L’Ornementation des reliures modernes/4
Il y a un certain nombre de formules d’aspect général qui ne peuvent varier à l’infini et qui sont en quelque sorte imposées par la forme habituelle des livres. Ce n’est donc pas de la nouveauté du parti adopté, mais de l’heureux agencement des lignes, de l’ornement ou de la flore ornementale que l’on peut faire naître l’originalité. Nous donnons ci-après les différents aspects les plus usités qui sont :
1° L’encadrement ou entourage ;
2° La bande avec champ ;
3° Le panneau avec champ ;
4° Le décor central ou milieux, les coins et milieux, et les dispositions rayonnantes ;
5° Les fonds à motifs répétés et les semis ;
6° Le décor en plein.
Nous allons en passer très rapidement l’examen en nous plaçant au point de vue de l’aspect d’ensemble du décor, renvoyant pour plus de détails, quant aux applications qui en ont été faites, à nos précédents ouvrages sur la reliure.
L’encadrement est une des formes les plus anciennes et les plus rationnelles de décor.
Tant que l’orfèvrerie joue le principal rôle, les riches reliures sont presque toutes ainsi ornées ; beaucoup d’entre elles ont en même temps un panneau central portant un sujet gravé ou ciselé, soit de métal, soit d’ivoire, mais l’emploi des ais de bois, épais pour avoir une certaine solidité et biseautés pour en diminuer la massivité apparente, force à rejeter
le décor un peu plus loin sur le plat du livre,
la pente des biseaux ne permettant pas d’y
pousser les fers et roulettes gaufrés en usage.
Le biseau donne alors un petit champ et les
entourages véritables, ceux qui touchent les bords du livre, deviennent extrêmement rares
au quinzième et au seizième siècles. Au dix-septième
siècle, ils reparaissent avec les dentelles
composées de motifs répétés en forme
de dents. On nomme dentelles basses celles qui sont faites de motifs répétés de forme régulière,
sans saillants ni rentrants (tels sont
les entourages dans les reliures doublées de
Boyet). Les frises qui courent sur les moulures
des plafonds dessinés par Lebrun servent également
de motifs aux entourages des grands
livres appartenant au roi, à Colbert, etc.
Les Derome, les Dubuisson créent au dix-huitième siècle les entourages de forme irrégulière avec leurs larges et capricieuses dentelles.
Nous venons de voir que le biseau des ais de bois avait rendu le champ nécessaire ; même après leur abandon l’usage subsiste, le biseau est devenu un champ, et le décor des reliures du seizième siècle est souvent en bande. Sur les reliures de François Ier et les premières reliures faites pour Grolier, la bande est ornée de motifs de style italien ; puis viennent les rinceaux et fers azurés de l’école lyonnaise presque en même temps que les riches entrelacs empruntés aux grands maîtres ornemanistes de cette période. Les décors de reliure ainsi disposés
disparaissent avec le seizième siècle ; les
exemples que l’on pourrait citer dans les deux
siècles suivants sont excessivement rares.
Forme peu usitée ; quelques belles reliures
du seizième siècle sont ainsi composées, mais
le champ y est presque toujours semé de chiffres
et d’emblèmes d’un bon effet, pour tempérer ce qu’aurait de choquant la nudité des bords
opposée à la richesse excessive du décor du
panneau.
rayonnantes. — Les coins et milieux.
On rencontre à toutes les époques, sauf au dix-huitième siècle où les riches reliures portent presque toutes les armes de leur propriétaire, des exemples de décor central. Les milieux ont été tantôt employés seuls, tantôt accompagnés de coins. Au groupe des coins et milieux appartiennent les dispositions rayonnantes, dispositions souvent utilisées chez les Ruette et dont Le Gascon fit quelques années plus tard un si fréquent emploi ; les petits fers partent alors en fusées d’un petit ornement central de forme géométrique.
On appelle coin carré celui dont le décor couvre une partie d’un carré coupé en fichu. Les deux parties de chaque côté de la bissectrice de l’angle ont en général un décor symédans les anciens exemples. Ces coins doivent être employés petits relativement à
la surface du plat. On peut les réunir entre
eux par des filets, des perles ou de légers motifs
courants qui sont d’un bon effet ; mais, s’ils sont grands pour le format du livre, ils deviennent
très disgracieux, car la partie laissée au
centre (le fond) prend alors une forme lourde et
désagréable, et cela parce que la silhouette de
ces coins n’étant pas, comme dans la figure de
la page précédente, parallèle à une ligne qui
réunirait les angles opposés en diagonale, l’œil
est brusquement rejeté au dehors et l’harmonie
détruite. On verra plus loin, dans les dessins de
Les décors qui se présentent sous ces deux aspects découlent d’un même principe : un motif se répétant à l’intersection de diagonales se coupant entre elles et donnant un carreau allongé de forme plus ou moins gracieuse. Les semis ont été employés de tous temps, quant aux fonds à motifs répétés, très bons pour les dessins d’étoffe, de papiers peints et de carrelage, ces dessins bien que peu appropriés à la décoration des livres ont été la base de la plus grande partie des mosaïques du dix-huitième siècle que l’on attribue à Padeloup. Les reliures ainsi ornées se couvrent actuellement de billets de banque et sont cotées plus haut que les reliures du seizième siècle : cela peut paraître invraisemblable, mais tel est le goût du jour.
Le bibliophile, après avoir décidé en faveur d’un de ces divers aspects, qui sont les plus usités, aura encore à guider le relieur dans le choix du genre d’ornementation qu’il convient d’adopter, et selon la nature du sujet traité dans l’ouvrage, il choisira entre l’un des quatre modes suivants :
1° Emploi des combinaisons de lignes droites. — Combinaisons de lignes droites et de lignes courbes.
2° Mélange des arabesques avec les entrelacs géométriques.
3° Décor sans entrelacs, arabesques, flore ornementale.
4° Emploi de la plante arrangée mais près de nature.
Le format que nous avons adopté pour cette
étude ne nous permettrait pas la reproduction
de grandes reliures, mais nous avons cherché à
donner, parmi les nombreuses compositions
modernes que nous avons faites depuis quinze
ans, un petit choix démontrant surtout que la
variété est l’élément même de la décoration des
livres modernes.