L’Orage (Delphine de Girardin)

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Poésies complètesLibrairie Nouvelle (p. 341-342).


L’ORAGE


« Oh ! dites-moi pourquoi, ma mère,
Je souffre depuis ce matin ?
Pourquoi je ne suis plus légère ?
Pourquoi j’ai dormi dans mon bain ?

Pourquoi mon aiguille résiste
Sous mes doigts faibles et brûlants ?
Et pourquoi je me sens si triste ?
Pourquoi mes pas sont si tremblants ?

— C’est l’orage, ma pauvre fille,
Qui t’inspire ce vague effroi,
Qui rouille en tes doigts ton aiguille,
Qui te rend triste auprès de moi.

Ne vois-tu pas ce gros nuage
Qui marche et s’avance vers nous ?
Allons, laisse là ton ouvrage,
Et viens dormir sur mes genoux. »

Elle obéit… elle sommeille ;
L’orage ébranle la maison ;
Mais quand sa mère la réveille,
Le soleil brille à l’horizon.


Alors sa tête se relève ;
Elle écarte ses longs cheveux ;
Sa tristesse n’est plus qu’un rêve,
Et l’enfant a repris ses jeux.

Folle, elle va mouiller dans l’herbe
Sa robe et son petit soulier,
Pour voir de près l’arbre superbe
Que la tempête a fait plier ;

Ou ramasse les coquillages
Que l’eau du torrent balaya :
Tout l’amuse… jusqu’aux ravages
De l’orage qui l’effraya !

Son âme n’est plus oppressée,
Rien ne résiste à ses désirs,
Et de sa souffrance passée
Il ne reste que des plaisirs.

Oh ! joyeuse enfance ! heureux âge
Qu’un regard protége toujours !
Brillante saison où l’orage
Est le seul chagrin des beaux jours !

Je veux ainsi couler ma vie !
Au sort je me résignerai :
Par la tempête poursuivie,
Comme l’enfant je dormirai.

Poésie, ô sainte chimère !
Viens aussi garder mon sommeil :
Éveille-moi, comme sa mère,
Aux premiers rayons du soleil !


Paris, 1835.