Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/L’Or
L’OR
Siècle qui cours sur des débris,
Toi qui des rois creuses l’abîme,
Siècle qui prends tout à mépris,
Quoi ! l’or tombe aussi ta victime !
Chaque heure en abaisse le taux :
C’en est fait du roi des métaux.
L’or, l’or est pour rien ; |
bis. |
Du désert aux Russes fatal,[1]
Surtout de la Californie,
Déborde à grands flots ce métal
Sur le vieux monde à l’agonie.
Un tel déluge met, hélas !
À l’aumône tous nos Midas,
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.
Que d’avares se sont pendus !
Que d’orfèvres meurent de crainte !
Vite aux lingots qu’elle a fondus
La Monnaie en vain met l’empreinte.
On verra, si nous en créons,
À deux sous les napoléons.
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.
Philosophe, à tort tu prétends
Qu’il a mérité sa débâcle.
Si son culte a de temps en temps
Mis sots et fripons au pinacle,
L’or nous a fait plus d’un baron ;
Même on lui doit monsieur V.....
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.
Mais sous le règne des gros sous
Croit-on qu’un romancier travaille ?
Chastes beautés, souffrirez-vous
Que l’amour s’escompte en mitraille ?
Quels avocats[2], sans voir de l’or,
Pourront calomnier encor ?
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.
En attendant les assignats,
Chiffonniers, que d’or dans vos hottes !
Tous nos ministres auvergnats
De clous d’or vont garnir leurs bottes
Des veaux d’or du culte détruit
Forgeons-nous des vases de nuit.
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.
Malheureux or, dieu qui pour moi
As toujours fait la sourde oreille,
Je t’aimais sans subir ta loi,
Et pour toi ma pitié s’éveille.
Dans mon taudis, dieu rebuté,
Je t’offre l’hospitalité.
L’or, l’or est pour rien ;
Vous en aurez, hommes de bien.