L’Italie et la Vie italienne, souvenirs de voyage/11

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L’Italie et la Vie italienne, souvenirs de voyage
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 63 (p. 318-351).
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L'ITALIE
ET LA VIE ITALIENNE
SOUVENIRS DE VOYAGE

XI.
LA LOMBARDIE. - VERONE, MILAN, LES LACS[1].


Vérone, 2 mai 4864. — Le cirque, les églises.

Au sortir de Venise, le convoi semble marcher sur l’eau ; la mer luit à droite et à gauche, et vient se rider jusqu’à deux pas des roues ; puis les sables se multiplient parmi les flaques miroitantes, la lagune décroît, de grands fossés boivent ce qui reste d’eau et sèchent le sol. La plaine immense verdit et se peuple de cultures, les moissons se lèvent fraîches et jeunes, les vignes bourgeonnent aux arbres. Sur le penchant des coteaux, de jolies maisons de campagne se chauffent au soleil du midi ; mais au nord, entre la grande verdure plate et la grande rondeur bleue, les Alpes hérissent leur muraille noirâtre de rocs, leurs tours, leurs bastions ébréchés comme les ruines d’une enceinte ravagée par les canons, leurs anfractuosités d’où sortent des fumées pâles, et leur couronne dentelée de neiges.

Au bout d’une heure, on entre à Vérone, triste ville provinciale, pavée de petits cailloux, négligée. Beaucoup de rues sont désertes ; au bord des ponts, des tas d’immondices trempent dans le fleuve. Des restes de vieilles sculptures, des arabesques salies traînent çà et là sur les façades ; on sent une cité prospère autrefois, maintenant déchue. Sous une croûte parasite d’échoppes et de boutiques à ferraille, un vieux cirque romain, le plus vaste et le plus intact après ceux de Rome et de Nîmes, dresse sa forte courbe. Il a pu contenir en ces derniers temps cinquante mille spectateurs ; lorsqu’il était muni de ses galeries de bois, je suppose qu’il pouvait en recevoir soixante-dix mille. Toute la population d’une ville y trouvait place. Par sa structure et par son emploi, le cirque est la marque propre du génie romain. Ses énormes pierres, longues ici de six pieds et larges de trois, ses gigantesques voûtes rondes, ses étages d’arcades appuyées les unes sur les autres sont capables, si on les laisse à elles-mêmes, de durer jusqu’au dernier jour. L’architecture ainsi entendue a la solidité d’une œuvre naturelle ; l’édifice, vu d’en haut, a l’air d’un cratère éteint. Quand on veut bâtir, c’est de cette façon, j’entends pour l’éternité ; mais d’autre part ce monument de bon sens grandiose est une institution de meurtre continu. Nous savons qu’il fournit incessamment les blessures et la mort en spectacle aux citoyens, qu’avec l’élection d’un duumvir ou d’un édile ce jeu sanglant forme le principal intérêt et la première occupation d’une ville municipale, que les candidats et les magistrats le multiplient à leurs frais pour gagner la faveur populaire, que les bienfaiteurs de la cité lèguent de grandes sommes à la curie pour le perpétuer, que dans une bicoque comme Pompéi un duumvir reconnaissant fait combattre trente-cinq paires de gladiateurs en une seule représentation, qu’un homme poli, lettré, humain, assiste à ces massacres comme nous assistons à une comédie, que ce divertissement est régulier, universel, officiel, à la mode, et qu’on va au cirque comme nous allons au théâtre, au club ou au café. On aperçoit alors une espèce d’âme que nous ne connaissons plus, le païen élevé dans la gymnastique et la guerre, c’est-à-dire dans l’habitude de cultiver son corps et de dompter les hommes, poussant à bout ses belles institutions corporelles et militantes, et traversant l’activité de la palestre et l’héroïsme de la cité pour finir par l’oisiveté des bains et la férocité du cirque. Toute civilisation a sa dégénérescence comme sa sève. Pour nous chrétiens, spiritualistes, qui prêchons la paix et cultivons notre intelligence, nous avons les misères de la vie cérébrale et bourgeoise, l’affaiblissement des muscles, l’excitation de la tête, les petits appartenons au quatrième, les habitudes sédentaires et artificielles, nos salons et nos théâtres.

Ce cirque n’est qu’un reste : les traces de Rome sont faibles dans le nord de l’Italie ; l’originalité et l’intérêt de la ville consistent dans ses monumens du moyen âge ; mais l’impression qu’elle laisse est bizarre, parce que le moyen âge italien est mixte et ambigu. La plupart des églises, Santa-Anastasia, San-Fermo-Maggiore, le Dôme, San-Zenone, sont d’un style particulier, appelé lombard, intermédiaire entre le style italien et le style gothique, comme si les artistes latins et les artistes germaniques étaient venus accorder et heurter leurs idées dans un même édifice ; mais l’œuvre est sincère, et, comme dans tous les monumens d’un âge primitif, on y sent la vive invention d’un esprit qui s’ouvre. Entre toutes, on peut prendre le Dôme comme type ; l’édifiée est, comme les vieilles basiliques, une maison surmontée d’une autre maison plus petite, et qui toutes les deux se présentent par le pignon. On reconnaît le temple antique, exhaussé pour porter un autre temple. Les lignes droites montent deux à deux, parallèles comme dans l’architecture latine, pour se coiffer d’angles. Toutefois ces lignes sont plus élancées et ces angles sont plus aigus que dans l’architecture latine ; cinq clochetons superposés les affilent encore. Il est visible que l’esprit nouveau goûte moins l’assiette solide que l’essor hardi ; les vieilles formes se réduisent et changent d’emploi sous sa main. La rangée de colonnettes et les deux bordures d’arcades rondes encastrées qui viennent s’appliquer contre la façade ne sont plus que de petits ornemens, vestiges d’un art abandonné, comme les os des bras rudimentaires dans la baleine ou le dauphin. De toutes parts, on aperçoit cet esprit ambigu du XIIe siècle, les restes de la tradition romaine et l’affleurement de l’invention neuve, l’élégance de l’architecture conservée et les tâtonnemens de la sculpture naissante. Un porche en avançage répète les lignes simples de l’ordonnance générale, et ses colonnettes portées par des griffons se superposent et s’emboîtent comme des tronçons de cordage. Ce porche est original et charmant ; mais ses figures accroupies, ses groupes autour de la Vierge, sont des singes hydrocéphales.

Au dedans règne la forme gothique, non pas complète encore, mais indiquée et déjà chrétienne. Je ne puis pas me soustraire à cette idée, que les ogives, les arceaux, les fleuronnemens, sont seuls capables de donner à une église la sublimité mystique ; s’ils manquent, elle n’est pas chrétienne ; elle le devient dès qu’ils commencent à se montrer. Celle-ci est déjà d’une gravité triste, comme le premier acte d’une tragédie. Des faisceaux de colonnettes s’assemblent en piliers rougeâtres, montent en chapiteaux ceints d’une triple couronne de fleurs, se déploient en arceaux brodés de torsades, et viennent s’achever dans la muraille du flanc par une sorte d’épi terminal. Sur le flanc, l’ogive des chapelles s’enveloppe dans un revêtement de feuillages et d’ornemens compliqués qui se rejoignent à la cime par un clocher surmonté d’une statuette. La plupart des figures ont la candeur sérieuse, l’expression sincère et trop.marquée du XVe siècle. Au fond, un chœur bâti par San-Micheli courbe jusque dans la nef sa ceinture de colonnes ioniennes. Les divers âges de l’église se manifestent ainsi dans les divers ornemens de l’édifice ; mais la structure et les grandes formes maintiennent à l’ensemble la naïveté sévère, la vive originalité de l’invention primitive, et on a le plaisir de contempler une créature architecturale saine, d’une espèce distincte, et qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Quand on cherche sur les autres églises semblables à démêler le type régnant, on y trouve les deux pignons superposés qui sont à Pise et à Sienne et les clochers aigus, qui manquent à Pise et à Sienne. Cet assemblage est unique : au-dessus des murs pleins et des lignes élégantes, ces clochers, presque noirs et recouverts d’écailles rouillées, hérissent sur l’azur du ciel leurs pointes ferrugineuses ; on dirait des restes de carcasses fossiles. Quelquefois des couvées de clochetons se serrent autour du cône central ou se perchent de toutes parts sur les crêtes et les angles des toitures ; le ton rougeâtre des briques dont l’édifice est bâti ajoute à l’étrangeté de leur forme âpre et fauve. C’est une végétation unique, comme celle d’une pomme de pin effilée et lentement incrustée d’ocre charbonneuse. Elle est propre à ce pays. Entre l’arcade romaine qui disparaissait et l’ogive gothique qui s’ébauchait, elle a rassemblé autour d’elle pendant deux ou trois siècles les sympathies des hommes. Ils l’ont trouvée à leur premier pas hors de la vie sauvage, et vingt traits rendent sensible la barbarie d’où ils sortaient. Sur le portail de Santa-Anastasia, quelques têtes sont grandes comme la moitié du corps, d’autres n’ont pas de cou ou leur nuque est luxée, presque toutes sont des grotesques ; un Christ en croix a des pattes de grenouille cassées et repliées. — Mais les siècles en marchant tirent l’art de ses langes, et dans les chapelles ultérieures la sculpture est adulte. Santa-Anastasia est remplie de figures du XVe siècle, un peu lourdes parfois, un peu raides, un peu trop réelles, mais si expressives que la perfection des maîtres languit auprès de leur vivante irrégularité. Dans le chœur, un buisson d’épines et de larges fleurs épanouies haut de vingt-cinq pieds enveloppe un tombeau où se dressent de rudes hommes d’armes. Dans la chapelle Miniscalco, parmi des entrelaceraens d’élégantes arabesques, on voit s’étager deux à deux entre les colonnettes rouges qui portent un entablement, quatre statuettes debout : un jeune homme, une jeune fille un peu grêle d’une candeur extrême, deux docteurs chauves aux crânes âprement coupés, tous semblables à des figures de Pérugin. La chapelle Pellegrini, toute lambrissée de terres cuites, est un grand tableau sculpté à compartimens, où les scènes de l’Évangile se lient et se détachent avec une richesse et une originalité d’imagination admirables. Deux files de personnages isolés, chacun sous un clocheton ogival ornementé, séparent les diverses histoires, et chaque histoire est enfermée dans un cadre de colonnettes tordues aux chapiteaux d’acanthe. Dans cette décoration si gracieuse et si abondante, parmi ces fantaisies demi-gothiques et demi-grecques, on trouve avec les belles ordonnances de l’art nouveau les expressions les plus sincères et les plus naïves, des vierges d’une innocence enfantine et d’une beauté souriante, de saintes femmes qui pleurent avec le touchant abandon de la douleur vraie, de jeunes corps élancés et nobles où le sentiment de la vitalité humaine se déploie avec la sincérité de l’invention récente, un saint Michel cuirassé, fier et simple comme un éphèbe antique. — Jamais la sculpture n’a été plus féconde, plus spontanée, et à mon sens plus belle qu’au XVe siècle.

On appelle un fiacre et on se fait conduire au bout de la ville, à San-Zenone, la plus curieuse de ces églises, commencée par un fils de Charlemagne, restaurée par l’empereur allemand Othon Ier, mais presque toute du XIIe siècle[2]. Quelques portions, par exemple les sculptures d’une porte, remontent aux plus anciens temps ; sauf à Pise, je n’en ai point vu d’aussi barbares. Le Christ à la colonne a l’air d’un ours qui monte à son arbre ; les juges, les bourreaux, les personnages des autres histoires ressemblent à de grosses caricatures, à des lourdauds allemands en grandes capotes. Ailleurs le Christ sur son trône n’a pas de crâne, tout le visage est pris par le menton ; les yeux étonnés et saillans sont ceux d’une grenouille ; autour de lui, les anges avec leurs ailes sont des chauves-souris à tête humaine. Partout les têtes sont énormes, disproportionnées, piteuses ; au-dessous des membres mal articulés ballottent des ventres flottans. Toutes ces figures nagent en l’air, aux divers plans, de la façon la plus insensée, comme si le sculpteur ou le fondeur voulaient faire rire. C’est dans ce bas-fond que, pendant la décadence carlovingienne et les invasions hongroises, l’art était tombé. — Dans l’intérieur de l’église, on suit les inventions étranges ou baroques de l’esprit qui tâtonne et du fond de ses ténèbres aperçoit un rayon douteux de jour. La crypte du IXe siècle, basse et lugubre, est une forêt de colonnes coiffées de figures informes ; des sculptures encore plus informes revêtent un autel. Dans cette cave humide, on venait prier le tombeau du saint d’écarter les dévastateurs et la cavalerie hurlante qui partout où elle passait laissait des solitudes. — Plus haut, dans l’église, un autel singulier est porté par des bêtes accroupies qui ressemblent à des lions ; de leur corps en marbre rougeâtre sortent quatre colonnettes du même marbre qui, à demi-hauteur, se tordent et s’entrelacent comme des serpens, puis, une fois nouées, reprennent jusqu’au chapiteau corinthien leur élan rectiligne. — Plus loin, le Christ et ses apôtres en marbre colorié, des fresques du XIVe siècle, un saint George avec son bouclier armorié, une Madeleine vêtue de ses cheveux, se rangent le long des murailles, quelques-uns grêles et grotesques comme des poupées de bois, d’autres graves, enveloppés de grandes robes plissées, avec une austérité et une élévation hiératiques. Que le progrès est lent, et que de siècles il faut à l’homme pour comprendre la figure humaine !

L’architecture, plus simple, est plus précoce. Elle se contente de quelques lignes courbes ou droites, de quelques plans symétriques et bien tranchés ; elle n’exige pas, comme la sculpture, l’intelligence des rondeurs fuyantes et de l’ovale le plus compliqué et le plus bosselé. Des âmes incultes, réduites à quelques sentimens forts, peuvent être remuées et se manifester par elle ; peut-être est-elle leur expression propre. En effet c’est dans les âges demi-barbares, au temps de Philippe-Auguste et d’Hérodote, qu’elle a trouvé ses formes originales, et la civilisation complète, au lieu de la soutenir et de la développer comme les autres arts, l’a plutôt appauvrie ou gâtée. Au dedans comme au dehors, San-Zenone est d’un grand caractère, austère et simple ; on y sent une basilique romaine qui se fait chrétienne. La nef centrale s’appuie sur des colonnes rondes dont les chapiteaux barbares, enveloppés de feuillages, de lions, de chiens et de serpens, soutiennent une ligne d’arcades circulaires ; et sur ces arcades s’élève un grand mur nu qui porte la voûte. Jusqu’ici, la structure est latine ; mais la nef, par sa hauteur extrême, laisse dans l’âme une émotion religieuse. Son plafond bizarre est une triple gouttière treillissée de bois sombre, marquetée de petits carrés, étoilée de blanc et d’or, qui allonge ses creux superposés avec une fantaisie inattendue et sauvage. Au-dessous d’elle, le pavé, plus bas, rejoint le portail et le chœur par de hauts escaliers munis de balustres, et les différences de niveau brisent et compliquent l’aspect de toutes les lignes. La capricieuse imagination du moyen âge commence à s’introduire dans l’ordonnance régulière de l’architecture ancienne pour y troubler les plans, multiplier les formes et transformer les effets.


Les Scaliger, la Piazza, le musée.

La même imagination règne, mais cette fois souveraine et complète, dans une enceinte grillée située près de Santa-Maria-l’Antica, et qui est le plus curieux monument de Vérone. Là sont les tombeaux des anciens souverains de la ville, les Scaliger, qui, tour à tour ou à la fois tyrans et guerriers, politiques et lettrés, assassins et proscrits, grands hommes et fratricides, ont donné, comme les princes de Ferrare, de Milan, de Padoue, un exemple de ce puissant et immoral génie qui est propre à l’Italie, et que Machiavel a décrit dans son Prince, ou mis en scène dans sa Vie de Castruccio[3]. Les cinq premiers tombeaux[4] ont la simplicité et la lourdeur des temps héroïques. Il semble que l’homme, après avoir combattu, tué et fondé, ne demande au sépulcre qu’une place pour dormir ; la pierre creuse qui abrite ses os est aussi solide et aussi fruste que l’armure de fer qui défendait sa chair. C’est une cuve énorme et massive, de pierre nue et d’un seul bloc, rougeâtre, assise sur trois courtes solives de marbre. Une dalle unique, épaisse et sans ornemens, fait le couvercle, et, comme disait Hamlet, « la pesante mâchoire » du sépulcre. C’est le vrai monument funéraire, un coffre monstrueux, brut, et pour l’éternité.

De ce monde sauvage, où se sont déchaînées les férocités d’Ecclin et de ses destructeurs, un art se dégage. Dante et Pétrarque ont été accueillis à cette cour, devenue lettrée et magnifique ; le style gothique qui du haut des monts descend à Milan, et de tous côtés imprègne l’architecture italienne, vient se déployer pur et complet dans les monumens des derniers seigneurs. Deux de ces sépultures, surtout celle de Cane Signorio[5] sont aussi précieuses dans leur genre que les cathédrales de Milan et d’Assise. Le multiple et le complexe, le riche et délicat enchevêtrement des formes tortillées, évidées, aiguës, la transformation de la matière pesante en filigrane de dentelles, voilà ce que recherche le goût nouveau. Au bas du mémorial, des colonnettes aux chapiteaux bizarres se relient par une sorte de turban armorié pour porter sur une plateforme la tombe historiée et la statue endormie du mort. De cette assise s’élance un cercle d’autres colonnettes dont les arcades dentelées de trèfles se rejoignent en un dôme coiffé de lanternes et de clochetons fleuronnés qui vont s’affilant et s’amoncelant comme une végétation d’épines. Au sommet, Cane Signorio assis sur son cheval semble la statue terminale d’un joyau d’orfèvrerie. Des processions de figurines sculptées revêtent la tombe. Six statuettes en armure et tête nue couvrent les rebords de la plate-forme, et chacune des niches du second étage renferme sa figure d’ange. Toute cette population et cette floraison pyramident comme un bouquet dans un vase, et le ciel brille à travers les découpures infinies de l’échafaudage. Pour achever l’impression, chaque tombeau pris à part et l’enceinte tout entière sont enfermés dans une de ces grilles si originales et si fouillées où se complaisait l’art du moyen âge, sorte de filet d’arabesques, brodé de trèfles à quatre feuilles, aigrette de fers de hallebarde, couronné de feuillages d’épines à triple dard. C’est de ce côté, vers la prodigalité et l’entrelacement des formes capricieuses et sveltes que l’imagination tout entière s’était tournée. En effet les figures, quoique bien proportionnées, n’ont rien d’idéal. Cane n’est qu’un homme de guerre qui a beaucoup exercé. Les statuettes en armure ont cet air de sacristain morne, si fréquent dans les sculptures du moyen âge. La Vierge sculptée en relief sur la tombe est une grosse paysanne naïve et balourde, et le petit Jésus a la grosse tête, les membres grêles, le ventre enflé des marmots réels qui passent leur vie à téter, dormir et glapir. L’artiste ne sait que copier servilement et tristement la forme humaine, son invention s’est dépensée ailleurs. Je pensais par contraste à un double tombeau de la renaissance que je viens de voir dans la sacristie de San-Fermo-Maggiore, celui de Jérôme Turriano, si simple, si élégant, d’une imagination si riante et si saine, où des colonnettes cannelées font un vide moyen entre des masses moyennes, où les blancheurs du marbre sont relevées par la teinte fauve du bronze, où des sphinx, des faunes, des nymphes en bas-relief courent parmi les fleurs. On ne peut s’empêcher de reconnaître que l’art du moyen âge, si inventif et si puissant, a quelque chose de forcé et de dévié. A vrai dire, c’est un art de malade ; un esprit gai et bien portant ne s’accommoderait point d’une ornementation, si menue, si tourmentée, si fragile, qui semble incapable de durer par elle-même et réclame un fourreau pour la protéger. Nous demandons aux monumens une assiette ferme, une consistance personnelle. L’imagination se lasse d’être toujours suspendue en l’air, tordue dans son vol, accrochée à des pointes, perchée sur des aiguilles. On va revoir la Piazza-dei-Signori, où un charmant petit palais de la renaissance s’appuie sur un portique d’arcades et de chapiteaux corinthiens. On goûte la finesse de ses colonnettes et les rondeurs élégantes de son balustre. On laisse aller ses yeux sur les sculptures qui serpentent dans les encoignures et dans les rebords des fenêtres : branches chargées de feuilles, hautes fleurs qui s’élancent d’une amphore, cuirasses romaines, cornes d’abondance, médaillons, toutes les formes et tous les emblèmes dont un artiste voudrait s’entourer pour faire de sa vie une fête. On contemple les deux statues des niches à coquille, une Vierge qui, semblable à la madone du Jugement dernier, se reploie et se tourne sur son épaule avec une finesse d’allure florentine. Je suppose que c’est là le plaisir d’un voyage : on revient sur ses idées, on les sent se confirmer, se développer, se corriger incessamment, à mesure que de nouvelles villes présentent à l’esprit de nouveaux aspects des mêmes choses.

Mais on se lasse ; j’ai trop vu de peintures à Venise pour parler de celles qui sont ici. Il y a pourtant une pinacothèque au palais Pompéi, remplie par les œuvres des maîtres de Vérone. Quantité de peintres primitifs, Falconetto, Turodi, Crivelli, sont rangés d’après l’ordre des temps. L’un d’eux, Paolo Morando, mort en 1522, peuple une salle entière de ses peintures un peu raides, réelles, d’un fini extrême, où, parmi des figures copiées sur le vif, de beaux anges couronnés de lauriers annoncent l’approche de la forme idéale, tandis que la splendeur du coloris et l’habile dégradation des teintes indiquent le goût vénitien. On devrait regarder tous ces peintres ; ils sont les commencemens d’une flore locale ; mais il y a des jours où tout effort d’attention déplaît, on n’est plus capable que d’avoir du plaisir. On laisse là les précurseurs et l’on va aux deux ou trois tableaux des maîtres. Il y en a un de Bonifazio qui représente la reddition de Vérone au doge, éclatant et décoratif, où la plus franche imitation de la vie réelle s’avive et s’embellit de toutes les magnificences de la couleur. Des seigneurs habillés comme au temps de François Ier, en soie blanche lustrée et panachée de fleurs, apparaissent d’un côté du doge, tandis que de l’autre des conseillers assis font onduler la pompe de leurs grandes robes rouges. Le costume est si beau en ce temps-là qu’à lui seul il fournit matière à la peinture ; à toute époque, il est la plus spontanée et la plus significative des œuvres d’art, car il indique la façon dont l’homme entend le beau et veut orner sa vie ; comptez que, s’il n’est pas pittoresque, les goûts pittoresques manquent. Quand les gens aiment vraiment les tableaux, ils commencent à faire de leurs personnes un tableau ; c’est pourquoi le siècle des paletots et des habits noirs est mal doué pour les arts du dessin. Comparez à nos vêtemens de croque-morts décens ou d’ingénieurs utilitaires le superbe portrait de Pasio Guariento par Paul Véronèse[6]. Il est debout dans son armure d’acier rayée de bandes noires et chamarrée d’or. Son casque, ses gantelets, sa lance, sont à côté de lui. C’est un homme d’action, vaillant et gai, quoique déjà vieux ; sa barbe grisonne, mais ses joues ont les teintes un peu vineuses des mœurs gaillardes, sa pompe militaire et son expression simple sont d’accord. Tout se tient dans un homme, dehors et dedans ; il façonne d’après ses besoins intérieurs son costume, son ameublement, son architecture, toute sa décoration extérieure ; mais à la longue cette décoration agit sur lui. Je suis persuadé qu’une pareille armure devait faire d’un homme un buffle héroïque. Se bien battre, bien dîner et boire, parader superbement à cheval, il ne souhaitait rien au-delà. La vie cavalière et les sensations pittoresques le prenaient tout entier ; il n’avait pas besoin comme nous, gens de cabinet, de psychologie savante et fine, il aurait bâillé ; lui-même était trop peu compliqué pour prêter à nos analyses. À cause de cela, l’art central du siècle est non pas la littérature, mais la peinture. — Dans cet art, Véronèse comme van Dyck arrive au moment final, quand la fougue et l’énergie primitive commencent à se tempérer au souffle de l’aisance et de la dignité mondaine. On porte encore parfois la grande épée, mais on se sert de la rapière ; on se couvre encore au besoin de la solide armure de bataille, mais on s’orne plus volontiers du riche pourpoint et des dentelles de cour ; une élégance de gentilhomme vient transformer et illuminer la vieille énergie du soldat. Le Vénitien comme le Flamand peint ce noble et poétique monde qui, situé aux confins de l’âge féodal et de l’âge moderne, conserve la fierté seigneuriale sans garder la rudesse gothique et atteint l’urbanité des palais sans s’affadir jusqu’à la politesse des salons. A côté de Titien, de Giorgione et de Tintoret, Véronèse semble un cavalier fin parmi des plébéiens robustes. Ici ses têtes de femmes, dans une fresque qui représente la Musique, ont des douceurs charmantes ; sa volupté est aristocratique, parfois raffinée ; le divertissement des fêtes, la variété et l’éclat de la séduisante et souriante beauté agréent plus volontiers à son esprit que la force et la simplicité des corps et des actions athlétiques. Lui-même saluait Titien avec respect « comme le père de l’art, » et Titien, sur la place Saint-Marc, l’embrassait affectueusement, reconnaissant en lui le chef d’une génération nouvelle.


De Vérone à Milan.

Près de Desenzano, on commence à voir le lac de Garde. Il est tout bleu, de cet étrange bleu propre aux eaux de roche ; des montagnes rugueuses, marbrées de neiges éclatantes, l’enserrent de leur courbe, et viennent pousser leurs promontoires jusqu’au milieu de son eau. Tout âpres qu’elles soient, elles sourient ; un voile azuré, aérien, délicat comme une gaze de femme, enveloppe leur nudité et adoucit leur rudesse. Depuis Vérone, on ne les voit qu’à travers ce voile. Ce doux azur occupe la moitié de l’espace, le reste est une prairie d’un vert tendre et charmant, encore amolli par l’imperceptible teinte jaunâtre que la nouveauté de la vie répand dans les pousses printanières.

A Desenzano, le train s’arrête au bord même du lac. La nappe s’enfonce lustrée et ardoisée entre deux longues côtes rocheuses, qui semblent les rebords bosselés et déchiquetés d’une aiguière fantastique. En effet, c’est l’aiguière de marbre où les Alpes avant de s’abaisser recueillent et retiennent leurs sources. Sur les saillies de cette bordure, on voit des villages, des églises, de vieilles forteresses, qui s’avancent jusque dans les eaux, et tout au fond une muraille plus haute pousse dans le ciel sa frange de neige que le soleil argenté. Rien de plus riant et de plus noble ; du lac au ciel, toutes les teintes de l’azur se fondent nuancées par les diversités de la distance, et l’on pense aux paysages de rochers bleuâtres que Léonard met dans le fond de ses peintures.

Tout le reste de la campagne jusqu’à Milan est un grand verger qui regorge de moissons, de prairies artificielles, d’arbres à fruit ; où les mûriers déjà tout verts arrondissent leurs têtes parmi les vignes, où de petits canaux portent la fraîcheur dans les cultures, — si florissant et si abondant qu’il donne l’idée d’un trop grand bien-être ; mais, pour ôter à cette fertilité tout air vulgaire ou monotone, les Alpes sur la droite s’échelonnent dans la clarté du soir comme une file d’énormes nuages fixes.


Milan, 4 mai. — Le Dôme.

On se sent en pays riche et gai ; la ville est grande, luxueuse même, avec des portes monumentales et de larges rues bordées de palais, pleine de voitures, animée sans être fiévreuse comme Paris ou Londres. Elle est dans une plaine, et les lacs, les canaux, le fleuve, lui apportent aisément les provisions de la campagne, si bien cultivée et si grassement fertile. Les bâtimens sont rians comme les environs. Vous entrez dans la salle d’attente d’un chemin de fer ; vous y voyez entre des moulures et des ornemens un plafond d’azur où flottent de petits nuages. Les cafés sont pleins, les glacés et le café y coûtent quatre ou cinq sous ; une course d’omnibus coûte deux sous. On entre aux deux opéras pour un franc ou deux francs. Les gens du peuple et les femmes sont nombreux au parterre. Quantité de ces femmes sont belles, et presque toutes rieuses et de bonne humeur ; elles marchent bien, d’un air attrayant et pimpant ; avec leur physionomie vive, leur tête fine et nettement découpée, leur accent vibrant et sonore, elles se mettent à l’instant partout et brillamment en scène. Rien de plus joli que le voile noir qui leur sert de coiffure ; un cercle d’aiguilles d’argent planté sur le chignon leur fait une couronne. Stendhal, qui a vécu longtemps ici, dit que cette ville est la patrie de la bonhomie et du plaisir ; considérer le travail et les préoccupations graves comme une corvée qu’il faut réduire le plus qu’on peut, s’amuser, rire, faire des parties de campagne, être amoureux, non pas à la manière des soupirans, voilà leur façon de prendre la vie. J’ai eu à ce propos deux ou trois conversations curieuses avec des compagnons de voyage ; elles aboutissaient toutes à la même profession de foi. Un d’eux demi-bourgeois, un autre avocat, me disaient : « Ho la sventura d’essere ammogliato ; il est vrai que j’ai épousé ma femme par amour, elle est jolie et sage, mais je ne suis plus libre. » Un passant comme moine peut pas avoir d’opinion sur les mœurs ; il ne peut parler que des monumens. Il y en a trois notables à Milan, la cathédrale et les deux galeries de peintures.

Au premier coup d’œil, cette cathédrale est éblouissante : le gothique, transporté tout d’un bloc en Italie à la fin du moyen âge[7], y atteint à la fois son triomphe et son excès. Jamais on ne l’a vu si aigu, si brodé, si compliqué, si surchargé, si semblable à une pièce d’orfèvrerie ; comme au lieu de pierre grossière et terne il prend ici pour matériaux le beau marbre luisant d’Italie, il devient un pur joyau ciselé aussi précieux par sa substance que par son travail. L’église entière semble une cristallisation colossale et magnifique, tant sa forêt d’aiguilles, ses entrelacemens de nervures, sa population de statues, sa guipure de marbre fouillée, creusée, brodée, trouée à jour, monte multiple et innombrable, découpant ses blancheurs sur le ciel bleu. Elle est bien le candélabre mystique des visions et des légendes, aux cent mille branches hérissées et exubérantes d’épines douloureuses et de roses extatiques, avec des anges, des vierges, des martyrs sur toutes ses fleurs et sur toutes ses pointes, avec les infinies myriades de l’église triomphante qui s’élance de la terre et pyramide jusque dans l’azur, avec ses millions de voix confondues et vibrantes qui montent en un seul hosannah ! Sous l’effort d’un sentiment pareil, on comprend vite pourquoi l’architecture a violenté les conditions ordinaires de la matière et de la durée. Elle n’a plus son but en elle-même ; peu lui importe que son édifice soit solide ou fragile, elle n’abrite pas, elle exprime ; elle ne se soucie pas de sa fragilité présente ni de ses réparations futures, elle naît d’une folie sublime et fait une folie sublime, tant pis pour la pierre qui se délitera et pour les générations qui devront recommencer l’œuvre. Il s’agit de manifester un rêve intense et un transport unique, et il y a tel moment dans la vie qui vaut la vie entière ; les philosophes mystiques des premiers siècles sacrifiaient tout à l’espérance de dépasser une ou deux fois dans le courant de tant de longues années les limites de la condition humaine, et d’être ravis pour une minute jusqu’à l’un ineffable qui est la source de l’univers.

On entre, et l’impression s’approfondit encore. Quelle différence entre la puissance religieuse d’une pareille église et celle de Saint-Pierre de Rome ! On pousse un cri tout bas. Voilà le vrai temple chrétien. Quatre rangées d’énormes piliers à huit pans, rapprochés, semblent une futaie serrée de chênes gigantesques. Les chapiteaux franges sont hérissés d’une végétation fantastique de pinacles, de dais, de niches en fleurons, de statues, comme les vieux troncs couronnés de mousses délicates et pendantes. Ils s’épanouissent en grosses branches qui se rejoignent à la voûte, et tous les intervalles des arceaux sont remplis d’un lacis inextricable de feuillages, de sarmens épineux, de petits rameaux enroulés et déroulés qui figurent le dôme aérien d’un grand bois. Comme dans un grand bois, les allées latérales sont presque égales en hauteur à celle du centre, et de tous côtés, à des distances égales, on voit monter autour de soi les colonnades séculaires. C’est vraiment ici la vieille forêt germanique, et comme une réminiscence du bois religieux d’Irmensul. Le jour y tombe transformé par les vitraux verts, jaunes, pourprés, comme à travers les teintes rougissantes et orangées des feuillages d’automne. Certainement voilà une architecture complète comme celle de la Grèce, ayant comme celle de la Grèce sa racine dans les formes végétales. Le Grec prend pour type le tronc de l’arbre coupé, le Germain l’arbre entier avec ses branches et ses feuilles. Peut-être la véritable architecture dérive-t-elle toujours de la nature végétale, et chaque zone a ses édifices comme ses plantes ; de cette façon on comprendrait les architectures orientales, la vague idée du palmier svelte et de son bouquet de feuilles chez les Arabes, la vague idée des végétations colossales, pullulantes, ventrues ou hérissées dans l’Inde. En tout cas, je n’ai jamais vu d’église où l’aspect des forêts septentrionales soit plus sensible, où l’on imagine plus involontairement les longues allées de troncs terminées par une percée de jour, les branches courbées qui se rejoignent par des angles aigus, les dômes de feuillages irréguliers et entrelacés, l’ombre universelle semée de clartés par les feuilles colorées et diaphanes. Parfois un carré de vitraux jaunes où plonge le soleil lance dans l’obscurité son averse de rayons, et un pan de nef resplendit comme une clairière. Une grande rosace au fond du chœur, une fenêtre à rinceaux tordus au-dessus de la porte d’entrée, ruissellent de tons d’améthyste, de rubis, d’émeraudes et de topazes comme ces labyrinthes feuillus où les clartés d’en haut se brisent et s’étalent en illuminations mouvantes. Près de la sacristie, un petit dessus de porte plaqué sur le mur contourne à l’infini ses nervures entrecroisées, semblable au délicat fouillis de quelque merveilleuse plante tortueuse et grimpante. On passerait la journée ici comme dans une forêt, l’esprit aussi calme et aussi rempli, devant des grandeurs aussi solennelles que celles de la nature, devant des caprices aussi mignons, parmi le même mélange de monotonie sublime et de fécondité intarissable, devant des contrastes et des métamorphoses de lumière aussi riches et aussi inattendus. Un rêve mystique avec un sentiment neuf de la nature septentrionale, voilà la source de l’architecture gothique.

Au second regard, on sent bien les exagérations et les disparates. Le gothique est du dernier âge, inférieur à celui d’Assise ; au dehors surtout, les grandes lignes disparaissent sous l’ornementation. On n’aperçoit qu’aiguilles et statues ; quantité de ces statues sont du XVIIe siècle, sentimentales et gesticulantes, dans le goût du Bernin ; les principales fenêtres de la façade portent l’empreinte de la renaissance, et font tache. Au dedans saint Charles Borromée et ses successeurs ont plaqué en vingt endroits les affectations de la décadence. Un pareil monument dépasse les forces de l’homme ; on y travaille depuis cinq cents ans, et il n’est pas fini. Quand une œuvre exige un si long temps pour être achevée, les révolutions inévitables de l’esprit y laissent leurs traces discordantes : ici paraît le caractère propre du moyen âge, la disproportion entre le désir et la puissance ; mais devant une telle œuvre la critique n’a pas de place. On la chasse de son esprit comme un intrus, elle reste à la porte et n’essaie même pas de revenir. D’eux-mêmes les yeux s’écartent des portions laides ; ils s’arrêtent pour garder leur plaisir sur quelques tombeaux du grand siècle, celui du cardinal Carraciulo[8], surtout devant la chapelle de la Présentation, du sculpteur Bambaja, homme inconnu qui vivait au temps de Michel-Ange. La petite Vierge monte l’escalier, parmi de superbes corps d’hommes et de femmes dressés ; un vieillard maigre regarde, et sa tête osseuse dans son énorme barbe frisée est d’une fierté sauvage ; une femme à gauche entre les colonnes a la vive beauté de la plus florissante jeunesse. Plus loin, une autre Vierge entre deux saintes est un chef-d’œuvre de simplicité et de force. Nous ne connaissons pas et nous ne pouvons mesurer tout le génie de la renaissance : l’Italie n’a exporté ou ne s’est laissé prendre que des fragmens de son œuvre ; les livres ont popularisé quelques noms, mais, pour abréger, ils ont omis les autres. Au-dessous et souvent à côté des grands hommes connus, il y a une foule.


Les églises et les musées.

On cite une autre église célèbre, San-Ambrogio, fondée au IVe siècle par saint Ambroise, achevée ou restaurée plus tard en style roman, munie de voûtes gothiques vers l’an 1300, et parsemée de morceaux divers, portes, chaire, revêtemens d’autel, pendant les âges intermédiaires. Une cour oblongue l’annonce par un double portique. Une grosse tour carrée la flanque de sa masse sombre et rougeâtre. Des débris de sculptures plaqués dans le mur font des portiques une sorte de mémorial effacé et incohérent. Le vieil édifiée lui-même élève son pignon lézardé sur un double étage d’arcades. Le portail est étrange, tout rayé et bigarré de fins ornemens de pierre ; ce sont des lacis de cordes, des rosaces, de petits carrés remplis de feuillages ; sur les colonnes, on voit des croix, des têtes et des corps d’animaux, une décoration d’espèce inconnue. Ces œuvres des plus sombres siècles du moyen âge[9] laissent toujours après la première répugnance une impression puissante. On y sent, comme dans les légendes de saints accumulées du VIIe au Xe siècle, le délabrement de l’intelligence effarée, la maladresse de la main alourdie, l’altération et la discordance des facultés décrépites, les tâtonnemens de l’esprit enfantin et vieillot qui a tout oublié et qui n’a pas encore appris, son anxiété douloureuse et demi-idiote devant des formes vaguement entrevues, son effort impuissant pour balbutier une pensée trouble, ses premiers pas trébuchant dans une profonde cave où tout se brouille et vacille sous un pâle rayon du jour. A l’intérieur, de forts piliers composés d’un amas de colonnes soutiennent sur leurs chapiteaux barbares une file d’arcades rondes et de voûtes basses, et tout au bout dans l’abside luisent dans l’or de maigres figures byzantines. Sous la chaire est un tombeau qu’on disait celui de Stilicon, sculpté de chasses grossières, où des bêtes d’espèce incertaine, peut-être des chiens, peut-être des crocodiles, se poursuivent en se mordant ; la dégradation de l’art n’est pas plus grande dans le monument de Placidie à Ravenne. On relève les yeux, et l’on voit dans les sculptures de la chaire la première aube de la renaissance. C’est une œuvre du XIIe siècle, sorte de boite longue portée sur des colonnes, comme les chaires de Nicolas de Pise. Les figures sculptées représentent la cène ; onze personnages, vus de face et les deux bras en avant, répètent tous la même posture ; les têtes sont réelles et même soigneusement étudiées, mais toutes bourgeoises et vulgaires. Entre cette première lueur de la vie et le chaos informe de la sépulture inférieure, il y a peut-être six siècles ; voilà le temps qu’emploient les incubations. Nul document ne montre mieux que les œuvres d’art les formations et les métamorphoses de la civilisation humaine.

Je ne trouve plus dans mes souvenirs qu’une église, Sainte-Marie-des-Grâces, large tour ronde ceinte de deux galeries de colonnettes et posée sur un carré ; encore n’est-ce point l’église qu’on va voir, c’est la Cène de Léonard de Vinci, peinte sur un mur du réfectoire, et, à vrai dire, on ne la voit pas. Cinquante ans après son achèvement, elle tombait en ruine. Au siècle dernier, on l’a repeinte en entier, sauf le ciel, puis grattée et encore repeinte, et comme elle s’écaillait encore, on l’a restaurée il y a dix ans. Qu’y a-t-il maintenant de Léonard dans cette peinture ? Peut-être moins que dans le carton d’un maître mis en tableau par des élèves médiocres. Il y a telle figure, par exemple celle de l’apôtre André[10], où la bouche tordue est évidemment gâtée. On ne peut que saisir l’idée générale du maître ; les délicatesses ont disparu. Cependant entre autres traits on remarque sans peine que la célèbre gravure de Morghen a rendu le Christ plus mélancolique et plus spiritualiste[11]. Celui de Léonard est une figure douce, mais large, ample, divine ; il a voulu faire non un rêveur tendre et triste, mais un type de l’homme. Pareillement les apôtres, avec leurs traits si marqués et leurs expressions si parlantes, sont des Italiens vigoureux que leurs passions vives portent à la mimique. Probablement le tableau de Léonard était, comme ceux de Raphaël au Vatican, une peinture de la belle vie corporelle telle que l’entendait la renaissance ; mais il y ajoutait ce qui lui est propre, l’expression des divers tempéramens longuement étudiés et des émotions soudaines prises sur le fait. À cause de cela sans doute, il allait tous les jours pendant deux heures voir la canaille du Borgo, afin de donner à son Judas une tête de coquin assez énergique et assez vile.

C’est ici, à Milan, qu’il a le plus vécu et pensé ; ses principaux ouvrages devraient y être, mais on les a enlevés ou ils ont péri. Son grand modèle équestre du bronze qui devait représenter le duc Sforza a été mis en pièces par des arbalétriers gascons. Il ne reste de lui que des manuscrits, des esquisses, des études. Et pourtant, si réduite que soit son œuvre, il n’en est point qui frappe davantage. Par les principaux traits de son génie, il est moderne. Il y a de lui dans le musée Brera une tête de femme au crayon rouge qui, par la profondeur et la finesse de l’expression, surpasse les tableaux les plus parfaits. Ce n’est pas la pure beauté qu’il cherche, c’est bien plutôt l’originalité individuelle ; il y a une personne morale dans ses figures, une âme délicate ; le frémissement de la vie intérieure a creusé légèrement les joues et battu les yeux. Deux autres études à la bibliothèque ambroisienne[12], surtout une jeune femme qui baisse les paupières, sont des chefs-d’œuvre incomparables. Le nez, les lèvres, ne sont point d’une régularité parfaite ; ce n’est point la forme seule qui l’occupe, le dedans lui semble encore plus important que les dehors. Sous ces dehors vit une âme réelle, mais supérieure, comblée de facultés et de passions qui sommeillent encore, mais dont la puissance démesurée transpire au repos dans la force du regard vierge, dans la forme divine de la tête, dans la plénitude et l’ampleur du crâne magnifiquement couronné par une chevelure telle qu’on n’en vit jamais. Lorsque l’on consulte ses livres de dessins[13], lorsqu’on se rappelle les figures préférées de ses tableaux authentiques, lorsqu’on lit les détails de son caractère et de sa vie, on y aperçoit le même travail intérieur. Peut-être n’y a-t-il point au monde un exemple d’un génie si universel, si inventif, si incapable de se contenter, si avide d’infini, si naturellement raffiné, si lancé en avant au-delà de son siècle et des siècles suivans. Ses figures expriment une sensibilité et un esprit incroyables ; elles regorgent d’idées et de sensations inexprimées. À côté d’elles, les personnages de Michel-Ange ne sont que des athlètes héroïques ; auprès d’elles, les vierges de Raphaël ne sont que des enfans placides dont l’âme endormie n’a pas vécu. Les siennes sentent et pensent par tous les traits de leur visage et de leur physionomie ; il faut un certain temps pour se mettre en conversation avec elles : non pas que leur sentiment soit trop peu marqué, au contraire il jaillit de l’enveloppe entière, mais il est trop délié, trop compliqué, trop en dehors et au-delà du commun, insondable et inexplicable. Leur immobilité et leur silence laissent deviner deux ou trois pensées superposées, et d’autres encore cachées derrière la plus lointaine ; on entrevoit confusément ce monde intime et secret, comme une délicate végétation inconnue sous la profondeur d’une eau transparente. Leur sourire mystérieux trouble et inquiète vaguement ; sceptiques, épicuriennes, licencieuses, délicieusement tendres, ardentes ou tristes, que de curiosités, d’aspirations, de découragemens on y découvre encore ! Quelquefois, parmi de jeunes athlètes fiers comme des dieux grecs, on trouve un bel adolescent ambigu, au corps de femme, svelte et tordu avec une coquetterie voluptueuse, semblable aux androgynes de l’époque impériale, et qui semble, comme eux, annoncer un art plus avancé, moins sain, presque maladif, tellement avide de perfection et insatiable de bonheur qu’il ne se contente pas de mettre la force dans l’homme et la délicatesse dans la femme, mais que, confondant et multipliant par un singulier mélange la beauté des deux sexes, il se perd dans les rêveries et les recherches des âges de décadence et d’immoralité. On va loin quand on pousse à bout cette recherche des sensations exquises et profondes. Plusieurs hommes de cette époque et notamment celui-ci, après tant de voyages dans toutes les sciences, dans tous les arts, dans tous les plaisirs, rapportent de leur course à travers les choses je ne sais quoi de rassasié, de résigné et de mélancolique. Ils nous apparaissent sous ces différens aspects sans vouloir se livrer tout à fait. Ils s’arrêtent devant nous avec un demi-sourire ironique et bienveillant, mais sous un voile. Si expressive que soit leur peinture, elle ne laisse effleurer d’eux-mêmes que la grâce complaisante et le génie supérieur ; ce n’est que plus tard seulement et par réflexion qu’on distingue dans les orbites enfoncées, dans les paupières fatiguées, dans les plis imperceptibles de la joue, les exigences infinies et la souffrance sourde de la créature trop fine, trop nerveuse, trop comblée, l’alanguissement des félicités usées et la lassitude du désir inassouvi.

Aucun artiste n’a exercé un si long et si complet ascendant sur les artistes qui l’entouraient. Melzi, Salaino, Salario, Marco d’Oggione, Cesare da Cesto, Gaudenzio Ferrari, Beltraffio, Luini[14], tous à proportion, et dans le sens de leurs facultés, sont restés fidèles au maître vénéré et bien-aimé dont ils avaient entendu la voix ou recueilli la tradition, et l’on trouve ici dans leurs œuvres les développemens de la pensée que son œuvre trop rare n’a pas tout entière produite au jour. Ils répètent ses figures ; à la bibliothèque ambroisienne, quelques personnages de Luini, une tête de femme, un petit saint Jean à genoux avec l’enfant Jésus sur la Vierge, surtout une sainte Famille, semblent dessinés ou conseillés par le maître. Ce sont des âmes bien plus fines, bien plus capables de sentimens nuancés ou puissans que les figures simplement idéales[15] de l’École d’Athènes ; on n’aurait point de conversation avec les personnages de Raphaël, tout au plus ils vous diraient deux ou trois paroles d’une voix mélodieuse et grave ; on les admirerait, on ne s’éprendrait point d’eux ; on ne sentirait pas l’attrait souverain et pénétrant qui s’exhale de ceux de Léonard et de son élève. Peu de chair, car la chair exprime la vie animale et indique la nourriture surabondante ; tout le visage est dans les traits ; ils sont très marqués, quoique délicats, en sorte que par toutes ses lignes le visage sent et pense ; le menton est creusé, souvent effilé ; des vides et des bosselures rompent l’uniformité sculpturale et écartent l’idée de la santé luxuriante. L’étrange et indéfinissable sourire de la Monna Lisa effleure les lèvres immobiles. Une pénombre flottante, une intense et profonde teinte jaunâtre enveloppe les figures de son mystère et de son frémissement ; parfois la grâce des contours noyés, la mollesse lumineuse d’une chair enfantine, semblent indiquer la main du Corrège[16]. La franche clarté du jour serait brutale ici ; il faut des tons fondus et décroissans, l’adoucissement mutuel du jour et de l’ombre, la suave caresse de l’air palpable et vague pour ne pas heurter des corps si délicats et des âmes si sensitives. En cela, Luini va même au-delà de Léonard ; s’il le réduit, il attendrit ; s’il n’a pas comme lui la hauteur et la supériorité « d’un autre Hermès ou d’un autre Prométhée[17], » il atteint une finesse encore plus féminine et plus touchante. Ce n’est pas encore assez, il cherche ailleurs et tâche d’ajouter à l’esprit de son premier maître le style des maîtres nouveaux. Lorsqu’on regarde ses fresques, on croit qu’il a étudié à Florence[18]. Dans une salle basse de la bibliothèque ambroisienne, son Christ couronné d’épines est flagellé par les bourreaux ; un grand rideau et quatre colonnes encadrent le supplice ; de chaque côté, en ordonnance symétrique sont deux anges et trois bourreaux ; on aperçoit dans le lointain un disciple avec les Marie. Sur les deux flancs du tableau, une file de donataires pieux, à genoux, en robes noires, font mieux sentir encore par leurs figures réelles les attitudes rhythmiques et les formes idéales de la scène évangélique. Pareillement, à l’entrée du musée Brera, vingt fresques qui représentent pour la plupart les diverses histoires de la Vierge ont la couleur atténuée, l’expression simple, la noblesse sereine des figures du Vatican. Tantôt c’est une grande Vierge accompagnée d’un vieillard en manteau vert et d’une jeune femme en robe jaune d’or, et sous leurs pieds, sur les marches, un petit ange qui, les jambes écartées, accorde sa cithare, avec les poses immobiles et les lignes harmonieuses du Parnasse ou de la Dispute du Saint-Sacrement. Tantôt, dans la Nativité de la Vierge, ce sont deux jeunes filles agiles qui apportent de l’eau et deux vieilles femmes si belles, si graves, qu’on pense, en les voyant, aux scènes correspondantes qu’André del Sarto a peintes dans le portique de Santa-Annunziata. Il semble ici que Luini ait pris les préceptes de la pure et savante école où Raphaël acheva de se former, dont le Frate et André del Sarto représentent le mieux la perfection et la mesure, qui, fondée par des orfèvres, subordonna toujours l’expression et la couleur au dessin, qui plaça la beauté dans des agencemens de lignes, et par la sobriété, l’élévation, la justesse de son esprit, fut l’Athènes de l’Italie ; mais çà et là une forme de tête, un menton fin, de grands yeux encore élargis par la grandeur de l’arcade sourcilière, un corps adorable de petit enfant, un air d’esprit, un charme plus intime, rappellent Léonard. Les trois grands peintres italiens qui se sont formés à Florence ont tous ajouté quelque chose au paganisme et à l’atticisme florentins, — Raphaël la candeur pieuse qu’il apportait de la religieuse Ombrie, — Michel-Ange l’énergie tragique qu’il trouvait dans son âme de combattant, — Léonard la supériorité exquise et pensive dont il laissa l’exemple à ses élèves de Lombardie.

Voici encore deux galeries qui renferment ensemble six ou sept cents tableaux, et sur lesquelles le seul parti sage est de se taire. J’en ai seulement noté cinq ou six, d’abord le Mariage de la Vierge de Raphaël. Il avait vingt et un ans, et copiait avec quelques petits changemens un tableau du Pérugin qui est au musée de Caen. C’est une aurore, la première aube de son invention. La couleur est presque dure et découpée en taches nettes par des contours secs. Le type moral des figures viriles n’est encore qu’indiqué ; deux adolescens et plusieurs jeunes filles ont la même tête ronde, les mêmes yeux petits, la même expression moutonnière d’enfant de chœur ou de communiante. Il ose à peine, sa pensée ne fait que poindre dans un crépuscule ; mais la poésie virginale est complète. Un grand espace libre s’étend derrière les personnages. Au fond, un temple en rotonde muni de portiques profile ses lignes régulières sur le ciel pur. L’azur s’ouvre amplement de toutes parts, comme dans la campagne d’Assise et de Pérouse ; les lointains paysages, d’abord verts, puis bleuâtres, enveloppent de leur sérénité la cérémonie. Avec une simplicité qui rappelle les ordonnances hiératiques, les personnages sont tous en une file sur le devant du tableau ; leurs deux groupes se correspondent de chaque côté des deux époux, et le grand-prêtre fait le centre. Au milieu de ce calme universel des figures, des attitudes et des lignes, la Vierge, modestement penchée, les yeux baissés, avance avec une demi-hésitation sa main où le grand-prêtre va mettre l’anneau de mariage. Elle ne sait que faire de l’autre main, et avec une gaucherie adorable la laisse collée à son manteau. Un voile diaphane et délicat effleure à peine ses divins cheveux blonds ; un ange qui l’aurait posé ne l’eût pas posé avec un soin et un respect plus chaste. Elle est grande pourtant, saine et belle comme une fille des montagnes, et près d’elle une superbe jeune femme en rouge clair, drapée d’un manteau vert, se tourne avec la fierté d’une déesse. C’est déjà la beauté païenne, le vif sentiment du corps agile et actif, l’esprit et le goût de la renaissance qui percent à travers la placidité et la piété monastiques.

Le contraste est bien fort quand on regarde le dernier des grands peintres de la renaissance, Corrège et son Repos de la Vierge. Le tableau est signé Antonius Lætus[19], et, quoiqu’on doute s’il est de lui, je me permets de le trouver charmant. Deux jeunes femmes, la Vierge et l’enfant Jésus, sont sous un arbre presque noir, sorte de repoussoir sombre qui ajoute encore à l’éclat extraordinaire des têtes. Les lignes droites et symétriques sont devenues onduleuses et contournées. Les figures paisibles et endormies ont quitté la régularité sculpturale et la noblesse simple. Maintenant le regard trouble, éblouit et pique ; leur vivacité, leur fierté, leur innocence, font penser à la finesse nerveuse des oiseaux. Plus séduisante et plus délicieuse encore que la Vierge est la jeune femme en robe jaune qui s’agenouille près d’elle une fiole à la main, parmi des clairs et des clairs obscurs d’une douceur et d’une splendeur merveilleuses ; une sorte de bouderie relève imperceptiblement sa lèvre. Après les figures viriles par lesquelles s’était exprimée l’énergie des passions intactes, il restait à l’art, qui s’exagérait pour déchoir, et aux âmes, qui s’affinaient en s’amollissant, le culte de la grâce féminine, tantôt mutine et mignonne, tantôt suave et pénétrante, infinie en attraits compliqués et nuancés, seule capable de remplir des cœurs auxquels l’action était interdite, et qui apparaît chez Corrège comme l’éclat amolli d’une fleur qui s’ouvre trop et va se faner, comme la maturité extrême d’une pêche fondante imprégnée par le soleil du soir.

Après lui, la restauration des Carrache n’empêche pas la décadence. Ces artistes si savans, si ingénieux, si laborieux, sont des peintres de mode ou d’académie. S’ils inventent encore, c’est hors du champ propre de la peinture, dans les expressions morales. Ils font des drames ou des mélodrames intéressans ou touchans. Entre vingt tableaux de cette école, il en est un célèbre du Guerchin, Agar chassée par Abraham. Agar pleure de désespoir et d’indignation ; mais elle se contient, l’orgueil féminin la raidit ; elle ne veut pas donner sa douleur en pâture à Sarah, sa rivale heureuse. Celle-ci a la hauteur d’une femme légitime qui fait chasser une maîtresse ; elle affecte de la dignité et cependant regarde du coin de l’œil avec une méchanceté satisfaite. Abraham est un père noble qui représente bien, mais dont la tête est vide ; il était difficile de lui trouver un autre rôle. Tout cela est spirituel et fournirait plusieurs pages à un Diderot ; mais la psychologie prend ici le pas sur la peinture.

Comme les Vénitiens se maintiennent intacts et gardent seuls le vrai point de vue ! Il y a cinq ou six Titien à l’Ambroisienne et autant de Véronèse à Brera, qui, avec une étoffe ployée, une cambrure de corps, un fond de ciel bleu rayé de feuillages roussâtres, suffisent à tous les désirs des yeux. Une Nativité de Titien montre la Vierge sous une espèce de hangar rustique, en bois noir, vers lequel s’avancent les rois mages ; l’un d’eux, Éthiopien, presque nègre, s’avance en jaquette de soie verte, coiffé d’une sorte de bonnet barbare surmonté par un énorme plumet rouge ; imaginez sous ce repoussoir l’effet d’un teint de suie éclairé par trois petites lumières, l’une sur l’œil, l’autre sur les dents blanches, l’autre sur la perle de l’oreille. Le second, gros potentat, bien nourri et chauve, s’étale dans une vaste robe de soie jaune à ramages d’or. Le troisième, un vieux guerrier tout en rouge, l’épée au côté et debout, ose à peine approcher sa rude barbe grisonnante du bout des pieds du petit enfant. — Il est clair que tous ces peintres copient avec une joie sincère les pompes et les fêtes environnantes ; la pédanterie ne vient point les brider ; leurs tableaux leur viennent par le jaillissement d’un libre instinct, non par les combinaisons de préceptes académiques. A cet égard, un Moïse sauvé des eaux, par Bonifazio, serait plaisant, s’il n’était splendide. Heureusement personne ne songe ici à Moïse : la scène n’est qu’une partie de plaisir près de Padoue ou de Vérone pour de belles dames et de grands seigneurs. On voit des gens en beau costume du temps sous de grands arbres, dans une large campagne montagneuse. La princesse a voulu se promener et a emmené tout son train : chiens, chevaux, singes, musiciens, écuyers, dames d’honneur. Dans le lointain arrive le reste de la cavalcade. Ceux qui ont mis pied à terre prennent le frais sous les feuillages ; ils se donnent un concert ; les seigneurs sont couchés aux pieds des dames et chantent, la toque sur la tête, l’épée au côté ; elles, rieuses, causent en écoutant. Leurs robes de soie et de velours, tantôt rousses et rayées d’or, tantôt glauques ou d’azur foncé, leurs manches bouffantes à crevés font des groupes de tons magnifiques sur les profondeurs de la feuillée. Elles sont de loisir et jouissent de la vie. Quelques-unes regardent le nain qui donne un fruit au singe, ou le petit nègre en jaquette bleue qui tient en laisse les chiens de chasse. Au milieu d’elles et plus fastueuse encore, comme le premier joyau d’une parure, la princesse est debout ; un riche surtout de velours bleu fendu et rattaché par des boutons de diamans laisse voir sa robe feuille-morte ; la chemise pailletée de semis d’or avive par sa blancheur la chair satinée du col et du menton, et des perles s’enroulent avec de molles lueurs dans les torsades de ses cheveux roussâtres.

Tout cela languit auprès d’une ébauche de Velasquez, largement faite avec quelques taches informes de couleur. C’est un buste de moine mort, grand comme nature, d’une vérité effrayante et sublime. Il n’est pas mort depuis longtemps, la face n’est pas encore terreuse, mais les lèvres sont pâles et les yeux lourdement clos ; la raideur du cou casse l’étoffe brunie. Rien d’idéal ; la tragédie réelle suffit et au-delà ; un coup de soleil tombe sur ce masque vulgaire, rasé, d’une seule couleur, enveloppé dans les plis sombres de la cape ; sous cet éclat extérieur, la fuite de la vie intérieure devient plus tragique ; l’homme est vide maintenant, et le débris livide, immobile qui reste de lui, n’est plus qu’une forme. En vain le front contracté garde la marque des sueurs de l’agonie, l’agonie vient de finir, et on sent maintenant de quel poids pèse la formidable main de la mort. Sous cette main, le corps est devenu subitement une sale argile, un amas de boue qui de lui-même va se défaire, et ne conserve que par une usurpation passagère l’empreinte de l’homme évanoui.


Les lacs, 8 avril.

Après trois mois passés devant des tableaux et des statues, on est comme un homme qui pendant trois mois a dîné tous les jours en ville : donnez-moi du pain et pas d’ananas.

On monte en chemin de fer l’esprit léger, sachant qu’à l’arrivée on trouvera des eaux, des arbres, des montagnes véritables, que les paysages n’auront plus trois pieds de long et ne seront plus enfermés dans quatre baguettes d’or. On regarde avec soulagement le beau pays fertile, onduleux, où les routes blanches font des rubans parmi les cultures vertes. On arrive à Monza, vieille petite ville célèbre au moyen âge, et on se garde bien d’aller voir la couronne de fer et les joyaux de la reine lombarde Théodolinde. On laisse là les véritables antiquités et tout le bric-à-brac historique. On a bien plus de plaisir à flâner dans les jolies rues ; tout au plus on regarde en passant la façade de la cathédrale, d’un gothique gai, italien, presque simple, où l’élégante chaire, demi-ogivale, demi-classique, parée de niches à coquilles et de colonnettes tordues, encadre parmi des trèfles et des ogives des figures sévères d’apôtres et de saints. Ces formes gracieuses ou belles laissent dans l’esprit une sorte de mélodie poétique ; elle continue dans la tête pendant que les jambes vaguent dans les rues ; la petite ville, agréable comme celles de notre Touraine, ne semble pas bourgeoise comme celles de notre Touraine. On remonte en voiture, et on laisse aller ses yeux sur les coteaux pleins d’arbres qui se suivent pour conduire la route jusqu’aux vieilles portes de Côme. Les hôtels sont sur le port, et des fenêtres on voit le grand espace d’eau bleue qui s’enfonce dans l’or du soir. Une estacade protège les barques, et la brume qui tombe enveloppe de sa moiteur les ondulations luisantes. La nuit est venue ; dans la noirceur universelle, les montagnes font un cercle plus noir autour du lac ; un falot, quelques lumières lointaines vacillent çà et là comme des étoiles survivantes ; la fraîcheur de l’eau arrive apportée par une petite brise ; le port et la place sont vides, et l’on se sent abrité et reposé par le grand silence.

Au matin, on prend le bateau à vapeur qui fait le tour du lac, et toute la journée, sans fatigue, sans pensée, on nage dans une coupe de lumière. Les bords sont semés de villages blancs, qui viennent poser leurs pieds dans l’eau ; les montagnes descendent doucement, et leur pyramide est peuplée jusqu’à mi-côte ; des oliviers pâles, des mûriers à tête ronde s’échelonnent sur les mamelons ; des maisons de plaisance s’encadrent sous de beaux ombrages, et abaissent leurs terrasses étagées jusqu’à la plage. Vers Bellagio, des myrtes, des citronniers, des parterres de fleurs font des bouquets blancs ou pourprés entre les deux branches azurées du lac ; mais, en s’enfonçant vers le nord, le pays devient grand et sévère ; ses monts se redressent et se pèlent ; les cassures raides du roc primitif, les crêtes dentelées blanches de neige, les longues ravines où dorment de vieilles couches de givre bossellent ou sillonnent de leurs enchevêtremens le dôme uniforme du ciel. Plusieurs hautes montagnes semblent des bastions rangés en cercle ; le lac était jadis un glacier, et le frottement de ses parois a lentement rongé et arrondi les pentes. Dans ces gorges inhospitalières, nulle verdure ou trace de vie ; on cesse de se sentir sur la terre habitée, on est dans le monde minéral, antérieur à l’homme, sur une planète nue où les seuls hôtes sont l’air, la pierre et l’eau : une grande eau, fille des neiges éternelles, autour d’elle une assemblée de montagnes graves qui trempent leurs pieds dans son azur ; par derrière, une seconde rangée de pics blanchis, plus sauvages et plus primitifs encore, comme un cercle supérieur de dieux géans, — tous immobiles et pourtant tous différens, aussi expressifs et aussi variés que des physionomies humaines, mais revêtus d’une chaude teinte veloutée par l’air vaporeux et la distance, pacifiques dans la jouissance de leur magnifique éternité. Le vent était tombé, et le grand luminaire du ciel, au-dessus de l’horizon fermé, flamboyait de toute sa force. Le bleu du lac devenait plus profond ; autour du bateau, des ondulations de velours s’enflaient et s’abaissaient sans cesse, et dans les creux, entre les bandes azurées, le soleil allongeait d’autres bandes mouvantes, comme une soie jaune pailletée d’étincelles.


Côme. — Le Dôme.

On a beau s’être promis qu’on ne verra plus d’œuvres d’art, il y en a partout en Italie, et cette petite ville a une cathédrale si belle !

On n’a pas trouvé un plus heureux mélange de l’italien et du gothique[20], une plus belle simplicité relevée çà et là de fantaisie et d’agrément. La façade est le pignon ordinaire, composé de deux maisons emboîtées, l’une supérieure, l’autre inférieure, nettement marquées par quatre cordons perpendiculaires de statues. On reconnaît le type et l’ossature de l’architecture nationale telle que Pise, Sienne, Vérone, l’ont inventée en refaisant les basiliques. Elle est chrétienne, mais elle est gaie ; quoique les pleins dominent, la variété et la finesse, ne manquent point. On suit l’assiette du mur, mais il est brodé ; il est brodé, mais avec mesure. Les niches des statues sont à coquilles ; mais chaque file de niches se termine par le plus fleuri et le plus élégant petit clocheton. La nudité de la façade est diversifiée par une grande rosace, par quatre hautes fenêtres, par les quatre files de niches et de statues ; pour achever de rompre la monotonie, l’artiste a posé sur les deux flancs deux grandes niches qui avancent, et dans lesquelles l’ange d’un côté, la Vierge de l’autre, sont debout entre de jolies colonnettes tordues sous des pinacles aigus. Au-dessus de la rosace elle-même s’étagent deux niches, l’une étroite et gothique qui porte le Christ, l’autre large où les formes ogivales se mêlent aux formes de la renaissance, et où un second Christ, entre l’ange et sa mère, semble étendre sa bénédiction sur tout l’édifice. Plus, haut encore, à la cime extrême et centrale, au-dessus de cette pyramide svelte et montante, on voit se dresser, comme le couronnement d’un candélabre, la plus mignonne et la plus charmante tourelle découpée à jour, quatre étages délicats de pilastres sculptés et de colonnettes grecques, exhaussés et affilés par une coiffure de fleurons et de dentelures gothiques. Nulle part on n’a vu une façade latine où la riche invention de la renaissance et la finesse tourmentée du goût ogival s’accordent avec une sobriété plus exquise et un élan plus vif.

Mais l’esprit de la renaissance domine. On s’en aperçoit à l’abondance et à la beauté des statues. Le plaisir de contempler et d’ennoblir la forme humaine est le signe distinctif de cet âge où l’homme affranchi de la superstition et de la misère antiques commence à sentir sa force, à admirer son génie, à prendre pour lui-même la place des dieux sous lesquels il s’humiliait. Non-seulement des cordons de statues enserrent les quatre lignes de l’édifice et s’étagent au-dessus de la rosace, mais les fenêtres en sont bordées, la porte du centre en est flanquée et s’en couronne, la courbure des trois portails en est peuplée. Elles sont du meilleur temps et appartiennent à l’aube de la renaissance[21]. Leur simplicité, leur sérieux, leur originalité, leur vigueur d’expression, témoignent d’un art sain et jeune. Quelques figures de jeunes gens en pourpoint, en culottes collantes, sont des pages chevaleresques aux jambes un peu grêles comme en peignait le Pérugin. Sans doute des naïvetés, des demi-gaucheries, une imitation trop littérale des formes réelles, indiquent que l’esprit n’a pas encore atteint tout son essor, sans doute encore des cambrures exagérées, des chevelures surabondantes comme celles de Léonard annoncent le premier excès et la sève irrégulière de l’invention ; mais le sculpteur sent si bien la vie ! On voit qu’il la découvre, qu’il s’en éprend, que son âme en est pleine, qu’un jeune homme hautain, une madone virginale et immobile, suffisent à l’occuper tout entier, que les diversités de la tête et de l’attitude humaine, le mouvement des muscles et des draperies, toute la grandeur et toute l’action du corps se sont imprimées dans sa pensée par un contact direct, avec une compréhension spontanée, sans tradition académique. De Ghiberti à Michel-Ange, la sculpture italienne à multiplié les chefs-d’œuvre : ses statuettes, ses bas-reliefs, son orfèvrerie, sont tout un monde ; si dans la grande statue isolée elle demeure inférieure à la sculpture grecque, elle l’égale dans les statues subordonnées et dans l’ornementation générale. La statue ainsi comprise entre comme une portion dans un tout. Les dessus des trois portes de la façade sont des tableaux comme les bas-reliefs de Ghiberti ; la Nativité, la Circoncision, l’Adoration des Mages et sur la façade du nord la Visitation s’y déploient en scènes complètes par une multitude de figures groupées, parfois avec une profusion riante d’arabesques, dont les personnages eux-mêmes ne sont qu’un fragment. La porte septentrionale est un arc porté par deux colonnes et deux pilastres, tout peuplé et fleuri comme les frontispices des livres du temps. Des enfans nus s’accrochent aux rebords, jouent avec des dauphins, chevauchent sur des chèvres ; d’autres soufflent dans une cornemuse. De petits amours marins font frétiller leur queue de serpent parmi des grenouilles qui sautent. Des oiseaux aux ailes déployées viennent becqueter des cornes d’abondance. Sur les fenêtres voisines court une frise de larges fleurs épanouies, de corps enfantins, de médaillons sévères. Tous les règnes de la nature, tout le gracieux et luxueux pêle-mêle du monde fantastique et du monde réel s’ordonne et s’agite dans la pierre comme un carnaval païen dans les jardins d’Alcine avec la capricieuse et facile invention de l’Arioste ; L’architecture elle-même s’accommode à cette fête élégante ; elle fait des bijoux pour l’encadrer. Le baptistère est un charmant petit pavillon de marbre dont les colonnettes font cercle pour porter un toit rond et abriter le vase sculpté qui contient l’eau lustrale. Les niches qui flanquent la grande entrée sont de sveltes petits portiques où serpentent des arabesques légères. Peut-être faut-il dire que le centre de l’art à la renaissance, c’est l’art décoratif. La commande en Grèce vient surtout de la cité, qui veut avoir un mémorial de ses héros et de ses dieux. La commande à Florence vient surtout des particuliers riches, qui veulent avoir des aiguières, des cabinets d’ivoire ou d’ébène, des orfèvreries, des murs et des plafonds peints, des stucs sculptés pour orner leurs appartemens[22]. Là-bas l’art était plutôt chose publique, partant plus grave, plus simple, mieux disposé pour exprimer la grandeur calme. Ici l’art est plutôt une chose privée, partant plus flexible, moins solennel, plus enclin à chercher l’agrément, à produire le plaisir, à proportionner ses dimensions et ses inventions au luxe dont il est le fournisseur.


De Côme au Lac-Majeur.

Joli pays, vert et fertile, parsemé de villages et de maisons de campagne ; leurs allées de peupliers se prolongent jusqu’à la route et finissent par un cercle de bancs de pierre sous un ombrage. Les moissons se continuent l’une dans l’autre, sous des lignes de mûriers ; d’un mûrier à l’autre, un mince sarment de vigne court, ouvrant ses petites feuilles traversées par la lumière. Le blé, le vin, la soie, font partout sur le même champ une triple récolte.

C’est jour de fête ; les gens sont dehors, en habits de dimanche ; ils n’ont point l’air indigens, leurs maisons sont en bon état, les femmes ont des châles bariolés de violet et de rouge, des robes noires qui tombent en tuyaux, des pendans d’oreilles, une couronne d’aiguilles en argent qui maintient leur voile et leurs cheveux. À prendre les choses en gros, c’est à peu près le bien-être de la Touraine. Seulement la plupart des enfans vont pieds nus, les chevaux des diligences sont des rosses maigres comme en Provence, et beaucoup de traits indiquent la négligence, l’ignorance, le goût du plaisir, la superstition comme dans notre midi. On voit quantité de madones et tout à côté un avertissement pour que le passant dise un ave. Parfois les murs représentent des damnés dans les flammes, et une inscription conseille aux vivans de prendre garde à eux. À Milan, dans la cathédrale, Jésus en croix est entouré de trois ou quatre cents petits cœurs d’argent ; les fidèles confessés et repentans qui diront devant le chœur un pater et un ave obtiendront cent ans d’indulgences ; s’ils sont vieux ou impotens, ils n’ont qu’à envoyer quelqu’un à leur place, ils ne profiteront pas moins. Un de mes amis vénitiens juge que dans sa province la disposition d’esprit est la même ; les paysans sont dévots au saint-père ; si pauvres qu’ils soient, ils donnent leur argent pour faire dire des messes ; leur vive imagination fournit une prise stable à la religion des rites.

C’est pourquoi ils ne sont que très médiocrement patriotes. Dans la dernière campagne, nos officiers les trouvaient mieux disposés pour les Autrichiens que pour les Piémontais. L’administration allemande avait été régulière, assez douce, même paternelle pour les paysans ; ceux-ci, ne lisant point et ne s’occupant point de politique, n’avaient point de mauvais vouloir contre elle. Quand l’orgueil et le sentiment national manquent, peu importe que le maître soit étranger ; il suffit qu’il laisse danser, boire, faire l’amour et qu’il paie bien les services. Un batelier, homme avisé comme ils le sont presque tous, me disait : « Les Autrichiens étaient de bonnes gens ; ils faisaient beaucoup travailler ; le commerce allait mieux de leur temps. Ils n’étaient mauvais que pour les signori, et parce que les signori étaient toujours contre eux. Aujourd’hui les signori sont contens, ils ont tout, leurs fils sont officiers. Ce sont les pauvres qui sont malheureux ; aucun paysan n’a de bien, toute la terre est aux riches. Un journalier gagne trente sous par jour, le kilogramme de viande coûte 85 centimes, le kilogramme de pain 40 centimes, et l’on paie autant d’impôts qu’auparavant. » — Cette race intelligente et sensuelle ne voit qu’un but à la vie, le plaisir et l’oisiveté. Un bourgeois du pays me disait : « Ils voudraient jouir et ne rien faire, » et ils estiment un gouvernement d’autant plus que sous lui leurs amusemens et leur loisir sont plus grands.

En revanche, les bourgeois et les nobles, tous ceux qui ont un habit de drap et lisent les journaux sont passionnés pour l’Italie. En 1848, Milan a combattu trois jours et chassé les Autrichiens avec ses seules forces. Quand les Français après la victoire de Magenta entrèrent dans la ville, la joie, la reconnaissance, l’enthousiasme montèrent jusqu’au délire. Un soldat parut d’abord, il était seul ; le concours des gens qui le fêtaient et l’embrassaient fut tel qu’il ne pouvait plus se tenir debout ; sa tête allait deçà, delà ; il fléchissait d’épuisement. Un peu après, les premiers bataillons arrivèrent. Les jeunes filles avec leurs mères allaient dans la rue embrasser les soldats, même les turcos. Ces bataillons restèrent quinze jours ; cafés, restaurans, tout était à leur discrétion, on ne leur permit pas de payer un centime. Impossible à un Milanais de faire apporter une glace chez soi, tout était pour les Français ; impossible à un Milanais malade d’avoir un médecin, ils ne soignaient que les blessés français. Après la bataille de Solferino, les dames venaient les visiter dans les hôpitaux ; toutes les maisons particulières s’en étaient remplies, on se les disputait ; plusieurs capitaines guéris épousèrent de riches héritières. Ce n’est pas que les Autrichiens fussent grossiers ou insolens ; au contraire ils étaient doux, bien élevés, distingués, patiens à l’extrême. Par ordre de leurs chefs, les officiers évitaient les duels ; on les coudoyait au théâtre, on leur marchait sur les pieds : ils se taisaient ; sans cela, ils se seraient battus tous les jours. Le sentiment national était intraitable à leur endroit, et il l’est encore. Dernièrement une dame milanaise qui avait porté de l’argent au pape fut reconnue dans sa loge au théâtre, sifflée, huée, jusqu’à être contrainte de sortir par une porte de derrière. Je lis deux ou trois journaux tous les jours, je n’en vois point, sauf l’Unità, qui ne soient patriotes. Les caricatures sont brutales contre le pape ; on voit la Mort, une boule à la main, qui l’atteint entre les jambes de l’empereur Napoléon ; la Mort est un joueur qui fait un coup inattendu et délivre l’Italie. Garibaldi est admiré, exalté, adoré jusque dans les moindres auberges ; le conducteur de la voiture me montre à Varèse la maison où il épousa sa seconde femme, « la mauvaise, » et le mur où il fit sa barricade. On ne peut exprimer à quel degré il est populaire en Italie ; Jeanne d’Arc l’a moins été en France. A Levano, je vois sur le mur du café une inscription portant que le fils de la maison a été tué pour la patrie en combattant en Sicile aux côtés du héros national. Le soir et l’après-midi, aux cafés, sur les places, tous les demi-bourgeois, boutiquiers, commis, lisent leur journal et discutent les plans des ministres. Même, à dire vrai, ils discutent trop, et s’amusent à des paroles. Ces races latines et méridionales semblent composées d’amateurs, qui, ayant la conception prompte et la langue facile, planent et circulent au-dessus de l’action sans s’y engager. Le raisonnement leur plaît par lui-même ; le discours fournit un débouché à leur humeur oratoire ; la conversation politique forme une sorte d’opéra seria dont les suites sont languissantes, parce qu’il est complet en lui-même et se suffit. Ils n’approfondissent pas ; leurs journaux politiques sont autant au-dessous des nôtres que les nôtres sont au-dessous des journaux anglais. On y trouve l’ébullition superficielle des facultés primesautières, mais non la réflexion véritable ou la science solide. Ils divertissent leur esprit, ils ne le tendent pas, et en ce moment l’Italie a plus besoin d’œuvres que de paroles ; les finances sont sa plaie. Pour devenir un peuple indépendant et un état armé, il faut qu’elle paie davantage, partant qu’elle produise et qu’elle travaille davantage. Un bourgeois qui fonde une manufacture, un propriétaire qui draine ses terres, un artisan qui allonge sa journée d’une heure, sont en ce moment les meilleurs citoyens. Il s’agit non de s’exclamer et de lire les journaux, mais de bêcher, de fabriquer, calculer, apprendre, inventer, toutes occupations ennuyeuses, positives, assujettissantes, que volontiers on laisserait à des lourdauds du nord. C’est un dur passage que celui de la vie épicurienne et spéculative à la vie industrielle et militante : il semble que de dilettante et patricien on devienne serf et machine ; mais il faut opter. Quand on aspire à former une grande nation moderne, il faut, pour subsister en face des autres, accepter les nécessités que s’imposent les autres, je veux dire le travail assidu et régulier, la contrainte exercée sur soi par soi-même, la discipline des intelligences tournées avec méthode vers un but fixe, l’enrégimentation des personnes enfermées dans un cadre et aiguillonnées par la concurrence, la perte de l’insouciance, la diminution de la gaîté, la mutilation et la concentration des facultés, la perpétuité et le raidissement de l’effort, bref tout ce qui sépare un Italien des trois derniers siècles d’un Anglais ou d’un Américain moderne.


Le Lac-Majeur, les Alpes, 10 avril.

Si j’avais à choisir une maison de campagne, je la prendrais ici. Du haut de Varèse, lorsqu’on commence à descendre, on aperçoit sous ses pieds une large plaine où s’allongent des collines basses. Tout l’espace est vêtu de verdure et d’arbres, moissons et prés tachetés de fleurs blanches et jaunes comme le velours d’une robe vénitienne, mûriers et vignes, plus loin des bouquets de chênes, des peupliers, et çà et là, entre les collines, de beaux lacs tranquilles, unis, largement épandus, qui luisent comme des miroirs d’acier. C’est la fraîcheur d’un paysage anglais parmi les nobles lignes d’un tableau de Claude Lorrain. Les montagnes et le ciel donnent la majesté, l’eau surabondante donne la moiteur et la grâce. Les deux natures, celle du midi et celle du nord, s’unissent ici dans un heureux et amical embrassement, pour assembler les douceurs d’un parc herbeux et les grandeurs d’un cirque de hautes roches. Le lac lui-même est bien plus varié que celui de Côme : il n’est pas encaissé d’un bout à l’autre entre des collines dénudées et abruptes ; il a des montagnes raides, mais en outre des coteaux adoucis, des draperies de forêts, des perspectives de plaines. De Laveno, on voit sa large nappe immobile, çà et là rayée et damasquinée comme une cuirasse par d’innombrables écailles, sous une flambée de soleil qui traverse le dôme de nuages ; c’est à peine si la brise insensible amène une ondulation mourante contre les graviers du bord. Vers l’est, un sentier contourne le bord à mi-côte parmi des haies vertes, des figuiers qui s’ouvrent, des fleurs printanières, et toute sorte de bonnes odeurs. La grande eau se découvre toute nue et paisible ; on aperçoit une petite barque qui enfle sa voile, deux bourgades blanches qui à cette distance semblent des ouvrages de castors. De loin en loin, des montagnes hérissées d’arbres descendent jusque dans l’eau, étalant leur pyramide pendant que leur tête brouillée disparaît à demi dans les nuées grisâtres.

Au soleil levant, on prend une barque et on traverse le lac dans la vapeur transparente du matin. Il est large comme un bras de mer, et les petits flots d’un bleu plombé luisent faiblement. Le brouillard vague enveloppe le ciel et l’eau de sa grisaille. Par degrés il s’amincit, s’envole, et dans ses mailles plus rares on sent filtrer la belle lumière et la bonne chaleur. On chemine ainsi pendant deux heures dans la suavité monotone et molle de l’air demi-clair, agité par la brise comme par les petits coups d’un éventail de plumes ; puis l’ouverture se fait, et l’on n’aperçoit plus autour de soi qu’azur et lumière, — autour de soi l’eau, semblable à une grande étoffe de velours plissé, — au-dessus de soi le ciel, uni comme une conque de saphir ardent. Cependant un point blanc surgit, s’accroît, se détache : c’est l’Isola-Madre, enserrée dans ses terrasses ; le flot bat ses grandes dalles bleuâtres et saupoudre d’humidité ses feuillages lustrés. On débarque ; sur les parois du rebord, des aloès aux feuilles massives, des figuiers d’Inde aux larges raquettes, chauffent au soleil leur végétation tropicale ; des allées de citronniers tournent le long des murailles, et leurs fruits verts ou jaunes se collent contre les quartiers de roche. Quatre étages d’assises vont ainsi se superposant sous leur parure de plantes précieuses. Au sommet, l’île est une touffe de verdure qui bombe au-dessus de l’eau ses massifs de feuillages, lauriers, chênes-verts, platanes, grenadiers, arbres exotiques, glycines en fleur, buissons d’azaléas épanouis. On marche enveloppé de fraîcheur et de parfums ; personne, sauf un gardien. L’île est déserte et semble attendre un jeune prince et une jeune fée pour abriter leurs fiançailles. Toute tapissée de fins gazons et d’arbres fleuris, elle n’est plus qu’un beau bouquet matinal, rose, blanc, violet, autour duquel voltigent les abeilles ; ses prairies immaculées sont constellées de primevères et d’anémones, les paons et les faisans y promènent pacifiquement leurs robes d’or étoilées d’yeux ou vernissées de pourpre, souverains incontestés dans un peuple de petits oiseaux qui sautillent et se répondent.

Je n’étais plus capable de sentir les œuvres calculées de l’architecture, surtout les formes contournées et la décoration artificielle des derniers siècles. Les dix terrasses voûtées d’Isola-Bella, ses grottes de rocaille et de mosaïque, ses appartemens lambrissés de tableaux et peuplés de curiosités, ses bassins, ses jets d’eau, m’ont paru compassés et m’ont laissé froid. Je regardais la côte occidentale qui est en face, escarpée et toute verte, et qui semble vraiment faite pour le plaisir des yeux. Les hautes et pacifiques montagnes s’y dressent de toute leur taille, et l’on a hâte d’aller s’asseoir sur leurs gazons. Des prairies inclinées, d’une fraîcheur incomparable, revêtent les premières pentes. Les narcisses, les euphorbes, les fleurettes purpurines foisonnent dans tous les creux ; les myosotis par couvées ouvrent leurs petits yeux d’azur, et leurs têtes tremblent dans le suintement des sources, on voit affluer d’en haut des milliers de filets qui sautent et se croisent ; des cascades mignonnes éparpillent sur l’herbe leur pluie de perles, et des ruisseaux de diamans, recueillant toutes ces eaux fuyardes, courent les dégorger dans le lac. Çà et là, sur toutes ces fraîcheurs et tous ces petits bruits, des chênes étalent le lustre de leur verdure nouvelle et montent d’étage en étage tant qu’enfin la hauteur disparaît sous leurs files, et qu’au sommet le ciel est barré par la colonnade indéterminée d’une forêt. Au-dessous, le lac étend son azur uniforme dans une bordure de grève blanche.

A deux heures du matin, on monte dans la voiture qui passe. C’est le dernier jour du voyage ; nulle part l’Italie n’est plus belle. Vers quatre heures, une divine aube indistincte affleure dans la nuit comme la pâleur d’une statue pudique, un reflet de nacre lointaine se pose sur les hauteurs, et des demi-clartés naissantes hasardent leur teinte gris de perle sous le bleu nocturne. Les étoiles scintillent, mais tout le reste de l’air est brun, et sur le sol rampent des ombres semblables à des moires. La voiture s’arrête et traverse une rivière sur un bac. Dans le silence et l’effacement universel des êtres, cette eau est la seule chose qui vive ; elle vit et remue imperceptiblement ; sa nappe coulante luit rayée de petits remous qui s’entrelacent entre les rives noires. Cependant les arbres s’éveillent dans la brume ; on aperçoit à leur cime les pousses enveloppées de rosée qui semblent attendre l’achèvement du jour. Le ciel blanchit et l’aurore éteint les étoiles ; de toutes parts, les plantes et les verdures se dégagent, leur voile de gaze s’amincit et s’évapore, la couleur leur vient, elles renaissent à la lumière, et l’on sent le doux étonnement des créatures surprises de se retrouver au même endroit que la veille et de recommencer leur vie suspendue. Toute la gorge s’est peuplée, et des deux côtés de ce charmant peuple épars les monstrueuses montagnes comme des géans protecteurs montent toutes sombres, dentelant de leurs têtes le blanc lumineux du ciel. Enfin d’une crête cassée une flamme jaillit ; un jet subit, éblouissant, perce la vapeur ; des pans de verdure s’illuminent, les ruisseaux resplendissent ; les grosses vignes antiques, les dômes ronds des arbres, les arabesques délicates des herbes grimpantes, tout le luxe d’une végétation nourrie par la fraîcheur des eaux éternelles et par la tiédeur des roches échauffées s’étale comme une parure de fée dans sa gaze d’or. Non, ce n’est point d’une fée qu’on doit parler ici, c’est d’une déesse. Le fantastique n’est qu’un caprice et une maladie de la cervelle humaine ; la nature est saine et stable, et nos rêveries discordantes n’ont pas le droit de se comparer à sa beauté. Elle se soutient et se développe par elle-même ; elle est indépendante et parfaite, agissante et sereine, voilà tout ce que nous pouvons dire ; si nous osons la comparer à quelque œuvre humaine, c’est aux dieux grecs, aux grandes Pallas, aux Jupiters surhumains d’Athènes ; elle se suffit comme ils se suffisent. Nous ne pouvons pas l’aimer, nos paroles ne l’atteignent point ; elle est au-delà de nous, indifférente. Nous ne pouvons que la contempler comme les effigies des temples, muets, la tête nue, pour imprimer en notre esprit sa forme accomplie et raffermir notre être fragile au contact de son immortalité ; mais cette contemplation seule est une délivrance. Nous sortons de notre tumulte, de nos pensées éphémères et brisées. Qu’est-ce que l’histoire, sinon un conflit d’efforts inachevés et d’œuvres avortées ? Qu’ai-je vu dans cette Italie, sinon un tâtonnement séculaire de génies qui se contredisent, de croyances qui se défont, d’entreprises qui n’aboutissent pas ? Qu’est-ce qu’un musée, sinon un cimetière, et qu’est-ce qu’une peinture, une statuaire, une architecture, sinon le mémorial qu’une génération mortelle se dresse anxieusement à elle-même pour prolonger sa pensée caduque par un sépulcre aussi caduc que sa pensée ? Au contraire, devant les eaux, le ciel, les montagnes, on se sent devant des êtres achevés et toujours jeunes. L’accident n’a pas de prise sur eux, ils sont les mêmes qu’au premier jour ; le même printemps y jettera tous les ans à pleines mains la même sève ; nos défaillances se relèvent devant leur force, et notre inquiétude s’amortit sous leur paix. A travers eux apparaît la puissance uniforme qui se déploie par la variété et les transformations des choses, la grande mère féconde et calme que rien ne trouble parce que hors d’elle il n’y a rien. Alors, dans l’âme, une sensation se dégage, inconnue et profonde. C’est son fond même qui apparaît ; les couches innombrables dont la vie l’a encroûtée, ses débris de passions et d’espérances, toute la boue humaine qui s’est entassée à sa surface se défait et disparaît ; elle redevient simple, elle retrouve l’instinct des anciens jours, les vagues paroles monotones qui la mettaient jadis en communication avec les dieux, avec ces dieux naturels qui vivent dans les choses ; elle sent que toutes les paroles que depuis elle a prononcées ou entendues ne sont qu’un bavardage compliqué, une agitation d’esprit, un bruit de rue, et que s’il y a une minute saine et désirable dans sa vie, c’est celle où, quittant les tracasseries de sa fourmilière, elle perçoit, comme disent les vieux sages, l’harmonie des sphères, c’est-à-dire la palpitation de l’univers éternel. La route gravit les escarpemens, et vers Isola les montagnes se dénudent et se serrent. Des murailles de roc hautes de quinze cents pieds enferment le chemin dans leur défilé. Leurs assises jaunâtres, noircies par les suintemens des sources, leurs tours, leur chaos de ruines lézardées et déformées, semblent l’effondrement et l’entassement d’un millier de cathédrales. On cherche en vain dans sa mémoire ou dans ses songes des formes de cette espèce ; on pense à quelque énorme tronc déchiqueté à coups de hache par un colosse aveugle dont les enfans, plus faibles, surviennent ensuite avec des serpes longues de cent pieds, pleins d’une rage obstinée pour taillader les grandes entailles de leur père. Il faudrait un pareil acharnement et une pareille folie pour expliquer ces grandes brèches à pic, ces subites tranchées, ces crêtes et ces aiguilles surplombantes, ces craquemens, cette monstrueuse sauvagerie du désordre. Des traînées de givre terni rampent dans les creux, et chacune d’elles suinte, puis coule ; ainsi de toutes parts les eaux accourent et se croisent, tantôt sinueuses et collées aux parois brunes, tantôt éparpillées en cascades et ouvrant en l’air leur panache d’écume. Dans les lointains, des fumées montent, et le torrent se débat en grondant entre les quartiers de roche.

On monte encore, et la neige étincelle entre les cimes ; quelquefois elle blanchit tout un versant, et quand le soleil tombe sur elle, sa splendeur est si forte que les yeux blessés se ferment. Le défilé s’élargit, et des champs inclinés s’étalent dans leur suaire de neige. Tout n’est pas nu cependant : des armées de mélèzes grimpent en désordre et d’un air résigné à l’assaut des pentes ; leurs pousses nouvelles leur font un étrange vêtement jaunâtre, quelques sapins moroses les tachent de leurs cônes noirs, ils montent en files parmi les troncs mourans, les cadavres d’arbres mutilés et tout le ravage des avalanches ; pareils aux survivans d’un champ de bataille, ils ont l’air de savoir qu’ils vont combattre encore et de deviner tout ce qu’ils auront à souffrir. Au sommet, près de l’hospice et du village du Simplon, s’étend un morne plateau labouré de fondrières, tout blafard de neiges fondantes, semblable à un cimetière abandonné et dévasté. C’est ici la borne de deux régions, et il semble que ce soit la borne de deux mondes ; les cimes éblouissantes se confondent avec la blancheur des nuages, en sorte qu’on ne sait plus où finit la terre et où commence le ciel.


H. TAINE.

  1. Voyez la Revue du 1er mai.
  2. Le clocher est de 1045.
  3. Comparez à la Vie de Cyrus par Xénophon.
  4. 1277, 1301,1304,1311, 1359.
  5. 1375.
  6. 1556.
  7. Commencée en 1386. Les architectes sont allemands et français.
  8. 1538.
  9. Comparez le cloître de Saint-Trophime à Arles, un des plus curieux et des plus complets monumens du premier moyen âge.
  10. La troisième en commençant par la gauche.
  11. Comparez les copies contemporaines, celles de Marco d’Oggione à Brera, celle du Louvre.
  12. Numéros 177-178.
  13. Au Louvre.
  14. Rio, Histoire de l’Art chrétien, t. III, ch. XVI. Il n’est pas sûr que Luini ait été l’élève direct de Léonard.
  15. Le carton est en face.
  16. Numéro 105, sans nom d’auteur. Luini est contemporain et presque concitoyen du Corrège
  17. Mot de Lomazzo.
  18. « Luini imite Gaudenzio Ferrari pour l’expression des choses religieuses et Raphaël pour la manière. » (Lomazzo.)
  19. Lætus, forme latine d’Allegri.« 
  20. Commencée en 1396 ; la façade terminée en 1526.
  21. Deux statues aux flancs de la grande porte sont datées de 1498.
  22. Voyez les vies de Paolo Uccello, Dello, Verocchio, Pollaiolo, Donatello, dans Vasari. La peinture et la sculpture au XVe siècle sortent de l’orfèvrerie.