L’Oblat (Huysmans)/14

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P.-V. Stock (p. 386-409).

XIV

M’expliquerez-vous à la fin ce que cela veut dire, s’exclama Mme Bavoil qui brandissait des journaux au-dessus de la tête de Durtal, assis, après déjeuner, devant une tasse de café.

Car enfin, reprit-elle, ou c’est moi qui suis démente ou ce sont les autres qui sont fous. Voilà toutes les Carmélites qui, ne voulant pas demander l’autorisation au gouvernement, se sauvent. C’est une véritable débandade ; sauf le carmel de Dijon et de quelques autres villes, tous, et il y en a une vraie ribambelle, — tenez, regardez, — bouclent leurs malles ; comprenez-vous cela ?

— Je ne comprends pas plus que vous, répondit Durtal en rendant à Mme Bavoil, son journal. Les Carmels ont reçu une lettre de leur supérieur à Rome, le cardinal Gotti, leur prescrivant de filer, et la presse maintenant, sur la déclaration du P. Grégoire, définiteur de l’ordre pour la France, spécifie, formellement, que cette lettre du cardinal est un faux. Que croire ? je l’ignore.

— Faux ou pas, la question n’est point là. Les Carmels sont des maisons d’expiation et de pénitence ; ils doivent appeler la persécution et non la fuir ; est-ce que les Carmélites de Compiègne n’ont pas été envoyées par le tribunal révolutionnaire de Paris à l’échafaud ? Ont-elles eu peur, ont-elles décampé, celles-là ?

— Vous devenez belliqueuse, madame Bavoil ; qu’est-ce qui vous prend ?

Mais sans répliquer, Mme Bavoil s’assit sur une chaise et continua :

— Je suis exaspérée par ce que je lis. Ah ! Jeanne de Matel avait raison de dire que l’on gagne Dieu en se perdant. Si ces moniales s’étaient perdues en lui, elles attendraient, impassiblement, qu’on les chassât.

Celles-là détalent, vos Bénédictins aussi ; et les Chartreux, les Dominicains, les franciscains, les trappistes, les Bénédictins de la pierre-qui-vire, sollicitent l’autorisation. Pourquoi ces différences ?

— Je n’en sais rien. Le Pape a permis, sous certaines réserves, de se conformer à la loi ; les instituts qui s’y soumettent ne peuvent donc avoir tort, mais je m’imagine aussi que ceux qui refusent d’obéir à d’iniques édits ont raison.

— C’est une réponse de Normand, notre ami ; puisque Rome consent, pourquoi des ordres se montrent-ils plus papalins que le Pape ?

— Allez le leur demander ; mais puisque vous désirez savoir mon opinion très franche, la voici : je pense que, sauf pour des œuvres de bienfaisance que le gouvernement est incapable de remplacer, les pétitions des couvents seront rejetées en bloc par les chambres et je ne vois pas dès lors qu’il y ait lieu pour des moines de s’infliger de vaines et d’humiliantes démarches…

— Mais, sapristi, un moine, c’est fait pour être humilié ! s’il n’accepte pas humblement, joyeusement, les camouflets, voulez-vous dire en quoi il est supérieur aux autres hommes ; ah ! Je vais vous vider le fond de mon sac, car j’étouffe, à la fin ; eh bien, il y a un affaissement de l’esprit religieux ; les monastères sont en pleine décadence ; vous me racontiez, un jour, que si des catastrophes telles que l’incendie du bazar de la charité, avaient pu se produire, cela venait de ce qu’il n’existait pas assez de cloîtres de réparation, de refuges de pénitence ; l’équilibre était rompu ; les paratonnerres étaient insuffisants.

— Oui.

— Eh bien, êtes-vous sûr que ceux qui subsistent ne soient pas, voyons, comment dire…

— Rouillés, désaimantés, si vous aimez mieux.

— C’est cela ; eh bien, êtes-vous sûr que si le seigneur a sévi, c’est parce que la quantité manquait ; ne croyez-vous pas que ce fut surtout parce que la qualité faisait défaut ? Moi, j’ai grand’peur que les réservoirs d’expiation, bouleversés par le souffle démoniaque, ne se relâchent.

— Je l’ignore.

— Si ce que je présume est exact, il faut s’attendre à ce que le bon Dieu tombe sur nous et nous oblige à lui donner un coup de main, pour remettre les choses en place, et vous savez comment il procède, dans ces cas-là, il vous accable d’infirmités et d’épreuves. Les catholiques qui regardent tranquillement partir en exil leurs quelques défenseurs, vont subir toutes les maladies, toutes les tribulations, tous les maux ; bon gré, mal gré, ils écoperont ; car la canaillerie de la France va se trouver sans contre-poids.

— Le fait est que c’est une triste aventure que cette fuite des Carmels ! Et, en effet, en supposant même que les ordres durs aient autant besoin que les autres de réformes, ils n’en étaient pas moins d’utiles parafoudres ; mais il ne sied pas de s’en prendre aux cloîtres qui s’acquittent plus ou moins bien de leur mission, de l’état de décomposition où nous sommes ; prenez-vous-en surtout aux évêques, au clergé, aux fidèles, à tous les catholiques, en un mot.

Les Evêques, je n’en parle pas ; à part les anciens, promus en des temps meilleurs, les autres ont été, pour la plupart, apprivoisés et chaponnés dans les cages des cultes ; quant au clergé, il tourne au rationalisme ou alors il se révèle d’une ignorance et d’un laisser-aller qui désolent. La vérité est qu’il est le produit de méthodes obsolètes et futiles, de méthodes mortes. L’éducation des séminaires est à jeter à bas ; on étouffe dans ces classes où l’on n’a jamais ouvert une fenêtre, depuis la mort de M. Olier. L’instruction y est surannée et les études nulles. Mais qui aura le courage de casser les vitres, de chasser un peu d’air frais l’humide touffeur de ces pièces ?

Les fidèles, eux, ils ont poussé à la roue et aidé à faire du catholicisme ce qu’il est devenu, ce quelque chose d’émasculé, d’hybride, de mol, cette espèce de courtage de prières et de mercuriale d’oraisons, cette sorte de sainte tombola où l’on brocante des grâces, en insérant des papiers et des sous dans des troncs scellés sous des statues de saint !

Mais, à dire vrai, la question est plus haute et elle remonte plus loin que ces dévotions d’origine récente ; depuis de longues années déjà, en France, la religion macère dans une mixture de ce vieux suint janséniste que nous n’avons jamais pu éliminer et de ce suc tiède que les jésuites nous injectèrent, dans l’espoir de nous guérir. Hélas ! Le remède n’a pas agi et ils ont ajouté à un desséchant, un déprimant. Le bégueulisme imbécile, la peur de notre ombre, la haine de l’art, l’incompréhension de tout, l’inindulgence pour les idées des autres, nous les devons aux disciples de Jansénius, aux appelants. La passion des dévotionnettes, la prière sans liturgie, la suppression des offices soi-disant compensés par de grands saluts en musique, le manque de nourriture substantielle, le régime lacté des âmes, c’est des pères de la compagnie de Jésus que nous les tenons. Les idées de ces irréconciliables ennemis ont fini par se fondre dans nos âmes, en cet étrange amalgame d’intolérance sectaire et de pieusarderie féminine dans lequel nous nous désagrégeons.

Certes, maintenant qu’on les traite en parias, je plains les jésuites qui sont de braves et de saintes gens et comptent parmi eux des conducteurs d’âme et des savants fort supérieurs, entre nous, à ceux des autres ordres. Mais quoi ? Quel a été le résultat de leur éducation ? Des trouillot, des monis ou alors de fades jeunes gens qui se cachent plus que les autres pour courir la gueuse, mais qui seraient incapables de risquer une torgnole pour protéger leurs maîtres ou défendre l’Eglise.

L’expérience est acquise. Aucun homme de surprenante valeur n’est sorti de ces manutentions ; elles vont disparaître ainsi que celles des autres instituts qui n’ont pas mieux réussi que les jésuites, d’ailleurs ; qu’y perdrons-nous ?

— Ce n’est pas leur faute, opina Mme Bavoil ; l’on ne saurait avec de mauvais draps façonner de bons habits.

— Sans doute, mais laissons cela et avouons qu’en thèse générale, les revendications que nous formulons sont plutôt hypocrites. Nous réclamons aujourd’hui la liberté et nous ne l’avons jamais accordée aux autres ! Si demain le vent tournait, si c’était un des tristes légumes récoltés dans nos potagers catholiques, qui supplantait Waldeck, nous serions encore plus intolérants que lui et nous le rendrions presque sympathique ! Nous avons embêté tout le monde, madame Bavoil, alors que nous disposions d’un soupçon d’autorité, on nous le rend ; tout se paie ; le moment de l’échéance est venu.

Remarquez bien d’ailleurs que les jacobins qui nous oppriment ne sont pas issus d’un germe momentané ; ils sont la résultante d’un état spécial ; ils ont été engendrés par la faiblesse de notre foi, par l’anémie de nos prières, par la veulerie de nos instincts, par l’égoïsme de nos goûts.

Ah oui ! Les catholiques ont tout mérité ; nous devrions nous répéter cette phrase, chaque matin et chaque soir, à genoux, devant Dieu et devant les hommes !

— Comment nous tirerons-nous de ce pétrin, notre ami ?

— Je ne sais, mais je suis cependant certain que Notre Seigneur extraira le bien du mal ; s’il permet que son église soit suppliciée, c’est qu’il entend la préparer par la persécution à de nécessaires réformes ; le glas des ordres sonne, les cloîtres vont disparaître. Il les remplacera par autre chose. Pas plus que l’Eglise, l’idée monastique ne peut périr, mais elle peut se modifier. Ou il créera des instituts nouveaux plus en accord avec les données de notre temps, ou il greffera sur les anciens de nouvelles branches ; nous verrons sans doute un développement des affiliations et des tiers-ordres qui, par leur devanture laïque, échappent aux contraintes des lois. Je ne suis point inquiet, à ce point de vue, la sainte vierge saura bien, quand elle le voudra, grouper les gens.

Là-dessus, je vous souhaite le bonsoir et je m’en vais à l’abbaye dire adieu au P. de Fonneuve qui part, ce soir, pour la Belgique et assister à la dernière prise de coule qui aura lieu, après les Vêpres.

— Qui prend la coule ?

— Un jeune séminariste novice, le frère Cholet.

— Vous le connaissez ?

— Non, je sais seulement qu’il est poitevin, ce qui n’est pas précisément une recommandation, car s’il a les vices de son pays d’origine, il sera singulièrement musard et sournois ; enfin, espérons que celui-ci, en n’étant pas un propre à rien, fera exception à la règle de sa race.

Lorsque Durtal pénétra dans le cloître, il fut assourdi par les coups de marteaux qui frappaient de toutes parts. Leur vacarme sortait, à tous les étages, par toutes les fenêtres. L’on clouait partout des caisses. La salle des hôtes dans laquelle il entra était bourrée, du plancher au plafond, de tables de bois blanc, les pieds en l’air, de bureaux d’écoliers peints en noir, de tabourets raccommodés, de chaises de paille ; c’était pitié que de voir la misère de ce mobilier dont le plus indigent des ouvriers n’eut pas voulu !

Et dans une autre pièce, il aperçut, en tas, des cheminées à la prussienne, des seaux de coke rouillés, des gerbes de pincettes et de pelles, des amas de tuyaux de poêle, des coudes de tôle, des chaises percées pour les malades, des cuvettes et des pots, fêlés, égueulés, privés d’anses.

— Pourquoi, diable, emportez-vous ce fourbi qui ne vaut pas la paille dont on l’enveloppe ? Demanda-t-il, au p. Ramondoux, le préchantre, en train de dresser l’inventaire de ces pauvretés que des convers et des novices emportaient, à mesure qu’elles étaient inscrites.

Et de la voix de tonneau, il s’échappa une réponse touchante :

— Evidemment, au point de vue pécuniaire, il serait préférable d’abandonner tout ce bric-à-brac dont la valeur sera dépassée par les frais de transport ; mais l’exil sera moins pénible avec les choses dont on a l’habitude ; on se retrouvera plus vite chez soi, là-bas, avec ces vieux ustensiles qu’avec des neufs.

Et, comme Durtal s’enquérait de Dom de Fonneuve.

— Il est à la bibliothèque, répartit le père ; c’est lui qui surveille l’emballage des livres.

Dans les corridors qu’il traversa, Durtal se heurta contre de nouvelles barricades de débarras. Des lits de fer étaient pliés, ainsi que des casiers de bouteilles, le long des murs, des matelas en galette s’empilaient près de seaux de toilette, de cruches de grès, de thomas de faïence et de jules de zinc ; de la vaisselle traînait dans du foin. Il croisait des moines auxquels il serrait, silencieusement, la main ; c’était une solitude de gens dans une confusion d’objets ; chacun, livré à ses tristesses, se taisait.

Il gagna l’escalier à vis du quinzième siècle et monta dans le tapage des marteaux, jusqu’au second étage ; la porte de la bibliothèque était ouverte ; l’on plongeait du palier dans une enfilade de pièces, très élevées de plafond, pleines, du haut en bas, de volumes. Le long des rayons en bois blanc, des échelles à roulettes couraient, chargées de novices parmi lesquels Durtal reconnut le frère Gèdre et le frère Blanche.

Dans un angle, le P. de Fonneuve, le visage décomposé, était assis. D’un geste, il désigna à Durtal toutes les rangées du bas, remplies de vieux in-folios et les larmes lui vinrent aux yeux.

Ces casiers qu’il montrait contenaient les grandes collections de l’abbaye ; c’étaient les enfants chéris du prieur, ces bouquins poudreux, reliés en parchemin, en veau fauve aux ors effaçés et aux titres éteints.

Il promenait Durtal devant, le forçait à se baisser pour les voir de plus près, tirait un tome des rayons.

Celui-là est rare, soupirait-il, indiquant les antiques volumes des « Annales minorum » de Wadding ; et Durtal passait, en une brève revue, le « monasticon anglicanum », l’histoire littéraire de la France des Bénédictins de saint Maur, « le recueil des historiens des Gaules », « la Gallia christiana », les « Acta sanctorum », en l’ancienne édition, le « de antiquis ecclesiae ritibus » de Martène, les « Annales de Mabillon », le Bulteau, les collections des le nain de Tillemont, de Dom Ceillier, de Muratori, la collection des conciles de Mansi.

— Tenez, mon cher enfant, regardez si nos in-folios de Baronius sont beaux. C’est l’édition de 1738 à laquelle sont joints les « Annales sacri » de Tornielli ; c’est la meilleure édition, car celle de Bar-le-duc ne renferme pas les indices.

Et voici la patrologie et toute la série des Migne, le répertoire des sources historiques au Moyen-Age, du chanoine Ulysse Chevalier, les glossaires de Du Cange, le dictionnaire de Lacurne de Sainte-palaye, les solides outils des travaux des cloîtres.

Le P. De Fonneuve parlait à voix basse et ses mains tremblaient, en écoutant sonner les marteaux. Il semblait, à chaque caisse, que l’on clouait, qu’on ensevelissait dans un cercueil, l’un des siens.

Qu’est-ce que tout cela va devenir à l’étranger, dans un château où il n’y a pas de place pour les loger, où aucune bibliothèque ne sera prête pour les recevoir ? murmurait-il.

Oui, prenez, dit-il, au petit frère Blanche qui se présentait avec sa bonne figure souriante, pour le prévenir qu’il allait déménager les in-folios.

Il saisit le bras de Durtal ; descendons, fit-il. Ils enfilèrent une autre pièce ; celle-là n’était déjà plus qu’à moitié pleine. Des vides s’allongeaient dans les casiers, des livres qui n’étaient plus calés par les autres gisaient, étalés dans des amas de poussière, sur les planches.

Il hâta le pas et emmena Durtal, en bas, dans le cloître, mais là encore, il se cogna contre des casiers, contre des pyramides d’objets hétéroclites descendus des greniers et déposés sous les arcades, en attendant qu’on les emballât.

— Allons dans le jardin, loin de ce tohu-bohu ; — ils se dirigeaient vers la porte quand ils rencontrèrent M. Lampre. Lui, sortait de chez le P. Abbé ; il paraissait abattu et sa barbe sanglière semblait tirée, comme tourmentée par un fourragement fiévreux de mains.

— Eh bien, demanda-t-il, l’empaquetage de bouquins avance ?

— Oui, répondit le père, avec un soupir.

— Et vous partez toujours, ce soir, pour la Belgique ?

— Oui, mais je n’y séjournerai guère et rejoindrai sans tarder le Val des Saints, car je tiens à surveiller, moi-même, la mise des étiquettes sur les caisses. Ah ! Il s’en écoulera du temps avant que l’on n’ait réinstallé et classé cette bibliothèque dans un grenier, Dieu sait où !

Il y eut un silence, puis, se parlant plus à lui-même qu’à ses deux compagnons, le vieux religieux reprit :

— Pour nous autres, enfermés dans un monastère, peu au courant des incidents qui se produisent depuis des années, au dehors, quel réveil ! — mais lorsqu’on marche sur sa soixante-treizième année et que le sommeil devient, de jours en jours, plus rare, l’on est bien forcé, la nuit, de méditer son examen de conscience et alors on se pose la question de savoir si le seigneur, mécontent de ses ordres, ne tolère pas cette persécution pour les punir.

Oui, cette idée me hante, pendant mes insomnies, et je commence à croire que nous n’avons pas volé le châtiment que le sauveur nous inflige.

Voyez-vous, continua Dom De Fonneuve, après un silence, certainement on aime bien le bon Dieu, dans cette abbaye ; je puis assurer, sans mentir, qu’elle ne détient aucun mauvais moine, mais est-ce suffisant ?

Un mot a été prononcé, il y a quelques années, par un postulant venu du monde et que nous avons d’ailleurs congédié, pour motif de non vocation ; ce mot je n’ai pu l’oublier et il m’obsède, le voici : « on ne mange pas mal dans ce cloître, on y dort suffisamment, on n’y travaille pas et l’on y fait son salut, c’est mon affaire. »

L’exagération est manifeste, mais…

— Voyons, père, fit Durtal, on ne mange pas si bien que cela, chez vous !

— On ne mange pas bien !

— C’est mangeable, soyons juste, mais ce n’est pas un régal ; le péché de gourmandise est sauf.

Le père tombait de son haut.

— Vous êtes difficile, dit-il, moi je trouve que c’est bon, trop bon ; au reste, cette question de la cuisine n’est que subsidiaire ; mais elle se rattache à tout un ensemble de choses qui m’inquiète.

Je suppose, en effet, que je ne sois pas entré au cloître, que je sois resté dans le monde, ainsi que vous. J’aurais eu certainement bien des épreuves, bien des peines que j’ai évitées, en étant en clôture. Il m’aurait fallu gagner ma vie, payer mon terme, élever des enfants si je m’étais marié, soigner peut-être une femme malade ; d’autre part, admettons que, n’étant point demeuré laïque, je sois curé ou vicaire dans une campagne, j’aurais alors charge d’âmes, je devrais courir dans les hameaux de ma paroisse pour dispenser des secours, me débattre avec mon évêque et des municipalités souvent hostiles, mener une vie de chien, en un mot.

Au lieu de cela, je suis tel qu’un coq en pâte, qu’un rentier. Je n’ai à m’occuper ni de ma nourriture, ni de mon loyer, ni d’enfants ; je n’ai pas à porter, la nuit, le viatique, souvent au loin ; j’ignore les arias de l’existence ; et je pense qu’en échange de tant de tracas supprimés, je n’ai pas donné grand’chose à Dieu…

Il me semble, pour tout dire, que j’ai tiré mon épingle des holocaustes.

— Oh ! père, vous biaisez, s’exclama Durtal ; vous avez travaillé, toute votre vie, sans jamais prendre aucun repos. Et l’existence en commun si pénible et que tous les autres évitent, et les levers à quatre heures, l’hiver, et les longs offices dans une église froide, et le manque de liberté, et les mortifications dont vous ne parlez pas !

— Mais c’est l’enfance de l’art du seigneur, mon cher ami ; moi, je vois clair, je me suis, personnellement, beaucoup trop écouté ; quand je me sentais un peu souffrant, je m’imaginais de faciles excuses pour ne pas descendre à Matines !

— Vous, fit M. Lampre, c’est le P. Abbé qui à dû vous interdire, à certains moments, d’être présent à l’office de nuit ; vous défailliez de faiblesse dans le chœur et l’on était obligé de vous remonter dans votre cellule.

— Il est évident, reprit le moine qui ne les écoutait pas, que nous manquons de vie intérieure dans nos cloîtres ; nous nous figurons que lorsque nous avons récité l’office, nous sommes quittes avec Dieu ; c’est là une sérieuse erreur ; il faut aussi travailler et souffrir et nous paressons et nous ne nous immolons pas. Où est dans tout cela la sainte folie de la croix ?

— Ah çà, père, répliqua M. Lampre, sauf votre respect, vous vous moquez de nous. Vous êtes couvert d’infirmités ; il y a des mois où vous ne pouvez mettre un pied devant l’autre, où vous vous traînez pour atteindre la chapelle, le long des murs. Des immolations ? Mais en voilà ! que voulez-vous de plus.

Qu’il n’y ait pas dans les monastères assez de religieux arrivés à la vie unitive et fondus en Dieu, d’accord et il y a assez longtemps que je me tue à vous le crier ! Mais enfin, voyons, au Val des Saints, vous l’attestiez tout à l’heure, il n’y a pas de mauvais moines ; c’est déjà un point ; d’un autre côté, la situation spirituelle y est meilleure que dans bien des abbayes plus riches où l’argent, comme partout, poursuit son œuvre de détraquement et les démoralise. Vous êtes heureusement pauvres et n’êtes pas par conséquent agités de la monomanie de bâtir des palais et d’acheter des parcs.

Le noviciat est rempli de petites âmes blanches ; il me semble que vous allez pâtir et réparer plus pour les autres que pour vous-même.

Durtal souriait devant ce renversement des rôles. C’était M. Lampre qui défendait maintenant les Bénédictins, alors que c’était lui qui d’habitude les attaquait.

— Nous avons aussi l’orgueil de notre robe à expier, reprit, d’une voix plus basse, le P. De Fonneuve ; nous vivons sur une antique réputation dont nous ne sommes plus dignes ; il est temps de faire notre mea culpa, maintenant que le bon Dieu nous frappe.

Durtal le regardait. Le vieillard avait les yeux pleins de larmes ; il parlait si humblement, d’un ton si convaincu.

Durtal qui l’admirait et l’aimait pour sa grande science et sa grande bonté ne put s’empêcher de l’embrasser ; et le vieil homme se mit alors à sangloter contre l’épaule de son ami.

Puis il regimba.

— Voyez, le beau moine ! s’exclama-t-il, en tâchant de sourire ; une femmelette ne serait pas plus faible ; ah ! Je peux dire que je n’ai pas volé, moi, ce qui m’arrive ! Au fond, c’est parce que j’ai vu emballer des livres auxquels je m’étais trop attaché, que je me suis attendri de la sorte ; cela t’apprendra, sotte bête, à ne pas suivre ta règle qui te défend de tenir à quoi que ce soit !

Adieu, je vais boucler ma valise ; je serai de retour dans quelques jours. Vous assisterez à notre prise de coule, n’est-ce pas ?

— Bien entendu, père.

Le vieux prieur s’éloigna.

— Vous avez causé avec le révérendissime ? demanda Durtal à M. Lampre.

— Oui, sa décision est prise. Aucun religieux, sauf le P. Paton, ne restera au Val des Saints ; c’est l’écroulement définitif de notre projet d’offices. Le père abbé désire d’ailleurs vous en parler lui-même, car il a, en même temps, quelque chose à vous proposer.

— Quoi ?

— Il ne me l’a pas conté.

Les cloches sonnèrent les coups de vêpres ; tous deux se rendirent à l’église. Après l’office qui n’eut rien de particulier, car c’était celui d’un simple confesseur pontife, coté sous le rite double, l’abbé revêtit une étole blanche et, à la suite des pères marchant en tête, et précédé par le frère Blanche qui portait sa crosse et par le frère Gèdre sa mitre, il regagna, à travers la grande allée de l’église, le cloître.

M. Lampre et Durtal emboîtèrent le pas derrière lui sous les galeries et entrèrent, à leur tour, dans la salle du chapitre, une vaste pièce, plafonnée de poutres, garnie, le long de ses murs, de simples bancs, occupée au bout par la cathedra élevée de quelques marches et au-dessus de laquelle était cloué un crucifix. Deux tabourets étaient placés de chaque côté de ce trône et, à droite, se dressait une table sur laquelle étaient posés, un bassin, une aiguière et des serviettes.

Au milieu de la salle, en face du siège abbatial, il y avait un tapis, deux flambeaux allumés, deux chaises, une pour le novice, l’autre pour le P. Felletin et devant celle destinée au novice, un escabeau et un coussin de velours rouge.

Lorsque tous furent assis, le P. Felletin s’avança vers le P. Abbé, le salua et dit, en latin :

— Révérendissime père, la règle a été lue déjà, pour une première fois, à notre frère Baptistin Cholet ; vous plaît-il de le revêtir de la coule des novices ?

— Allez et amenez-le.

Le P. Felletin sortit et revint, quelques minutes après, avec le frère Cholet qui baissait, intimidé, les yeux.

Il se prosterna, étendu à plat ventre sur le plancher.

— Quid petis ? que demandez-vous ?

— La miséricorde de Dieu et la confraternité avec vous.

Et l’Abbé répondit :

— Que le seigneur vous associe à ses élus !

— Amen.

L’Abbé reprit :

— Surge in nomine Domini ; levez-vous, au nom du Seigneur.

Le frère se leva et se mit à genoux ; l’abbé lui montra la règle de saint Benoît, s’enquit de savoir s’il voulait l’observer et, sur sa réponse affirmative, il répliqua « que Dieu achève ce qu’il a commencé en vous » puis il parla, remerciant le sauveur qui lui donnait, dans les moments si douloureux qu’il traversait, la consolation de voir persévérer une vocation dans son abbaye, et lorsqu’il eut fini son allocution, il se coiffa de la mitre simple, en toile d’argent, entonna l’antienne « mandatum novum do vobis » et les versets, les mêmes que ceux chantés au lavement des pieds du jeudi saint, alternaient, échangés par les deux chœurs des moines.

Dès le début de l’antienne, le postulant, après avoir salué l’officiant, était allé s’asseoir sur la chaise préparée à son usage, en face du trône et il avait défait ses bas et ses chaussures et tendu ses pieds nus sur l’escabeau.

Et l’abbé, la taille ceinte d’un linge, suivi des assistants et du P. Emonot, remplaçant le cérémoniaire, le P. d’Auberoche, parti à Paris pour dénicher de l’argent, s’agenouilla sur le coussin de velours. L’un des assistants tint le bassin, un autre versa de l’aiguière de l’eau tiède parfumée de plantes aromatiques, et le révérendissime lava les deux pieds du frère, les essuya, avec une serviette dont il se servit ensuite pour couvrir seulement les doigts, en laissant le reste des pieds à nu, puis il les baisa, et, chacun vint à son tour s’agenouiller et les baiser.

À la façon dont s’appliquait la bouche, l’on pouvait se rendre compte du plus ou du moins de ferveur et d’affection des pères et des frères ; les uns appuyaient les lèvres, embrassaient réellement, voyant en ce nouveau venu, ainsi que dans tout hôte, l’image du Christ ; les autres embrassaient aussi fortement, par affection fraternelle ; d’autres, au contraire, frôlaient seulement, se bornaient à remplir un devoir, sans y attribuer plus d’importance. Durtal, lui, rêvait à cette coutume, issue des premiers âges, perpétuée par l’église, à cette leçon d’humilité que saint Benoît infligeait à tous ses moines… et, soudain, il ne put s’empêcher de sourire ; le père Philogone Miné, assis, la tête perdue, dans un coin, la recouvrait subitement, ainsi que d’habitude, alors qu’il s’agissait d’un office. Il se démenait et, soutenu par deux frères, se traînait jusqu’au coussin, déposait, en souriant, un bon gros baiser sur les pieds du petit Cholet et était ramassé avec peine et reconduit à son banc.

Quand tous eurent ainsi défilé, sur un signe du maître des cérémonies et tandis que le chœur chantait le cantique : « Ubi charitas », le novice se rechaussa et vint se mettre à genoux, au milieu du chapitre ; les religieux en firent autant, devant leurs bancs.

L’abbé ôta sa mitre et chanta, tourné vers son siège, une série de versets, récita le Kyrie Eleison et le pater et termina par trois oraisons dont la dernière empruntée à l’office du patriarche : « renouvelez, Seigneur, dans votre église, l’esprit qui animait à votre service le bienheureux Benoît, abbé, afin qu’en étant remplis, nous aimions ce qu’il a aimé et accomplissions les œuvres qu’il a prescrites. Par J.-C. N.-S. »

Tous les moines ayant répondu Amen, le révérendissime, en tête du chapitre, se retira.

Cette cérémonie devait se compléter, le lendemain matin, à la grand’messe où, après l’antienne de la communion, suivie du veni creator, l’abbé imposait la coule au novice qui allait ensuite accoler ses frères les novices, et s’installer à la place qu’il devait désormais occuper au chœur.

Cette solennité préliminaire du « mandatum » était toujours touchante par cette prosternation d’un abbé aux pieds de l’enfant qu’il accueillait, parmi les siens ; Durtal y avait assisté, nombre de fois, mais dans les circonstances où celle-ci se produisait, la veille d’un départ pour l’exil, elle devenait singulièrement émouvante.

Il ruminait ces réflexions sous les arcades du cloître, quand le P. Ramondoux vint l’aviser que l’abbé l’attendait pour l’entretenir.

Il monta au premier étage où était située la chambre du révérendissime. Elle ne différait de celles des autres que parce qu’elle possédait, en sus, un petit cabinet à peu près noir, dans lequel était un lit de fer semblable à tous ceux de la communauté ; le reste était aussi minable : murailles badigeonnées au lait de chaux, bureau peint en noir, chaises et fauteuil de paille, armoire de bois blanc et sur la cloison, une croix de chêne sans Christ, et la vierge en couleur de beuron sous passe-partout.

Dom Anthime Bernard serra la main de Durtal qui baisa son anneau et il lui dit, lorsqu’ils furent assis :

— Mon cher enfant, voici près de deux années que vous vivez près de nous et avec nous ; tous vous aiment et vous estiment ; dans quelques jours, nous allons vous quitter puisque le P. Felletin m’affirme que vous n’avez point l’intention de nous accompagner en Belgique ; je n’ose vous donner tort, car je ne sais même pas comment nous allons être organisés dans ce pays de Waes dont les habitants ne parlent que le flamand, mais, une fois débrouillés, je vous avertirai et vous allez me promettre que, dès que votre chambre sera prête, vous viendrez nous voir ; c’est convenu, n’est-ce pas ?

Durtal s’inclina.

— Maintenant, autre question. M. Lampre aurait été heureux et, vous aussi, je crois, que je pusse conserver un certain nombre de pères, ici, pour garder le monastère et continuer l’office. Cela n’est pas possible. Outre les ennuis que cela nous attirerait de la part du gouvernement auquel nous fournirions peut-être un prétexte pour mettre la mainmise sur l’abbaye, j’ai besoin de tout mon personnel là-bas et il va être bien réduit par les permissions que je suis forcé d’accorder à beaucoup de mes moines, désireux d’aller visiter leur famille, avant de s’acheminer vers l’exil.

Je tenais à vous dire cela, moi-même, pour que vous sussiez bien que je ne pouvais me conduire autrement ; il me reste maintenant une demande à vous adresser.

Vous n’ignorez pas qu’il est de notre devoir strict d’empêcher, à tout prix, une interruption de l’office ; il faut donc que le service liturgique persiste ici, jusqu’au moment où nous pourrons le reprendre en Belgique.

En sus du P. Paton, qui à cause de nos vignobles, ne peut s’éloigner du Val des Saints, je laisserai, pendant les quelques jours nécessaires, le père sacristain et un novice, le frère Blanche. Cela fait trois. Je n’ai pas le quatrième indispensable pour composer le chœur ; les quelques-uns auxquels j’avais songé, ayant justement sollicité un congé, durant ce temps. Or, j’ai pensé que vous consentiriez à faire ce quatrième. Vous connaissez l’office aussi bien que nous, depuis deux ans que vous le pratiquez. Vous êtes oblat, Bénédictin comme nous, il n’y a donc point de difficultés.

— Cela dépend ; s’il ne s’agit que de réciter l’office, je puis, en effet, m’en tirer. S’il s’agit au contraire, de le chanter ou de servir la messe, j’en suis absolument incapable.

— Il ne s’agit de rien de cela ; les convers adjoints au père Paton serviront les messes et, en admettant même qu’ils doivent être tous retenus, en même temps, dans le vignoble, le frère Blanche que je délègue justement comme aide des deux pères s’en chargera. Quant au chant, il n’y en aura point, les deux pères étant totalement dénués de voix. On se bornera donc à psalmodier.

— Alors c’est convenu.

— Je vous remercie. L’existence, seul, ici, va devenir bien lourde pour vous, reprit l’abbé, après un silence. N’avez-vous pas l’intention d’évacuer, après notre départ, le Val des Saints ?

— Certes, je n’ai jamais été un fervent de la campagne et si j’y suis venu, c’est à cause de l’abbaye. L’abbaye disparue, rien ne m’intéresse ici. Après bien des réflexions, il me semble que le plus sage serait d’abandonner la province qui m’horripile, d’ailleurs, et de retourner à Paris. Je tâcherai de choisir un quartier tranquille, d’y dénicher un logis clair et sec, à bon compte, près d’une chapelle, s’il y a moyen.

— Pourquoi n’iriez-vous pas près de nos amies, les Bénédictines de la rue monsieur. Elles ont grand’messe et vêpres chantées, chaque jour ; ce sont de saintes filles ; vous pourriez dans leur sanctuaire suivre vos offices.

— C’est une idée, en effet ; mais à propos, permettez-moi, mon révérendissime, de vous interroger, car j’ai besoin, moi-même, d’être fixé sur le moment où je pourrai arranger mes affaires ; quand a lieu l’exode de vos religieux ?

— La semaine prochaine ; le noviciat partira en bloc avec les convers, sous la direction du P. Felletin. Ils feront, en arrivant, le plus gros de l’ouvrage et prépareront l’oratoire et les chambres. Une équipe de pères, avec Dom de Fonneuve, nous quittera ensuite et lorsque ceux-là seront déjà tassés, j’emmènerai avec moi le reste de l’abbaye. Je tiens à demeurer, le dernier, à bord.

— Bien, alors, moi, je prendrai le train pour Paris, aussitôt que le service liturgique sera recommencé en Belgique.

— C’est entendu.

Durtal rebaisa l’anneau du P. Abbé et, une fois hors du couvent, il se heurta contre le curé qui s’y rendait.

Celui-ci se mit aussitôt à geindre sur la situation politique et à déplorer le bannissement des moines.

Il parlait, intarissable.

Mon Dieu, pensa Durtal, lorsqu’il fut débarrassé de cet importun, il sied d’être équitable. Je pardonnerai difficilement à ce prêtre d’avoir aboli le plain-chant et embrené nos oreilles de ses fredons, mais, si, contrairement à son avantage qui est de posséder l’église du Val des Saints à lui seul, il regrettait sincèrement, comme il l’assure, l’émigration des pères, eh, bien vrai ! Je lui serrerais de bon cœur la main, car cela prouverait qu’en dépit de toutes ses manigances, il est véritablement un brave homme ! Sur ce, allons dîner, et, le soir, à table, alors que Mme Bavoil, un peu calme, s’enquérait du départ des Bénédictins, Durtal lui raconta son entrevue avec le père abbé.

— Qui est-ce, dit-elle, ce père sacristain qui doit rester avec Dom Paton ?

— Je le connais peu. Dom Beaudequin est un gros Normand ; il a la réputation d’être un finassier et un cogne-fêtu. L’abbé le prête probablement parce qu’il est très bien avec le curé. Il l’a d’abord roulé par sa force d’inertie et ses faux-fuyants ; puis on ne sait pourquoi, par un besoin de domesticité naturel, peut-être, il est devenu son homme-lige et son meilleur ami. Mais cela m’est égal ; je le verrai juste aux heures des offices et, sorti de là, bonsoir.

Quant au P. Paton, lui, c’est le contraire, un moine franc, d’une seule pièce, solide et sûr, un saint religieux, paraît-il ; seulement il travaille constamment dans sa vigne et je ne l’ai guère fréquenté, jusqu’à ce jour.

— Bah, vous serez bientôt liés ; — à propos, Mlle de Garambois est venue pour vous voir ; elle ne cesse de pleurer et répète que si elle n’avait pas son oncle, elle filerait, elle aussi, en Belgique.

— Lorsqu’on y réfléchit, répondit Durtal, les personnes les plus à plaindre dans cette aventure, c’est encore nous. En effet, après l’instant douloureux de l’arrachage de leur ancien cloître, les pères retrouveront, une fois installés à Moerbeke, leurs cellules et leurs offices. Un vrai moine n’a qu’une patrie, son couvent. Qu’il soit en France ou à l’étranger, peu importe, puisqu’il ne devrait pas sortir de sa clôture ; l’exil ne le changera donc pas ; sauf qu’il boira de la bière au lieu de vin, à table, sa vie sera la même ; les novices, eux, se consolent à l’idée de voir du pays ; ce sont des enfants que les voyages amusent, mais nous, c’est notre existence par terre ; avec le carambolage de cette sacrée loi, c’est le déménagement, le chambard…

— Oui, on peut s’apprêter à manger de la vache enragée d’âme, conclut Mme Bavoil, en soupirant.