L’Italie d’hier/Teatro Leopoldo Augusto Bargiacchi

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Charpentier & Fasquelle (p. 147-151).

TEATRO LEOPOLDO AUGUSTO BARGIACCHI

Sur ce théâtre, c’est un autre stenterello que le gros Cannelli, un stenterello, maigre, nerveux, aux doigts rétractés, au jeu fiévreux, rageur, et dans lequel éclate, d’une façon désopilante, la mauvaise humeur de ses mains et de son masque. Un comique un peu triste, mais un comédien savant, rompu au métier, un comédien original, un comédien tout florentin qui ne rit pas, mais dont les mines, les grimaces, les effets sourds de la voix, la volubilité des paroles, les contorsions excentriques du corps arrachent le rire. À ce théâtre Bargiacchi, dans la bouche du stenterello, c’est de l’esprit tintamarresque ou ordurièrement équivoque.

Exemple d’esprit tintamarresque. Un postillon dit : « J’ai tant de larmes dans l’antichambre des yeux, que je ne puis voir le chemin ! »

Exemple de l’esprit équivoque : « — Ah ! c’est votre sœur de lait.. ? L’épouser, non… avec du lait on ne fait pas des œufs… »

Pendant les entr’actes du théâtre Bargiacchi, le stenterello chante des espèces de complaintes drolatiques, sur des airs pleurards d’église, qui font se tordre le public. Un des caractères du stenterello, c’est d’être brèche-dent, ce qu’il obtient d’une manière tout à fait illusionnante, en se mettant, sur les dents de devant, un morceau de taffetas noir.

Parfois, il arrive au stenterello de se montrer en squelette, les côtes et le pubis soutachés en blanc sur un tricot noir : un travestissement produisant un grand effet sur les vivants de la salle. Où apparaît le mieux le génie de Michel-Ange, c’est dans cette étude inachevée de la « Vierge faisant lire l’Enfant Jésus » et où la chair rondit, comme de la cire, sous les brutales entailles du ciseau du sculpteur : un merveilleux croquis exécuté dans le marbre. Le fond de la nourriture du peuple florentin est un gâteau de farine de châtaignes, lardé d’amandes de pins : gâteau appelé : Castagnaccio, un gâteau couleur chocolat, et qu’on voit exposé dans des bassins de cuivre.

Oh ! la jolie Parisienne du dix-huitième siècle, avec l’éclair et le pétillement de sa physionomie, que cette Mme Lebrun, qu’on suivait, les dimanches aux Tuileries, de manière à l’embarrasser ; oui, la jolie Parisienne, que cette gentille peintresse, obligée pour ses portraits d’homme, de les peindre, comme elle dit, à regards perdus, et de leur crier, aussitôt que les leurs devenaient tendres : « J’en suis aux yeux ! »

Elle s’est peinte, la tête faisant face au public, une main levée, en train de peindre, l’autre tenant la palette et la boite de pinceaux, et un rien reposant sur ses genoux, dans une attitude mollement abandonnée.

Elle est habillée d’une robe de soie noire, bouffante et chiffonnée sur les seins, une large écharpe de soie rouge, au gros nœud tombant sur la hanche, une grande collerette de dentelle jetée, un peu à la diable, autour d’un cou libre et dégagé. Elle a un petit nez mutin, gamin, aux narines éveillées, des yeux dont la lumière est un sourire, une bouche respirant une grâce malicieuse, de toutes petites dents perlées, prêtes à mordre, l’ovale rond et mignonnement plein d’une figurine de Clodion.

Sous un mouchoir de mousseline, tortillé en la forme d’un léger turban, des cheveux aériens, volatilisés, par un œil de poudre, battent la figure juvénile, enfantine presque, de leurs tortils affolés. Et une vie délicate court sous les carnations de porcelaine de cette nerveuse, au sommeil léger, qui ne pouvait dormir, je crois, à Rome, empêchée qu’elle était par le forage des tarets dans les poutres des plafonds, et qui ne dut, selon son expression, son calme et la prolongation de sa vie, qu’à une sieste, à une coucherie d’une heure, pendant le jour, après son dîner.

Le portrait signé : L.-E. Vigée Lebrun 1791, nous apprend que ce portrait, faisant partie de la collection des portraits des peintres de toutes les écoles, a été exécuté en Italie, lorsque, prise de peur de la Révolution, l’émigrée s’est sauvée de Paris.