L’Italie dans la Triple-Alliance

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L’Italie dans la Triple-Alliance
Revue des Deux Mondes4e période, tome 123 (p. 551-578).
L’ITALIE
DANS LA TRIPLE-ALLIANCE[1]

Au lendemain de la triste affaire d’Aigues-Mortes, M. Barzilaï, député de Rome, originaire de Trieste et, à ce titre, irrédentiste, eut l’idée de poser à M. Giolitti, alors président du conseil, et à M. Brin, alors ministre des Affaires étrangères, une question qui les eût certainement embarrassés : « A quoi nous sert la Triple-Alliance ? » M. Giolitti vint à tomber dès la séance de rentrée, et M. Barzilaï fut obligé d’attendre. Mais cette même question, il la posait hier, — une ténacité aussi longue est la preuve d’une conviction forte, — à M. le baron Blanc, successeur de M. Brin, et l’on ne sait trop si, maintenant même, il est pleinement satisfait. La réponse de M. le baron Blanc, en effet, a été tout ce qu’il y a de plus diplomatique, c’est-à-dire qu’en répondant il n’a pas répondu, qu’il a répondu en ne répondant pas, et, aussi bien, il semble, quoique le ministre ait raillé les malices démodées, que ce soit le suprême de l’art. A quoi sert la Triple-Alliance, M. le baron Blanc ne l’a pas dit : il s’est borné à répéter qu’elle ne voulait nuire à personne, et, à grands traits, il en a refait l’histoire, la regardant toutefois d’un point de vue un peu particulier, ce qui permet de la refaire encore.

Un Français aurait tort de vouloir l’entreprendre avec des documens français, mais il peut l’essayer sur des documens étrangers. Justement, nous en avons un, italien, tout frais et de première marque. M. Luigi Chiala poursuit depuis plusieurs années une série d’études, sous ce titre : Pages d’histoire contemporaine. On a le droit de penser que son travail n’a pas déplu en haut lieu, car, au deuxième fascicule, M. Chiala n’était que député et le voilà, au troisième, sénateur du royaume. Nous le suivrons pas à pas, mois par mois, nous le traduirons fidèlement et nous le traduirons tout entier, en regardant de près à son texte, en nous efforçant de rendre aussi ce qui se trouve entre les lignes, comme il convient, quand on lit une étude de politique positive.


I

L’occupation de Tunis par les Français fut pour l’Italie un rude coup ; elle la ressentit comme une sanglante injure ; elle y vit une menace et une provocation. L’opinion publique s’émut, ou bien on l’émut et on l’entretint savamment à un degré proche de l’ébullition. Tous les partis renchérirent les uns sur les autres de dignité blessée et de patriotisme irrité. Articles et discours flambaient, et le peuple, qui aime à faire du bruit, criait. Pour comble de malheur survinrent les déplorables incidens de Marseille. On se les rappelle encore. Un régiment, qui revenait de Tunisie, passant sous les fenêtres du cercle italien, à Marseille, des sifflets avaient retenti. De là, rixes et blessures, suivies ou non de mort d’homme, drapeau déchiré, écusson arraché, ce qui est le cas ordinaire. Qui donc avait sifflé ? Qui avait frappé le premier ? On ne le rechercha qu’après, lorsque la justice s’en mêla. Mais, dès que le télégraphe eut joué, ce ne fut qu’un cri en Italie : « On assassine nos frères ! » C’était le cadavre qu’un meneur promène dans toutes les émeutes et qui les change en révolution. Le dépit devint de la colère et pis que cela. L’Italie entière prit feu. On repassa en esprit les griefs anciens et récens que l’on avait contre la France, et, en les grossissant de bonne foi, presque sans s’en rendre compte, on exprimait très haut les inquiétudes qu’elle inspirait.

La France ne s’accommoderait jamais de sa défaite ; elle voudrait remonter à son rang et, ne pouvant reprendre à l’Allemagne l’Alsace et la Lorraine, elle prendrait à d’autres provinces : à l’Italie, que n’enlèverait-elle pas ? Elle lui arracherait Home pour la rendre au Saint-Siège : oui, elle en viendrait jusque-là. Elle commençait par lui prendre Tunis,’car il n’y avait pas à dire, c’était à l’Italie que Tunis appartenait, de par le droit et de par la nature, et c’était elle qu’on en chassait. Le gouvernement français violait outrageusement toutes les lois et toutes les convenances. Il n’avait pas d’égards pour l’Italie, qui avait tant d’égards pour lui. Elle savait bien d’ailleurs qui le poussait. Elle aussi, le grand tentateur l’avait emmenée sur la montagne et lui avait montré les royaumes à ses pieds ! Au congrès de Berlin, M. de Bismarck, remaniant la carte du monde, lui avait proposé la Tunisie. Elle n’en avait pas voulu, par scrupule de délicatesse. Son plénipotentiaire, le comte Corti, avait vu le piège. Comme M. de Bismarck insistait et vantait l’éclat de la perle : « Vous tenez donc beaucoup, avait répondu le comte Corti, à nous brouiller avec la France ? » Puis, là-dessus, il avait brisé net, et le président du conseil des ministres, M. Cairoli, l’avait approuvé. M. Waddington, au nom de la France, n’avait pas fait les mêmes façons, et voilà ce qu’il en coûtait d’être chevaleresque ! La France était désormais à Tunis ; et qu’est-ce que Tunis ? Carthage. Elle était à Bizerte, posait le pied en Sicile ; son ombre envahissante s’allongeait sur la péninsule. Cette Afrique, province romaine, on l’avait laissée tomber de la main et le voisin l’avait ramassée. Comment douter que ce voisin fût l’ennemi ? Où devait-on chercher des amis, sinon chez les ennemis de l’ennemi ? — Telle est, au point de vue italien, l’histoire de la Triple-Alliance ; ce n’est ni très long, ni très compliqué.

(Ce n’est pas non plus très exact, mais dans ces sortes de sujets la passion a trop de part pour que nous perdions notre temps à vouloir l’établir en détail. La France n’a pas été si coupable, l’Italie n’est pas tout à fait cette victime innocente, offerte au sacrifice : elle n’a pas été expulsée de Tunis ; elle y a été devancée[2]. Ce n’est pas du fond de notre trahison qu’elle a été jetée dans la Triple-Alliance, c’est du haut de son rêve. Mais, peu importe : elle y a été jetée ; l’intéressant pour nous n’est pas de savoir pourquoi, mais comment et jusqu’où. Cette réserve faite en passant, ne troublons plus M. Chiala dans son récit.)

Aux ambitions, aux déceptions toutes modernes de l’Italie, s’ajoutaient les souvenirs, glorieux ou douloureux, de l’antiquité classique. Quiconque représentait au Parlement un collège du Piémont ou de la Calabre parlait comme Caton et les vieux consuls : Censeo et delendum esse Carthaginem. Pas de compte rendu de mandat aux électeurs, pas de toast qui ne finît par une note belliqueuse. Et puisque c’était le ton banal des conversations privées, sur quel ton s’exprimaient les héros authentiques ? Un souffle puissant traversait la mer ; de son rocher de Caprera, Garibaldi relevait et renvoyait le défi : « Ah ! s’il était seulement dans un caisson, à bord du Duilio, quelle leçon il donnerait à quei signori'[3]. » Ces Messieurs, c’étaient ceux qui étaient venus joyeusement verser leur sang pour l’Italie à Magenta et à Solferino et pour qui il était allé, avec ses fils, verser du sang italien à Dijon. Calmes bourgeois des petites villes, avocats, professeurs, ingénieurs, fonctionnaires et commerçans vibraient. Les meilleurs amis de la France, des amis éprouvés, n’étaient pas les derniers à protester contre ses agissemens en Tunisie.

Tunis, Tunisi, ces trois syllabes brûlaient toutes les lèvres. Les phrases courroucées partaient comme autant de coups de feu. Les lettres pleuvaient sur les journaux ; des lettres tristes ou furieuses de gens habituellement sages. Mais le trait distinctif du tempérament italien, c’est la réflexion, le goût, l’amour et l’art du calcul. Peu à peu l’Italie se ressaisissait ; peu à peu le sens politique reprenait le dessus et cherchait à s’orienter, à pousser sur une route nouvelle l’opinion publique dévoyée et surexcitée.

Il y avait bien eu, dans tout ce mouvement, quelque chose de spontané, une effervescence naturelle et comme la colère d’un peuple jeune, grisé de ses vingt ans, qui se sent arrêté sur le point de satisfaire un de ses caprices. Mais il y avait aussi, et plus les jours passaient, plus il devait y avoir quelque chose d’artificiel, de « voulu » et de « dirigé ». Le mouvement qui emportait l’Italie loin de la France, les hommes politiques l’avaient d’abord suivi et puis, forçant le pas, ils en prenaient la tête ; l’Italie n’avait fait que s’écarter de la France sans se demander où elle irait ; eux, ils la conduisaient vers les puissances centrales.

Tout ce qui jouait ou désirait jouer un rôle dans la politique disait, sur cette question capitale, son mot plus ou moins hostile à la France, favorable, pour mille motifs, à l’Autriche et à l’Allemagne. Après avoir été un gros incident de politique extérieure, l’affaire de Tunis devenait un gros instrument de politique intérieure italienne. L’opposition de toutes nuances s’en emparait contre le ministère, contre Depretis qui avait remplacé Cairoli. C’était un cabinet plutôt de gauche. La droite et le centre accusaient les sympathies secrètes de Depretis et de son gouvernement pour la France républicaine. Mais que recevait-on de la République ? Des offenses. Et que pouvait-on attendre d’elle ? Des querelles, des troubles, le désordre au dedans et au dehors. Aucune stabilité : des groupes qui se dévoraient entre eux ; toujours la fringale révolutionnaire : Saturne mangeait ses enfans. On ne pouvait négocier sérieusement avec elle, car elle n’était pas la même aujourd’hui qu’hier, et, demain, elle ne serait pas la même qu’aujourd’hui. Hier, elle s’appelait Mac-Mahon et le duc de Broglie, aujourd’hui Gambetta et, demain, qui sait ? Tantôt la rouge, tantôt la noire, mais jamais autre chose que la noire ou la rouge. Ce qu’on ne voyait que trop, c’est qu’elle se ruait aux abîmes ; une fois sur le bord, elle ouvrirait les yeux, se rejetterait violemment en arrière, et alors, à qui s’accrocherait-elle ? Déjà elle étendait la main vers l’Italie. Mais l’Italie était loyaliste, royaliste, et voulait le rester. Elle naissait, elle renaissait à peine ; elle se refusait à partager le sort de cette nation vieillie et dont les destinées étaient accomplies, qui finissait ou finirait dans un accès de folie sénile. Bien plutôt elle irait s’asseoir, se reposer au pied de ces chênes aux profondes racines, de ces dynasties séculaires, les Habsbourg, les Hohenzollern, qui croissaient encore, mais ne changeaient point, et là, dans la paix et dans l’abondance, sous leur ombre que réchaufferait et illuminerait son soleil, elle filerait pastoralement la quenouille de sa fortune.

C’était là qu’il fallait aller, vers l’Autriche et l’Allemagne unies pour le bien de l’Europe ; il fallait y aller tout de suite, délibérément, sans hésitation, sans regrets. Mais M. Depretisne savait pas se résoudre, semblait hésiter et regretter. Aussi, comme on le harcelait, dans son propre journal, le Popolo romano ! Comme on harcelait M. Mancini, ministre des Affaires étrangères, dans son journal, le Diritto ! Et les adversaires, comme ils s’agitaient ! Un jeune homme qui donnait de belles espérances, M. Sidney Sonnino, menait l’assaut dans la Rassegna settimanale. Les lecteurs assidus, les assidui, ne se lassaient pas d’écrire, brodant sur ce thème, à la gazette de leur choix : et parmi eux, des personnages connus dans la diplomatie, les lettres, la vie parlementaire, M. Luzzatti, M. Carlo Cadorna, le sénateur Caracciolo di Bella. Tout servait de prétexte à une épître, longue ou courte, mais bien sentie. La fameuse sortie de Gambetta, à l’Elysée-Ménilmontant, au cours de la période électorale, le passage où il invoquait pour l’Alsace-Lorraine « l’heure de la justice », cet air de bravoure oratoire franchissait les Alpes et y déchaînait une tempête.

Est-ce que le lendemain était assuré, avec des gens qui espéraient en des retours de « la justice Immanente » ? N’étaient-ils pas capables, si la justice ; tardait, de courir, armés, au-devant d’elle et de la contraindre par la force ? Conclusion, toujours la même où l’on arrivait par d’autres chemins : — tous les chemins menaient à Berlin, — l’Italie qui voulait la paix, qui avait besoin de la paix, devait aller la chercher là où elle résidait : en Allemagne et en Autriche.

Cependant, M. Depretis était comme un homme pris au milieu d’un tourbillon. Pris, mais non pas perdu. On ne lui avait pas ôté sa boussole, mais on la tirait de la boîte accoutumée, on la secouait, et l’aiguille, loin de marquer le nord politique, tournait en tous sens et ne se fixait pas. Le président du conseil italien, parfait routier de Parlement et parfait philosophe pratique, plein d’expérience et d’expédiens, merveilleusement souple, indécis dans l’allure ou jouant l’indécision, comparé par les uns à Nestor, par d’autres au renard, surnommé pompeusement Fabius Cunctator ou familièrement « le vieux de Stradella », était un partisan, pas même déclaré, — à quoi bon ? se déclarer, c’est se compromettre, — mais un partisan convaincu, l’adepte, le champion de l’ancienne manière florentine : Gagner du temps, jouir du bénéfice du temps : Godere il benefizio del tempo. Ce n’est pas à lui qu’un novateur, un brouillon, un Lapo da Castiglionchio[4] eût pu adresser sa harangue et soutenir que « rien ne nuit tant au temps que le temps ». Avec le temps, il se flattait de modifier les circonstances, comme, avec le temps et une volonté d’autant plus efficace qu’elle se cachait et qu’on ne la soupçonnait pas, il transformait et mêlait les partis. Tout ce qu’il touchait se dénaturait ou, du moins se décolorait ; c’était chez lui une faculté singulière : il ne lui fallait que du temps ; pour la patience, il en avait provision. C’était l’homme d’Etat infiniment patient, infiniment prudent, qui ne connaissait qu’une seule faute : se presser, et ne redoutait qu’un seul malheur : être pressé. On devine dans quelles perplexités le plongea, au lendemain des affaires de Tunis, l’opinion publique italienne qui prenait le galop et chargeait. La politique d’imagination rapide et d’exécution immédiate n’était pas du tout la sienne ; non qu’il en eût pour bien longtemps à se dépouiller de ses opinions et de ses scrupules, mais parce qu’il avait au préalable des rideaux et de doubles rideaux à tirer. Il se peut que ses sympathies, ainsi qu’on le lui reprochait, fussent plutôt du côté de la France, mais elles n’étaient pas assez fortes pour que, avec du temps, il ne fût pas certain d’en triompher.

Aux Affaires étrangères, M. Mancini, professeur et jurisconsulte éminent, célèbre par ses travaux dans plusieurs branches du droit, surtout dans le droit civil : ingegno straordinario, dit de lui M. Chiala, ce qui a pour équivalent en français « esprit supérieur » et c’était un esprit supérieur, en effet, quoiqu’il eût la forme un peu solennelle et qu’il abusât un peu de la parole au gré de M. Depretis : plus orateur que diplomate, moins homme d’Etat qu’homme de barre, de chaire ou de tribune, somme toute, ministre ordinaire, en dépit d’une science étendue et de dons exceptionnels, à cause de ces dons et de cette science même. — À Vienne, le baron Haymerlé, puis le comte Kalnoky, que l’Italie ; officielle se représente comme un féodal et un clérical, dont elle se croit médiocrement appréciée et qu’elle apprécie médiocrement. À Berlin, M. de Bismarck, qui va mener toute la pièce, qui en est l’auteur et l’imprésario, mais qui sait à fond son métier et ni ; paraît jamais ni sur la scène, ni dans sa prose. Comme acteurs secondaires, deux ambassadeurs du roi d’Italie ; à Berlin, le comte de Launay, gentilhomme achevé et patriote enthousiaste, devenu « italianissime » avec la dynastie de Savoie et légèrement germanisé par un séjour de vingt ans près des fondateurs de l’empire ; à Vienne, le comte de Robilant, aussi bon gentilhomme, aussi bon patriote, non moins italianissime, mais se mouvant dans une atmosphère encore imbue de préjugés contre l’Italie, dans un milieu demeuré malgré tout réfractaire, sentant quelque fraîcheur à la Hofburg et, par un juste orgueil national, désirant que l’Italie se maintienne à la même température. Les personnages seront au complet quand nous aurons introduit le baron Blanc, nommé secrétaire général du ministère des Affaires étrangères italien et dont les hautes capacités techniques apportent au talent de Mancini un utile secours.

Le drame se resserre, l’action se noue, le dialogue s’engage. Jusqu’alors, on n’avait entendu que le chœur, et un chœur populaire, chantant tant bien que mal, au mépris de la mesure. Il disait le songe africain de l’Italie, son désappointement, son envie, son désir de vengeance. Il paraphrasait, en langue vulgaire, le Væ soli de l’Écriture. « On nous insulte parce que nous sommes faibles. Nous sommes faibles parce que nous sommes isolés. » Pensée, paroles et musique, ce n’est que l’instinct d’une foule. Mais voici venir les chorèges, les artistes. Et de la basse tumultueuse et grondante se détache aussitôt ce motif : « Notre isolement ne cessera qu’à Vienne et à Berlin. » Lorsque la toile tombe, après le premier acte qui n’est guère qu’un prologue, personnages et chœur, le bras étendu comme pour un serment, rivalisent du geste et de la voix : « Allons, courons, volons à Vienne et à Berlin ! » Ainsi finissent toujours les premiers actes, dans les opéras politiques.


II

Dès la fin de ce premier acte, le dénouement est clairement indiqué : c’est l’alliance avec les puissances centrales. On ne diffère d’avis que sur la coupe du livret et l’allure du dialogue. Les uns veulent aller tout de suite et tout d’une traite à Berlin. Les autres, plus nombreux, veulent s’arrêter un peu à Vienne, mais pour tous Berlin est le but : Vienne n’est qu’une halte à moitié chemin. Chose curieuse : c’est l’alliance avec l’Autriche qui semble, en Italie, la plus facile, la plus naturelle. Les libéraux de l’école de Cavour s’en font les promoteurs et les protagonistes. Rien ne sépare plus l’Italie de l’Autriche ; rien, ni le Trentin, ni Trieste : l’irrédentisme ne pèse plus une once. On dirait que l’occupation de Tunis par la France a créé une sorte d’irrédentisme nouveau, qu’elle l’a détourné vers l’Afrique et que c’est à présent la Régence, la province italienne captive. Dehors, sans doute, les Barbares ! mais les Barbares ne sont plus au nord-est. Au nord-est, il n’y a plus que des amis, des frères. On s’est bien rencontré, dans les plaines lombardes et les lagunes vénitiennes, il n’y a pas quinze ans pour la dernière fois, Autrichiens d’un côté et Italiens de l’autre ; — mais raison de plus pour s’estimer et pour s’aimer.

Qui se souvient, après Tunis, que, dans l’ossuaire de Solferino, il y a des ossemens qui ne sont ni autrichiens ni italiens ? Presque personne, parmi ces sénateurs, ces députés, ces diplomates, ces militaires, ces publicistes, tous ces chauds patriotes. Ceux-ci vont plus vite et ceux-là moins vite, de leur train professionnel : les hommes politiques issus du suffrage, toujours un peu improvisés, les publicistes sous la plume desquels les mots enflent dans la hâte d’écrire et sous le coup du besoin de « porter », les militaires qui décomposent la vie en mouvemens et regardent comme un grand progrès de supprimer un temps à chaque exercice, négligent obstacles et distance, sautent à pieds joints jusqu’à Berlin. Les diplomates qui observent, comparent, combinent et calculent, ralentissent le pas, mesurent en hauteur et en largeur ces blocs dont il s’agit de s’approcher, l’Allemagne et l’Autriche. Il leur paraît que l’Allemagne est bien haute, bien large, bien forte, bien victorieuse. Avec l’Autriche, l’Italie se sent plus voisine de l’égalité : elle peut gagner ce qui lui manque. Comme l’on tient à faire bonne figure dans la ligue, comme l’on ne veut de l’alliance que pour la paix et de la paix qu’avec la dignité, s’il faut armer, on armera. S’il faut se mettre en état, on ne marchandera point pour s’y mettre ; on augmentera les contingens, on votera de nouveaux crédits et ainsi, par échelons, l’Italie s’élèvera jusqu’à l’Allemagne.

En attendant, elle peut traiter de pair avec l’Autriche, ce qui est encore traiter avec l’Allemagne (les diplomates insistent là-dessus) puisque, depuis plus de deux ans, depuis 1879, l’Allemagne et l’Autriche sont unies d’alliance. Tout ce qu’il y a, en Italie où ils abondent, d’esprits ingénieux s’occupent à démontrer ce théorème politique, d’une vérité relative, que deux puissances alliées à une troisième sont alliées entre elles. En bonne mathématique politique, une fois à Vienne, on serait à Berlin : le tout était d’aller à Vienne, d’y faire aller Mancini, Depretis, une troisième personne surtout, qui, seule, avait pleinement qualité pour parler au nom de l’Italie. Cette troisième personne restait muette, ou ses confidences étaient pieusement gardées. M. Depretis saluait à droite et à gauche, à l’orient et à l’occident : « Messieurs, amis de tout le monde ! » M. Mancini, orateur, fin lettré et jurisconsulte, enfermait en de savantes périodes des nuances délicates : « Amicus Plato, sed magis amica veritas. Amis de tout le monde, plus amis de plusieurs, et plus amis encore de quelques-uns. » Des subtilités, mais le temps passe ; la presse cric et le public s’impatiente.

Tout à coup un bruit se répand : le roi Humbert va à Vienne. D’où vient ce bruit ? D’un journal, la Politik, de Prague. La Neue Freie Presse reproduit la nouvelle. Sans perdre une minute, le comte de Robilant, ambassadeur d’Italie en Autriche, met en garde son gouvernement : ce ne sont pas des organes officieux ; ce n’est pas d’eux que se serviraient soit l’empereur, soit ses ministres, s’ils voulaient à mots couverts lancer une invitation. M. de Robilant ne s’en cache pas : il n’est pas partisan d’un voyage du roi à Vienne, en ce moment. Il estime que c’est trop tôt. Mais le Diritto, à son tour, a reproduit l’information de la Politik. L’idée chemine, portée par le torrent qui entraîne l’Italie vers l’Autriche et l’Allemagne. La voilà, l’occasion cherchée : que le roi Humbert ville à Vienne ! M. Depretis résiste de son mieux. Il fait démentir par le Popolo Romano. Mais le journal de la droite, l’Opinione, riposte vertement à ce démenti : « Comment ! il n’est pas exact que le roi doive faire un voyage à Vienne ! Tant pis ! c’est que le cabinet ne comprend ni son devoir ni l’intérêt national. »

M. de Robilant voit de loin que le flot monte : il tente de s’y opposer. Pour un diplomate, il se fâche presque : Il est clair, écrit-il, que l’Autriche désire notre alliance ; mais pas de précipitation ! ce n’est pas l’heure : mieux vaut laisser tomber ce bruit, et non seulement ce bruit, mais l’affaire elle-même. « Sono quindi di assoluto parere si deva lasciar cadere la cosa. » L’alliance italienne est sûrement le" vœu secret de l’Autriche, comme l’alliance avec l’Autriche est le vœu public de l’Italie, mais, cette union honorable, il ne faut pas la mendier, ’ — c’est M. de Robilant qui parle, — elemosinarlo[5]. Le baron llaymerlé, lui aussi, est ou dit être de cet avis : « Laissons mûrir les choses et ne précipitons rien. » Un rapprochement trop souligné avec les deux États, à si peu de temps des incidens de Tunis, aurait l’air « d’une pointe vers la France », et, si ce n’est point à cela que pense l’Italie, M. de Haymerlé n’y pense que pour l’éviter. L’Autriche est très heureuse, mais, pour l’instant, il lui suffit — c’est encore M. de Robilant qui le dit — « de vivre en paix avec l’Italie »[6]. À cette paix qui est visible, évidente, éclatante, M. Mancini ajoute des déclarations d’amitié : fleurs et fruits ; M. de Haymerlé remercie, mais vraiment il ne saurait accepter davantage. L’ambassadeur d’Italie ne cesse d’avertir ses compatriotes ; du calme et, pour employer le mot le plus sûrement italien de tout le vocabulaire, de la patience, patienza ! « Soyons en même temps adroits et fiers, soyons dignes et politiques ; ne forçons point la mesure. »

M. de Robilant le répète tant et si bien qu’il croit avoir été compris. Il croit que c’est fini, que le voyage est ajourné, que l’affaire est enterrée et qu’il peut prendre son congé ; que ses cris ont couvert l’appel des « Sirènes viennoises ». Il vient tranquillement passer la saison dans ses terres. M. Mancini, pour sa part, est en villégiature à Capodimonte, M. Depretis est à Stradella, le roi Humbert est à Monza. Un beau matin, M. de Robilant reçoit un télégramme de Mancini : on le prie de se rendre à Capodimonte. Il y va, le 7 octobre, et le ministre des Affaires étrangères annonce à l’ambassadeur d’Italie près l’empereur François-Joseph que le voyage à Vienne est décidé, que M. Depretis et M. Mancini accompagneront le roi et que lui, M. de Robilant, il n’a plus qu’à prendre les ordres à Mon/a et à rejoindre son poste, afin de préparer les logis. M. de Robilant est « surpris », « irrité »[7], mais trop militaire pour ne point le marquer, il est trop diplomate pour ne pas s’incliner à la fin. C’était tout le cas qu’on faisait de ses conseils, et pourtant il ne croyait pas avoir épargné les paroles sévères, celles qui, dites d’un certain ton, devraient être entendues des pires sourds eux-mêmes, des ministres et des peuples qui ne veulent pas entendre. Mais, puisque le roi, M. Depretis, M. Mancini et toute l’Italie le voulaient, il n’y avait qu’à courir l’aventure, à s’en tirer le moins mal, à en tirer le plus de bien possible. Car il va sans dire que ce voyage en grand appareil, avec président du conseil, ministre des Affaires étrangères, suite de cour et suite politique, ne peut pas être, ne doit pas être une de ces visites polies, mais indifférentes, que les souverains, quand ils sont de loisir, se rendent de temps en temps les uns aux autres. Le jour où le roi part pour Vienne, il y emmène avec lui l’Italie, qui, dès le départ, s’interroge : Que va-t-elle bien rapporter ?

Voilà M. Depretis et M. Mancini à Vienne. Les voilà revenus. Est-ce qu’ils ne rapporteraient rien ? La presse française l’insinue et elle a tort : elle taquine, elle exaspère la presse italienne, qui se retourne contre le cabinet. Eh bien ! les résultats du voyage à Vienne ? Rien ? On n’a donc rien su en faire sortir ? M. Depretis et M. Mancini ne remuent pas. Ou plutôt M. Depretis continue de sourire aux quatre points cardinaux. Alors commence ce qu’on pourrait appeler la « Passion » de Depretis et de Mancini, s’il n’était pas permis de supposer que les victimes sont, dans une certaine mesure, consentantes ; que ni Depretis ni Mancini ne sont, au fond, fâchés de paraître céder, en se défendant et en soutirant, à l’irrésistible pression de l’opinion publique. Des bancs extrêmes de la Chambre, on les harcèle ; leurs adversaires les tenaillent, leurs propres amis font rougir les fers. On peut presque dire qu’en cela opposition et majorité sont d’accord et que, s’il n’obéit pas tôt ou tard à l’opposition, le ministère perd sa majorité.

Nul cabinet dont M. Crispi ne fait point partie ne saurait ne pas écouter M. Crispi. Or, quel modèle propose-t-il à Mancini ? Ni plus ni moins que la République de Venise[8], laquelle n’a jamais passé pour être très respectueuse du droit. Mais le droit ? politique de sentiment, politique poétique, mauvaise politique. Il n’y a de vivant et de vrai que l’intérêt. Du coup, M. Crispi a atteint son but, s’il voulait surtout une chose : opposer à la politique de Mancini, unanimement jugée incertaine et oscillante, sa politique, à lui, décidée, arrêtée, tranchante ; à la politique du sentiment, « la politique des intérêts ». Il l’incarne, en lui, cette politique nouvelle, après laquelle soupire toute l’Italie blessée ; il s’offre à son pays en la lui offrant, et, comme il est de son caractère de tout outrer, il lui promet, aux applaudissemens de la Chambre, la République de Venise, qui ne se nourrissait pas de « principes », viande creuse, et avait mille et une manières de sauvegarder « les intérêts ». Crispi se lève et se dresse en face de Mancini. Le budget des Affaires étrangères passe difficilement par 147 voix sur 242 votans.

M. Depretis et M. Mancini ne sont pas au bout de leurs peines. Ils en conviennent bien : il faut faire des sacrifices. Fît-on montre de ce que l’on veut, ce ne serait pas assez : il faut prouver ce que l’on vaut[9]. Cette fois, on leur met l’épée dans les reins. Pas de paroles, des actes. Non è il dire che importa, ma il provvedere. Hésitent-ils encore, tâtonnent-ils encore, cherchent-ils encore à qui s’allier, M. Sidney Sonnino ou son journal le leur apprend en une phrase qu’on jurerait extraite des vrais classiques italiens, des politiques du Chiquecento : « Allez au plus fort, à celui qui doit réussir. Votre métier de ministres est de deviner quel est celui-là et de vous unir à lui par un traité. » M. Pantaleoni, plus âgé et disciple d’une autre école, y met plus de façons. Ce serait Alceste, s’il n’était philanthrope : « Je ne dis point cela, mais enfin, lui disais-je… » Avec l’autorité qu’il doit à une connaissance parfaite du personnel politique de l’Europe, connaissance acquise, sur place, par de nombreux voyages d’études, et à Rome, par une hospitalité aimable et largement ouverte, M. Pantaleoni passe successivement en revue les divers pays. Correctement, courtoisement, il reprend et il précise les griefs, fondés ou imaginaires, de l’Italie contre la France : « Je ne vous dis pas qu’il y ait en France des hommes politiques dignes de ce nom qui pensent véritablement à une restauration du pouvoir temporel, mais enfin je vous dis que j’ai trouvé, en France, l’opinion publique bien changée sur notre compte. » Et ailleurs, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, quelle était la situation morale du royaume ? M. Pantaleoni sincèrement et tout de même un peu volontairement pessimiste, montrait l’Autriche dédaigneuse[10], M. de Bismarck hautain et même menaçant, l’Angleterre convaincue « que l’Italie est ruinée et la traitant comme un millionnaire, comme un richard traite les faillis »[11]. L’isolement, et pourquoi ? « Parce que personne ne nous prend au sérieux. » Et pourquoi ne prend-on pas l’Italie au sérieux ? Parce qu’elle ne sait pas se résoudre, s’armer, se mettre en état de contracter l’alliance ou les alliances nécessaires. Parce que, au carrefour où elle est placée, elle ne sait pas trouver et choisir son chemin. La route qui va à Berlin ne passe pas par Paris. Or, il faut aller à Berlin, sous peine de perdre même Vienne où l’on est allé.

En route donc, pour Berlin, par Vienne ! Les démocrates seuls font entendre une timide protestation. Le sénateur Luigi Zini apostrophe un ministre, M. Zanardelli : « Souvenez-vous du bastion de Brescia ! — Je me souviens, répond M. Zanardelli, que, dans le cimetière de Brescia, sur la tombe d’un général autrichien, est gravé ce vers :


Oltre il rogo, non vive ira nemica

« Par-delà le tombeau ne vit plus l’inimitié[12] ! » Et dans cette tombe, il couche l’irrédentisme, en rendant hommage aux martyrs. Les morts sacrés, M. Depretis aussi leur rend hommage. C’est pour eux, pour que leur rêve soit accompli, que le roi, M. Mancini et lui-même sont allés à Vienne, il n’y a qu’un mois. Maintenant, que veut-on de plus et de quoi le presse-t-on ? Une politique ferme ; il en a une inébranlable ; aveugle qui ne la voit pas : c’est la paix avec dignité, pace sicura e dignitosa. On lui demande s’il a agi de son plein gré, s’il « est allé » à Vienne ou s’il « y a été conduit ». On se moque ! Il y est allé librement[13].


III

M. Depretis s’abusait. Il avait, bel et bien, été conduit à Vienne, poussé de Rome et tiré de Berlin. Qu’il se sentît libre vis-à-vis de ses compatriotes, qu’il n’eût fait ce qu’ils voulaient que parce qu’il l’avait bien voulu, c’était affaire à sa conscience et il était, à cet égard, mieux renseigné que personne. Mais, du dehors, on l’avait circonvenu par de savantes manœuvres, on l’avait enfermé dans une série de cercles concentriques, qui allait se rétrécissant, et d’où, quelque agile qu’il fût, il ne pouvait guère s’échapper. Le légendaire échiquier politique ressemblait, grâce à M. de Bismarck, à ce jeu d’enfans qui figure un labyrinthe de carton. Au centre est une petite niche, dans laquelle il faut faire venir et tenir les trois billes. Les deux premières s’y logent assez vile, la troisième est souvent de moins bonne composition, mais, avec un léger coup de pouce, on finit toujours par ramener. M. de Bismarck avait le jeu sur ses genoux ; l’Autriche était déjà entrée dans la petite niche du milieu ; il aurait gagné la partie quand l’Italie l’aurait rejointe : c’est dire combien s’appliquait ce grand joueur qui ne savait pas perdre.

Ses mouvemens étaient si réglés qu’il ne paraissait pas bouger. Que la bille s’écartât ou se rapprochât, il y semblait indifférent. Il laissait courir l’Italie dans les détours du labyrinthe, certain qu’il n’y avait d’issue pour elle que le trou où l’Allemagne gardait l’Autriche. Si, par hasard, elle s’éloignait trop, il redressait le jeu, d’une secousse. Car elle ne recevait de lui que des secousses ; ses caresses étaient pour d’autres. L’ambassadeur d’Italie près l’empereur s’en plaignait dans une de ses lettres, « l’altitude du cabinet de Berlin laisse beaucoup à désirer[14]. » M. de Bismarck visait à effrayer son monde. On disait tout près de lui qu’il se pourrait que la question romaine ne fût pas définitivement résolue et que peut-être, dans un avenir prochain, elle se poserait à nouveau. Lui-même, lassé de la bataille, comblait le Saint-Siège de prévenances : n’était-ce que pour les besoins de sa politique intérieure ? Au moyen de cet épouvantail, M. de Bismarck inquiétait le peuple ; il en avait un autre pour inquiéter le roi. Il donnait à entendre que, selon lui, le sort de la dynastie de Savoie n’était pas assuré. Entre le libéralisme dont étaient malades toutes les races latines et le radicalisme, le socialisme, l’anarchie, les fléaux politiques à marche foudroyante, il ne faisait pas de différence. Il feignait de reculer d’horreur, comme s’il eût vu la terre italienne minée et éventrée par la Révolution. Il la voyait venir, la République, il la voyait tomber du sommet des Alpes : elle fondait en avalanche sur l’Italie qu’elle emplissait de tumulte. Ainsi, le chancelier, qu’on nous pardonne ce tour un peu vulgaire, faisait d’une pierre deux coups… Il ameutait contre la France les nations, en l’accusant de vouloir troubler la paix pour de chimériques revanches, et les monarchies, en l’accusant de faire en tous lieux de la propagande républicaine.

Et, dès lors, la nation craignant qu’on ne lui arrachât sa capitale, la monarchie craignant qu’on ne déchaînât la révolution, il devait gagner sa partie et amener l’Italie où il lui plaisait. Elle y était « conduite », avec l’illusion d’y aller volontairement, par le plus impérieux des maîtres, par la peur. M. de Bismarck, s’il eût, comme d’autres, mis la politique en maximes, eût enseigné probablement que la peur vaut infiniment mieux que l’affection ou la sympathie, parce que l’affection que l’on témoigne aux autres leur profite, à eux, tandis que la peur qu’on leur inspire profite à soi-même. Il savait bien aussi que toutes les nations sont femmes et ne détestent pas d’être rudoyées. Il se gardait, vis-à-vis de l’Italie, de s’amollir en de vaines tendresses. Il faisait remettre au ton par ses journaux les journaux italiens trop dithyrambiques.

Quoi qu’on en voulût dire à Rome, il n’y avait rien de fait ; point d’alliance conclue ; la France avait bien raison de ne pas se préoccuper de tous ces bavardages[15]. Le voyage du roi Humbert, à Vienne ? Simple visite de souverain à souverain. Les bonnes paroles échangées, les toasts à la fin des dîners de gala ? Autant en emporte le vent. Tous les voyages royaux, à Vienne n’empêcheraient pas l’Italie de « conformer sa politique aux exigences de sa sécurité et à ses intérêts économiques ».

De quel côté étaient ces intérêts ? Évidemment du côté de la France. L’Italie, par suite, irait de ce côté. Nul n’avait le droit de lui en vouloir. — La seule chose qui donnai à penser à M. de Bismarck, et encore moins pour lui que pour le roi Humbert, c’est que la France était républicaine et que la révolution, dont Paris est le foyer permanent, franchirait aisément les monts. La seule chose, non. Il n’était pas jusqu’au portefeuille de M. Mancini pour lequel le chancelier ne tremblât. La politique de Depretis, favorable à la France, d’après M. de Bismarck, ne tarderait pas à remporter et alors, il en prévenait Mancini, « toute trace de dualisme disparaîtrait du cabinet ». Autrement dit, Mancini en serait expulsé. De dualisme, il n’y en avait peut-être pas trace auparavant dans le ministère, mais M. de Bismarck l’y créait à son avantage. Depretis marcherait désormais, de crainte d’être supplanté par Mancini, et Mancini, de peur d’être congédié par Depretis.

En même temps, M. de Bismarck affectait une vive sollicitude pour le pape. Il se rappelait, fort à point, qu’il y avait de par le monde un vieillard sans armée, dépouillé de ses États, qui avait été le prince des princes, et il faisait exprimer par M. de Treitschke[16] ses doutes sur la mission historique de la nouvelle Rome. Contrairement à la parole de Victor-Emmanuel : « Rome est assez grande pour deux monarques » ; il pensait que la Rome actuelle n’était plus assez grande pour deux souverainetés, que la souveraineté spirituelle n’était pas, dans Rome italienne, suffisamment indépendante, véritablement souveraine, et il en était tout soucieux, lui qui jamais n’avait osé heurter du fer de sa souveraineté temporelle l’argile de la souveraineté spirituelle et qui se frapperait éternellement la poitrine pour son seul gros péché, le Kulturkampf. Il faisait amende honorable au pied de la chaire de Saint-Pierre, et il reprenait devant l’Europe le rôle, où elle était accoutumée à le voir, de protecteur des faibles.

C’était lui, c’était l’Allemagne, l’Empire auquel il ne manquait que le Saint-Siège pour être redevenu le Saint-Empire romain des nations germaniques, qui donneraient asile au pape banni et persécuté. Et lorsque Léon XIII serait venu, lorsqu’il aurait transporté en Allemagne le pouvoir et les pompes de l’Église, Rome ne serait plus dans Rome : elle serait toute où ils seraient, le Pape et lui, M. de Bismarck[17]… Peut-être Léon XIII n’accepterait-il pas et préférerait-il la réclusion dans le Vatican à l’exil dans une riche abbaye allemande, mais on pouvait toujours risquer une proposition. Ou bien le gouvernement italien ne le saurait pas, et l’on se serait gratuitement acquis un titre à la reconnaissance du Saint-Siège : le bénéfice était certain ; ou bien le gouvernement italien le saurait (il y avait, en effet, des chances pour qu’il connût cette démarche), et ce serait encore un moyen d’agir sur lui, de le tenir : le bénéfice était probable. M. de Bismarck expédia à Home son secrétaire, le docteur Busch, chargé d’offrir au cardinal Jacobini, pour le Saint-Siège, une retraite sûre, environnée d’honneurs et de respects, à Fulda[18]. Le cardinal répondit, au nom du Souverain-Pontife, que ce n’était pas Fulda qu’il lui fallait, que c’était Borne, et cette réponse, qui était la plus naturelle, était aussi, d’une part, la plus embarrassante et, de l’autre, la plus favorable qu’on pût faire à M. de Bismarck.

Du point de vue italien, la position était celle-ci : M. de Bismarck reconnaissait que la papauté n’était pas suffisamment indépendante à Rome et il se déclarait prêt à lui procurer cette indépendance ; le pape répondait que c’était à Rome seulement qu’il pouvait, en reconquérant son indépendance, exercer sa souveraineté. Ce fut, est-il besoin de le dire ? un beau tapage dans la presse, qui ne laissait pas à Depretis une minute de répit : M. de Bismarck veut « nous jeter le Pape dans les jambes » ; tout de suite parons le choc, jetons-nous dans ses bras ! La solution se fera ou avec l’Italie ou contre l’Italie. Il faut pourtant bien en finir avec le désir féminin de plaire à tous. M. Depretis est là en suspens, entre le oui et le non : Pende tra il si e il no, si tiene in bilico. Qu’attend le président du conseil ? S’il croit que la paix puisse être maintenue, que perd-on à contracter une alliance ? S’il croit qu’elle ne puisse pas l’être, que peut-on perdre à s’allier au plus fort ? Ce que l’on peut perdre, M. Depretis et M. Mancini en ont le sentiment : « Modeste et tranquille, dit le Popolo romano (c’est M. Depretis qui le dit officieusement), l’Italie n’a point renoncé et n’est point disposée à renoncer à sa dignité. Nous désirons l’amitié de toutes les puissances, en particulier des États voisins, mais nous ne plierons jamais le genou devant personne et nous ne ferons jamais une politique qui ne soit pas une politique italienne, politique de paix avec dignité. » M. Mancini écrit dans le même sens et presque dans les mêmes termes au comte de Launay. Le roi, enfin, aux réceptions du 1er janvier, le confirme de sa bouche à la délégation de la Chambre : « Ce qu’il importe de montrer, c’est que nous sommes et voulons rester les maîtres dans notre maison[19]. »

L’Italie, après tout, n’est pas une quantité négligeable. C’est une nation de trente millions d’âmes. — Oui, riposte, dans un journal italien, un diplomate dont on ne nous dit pas le nom, mais qui ne doit pas être italien ; oui, une nation de vingt-huit ou trente millions d’âmes ; mais qu’est-ce que cela « sans forte organisation, ni action, ni résistance » ? Cavalièrement, ce diplomate au langage peu diplomatique prévenait l’Italie qu’elle serait mise au-dessous de l’Espagne et de la Turquie ; qu’il n’y avait pour elle de salut qu’en M. de Bismarck, et que, si elle s’esquivait, si elle voulait glisser, si elle tergiversait, tant pis pour elle ! elle boirait le calice jusqu’à la lie. Elle recommencerait la dure épreuve de Tunis et pas un doigt ne se lèverait, en Europe, pour l’aider. Elle serait le jouet des uns et la risée des autres, elle expierait cruellement l’irrésolution de Depretis. Ce ne serait pas même pour elle une décadence, puisqu’elle n’aurait pas vécu, n’ayant pas su se faire admettre dans le concert européen. Et le diplomate décochait ce dernier trait, imprégné d’un poison mortel et qui devait enfiévrer le sang italien : « L’ambassadeur d’Italie à Berlin, homme personnellement digne des plus hautes et délicates fonctions, subit l’humiliation de ne pouvoir obtenir une audience de M. de Bismarck[20]. »

C’êtait vrai : le chancelier ne recevait plus l’ambassadeur. Il avait paru très froissé de la publication de la dépêche de M. Mancini, dépêche qui, suivant M. Chiala, était d’une vivacité inusitée — insolitamente fiera[21]. S’il avait, eu la main trop lourde ! Mais non ; plus il frappait, plus on sentait et sa puissance et l’impuissance de lutter et le prix d’une amitié aussi énergique, d’où il pouvait sortir, si on l’obtenait, tant d’heureux effets ; si on la repoussait, tant de désastres. « A combien de millimètres, demandait ironiquement le Diritto, s’élève la cervelle de ceux qui ne voient pas et qui n’entendent pas, qui veulent tenir tête au prince Bismarck[22] ? » M. de Launay lui-même, qui était à la pire place, partageait cette opinion : il se contentait de l’habiller en style de chancellerie. Le jour où M. de Bismarck voudrait chercher querelle à l’Italie, il en aurait le moyen tout trouvé : ressusciter la question romaine ; le jour où il voudrait la ressusciter, il en aurait mille prétextes. Le danger viendrait-il d’ailleurs ? l’Allemagne était la force qui le conjurerait ; pouvait-il venir de M. de Bismarck ? pas de meilleure raison pour conquérir ses bonnes grâces. L’Allemagne étant à la fois la force et le danger, il n’y avait que ce parti à prendre et il fallait se hâter de le prendre : pour immobiliser, pour neutraliser M. de Bismarck, il fallait à tout prix conclure l’alliance avec les puissances centrales[23].

Quant au chancelier de l’Empire, sûr désormais que la Triple-Alliance était faite, et voulant seulement tirer de l’Italie le plus qu’il pourrait, il la laissait s’endetter et s’armer, s’offrir, surenchérir ; il continuait à éviter l’ambassadeur du roi, le comte de Launay ; l’œil à demi clos, il surveillait de loin Depretis et Mancini ; il tenait le bout du fil qui se déroulait à Vienne et bien d’autres fils encore dans la presse italienne et la presse allemande ; de mauvaise humeur lorsqu’on le réveillait et fronçant le sourcil, répandant et entretenant soigneusement une de ces terreurs vagues qu’un rien suffit à changer en paniques, puis se rendormant ou faisant mine de dormir, comme étranger aux bruits de la terre, comme s’il n’y avait ni Allemagne, ni Autriche, ni Italie, ni France.


IV

A Vienne, on se met au pas et à l’heure de Berlin. Comme à Berlin, on veut ne pas pouvoir douter que l’Italie suivra, sans broncher, la politique nouvelle où elle s’engage. Comme à Berlin, on tient à être fixé sur ce qu’elle veut et sur ce qu’elle vaut. Si l’Italie, en recherchant l’alliance, fait de la politique italienne — à la manière de M. Crispi, — elle croit servir ses intérêts ; mais l’Allemagne et l’Autriche font aussi, l’une une politique allemande, l’autre une politique autrichienne. L’essentiel pour elles n’est pas que l’Italie entre, telle quelle, dans la combinaison, mais qu’elle y entre, en situation, avec un apport convenable. L’esprit italien a trop de finesse et, même dans la passion, conserve trop de clairvoyance, il est de sa nature trop déliant et trop porté à éventer partout des conspirations, pour ne pas avoir soupçonné que M. de Bismarck entendait bien faire passer, dans le partage éventuel des profits, l’Allemagne avant l’Italie. Mais il n’en était pas scandalisé. C’est chose logique, c’est œuvre méritoire de faire ses affaires en faisant celles des autres, et pourvu que M. de Bismarck consentît à travailler pour l’Italie, on trouvait juste que « l’honnête courtier » prélevât sa commission. Ce que Vienne se proposait d’abord, c’était de compromettre le gouvernement italien vis-à-vis des irrédentistes ; c’était de le placer entre l’irrédentisme et l’Autriche, de faire de l’irrédentisme une question intérieure italienne[24]. On ne le pouvait que par l’amitié des deux pays, et l’amitié n’avait de forme consacrée et officielle que l’alliance. Mais, comme on était moins pressé d’être tranquille sur Trieste et le Trentin que l’Italie d’être tranquille sur Rome capitale, l’Autriche était moins pressée que l’Italie ; c’était l’Italie qui marchait, l’Autriche la regardait venir. Le comte Kalnoky remplaçait M. de Haymerlé. Encore qu’un de ses premiers actes eût été de rendre visite à M. de Bismarck et que le chancelier de l’empire allemand lui eût peut-être dit de l’alliance italienne plus de bien qu’il n’en disait à l’Italie elle-même, M. de Kalnoky n’était pas, on le savait à la Consulta, un de ces fervens adorateurs qui ne songent qu’à abréger le temps des fiançailles et s’enfuient lorsque les familles commencent à parler du contrat.

Sur l’ordre de M. Mancini qui maintenant rongeait le frein, piqué de tous les éperons, par M. de Bismarck, par la Chambre, par la presse, talonné par les événemens ou les prévisions d’événemens (Gambetta avait pris, en France, la présidence du Conseil), délivré de son dernier scrupule et de sa dernière illusion (la France allait organiser à demeure le protectorat en Tunisie), sur des instructions formelles de son ministre, le comte de Robilant avait tâté le terrain ; mais il l’avait trouvé mouvant et ne s’était pas aventuré. Lui-même était un peu rétif. Manci ni le pique à son tour. M. de Rohilant discute : Ce n’est pas le moment propice. La différence absolue, radicale, de la politique autrichienne et de la politique italienne exclut, selon lui, toute idée d’accord intime. Il faut s’armer et ne pas prétendre à « certaines camaraderies qui, de quelque temps encore, seraient repoussées, au détriment de la dignité italienne ». Le mieux est de persévérer, en l’accentuant un peu, dans la ligne suivie jusqu’ici : La paix avec tous, les sympathies pour l’Autriche et l’Allemagne. Pas de précipitation, patience ! En cas de danger sérieux, ce serait l’Allemagne et l’Autriche qui, « malgré tout, » rechercheraient l’amitié de l’Italie. M. de Robilant sous-entendait qu’on y gagnerait alors et qu’au lieu de subir les conditions, on les ferait[25].

C’était le bon sens et la vérité mêmes, et cependant l’Italie, excitée, affolée par un fracas — imaginaire, mais peu importe — de sabres et de baïonnettes, courait, traînant son gouvernement après elle. M. de Robilant, à Vienne, croisait les bras pour l’arrêter. Il voulait, au moins, attendre et saisir une occasion, Depuis la fin de décembre, il avait recules instructions de M. Mancini, l’ordre de faire des ouvertures à l’An friche. Un coup de sonde, où il avait tout de suite touché le fond, l’avait décidé à remettre à plus tard ; il endormait, dans ses dépêches, la fougue de M. Mancini. L’occasion attendue se présenterait.

Peu à peu, le terrain se raffermissait pour l’Italie. L’Autriche était embarrassée en Bosnie, dans l’Herzégovine ; inquiète même, à cause de l’agitation panslaviste. L’alliance italienne acquérait pour elle de jour en jour plus de prix. Là encore, M. de Robilant ne se trompait pas. Pendant, deux grands mois, il se tut, quoi que M. Mancini pût dire. Enfin, le 19 février[26], comme il était allé voir le comte Kalnoky, le ministre autrichien lui demanda à brûle-pourpoint : « N’avez-vous pas à me faire, de la part de M. Mancini, une communication politique importante ? » — M. de Robilant ne se déconcerta point : « Je venais justement pour cela, » répondit-il.

La conversation était engagée. Etant donnés les mobiles auxquels on obéissait de part et d’autre, aucun arrangement n’était possible sans une clause qui stipulât la garantie réciproque des territoires. Traduite en termes géographiques, cette phrase signifie qu’il n’y avait pas de traité possible entre l’Autriche et l’Italie, si l’Autriche ne garantissait pas à l’Italie la possession de Rome, si l’Italie ne garantissait pas à l’Autriche la possession du Trentin et de Trieste. Or, il était délicat pour l’Autriche, puissance catholique, de garantir à l’Italie Rome revendiquée par le pape, et pour tout gouvernement italien de garantir à l’Autriche Trente et Trieste, considérées par la moitié de l’Italie comme provinces italiennes séparées ou non encore réunies.

Il importait beaucoup au comte Kalnoky, en raison des incidens récens de Bosnie et d’Herzégovine, d’avoir l’appui de l’Italie sur le Danube et dans les Balkans, et cet appui. M. Mancini ne le lui refusait pas ; mais il voulait, c’était son droit et son devoir, se le faire payer par l’appui de l’Autriche à Tunis, sinon pour effacer ce qui était fait, au moins pour empêcher ce qui pouvait se faire. Il avait, là-dessus, une vue très fine et très juste, du moment que l’on acceptait le point de départ. Le point de départ était que la France voulait la revanche. Plus la France verrait s’éloigner la revanche, — et l’alliance des puissances centrales l’éloignerait singulièrement, — plus résolument, plus furieusement elle se rejetterait vers l’Afrique. M. Mancini, en défendant la Tunisie, ne la défendait pas pour elle-même ; il défendait surtout l’équilibre méditerranéen qui serait détruit au préjudice et au constant péril de l’Italie, si la France fondait, trop près de l’Italie, un trop vaste empire africain.

Ici, le comte Kalnoky rompait d’une semelle. C’était mettre en cause, et directement, agressivement, la France, qui ne devait pas y être mise. Il s’agissait des affaires de l’Europe et du maintien de la paix par une garantie réciproque des territoires actuellement possédés, non pas de l’Italie et de Tunis. C’étaient là les seules bases possibles du seul traité qui pût intervenir. Autrement, il fallait s’en tenir à « l’accord intime », à la promesse d’une neutralité bienveillante. Au fait, l’Autriche n’en demandait pas plus : pourtant, que M. Mancini eût la bonté de mieux préciser ses idées. Mais M. Mancini était tombé malade, et M. Depretis avec lui, de sorte que, durant quelques semaines, les négociations furent suspendues.

Le président du Conseil italien dut supporter d’autant plus stoïquement ses souffrances, qu’elles lui fournissaient encore un moyen désagréable, mais enfin un moyen, de gagner du temps. Il n’était pas converti à la politique nouvelle aussi complètement que M. Mancini et ne connaissait pas ces ardeurs de néophyte. Jugeant les choses objectivement, il convenait en lui-même que Rome était pour l’Italie un morceau bien plus important que Trente et Trieste pour l’Autriche ; il comprenait les hésitations de M. de Kalnoky, premier ministre de Sa Majesté Apostolique. Si l’on attendait qu’il vint de Berlin à Vienne un mot qui levât ces hésitations ? Et il attendait, il priait Mancini d’attendre.

Mais M. de Bismarck affectait plus que jamais l’indifférence. Ce qui se passait entre Vienne et Home ne le regardait pas. Il en était plutôt content, mais pour l’Italie et l’Autriche. « Il émet l’avis que le moment n’est pas encore venu de stipuler une alliance proprement dite, du moins entre l’Allemagne et l’Italie, mais il verra de très bon œil tout ce qui serait concerté entre l’Italie, et l’Autriche-Hongrie[27]. »

Seulement, en attendant trop, tout pourrait se gâter. L’indiscrétion d’un journal annonçant, pour être le premier informé, que l’alliance était sur le point d’être conclue, une scène de désordre, comme celles dont rut accompagné le transfert des restes de Pie IX, l’inopportune curiosité d’un Italien susceptible, voulant à toute force savoir quand serait rendue la visite du roi Humbert à l’empereur d’Autriche et si c’était à Rome qu’elle serait rendue, le moindre fait, et il pouvait s’en produire d’assez graves, compromettrait la future alliance. Mancini lui-même la compromettrait en insistant sur Tunis et l’équilibre de la Méditerranée, parce que la France venait de régler le fonctionnement de son protectorat en Tunisie. Ceux qui, en Italie, étaient partisans de l’alliance quand même, — et c’était toute l’Italie, — voyaient l’écueil et sommaient Mancini de le tourner ou de le franchir. A quoi bon s’obstiner, puisqu’il n’y avait plus rien à faire ? Le passé était le passé. C’est du présent et de l’avenir qu’il avait charge. « L’Italie ne doit pas subordonner son action en Europe à des difficultés transitoires et, au résumé, secondaires[28]. »

Les pourparlers sont repris, plume en main : chacun propose sa rédaction, veut faire prévaloir son texte. Ce ne sont que projets et-contre-projets. De la fin de décembre 1881 au commencement de mai 1882, on en élabore trois ou quatre. M. Mancini communique le sien. Nous avons dit en quoi il consistait ; il était trop exclusivement italien pour avoir chance d’aboutir. Soumis par M. de Robilant au comte Kalnoky et par le comte Kalnoky au prince de Bismarck, il est également repoussé de Vienne et de Berlin. M. de Kalnoky lui substitue, le 12 avril, un contre-projet de sa façon, approuvé par le chancelier allemand. Le comte Kalnoky indique comme but de l’alliance le maintien de la paix, comme base la garantie réciproque des territoires.

Pour recevoir cette garantie, il consentait à la donner, comptant d’ailleurs que le secret serait religieusement gardé sur la teneur de la convention, qu’il n’y aurait jamais à la rendre effective et que tout se passerait en écritures. Le projet autrichien ajoute que les puissances contractantes s’engagent, — ceci pour l’Italie, — à suivre, à l’intérieur, une politique conservatrice, « afin de renforcer le principe monarchique et d’assurer de cette manière la stabilité de l’ordre social ».

Rédaction trop générale, trop peu italienne, dans sa première partie, et, dans la seconde, trop peu parlementaire pour satisfaire M. Mancini. Il fait observer qu’en Italie on ne peut pas « aller de l’avant », comme en Allemagne et en Autriche, que les Chambres exercent un contrôle et même impriment une direction, qu’il est bien entendu que l’Italie suivra une politique conservatrice : c’est si bien entendu qu’il est inutile et qu’il serait imprudent de l’écrire dans un acte aussi solennel qu’un traité. Il faut éviter de froisser et le pays qui, par un légitime sentiment de son indépendance, veut « demeurer maître de lui-même », et certains groupes du Parlement qui, comprenant tout de travers l’épithète conservatrice, « une politique conservatrice », voudraient absolument y voir autre chose qu’une « politique monarchique ».

Et puis, « la garantie réciproque des territoires », c’était parfait, mais le contre-projet de M. de Kalnoky ne disait rien des grands intérêts nationaux, et pourtant il en existe, en dehors de « la garantie des territoires ». Qu’on ne parlât point expressément de Tunis, soit encore. Mais des « intérêts primordiaux communs », dei alti interessi communi, comment n’en pas parler sans qu’il y eût dans le traité une lacune grave ? Sur le premier point, la politique conservatrice, le comte Kalnoky et M. de Bismarck, qui est toujours derrière lui, passent condamnation : il leur suffit que l’accord soit établi une fois pour toutes et ils ne tiennent pas à en faire la matière d’un protocole. Mais sur la réclamation de M. Mancini, sur l’introduction dans le texte, après la garantie réciproque des territoires, de « la défense des grands intérêts communs », ils sont intraitables, car ils n’ont pas de peine à deviner quel est, pour le gouvernement italien, le plus grand de ces grands intérêts « communs » : c’est l’équilibre de la Méditerranée. Et sans doute, c’est là un intérêt commun, mais il y a trop de cas particuliers, et de trop récens, qui pourraient le faire invoquer, au bénéfice particulier d’une seule des puissances alliées. Admettre la clause des « intérêts communs », c’était réintroduire dans le traité, sous une forme déguisée, mais pire, parce qu’elle était vague, la question tunisienne qu’on entendait exclure.

M. Mancini était battu et mécontent : il confessait que, parmi les intérêts communs, à l’un des premiers rangs, entrait l’équilibre de la Méditerranée et il ne niait pas que ce fût un intérêt italien, bien plus qu’autrichien ou allemand. Mais précisément : si le traité ne souillait mot de l’équilibre de la Méditerranée, au moins implicitement, que venait faire l’Italie dans le traité ? Elle donnait et ne recevait pas. L’argument était fort, mais il ne porta point. De tous les genres d’amitiés, il n’en est pas de plus égoïste que l’amitié entre nations. M. Mancini dut se contenter, sur ce point qui le touchait tant, de « l’intelligence amicale », une belle promesse, qui ne commence et ne finit nulle part, si large qu’on s’y meut à l’aise, et qui, à volonté, peut tout contenir, ou rien. Mais que faire ? L’opinion publique criait : « Finissez-en ! Signez ! » de Berlin, le comte de ; Launay écrivait : « Ce n’est pas l’idéal, mais il serait plus dangereux, à présent, d’éviter l’alliance que de la conclure. » Et M. de Robilant écrivait de Vienne : « C’est à prendre ou à laisser. » M. Mancini prit tout de même. Il ferma sans joie ces négociations qu’il avait ouvertes sans enthousiasme et dans l’entier succès desquelles il n’avait eu que peu de jours une foi sans défaillances. Le comte de Robilant signa pour lui, le 20 mai[29]. Dès le 15, le traité pouvait être regardé comme conclu. Ce matin-là, le Journal officiel de la République française et la Gazette officielle du royaume d’Italie publiaient les lois et décrets qui rendaient exécutoire le traité de commerce entre les deux pays, fait à Paris, le 3 novembre 1881[30]. — M. Depretis avait eu le temps, en se pressant un peu, de tirer un de ses rideaux.


V

Ni M. Mancini, ni de M. de Launay, ni M. de Robilant n’étaient ravis du résultat. Tout le monde, en Italie, tenait pour un pis aller le traité austro-italo-allemand. M. Depretis y trouvait plus d’inconvéniens que d’avantages. Le grand avantage de l’alliance, à son avis, c’était « la certitude de jouir des bienfaits de la paix ». Les inconvéniens, il y en avait deux principaux. Bon gré, mal gré, l’alliance exercerait une influence sur la politique intérieure de l’Italie, qui lui devrait un caractère « jusqu’à l’excès conservateur ». Une fois connue, elle aurait pour effet de brouiller irrémédiablement l’Italie et la France. Pacifique, sans doute, mais pacifique avec des airs d’hostilité.

Le but déclaré de la Triple-Alliance était la paix. A merveille, mais sur quelle base ? Sur la base de la garantie par les trois États alliés de l’intégrité du territoire actuel de chaque État, avec ses dernières conquêtes ou acquisitions, c’est-à-dire de l’Allemagne avec l’Alsace-Lorraine, de l’Autriche avec la Bosnie et l’Herzégovine, et de l’Italie — avec quoi ? Sans Trente ni Trieste. Avec Rome ? Mais d’abord, à l’impossible nul n’est tenu, même par traité, et pour Sa Majesté Apostolique, pour ses ministres, c’est l’impossible que de garantir à l’Italie, autrement que sur le papier, la possession de Rome, enlevée au pape. On n’imagine pas l’empereur d’Autriche faisant la guerre pour que cette Borne, prise d’hier au Saint-Siège, reste à la dynastie de Savoie. En termes généraux et sur le papier, « la garantie réciproque des territoires », cela va bien ; mais si l’on vient à l’application, que de peines ! De tous les territoires « réciproquement garantis », il n’en est pas de plus difficile à garantir, en fait, que cet ancien coin de terre pontificale. Et de même, si imprévus que soient les aboutissemens de l’histoire et si absurdes souvent les choses humaines, on n’imagine pas non plus l’Autriche faisant la guerre pour que l’Italie, dont l’unité s’est constituée à ses dépens et ne peut s’achever, — à supposer qu’elle ; ait à s’achever, — qu’à ses dépens encore ; on ne voit pas l’Autriche faisant la guerre pour que l’Italie reste ou devienne une des Alpes à l’Adriatique, et au delà.

Dans le traité, il n’est question que de la garantie des territoires, et, pour l’Italie, le territoire à garantir, c’est Borne. Mais, à Borne, quelqu’un la menace donc ? Il nous semble aujourd’hui superflu de démontrer que ce n’est sûrement pas la France[31]. Si quelqu’un remet en cause la tranquille possession de Rome, c’est l’Allemagne elle-même, c’est M. de Bismarck ; en sorte que, comme on l’a déjà remarqué, c’est contre l’Allemagne et par peur de M. de Bismarck que l’Italie entre dans la Triple-Alliance. Cependant, tout ce qu’on peut obtenir de M. de Bismarck et de M. de Kalnoky, tout ce qu’on peut espérer d’eux, c’est qu’ils n’entreprennent point d’ôter à l’Italie sa capitale pour la rendre à la Papauté ; la garantie ; qu’ils donnent est purement négative, et, dès lors, l’alliance est d’une utilité médiocre. Y eût-il plus et M. de Bismarck fût-il prêta faire, par les armes prussiennes, la Borne italienne intangible, il faudrait encore, pour qu’il vînt la défendre, qu’elle fût attaquée, et personne ne songe à l’attaquer, la France moins que personne : dès lors, pour l’Italie, en ce qui concerne Rome et vis-à-vis de la France, l’alliance est sans objet. On pourrait presque soutenir, en ce qui concerne Home, que l’Italie avait plus de raisons de s’allier à la France républicaine qu’à l’Allemagne de M. de Bismarck, mais les Italiens crieraient au paradoxe. Contentons-nous de dire, ce qui est vrai, qu’ils n’avaient pas, de ce chef, plus de raisons de s’allier à l’Allemagne que de s’allier à la France, pas même la peur, justifiée ou non, qui est une raison aussi, puisque, dans la question romaine, ils ne savaient laquelle craindre le plus, de la France ou de l’Allemagne.

Oui, mais il y avait Tunis, et l’équilibre de la Méditerranée. On a vu que, sur ce point, le traité ne donnait à l’Italie aucune satisfaction, que, pour la protection des « intérêts primordiaux communs », il ne lui donnait qu’une satisfaction platonique : une promesse d’ « intelligence amicale « Dès lors, sur ce point comme sur l’autre, l’alliance, pour l’Italie, est à peu près sans profit, hormis le divin plaisir de la vengeance. Il y avait, enfin, le désir immodéré de la revanche qui, tous les journaux l’assuraient, travaillait à ce degré la France, qu’il la pousserait aux pires coups de tête et préparait à l’Europe des catastrophes. Mais cette revanche, ce n’était pas sur l’Italie que la France avait à la prendre. L’Italie ne pouvait y être intéressée que pour la part et dans la mesure où la paix générale du monde l’intéressait.

Si elle voulait sincèrement la paix, si nul intérêt, à ses yeux, n’était primordial, à côté de celui-là, était-ce bien le moyen de l’assurer que de s’unir à l’un des belligérans désignés ? La ligue générale pour la paix générale, n’était-ce pas, au contraire, un moyen infaillible de faire naître une autre ligue et de changer en guerre générale ce qui ne devait être, en cas de conflit, qu’un duel entre l’Allemagne et la France ? Et si le conflit ne se produisait pas, si la France, forte de son droit, attendait sagement son heure, — à quoi servait la Triple-Alliance, conclue pour maintenir une paix que personne n’avait l’intention de troubler ? De quoi pouvait-elle bien, en particulier, servir à l’Italie ? Quelle utilité en retirait-elle ? On lui avait demandé, avant de l’accepter on tiers dans l’alliance, d’établir ce qu’elle valait, mais que valait l’alliance, pour elle ?

À cette question posée par d’autres ou qu’il se posait à lui-même, le comte de Launay faisait la réponse que se font toujours les hommes politiques, quand ils ont besoin de se leurrer pour se consoler : « L’alliance vaudra pour nous ce que nous saurons la faire valoir. » Quelques-uns étaient plus hardis : « L’Italie, disaient-ils, a tout à gagner, rien à perdre. » Mais comment pouvait-elle gagner quoi que ce fût, de tout ce qu’elle convoitait ? D’une seule manière, par la guerre. Vraiment, sincèrement pacifique, l’alliance était au profit exclusif de l’Allemagne, à laquelle elle garantissait sa conquête, l’Alsace-Lorraine et, si l’on veut, de l’Autriche, à laquelle elle garantissait ses acquisitions, la Bosnie et l’Herzégovine.

Pour qu’elle profitât à l’Italie, il fallait qu’elle se transformât, qu’elle se retournât contre son objet déclaré, la paix de l’Europe. L’Italie n’avait qu’un moyen de tirer un peu à elle la Triple-Alliance, c’était de la rendre offensive, de défensive qu’elle était. M. Crispi l’avait très bien compris lors de son premier ministère, et peut-être mettait-il plus qu’on ne croit de réflexion dans ses à-coups et d’esprit de suite dans ses écarts diplomatiques. Au point de vue italien qui, heureusement pour la paix, n’était pas celui de M. de Bismarck, il faisait le meilleur calcul possible, — sauf erreur au moment du règlement de comptes. Et, puisque jadis il offrait pour modèle à M. Mancini la République de Venise, une courte citation de Machiavel, où il s’agit des Vénitiens, ne sera pas déplacée ici. Les Florentins avaient fait contre Mastino della Scala une alliance avec Venise et déjà, en pensée, ils se partageaient les dépouilles du vaincu : « Néanmoins, écrit Machiavel, il n’en résulta pour eux d’autre avantage qu’un peu de satisfaction de cœur, d’avoir battu Mastino, parce que les Vénitiens, comme font tous ceux qui s’allient avec de moins puissans, après qu’ils eurent pris Trévise et Vicence, traitèrent, sans avoir égard aux Florentins[32]. » Voilà un trait de la République de Venise que M. Crispi, à la suite d’une guerre, même victorieuse, eût peut-être pu, en l’appliquant à d’autres, recommander aux méditations de ses collègues ou de ses successeurs.

Depuis lors, depuis sa première chute et sa seconde élévation, dans les diverses occasions où M. Crispi a pris publiquement la parole[33], il n’a cessé de dire que, lui aussi, il veut la paix et que non seulement il la veut, mais qu’il « en est l’apôtre ». Notre raisonnement n’en est que plus fort. Tous les hommes d’Etat, d’où qu’ils soient, et tous les peuples, quels qu’ils soient, veulent la paix : donc la Triple-Alliance ne sert absolument à rien.

Passe enfin ! pour ne pas aigrir un débat qui n’est déjà que trop aigre, concédons-le : l’Italie, en entrant dans la Triple-Alliance, n’avait en vue que la paix du monde. Le seul avantage qu’elle voulût retirer de son adhésion était le seul que Depretis voyait dans le traité : la certitude de la paix. Ainsi, au regard de l’Italie, depuis plus de douze ans qu’elle dure, la Triple-Alliance, pacifique, aurait rempli tout son objet. Mais quelle paix nous a-t-elle donnée et à quel prix ? quelle est la contribution de l’Italie aux sacrifices dont l’Europe l’a payée ? Est-ce, en vérité, cette paix-là, cette paix entrecoupée d’angoisses et achetée par la ruine générale, dont l’Italie avait besoin et que l’Europe souhaitait ?

Est-ce la paix féconde, maternelle aux jeunes nations, que l’Italie s’était promise ? Ne remontons pas jusqu’aux temps des fiançailles, jusqu’aux jours de ferveur, où l’on faisait joyeusement sonner toutes les rimes, qui sont italiennes comme elles sont françaises, qui sont latines : gloire et victoire, prouesse, liesse, richesse et largesse ; où l’on disait : « La Triple-Alliance nous donnera la paix, qui permettra d’améliorer l’administration, l’organisation intérieure, l’armée, la marine, de développer les ressources économiques, notamment l’agriculture, dans laquelle, malgré le beau ciel d’Italie, il y a beaucoup à faire[34]. » Rappelons seulement les jours d’espérance plus calme et d’affection plus rassise, après la conclusion de l’alliance. (Comme dit une vieille chanson française, grande est la différence entre le mariage et l’amour ! ) La paix que l’on a constituée en dot à l’Italie, au lendemain de la signature, est-ce la paix nourricière qui fait vivre ? Il serait cruel et, du reste, il est devenu banal d’insister. « Que Dieu bénisse cette œuvre de paix ! » s’écriait le prince Henri VII de Reuss, en apposant, au nom de l’Allemagne, son paraphe sur le traité. Et que les peuples lui rendent grâce pour les centaines de millions dont elle grossit inutilement leur budget !

« Si les Français voulaient être raisonnables », — mais M. Chiala craint qu’ils ne sachent pas l’être, au moins la plupart d’entre eux[35], — ils reconnaîtraient que l’Italie, en s’alliant à l’Allemagne, ne désirait nullement s’aliéner la France ». Elle retenait cette partie de la formule de M. Depretis : « Bons rapports avec tout le monde » ; sans doute elle renversait l’ordre et de la proposition principale elle faisait une incidente, mais dans les « bons rapports » elle comprenait « l’épée de l’Allemagne et l’or de la France ». Elle ne voyait pas pourquoi ceci devrait exclure cela. De son côté, la France — qui ne veut pas être raisonnable — s’obstine à ne pas voir comment ceci eût pu accompagner cela. Les points de vue sont différens, car les cerveaux sont dissemblables. L’Italien n’a pas de cloisons dans l’esprit, le Français classe tout (c’est à certains égards une infériorité) en catégories qui jamais ne se mêlent. Pour le Français, on ne peut être que contre lui ou avec lui, mais non pas tout ensemble avec et contre lui ou, ce qui revient au même, avec ses ennemis et avec lui. Qu’il soit possible de nourrir, d’entretenir sans préférence cette bienveillance double, non, la plupart des Français ne le comprennent pas, et M. Chiala ne le leur fera pas comprendre.

En revanche, il n’est pas défendu d’espérer qu’ils comprennent ce sur quoi M. Chiala appuie, à différentes pages de son livre, prenant texte du mot de Napoléon Ier que « la répétition est la plus nécessaire des figures de rhétorique ». M. Chiala n’aura point de repos que nous n’en soyons convaincus : la Triple-Alliance n’est pas, pour ce qui regarde l’Italie, l’œuvre de la dynastie, ni de tel ou tel cabinet, ni de tel ou tel parti ; c’est une œuvre nationale, que l’Italie entière revendique. Nous ne le suivrons pas plus loin ; nous le quitterons sur cette déclaration. Nous ne discuterons pas avec lui les mérites comparés du traité de 1882 et du traité de 1855, par lequel le Piémont, en aidant de ses troupes l’Empereur dans l’expédition de Crimée, s’assurait pour faire l’Italie, lorsque la moisson serait mûre, à la fois « l’or et l’épée » de la France.

Il se peut que le traité du 20 mai 1882 ait été complété et corrigé par M. de Robilant et M. de Rudini, lors de ses deux renouvellemens. Il se peut que l’Italie ait trouvé, du côté de l’Angleterre[36], ce souci de « la défense de l’équilibre méditerranéen et de la protection des intérêts communs » qu’elle n’avait pas, en 1882, rencontré de la part de l’Allemagne ni de l’Autriche et auquel M. le baron Blanc fait encore aujourd’hui un si pressant appel. Peut-être une Quadruple alliance sera-t-elle venue effacer les imperfections de la Triple-Alliance : M. Chiala nous l’apprendra dans son prochain volume. Peut-être aussi, dans ce prochain volume, nous annoncera-t-il la fin de la Triplice, morte sans avoir servi et de n’avoir pas servi.


CHARLES BENOIST.

  1. D’après une publication récente : Luigi Chiala, senatore del Regno, Pagine di Stoina contemporanea, dal 1858 al 1892. Fascic. 3e, La Triplice Allcanza. L. Roux, Turin-Rome, 1893, un vol. in-8o.
  2. Voyez dans les Annales de l’École libre des sciences politiques, livraison de juillet 1893, un important article : les Préliminaires du Traité du Bardo, documens inédits sur les rapports de la France et de l’Italie, de 1878 à 1881.
  3. Paroles de Garibaldi à Achille Fazzari — 28 mars 1882. — Chiala, p. 296. Voyez les lettres du général, antérieures à cet entretien, ibid., pp. 18 et 72.
  4. Machiavel, Istorie florentine, III, IX.
  5. Chiala, p. 89.
  6. Chiala, p. 38.
  7. Ibid., p. 109.
  8. Chiala, p. 203. Discours de M. Crispi, 8 déc. 1881.
  9. Pour en donner une preuve irrécusable, le ministre de la guerre, le général Ferrero, dépose un projet de loi qui porte les effectifs de 300 000 à 400 000 hommes.
  10. Il faisait allusion à l’incident Kallay-Andrassy, des propos mal interprétés dans une Commission de la Délégation hongroise, — Chiala, pp. 134 et suiv.
  11. Discours de M. D. Pantaleoni, sénateur du royaume, — Déc. 1881. — Chiala, p. 211. Ci crede rovinuti, e ci tratta come un locupleto, corne un ricco tratta i falliti.
  12. Chiala, p. 214.
  13. Chiala, p. 215.
  14. Chiala, p. 148.
  15. Chiala, p. 226. Article de la National Zeitung.
  16. Dans les Preussische Iahhrbücher. Chiala, p. 228.
  17. Dès 1871, M. de Bismarck avait fait suggérer au pape Pie IX l’idée de transférer le Saint-Siège à Cologne. Voy. Mémoires du comte de Beust, 11, 482.
  18. Chiala. p. 228 et suiv.
  19. Chiala, p. 243 et suiv.
  20. Chiala, p. 277. — Lettre de Berlin à la Rassegna, du 28 janvier 1882.
  21. Chiala, p. 244.
  22. Chiala, p. 236.
  23. Chiala, p. 231.
  24. Chiala, p. 271.
  25. Chiala, p. 274.
  26. Chiala, p. 279.
  27. Lettre du comte de Launay du 12 mars 1882. — Chiala, p. 283.
  28. La Rassegna, articles de M. Torraca, ancien directeur du Diritto.
  29. Sur toutes ces négociations, voyez Chiala, pp. 280-350.
  30. Chiala, p. 329.
  31. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1893, l’étude sur La France et le pape Léon XIII.
  32. Machiavel, Istorie florentine, II. XXXIII.
  33. Tout récemment encore, à la Chambre des députés, sur une proposition de désarmement présentée par M. Pandolfi.
  34. Chiala, p. 122.
  35. Chiala, p. 359.
  36. C’est encore douteux, si l’on s’en rapporte aux derniers écrits de sir Charles Dilke.