L’Union internationale pour les recherches solaires

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L’Union internationale pour les recherches solaires
Revue des Deux Mondes5e période, tome 43 (p. 409-432).
L’UNION INTERNATIONALE
POUR
LES RECHERCHES SOLAIRES


I

Inspirateur de tant de mythes religieux et de strophes lyriques, le Soleil possède le don de faire travailler les imaginations les plus froides. Cette tendance se révèle à notre époque par d’autres manifestations que chez les anciens. Le poète garde le droit imprescriptible de personnifier ou de diviniser l’astre du jour. Mais, pour en user, il doit demander à son lecteur plus de complaisance qu’il n’en fallait au temps de Xénophane ou d’Aristote. Il faut qu’il ignore ou néglige volontairement nombre de faits positifs dont l’antiquité n’avait même pas le soupçon, mais que le progrès des moyens d’observation a rendus palpables. Quoique le champ des interprétations possibles soit demeuré large et semble, par momens, s’agrandir encore, bien des opinions, autrefois en faveur, se trouvent exclues sans retour. William Herschel aura été sans doute le dernier astronome de quelque autorité qui ait cru à l’existence d’êtres vivans dans le Soleil, et l’on ne peut clouter aujourd’hui que ce foyer d’énergie dont toute l’activité terrestre est un reflet ne soit soumis à des lois aussi inflexibles que le retour des éclipses.

En conséquence, les esprits qui conservent le goût de la fiction et de la synthèse donnent à leurs aspirations, en présence du Soleil, un but plus précis. Ils voudraient résumer dans quelques formules brèves ce qui se passe dans ce monde lointain ; dire ce que constaterait un observateur idéal transporté sur l’astre radieux et disposant des appareils multiples que combinent la physique et la chimie modernes. Un tel programme n’est pas, en principe, déraisonnable. Des expériences précises donnent lieu de penser que le problème est défini ; le Soleil se suffit en quelque sorte à lui-même, sans que le milieu ambiant, ni les autres corps célestes exercent sur lui une influence bien notable. On est également fondé à croire que cette masse énorme obéit tout entière aux lois de la gravitation. Enfin, la plupart des formes d’énergie qu’elle nous envoie et que nous savons recueillir sont imitées dans le laboratoire avec une fidélité remarquable en partant de sources terrestres.

En dépit de ces circonstances encourageantes, on doit convenir qu’aucune des tentatives faites pour formuler une théorie générale du Soleil ne semble avoir donné de résultats durables. Les plus récentes de ces théories sont les moins précises. Plus on va, plus on voit les observateurs notoirement habiles se distinguer aussi par la prudence de leurs conclusions. Ce n’est pas, il s’en faut bien, que la curiosité publique soit assouvie ou que l’esprit d’investigation ait perdu son ressort ; mais, que l’on juge à propos de s’en affliger ou de s’en réjouir, il est certain que le problème est bien plus complexe qu’on ne pouvait le supposer autrefois. Ce que l’on savait du Soleil observé à l’œil nu pouvait se résumer en quelques pages ou, à la rigueur, en quelques lignes. Nous sommes loin aujourd’hui de cette heureuse simplicité. A quatre reprises différentes l’invention de la lunette astronomique, celle du spectroscope, celle de la plaque sensible, enfin la combinaison de ces trois appareils rendant possible la photographie monochromatique, ont produit un vrai débordement de faits nouveaux qui ont refusé d’entrer dans les cadres anciens. Et peut-être un avenir prochain nous réserve-t-il de nouvelles surprises.

Mais si les données surabondent et si la matière est trop riche, ne peut-on pas la diviser ? Cela s’est fait, non sans succès, pour le globe terrestre. Les géologues étudient la structure interne sans se préoccuper des mouvemens de la mer, et le météorologiste qui veut suivre et prévoir les troubles de l’atmosphère se passe de la théorie des marées. On ne doit pas espérer que, dans le cas du Soleil, la démarcation soit aussi nette. La densité générale y est moindre, l’effervescence y est plus grande. Cependant, les lois de la mécanique tendent toujours à rétablir le partage en couches concentriques d’égale densité, en sorte que la distinction des différens étages par leurs élémens constitutifs et leurs phénomènes propres paraît être, pour longtemps encore, le programme le plus rationnel et le plus sage.

C’est en effet dans cette voie, suggérée par l’observation des éclipses, que la connaissance du Soleil a progressé. On se fera une idée du chemin parcouru en comparant les notices insérées, dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes, par Arago (volume de 1846) et tout récemment par M. Deslandres (volume de 1907). Ce dernier travail, écrit avec une clarté et une compétence supérieures, laisse peu de chose à dire sur l’histoire des idées anciennes concernant le Soleil et sur les principes des méthodes actuellement en usage. Toutefois, depuis cette époque, il s’est produit un événement important. Un congrès international s’est tenu à l’Observatoire de Meudon du 20 au 23 mai 1907, conformément aux propositions de M. Janssen, le vénéré doyen des astronomes français dont la science déplore en ce moment la perte. Peut-être, en conséquence, l’heure est-elle devenue plus opportune pour répondre à une question que M. Deslandres avait brièvement effleurée : comment envisage-t-on aujourd’hui l’avenir des études solaires, et quelles raisons rendent désirable, pour en accélérer le progrès, une entente internationale ?

Il y a peu d’années encore, l’ensemble des efforts dirigés dans ce sens donnait le spectacle d’une rivalité courtoise plutôt que celui d’une marche concertée. Pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle, des expérimentateurs ingénieux se sont appliqués à perfectionner les appareils, à faire passer dans la pratique les vues prophétiques de Doppler et de Fizeau, à trouver dans l’observation assidue du Soleil la clef des apparences imprévues révélées par les éclipses. Chacun suivait sa voie, publiait ses résultats en serviteur désintéressé de la science, mais aussi avec le désir de n’être pas devancé. On a vu des annonces sensationnelles se produire, en toute indépendance, de plusieurs côtés à la fois. L’accord s’est, en général, facilement établi sur les faits, mais le choix entre les interprétations possibles a donné lieu à de vives discussions, qui nous semblent aujourd’hui avoir été quelque peu prématurées.

C’est, en effet, bâtir sur le sable que de vouloir édifier une théorie précise sur des faits notés dans un court intervalle de temps. L’activité solaire est essentiellement variable. Il est, jusqu’à un certain point, légitime de la considérer comme une superposition de phénomènes périodiques qu’une analyse judicieuse démêlera. Mais il y a peu de probabilité pour que toutes ces périodes soient dans des rapports simples ou comprises dans les limites d’une vie humaine. Les constatations isolées, que l’on juge à tort ou à raison particulièrement intéressantes, sont utiles pour suggérer de nouvelles voies de recherche. S’agit-il de formuler une explication cohérente, elles doivent s’effacer devant les statistiques impartiales et prolongées. La variation est-elle rapide, il faudra que l’enregistrement soit pour ainsi dire continu. Est-elle lente, il faudra que la même méthode soit appliquée sans variation ni défaillance pendant des années, des décades, peut-être des siècles. Dans un cas comme dans l’autre, un travailleur unique ne pourra remplir le programme. Ou bien la série de ses documens présentera des lacunes imposées par les caprices du climat, ou bien ses forces ne suffiront pas à la tâche.

Une coopération paraît donc indispensable, mais l’organiser est chose délicate. Il faut assurer l’uniformité des méthodes, ménager les contrôles nécessaires tout en évitant les doubles emplois et les déperditions de force, assigner à chaque participant la tâche qui convient le mieux à son instrument et à sa situation géographique. Ce sont naturellement les astronomes déjà distingués par leurs recherches personnelles qui auront le plus de chances de formuler, à ce sujet, des conseils écoutés et salutaires. Ils pourront utiliser des auxiliaires de deux ordres différens ; soit qu’ils fassent appel au zèle et à I abnégation des astronomes amateurs, soit qu’ils mettent en jeu le personnel et les ressources des observatoires officiels.

La première voie paraîtra plus indiquée s’il s’agit de méthodes qui n’ont pas encore reçu, au degré désirable, la sanction de l’expérience. On peut aussi invoquer en sa faveur des précédens historiques. Les nombreux relevés de taches solaires faits au XVIIe et au XVIIIe siècle n’avaient fourni la matière d’aucun énoncé précis, à part la durée moyenne de rotation du globe. Dans la première moitié du siècle suivant, la persévérance de Schwabe, simple pharmacien de Dessau, a mis en lumière la périodicité dans le nombre moyen des taches. De même son émule anglais Carrington a pu fixer à lui seul l’orientation exacte de l’axe et la durée de la rotation aux diverses latitudes.

Toutefois, ni Schwabe ni Carrington n’ont pu se flatter d’avoir dit le dernier mot sur les questions dont ils s’étaient occupés ; les lois énoncées par eux n’avaient qu’une valeur approximative. Il est bientôt devenu clair que, pour dépasser le point où ils s’étaient arrêtés, il ne suffirait pas de suivre leur exemple et de prolonger leurs séries : il fallait adopter un plan d’attaque plus étendu et plus méthodique.

C’est ce qui a été fait depuis 1879 par les soins du Comité de Physique solaire établi par le gouvernement britannique. Le Soleil est photographié chaque jour dans trois observatoires associés : à Greenwich, aux portes de Londres, à Dehra Dûn, dans l’Inde, et à l’île Maurice. Aucune des trois localités ne jouit d’un ciel sans nuages,-mais, sur l’ensemble, il n’y a que fort peu de jours par an où le Soleil se dérobe à la vigilance des observateurs. Le but poursuivi n’était pas d’enregistrer les détails délicats de la structure, ce que M. Janssen faisait à la même époque avec un art consommé. Il s’agissait de constituer une série homogène donnant jour par jour la position et l’étendue des principaux groupes de taches et de facules. Les travaux de mesure et de calcul sont exécutés à l’observatoire de Greenwich et publiés dans un délai de quelques mois, sans préjudice de l’examen physique auquel ces mêmes documens sont soumis dans le laboratoire de sir Norman Lockyer. Quelques spécialistes sont évidemment les seuls lecteurs que puissent espérer les volumes de chiffres ainsi alignés. Mais on a trouvé moyen de les condenser dans des tableaux graphiques d’une admirable clarté, rendant manifestes, presque à première vue, les résultats de plusieurs années de travail.

Il est difficile d’exagérer l’importance du service ainsi rendu à la science. Qu’est-ce au juste qu’une tache ou une facule ? Peut-être sommes-nous moins sûrs de le savoir que ne croyaient l’être Herschel et Arago. Ce qui est certain, c’est que nous avons en elles une manifestation non pas totale, mais bien définie et indiscutable de l’activité solaire ; c’est que des lois fixes y président et se dégageront avec le temps du flot enchevêtré des périodes. La simplicité renaîtra quand nous serons placés au vrai point de vue, mais c’est à l’observation qu’il appartient de nous y conduire, d’un pas mesuré plutôt sur la grandeur des phénomènes que sur notre fébrile impatience. De même que dans l’étude des mouvemens planétaires, les coïncidences numériques seront ici, pour nous faire découvrir le vrai mode d’action de la nature, plus efficaces que les principes de philosophie ou de physique.

Pour longtemps encore, personne ne croira urgent ni même désirable de modifier le plan mis à exécution par le Comité anglais de physique solaire. Afin d’assurer sa persistance, son uniformité, on en a volontairement limité le cadre, et il s’en faut bien qu’il ait livré tous ses résultats. Mais, à côté de la photographie des taches, l’étude du Soleil peut être abordée par d’autres voies, mieux frayées, plus riches de promesses qu’elles ne l’étaient en 1879, et certaines semblent assez aplanies pour que l’union méthodique y remplace l’initiative vagabonde.

Diverses tentatives, très dignes d’intérêt et constituant autant de symptômes significatifs, se sont produites dans cette direction. Tels sont l’établissement de commissions solaires par l’Association astronomique britannique et par la Société astronomique de France, la statistique des protubérances entreprise par la Société des spectroscopistes italiens. Mais chacune de ces organisations s’est développée entre les frontières d’un seul pays, et la fusion de documens obtenus sous des latitudes très variées demeure nécessaire si l’on veut que notre connaissance du Soleil s’affranchisse des irrégularités locales et annuelles.

L’Union internationale aujourd’hui constituée a son origine dans une lettre circulaire adressée par le professeur G. E. Hale à un certain nombre d’hommes de science pour leur signaler la possibilité et l’opportunité d’une action commune. Les réponses reçues, toutes favorables, provoquèrent l’envoi d’une deuxième circulaire, également rédigée par M. Haie, mais cette fois au nom du Comité de recherche solaire de l’Académie nationale des Sciences d’Amérique. Les destinataires étaient les principales sociétés scientifiques de l’Ancien et du Nouveau-Monde. Quinze d’entre elles firent connaître dans un bref délai leur acceptation, et la plupart envoyèrent des délégués à l’Exposition universelle de Saint-Louis, où une première conférence fut tenue le 23 septembre 1904.

Il a été décidé que l’Union comprendrait les représentans des sociétés adhérentes, et qu’un seul suffrage serait attribué à chaque société. Un Comité exécutif dont les pouvoirs seront renouvelés à chaque congrès est autorisé à recevoir les adhésions nouvelles, à fixer la date et l’ordre du jour des réunions futures, réunions que l’on doit prévoir assez espacées, si l’on veut qu’elles soient fréquentées ; les professeurs G. E. Haie, A. Schuster et S. Arrhénius ont formé le premier comité exécutif.

Dès l’ouverture des débats, le professeur Hale, élu président, a déclaré, avec l’assentiment général, que l’union projetée devait favoriser l’initiative personnelle et non lui substituer la contrainte. Elle aura suffisamment mérité de la science, si elle suggère des sujets de recherches bien définis, si elle facilite le groupement et la publication des résultats.

Il ne semble pas à propos que l’Union témoigne une préférence pour l’une ou l’autre des théories générales qui tentent d’expliquer la constitution du Soleil. On ne souhaite pas davantage de lui voir formuler un programme d’opérations vaste et compliqué. De telles entreprises, toujours plus longues à réaliser qu’on ne le croit au début, ne manquent guère, un jour ou l’autre, de peser sur le budget des observatoires et sur l’activité de leurs membres. Mais si l’on consent à se restreindre, on trouvera sans peine des sujets où la collaboration ne présente que des avantages.

Une autre des idées émises dans cette séance d’ouverture semble aussi avoir rencontré une vive approbation. Il s’agissait de faire voisiner, comme membres actifs de l’Union, des astronomes pratiquans et des physiciens familiers avec les manipulations les plus délicates de l’optique. Avant d’être énoncé sous cette forme, le projet avait déjà reçu un commencement de réalisation, car les mémoires présentés à Saint-Louis étaient l’œuvre de physiciens éminens, MM. Pérot, Fabry, Crew, Kayser et Jewell.


II

Les deux domaines de la spectroscopie et de l’astronomie sont devenus si vastes que nul travailleur ne peut plus se flatter de les explorer complètement l’un et l’autre, et, en même temps, ils se pénètrent de plus en plus. D’ordinaire, c’est l’astronome qui pose les problèmes, le physicien qui les résout, sans qu’on puisse dire lequel des deux a trouvé le plus clair bénéfice à l’échange. Il n’en était pas de même il y a un demi-siècle. L’étude du ciel n’empruntait guère à la physique que les principes de la construction des télescopes. Tout ce que l’on savait ou croyait savoir de l’état des corps célestes était fondé sur l’aspect des images formées au foyer des objectifs. Arago avait bien indiqué comment, d’après le degré de polarisation d’une lumière, on pouvait juger si elle était directe ou réfléchie ; mais l’application de cette règle laissait dans presque tous les cas une grande marge d’incertitude. On savait aussi, depuis Newton, que la lumière émanée de chaque point d’un astre est susceptible d’être analysée, décomposée par son passage à travers un prisme. On avait reconnu depuis que le même effet peut être obtenu par l’interposition d’un réseau, l’âme de verre striée de traits fins équidistans. Qu’avec une fente pratiquée dans un écran de métal on isole de l’image du Soleil une fine ligne lumineuse, et l’on transformera celle-ci en une large bande colorée, traversée de nombreuses raies noires. La signification de ces raies, demeurées mystérieuses pour Wollaston et Fraunhofer, fut dégagée par une série de travaux qui ont illustré les noms de Foucault, Stokes, Angström, Kirchhoff et Bunsen. Chacune d’elles atteste la présence sur le trajet de la lumière solaire d’une vapeur absorbante de composition chimique bien définie. Si l’on porte cette vapeur à l’incandescence et si l’on projette sa lumière sur la fente du spectroscope où se formait l’image solaire, la nouvelle image finale comprendra, précisément à la même place, une ligne lumineuse.

L’interprétation serait relativement aisée si à chaque élément chimique répondait une seule ligne du spectre. Ce n’est pas le cas ; à beaucoup près ; tel corps que nous n’avons nulle raison de supposer complexe, comme le fer, donne des raies par centaines, disséminées dans tout le spectre visible et même au-delà, comme le montrent la plaque photographique et des thermomètres spéciaux, promenés dans les régions où notre rétine n’est point affectée. Certaines de ces raies, qui se détachent avec une intensité supérieure, servent de repères pour identifier les autres.

Plus de 20 000 raies ont été, jusqu’à ce jour, photographiées et cataloguées dans le spectre solaire. Des appareils plus parfaits en révéleront, sans le moindre doute, beaucoup de nouvelles. Sur ce nombre, très peu tendent à indiquer la présence de métalloïdes dans le Soleil. Une fraction importante, un tiers environ, peut être rapportée avec certitude soit à l’oxygène et à la vapeur d’eau de l’atmosphère terrestre, soit aux vapeurs métalliques de l’atmosphère solaire. Tout le reste, c’est-à-dire la grande majorité, demeure encore sans explication. Ou bien ces lignes se rattachent à des élémens que le Soleil possède et dont la Terre est dépourvue, ou bien elles appartiennent au spectre d’élémens terrestres, mais seulement dans des conditions que le Soleil réalise et que les artifices de laboratoire ne nous ont point encore présentées.

La première explication n’est guère qu’un aveu d’ignorance, et, si l’on s’en contente, c’est provisoirement. La seconde suggère au contraire, la possibilité d’essais variés autant qu’instructif : Il est établi que le spectre d’un élément se modifie par son association avec d’autres corps, par le mouvement de la source lumineuse, par des changemens de pression, de température, d’état magnétique ou électrique. Certaines raies gagneront en intensité relative, d’autres s’effaceront ou deviendront diffuses. Toutes seront sujettes à de légers déplacemens, alors même qu’on aurait réussi à suivre rigoureusement le Soleil et à maintenir une liaison invariable entre toutes les parties de l’appareil.

L’analyse spectrale devient par là d’autant plus intéressante et féconde, car nous pouvons lui demander non seulement si tel ou tel élément existe dans le Soleil, mais dans quel état physique il s’y trouve et de quel mouvement il est animé. Toutefois, pour obtenir dans cet ordre d’idées des conclusions sûres, on doit surmonter de nombreux obstacles. Il faut que chaque raie puisse être caractérisée et décrite avec une extrême précision, que tout changement de sa situation ou de son aspect puisse être attribué à une cause déterminée, à l’exclusion des autres.

Cela nous oblige à examiner de plus près les conditions où ces raies se produisent. Des raisons pratiques aisées à comprendre assignent une limite inférieure à la largeur de la fente, une limite supérieure à la dispersion de l’instrument. La nature des ondulations lumineuses s’op()ose d’ailleurs, en tout état de cause, à ce que les lignes observées soient d’une netteté géométrique. Ce ne sont point des lacunes absolues, mais seulement des minima très accusés dans l’intensité du spectre continu. Il y aura inévitablement, sur certains points, encombrement et confusion. Telle raie du fer, par exemple, se distinguera très difficilement d’une raie toute voisine du calcium.

De plus, les coïncidences, même fondées sur une réelle identité chimique, ne seront pas rigoureuses ; la variation de distance entre la Terre et le Soleil s’y oppose. Il faudrait de plus que les conditions physiques fussent les mêmes pour la source terrestre et pour le Soleil. Or, si nous disposons jusqu’à un certain point des premières, nous ne sommes pas maîtres des secondes et nous devons nous attendre à ce qu’elles varient dans des limites étendues. Il suit de là que le spectre solaire ne fournit pas à lui seul les élémens d’une cartographie exacte. Toutes les lignes de ce spectre qui sont susceptibles d’être reproduites artificiellement avec une netteté suffisante devront être étudiées dans des conditions déterminées de température et dépression. Alors seulement il deviendra possible de faire correspondre à chacune d’elles un nombre fixe, représentant la longueur d’onde en fraction de mètre, de prononcer sur les coïncidences douteuses, d’assigner une cause aux coïncidences imparfaites.

Cette nécessité n’a été reconnue qu’à une date récente. La superposition des spectres de divers ordres donnés par un même réseau faisait connaître la longueur d’onde de plusieurs raies fondamentales avec une précision dont on estimait pouvoir se contenter. Les positions relatives des raies intermédiaires, déduites par Rowland de ses admirables’ photographies du spectre solaire, semblaient devoir répondre pour longtemps à toutes les exigences pratiques. Cette quiétude fut troublée en 1893 par un travail très remarqué de MM. Michelson et Benoît. Cette étude montra que les raies D du sodium, choisies par Bell et Rowland comme point de départ, n’égalaient pas en netteté et en fixité la raie rouge du cadmium. Pour cette dernière ligne, le rapport de la longueur d’onde au mètre se déduisait avec une extraordinaire précision du dénombrement des franges d’interférence obtenues par réflexion sur verre argenté. La méthode des coïncidences se trouvait reléguée au second plan, et les raies d’origine solaire eurent le même sort quand M. Jewell eut montré en 1896 qu’elles étaient sujettes à des déplacemens irréguliers, parfaitement appréciables avec les instrumens de mesure actuels.

D’accord sur tous ces points, les sa vans réunis à Saint-Louis ont cependant montré quelque répugnance à reprendre en entier le travail colossal et justement admiré de Rowland. Il a semblé préférable de lui adjoindre une table donnant pour une partie seulement des 20 000 raies étudiées la longueur d’onde en fonction d’une unité nouvelle. Etablie pour 50 raies bien nettes et convenablement réparties, la table rendra dans tous les problèmes usuels les mêmes services qu’une carte parfaite. Telle est du moins l’opinion exprimée par M. Jewell, le principal collaborateur de Rowland. Il estime que l’on doit, pour ces étalons secondaires, garder, en la perfectionnant, la méthode des coïncidences. MM. Pérot et Fabry ont défendu l’emploi de l’interféromètre, reconnu plus exact, bien qu’il n’ait pu être encore appliqué dans l’ultra-violet. Devant cette divergence d’avis, la Conférence a laissé la question à 1 étude. Le travail en projet, devant valoir surtout par son homogénéité, n’est pas de ceux qui peuvent être exécutés en collaboration. Il est cependant à souhaiter qu’un accord s’établisse pour le choix de la nouvelle unité de longueur et pour celui des raies fondamentales. Cet accord ne peut être mieux assuré que par l’avis unanime d’une réunion d’astronomes autorisés.

La deuxième conférence, réunie à Oxford en septembre 1905, a trouvé la question plus mûre. Des objections ont encore été faites, notamment par le professeur Hartmann, à l’emploi de la raie rouge du cadmium comme étalon primaire. On lui reproche sa situation vers l’extrémité du spectre visible et la faiblesse de son action photographique. On a aussi exprimé le désir de voir associer à la raie fondamentale le nombre qui amènera la moindre altération possible dans les tableaux de Rowland. Ces vues, combattues par M. Kayser, n’ont point prévalu. La raie étudiée par MM. Michelson et Benoît a maintenu sa situation et l’a même vue fortifiée à la suite d’expériences nouvelles dues à MM. Pérot, Fabry et Hamy. Sa longueur d’onde, représentée par le nombre 6438,4696 dans les conditions normales de température et de pression, paraît indépendante des autres conditions d’expérience, qu’il pourrait être moins facile de reproduire à volonté. L’unité ainsi définie portera le nom d’Angström, un des fondateurs de l’analyse spectrale. Elle se confond, dans l’état actuel de la science, avec le dix-millionième de millimètre. Si cet accord est un jour troublé, ce sera par suite d’un progrès dans les méthodes de mesure ou d’un changement du mètre prototype. Mais la résolution prise est de ne plus toucher, quoi qu’il arrive, au nombre de MM. Pérot et Fabry, de manière à simplifier la comparaison des travaux spectroscopiques futurs. Cet intervalle, à peine perceptible dans le meilleur microscope, est connu avec plus de précision relative que la circonférence du globe terrestre. Son exactitude égale celle des comparaisons les plus soignées effectuées entre les règles des archives officielles. La nouvelle unité, indépendante en réalité du mètre, pourrait aspirer à le remplacer dans les usages courans, s’il ne fallait tenir compte des situations acquises et des habitudes contractées.

Mesurer le rapport des longueurs d’onde de deux radiations éloignées est une entreprise moins ardue que la détermination absolue de chacune d’elles. On ne saurait cependant l’imposer aux observateurs adonnés à l’étude journalière du Soleil, pas plus qu’on n’attend du topographe occupé à dresser un plan qu’il détermine l’altitude de chaque point par rapport au niveau de la mer. Des repères assez nombreux et point trop espacés sont nécessaires, si l’on ne veut point que les travaux individuels rencontrent à chaque pas des entraves. MM. Fabry et Buisson ont accepté du Congrès d’Oxford la mission de constituer une série d’étalons secondaires, à des intervalles qui ne dépasseront pas cinquante unités Angström. Les longueurs d’onde de ces raies, déterminées avec l’interféromètre par rapport à celle de la raie fondamentale, seront à peine moins précises. A la troisième conférence, tenue à l’Observatoire de Meudon du 20 au 23 mai 1907, MM. Fabry et Buisson ont fait savoir que le travail était en bonne voie d’achèvement, et qu’il avait pu être prolongé, contrairement à ce que l’on avait craint d’abord, dans la région ultra-violette.

Il sera encore très utile, dans la pratique, de posséder des étalons tertiaires, espacés seulement de 5 à 10 unités Angström. Pour cette série plus compacte, on devra s’adresser à des élémens chimiques variés, se contenter de raies moins nettes, et l’emploi des réseaux pourra être admis sans qu’il en résulte, sur les longueurs d’onde, une incertitude supérieure à 0,002 ou 0,003 Angström. Cette troisième étape, moins urgente que les deux premières, est encore à l’état de projet.


III

Le Congrès d’Oxford a eu à faire appel au concours des physiciens pour une autre étude, à certains égards plus épineuse et plus éloignée d’une solution précise, celle de l’intensité de la radiation solaire.

Les alternatives de température tant annuelle que diurne, alternatives dont la répercussion sur la vie privée et publique est si grande, sont manifestement liées à la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon. Mais il tombe sous le sens que l’on ferait fausse route en prenant les indications d’un thermomètre placé en un lieu quelconque de la Terre pour mesure de l’activité solaire. Si l’on veut évaluer celle-ci, un réseau de stations très espacées en latitude est nécessaire ; les instrumens employés devront être identiques ou tout au moins comparables ; enfin, le cycle des taches montre que les moyennes devront être établies sur dix ou douze ans au moins, sous peine de n’avoir qu’un caractère provisoire.

De plus, toutes les stations, à toutes les époques, seront sous l’influence de causes d’erreur communes et qu’il importe d’éliminer. Considérons la radiation émise par une aire donnée de la photosphère solaire. Chercher plus haut son origine est, pour le moment, une entreprise sans espoir. Avant d’être enregistrée par la plaque sensible ou le thermomètre, cette émission a subi quatre pertes qui s’accumulent : 1° dans l’atmosphère du Soleil ; 2° dans le trajet entre le Soleil et la Terre ; 3° dans l’atmosphère de la Terre ; 4° dans l’appareil récepteur.

La dernière cause de déperdition a été pendant longtemps une pierre d’achoppement pour toutes les recherches actinométriques. Il semble bien aujourd’hui que nous en soyons délivrés et que les pyrhéliomètres de Langley et de M. Knut Angström ne comportent plus, à ce point de vue, d’incertitude alarmante. Le second, remarquablement simple dans sa construction et expéditif dans sou emploi, a paru plus recommandable pour une adoption générale, aussi bien à Oxford qu’au Congrès international météorologique de 1903. L’un et l’autre mesurent l’énergie calorifique et peuvent donner, si on leur adjoint un appareil dispersif, la distribution de cette énergie dans le spectre.

Mais la courbe obtenue n’a de valeur que pour le moment et le lieu de l’observation. Il est hors de doute que l’absorption par l’atmosphère terrestre est importante et qu’elle n’est pas fonction uniquement de la hauteur du Soleil. Elle dépend aussi de l’abondance des particules en suspension et de l’état hygrométrique, et cela d’une manière spéciale pour chaque radiation. On est même fondé à croire que certains rayons ultra-violets ne nous parviennent absolument pas et sont arrêtés en entier. On voit combien le problème est compliqué.

Cette complication est si grande que l’on ne doit pas espérer de résultats nets des mesures actinométriques en dehors des journées, toujours rares, où l’atmosphère se montre stable, pendant plusieurs heures, dans sa transparence et sa composition. Seules ces conditions permettent une élimination passable des influences terrestres.

On ne devra pas non plus négliger, quand cela sera possible, d’associer aux expériences effectuées en plaine, soit des observations simultanées faites à peu de distance en haute montagne, soit les indications d’enregistreurs emportés par des ballons sondes. Cette seconde voie, plus rationnelle, mais plus difficile, a été suivie dernièrement avec un succès marqué par MM. Violle et Teisserenc de Bort.

Il y a longtemps que l’attention des physiciens est appelée sur la nécessité de ces précautions. C’est donc délibérément, toutes corrections faites, après avoir choisi les circonstances jugées par eux les plus favorables, qu’ils nous proposent des valeurs numériques pour la constante solaire, c’est-à-dire pour la quantité de chaleur reçue dans l’unité de temps sur l’unité de surface à la limite supérieure de notre atmosphère.

Ces valeurs sont divergentes dans la proportion du simple au double, c’est-à-dire au-delà de ce qu’on peut raisonnablement admettre. Il est vraiment trop aisé de se tirer d’affaire en disant que la prétendue constante n’en est pas une et que l’émission solaire varie dans de larges limites avec le cycle des taches. Mais les valeurs trouvées pour la constante ne se conforment pas à ce cycle, pas plus, du reste, que les moyennes thermométriques en n’importe quel lieu de la Terre. Si l’abondance des taches était la mesure de l’émission calorifique du Soleil, la période de Schwabe se dégagerait de ces moyennes aussi visiblement que des courbes de variations magnétiques. Tout le monde sait qu’il n’en est rien, à tel point que les météorologistes discutent encore pour savoir si les années de taches nombreuses doivent être considérées comme plus chaudes ou plus froides que l’année moyenne.

C’est donc dans notre atmosphère, et non dans le Soleil, que réside la principale cause des divergences. On les verra diminuer si l’on adopte d’une façon générale le pyrhéliomètre d’Angström ou des instrumens analogues comparés avec lui, ainsi que l’ont recommandé les congrès d’Oxford et de Meudon.

Un accord plus complet sera réalisé si, comme le propose M. Angström, on éteint par des verres colorés, d’un modèle uniforme, les radiations qui sont le plus absorbées par les élémens variables de l’air. Des marches concordantes, en des stations diverses, pourront alors être misés sur le compte d’une transparence inconstante de l’atmosphère solaire. Cette transparence peut varier, non pas du simple au double, mais dans une mesure appréciable, suivant une période différente de celle des taches, moins régulière, et par suite plus difficile à démêler. S’il en est ainsi, on devra trouver des valeurs flottantes pour le rapport des radiations de deux aires égales prises sur le disque solaire, l’une près du centre, l’autre près du bord. Ce mode de recherche, à l’abri de la plupart des critiques que l’on peut adresser aux mesures actinométriques absolues, a déjà donné des résultats très curieux entre les mains de M. Abbot. Ainsi l’atmosphère solaire serait, d’une façon normale, plus transparente vers les bords qu’au centre. Dans l’espace de deux années, l’émission solaire aurait varié à plusieurs reprises d’un dixième. M. Abbot est le premier à demander que ces conclusions soient contrôlées et complétées dans d’autres observatoires.


IV

Il semble bien que si les observateurs des taches ne sont pas arrivés à des conclusions plus concordantes sur leur mécanisme, c’est parce que ces objets sont trop vastes, trop complexes pour que leur seul aspect fasse reconnaître leur vraie nature. Le problème doit être réduit, s’il est possible, à des termes plus simples. Il convient, en particulier, de lui appliquer le puissant moyen d’analyse que nous offre le spectroscope, et d’examiner comment telle ou telle radiation spéciale se comporte sur les taches et autour d’elles.

A première vue, le spectre des taches semble n’être que le spectre solaire affaibli, de même que celui des facules, plages brillantes que l’on voit autour des taches, n’est que le spectre solaire renforcé. Un examen attentif révèle cependant des différences. En particulier, quelques-unes des raies de Fraunhofer sont sujettes à se renverser sur les taches, c’est-à-dire que la raie noire est partagée dans le sens de sa longueur par une fine raie brillante, et il peut même arriver, dans certains cas, que la ligne brillante remplace entièrement la raie noire.

Les régions du disque solaire où ce renversement se produit ne sont pas limitées à l’aire visible des taches et l’excèdent souvent de beaucoup. Relever les limites de ces régions avec le spectroscope ordinaire serait une tâche très longue, et par là même stérile, car il s’agit d’un phénomène fugitif et variable, et les relevés obtenus devraient, pour être instructifs, embrasser tout le disque et se rapporter à une époque définie.

La photographie, qui a rendu tant de services dans les cas analogues, est seule capable d’opérer avec la promptitude nécessaire. Il faudra que la fente du spectroscope parcoure l’image solaire d’un mouvement continu ou par très courtes saccades. A chaque fois on ne laissera s’imprimer sur la plaque, dans le spectre qui est l’image dispersée de la fente, que la raie considérée, et l’on déplacera progressivement la plaque, de manière à éviter que les images successives ne se confondent. Si les mouvemens ont été bien réglés, on aura comme résultat final une image du Soleil donnée par une seule radiation.

Le principe de cette méthode a été aperçu par M. Janssen et formulé par lui au congrès de l’Association astronomique britannique dès 1869. Mais les difficultés d’exécution semblaient si grandes que l’indication demeura pendant bien des années lettre morte. C’est seulement vers 1890 que le problème fut sérieusement attaqué par le professeur Haie en Amérique, et par M. Deslandres à l’Observatoire de Paris. Ils produisirent à la même époque, et d’une manière tout à fait indépendante, des épreuves qui excitèrent à juste titre la curiosité du monde savant. La surface du Soleil apparaissait comme semée de nuages blancs, principalement accumulés dans la zone des taches, mais répandus aussi dans les latitudes élevées où les taches ne se montrent pas. Ces nuages sont aujourd’hui généralement connus sous le nom de flocculi, proposé par M. Haie. Leur structure est tantôt floconneuse, tantôt granulée comme celle de la photosphère. Pour isoler le mieux possible sur la plaque photographique la raie choisie, il conviendra d’employer une seconde fente moins large que cette raie. Dans ce cas, on sera maître de modifier l’aspect et la distribution des flocculi en faisant correspondre la fente à diverses parties de la raie. Si, au contraire, on augmente la dispersion, tout en élargissant la seconde fente, chaque section de l’image comprendra une raie tout entière ou plusieurs raies. Quand ces lignes présentent des irrégularités qui ne tiennent point à des défauts de la première fente, on y voit l’indice de variations locales dans la longueur d’onde, et par suite de différences de vitesse suivant le rayon visuel. Cette interprétation peut être proposée avec une confiance particulière dans le voisinage du bord, quand l’observation oculaire des protubérances y révèle des mouvemens analogues. Ainsi le spectrohéliographe (c’est le nom généralement adopté pour le spectroscope enregistreur à double fente) est susceptible de deux modes d’emploi différens, suivant qu’on lui demande surtout soit la distribution des flocculi, soit les vitesses qui les animent. Il permet également de suivre les nuages à plusieurs milliers de kilomètres au-delà du bord apparent ; il suffit d’augmenter le temps de pose et d’intercepter la partie centrale de la première image solaire par un diaphragme circulaire.

Maintenant, quelle est la composition de ces flocculi et à quel niveau sont-ils situés dans l’atmosphère solaire ? Cela dépend de la radiation choisie. La plus commode est la raie K du calcium, à l’extrémité la plus réfrangible du spectre visible. Elle est très photogénique, ce qui permet d’abréger la pose ; très large, ce qui facilite le réglage des fentes ; sensible aux variations d’état magnétique ou électrique, ce qui autorise à lui demander des renseignemens multiples. Elle peut être renversée simplement, c’est-à-dire présenter une zone centrale brillante entre deux bandes sombres, ou doublement, c’est-à-dire offrir trois zones sombres, une centrale et deux externes, avec deux zones lumineuses intermédiaires. Suivant la conjecture fort vraisemblable de M. Deslandres, la ligne centrale répond à la partie haute de la chromosphère où s’élèvent les protubérances, les lignes intermédiaires sont dues à la chromosphère proprement dite, les franges externes à la couche renversante. Ainsi les épreuves du spectrohéliographe nous renseignent sur la distribution et le mouvement des nuages de calcium dans les trois enveloppes atmosphériques dont la lumière prédomine successivement au moment où prennent fin les éclipses totales.

Le résultat est analogue si l’on fait coïncider la seconde fente de l’instrument avec une raie de l’hydrogène. Les parties claires de l’épreuve positive répondant aux régions de renversement, deviennent plus rares et plus restreintes. On voit apparaître aussi des taches sombres, indice d’une absorption plus forte. Mais comment interpréter les parties claires des flocculi quand la raie choisie n’est pas sujette au renversement ? Y a-t-il en ces points absorption moindre ou émission plus active ? Si la seconde alternative est la vraie, l’énergie plus grande réside-t-elle dans la photosphère ou dans les nuages de particules solides ou liquides qui se tiennent au-dessus de la couche absorbante et sont par suite capables d’émettre un spectre continu ? Il semble malaisé de décider. On hésiterait moins s’il venait à être établi que le grain des épreuves obtenues au spectro-héliographe coïncide avec le grain de la photosphère vue en lumière blanche. S’ils n’ont rien de commun, on sera fondé à croire que le même instrument, employé sur une raie très noire du spectre solaire, est surtout impressionné par les particules de la couronne et peut servir à fixer, en dehors des éclipses, sa structure et ses limites. Ce problème, actuellement à l’étude, ne sera résolu que par l’emploi d’instrumens très puissans, dans des conditions atmosphériques excellentes. Sans attendre ce moment, on peut dire que les épreuves monochromatiques donnent sur l’état du Soleil des renseignemens plus variés et plus complets que ne peuvent le faire les photographies ordinaires. En effet, les flocculi s’observent même aux époques où le soleil n’a pas de taches ; ils atteignent des latitudes où les taches ne se rencontrent pas ; enfin, suivant que telle ou telle radiation a été choisie, ils nous apprennent si diverses substances sont amenées par les éruptions dans la chromosphère supérieure. Ce dernier renseignement ne s’obtenait autrefois que pour le bord du Soleil. On y parvient maintenant d’une manière un peu plus laborieuse, mais tout aussi sûre, pour tout l’ensemble du disque.

Que manque-t-il donc aux photographies monochromatiques pour constituer la meilleure source d’informations sur l’activité solaire ? Simplement d’exister à l’état de séries homogènes, continues et prolongées. Il faudrait obtenir, sinon de tous les chercheurs, au moins de quelques collaborateurs dévoués, la discipline qui a si bien réussi pour la statistique des taches, rassembler des images quotidiennes du Soleil avec des diamètres uniformes, se mettre d’accord pour la grandeur de la dispersion, la largeur des fentes, le choix de la raie spectrale. Les vues échangées à Meudon ont paru montrer que, sur tous ces points, l’entente était bien près d’être faite. Peut-être est-on moins fixé sur la manière d’utiliser les documens, de les fondre en des moyennes équitables, de les traduire en tableaux graphiques. Les flocculi n’ont pas des limites aussi définies que les taches ; leur aire totale est quelque peu sous l’influence du temps de pose, et leur émiettement rend les mesures laborieuses. M. Hale a fait faire un grand pas à la question par l’invention d’une machine (l’héliomicromètre) qui supprime la plus grande partie des calculs. Il a entrepris aussi de démontrer que le spectrohéliographe, généralement considéré comme un appareil coûteux et délicat, réservé aux grands observatoires, peut être établi sous une forme efficace à très peu de frais. Ce dernier argument sera certainement pris en considération dans les nombreuses contrées où la science est moins largement dotée qu’en Amérique. Dès à présent, les États-Unis, l’Europe occidentale, la Sicile, l’Inde, possèdent des installations excellentes et des observateurs exercés. L’établissement d’une station en Australie diminuerait heureusement la vaste lacune qui existe entre l’Inde et la Californie. Cette mesure est réclamée par un vœu unanime du Congrès de Meudon. Lorsque la surveillance des éruptions sera ainsi pratiquée d’une manière presque incessante, nous apprendrons sans doute ce qui, dans le Soleil, correspond au début presque toujours si brusque des perturbations magnétiques. Les éruptions du fer ont bien des chances d’être, pour cet objet, plus instructives que celles du calcium, et surtout que la formation apparente des taches, qui n’est qu’un contre-coup irrégulier et tardif.


Il faut cependant se souvenir que les observations spectroscopiques du Soleil n’embrassent encore qu’un demi-siècle, période assurément bien restreinte dans révolution d’un corps céleste. Personne ne peut se croire autorisé à désigner avec certitude les radiations qui subiront avec le temps des changemens marqués et instructifs. Une surveillance est à exercer sur le spectre tout entier, et le travail préliminaire doit consister à dresser une liste des raies qui se modifient suivant une loi déterminée dans le périmètre des taches.

Pendant longtemps on a mis en doute la réalité de tels changemens. Le phénomène est malaisé à constater parce que l’on n’en saisit jamais que l’effet très atténué. Les taches les plus noires ne semblent telles que par contraste. Il subsiste toujours devant elles un double voile, chromosphérique et photosphérique. Analysé avec soin, le spectre des taches montre à la fois : 1° le fond continu de la lumière photosphérique ; 2° une bande d’absorption allant de l’infra-rouge à lui tra-violet : 3° quelques lignes de Fraunhofer élargies ou amincies ; 4° l’ensemble des lignes de Fraunhofer ; 5° quelques lignes brillantes.

D’abord, le troisième et le cinquième article ont paru seuls devoir retenir l’attention. Le second est devenu significatif à son tour depuis que MM. Young et Dunér ont réussi à décomposer la bande sombre en une multitude de lignes serrées dont quelques-unes seulement se prolongent en s’amincissant sur la photosphère. Ainsi l’assombrissement des taches ne révèle pas une émission moins active, mais une absorption augmentée, portant sur un grand nombre de substances à la fois.

Ce phénomène est trop délicat pour être proposé comme l’objet d’un enregistrement continu. Mieux vaut tirer au clair d’abord le cas des lignes bien isolées qui se renforcent d’une manière certaine quand on passe de la photosphère aux taches. Parmi ces lignes figurent au premier rang celles de deux métaux rares, le titanium et le vanadium.

Poursuivant l’enquête dans ce sens, sir Norman Lockyer a annoncé en 1886 que les lignes les plus élargies dans le spectre des taches ne restent pas les mêmes au cours du cycle de Schwabe. Vers l’époque du minimum, ce sont surtout des lignes de métaux connus. Quand le nombre des taches s’approche d’un maximum, le renforcement affecte surtout des lignes non identifiées. De plus, toutes les lignes d’un même élément ne s’élargissent pas à la fois. Sir Norman Lockyer en a conclu que ces corps, jugés simples à la suite des expériences de laboratoire, sont dissociés dans le Soleil, sous l’influence d’une température plus haute, vers l’époque du maximum.

Peu de chimistes se sont montrés enclins à souscrire à cette conséquence. On voudrait des faits plus palpables, d’ordre plus varié, avant d’admettre la possibilité d’une dissociation du fer ou de l’hydrogène. On demande, pour tirer la question au clair, des observations exactement comparables, poursuivies d’une manière presque incessante sur un très grand nombre de lignes, et pendant plusieurs dizaines d’années.

L’énormité de ce programme pourrait être une cause de découragement ; mais rien ne s’oppose à ce qu’il soit divisé, et peut-être même n’y a-t-il pas dans les études solaires de sujet qui se prête mieux à l’établissement d’une collaboration.

Cet état de choses a été caractérisé en termes très nets par le professeur Haie dès la réunion de Saint-Louis : « Il n’est pas probable, a-t-il dit, qu’un astronome ayant observé le spectre d’une tache solaire et tenté, carte en main, d’identifier et de noter toutes les lignes élargies, entretienne l’ambition de comprendre toute la longueur du spectre dans le programme de ses observations journalières. Pour assurer une connaissance suffisante du spectre des taches solaires, il me semble essentiel que toutes les lignes, ou peu s’en faut, affectées dans les taches soient enregistrées. Ceux mêmes qui partagent cette opinion se contenteront certainement de fixer leur attention sur certaines régions limitées du spectre. A l’époque du maximum des taches, quand elles doivent être observées en grand nombre, il est évident que l’étendue du spectre dévolue à un même observateur ne doit pas être trop grande. Si, de plus, on tient compte des interruptions causées par le mauvais temps et de l’importance d’assurer un contrôle des observations, il sera également évident que la même région du spectre doit être observée régulièrement dans plus d’un établissement. Ainsi notre connaissance du spectre des taches solaires serait sûrement accrue d’une manière sensible si une entente s’établissait en ce qui concerne la répartition du spectre entre différens chercheurs. D’après ce que je sais des travaux de ce genre qui sont maintenant en cours d’exécution ou en projet, je. ne prévois nulle difficulté pour effectuer une telle division du travail. »

Dans une séance du Congrès d’Oxford, le professeur Fowler a pu annoncer que ce plan était déjà en partie réalisé. Le P. Fenyi à l’Observatoire Haynald, M. Michie Smith à Kodaikanal (Inde), ont été des premiers à promettre leur concours. D’autres adhésions ont suivi de près : celles du P. Cortie à Stonyhurst, du professeur Naegamvala à Pona (Inde), de M. Riccò à Catane, de M. Belopolsky à Poulkova, de sir W. M. Christio à Greenwich, de M. Deslandres à Meudon. Ici l’on compare avec l’oculaire les spectres des taches et de la photosphère ; ailleurs on les enregistre par la photographie. Mais on ne cherche point à faire disparaître cette diversité, car chaque méthode a ses objets propres pour lesquels elle se montre plus efficace. L’emploi de loculaire, assurément plus long, comporte, en dehors de la région ultra-violette, plus de délicatesse dans l’appréciation des intensités. La division du spectre entre les observateurs visuels est faite par une commission qu’ont présidée successivement le professeur Young et M. Newall. Chacun se voit attribuer une zone d’étendue modérée, de façon qu’une inspection détaillée soit possible. On ménage toutefois un certain empiétement pour assurer le contrôle. Les lignes modifiées dans les taches sont comparées aux lignes voisines de Fraunhofer inscrites dans le catalogue de Rowland, et l’on emprunte à ce même catalogue les nombres qui expriment l’intensité.

Cette marche, suivie par M. Fowler pendant quinze mois aux environs de l’époque du dernier maximum, a mis en lumière une conclusion importante au point de vue de l’orientation future du travail. La qualité de la lumière des taches est indépendante de leur variation quotidienne, souvent si rapide. Durant des mois entiers, leur spectre présente les mêmes différences avec celui de la photosphère. L’apparition en grand nombre de lignes renversées, c’est-à-dire devenues brillantes dans leur partie centrale, n’est qu’un accident tout à fait exceptionnel, lié sans doute au passage d’une protubérance. On peut donc, pour vérifier des énoncés généraux comme celui de sir Norman Lockyer, remplacer plusieurs centaines de relevés journaliers par une carte unique, bien plus parlante et plus rapidement consultée. Une carte semblable a été présentée à Oxford par M. Fowler. Elle s’étend de la raie b4 à la raie E17, espace qui comprend environ 350 lignes dans le catalogue de Rowland. Depuis, MM. Haie et Adams ont dressé par la méthode photographique une carte analogue, mais plus étendue. Quand des documens semblables auront été constitués pour deux ou trois époques consécutives de maximum ou de minimum, on pourra dire sûrement si les vapeurs des taches changent de composition chimique dans l’intervalle de onze années.

Ces travaux, d’origine diverse, montrent un accord satisfaisant dans leurs parties communes. M. W. M. Mitchell, à Princeton, a fourni des vérifications nouvelles avec un instrument de dispersion plus grande. En même temps se sont trouvés élucidés quelques faits qui tiennent à l’existence de lignes doubles très serrées, mais de provenance différente. Si, dans un cas de dédoublement imparfait, la composante la plus faible vient à s’effacer, on peut être tenté de croire que la ligne qui reste s’est amincie et que sa longueur d’onde a changé.

Mis en garde contre ces fausses interprétations, les observateurs portent maintenant leurs efforts sur les lignes d’ombre, ainsi nommées par M. Newall parce qu’on ne les retrouve point en dehors de la partie centrale des taches. Ces lignes, difficiles à séparer, se présentent par séries régulières, de plus en plus serrées, comme les bandes spectrales des étoiles rouges. Toutes les tentatives faites pour les imiter dans le laboratoire, pour les rattacher à la présence d’élémens terrestres ont donné jusqu’ici des résultats négatifs. Les caractères spéciaux que prennent dans les taches les raies isolées du titanium et du vanadium sont au contraire susceptibles de reproduction. Ils indiqueraient, d’après les expériences récentes de MM. Fowler, Hale et Adams, que la température peut descendre dans les taches au-dessous de celle de lare électrique. Nous sommes loin des millions de degrés dont les physiciens parlaient encore, il y a peu d’années, pour la température superficielle de l’astre radieux.


D’autres objets encore ont été proposés à l’attention du dernier congrès. Nous citerons, comme ayant donné lieu à la nomination de comités : l’étude, par la méthode spectroscopique, de la triple influence du temps, de la latitude et de l’altitude sur la durée de rotation du Soleil ; la coordination des efforts pour l’observation des éclipses totales et la publication des résultats sous une forme qui les rende mieux comparables. M. Bigourdan a fait également adopter un vœu pour l’utilisation des nombreux documens inédits concernant les taches solaires, qui existent dans les observatoires français. Nul doute, en particulier, que la série de 6 000 épreuves formée à Meudon avec tant de persévérance ne fournisse encore la matière d’études fructueuses.

Bientôt, ces questions nouvelles feront, comme celles que nous avons déjà passées en revue, l’objet de programmes définis, et pourront être utilement discutées par le prochain congrès, qui doit se tenir en 1910 en Californie. Il complétera l’œuvre du précédent, mais ne le fera pas oublier. Telle est, croyons-nous, l’opinion de tous les astronomes éminens, tant d’Europe que d’Amérique, qui ont répondu, au printemps de cette année, à l’appel du regretté M. Janssen. Aucun n’a paru insensible à la grandeur de ce cadre historique, à la beauté du panorama mouvant de la capitale, faisant contraste avec les ombrages touffus de Chalais, à l’hospitalité gracieuse autant que prévoyante qui a réuni étrangers et Français en de cordiales et instructives agapes. Nul ne s’est dérobé au sentiment qui a fait acclamer comme président d’honneur des séances d’étude le doyen actuel des astronomes français. Ce sentiment n’a pu que se fortifier à la vue des merveilleuses photographies solaires, monumens du glorieux passé de l’Observatoire, qui décoraient la salle et dont la perfection fait encore, après nombre d’années, le désespoir des imitateurs. L’inspection plus détaillée qui a suivi a pu convaincre tous les visiteurs que les intérêts de l’astronomie ne périclitent point à Meudon. Ils ont vu toutes les ressources de l’optique et de la mécanique mises à profit dans les récentes installations de M. Deslandres. Le programme que celui-ci a conçu, appliqué, développé avec tant d’autorité ; fait prévoir que la France se présentera encore au Congrès de Californie avec une contribution scientifique dont elle aura lieu de s’enorgueillir. Quand même le champ des investigations devrait s’élargir et le but espéré reculer, encore, il est certain que les bonnes volontés ne manqueront point à la tâche, et il faut souhaiter que le concours de l’opinion et des pouvoirs publics ne leur soit pas ménagé.


P. PUISEUX.