L’Italie pendant la dernière guerre (1859-1861)
Né dans les pays italiens que l’Autriche opprime encore, exilé en 1848 pour avoir voulu se mêler à la lutte qui devait affranchir sa terre natale, réfugié en Angleterre pendant dix années consécutives, c’est comme correspondant attitré d’un des principaux organes (de la presse anglaise que le comte Charles Arrivabene suivit jour par jour, et de fort près, les événemens militaires et révolutionnaires qui, de 1859 à 1861, ont changé les destinées de l’Italie et profondément modifié les conditions essentielles de l’équilibre européen. Il publie maintenant les souvenirs de cette vie aventureuse qui le conduisit tour à tour d’un état-major à l’autre, près de Victor-Emmanuel, près de Garibaldi, dans le cabinet de plus d’un ministre et dans mainte réunion populaire, dînant aujourd’hui avec M. de Cavour chez quelque marquise de Turin ou de Milan, assis le lendemain au feu d’un bivac et chantant avec les jeunes recrues venues de Venise ou de Mantoue la fameuse chanson de l’époque :
- Addio, mia bella, addio !
- L’armata se ne va ;
- Se non partissi anch’io,
- Sarebbe una viltà.
Des horreurs du champ de bataille il passait sans transition aux patriarcales émotions de la vie de famille, de l’auberge au palais, courtisan le soir, presque bandit le matin, exposé comme un soldat, curieux comme un espion, accueilli là comme un frère, ici comme un agent de lord Palmerston, et se réveillant un beau jour dans les cachots de Gaëte, à la merci très peu miséricordieuse des généraux Viale et Ulloa. Bien lui en prit ce jour-là d’être protégé par le prestige de la susceptibilité britannique. En somme, il sortit sain et sauf de ces mille aventures, qu’il a relatées sans trop de prétention littéraire, avec une bonhomie tout anglaise, une verve tout italienne. Nous n’animerons pas que son livre est un chef-d’œuvre : il serait homme à nous démentir tout des premiers ; mais l’impression qu’on en garde est favorable. L’auteur, on le voit, ne cherche ni à grossir, son importance, ni à faire étalage d’impartialité. Il est ce qu’il est, un libéral italien, partisan zélé de l’imité nationale, admirant Cavour, aimant Garibaldi, et ne s’arrêtant qu’un peu en-deçà du mazzinisme, dont il se méfie.
L’idée de revenir en détail sur l’histoire de ces trois mémorables années ne saurait entrer dans le plan du rapide tableau dont ce livre nous offre le sujet. Les lecteurs de la Revue ont déjà suivi pas à pas les traces de Garibaldi dans les Deux-Siciles. Cette légende historique leur a été racontée par un écrivain qui, sur ces champs de bataille si pittoresques, dans ces combats livrés pour une cause sainte, portait, avec l’ardeur du partisan politique, les préoccupations de l’artiste et du romancier. Ce qui a été dit de ces grandes luttes par un témoin qui se trouvait mêlé souvent, à l’action même, nous n’avons pas à le redire ; mais il reste encore, on va en juger, quelques points curieux, quelques vérités utiles à mettre en lumière.
M, le comte Charles Arrivabene était encore à Paris le 3 mai 1859. Le 7, le gentilhomme italien devenu correspondant d’un journal anglais (les Daily News) accompagnait une reconnaissance que les cacciatori delle Alpi faisaient aux environs de Casale, sous les ordres de Garibaldi et de Cialdini. Peut-être se trouvait-il à Palestro, où le second de ces généraux se distingua tout particulièrement. On le croirait du moins en l’écoutant raconter, comme eût pu le faire un des assistans, la conversation qui s’établit après la bataille entre le colonel français Chabron et un jeune lieutenant de Nice-cavalerie chargé d’escorter une colonne de prisonniers. « Votre accent n’est pas celui de ce pays, remarqua le colonel après avoir écouté le rapport… D’où êtes-vous ? — Je suis Français, je suis de Chartres. — Ah ! vous êtes de Chartres ?… Et comment vous trouvez-vous au service sarde ? — Chartres n’est pas mon pays natal… Je m’appelle de Chartres… Je suis le second fils du duc d’Orléans… » Et pour ne pas prolonger un quiproquo embarrassant le jeune prince s’éloigna au galop.
Les chasseurs des Alpes cependant faisaient à part cette petite campagne de Lombardie et de la Valteline, qui peut passer pour un des chefs-d’œuvre de la tactique garibaldienne. Ils n’étaient que trois mille. Le général Urban, chargé de les combattre, avait dix mille hommes sous ses ordres. La méthode excentrique, les manœuvres, les stratagèmes singuliers du chef italien, déconcertant la méthode allemande, compensaient l’inégalité du nombre. Jamais Garibaldi ne laissa deviner son infériorité sous ce rapport. Il étalait ses forces, il dispersait au loin de petits détachemens, et, plusieurs fois enveloppé, il sut se dérober toujours. À Varese, à Côme, à Treponti, sa petite colonne était à peu près cernée, et devait être détruite : son chef la tira de ces mauvais pas, et promena impunément le drapeau de l’insurrection sur cette partie du territoire lombard où le roi-dictateur l’avait envoyé en lui disant : « Agissez à votre guise !… Je voudrais bien vous accompagner… » Une des ruses de Garibaldi fut de maintenir son antagoniste dans la ferme conviction qu’il agissait de concert avec la division de Cialdini. Pendant que celle-ci se distinguait à Palestro, le général Urban la croyait en rapports constans avec les chasseurs des Alpes. Comment ne l’aurait-il pas supposé ? Ses éclaireurs arrêtaient à chaque instant des messages de Garibaldi, qui tantôt demandait secours à son collègue, tantôt lui indiquait une manœuvre opportune. Ces chimériques dépêches, quand elles arrivaient sous les yeux du commandant autrichien, étaient parvenues à leur véritable adresse[1].
La grande lutte cependant suivait son cours. À Palestro succédait Magenta, dont le champ de bataille était encore couvert de blessés, de mourans et de cadavres, lorsque le soir même de la victoire M. Arrivabene le parcourut à cheval. Il vit là de magnifiques échantillons de cette sérénité joyeuse que le soldat français porte sous le scalpel même du chirurgien et jusque dans les bras de la mort. Le clair de lune était splendide ; l’ora di notte vint à sonner : c’est ce que nous appelons l’Angélus, c’est l’invitation à prier pour ceux qui ont quitté ce monde. Où pouvait-elle être mieux écoutée qu’en pareil lieu et dans un pareil moment ? « Je laissai tomber les rênes et priai de tout cœur, » continue l’écrivain avec une bonhomie vraiment italienne que ne lui ont pas enlevée dix ans de séjour en plein pays hérétique. Et pourtant personne de moins papiste que lui ; mais il est Lombard, c’est-à-dire d’un pays où le clergé catholique n’a jamais plié qu’en frémissant sous le joug étranger, d’un pays où vivent les traditions d’Arnauld de Brescia, et où plus d’un prêtre a déjà payé de sa vie la réputation de patriotisme qu’il s’était faite[2]. Que penser des propos hautement tenus à cette époque parmi les compagnons de Garibaldi sur les démarches tentées par de fort grands personnages pour se concilier leur vaillant capitaine ? Les détails sont précis, l’intermédiaire désigné de la manière la moins équivoque. C’était un Corse, nous dit le comte Arrivabene, c’était un ancien compagnon d’armes du général à Montevideo. Le but de sa mission plus ou moins officielle était d’insister sur les griefs que le commandant des chasseurs des Alpes pouvait élever contre l’administration piémontaise. Ils se plaignaient d’être mal approvisionnés, mal armés ; on leur avait promis de leur adjoindre les chasseurs des Apennins, dont l’organisation, — retardée à dessein, prétendaient-ils, — s’achevait péniblement sous les murs d’Alexandrie. L’envoyé corse proposait de faire droit à toutes ces réclamations. Les vivres, les munitions, les armes arriveraient en abondance, l’adjonction désirée se ferait sans retard. On parlait encore de distinctions honorifiques, et l’étoile des braves décorerait la poitrine de l’ancien défenseur de Rome… Si de telles tentatives ont été faites, ce que nous sommes loin d’affirmer, il est infiniment probable, pour ne rien dire de plus, quelles ont dû être accueillies sans beaucoup d’enthousiasme, et l’issue d’une pareille négociation était trop clairement indiquée d’avance pour qu’on ait dû s’y engager à la légère : de là nos doutes, que ne saurait dissiper l’origine de ces bruits, enregistrés par M. Arrivabene comme de simples échos de bivac. Il est un autre incident de ces premières courses en Lombardie sur lequel M. Arrivabene donne son témoignage personnel, et qu’il faut reproduire textuellement.
« … Un jour, vers la fin de juin, j’allai faire un tour à Brescia. En arrivant à l’albergo della Portan je vis deux gentlemen qui prenaient à la même table leur repas du matin. L’un d’eux me parut ressembler merveilleusement à Kossuth ; mais, comme je supposais cet éminent représentant de l’émigration hongroise encore à Londres, je ne m’arrêtai pas un instant à cette impression fugitive. Ayant d’ailleurs questionné l’aubergiste sur le compte de ces deux personnages, il m’avait répondu qu’il les croyait Français et attachés tous les deux, au commissariat de l’année ; mais lorsque je rentrai dans la salle à manger, toute incertitude cessa aussitôt. L’un des deux était bien réellement Kossuth. Je m’empressai d’aller lui serrer la main, et il me présenta immédiatement à son compagnon, le sénateur P…, auquel il prit soin de me nommer. Il ajouta qu’il se rendait au quartier-général de l’armée française et me pria de ne prononcer son nom devant qui que ce fût, attendu qu’il voyageait sous l’incognito le plus strict. Le lecteur peut aisément deviner si je pris ou non pour un heureux présage ce voyage de Kossuth entouré de tant de mystère. Le voir faire route avec le même personnage qui, moins d’un an auparavant, l’eût peut-être fait arrêter, s’il se fût permis de traverser la France, il n’en fallait pas tant pour me confirmer dans la créance, depuis quelque temps très répandue, d’un accord complet entre les patriotes hongrois et l’empereur. Je me crus alors si certain de voir se réaliser la prophétie que m’avait adressée M. de Cavour à un déjeuner chez le gouverneur Vigliani, qu’une occasion s’étant offerte de faire passer une lettre à ma mère, dont la résidence était Mantoue, je lui écrivis de me faire préparer une chambre pour les premiers jours d’août[3]. »
Ces espérances à court terme furent déçues, ce triomphe auquel on croyait toucher disparut comme un mirage fantastique. Le traité de Villafranca dissipa l’enthousiasme, et, par la révulsion soudaine qu’il opéra sur la fiévreuse ardeur du patriotisme italien, flétrit en un jour la reconnaissance italienne, alors au plus beau de sa floraison. Pour se faire une idée de ce que souffrirent en ce moment certaines âmes, il suffit d’observer, avec l’écrivain lombard, M. de Cavour pendant les heures qui suivirent la révélation du changement soudain que venait de subir la politique française. M. Arrivabene, qui était établi à Pozzolengo depuis le lendemain de Solferino, partageait ses assiduités entre le quartier-général français, établi à la villa Maffei (Valeggio), et celui de Victor-Emmanuel, établi à Monzambano, dans la modeste habitation du signor Melchiori. Lorsqu’il y arriva au grand galop de son cheval, dans l’après-midi du 7 juillet, il croyait y apporter la nouvelle de l’armistice qui venait de lui être donnée à Valeggio ; mais cette fatale nouvelle l’y avait devancé. L’indignation de l’état-major piémontais était au comble et s’exprimait dans un langage que M. Arrivabene n’a pu reproduire. Il ne s’agissait pourtant encore que d’un armistice ; mais chacun pressentait que la paix devait sortir de négociations entamées dans de telles circonstances. Le 11 juillet effectivement, après l’entrevue des deux empereurs, Victor-Emmanuel apprit de la bouche de son puissant allié que, si les préliminaires portés à Vérone par le prince Napoléon (muni de pleins pouvoirs diplomatiques) venaient à être acceptés par François-Joseph, la paix se trouverait conclue. Le monarque piémontais accueillit cette ouverture avec une froide réserve : « Quelle que soit, dit-il, la décision de votre majesté, je conserverai une reconnaissance éternelle de ce que vous avez fait pour l’indépendance italienne, et je vous prie de compter en toute circonstance sur mon inaltérable fidélité. »
«… Mais, poursuit M. Arrivabene, il existait un homme qui n’était pas disposé à laisser passer la transaction de Villafranca sans une énergique et méprisante protestation. Lorsque le comte Cavour fut informé qu’un armistice venait d’être conclu, il crut d’abord à une simple suspension d’armes, un court répit étant nécessaire aux deux camps. Ce fut par hasard qu’il eut connaissance, dans la matinée du 10, de l’entrevue arrangée pour le lendemain entre les deux empereurs. On raconte qu’un courrier français qui, expédié à Paris, traversait Turin, rencontrant à la station du chemin de fer un de ses confrères piémontais, lui donna cette importante nouvelle. Sans y croire encore, tant elle lui semblait improbable, le premier ministre partit précipitamment avec M. Nigra pour Monzambano. Par suite de dévastations militaires encore récentes, le chemin de fer n’allait pas au-delà de Desenzano. Arrivés dans ce village, vers quatre heures du matin, les deux voyageurs ne purent, à aucun prix, s’y procurer une chaise de poste, et pendant que le valet de chambre de Cavour courait de côté et d’autre pour en chercher une, on assure que le ministre et son secrétaire intime entrèrent, sans qu’on prit garde à eux, dans un café où une conversation très animée, qui s’y tenait en ce moment, dissipa leurs dernières incertitudes. On savait parfaitement à Desenzano que Louis-Napoléon devait le lendemain aller trouver le Kaiser à Villafrança. Chacun à l’envi lui jetait la pierre. Les accusations, les malédictions se succédaient sans relâché, et un républicain, brochant sur le tout, faisait remarquer que ce triste dénoûment de la guerre avait été prédit quelques semaines auparavant dans le journal de Mazzini (Pensiero ed Azione)… On peut s’imaginer avec quel ébahissement douloureux le grand homme d’état italien assistait à ces grossiers et bruyans débats, où il voyait se produire d’avance l’effet de cette paix déplorable sur l’esprit de ses compatriotes.
« Son domestique revint enfin avec une méchante timonella qu’il avait réussi à se faire confier. Au moment où Cavour entrait dans cet humble véhicule, un officier piémontais, qui flânait sous les arcades de la piazza, vint à le reconnaître et prononça son nom à voix haute. Pour se soustraire à des questions inutiles et contrariantes, M. Nigra ordonna au vetturino de pousser le plus vite possible du côté de Monzambano. Cet homme cependant avait entendu l’exclamation de l’officier piémontais, et semblait plus surpris encore que flatté de l’honneur que le hasard lui procurait ainsi. Pris de quelques doutes, il commença par demander aux deux voyageurs si l’un d’eux était bien réellement « le grand Cavour. » Le comte et son secrétaire avaient bien autre chose en tête que de satisfaire l’indiscrète curiosité d’un cocher de place. Ils gardèrent le silence, nonobstant l’ennui que leur causaient les questions de leur automédon, incessamment répétées tant que dura le voyage.
« Au moment où ils descendirent de leur timonella, je me tenais avec quelques officiers de l’état-major sarde devant la porte du quartier-général. La physionomie du comte, ordinairement souriante et gaie, montrait assez quelle tempête grondait au dedans de lui. Nul ne put entendre, tandis qu’il traversait le vestibule, les formules bienveillantes qu’il avait volontiers sur les lèvres. Répondant à peine aux tristes salutations des assistans, il demanda si le roi était à Monzambano. Et comme il lui fut répondu que sa majesté se trouvait pour le moment à sa résidence particulière, la villa Melchiori, le comte et M. Nigra s’y rendirent, et y demeurèrent jusqu’au moment où Victor-Emmanuel partit à cheval pour Valeggio, quartier-général de l’empereur.
« Le lendemain, vers midi, Cavour et son secrétaire revinrent à la casa Melchiori… Cavour savait désormais que le grand sacrifice était consommé. Une grande agitation le dominait : son visage était pourpre, et son attitude si simple, si naturelle d’ordinaire, trahissait par des gestes violens l’exaspération qui lui ôtait tout empire sur lui-même… Il ôtait de temps en temps son chapeau avec le mouvement convulsif d’un homme dont l’irritation est au comble, et toutes les exhortations de ses amis modéraient à peine l’expression de sa colère.
« Pendant le séjour que fit le comte à la casa Melchiori, je ne quittai point le quartier-général sarde, curieux que j’étais de connaître le résultat de l’entrevue importante qu’avaient en ce moment le roi et son ministre : elle dura près de deux heures, et fut des plus orageuses. On racontait alors que les premières paroles de Cavour ne furent rien moins que respectueuses pour l’empereur des Français. Il conseillait à Victor-Emmanuel de repousser immédiatement les conditions de paix, et de retirer ses troupes de la Lombardie, laissant ainsi Louis-Napoléon se tirer comme il le pourrait de la situation difficile qu’il se serait faite. Cavour dit nettement à son souverain que les intérêts de l’Italie avaient été trahis, et la dignité royale considérablement ravalée ; — il alla même jusqu’à conseiller une abdication. On dit que, pendant toute cette discussion, le roi montra un calme, un sang-froid dont peu de gens l’auraient cru capable. Il essaya, par tous les moyens imaginables, de calmer son premier ministre, qui, sous l’aiguillon de la douleur, semblait presque avoir perdu la raison. Je ne me porte certes pas garant de l’histoire qui fut faite à ce sujet ; mais on affirmait et on croyait généralement à Monzambano que la fureur à laquelle Cavour était en proie s’était traduite par des expressions assez irrévérencieuses pour forcer le monarque à lui interdire sa présence.
« Lorsque le comte reparut sur la piazza de Monzambano, son émotion n’était nullement calmée. Je n’oublierai jamais cette scène déchirante. Adossé à la muraille d’une misérable pharmacie, Cavour échangeait de vives paroles avec son secrétaire… Des exclamations indignées sortaient par saccades de ses lèvres frémissantes, et des éclairs de colère passaient à chaque instant sur sa figure hâlée par le soleil… Spectacle singulier et terrible ! »
Dans ce grand éclat, dans ces manifestations au grand jour de l’irritation que très certainement il éprouvait, tout était-il d’une sincérité absolue ? On peut en douter, nous le croyons, sans faire tort à la mémoire honorée du ministre piémontais. S’il s’agissait de Garibaldi, nous ne rabattrions pas un mot de ces paroles extrêmes, de ces apostrophes émues, de ces conseils violens ; mais il s’agit de M. de Cavour, c’est-à-dire de l’homme d’état le plus délié, le plus habile, le plus mesuré peut-être qu’on ait vu prendre part aux affaires contemporaines. Il est donc permis de croire que, même alors, même en présence d’une déception qui devait lui être plus cruelle qu’à personne, il n’avait perdu ni le sentiment exact du dommage porté à la cause italienne, ni la faculté d’apprécier les avantages immenses qui servaient de compensation à ce dommage. Après quelques semaines de campagne voir l’Autriche abaissée, Novare vengé, la Lombardie au Piémont, les duchés rendus à eux-mêmes, les révoltes de l’état romain consacrées par le principe de non-intervention, n’était-ce donc rien ? M. de Cavour pouvait-il méconnaître la grandeur de pareils résultats ? ne devait-il pas, venant à y réfléchir, trouver là d’efficaces consolations pour le déboire amer de son ambition patriotique ? Mais il ajournait au lendemain ces retours à la clairvoyance, à la modération, et en ceci, convenons-en, il se montrait encore très habile politique. Pour rester maître de l’explosion de colère qu’il pouvait prévoir dans tout le pays, il fallait s’y associer largement, devancer les cris qu’on allait pousser, exagérer les plaintes qui allaient se produire. Personne, pas même Garibaldi, ne devait paraître s’associer mieux que Cavour à l’immense douleur que l’Italie allait ressentir. À ce prix, et à ce prix seul, le ministre conservait, avec son influence intacte, la haute direction des événemens. Par le fait, quand Garibaldi accourut de Lovere, au premier bruit de paix, apportant sa démission et celle de tout son état-major, il était devancé. Cavour avait remis son portefeuille aux mains du roi, qui ne voulut pas accepter la démission de Garibaldi, et parvint à la lui faire retirer. De ce roi soldat on aurait pu attendre quelque coup de tête ; il n’en commit aucun et garda l’attitude de résignation forcée, de mécontentement comprimé, qui convenait le mieux aux nécessités du présent, tout en laissant subsister les chances de l’avenir. Parfois une brusque saillie indiquait et marquait spirituellement cette attitude. Lorsque par exemple il fit à Milan son entrée officielle (le 10 août), le maréchal Vaillant était venu à sa rencontre avec un nombreux état-major dans les rangs duquel se trouvait un général que Victor-Emmanuel avait beaucoup vu à Paris en 1856. Comme ce militaire, tout récemment arrivé, lui manifestait le regret de ne s’être trouvé ni à Magenta, ni à Solferino, le roi l’interrompit, et de manière que le maréchal ne perdît pas une de ses paroles : « Ah ! vous n’êtes pas content, général ?… Moi non plus, je vous assure. »
Cette ingratitude italienne, — pour nous servir d’une expression officielle, — eût été souverainement impolitique, si elle eût franchi certaines limites ; mais le tact ne manque pas en ce pays, et, les premières flammes jetées, on revint très vite à une ligne de conduite plus adroite. Avec ce liant et cette bonhomie qui permettent de faire passer dans la conversation certaines vérités plus ou moins désagréables, les Italiens, les Italiennes surtout, adressaient à leurs libérateurs des reproches que ceux-ci ne réussissaient pas toujours à réfuter. M. Arrivabene fut témoin d’un de ces assauts d’esprit entre un de nos officiers supérieurs et une charmante comtesse milanaise à laquelle son interlocuteur venait d’exposer les raisons sérieuses que l’attitude menaçante de l’Allemagne pouvait fournir aux partisans du traité de Villafranca. « Eh bien ! lui dit la comtesse R. L. avec son plus doux sourire, si ce sont là vraiment les motifs qui ont déterminé votre empereur, l’histoire racontera pour la première fois que l’Europe a fait peur à la France. » Impossible, à coup sûr, de mieux envelopper un amer sarcasme et de le rendre acceptable aux susceptibilités le plus en éveil.
Il est des gens pour lesquels tout parti-pris politique s’explique par les conséquences qu’il a eues. Ceux-là ne croient ni à l’imprévoyance ni aux calculs erronés. Selon eux, le vainqueur de Solferino n’a déposé les armes que parce qu’il entrevoyait dans les conditions faites à l’Autriche un moyen pacifique d’arriver indirectement à l’unité italienne. Heureux ceux qui ont foi dans ces pressentimens lumineux de l’avenir le plus incertain ! Nous avons, quant à nous, mille raisons excellentes de penser autrement, et de prendre pour très sincères les déclarations réitérées qui furent faites à l’époque du traité de Zurich par le chef du gouvernement français. Elles étaient parfaitement conformes à celles qui avaient précédé l’ouverture des hostilités contre l’Autriche, déclarations renouvelées à la plupart des proscrits italiens que l’on dirigeait sur le théâtre de l’action. L’un d’eux, — nous ne le mentionnons que parce qu’il est mort, — avait reçu l’assurance la plus formelle (et il nous le confiait au moment du départ) que « jamais la France ne consentirait à ce que le Piémont s’annexât la Toscane. » Ce fut sur cette manifestation très explicite que Giuseppe Montanelli, arrivant au milieu de ses compatriotes, se fit le champion du système fédératif, le seul praticable en Italie du moment où la France se serait décidée à combattre résolument les tendances unitaires. Malheureusement l’homme propose, et, si puissant qu’on le croie, les destinées des peuples ne s’en accomplissent pas moins en dehors de ces plans, de ces projets, de ces volontés qui semblent disposer de tout.
Le grand malheur de cet antagonisme entre les vues du protecteur de l’Italie et les aspirations de ses protégés a été de nous ôter le bénéfice moral d’une guerre hardiment commencée, heureusement et rapidement menée à fin. L’oubli de notre victoire et de ses grands résultats fut aussi prompt que notre victoire elle-même. En quelques jours ces mêmes soldats que les belles dames de Milan écrasaient de fleurs et qu’elles faisaient monter à côté d’elles dans leurs brillans équipages devinrent des hôtes indifférens et presque dédaignés. La popularité passa du côté des touristes anglais, auxquels un mois plus tôt personne ne prenait garde. Ainsi que le constate notre écrivain, on ne parlait plus dans les cafés, les bottegoni de Brescia, que de « lord » Bright et de « sir » Gladstone, qui défendaient vaillamment l’Italie contre « sir » Disraeli et « lord » Bowyer. Les Italiens, toujours habiles en flatterie, décoraient de ces titres aristocratiques tous les « Jones » et tous les « Brown » qui venaient, badauds intrépides, acheter les débris de boulets, les lambeaux d’uniforme ramassés sur le champ de bataille par les paysans de Medole, de Cavriana, de Solferino. La presse anglaise, en revanche, prodiguait au peuple italien ces avances caressantes, ces louanges, ces encouragemens que nous leur refusions, et c’est grâce à elle que les combats livrés autour de San-Martino par l’armée piémontaise devinrent une bataille spéciale à laquelle on semblait vouloir donner le pas sur celle que les Français livraient quelques kilomètres plus loin.
Cette opinion, singulière pour quiconque prend la peine d’y regarder, se retrouve dans le livre de M. Arrivabene, et tout récemment encore un orateur piémontais soulevait des orages en émettant devant les députés de Turin l’opinion que, sans l’assistance des Français, l’armée sarde eût été écrasée à San-Martino. Une question préalable était de se demander si cette armée serait arrivée sans le secours des Français jusqu’aux bords du lac de Garda, et, bien que les Piémontais en 1848 aient pu, grâce à l’affaiblissement momentané des ressources autrichiennes, aller mettre le siège devant Peschiera, peu de gens croiront qu’en face des deux cent cinquante mille hommes que Giulay menait au mois d’avril 1859 jusqu’aux portes de Turin, ils eussent aussi facilement reconquis la Lombardie. Laissons là pourtant ce point délicat, et, puisqu’elle est si souvent mise en question, tâchons de fixer nos idées sur cette fameuse « bataille de San-Martino, » prise à part et isolée de la grande lutte où elle ne forme, selon nous, qu’un brillant épisode.
Il existe, publié par le ministère de la guerre, un ouvrage spécial sur la campagne de 1859[4]. La bataille de Solferino y est racontée dans le plus grand détail, moment par moment, chaque moment ayant son chapitre et son plan spécial. C’est là que nous puiserons le détail rapide des opérations de l’armée sarde dans cette journée mémorable.
On sait que la bataille du 24 juin fut engagée à l’improviste, grâce aux hésitations de la tactique autrichienne. L’armée française marchait vers le Mincio, derrière lequel on savait que l’ennemi s’était retiré. Celui-ci au contraire, après avoir adopté le plan du feld-zeugmestre baron Hess, — qui consistait à se retirer dans le fameux quadrilatère, pour reprendre ensuite l’offensive, comme avait fait en 1848 le vieux Radetzky, — était brusquement revenu sur sa décision, et, traversant le Mincio, voulait réoccuper les fortes positions abandonnées quelques jours auparavant. Ces deux mouvemens en sens contraire amenèrent un choc imprévu. Or le 23 juin les troupes sardes occupaient la gauche de l’armée française : elles avaient leur quartier-général à Lonato, leur droite (division Fanti) à Malocco, leur gauche (Mollard) à Rivoltella el au mont Cavaga. Leur ordre de marche les dirigeait sur Pozzolengo. Un simple coup d’œil jeté sur les magnifiques plans du dépôt de la guerre nous montre la dissémination de ces différens corps et la difficulté de leur imprimer une direction commune : ils y dessinent un angle rentrant dont le sommet est Lonato, et dont les branches s’écartent démesurément, l’une, la droite, perpendiculaire, pour aller rallier le corps du maréchal Baraguay-d’Hilliers (extrême gauche des Français), l’autre, horizontale, pour s’étendre le long du chemin de fer qui court dans la direction de Lonato à Rivoltella et au lac de Garda.
Au premier moment, c’est-à-dire de trois heures à six heures du matin, l’armée sarde, voulant éclairer sa route, pousse de tous côtés des reconnaissances. La colonne envoyée par la première division (général Durando), en débouchant dans le val dei Quadri, trouve occupée par les Autrichiens la position connue sous le nom de Madonna della Scoperta, un peu en arrière de Solferino. Un combat de tirailleurs s’engage de ce côté. Le lieutenant-colonel Cadorna, parti de Lonato à trois heures du matin, marche à la tête d’un autre détachement (5e division) vers Pozzolengo. Il suit la strada Lugana et laisse derrière lui ce village de San-Martino qui, selon les exigences de l’amour-propre italien, devrait donner son nom à la bataille. La division Mollard envoie deux reconnaissances inutiles du côté de Peschiera : elles reviennent sans avoir rencontré l’ennemi ; deux autres, dirigées vers Pozzolengo, combinent leur marche avec celle du détachement commandé par le lieutenant-colonel Cadorna, et, comme celui-ci, se heurtent bientôt aux avant-postes autrichiens, en avant de Pozzolengo et de Madonna délia Scoperta. À Pozzolengo se trouvent le 8e corps de l’armée autrichienne (Benedek), à Madonna della Scoperta une partie du 5e corps (Stadiori), établi à Solferino, et se reliant à celui de Benedek par les brigades Gaal et Koller.
De six heures à huit heures du matin (second moment de la bataille, où Medole fut enlevée à notre droite par la division de Luzy), l’armée piémontaise hâte le mouvement de ses divisions pour soutenir leurs avant-gardes, déjà fortement engagées. L’avant-garde de la 1re division, repoussée de Madonna della Scoperta, est contrainte de se replier vers Fenile-Vecchio ; celle de la 5e division (Cucchiari), aux prises avec les avant-postes de Benedek, envoie demander un prompt appui, que lui porte immédiatement le général Mollard (3e division), en dirigeant de ce côté toutes les forces qu’il a sous la main et en prenant position sur le flanc droit des Autrichiens. C’est en vain cependant qu’il cherche à retarder leur mouvement offensif, déjà très marqué. Les Piémontais, obligés de plier devant des forces très supérieures, exécutent en bon ordre leur mouvement rétrograde, et vont s’abriter au pied des hauteurs de Casetta et de San-Martino, garnies d’un bataillon de bersaglieri et d’un bataillon d’infanterie. On remarquera que la droite des Piémontais, commandée par le général Fanti, n’a point fait encore un pas en avant ; elle est immobile à Malocco, attendant des ordres qui n’arrivent pas.
De huit heures à dix heures et demie (troisième moment), les reconnaissances piémontaises ayant été rejetées sur leurs divisions respectives, le combat s’engage pour celles-ci dans des conditions défavorables. Elles restent disséminées ; on ne les verra se concentrer que beaucoup plus tard, et toujours elles trouveront devant elles des forces numériquement supérieures. Le général Durando, pourvu de renforts et que l’empereur invite à se relier au 1er corps de l’armée française, a tenté un vigoureux effort et s’est emparé momentanément de la position occupée par les Autrichiens à Madonna della Scoperta ; mais, entraîné à la poursuite de l’ennemi, un nouveau mouvement offensif de celui-ci le ramène en arrière, lui fait perdre la position conquise, et le contraint à se retirer, à la hauteur de Casellin-Nuova, derrière le 2e de grenadiers. Pour neutraliser ce retour offensif, il envoie vers le mont Guca deux bataillons qui cherchent le moyen d’attaquer Madonna della Scoperta. Ces deux bataillons rencontrent des colonnes autrichiennes qui les forcent à rebrousser chemin, et qui ; elles-mêmes s’avancent jusqu’à la casa Sojeta, où elles établissent une batterie dont les boulets vont arrêter le 2e de grenadiers, en marche vers Madonna. Les Autrichiens chassent les Piémontais de San-Martino et s’y établissent solidement malgré les vives attaques de la brigade Coni[5]. Deux fois cette brigade pénètre dans le village, deux fois elle en est chassée, et finalement elle se voit réduite à réorganiser ses rangs décimés derrière le chemin de fer. Le général Cucchiari est arrivé à temps pour protéger cette retraite[6]. Le général Fanti n’a pas encore mis en marche un seul bataillon. C’est seulement à onze heures que ses troupes s’ébranlent.
De dix heures et demie à une heure et demie de l’après-midi (quatrième moment), la situation des troupes sardes continue de s’aggraver. Tous les efforts du général Durando n’empêchent pas les Autrichiens de gagner du terrain. La brigade de Savoie contient les troupes de Gaal ; mais le général Koller continue à tourner le flanc droit des Piémontais. C’est alors que quelques pièces d’artillerie, mises en position, arrêtent la colonne de Koller ; elles ont été dirigées de ce côté par le général Forgeot, commandant l’artillerie du 1er corps (Baraguay-d’Hilliers), et, bien que tirant à 1,600 mètres, leur feu bien nourri (au plus fort de l’attaque de Solferino) porte le désordre dans les rangs de la brigade Koller et lui fait rebrousser chemin. Le général Cucchiari essaie encore une fois de rentrer dans San-Martino. Un premier assaut exécuté par la brigade Casale est d’abord couronné de succès : l’église de San-Martino, la Contracania, plusieurs fermes, tombent aux mains de nos alliés ; mais les Autrichiens, reprenant l’offensive, criblent de mitraille, à 200 mètres, la gauche du général Cucchiari. Les bataillons s’ébranlent et découvrent les troupes placées à leur droite ; celles-ci sont emportées par le mouvement rétrograde, et malgré un régiment frais (le 18e de ligne) qui cherche à leur donner la facilité de se rallier, le général Cucchiari se voit obligé d’ordonner la retraite. Il essaie une première fois d’arrêter ses troupes sur le chemin de fer, mais l’élan des soldats le conduit jusqu’à moitié route de Rivoltella, puis plus loin encore et presqu’à Rivoltella même.
La division Fanti s’est ébranlée à onze heures, se portant du côté de Solferino, pour y concourir, le cas échéant, à l’attaque des positions centrales de l’armée autrichienne. Après une heure et demie de marché dans cette direction, un message pressant du roi Victor-Emmanuel l’appelle du côté de San-Martino. La brigade Aoste s’y porte au secours du général Mollard ; la brigade Piémont va y rejoindre le général Durando vers Madonna délia Scoperta. Tout ceci nous mène au cinquième moment, c’est-à-dire à l’intervalle compris entre une heure et demie et quatre heures de l’après-midi. Pendant ce laps de temps, la brigade de Savoie, entrée en ligne tout entière, contient à grand’peine les progrès des brigades autrichiennes Gaal et Koller ; elle conserve cependant ses positions malgré leurs attaques réitérées. Quant au général Mollard, demeuré seul devant Madonna délia Scoperta depuis la retraite de Cucchiari, il reste sur le chemin de fer, attendant les renforts que Fanti lui amène et s’efforce, en maintenant le combat d’empêcher que le général Benedek ne détache quelques-unes de ses six brigades d’infanterie au secours du comte Stadion, à qui Solferino vient d’être enlevé. Par cela seul, il rend un service réel à nos troupes. Vers trois heures, il reçoit du roi Victor-Emmanuel l’ordre d’attaquer encore San-Martino, de concert avec la brigade Aoste, qui va lui arriver, de concert également avec le 5e corps (Cucchiari), qu’on a tant bien que mal réorganisé sous les murs de Rivoltella.
Sixième moment : de quatre heures à la nuit. L’armée française a coupé le centre des Autrichiens. Les corps d’armée Baraguay-d’Hilliers et Mac-Mahon ont dépassé Solferino et Cavriana. Les généraux Regnault et de Failly menacent Guidizzolo, le dernier point où les Autrichiens tiennent encore, à l’extrême droite de la bataille. C’est à cet instant que l’empereur François-Joseph accepte en frémissant l’arrêt du destin, et se décide à ordonner une retraite générale ; c’est à cette heure aussi qu’éclate cette formidable tempête qui favorise le mouvement rétrograde de l’armée autrichienne et arrête l’élan victorieux de nos troupes. Alors que la tempête se déclarait, averti que le 5e corps (Cucchiari) était en vue, arrivant en toute hâte, le général Mollard venait d’ordonner l’attaque de San-Martinoy qu’il fallait, disaient les ordres royaux, enlever avant la nuit. Toute manœuvre devient provisoirement impossible ; mais, l’orage à peine dissipé, le mouvement offensif des Piémontais se prononce[7]. Il faut ici se rappeler que, du côté de Madonna delle Scoperta, l’ordre général de retraite avait déjà déterminé les brigades Gaal et Koller à se retirer, et que le général La Marmora, dépêché par le roi pour venir diriger sur ce point les opérations des troupes sardes, se trouva libre, moyennant la disparition de ces deux brigades ennemies, de lancer vers San-Martino la division Durando, renforcée par la brigade Piémont. Benedek, lui aussi, avait commencé sa retraite. Quelques bataillons défendirent seuls, pour couvrir son mouvement, les maisons et les jardins de San-Martino[8]. Ce fut sur cette arrière-garde du 8e corps que vinrent donner à la fois toutes les forces disponibles des Piémontais. Leur infanterie, lancée à l’assaut des positions, ne réussit d’abord qu’à s’emparer des fermes à mi-côte. Survinrent au galop quatre batteries d’artillerie qui foudroyèrent le village. Sous leur protection, la 5e division gravit les hauteurs et réussit à couronner le plateau, où vint bientôt la rejoindre, avec la 3e division, la brigade Aoste, dont l’artillerie, promptement amenée, accéléra la retraite de l’ennemi, que le général La Marmora poursuivit jusqu’à Pozzolengo, nonobstant quelques retours offensifs[9].
Voilà, pas à pas, heure par heure, le détail de cet épisode militaire de San-Martino, qui se réduit en définitive, pour les Piémontais, à quelques efforts offensifs, — vigoureux, nous n’en doutons nullement, mais qui avortèrent l’un après l’autre, — et à une attitude défensive fermement et courageusement maintenue ; le tout couronné par la prise de San-Martino, déjà évacué en partie, et que les Autrichiens ne défendaient plus que pour l’honneur des armes et la sûreté de leur retraite. Ajoutons, pour en finir, que les états officiels des pertes de l’armée piémontaise portent à 691 le nombre des morts, à 3,572 celui des blessés, et à 1,258 celui des hommes disparus. L’armée française avait 1,622 morts, 8,530 blessés et 1,518 disparus. Il nous semble qu’en présence de pareils faits et de pareils chiffres les commentaires seraient superflus. Nous ferons donc simplement remarquer que notre but, en ramenant la « bataille de San-Martino » à ses véritables proportions, n’est nullement de froisser le juste orgueil que l’armée piémontaise inspirait à l’Italie tout entière ; mais, si nous comprenons chez nos alliés ce sentiment très légitime, encore faut-il qu’on lui ôte ce qu’il aurait de blessant et d’inique à l’égard de nos soldats. Faire de San-Martino une bataille principale et isolée serait de la part des écrivains et des orateurs piémontais une insigne maladresse ; on vient de voir à quoi elle se réduit quand on l’envisage ainsi. Considérée autrement, incorporée en quelque sorte à la grande lutte dont elle fut un des élémens, elle reprend et son véritable aspect et même sa véritable valeur. Les vaillantes attaques des Piémontais, et surtout la vigueur de leur attitude défensive, en empêchant Benedek de porter secours au comte Stadion, peuvent être regardées comme une des causes qui ont fait succomber ce dernier, et qui par conséquent ont amené la réussite du mouvement le plus décisif parmi ceux à qui l’armée alliée dut la victoire.
Si nous avons donné quelque développement à une question toute spéciale, c’est qu’un exposé fidèle des incidens de la journée de Solferino peut servir à expliquer l’attitude assez étrange qu’au témoignage de M. Arrivabene, et dès le lendemain de Villafranca, la France et l’Italie prirent vis-à-vis l’une de l’autre. Il y eut, ce nous semble, inconséquence des deux parts ; mais l’oubli trop prompt dans lequel furent mis les services que nous devaient alors, et le Piémont en particulier, et la péninsule italique tout entière, est encore plus concevable que les hésitations, les retours méfians, les mesquines résipiscences qui vinrent si mal à propos annuler le profit moral du grand coup que nous venions de porter. On eût dit, on peut croire encore que nous avions frappé à l’aveugle, sans pressentir que, l’outre d’Éole ouverte, les vents seraient déchaînés, que, le rocher frappé par la baguette miraculeuse, la source allait jaillir avec une force irrésistible. En voyant accourir les peuples altérés qui se précipitaient vers la liberté coulant à grands flots, Moïse sembla frappé de stupeur et d’effroi ; il avait réussi par-delà sa foi, par-delà ses espérances, et déjà se repentait. Les échos nombreux qui lui renvoyaient ses grandes paroles leur donnaient presque l’éclat menaçant de la foudre. Le peuple à qui l’on avait crié : Debout ! apparaissait plus grand et plus à craindre qu’on ne l’eût voulu peut-être. La mission de libérateur est pourtant bien simple. Affranchir une nation, ce n’est sans doute pas lui donner les institutions qu’on a rêvées pour elle : c’est lui remettre le soin de ses destinées et la protéger purement et simplement contre ceux qui voudraient l’empêcher de les régler elle-même. Dire aux Italiens : Gouvernez-vous à votre gré ; dire à l’Autriche : Vous n’avez plus à vous mêler désormais des affaires italiennes, — quoi donc de plus élémentaire et de plus logique ? quoi de plus conforme au bon droit et au bon sens ?
En présence d’une telle situation, M. de Cavour prit une éclatante revanche, et ne crut pas sans doute l’avoir payée trop cher quand la France réclama, comme fiche de consolation, le petit territoire dont la cession, consentie à regret, — non sans quelques arrière-pensées malveillantes[10], — acheva de relâcher les liens étroits un moment formés entre l’Italie et ses libérateurs, et que notre coûteuse intervention aurait dû au contraire resserrer.
La conquête des Deux-Siciles par Garibaldi et cette annexion napolitaine qui donnait plus de vraisemblance que jamais à la constitution d’un royaume italien trouvèrent la France (disons mieux, son gouvernement) dans les mêmes dispositions d’embarras et de mécontentement. En face du principe de non-intervention si hautement proclamé, comment s’opposer à cette révolution si prompte, à ces coups de main téméraires dont le rapide succès, passant toute probabilité, déjouant tout calcul, donnait aux entreprises d’un homme sans mission, d’un aventurier héroïque, on ne sait quel caractère providentiel, on ne sait quel reflet de l’action divine ? Et d’un autre côté comment applaudir aux triomphes de Garibaldi ? Là de nouveau nous étions mis en demeure, et cette fois avec des précédens bien faits pour nous éclairer. Malgré nous, les annexions de l’Italie centrale s’étaient accomplies ; malgré nous, le territoire pontifical avait été démembré : nous étions arrivés ainsi à faire des résultats inévitables que devaient avoir les victoires de la France autant d’échecs pour la France, Il semblait donc qu’instruits par tant de rudes leçons nous dussions adopter un parti décisif pour ou contre la révolution nouvelle, l’accepter ou la repousser nettement, la regarder comme une fille légitime de Solferino, ou la désavouer comme étrangère à nous et frauduleusement substituée au dénoûment prévu et désiré de notre alliance avec le Piémont. Notre, attitude ne répondit guère, il faut l’avouer, à cette attente. La descente des mille à Marsala nous trouva peut-être plus confians que de raison dans l’insuccès probable de cette fabuleuse témérité. Le combat de Calatafimi, où les pertes des garibaldiens furent relativement énormes, l’entrée à Palerme, qu’on put envisager comme un heureux hasard plutôt que comme une preuve de supériorité militaire, nous laissèrent dans notre illusion primitive. À Melazzo, Garibaldi devait rencontrer ce Bosco transformé par une presse, complaisante en un vrai foudre de guerre. Bosco fut battu comme Landi et Lanza l’avaient été précédemment, et quand les garibaldiens marchèrent sur Messine, le général Clary n’imagina même pas de leur en discuter l’entrée. La Convention qu’il signa en se retirant dans la forteresse de Messine, convention qui stipulait l’évacuation de Syracuse et d’Augusta par les troupes royales, livrait la Sicile à l’armée du libérateur, et par le fait ouvrait le continent napolitain à l’invasion. Dès qu’elle fut possible, elle fut certaine, et nos agens diplomatiques ou militaires l’annoncèrent à coup sûr. Si elle contrariait nos vues, il était temps d’aviser ; dans le cas contraire, il eût été raisonnable et sage de céder ou de paraître céder à l’entraînement général, et de ne pas jeter un impuissant désaveu, à peine exprimé, dans le cours irrésistible des événemens révolutionnaires. Que sert de bouder en pareil cas, et, comme le disait récemment un indiscret député, « à quoi bon ronger son frein ? » Or la France garda sa position négative, sa neutralité boudeuse. Notre attitude vis-à-vis du nouvel état, qui se constituait à nos portes et de par nos armés était justement celle du gouvernement piémontais vis-à-vis de Garibaldi ; mais Victor-Emmanuel savait ne pas s’obstiner en ses désaveux et profiter à temps des entreprises qu’il avait cru devoir blâmer en principe. Alors même qu’il tâchait de ne méconnaître aucun droit, il rendait hommage aux faits accomplis, et c’est ainsi que, guidé au milieu des écueils par son adroit et vigoureux ministre, il marchait, ayant l’air de céder au courant, vers le but assigné à sa patriotique ambition. Il résistait jusqu’au moment où la résistance devenait intempestive et périlleuse : il cédait alors, mais avec un élan qui rachetait ses hésitations passagères. Nous cédions aussi, mais presque toujours un peu tard, et souvent d’assez mauvaise grâce.
Le livre de M. Arrivabene rappelle notre attention sur un des épisodes les moins bien connus de la crise finale où périt la royauté des Bourbons de Naples : nous, voulons parler de l’assistance plus ou moins directe, plus ou moins efficace, donnée au roi François II par l’escadre française qui mouillait en octobre 1860 dans la baie de Naples, et qui alla s’installer dans la rade de Gaëte, où sa présence annulait virtuellement les effets du blocus que le gouvernement dictatorial de l’Italie méridionale avait officiellement dénoncé au consul-général de France. La France ne reconnaissait pas ce blocus ; elle interdisait formellement toute opération navale contre Gaëte. Était-ce donc seulement contre Garibaldi, personnifiant plus ou moins la révolution, que de telles mesures étaient adoptées ? Entendait-on simplement protester ainsi contre une victoire sans drapeau reconnu ? Nullement ; l’interdit subsista lorsque la marine napolitaine eut été mise sous les ordres d’un amiral piémontais. La protection inefficace et limitée qui mettait une partie des murs de Gaëte,— une partie seulement, — à l’abri de toute attaque subsista au-delà du terme que l’Italie lui avait sans doute assigné. L’arrivée de Victor-Emmanuel devant Capoue ne changea rien à la situation. Par l’organe du chef de notre escadre, il lui fut notifié, comme, il l’avait été à M. Crispi, que le blocus était nul, que Gaëte ne serait pas attaquée par mer, et que, si ses vaisseaux franchissaient une certaine ligne, pénétraient dans une certaine zone, cette infraction serait considérée comme un acte d’hostilité. Les journaux du temps portent témoignage du point extrême où le conflit fut porté. La situation devint si tendue qu’un simple coup de tête de l’amiral Persano (qui se déclarait prêt à se faire couler), un ordre mal donné par le roi de Piémont ou mal compris par le chef de sa marine pouvaient faire partir les canons chargés de part et d’autre. Il y eut un moment où la division sarde, défilant devant notre escadre mouillée à l’embouchure du Garigliano, reçut l’ordre formel de s’arrêter, et où, si elle eût tenté de pénétrer dans la baie de Gaëte, l’amiral français, sous peine de se démentir, eût dû immédiatement ouvrir le feu. Étrange dénoûment, il faut en convenir, qu’auraient eu en 1860 les événemens de l’année 1859 !
On sait comment ce grave incident prit fin. Le roi de Piémont et son amiral furent assez avisés pour déplacer à temps la question soulevée par l’attitude de M. l’amiral de Tinan. La difficulté s’était engagée à la suite de la déclaration apportée par le contre-amiral Albini, que, « la flotte sarde pouvant ouvrir à chaque instant des hostilités contre Gaëte, il venait en informer le consul de France et ceux de ses compatriotes établis dans la ville menacée. » Et cependant, lorsque les réclamations du roi Victor-Emmanuel arrivèrent au cabinet des Tuileries, elles étaient accompagnées d’une déclaration formelle que « le roi n’entendait ni bloquer Gaëte ni l’attaquer du côté de la mer. » L’objet du conflit, on le voit, n’était plus le même, et l’importance en avait singulièrement diminué. Le dénoûment dès lors était facile à prévoir. Comment ne pas répondre par une satisfaction de pure forme aux concessions si importantes de Victor-Emmanuel, qui d’ailleurs, en attendant la décision de notre gouvernement, avait respecté la limite tracée par le commandant de l’escadre française ? Celui-ci reçut en conséquence de nouvelles instructions qui lui firent restreindre à la simple portée de ses canons la zone interdite aux forces navales du nouveau royaume[11].
Dans ce mouvement en arrière, si insignifiant qu’il fût, il y eut, n’en doutons pas, pour la susceptibilité de nos marins une sorte de déboire, rendu cependant moins amer par l’évidente supériorité des forces françaises ; mais nous ne voulons nullement insister sur ce point. Ce qui nous frappe, c’est la regrettable mobilité de projets qui jetait alors tant d’ambiguïté dans les tendances de notre politique et rendait si difficile à nos agens l’interprétation de la pensée qu’ils avaient à faire prévaloir. La France devant Gaëte n’était ni protectrice efficace de François II, ni sympathique à Victor-Emmanuel, ni même tout à fait neutre. Sans trop se soucier de la logique et transigeant tour à tour avec des nécessités qui semblaient s’exclure, elle arrêtait au passage les boulets de l’escadre italienne, elle laissait les canons Cavalli s’installer à loisir sur les hauteurs escarpées qui dominent Gaëte. Elle gênait, elle désappointait, elle irritait ses alliés de la veille, étonnés de la trouver comme un obstacle sur la route qu’elle-même leur avait ouverte. En aidant, de manière ou d’autre, François Il à prolonger une résistance dont, tout aussi bien que personne, il connaissait le terme fatal, nous ajoutions en pure perte des désastres à des désastres, des morts à des morts[12]. Quel motif si puissant avions-nous d’agir ainsi ? Désirions-nous seulement mettre en sûreté la personne, la famille de François II ? Voulions-nous le soustraire à la douleur d’une capitulation déshonorante ? Mais pour cela était-il nécessaire d’accuser des sentimens presque hostiles au Piémont, et de laisser s’établir, s’envenimer un différend qui pouvait avoir des résultats si graves ? Ne suffisait-il pas, les circonstances étant données, d’un appel aux sentimens chevaleresques du roi galant-homme ? Et croit-on par hasard que ce prince fût très désireux d’avoir entre les mains un captif aussi embarrassant que l’eût été le roi de Naples ? Croit-on que le blocus de Gaëte (en admettant même qu’on l’eût établi pour empêcher le ravitaillement de la place) n’aurait pas toujours laissé ouverte une issue pour le départ du royal assiégé sur les deux petits bâtimens que l’Espagne avait envoyés à sa disposition ?
M. Arrivabene, — il faut maintenant revenir à lui, — fut un des prisonniers assez nombreux que firent les Napolitains lors de leur mouvement en avant, au début de cette bataille du Volturne qui faillit être le premier échec de l’armée commandée par Garibaldi. Le correspondant italien des Daily News a raconté cet incident tout personnel avec des détails qui en font un tableau de mœurs curieux à esquisser d’après lui.
L’action était engagée sur toute la ligne au moment où, parti de Caserte avec Garibaldi et son état-major, M. Arrivabene atteignait le bourg de Santa-Maria, que les Napolitains attaquaient de deux côtés à la fois. Après y avoir donné ses ordres, le général prit en voiture le chemin de Sant’Angelo, ne se doutant guère à cette heure que les avant-postes de Medici étaient refoulés, et que par conséquent, les Napolitains étaient déjà installés sur la route même où s’engageaient les équipages fort divers de l’état-major garibaldien. On s’en aperçut un peu tard, alors que derrière un pli de terrain apparut tout à coup un bataillon des troupes royales, qui salua d’une décharge générale, à 50 mètres, le cortège subitement arrêté. Un des chevaux qui traînaient Garibaldi tomba sous cette pluie de balles, et le cocher de la carrozzella où M. Arrivabene se trouvait avec Missori fut tué sur son siège, à côté d’eux. Cette rencontre fut d’ailleurs providentielle. Un peu plus loin, au pied des hauteurs de Sant’Angelo, les Napolitains, qui venaient d’enlever une batterie placée en avant de ce village, étaient complètement maîtres de la route ; ils eussent inévitablement capturé, d’un seul coup de filet, le général et sa suite. Ceux-ci tout au contraire sortirent sains et saufs de cette pluie de balles qui était venue les assaillir si soudainement, et, sautant à terre, purent prendre à travers champs la direction du village où Medici maintenait une résistance énergique. L’un d’eux cependant, le capitaine Piverani, s’était foulé le pied en descendant de voiture, et M. Arrivabene, qui voulut lui prêter assistance, paya un peu cher cet acte d’humanité. Tandis qu’il entraînait son compagnon vers une ferme voisine où il comptait le déposer à l’abri des coups de fusil avant de courir sur les traces du général, trois bergers qu’ils venaient de rencontrer les sommèrent, au nom du roi, de se rendre prisonniers ; mais la vue d’un revolver que M. Arrivabene avait heureusement sur lui tint ces braves en respect, et lorsque l’un d’eux fut tombé atteint d’une balle, les deux autres gagnèrent pays. Cependant les colonnes napolitaines arrivaient de tous côtés. Aucun moyen de percer leurs lignes de tirailleurs. Il fallait se rendre, sur ces entrefaites, M. Arrivabene reçût à la jambe une balle qui retendit par terre et le livra ainsi sans défense aux soldats royaux. Ceux-ci firent rafle aussitôt de tout ce qui se trouvait dans ses poches, et l’officier qui les commandait eut pour sa part la montre du malheureux prisonnier, qui, lâchement insulté, frappé même à plusieurs reprises, ne serait pas sorti vivant des mains où il était tombé sans l’intervention d’un des chefs, observateur plus scrupuleux des lois de la guerre. « Suivez-moi comme vous pourrez, disait-il au blessé, qui demandait à être dirigé immédiatement sur Capoue… Si je vous laissais ici, mes soldats vous tueraient bien certainement… » Réuni à une vingtaine de garibaldiens également faits prisonniers depuis le matin, M. Arrivabene fut, comme eux, dépouillé d’une partie de ses vêtemens et obligé, comme eux, de les remplacer par le bonnet de police et la capote des soldats royaux. Ainsi déguisés, on les faisait marcher en tête de la colonne, et un sergent prit la peine de leur expliquer qu’on les exposait ainsi volontairement à la chance d’être tués par les leurs. Les Napolitains, eux, ne risquaient leur peau qu’à bon escient et avec répugnance. Avanti ! avanti ! criaient sans cesse leurs officiers, se gardant toutefois de joindre l’exemple au précepte, et, recevant parfois sans sourciller mainte réponse désagréable en échange de ces exhortations mal venues. L’un d’eux, le seul qui se conduisît en brave, atteint d’une blessure mortelle, tomba près de M. Arrivabene, qui crut pouvoir proposer de le conduire à l’ambulance garibaldienne (alors en vue), sur parole de venir reprendre ses fers le soir même. On rejeta bien loin cette proposition à la Régulus, et deux soldats reçurent ordre de prendre sur leurs épaules l’officier moribond, qu’ils jetèrent dix minutes après dans le premier fossé venu[13].
Lorsqu’après plusieurs heures de souffrances et d’anxiétés les prisonniers arrivèrent au quartier du général Rettucci, le désordre était déjà grand dans ces masses de soldats qui, définitivement repoussés, battaient en retraite du côté de Capoue. Les cris de trahison retentissaient de toutes parts, mêlés d’invocations à la Madone. À Capoue, ce fut bien pis, et malgré la double file de soldats qui les escortait, les prisonniers garibaldiens faillirent être écharpés par une population frénétique de colère et de peur. À leur refus de crier : Vive François II ! des imprécations unanimes et des cris de mort répondirent. Un barbier entre autres, s’élançant du seuil de sa boutique et brandissant un grand rasoir dont il s’était armé, semblait voir à regret lui échapper ces victimes : — Capitano, dame ne uno ! criait-il d’une voix furieuse. Les femmes, les enfans faisaient pleuvoir les injures grossières avec les projectiles immondes, et les prisonniers ne se sentirent en sûreté que derrière les fossés de la citadelle. Ils y trouvèrent des officiers infiniment moins exaltés que la populace des rues, et dont quelques-uns se plaignaient même d’avoir été trompés par François II, « qui avait promis, disaient-ils, de les relever de leur serment d’allégeance. »
Ordre arriva, dès le lendemain, de transporter à Gaëte les garibaldiens pris à la bataille du Volturne. Malgré ses réclamations, M. Arrivabene, qui avait déjà trouvé l’occasion de revendiquer hautement ses immunités de correspondant d’un journal anglais, fut rangé dans la même catégorie et emmené comme les autres. Ils étaient au nombre de quatre-vingt-cinq, entassés sur six charrettes, et firent de nuit la plus grande partie du chemin. À Sant’-Agata, où l’on relaya le matin venu, les scènes de Capoue se renouvelèrent, et ils ne purent que le soir quitter en toute sécurité la caserne de gendarmerie où on les avait mis à l’abri des outrages de la populace ; mais à minuit, quand ils traversèrent le camp napolitain à la clarté des feux de bivac, ils purent se croire définitivement perdus. Les soldats, accourus sur leur passage, ne parlaient de rien moins que de les brûler vifs, ce qu’ils eussent fait sans la noble conduite du capitaine qui commandait l’escorte, et qui, par des charges réitérées à droite et à gauche, sut écarter d’eux cette soldatesque enragée.
Une fois dans Gaëte, où il arriva ce matin-là même à la pointe du jour, tout péril n’avait pas cessé pour le hardi correspondant des Daily News. L’entassement des prisonniers (trente dans deux chambres) et le régime de nourriture que permettait l’allocation royale (30 grani[14] par tête et par jour) constituaient déjà pour un blessé, pour un fiévreux, un danger réel ; mais il y avait à compter de plus avec le mauvais vouloir des autorités militaires napolitaines, qui n’avaient aucun motif, — il faut bien le reconnaître, — de traiter favorablement un représentant, un agent de la presse libérale anglaise. Elles avaient sur M. Arrivabene, en sa qualité de sujet ou de natif autrichien, des avantages qu’elles comprenaient fort bien, et pouvaient, en le faisant transporter à Trieste, en le livrant à l’Autriche, mettre leur responsabilité directe parfaitement à couvert. Cette pensée ne devait rien avoir de très gai pour un homme miné par les souffrances, et qui, écrivant de tous côtés à ses amis, ne recevait d’eux aucune réponse. Ses lettres effectivement, bien qu’elles fussent autorisées, ne parvenaient jamais à leur adresse. Les bruits les plus étranges lui revenaient en outre de tous côtés. Il était, lui disait-on un jour, suspect de menées muratistes. Le lendemain, on le supposait envoyé par lord Palmerston à Garibaldi pour négocier la cession de la Sicile à l’Angleterre ! Si absurde qu’elle fût, cette allégation fit fortune, paraît-il, aux yeux de l’état-major napolitain, car le général Viale, mandant le prévenu devant lui, l’interpella gravement à ce sujet, et ne voulut jamais accepter pour sincères les dénégations du malheureux publiciste. « Nous connaissons, disait-il, les intrigues du noble lord. Le Journal des Débats mentionne votre nom à côté de celui de M. Evelyn Ashley, parent et secrétaire de sa seigneurie, lequel se trouvait comme vous sur le champ de bataille du 19 septembre. Le hasard seul, comme vous voudriez le faire croire, ne vous avait certainement pas réunis. » Et comme M. Arrivabene, las de raisonner sur de pareilles chimères, invoquait purement et simplement la protection de son pays adoptif : « Nous verrons, nous verrons, reprit le général Viale. Le gouvernement anglais s’est habitué à malmener tout le monde ; mais, en ce qui vous concerne, je vous garantis qu’il n’aura pas le temps d’agir ainsi. »
Ces dernières paroles n’avaient rien de fort rassurant, et le récit de M. Arrivabene témoigne qu’elles le laissèrent aux prises avec d’assez vives inquiétudes ; mais l’agent consulaire anglais à Gaëte avait procédé sans retard. Le représentant de l’Angleterre à Naples, M. Elliot, prévenu par lui, intervint avec toute l’autorité, tout l’ascendant que le prestige de la Grande-Bretagne prête à ceux qui parlent en son nom, lorsqu’il apprit que Garibaldi avait vainement offert, en échange du comte Arrivabene, deux colonels napolitains faisant partie des troupes qui avaient mis bas les armes le 2 octobre à Maddaloni. Sur la dépêche du diplomate anglais, un conseil des ministres se réunit, et, contrairement à une décision déjà prise, M. Arrivabene fut mis en liberté. Encore fallut-il l’intervention du ministre de Prusse à la cour de François II pour obtenir du général Ulloa le passeport sans lequel il ne pouvait quitter Gaëte ; il l’eut enfin, et un des bâtimens de l’escadre française le ramena au quartier-général de Garibaldi.
Quelques semaines plus tard, le 3 novembre, il rentrait en triomphateur dans cette ville de Capoue, qu’il avait naguère traversée en prisonnier de guerre.
« La même foule, dit-il, qui le 1er octobre voulait nous massacrer, mes camarades et moi, accourait maintenant au-devant de Garibaldi et de son état-major, et s’égosillait à crier : Vivent nos libérateurs ! Le barbier qui, pour m’égorger, m’avait mis la main sur le collet, ce barbier lui-même, en personne, figurait au premier rang de la foule accourue sur notre passage, et se montrait un des plus enthousiastes. Reconnu par quelques garibaldiens, le drôle reçut une leçon qui, je le suppose, l’aura rendu modéré pour le reste de ses jours. Je traversais la principale rue de Capoue, lorsque je vins à rencontrer le capitaine napolitain qui, pendant notre séjour dans la citadelle, avait été chargé de veiller sur nous. Depuis la capitulation, il était devenu, comme par miracle, le plus déterminé des patriotes italiens, lui que j’avais entendu, quelques semaines plus tôt, traiter Garibaldi de brigand et appliquer à Victor-Emmanuel des épithètes encore plus significatives. — Eh ! capitaine, lui dis-je, serrant la bride de mon cheval, je suis ravi de vous voir dans de meilleurs sentimens… Vous voilà donc en bon chemin pour venir à nous ?
« — De meilleurs sentimens ? reprit-il, pâlissant quelque peu… Je vous garantis bien qu’au fond du cœur, même alors, j’étais… Seulement voyez-vous…
« — Oui, interrompis-je, vous en étiez réduit à dissimuler votre patriotisme, tandis qu’à présent rien ne vous empêche de le laisser paraître… C’est bien cela, n’est-il pas vrai ?
« — Vous l’avez deviné, répondit-il,… et je compte que vous serez assez bon pour me recommander au général piémontais… Une commission de major ferait assez mon affaire.
« — Presque tous ressemblent à ce gaillard-là, dit un des officiers du général Della Rocca, auditeur involontaire de cette courte conversation.
« Par le fait, il ne se trompait guère. Le capitaine en question n’était que le type d’une classe longtemps avilie. »
Parlant ailleurs de la démoralisation profonde où le gouvernement des Bourbons avait plongé les hautes classes de la société napolitaine, le publiciste anglo-italien s’exprime en ces termes :
« Le niveau moral n’était guère beaucoup plus élevé chez le plus grand nombre des hommes appartenant au parti libéral. Dans ce parti lui-même, les individualités comme celles de Poerio, Settembrini, Massari, Spaventa, Pace, Nicotera, Piria, Stocco, Tommasi, et quelques autres, étaient plutôt l’exception que la règle. Je me rappelle qu’un jour, sous la lieutenancegénérale de Farini, je me trouvais au palais, causant avec le comte Visconti-Venosta, quand le concierge vint lui annoncer une députation des martyrs de la liberté. Les personnages qui la composaient demandaient à être présentés à Farini. Provisoirement on les avait laissés sous le vestibule.
« — Qu’entendez-vous par les martyrs de la liberté ? demanda mon ami au concierge.
« — Excellence, répondit celui-ci, ce sont les patriotes emprisonnés ou persécutés sous les Bourbons.
« Croyant qu’il s’agissait seulement de faire accueillir leurs hommages AU lieutenant-général, le comte donna ordre qu’ils fussent introduits, et Farini les reçut avec toute la courtoisie qu’il déploie en ses momens de bonne humeur. — Que puis-je pour votre service, messieurs ? Leur demanda-t-il.
« — Les martyrs que nous représentons, répondit le martyr chargé de porter la parole, demandent à être employés par le gouvernement. Chacun a droit à une place, une place lucrative, et compte qu’elle lui sera donnée sans délai.
« Le lieutenant de Victor-Emmanuel parut admettre en principe la légitimité de cette requête à brûle-pourpoint, fondée, pensait-il, sur les persécutions politiques dont les solliciteurs avaient dû être l’objet. Il promit donc de la prendre en considération, arguant toutefois de la difficulté qu’il aurait à trouver de l’emploi pour tant de réclamans, quels que fussent d’ailleurs les titres qu’ils avaient à faire valoir.
« Là-dessus, comme si tous les martyrs, vivans ou défunts, non-seulement du royaume de Naples, mais de l’Italie entière, eussent été réunis dans le salon, il s’éleva un chœur formidable : — Du pain ! du pain ! s’écriaient à l’envi toutes ces voix suppliantes. Nous mourons de faim, tous tant que nous sommes !
« Farini, un peu étonné de trouver des estomacs aussi affamés dans le voisinage de poumons aussi robustes, tira cependant sa bourse, et, moitié pitié, moitié dégoût, la vida devant cette foule plaintive. — Si c’est du pain que vous demandez, prenez ceci ! disait-il. — Et, du seuil de la porte où j’étais resté, je vis avec un inexprimable serrement de cœur ces misérables, transformés tout à coup de quêteurs de places en véritables mendians, se jeter sur les quelques napoléons qui étaient tombés de la bourse, puis saisir la bourse même, et la déchirer en se l’arrachant l’un à l’autre, sans se soucier le moins du monde des martyrs absens.
« Le lecteur aurait tort de penser que les acteurs de cette ignoble scène appartenaient aux bas-fonds de la société. Tout au contraire c’étaient des gens de la classe aisée, des avocats, des médecins, des ingénieurs, qui, depuis l’octroi d’une constitution par François II, ou bien étaient rentrés de l’exil, ou bien étaient sortis de prison, ou s’étaient vus délivrés de la surveillance qui auparavant pesait sur eux. »
M. Arrivabene ne quitta Naples que lorsqu’il eut assisté, sans y prendre trop d’intérêt, au bombardement final de Gaëte. Après bien des incertitudes, bien des ajournemens, l’escadre française avait fini par se retirer (janvier 1861), et la flotte sardo-napolitaine se dédommageait amplement de la longue inaction à laquelle notre présence l’avait réduite. Des hauteurs des Cappuccini et de Sant’Agata ou même de Rialto de Castellone, grâce à l’extrême portée des canons Cavalli, une pluie de boulets tombait sur la ville condamnée. Le drame tirait à sa fin, et le dénoûment ne se fît pas attendre. Le rôle que nous y avions joué n’est pas difficile à définir, si on veut bien se rapporter à ce que nous avons déjà dit, et surtout si on rapproche ce rôle de celui qui nous est encore attribué dans la ville éternelle.
Les dernières pages du livre de M. Arrivabene permettent d’entrevoir les conséquences de la politique ainsi continuée. Dans un chapitre consacré à l’avenir de l’Italie, l’auteur résume quelques conversations qu’il eut en 1861 avec M. Rattazzi et le général Garibaldi, à l’époque où le premier venait de succéder au baron Ricasoli, et où le second attendait à l’œuvre la politique inaugurée par ce changement de ministère, politique à double caractère d’où est sortie la prise d’armes d’Aspromonte. Des débats qui venaient d’avoir lieu au sénat et au corps législatif, M. Rattazzi tirait cette conclusion, qu’il existait en France un parti considérable en faveur des droits de la cour pontificale : « Et, ajouta-t-il, ce serait folie pure que de songer à prendre possession de Rome sans le consentement de l’empereur. » Quant à Venise, on ne l’aurait qu’au prix d’une guerre avec l’Autriche, et il fallait se mettre en état de faire honneur à cette redoutable échéance. M. Rattazzi reconnaissait d’ailleurs, en les évaluant fort haut, les services que l’appui moral de l’Angleterre avait rendus à la péninsule, soit en favorisant les annexions au Piémont, soit en maintenant le principe de non-intervention. Garibaldi, sur ce dernier point, se montrait plus enthousiaste encore que le chef du cabinet italien : « L’Angleterre, disait-il, est la garantie des libertés de l’Europe, et nous espérons en elle pour la grande lutte qui approche… »
Il est pénible d’avoir à signaler l’immense et unanime gratitude que l’Italie garde à l’Angleterre en échange de quelques discours et de quelques protocoles, quand il faut ensuite la comparer à la reconnaissance contrainte, soigneusement mesurée, officielle pour ainsi dire et de commande, que lui ont léguée les secours décisifs, les éclatans sacrifices, l’appui longtemps désintéressé dont elle nous est redevable. Il y a là une sorte de phénomène dont il faut se rendre compte, une véritable énigme dont il est bon d’avoir le mot. C’est à ce point de vue que nous avons interrogé le livre dont le titre est en tête de ces pages, ainsi que les documens qui nous aidaient à le contrôler. Avons-nous réussi à mettre en lumière, comme nous le désirions, les contradictions, les anomalies, les vacillations qui ont amené ce résultat étrange ? Avons-nous bien fait comprendre, par les détails où nous avons cru pouvoir entrer, ce qu’elles avaient de blessant et d’inopportun ? S’explique-t-on le désappointement de ce peuple naïf qui, après nous avoir salués en libérateurs, nous voit contraires à ses aspirations naturelles vers la liberté, qui est obligé d’achever sans nous, et en apparence malgré nous, l’œuvre commencée avec nous et à laquelle il s’était cru appelé par nous ? Saisit-on le lien naturel qui s’est formé, qui se resserre tous les jours entre l’Angleterre protestante et l’Italie hostile au pouvoir temporel des papes, et cela malgré les restrictions de la diplomatie anglaise au sujet des droits de l’Autriche sur Venise[15], restrictions moins blessantes dans leur loyauté hautaine que ne l’ont été nos réticences imprévues et nos fluctuations mystérieuses ?
À l’heure qu’il est, ce que donnent à prévoir les récits de M. Arrivabene ne se réaliserait-il pas ? La situation respective des trois puissances ne se dessinerait-elle point ainsi ? L’Italie compte sur l’Angleterre pour fléchir à la longue les incompréhensibles résistances que la France oppose à son développement. L’Angleterre semble promettre Rome à l’Italie et lui refuser Venise. La France maintient le présent et réserve l’avenir, sans se soucier des mécontentemens qu’elle laisse s’envenimer et des préjugés hostiles qui s’enracinent dans le pays qu’elle a tant fait pour se concilier. Dans un conflit européen, s’il en éclatait un, l’Angleterre trouverait donc l’Autriche sans griefs et l’Italie profondément sympathique. La France aurait, pour faire face aux ressentimens de l’Autriche et de quelques souverains allemands, l’Italie désaffectionnée et l’Angleterre jalouse de nos agrandissemens territoriaux. L’Italie enfin, si elle obéissait à ses tendances plutôt qu’à ses véritables intérêts, demanderait à l’Angleterre de maintenir la paix entre elle et l’Autriche, dût-elle, pour se concilier l’une et l’autre de ces puissances, oublier les services passés, et payer d’une neutralité coupable l’affermissement des conquêtes qu’elle nous doit. Est-ce bien là le but auquel tendait la campagne de 1859 ? Le livre de l’observateur pénétrant que nous avons pris pour guide nous conduit à cette question, qu’il suffit de poser, et que nous n’avons point à débattre.
E.-D. FORGUES.
- ↑ En arrivant à Come, d’où les Autrichiens venaient de sortir précipitamment, Garibaldi, qui depuis Verrue n’avait plus aucunes nouvelles du théâtre de la guerre, apprend que les fils télégraphiques subsistent encore du côté de Milan. « Demandons ce qui se passe, dit-il en riant. Peut-être aura-t-on la bonté de nous répondre… » Le major Corte, par son ordre, lance la question suivante : Les alliés ont-ils fait quelque mouvement offensif ? — Réponse : Qui demande ceci ? — Réplique : Le lieutenant-général Urban. Sur quoi revient un télégramme ainsi conçu : Non, les alliés n’ont pas encore marché en avant.
- ↑ Nommons seulement Grioli, Tazzoni et Benedini, tous les trois pendus en 1853 à Mantoue, sous le proconsulat du maréchal Radetzky.
- ↑ Italy under Victor-Emmanuel, t. Ier, p. 258-259. — La prédiction de M. de Cavour fixait au 1er août l’entrée des allies dans les murs de Mantoue. Ibid., p, 257.
- ↑ Campagne de l’empereur Napoléon III en Italie (1859), rédigée au dépôt de la guerre d’après les documens officiels, 1 vol. in-4o, accompagné de deux atlas. — Cet ouvrage, véritable chef-d’œuvre de typographie et de gravure, ne se trouve pas dans le commerce ; nous en avons dû la communication à une obligeante amitié.
- ↑ C’est à ce moment que Victor-Emmanuel, arrivant au galop sur le lieu de l’action, criait gaîment à ses troupes : « Allons, enfans, il faut reprendre San-Martino, ou l’ennemi nous le fera faire !… » Faire Saint-Martin, en italien, c’est déloger, changer de domicile, et ceci à cause de la date la plus ordinaire des baux de location.
- ↑ Le général Benedek avait déjà fait partir pour Cavriana un officier charge d’informer l’empereur François-Joseph qu’avant dix heures il aurait coupé les communications entre l’armée sarde et l’armée française.— Italy under Victor-Emmanuel, t. Ier, p. 204.
- ↑ Le signal de cette dernière attaque : Avanti ! alla carica ! fut donné par le roi lui-même, criant et galopant sur le front des bataillons qui s’élançaient.
- ↑ En évaluant à 20,000 hommes les troupes que Benedek avait massées là pour couvrir sa retraite, M. Arrivabene se laisse entraîner à une exagération bien évidente, Benedek ne disposant en tout que de six brigades.
- ↑ La première division, retardée par une légère escarmouche du côté du mont Fani, n’avait pu arriver à temps pour participer à la prise de San-Martino.
- ↑ Selon quelques-uns des biographes les plus accrédités de M. de Cavour, la cession de la Savoie à la France n’avait pas à ses yeux un caractère définitif. On peut lire à ce sujet l’étude consacrée par la Quarterly Review (1861) à l’homme d’état que l’Italie venait de perdre. M. Arrivabene, qui cite cette opinion du reviewer anglais, la confirme par un souvenir personnel. Dans une conversation d’après-dîner, peu de jours avant la motion de Garibaldi sur ce qu’il appelait la « vente d’un peuple, » M. de Cavour s’attachait à démontrer au correspondant des Daily News que l’Angleterre, si émue alors de l’accroissement de notre territoire, n’avait aucun motif légitime de s’en prendre à lui, Cavour, et de l’accuser de duplicité… « Puis, continue M. Arrivabene, il termina brusquement notre entretien par une phrase dont le sens était que Nice, tout au moins, redeviendrait italienne un jour ou l’autre. » — Italy under Victor-Emmanuel, t. II, p. 12 et 13.
- ↑ Remarquons en passant que M. Arrivabene, bien que présent sur les lieux, n’a pas donné à ce singulier incident sa véritable physionomie. Il affirme (tome II, page 294) que « le commandant de l’escadre française, non-seulement refusa de reconnaître le blocus officiellement dénoncé par la Sardaigne, mais alla jusqu’à prévenir l’amiral Persano qu’il ouvrirait le feu contre la flotte sarde, si elle attaquait l’arrière-garde de l’armée napolitaine, alors en pleine retraite sur Mola di Gaeta. » Or premièrement ce n’était pas la Sardaigne, c’était le gouvernement dictatorial qui avait dénoncé le blocus, et la Sardaigne n’éleva jamais sur ce point des prétentions nettement définies ; elle y renonça même expressément, nous venons de le voir. En second lieu, les troupes napolitaines n’abandonnèrent la ligne du Garigliano qu’après que notre escadre eut quitté l’embouchure de cette rivière. Enfin l’ultimatum notifié à l’amiral Persano ne concernait que le cas où la division navale piémontaise franchirait la ligne au-delà de laquelle on entendait la retenir.
- ↑ Un détail navrant de cette lutte fratricide est la situation où se trouvèrent les sept ou huit mille soldats de François II qui, après la reddition de Capoue, au lieu de se retirer, comme le gros de l’armée du Volturne, dans la direction de Terracine, et de se faire désarmer par nos troupes sur le territoire pontifical, se laissèrent acculer entre les avant-postes piémontais et la place de Gaëte. La ville était encombrée, la garnison plus que suffisante, les approvisionnemens aménager strictement. Sommés de se rendre par le général Cialdini, qui menaçait, en cas de refus, de ne pas leur accorder quartier, ces malheureux se virent impitoyablement refuser l’accès de la ville assiégée, et sans vivres, sans bois, sans moyens de campement, à peine abrités par les maisons du faubourg, où ils détruisaient et brisaient les charpentes pour se procurer le combustible indispensable, ils demeurèrent abandonnés plusieurs jours, et ne rentrèrent dans Gaëte qu’après avoir longtemps subi sans se défendre le feu de l’artillerie piémontaise.
- ↑ Cette montre lui fut restituée ultérieurement par ordre exprès du roi de Naples.
- ↑ Le grano napolitain est une monnaie pour ainsi dire infinitésimale. Il en faut dix pour faire un carlin, lequel est la vingt-quatrième partie du scudo (5 fr. 10 c). C’était donc 60 centimes à peu près qui étaient assignés pour la nourriture de chacun des officiers prisonniers. Pour les soldats, l’allocation était de cinq grani, c’est-à-dire de dix centimes. Aussi mouraient-ils littéralement de faim.
- ↑ Dépêche de lord John Russell à sir James Hudson, du 31 août 1860.