L’Oiseau bleu, féerie en six actes et douze tableaux/12
DOUZIÈME TABLEAU
LE RÉVEIL
Le même intérieur qu’au premier tableau, mais tout, les murs, l’atmosphère, y paraît incomparablement, féeriquement plus frais, plus riant, plus heureux. — La lumière du jour filtre gaiement par toutes les fentes des volets clos.
Debout, voyons, debout ! les petits paresseux !… Vous n’avez donc pas honte ?… Huit heures sont sonnées, le soleil est déjà plus haut que la forêt !… Dieu ! qu’ils dorment, qu’ils dorment !… (Elle se penche et embrasse les enfants.) Ils sont tout roses… Tyltyl sent la lavande et Mytyl le muguet… (Les embrassant encore.) Que c’est bon les enfants !… Ils ne peuvent pourtant pas dormir jusqu’à midi… On ne peut pas en faire des paresseux… Et puis, je me suis laissée dire que ce n’est pas trop bon pour la santé… (Secouant doucement Tyltyl.) Allons, allons, Tyltyl…
Quoi ?… La Lumière ?… Où est-elle ? Non, non, ne t’en vas pas…
La Lumière ?… mais bien sûr qu’elle est là… Il y a déjà pas mal de temps… Il fait aussi clair qu’à midi, bien que les volets soient fermés… Attends un peu que je les ouvre… (Elle pousse les volets, l’aveuglante clarté du grand jour envahit la pièce.) Là, voilà !… Qu’est-ce que t’as ?… T’as l’air tout aveuglé…
Maman, maman !… C’est toi !…
Mais bien sûr que c’est moi… Qui veux-tu que ce soit ?…
C’est toi… Mais oui, c’est toi !…
Mais oui, c’est moi… Je n’ai pas changé de visage cette nuit… qu’as-tu donc à me regarder comme un émerveillé ?… J’ai peut-être le nez à l’envers ?…
Oh ! que c’est bon de te revoir !… Il y a si longtemps, si longtemps !… Il faut que je t’embrasse tout de suite… Encore, encore, encore !… Et puis, c’est bien mon lit !… Je suis dans la maison !…
Qu’est-ce que t’as ?… Tu ne t’éveilles pas ?… T’es pas malade ; au moins ?… Voyons, montre ta langue… Allons, lève-toi donc, et puis habille-toi…
Tiens ! je suis en chemise !…
Bien sûr… Passe ta culotte et ta petite veste… Elles sont là, sur la chaise…
Est-ce que j’ai fait ainsi tout mon voyage ?…
Quel voyage ?…
Mais oui, l’année dernière…
L’année dernière ?…
Mais oui, donc !… À Noël, lorsque je suis parti…
Lorsque t’es parti ?… T’as pas quitté la chambre… Je t’ai couché hier soir, et je te retrouve ce matin… T’as donc rêvé tout ça ?…
Mais tu ne comprends pas !… C’était l’année passée, lorsque je suis parti avec Mytyl, la Fée, la Lumière… elle est bonne, la Lumière ! le Pain, le Sucre, l’Eau, le Feu. Ils se battaient tout le temps… T’es pas fâchée ?… T’as pas été trop triste ?… Et Papa, qu’a-t-il dit ?… Je ne pouvais pas refuser… J’ai laissé un billet pour expliquer…
Qu’est-ce que tu chantes là ?… Bien sûr que t’es malade, ou bien tu dors encore… (Elle lui donne une bourrade amicale.) Voyons, réveille-toi… Voyons, ça va-t-il mieux ?…
Mais, Maman, je t’assure… C’est toi qui dors encore…
Comment ! je dors encore ?… Je suis debout depuis six heures… J’ai fait tout le ménage et rallumé le feu…
Mais demande à Mytyl si c’est pas vrai… Ah ! nous en avons eu des aventures !…
Comment, Mytyl ?… Quoi donc ?…
Elle était avec moi… Nous avons revu bon-papa et bonne-maman…
Bon-papa et bonne-maman ?…
Oui, au Pays du Souvenir… C’était sur notre route… Ils sont morts, mais ils se portent bien… Bonne-maman nous a fait une belle tarte aux prunes… Et puis les petits frères, Robert, Jean, sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et puis Riquette…
Riquette, elle marche à quatre pattes !…
Et Pauline a toujours son bouton sur le nez…
Nous t’avons vue aussi hier au soir.
Hier au soir ? Ce n’est pas étonnant puisque je t’ai couchée.
Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais bien plus belle, mais tu te ressemblais…
Le jardin des Bonheurs ? Je ne connais pas ça…
Oui, tu étais plus belle, mais je t’aime mieux comme ça…
Moi aussi, moi aussi…
Mon Dieu ! qu’est-ce qu’ils ont ?… Je vais les perdre aussi, comme j’ai perdu les autres !… (Subitement affolée, elle appelle.) Papa Tyl ! Papa Tyl !… Venez donc ! Les petits sont malades !…
Qu’y a-t-il ?…
Tiens, Papa !… C’est Papa !… Bonjour, Papa !… Tu as bien travaillé cette année ?…
Eh bien, quoi ?… Qu’est-ce que c’est ?… Ils n’ont pas l’air malade ; ils ont fort bonne mine…
Il ne faut pas s’y fier… Ce sera comme les autres… Ils avaient fort bonne mine aussi, jusqu’à la fin ; et puis le bon Dieu les a pris… Je ne sais ce qu’ils ont… Je les avais couchés bien tranquillement hier au soir ; et ce matin, quand ils s’éveillent, voilà que tout va mal… Ils ne savent plus ce qu’ils disent ; ils parlent d’un voyage… Ils ont vu la Lumière, grand-papa, grand’maman, qui sont morts mais qui se portent bien…
Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de bois…
Et bonne-maman ses rhumatismes…
Tu entends ?… Cours chercher le médecin !…
Mais non, mais non… Ils ne sont pas encore morts… Voyons, nous allons voir… (On frappe à la porte de la maison.) Entrez !
Bien le bonjour et bonne fête à tous !
C’est la Fée Bérylune !
Je viens chercher un peu de feu pour mon pot-au-feu de la fête… Il fait bien frisquet ce matin… Bonjour, les enfants, ça va bien ?…
Madame la Fée Bérylune, je n’ai pas trouvé l’Oiseau-Bleu…
Que dit-il ?…
Ne m’en parlez pas, madame Berlingot… Ils ne savent plus ce qu’ils disent… Ils sont comme ça depuis leur réveil… Ils ont dû manger quelque chose qui n’était pas bon…
Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère Berlingot, ta voisine Berlingot ?…
Mais si, madame… Vous êtes la Fée Bérylune. Vous n’êtes pas fâchée ?…
Béry… quoi ?
Bérylune.
Berlingot, tu veux dire Berlingot…
Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez, madame… Mais Mytyl qui sait bien…
Voilà le pis, c’est que Mytyl aussi…
Bah, bah !… Cela se passera ; je vais leur donner quelques claques…
Laissez donc, ce n’est pas la peine… Je connais ça ; c’est rien qu’un peu de songeries… Ils auront dormi dans un rayon de lune… Ma petite fille qu’est bien malade est souvent comme ça…
À propos, comment qu’elle va, ta petite fille ?
Couci-couci… Elle ne peut se lever… Le docteur dit que c’est les nerfs… Tout de même je sais bien ce qui la guérirait… Elle me le demandait encore ce matin, pour son petit noël ; c’est une idée qu’elle a…
Oui, je sais, c’est toujours l’oiseau de Tyltyl… Eh bien, Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner enfin, à cette pauvre petite ?…
Quoi, Maman ?…
Ton oiseau… Pour ce que tu en fais… Tu ne le regardes même plus… Elle en meurt d’envie depuis si longtemps !…
Tiens, c’est vrai, mon oiseau… Où est-il ?… Ah ! mais voilà la cage !… Mytyl, vois-tu la cage ?… C’est celle que portait le Pain… Oui, oui, c’est bien la même ; mais il n’y a plus qu’un oiseau… Il a donc mangé l’autre ?… Tiens, tiens !… Mais il est bleu !… Mais c’est ma tourterelle !… Mais elle est bien plus bleue que quand je suis parti !… Mais c’est là l’Oiseau-Bleu que nous avons cherché !… Nous sommes allés si loin et il était ici !… Ah ! ça, c’est épatant !… Mytyl, vois-tu l’oiseau ?… Que dirait la Lumière ?… Je vais décrocher la cage… (Il monte sur une chaise et décroche la cage qu’il apporte à la Voisine.) La voilà, madame Berlingot… Il n’est pas encore tout à fait bleu ; ça viendra, vous verrez… Mais portez-le bien vite à votre petite fille…
Non ?… Vrai ?… Tu me le donnes, comme ça, tout de suite et pour rien ?… Dieu ! qu’elle va être heureuse !… (Embrassant Tyltyl.) Il faut que je t’embrasse !… Je me sauve !… Je me sauve !…
Oui, oui ; allez vite… Il y en a qui changent de couleur…
Je reviendrai vous dire ce qu’elle aura dit…
Papa, Maman ; qu’avez-vous fait à la maison ?… C’est la même chose ; mais elle est bien plus belle…
Comment, elle est plus belle ?…
Mais oui, tout est repeint, tout est remis à neuf, tout reluit, tout est propre… Ça n’était pas comme ça, l’année dernière…
L’année dernière ?…
Et la forêt qu’on voit !… Est-elle grande, est-elle belle !… On croirait qu’elle est neuve !… Qu’on est heureux ici !… (Allant ouvrir la huche.) Où est le Pain ?… Tiens, ils sont bien tranquilles… Et puis, voilà Tylô !… Bonjour, Tylô, Tylô !… Ah ! tu t’es bien battu !… Te rappelles-tu dans la forêt ?…
Et Tylette ?… Elle me reconnaît bien, mais elle ne parle plus…
Monsieur le Pain… (Se tâtant le front.) Tiens, je n’ai plus le Diamant ! Qui est-ce qui m’a pris mon petit chapeau vert ?… Tant pis ! je n’en ai plus besoin… — Ah ! le Feu !… Il est bon !… Il pétille en riant pour faire enrager l’Eau… (Courant à la fontaine.) — Et l’Eau ?… Bonjour, l’Eau !… Que dit-elle ?… Elle parle toujours, mais je ne la comprends plus aussi bien…
Je ne vois pas le Sucre…
Dieu que je suis heureux, heureux, heureux !…
Moi aussi, moi aussi !…
Qu’ont-ils donc à tourniller comme ça ?…
Laisse donc, t’inquiète pas… Ils jouent à être heureux…
Moi, j’aimais surtout la Lumière… Où est sa lampe ?… Est-ce qu’on peut l’allumer ?… (Regardant encore autour de soi.) Dieu ! que c’est beau tout ça et que je suis content !…
Entrez donc !…
Vous voyez le miracle !…
Pas possible !… Elle marche ?…
Elle marche !… C’est-à-dire qu’elle court, qu’elle danse, qu’elle vole !… Quand elle a vu l’oiseau, elle a sauté, comme ça, d’un saut, vers la fenêtre, pour voir à la lumière si c’était bien la tourterelle de Tyltyl… Et puis pfff !… dans la rue, comme un ange… C’est tout juste si je pouvais la suivre…
Oh ! qu’elle ressemble à la Lumière…
Elle est bien plus petite…
Sûr !… Mais elle grandira…
Que disent-ils ?… Ça ne va pas encore ?…
Ça va mieux, ça se passe… Quand ils auront déjeuné, il n’y paraîtra plus…
Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl…
Eh bien, Tyltyl, qu’est-ce que t’as ?… T’as peur de la petite fille ?… Voyons, embrasse-la… Voyons, un gros baiser… Mieux que ça… Toi si effronté d’habitude !… Encore un !… Mais qu’est-ce donc que t’as ?… On dirait que tu vas pleurer…
Est-ce qu’il est assez bleu ?…
Mais oui, je suis contente…
J’en ai vu de plus bleus… Mais les tout à fait bleus, tu sais, on a beau faire, on ne peut pas les attraper.
Ça ne fait rien, il est bien joli…
Est-ce qu’il a mangé ?…
Pas encore… Qu’est-ce qu’il mange ?…
De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales…
Comment qu’il mange, dis ?…
Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer…
Maman !… Il est parti !…
Ce n’est rien… Ne pleure pas… Je le rattraperai. (S’avançant sur le devant de la scène et s’adressant au public.) Si quelqu’un le retrouve, voudrait-il nous le rendre ?… Nous en avons besoin pour être heureux plus tard…