L’Oiseau prisonnier

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Choix de poésies pour les jeunes personnes, Texte établi par A. Coutan, D. Appleton et compagnie (p. 76-77).

LES CHANTS DE LA FAMILLE.

À UN ENFANT.

Enfant, vous avez pris un oiseau dans un champ,
Et vous voilà joyeux, et vous criez victoire ;
Et le pauvre petit dans une cage noire,
Se plaint, et vous prenez sa plainte pour un chant.

Déjà depuis longtemps votre désir l’assiége,
En écoutant son chant qui trahissait son vol ;
Vous vous couchiez tremblant tout au long, sur le sol,
Pour qu’il ne vous vît pas et qu’il se prît au piège.

Il va vous amuser ainsi jusqu’à demain
Et pour ce court plaisir vous lui coupez les ailes.
Tout en l’enfermant bien entre ces barreaux frôles,
Pour qu’il ne vole pas plus haut que votre main.

Et vous le regardez, enfant, depuis une heure.
Meurtrir son petit bec dans un étroit cachot.
Courir aux quatre coins, voler de bas en haut,
Avec le cri plaintif de tout âme qui pleure.

Et pourtant vous semez sa cage de bouquets,
Pour qu’il revoie encor quelques fleurs, ses compagnes
Comme hier où sa voix égayant les campagnes
Versait, parfum noté, ses chants sur les bosquets.

Vous ne savez donc pas, enfant, quel doux mystère
En becquetant partout remplit l’oiseau pieux
Ses petits sont dans l’arbre, au fond d’un nid joyeux,
Pour vous ce n’est qu’un chant, mais pour eux c’est un père.

C’est un père aussi bon que nos pères, enfant.
Instruisant ses petits à voler dans l’espace, »
A louer le Seigneur à chaque jour qui passe,
En lui donnant toujours ses conseils dans un chant.

Puis il descend parfois du nid de mousse frêle
Chercher un peu de blé qu’il leur reporte en haut,
Pour les faire grandir, puis afin que bientôt
Leur cri devienne un chant et leur duvet une aile.

Le plus petit oiseau le Seigneur le bénit.
Il lui donne le blé que le moissonneur jette,
Et quand il pense à tous, le Dieu bon, il émiette
Un peu de son amour dans le plus humble nid.

Et quand votre captif qui fuit et vous évite,
S’arrête en écoutant, c’est qu’il entend la voix
Des petits qu’il laissa, dire du fond des bois :
Nous allons tous mourir si tu ne reviens vite.

Car ne recevant pas ce qu’il doit lui porter
La mère reste au nid auquel elle est fidèle,
Et malgré son amour, les couvant sous son aile
Tous les petits mourront sans avoir pu chanter.

Écoutez donc l’oiseau, respirez donc la rose,
Sans prendre celui-ci, sans cueillir celle-là.
Car toujours notre main à ce que Dieu créa.
Même en le caressant enlève quelque chose.

Alex. Dumas.