur le haut de ces falaises, deux ou trois arbres, pommés comme les arbres des boîtes de joujoux, où se trouvent des moines en prière, jusque sur les branches, ainsi que des stylites de la frondée. Et en bas, à côté de gentils oursons et de lapins très graves, à l’air convaincu de jeunes prosélytes, assis sur leur cul, un moine trait une biche.

Sur la mer du tableau — sans doute l’image du monde — une mer toute hérissée d’îles aux châteaux forts, et où les vents — sans doute les passions humaines — soufflent, avec des chevelures méduséennes une tempête, à travers laquelle on aperçoit une barque, où trois diables emportent une créature nue. La mer est bordée, à droite, par un rivage couvert de pèlerins, au milieu desquels des moines pèchent, près de crocodiles verts, d’ours auxquels ils font donner la patte, de féroces de toutes sortes, flairant, sans y mordre, des cadavres nimbés.