L’Orage (Delphine Gay)

La bibliothèque libre.
Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 114-116).




L’ORAGE.


 
„Oh ! dites-moi pourquoi, ma mère,
Je souffre depuis ce matin ?
Pourquoi je ne suis plus légère ?
Pourquoi j’ai dormi dans mon bain ?

„Pourquoi mon aiguille résiste
Sous mes doigts faibles et brûlans ?
Et pourquoi je me sens si triste,
Pourquoi mes pas sont si tremblans ?

— C’est l’orage, ma pauvre fille,
Qui t’inspire ce vague effroi.
Qui roule en tes doigts ton aiguille,
Qui te rend triste auprès de moi.


„Ne vois-tu pas ce gros nuage
Qui marche et s’avance vers nous ?
Allons, laisse là ton ouvrage,
Et viens dormir sur mes genoux.“

Elle obéit ; elle sommeille.
L’orage ébranle sa maison.
Mais quand sa mère la réveille
Le soleil brille à l’horizon.

Alors sa tête se relève,
Elle écarte ses longs cheveux ;
Sa tristesse n’est plus qu’un rêve,
Et l’enfant a repris ses jeux.

Puis elle va mouiller dans l’herbe
Sa robe et son petit soulier,
Pour voir de près l’arbre superbe
Que la tempête a fait plier.

Ou ramasse les coquillages
Que l’eau du torrent balaya ;
Tout l’amuse… jusqu’aux ravages
De l’orage qui l’effraya.


Son âme n’est plus oppressée,
Rien ne résiste à ses désirs ;
Et de sa souffrance passée
Il ne reste que des plaisirs.

Ô joyeuse enfance ! heureux âge
Qu’un regard protège toujours !
Brillante saison, où l’orage
Est le seul chagrin des beaux jours !

Je veux ainsi couler ma vie.
Au sort je me résignerai ;
Par la tempête poursuivie,
Comme l’enfant je dormirai.

Poésie, ô sainte chimère,
Viens aussi garder mon sommeil !
Éveille-moi comme sa mère
Au premier rayon du soleil !