L’administration et le budget des écoles aux États-Unis

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L’ADMINISTRATION ET LE BUDGET DES ÉCOLES AUX ÉTATS-UNIS.


I. Caractère des institutions américaines.

Un citoyen des États-Unis qui n’aurait pas fait une étude particulière de nos institutions comprendrait difficilement l’importante question de la nomination des instituteurs par le recteur, par l’inspecteur d’académie ou par le préfet, que le ministère de l’instruction publique et la Chambre des députés agitent aujourd’hui en France ; il aurait autant de peine à se faire une idée exacte d’une administration centrale étendant son action directe sur toutes les parties du pays, que nous en aurions à nous faire l’idée d’une organisation pédagogique sans ministère et sans subordination des parties à un centre commun.

C’est que les institutions américaines diffèrent essentiellement des nôtres. La France a conquis peu à peu l’unité à travers les luttes de la royauté contre la féodalité. Quand, en 1789, elle a supprimé le régime féodal qui, annulé comme pouvoir politique, formait encore le fonds de notre droit civil, elle s’est appliquée à fortifier l’unité nationale, en même temps qu’à constituer le droit nouveau sur le double principe de la liberté et de l’égalité. L’idée d’unité est profondément enracinée dans l’esprit français ; _elle est une des forces de notre nationalité et même, dans la constitution actuelle de l’Europe, une nécessité ; elle n’est pas d’ailleurs incompatible avec les développements divers de la liberté individuelle et de l’association, j’ajouterai même, avec une certaine dose d’autonomie départementale et communale. L’unité s’’accommode ainsi au gouvernement républicain comme au gouvernement monarchique, et elle restera, sous la république, un des caractères dominants de la Constitution française.

Les États-Unis se sont formés par l’association libre des treize colonies qui, en s’unissant, n’ont prétendu déférer au gouvernement central que la part d’autorité nécessaire pour le maintien de la confédération, Elles-mêmes étaient composées de colons dont les pères avaient apporté. pour la plupart de la mère patrie les habitudes d’indépendance de la race anglo-saxonne et qui avaient, en rédigeant le pacte social, nettement circonscrit les limites du pouvoir gouvernemental. Le mode d’agrégation des éléments sociaux dont se compose la nation américaine a été, en quelque sorte, inverse du nôtre.

Aussi, quelques sacrifices que les Américains aient faits à l’unité, notamment dans la guerre de sécession, ils reconnaissent un principe qui domine celui-là de beaucoup : le principe de la liberté individuelle, et, par suite, de l’autonomie communale. Le gouvernement fédéral, c’est-à-dire le gouvernement central, qui a une puissance très-étendue à certains égards, ne possède que les pouvoirs expressément énoncés dans la Constitution ; hors de là son action est nulle. Les gouvernements des trente-huit États qui composent l’Union n’exercent également que les pouvoirs déterminés par la Constitution particulière de chacun de ces États. L’autorité publique procède d’une sorte de délégation de la liberté individuelle, qui s’est dépouillée de ses droits au profit de la communauté et qui ne l’a fait que dans la mesure strictement nécessaire au mécanisme de la vie sociale[1].

Les politiques américains regardent ce système comme la sauvegarde de leur liberté ; « c’est ainsi, dit l’un d’eux, qui écrit pour la jeunesse[2], que le peuple s’accoutume à gérer directement, autant que possible, ses intérêts locaux et privés, en abandonnant seulement les affaires d’un intérêt plus général aux soins de gouvernements plus éloignés et nécessairement représentatifs, tels que celui de l’État et celui des autorités fédérales. Ainsi se fait l’éducation politique et se conserve l’esprit d’indépendance ».

II. Rôle du gouvernement fédéral dans l’éducation.

Dans les dix-huit articles de la Constitution qui déterminent les pouvoirs du Congrès et dans les amendements qui l’ont complétée ultérieurement, l’instruction publique n’est pas comprise. Donc le gouvernement des États-Unis n’a pas d’autorité sur cette matière.

De 1780 à 1802, sept des États de la Confédération, dont le territoire s’étendait sans limites précises dans l’Ouest par delà les monts Appalaches jusqu’à la rive du Mississipi où dans le nord sur la frontière du Canada, cédèrent au gouvernement fédéral leurs droits sur les vastes régions où la colonisation européenne n’avait pour ainsi dire pas encore pénétré et dont les forêts et les prairies, à peine explorées, n’étaient occupées que par des Indiens[3].

Le Congrès, en demandant la cession de ces territoires, avait déclaré tout d’abord, en principe, « qu’il en disposerait pour le profit commun des États-Unis ». L’instruction étant déjà regardée à cette époque comme un des placements d’argent les plus profitables à la communauté, le Congrès put légitimement en disposer pour cet usage. Il le fit dès l’année 1785, deux ans après le traité par lequel l’Angleterre reconnaissait l’indépendance de la nouvelle république. Il le fit aussi en 1787, lorsque, par une loi mémorable, il décida que la 16e section de tout « township » devait servir de dotation aux écoles publiques. « La religion, la moralité et la science étant nécessaires à un bon gouvernement et au bonheur de l’humanité, dit le préambule de la loi, les écoles et les moyens d’éducation doivent être encouragés pour l’avenir ».

Qu’est-ce que le township et la 16e section ? Un township est un carré dont les côtés ont 6 milles anglais de longueur (1,609 mètres X 6 = 9,654 mètres) et dont la superficie est de 36 milles carrés. Les géomètres qui arpentent le terrain et le préparent pour la vente et la colonisation, le divisent ainsi régulièrement en carrés égaux qui constituent autant de townships. Le township, vendu et peuplé, devient une commune. Un certain nombre de communes forment le comté[4], subdivision de l’État. Les 36 carrés d’un mille de côté dont se compose le township sont eux-mêmes partagés en lots d’une plus petite étendue (au nombre de 16 par section) qui sont mis en vente publique. Chacune des 36 sections porte sur le cadastre un numéro d’ordre, de 4 à 36. La 16e section, dite section des écoles, se trouve située à peu près au milieu du township ; pour cette raison, elle est une de celles qui ont ordinairement le plus de valeur.

Le principe de cette libéralité fut consacré de nouveau par un vote en 1789, après l’adoption de la Constitution. et tous les États admis dans l’Union depuis cette époque, c’est-à-dire tous les États, à l’exception des treize colonies, en ont eu le bénéfice. Le Congrès a même fait plus. En 1848, il a doublé l’importance du don en ajoutant au fonds des écoles la 36e section de chaque township. Cinq. États, la Californie, le Minnesota, l’Oregon, le Kansas, le Nevada, et les territoires organisés depuis cette époque en ont profité. En 1835, le gouvernement, se trouvant possesseur d’un reliquat de 40 millions de dollars (environ 200 millions de francs), en répartit, à titre de dépôt, les deux tiers entre les États, en leur laissant le soin d’en faire l’emploi le plus utile : la plupart ont consacré à leurs écoles la majeure partie du revenu de ce fonds désigné sous le nom de « Surplus Revenue » ou de « Union State deposit fund ». En 184, il donna 500,000 acres à seize États ou territoires : ceux-ci attribuèrent encore à leurs écoles la plus grande part de ce nouveau capital. En 1849, en 1850 et en 1860, il donna à quatorze États ou territoires 62,428,430 acres de terres marécageuses, « swamp lands », qui reçurent aussi la même affectation. Le gouvernement a ainsi gratifié les États d’environ 140 millions d’acres[5] représentant une valeur considérable.

Mais il a fait acte de générosité, sans faire acte d’autorité. Sur l’emploi de ces fonds, il n’exerce aucun contrôle. « Un des premiers soins du gouvernement fédéral est d’encourager et de favoriser l’instruction dans toutes les parties de l’Union, autant qu’il peut le faire dans les limites de l’organisation politique de la nation et sans jamais porter atteinte aux règles d’administration municipale qui sont ou qui peuvent être adoptées sur cette matière par le gouvernement de chaque État ». Ainsi parlait un rapporteur en 1806, et cette réserve a été scrupuleusement gardée jusqu’à nos jours.

Indépendamment des terres affectées aux écoles publiques, l’acte de 1787 accordait deux townships entiers à chaque État pour la fondation d’une université ; quelques États, la Floride et le Wisconsin, en ont même reçu quatre ; c’est encore un chiffre de 1,190,440 acres à ajouter au total, mais dont il n’a pas toujours été fait un usage fructueux, En 1869, le Congrès, persuadé qu’il importait de développer l’enseignement supérieur et surtout l’enseignement technique, fit un nouvel effort, mais en précisant davantage cette fois le mode d’emploi. « Sans exclure les autres études scientifiques et classiques, particulièrement l’art militaire, dit l’acte de 1862, le but est d’enseigner les branches des connaissances relatives à l’agriculture et aux arts mécaniques, sous les formes que la législature de chaque État pourra ordonner, en vue de développer l’éducation libérale et pratique des classes industrielles dans les diverses carrières et professions ». Cet acte a ajouté encore à la dotation générale de l’enseignement publie 9,600,000 acres, qui, au prix où se sont vendus les terrains déjà aliénés, représentent une somme de plus de 30 millions de francs.

Cette dernière donation a été généralement bien accueillie, bien qu’elle ait une affectation spéciale. Mais les États ont conservé l’entière liberté de disposer, comme ils l’entendraient, de la part qui leur est allouée. Un certain nombre de pédagogues ont vu cependant dans cet acte un premier pas fait par le Congrès dans la voie de l’intervention directe ; plusieurs y ont applaudi, pensant qu’ils y trouveraient un secours puissant pour remédier à certains vices de l’organisation actuelle et pour stimuler ou diriger avec intelligence le zèle des communes. Toutefois, deux propositions faites au Congrès, l’une par M. Hoar, en 1871, pour « rendre obligatoire l’établissement d’un système complet d’instruction publique dans toutes les parties de l’Union », l’autre par M. Perce, en 1872, pour établir un fonds que le gouvernement répartirait à titre de subside entre les États, à la condition que ces États fourniraient régulièrement la statistique de leurs écoles, ont été repoussées.

Les mœurs politiques de l’Amérique répugnent à cette ingérence du pouvoir central dans les affaires particulières des États ; elles lui permettent d’être libéral ; mais elles lui interdisent de se faire directeur ou contrôleur. Il est impossible, surtout à un Français, de ne pas être frappé de ce qu’il y a d’excessif dans cette répugnance qui ne permet pas même à l’État fédéral d’exercer les droits d’un donateur privé, et de ne pas croire qu’un jour viendra où l’on se relâchera quelque peu de cette rigidité fédéraliste, sans compromettre la liberté. Mais, en attendant, il faut que les pédagogues, en Amérique comme dans tout pays, se plient aux mœurs et aux institutions de leur nation. Le gouvernement fédéral peut, si la direction lui est interdite, agir encore utilement par les dons et par les conseils. Nous verrons plus loin ce qu’il fait depuis quelques années en vue de donner par ce dernier moyen plus d’unité au système d’éducation.

III. Législation scolaire des États ; obligation, gratuité.

Chaque État fait donc lui-même ses lois relatives à l’éducation nationale : de là résulte nécessairement de la variété dans le mode d’administration. Cette variété n’amène pourtant ni contradiction, ni confusion de systèmes. La similitude des besoins et des mœurs a conduit à une certaine harmonie des institutions.

Les anciennes colonies de la Nouvelle-Angleterre, le Massachusetts, le Connecticut, le Rhode-Island, n’avaient pas inscrit dans leur charte primitive l’obligation d’entretenir des écoles. Mais le Massachusetts et le Connecticut l’avaient pratiquée de bonne heure, le premier en enjoignant (1642) de veiller, sous peine d’amende, à ce que les enfants reçussent l’instruction, et en promulguant (1650) un code qui obligeait tout township de 50 familles à entretenir une école primaire[6]. La charte rédigée par Guillaume Penn, en 1682, pour la Pennsylvanie mentionnait l’obligation de construire et d’organiser des écoles publiques. « Ce qui fait une bonne constitution, disait le grand quaker, et qui est seul capable de la maintenir, ce sont des hommes de sagesse et de vertu, qualités qui, comme elles ne viennent par héritage, doivent être cultivées avec soin par une éducation vertueuse de la jeunesse pour laquelle on ne doit pas épargner la dépense ; la parcimonie sur ce point détruit tout ce que le travail avait créé. »

Les États plus récemment fondés ont suivi l’exemple de leurs devanciers, en imitant et en s’appliquant à perfectionner les institutions déjà existantes. Les uns et les autres ont remanié à cet égard leur Constitution, et beaucoup l’ont fait à plusieurs reprises ; il n’en est pas aujourd’hui un seul dont l’acte constitutionnel ne règle en termes exprès cette matière. Nous citons, à titre d’exemple, le premier paragraphe de la Constitution actuelle de l’Arkansas relatif à l’éducation.

« La diffusion des connaissances et de l’intelligence dans toutes les classes de la société étant une condition essentielle de la garantie des droits et des libertés du peuple, l’assemblée générale doit établir et soutenir un système d’écoles gratuites (free schools) pour l’instruction gratuite de tous les individus vivant dans l’État et âgés de cinq à vingt et un ans. »

On peut, cependant, en regardant d’un peu plus près, distinguer trois groupes parmi les États. Ceux du Nord-Est sont les anciens États qui ont servi de type et dont quelques-uns, comme le Massachusetts, ont été et restent encore les foyers les plus actifs de l’activité intellectuelle, mais qui, n’ayant pas été formés de territoires appartenant à l’Union, n’ont pas participé aux grandes largesses du Congrès ; ceux de l’Ouest, qui ont joui de ce bienfait et de l’expérience des anciens États, ont pu, du premier coup, créer un système d’éducation plus uniforme et plus complet ; ceux du Sud, dans lesquels l’esclavage avait été longtemps un obstacle à la diffusion de l’enseignement primaire, se sont tous appliqués, dans leurs nouvelles chartes datant de 1868 et de 1869, à combler les lacunes de leurs anciens règlements.

Conformément aux principes posés dans les Constitutions, des lois votées par la législature des États ont réglé les détails de l’exécution. La plupart de ces lois sont récentes ; depuis l’année 1870, il n’a pas été rendu moins de soixante-deux lois organiques sur les écoles dans les trente-huit États et dans les territoires, lesquels n’ont pas d’acte constitutionnel. Les États-Unis sentent plus que jamais la nécessité de faire des efforts énergiques et de grands sacrifices pour élever toute la masse de leur nombreuse population au-dessus de l’ignorance et pour ouvrir aussi largement que possible à tous les voies de la science.

Il y a un point sur lequel toutes les Constitutions s’accordent : c’est le droit à l’instruction. « Le peuple a droit au privilége de l’instruction et l’État a le devoir de donner satisfaction à ce droit », dit la Constitution de 1868 de la Caroline du Nord. Toutes, sans s’exprimer dans les mêmes termes, consacrent le même droit et le même devoir. C’est d’ailleurs le principe qui en France a dicté la loi de 1833 sur l’instruction primaire : le droit à l’instruction entraîne l’obligation pour la commune de pourvoir à l’entretien d’écoles. Quant à l’obligation pour les parents d’instruire leurs enfants, c’est une question différente. Quelque impérieuse que paraisse aux Américains la nécessité de l’instruction primaire, ils ont hésité devant une mesure qui leur semblait porter attente à la liberté individuelle. En réalité, l’obligation scolaire peut être inscrite dans une loi sans que la liberté soit plus offensée que par l’obligation qu’ont les parents d’élever et de nourrir leurs enfants ; mais il est plus facile de voter cette loi que de la faire exécuter chez une nation dont les mœurs s’y prêtent peu. La majorité des États américains s’est abstenue jusqu’ici. Sur trente-huit États, il n’y en a que douze qui aient inscrit l’obligation dans leur code scolaire ; la plupart l’ont fait tout récemment ; quelques autres songent à le faire ou y sont poussés par les surintendants de l’éducation, qui, gémissant de l’irrégularité de la fréquentation et du grand nombre d’ignorants que l’immigration ne cesse de leur apporter, se plaignent de l’insuffisance de leurs moyens d’action. « Si nous prenons l’argent des citoyens pour instruire tous les enfants, il faut que tous reçoivent l’instruction, sans quoi les impôts ne seraient pas Justifiés », disait le surintendant de l’Ohio en réclamant l’adoption de ce principe qu’il n’a pas encore pu faire triompher. Dans les États même où la loi l’a proclamé, la répression est sans vigueur, parce que les mœurs secondent mal la loi. Un des intendants du Massachusetts, l’État qui a le plus anciennement prescrit l’obligation, déclarait, en 1874, qu’il fallait des pénalités plus sévères pour assurer la fréquentation des écoles ; « Le mot obligation appliqué à l’éducation, ajoutait-il, a perdu sa signification ».

L’influence germanique a beaucoup contribué à créer des partisans à ce système et je ne doute pas que les Américains, de même que la plupart des peuples du vieux monde, n’y inclinent davantage, à mesure que le besoin de généraliser l’instruction populaire deviendra plus pressant. Mais le résultat qu’on en peut attendre en Prusse ou en Saxe, où les mœurs sont depuis longtemps façonnées à cette obligation et où l’action administrative a une grande force, est tout autre que celui qu’on peut espérer en Amérique, où les citoyens ne prisent pas moins leur liberté individuelle que l’instruction.

Si les opinions sont partagées sur l’obligation, elles sont unanimes en faveur de la gratuité. Il n’en a pas toujours été ainsi. La Pennsylvanie avait inséré dans sa Constitution de 17736 un article par lequel, en prescrivant la création d’écoles dans chaque comté, elle recommandait de donner aux instituteurs, sur les fonds publics, un salaire assez élevé pour qu’ils pussent instruire la jeunesse à bas prix ; « as may enable them to instruct youth at low prices » ; dans la Constitution de 1790, elle fit un peu plus en disant que les écoles devaient être organisées de manière que les pauvres pussent être instruits gratis[7], et elle organisa véritablement ce régime par la loi de 1818. L’Indiana avait déjà, dès 1816, décrété un système général d’éducation s’élevant par gradation de l’école du township jusqu’à l’université, également gratuit et accessible pour tous.

L’exemple de la Pennsylvanie souleva une longue polémique parmi les pédagogues. Horace Mann, un des plus distingués d’entre eux, y prit une part active, surtout depuis 1837, époque à laquelle il devint secrétaire du bureau d’éducation du Massachusetts. On rappelait que les premiers colons du Nord, hommes animés d’une foi vive et d’un sincère amour de l’égalité, avaient eu des écoles dans lesquelles tous les enfants sans distinction recevaient la même éducation religieuse et la même instruction ; que cette louable coutume s’était peu à peu perdue quand l’inégalité des fortunes s’était introduite et quand les écoles publiques, mal tenues, avaient été désertées par les riches ; qu’il fallait la faire revivre, parce que dans un État démocratique tous devaient avoir un même fonds de connaissances et d’éducation ; et que, par conséquent, il importait au salut public de créer un système général d’écoles gratuites pour tous à tous les degrés. Depuis que les Américains ont aperçu l’abîme vers lequel les poussait le flot toujours montant d’une immigration ignorante et étrangère aux traditions nationales, c’est-à-dire environ depuis 1850[8], ce système a prévalu dans les esprits et a passé successivement dans les diverses Constitutions des États.

IV. Surintendants de l’éducation et bureaux d’éducation pour l’État.

Il serait inutile de chercher à Washington une administration générale de l’instruction publique des États-Unis ; on n’y trouverait qu’un bureau, très-important sans doute, mais qui n’administre pas. Nous en parlerons plus loin.

Il faut aller droit à l’État. Là se trouve le pouvoir législatif qui fait, pour chaque État, les lois constitutives de l’instruction publique. Là se trouvent aussi le Bureau de l’éducation de l’État et le surintendant de l’État. Les États eux-mêmes ne se sont décidés que tardivement, comme par nécessité, à admettre cette centralisation restreinte. C’est en 1838 seulement, que le Rhode-Island eut un premier surintendant des écoles publiques ; le Massachusetts, l’Ohio n’entrèrent dans la même voie, après de vives discussions, qu’en 1837. Tous les États, ou du moins presque tous[9], ont aujourd’hui une administration centrale. Elle comprend en général un Bureau de l’éducation et un surintendant.

Le Bureau de l’éducation est un corps délibérant qui fait les règlements, dresse les programmes, choisit les livres classiques. Il tient plusieurs sessions par an, et quelquefois il exerce des pouvoirs législatifs très-étendus ; nulle part aussi étendus que dans l’Alabama, où il siége au même titre que les Chambres, ayant la plénitude du pouvoir législatif en matière d’éducation, sans que le gouverneur puisse même opposer son veto lorsqu’une résolution a été prise à la majorité des deux tiers des voix, et où il peut, de sa propre autorité, établir dans chaque township des écoles gratuites. Dans le Massachusetts, le Bureau se compose du gouverneur, du lieutenant-gouverneur et de huit personnes nommées pour huit ans par le gouverneur. Dans certains États, les membres sont nommés par l’Assemblée législative. Dans d’autres, ce corps n’existe pas et la direction générale est remise au seul surintendant : telle est, par exemple, l’organisation de l’État de New York, celle de la Pennsylvanie et de l’Ohio.

Le surintendant de l’éducation de l’État, désigné dans certains États sous le nom de commissaire des écoles de l’État, est tantôt le président, tantôt le secrétaire du Bureau, lorsqu’il existe un bureau ; il est partout l’agent actif de l’instruction dans l’État. Il a un droit de surveillance générale sur les écoles ; il juge les différends qui peuvent s’élever entre les membres du corps enseignant ; il veille à la perception des taxes et à l’administration des revenus scolaires ; il publie, ordinairement chaque année, un rapport sur l’état des écoles publiques qu’il soumet au Bureau et à la Législature ; il exerce encore quelques autres fonctions qui varient suivant les lieux. Il n’est pas, à proprement parler, un fonctionnaire dans le sens que nous attachons en France à ce mot ; c’est un mandataire, dont le mandat peut être renouvelé, mais qui n’est nommé que pour un temps limité de deux à quatre ans[10], soit directement par le peuple, soit par le gouverneur de l’État, par les Chambres ou par le Bureau d’éducation.

V. Bureaux d’éducation et surintendants de comté.

Le comté a aussi son Bureau d’éducation et son surintendant, souvent un surintendant sans bureau. Ce surintendant est Le lien des townships ; il visite les écoles, fait passer les examens, rédige des rapports, lève les taxes votées pour les écoles et répartit les fonds entre les districts scolaires. « Nos limites territoriales sont immenses, dit M. Eaton dans un de ses rapports annuels ; si nous n’avons pas une inspection vigilante, le défaut de compétence, la mauvaise direction, les petites tyrannies peuvent se dissimuler facilement, soit dans les régions lointaines, soit même au cœur de nos cités, et conduire à de fâcheux résultats… L’institution générale de surintendants capables et consciencieux ouvrirait une ère nouvelle dans l’histoire des États-Unis. »

Cette institution, plus récente que celle du surintendant d’État, n’a triomphé qu’après de vifs débats et de longues hésitations. Encore le triomphe est-il incomplet ; le terrain conquis continue à être disputé. Les États de la Nouvelle-Angleterre dans lesquels le comté ne joue pour ainsi dire pas de rôle administratif et où tout le pouvoir réside dans la commune dite « town », n’ont pas adopté l’institution. La plupart des autres États, il est vrai, l’ont fait ; mais plusieurs, entre autres l’Ohio, cédant à des influences contraires, l’ont ensuite supprimée. Les Américains avaient craint d’introduire, au détriment de l’indépendance communale, un nouveau rouage de centralisation dans le mécanisme social. Ce fonctionnaire nouveau portait d’ailleurs ombrage à bien des gens. C’était, disait-on, donner à un seul homme beau-. coup d’argent qu’on pourrait mieux employer à fonder des écoles, et on ne manquait pas d’exemples pour prouver que cet argent était mal employé, « lorsque la fonction avait été confiée à un fermier qui l’acceptait, non parce qu’il avait connaissance ou souci de l’enseignement, mais parce qu’il désirait un traitement[11]. » L’autorité même dont était investi le surintendant lui créait des ennemis lorsqu’il en usait pour réprimander un maître ou pour expulser un élève, et, comme elle faisait de lui le personnage le plus influent du comté, elle excitait la jalousie et les récriminations des « politiciens », c’est-à-dire des hommes qui font métier de la politique. Ces derniers se voyaient dans l’alternative de faire supprimer les surintendants ou de devenir eux-mêmes surintendants en apportant dans ce poste des préoccupations tout autres que celles de la pédagogie. « Avec toutes ces influences contraires, dit un écrivain américain, il y a lieu d’être surpris que l’institution des surintendants de comté ait pu naître ou qu’elle n’ait pas été étouffée depuis longtemps. Cependant elle existe encore ; et, après tout, elle va faisant son chemin lentement, très-lentement, dans l’opinion publique[11]. »

VI. Districts scolaires.

Le véritable centre d’action n’est pas encore là ; il est au-dessous, au sein de la commune, désignée sous le nom de town dans la Nouvelle-Angleterre et de township dans le reste de l’Amérique. La commune elle-même se subdivise le plus souvent en districts scolaires, et les villes qui ont une charte d’incorporation possèdent une administration distincte à tous les égards de celle du township.

Le district scolaire est administré par un bureau, quelquefois par un agent unique qui porte le nom d’agent ou d’administrateur. Le Bureau porte des noms divers : Bureau du township dans l’Alabama, Bureau des administrateurs (Board of trustees) dans la Californie, Bureau des visiteurs des écoles dans le Connecticut, Comité scolaire dans le Delaware et le Massachusetts, Bureau des directeurs dans l’Illinois, directeurs des écoles dans le Vermont, etc. Il est presque partout composé de trois membres élus pour trois ans par l’assemblée des citoyens et renouvelé par tiers tous les ans. Les femmes, dans plusieurs États, notamment dans le Massachusetts, peuvent faire partie de ces bureaux : il en est de même en Angleterre. C’est le Bureau ou quelquefois l’agent qui lève les taxes, qui dispose du terrain (16° et 36° sections) donné par le gouvernement fédéral à chaque township, qui choisit en général les livres classiques, qui fixe le traitement des instituteurs, qui les nomme et les révoque, qui inspecte les classes et reçoit les rapports mensuels des maîtres. Le président donne les ordres nécessaires pour l’accomplissement des fonctions du Bureau.

Le nombre des districts égale presque celui des écoles. Ainsi, en 1875, nous trouvons, en Californie, 4,868 écoles et 1,462 districts ; dans l’Illinois, 14,396 écoles et 11,931 districts ; dans le Missouri, 7,829 écoles et 7,483 districts. Le morcellement est ainsi poussé à son extrême limite ; car c’est le district qui nomme, qui paie, qui révoque, qui administre en un mot. Les inconvénients d’une autorité si divisée et d’un pouvoir presque discrétionnaire sur l’argent et sur les personnes donné à des administrateurs soumis eux-mêmes aux hasards de l’élection et placés trop près de leurs justiciables et des passions de clocher pour être impartiaux, sont assez évidents pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y insister. Le défaut de compétence des membres du Bureau qui ont droit d’inspecter les classes n’est pas moins évident et moins dangereux pour la bonne direction. Les esprits éclairés ne se font pas illusion sur ce vice de leur système[12] non plus que sur d’autres, et ils essaient d’y porter remède. Déjà une loi du Massachusetts, en 1869, a décidé que les propriétés et les pouvoirs des districts feraient retour à la commune, « town », qui deviendrait le district scolaire ; mais, sur les réclamations qui se produisirent, une autre loi de 1870 permit, dans certains cas, de reconstituer des districts scolaires, et, en effet, un huitième environ des communes de l’État a conservé l’ancienne organisation.

Dans les grandes villes, l’organisation est plus complexe. À New-York, le Bureau se compose de vingt et un membres nommés pour trois ans par le maire et renouvelé par tiers ; il nomme lui-même son président[13], se partage pour le travail en dix-sept comités, surveille toutes les affaires qui concernent les écoles, nomme les principaux et les vice-principaux des écoles sur la recommandation des administrateurs de quartier, juge en appel les décisions des inspecteurs et des administrateurs. La ville est divisée en huit districts, ayant chacun trois inspecteurs des écoles nommés pour trois ans par le maire, et subdivisée en vingt-quatre quartiers, ayant chacun cinq administrateurs des écoles qui sont nommés par le Bureau pour cinq ans et qui nomment eux-mêmes les maîtres autres que les principaux et vice-principaux. Un surintendant[14], secondé par sept assistants et par d’autres agents, tels que les agents pour les vagabonds, administre sous les ordres du Bureau. À Chicago, le Bureau se compose de quinze membres élus pour trois ans ; il tient régulièrement ses séances deux fois par mois ; il nomme chaque année son président ainsi que le surintendant des écoles[15], son assistant, son clerc et les autres employés ; il se partage tous les ans en vingt et un comités. Ses séances, comme celles de tous les Bureaux en général, sont publiques, à moins qu’il ne s’agisse de questions relatives à la conduite des maîtres ou à d’autres affaires personnelles.

Quand on cite des modèles de l’organisation pédagogique aux États-Unis, on ne peut passer sous silence le Massachusetts et sa principale ville, Boston, surnommée l’Athènes de l’Amérique. À Boston, le Comité des écoles s’est composé pendant longtemps de cent-dix-sept membres élus par quartier ; il était secondé par des comités locaux de district. Un nombre trop considérable de membres est une source de difficultés dans un corps destiné à l’action. Le bon sens à triomphé sur ce point à Boston en 1875 et la Législature a décidé que le Comité des écoles ne se composerait plus que de vingt-cinq membres[16] élus pour trois ans par scrutin de liste, de manière à laisser une moindre place aux influences politiques, et que ce Comité ne serait plus chargé des examens, réservés désormais à un bureau de surveillants « Board of supervisors », composé de six personnes. La ville est partagée en neuf divisions qui ont chacune un comité de deux à trois membres et qui se subdivisent en quatre à sept districts. Sous Les ordres du Comité des écoles est placé le surintendant qui représente le pouvoir exécutif et qui, comme dans la plupart des grandes villes, est un personnage considérable. Le surintendant de Boston a été, pendant vingt-deux ans, M. John D. Philbrick, qui a fait faire de remarquables progrès aux écoles dans une ville placée déjà depuis longtemps au premier rang dans l’Union.

Cleveland est aussi un modèle qu’il faut toujours citer en parlant des écoles américaines. Le surintendant de l’instruction est M. A. J. Rickoff ; depuis 1876, la ville a aussi un surintendant des bâtiments. Le Bureau de l’éducation se compose de dix-huit membres, un par chaque quartier de la ville, élus pour deux ans. Les membres du Bureau se partagent en vingt comités, composés de trois membres, chacun figurant dans plusieurs comités. Il y a en outre un bureau de six examinateurs également élus et présidés par un membre du Bureau de l’éducation. En comparant la composition de ce bureau en 1875 et en 1877, je trouve que les élections de 1875 et de 1876 n’ont laissé en fonctions que cinq membres de l’ancien bureau : Cleveland n’échappe pas plus que les autres villes à la mobilité.

VII. Fonctionnaires électifs.

Le morcellement et le défaut de hiérarchie régulière ne sont pas les seuls vices du système américain. L’électivité et l’instabilité des fonctions en sont de plus graves encore. Membres de bureau et surintendants relèvent les uns et les autres, directement ou indirectement, du suffrage populaire et de la politique. Tous les membres des bureaux sont élus ; leur mandat a une durée de trois ans en géné- ral, quelquefois même d’un an. Les surintendants d’État, de leur côté, sont élus le plus souvent par le peuple[17] ou par le Bureau de l’éducation[18] ou par la législature[19] ; quand ils sont nommés par le gouverneur[20], ils le sont pour une durée qui ne dépasse pas quatre années et par un magistrat qui, étant lui-même élu, représente un parti politique et peut être remplacé à l’élection suivante par un candidat du parti opposé. Il en est de même des surintendants de comté ou de district.

I n’y a pas à proprement parler une carrière de l’enseignement, puisque cette carrière peut être, à chaque étape, fermée par un vote défavorable et que ce vote peut subir aussi bien l’influence des passions générales de la politique que celle du mérite professionnel du candidat.

Il y a sans doute des hommes qui par un talent exceptionnel parviennent en quelque sorte à s’imposer à l’opinion. Les États-Unis, où le goût de l’instruction populaire est très-répandu, comptent un certain nombre de ces pédagogues éminents qui sont respectés dans leur ville ou dans leur État, parce qu’ils ont su faire apprécier leur mérite non-seulement en Amérique, mais jusqu’en Europe. Encore plusieurs d’entre eux n’ont-ils pas triomphé des oppositions sans peine et sans sacrifices[21]. Mais on peut être un fonctionnaire méritant sans être un homme éminent, et par conséquent sans avoir la force nécessaire pour dominer les difficultés de la situation. Aussi le plus grand nombre de ceux qui entrent dans ces fonctions n’y mettent-ils pas leur âme tout entière, parce qu’ils n’envisagent pas sans défiance l’avenir. Nous pouvons invoquer encore sur ce point le témoignage toujours sincère et éclairé du commissaire de l’éducation, M. J. Eaton, qui, dans un passage déjà cité par nous, indique le mal et les efforts tentés aujourd’hui par les pédagogues pour le combattre.

« L’institution générale de surintendants capables et consciencieux ouvrirait une ère nouvelle dans l’histoire des États-Unis. Pour parvenir à ce but, il serait nécessaire, dans plusieurs régions, d’accroître largement les traitements et d’apporter un plus grand soin aux choix de ces fonctionnaires. Les hommes d’un caractère élevé et d’une intelligence cultivée sont trop recherchés dans les autres positions pour entrer dans le corps des surintendants, s’ils ne sont assurés d’y trouver, avec une situation honorable, le moyen d’élever convenablement leur famille et le temps d’accomplir leur mission de manière à en assurer le succès.

» Une prolongation de la durée légale des fonctions des surintendants en général serait un autre moyen de parvenir au même résultat. Dans le plus grand nombre des États, ils ne restent guère qu’un ou deux ans au même poste. Cette période peut sembler assez longue à des hommes ayant d’autres carrières en perspective, et même trop étendue aux bons instituteurs qui subissent les tracasseries d’une administration ignorante ; mais elle est trop courte pour faire abandonner à des hommes de mérite des emplois plus stables et plus rémunérateurs[22] ».

Si les Américains parviennent un jour à accomplir cette transformation, ils auront fait un progrès notable. Il serait même désirable que la réforme s’étendit à d’autres branches de l’administration publique qui souffrent de cette instabilité des fonctions, cause fréquente d’incapacité et même de malversation. Car il n’y a pour ainsi dire pas de carrière administrative aux États-Unis : on entre dans une fonction en vertu d’une élection populaire ou d’une nomination faite par un magistrat électif et on en sort de même. En opérant cette transformation, les Américains ne seront pas encore parvenus à mettre entièrement l’éducation nationale au-dessus de la région dans laquelle s’agitent les passions politiques. Les bureaux sont et resteront électifs, et le suffrage Au peuple y portera toujours, à côté d’hommes capables, des membres incompétents, inexpérimentés, amenés par le flot changeant des partis. Il faut dans une certaine mesure s’y résigner ; car l’élection populaire et le système représentatif étant une partie essentielle du génie politique des Américains, se retrouvent nécessairement sous toutes les formes dans la gestion des affaires publiques, produisant un mélange d’effets bons et mauvais.

Ce mode d’administration a cependant deux avantages qui rachètent en partie ses inconvénients : d’une part, les hommes notoirement incapables ou usés par le temps ont peu de chances de se prolonger indéfiniment dans des fonctions où ils seraient devenus un obstacle, et des hommes jeunes et actifs peuvent percer de bonne heure lorsqu’ils ont su gagner l’opinion publique ; d’autre part, les citoyens s’intéressent plus à l’œuvre commune parce qu’ils y participent d’une manière directe et sont disposés à faire plus d’efforts et plus de sacrifices pécuniaires pour en assurer le succès.

Nous avons le droit de juger les Américains ; nous n’avons pas en France le droit d’être bien sévères à leur égard ; parce que notre administration pédagogique, avec une organisation toute différente, n’échappe pas à un reproche du même genre. Nos inspecteurs d’académie et nos inspecteurs primaires ont une carrière. Mais ils n’ont pas eu jusqu’ici l’indépendance désirable ; subordonnés aux préfets, qui sont des fonctionnaires de l’ordre politique et qui nomment les instituteurs, ils sont presque fatalement entraînés dans le courant de la politique, depuis que le suffrage universel a donné aux instituteurs une influence en matière électorale. La réforme est plus facile à opérer en France qu’en Amérique ; elle n’y est pas moins nécessaire, mais il faut avoir le courage de l’accomplir et profiter à la fois et de notre expérience pour ne pas laisser les instituteurs sous la dépendance de fonctionnaires politiques et de celle des Américains pour ne pas les abandonner à des corps électifs. Les autorités universitaires ont seules la compétence et le désintéressement nécessaires pour diriger l’instruction publique et en choisir le personnel.

VIII. Budget de l’instruction et donations.

Sous le rapport de la libéralité à l’égard des écoles, le peuple des États-Unis occupe incontestablement le premier rang parmi les nations du globe.

On peut dire d’une manière générale que les dépenses de la vie publique sont élevées en Amérique. Le budget fédéral est d’environ 1,300 millions de francs[23] (265 millions de dollars) pour l’exercice 1877-1818 ; d’autre part, les budgets particuliers des États et territoires, en réunissant le budget des États (68 millions de dollars), celui des comtés (77 millions) et celui des townships et des villes (134 millions), formaient, en 1870, un total d’environ 1,400 millions de francs (280 millions de dollars), L’ensemble des recettes publiques, en tenant compte de quelques sources de revenu qui ne sont pas mentionnées dans ces budgets, dépasse assurément 2,700 millions de francs. C’est un chiffre qui n’est pas très-éloigné de celui du budget français, bien que les États-Unis aient des dettes publiques[24] moins lourdes que les nôtres et que leurs dépenses militaires[25] soient relativement légères.

L’instruction a une très-belle part dans ce budget et sa part s’accroît régulièrement d’année en année, malgré la crise commerciale qui sévit en Amérique depuis 1873 et malgré les réductions opérées sur divers chapitres de la dépense. En 1871, le revenu des écoles publiques était de 320 millions de francs (64 millions de dollars).

En 1875, ce revenu s’est élevé à 445 millions de francs (88,648,000 dollars).

410 millions de francs (81,932,000 dollars) ont été appliqués de la manière suivante : environ 75 millions de francs (14,809,000 dollars) pour le matériel comprenant terrains, bâtiments, fournitures scolaires ; 4 millions de francs (842,000 dollars) pour le traitement des surintendants ; 235 millions de francs (environ 47 millions de dollars) pour le traitement des instituteurs ; 66 millions de francs (près de 12 millions de dollars)[26], pour divers.

En France, le budget de l’instruction publique comprenant, outre l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, lesquels ne figurent que pour une faible portion dans les budgets américains, n’atteint pas, tout compris, 120 millions.

Quelles sont les sources auxquelles l’école américaine puise cet abondant revenu ?

En premier lieu, se placent les libéralités du pouvoir fédéral. Les terres que nous avons déjà dit être affectées aux écoles, sont louées ou vendues. Les sommes qui proviennent de la vente doivent constituer un fonds permanent dont le revenu seul est employé chaque année. Mais ce capital n’a pas toujours été partout appliqué avec une égale intelligence, et il est loin d’être en général le chapitre le plus productif de la recette, Ainsi, dans l’Indiana, il ne figure guère que pour 3 millions de francs dans un budget total de 30 millions.

En second lieu, vient le fonds des écoles qué plusieurs États, sur leurs domaines particuliers, ont constitué par des dons de terre ou autrement et dont le capital est également inaliénable.

En troisième lieu, les taxes d’État autorisées par la Législature, levées pour le compte de l’État et distribuées ordinairement entre les comtés proportionnellement au nombre de leurs élèves. Dans plusieurs États, cette taxe consiste en deux millièmes de la valeur de la propriété immobilière et mobilière.

En quatrième lieu, le produit de certains impôts, tels que l’argent payé pour exemption du service militaire, le produit des amendes, l’impôt sur les spiritueux, l’impôt sur les banques, sur les chemins de fer.

En cinquième lieu, les taxes de comté, perçues avec autorisation de la Législature et réparties ordinairement entre les districts proportionnellement au nombre des élèves.

En sixième lieu, les taxes locales, perçues sous forme de capitation (poll-tax) dans les townships, dans les towns, dans les cités ou dans les districts, après un vote de l’assemblée et sous la surveillance des administrateurs du district. C’est généralement la source la plus abondante.

En septième lieu, les dons des particuliers en argent et en nature.

Cette dernière source, qui accroît chaque année dans une proportion sensible les revenus scolaires, mérite une mention spéciale. Depuis 1871, le commissaire de l’éducation, M. J. Faton, publie chaque année la liste des sommes données aux institutions scolaires. La liste, comme le fait remarquer l’auteur[27], est loin d’être complète, parce qu’un grand nombre de menus dons ne parviennent pas à la connaissance du Bureau de statistique. Néanmoins la somme enregistrée s’élevait à 9,957,494 dollars ou près de 50 millions de francs pour 1872 et à 11,226,977 dollars ou environ 55 millions de francs pour 1873 (du 15 octobre 1872 au 15 octobre 1873). La crise commerciale, qui sévit si cruellement sur les États-Unis depuis la fin de l’année 1873, a considérablement réduit ce revenu qui, cependant, en 1875, a été encore de 4,126,562 dollars, environ 20 millions de francs. C’est surtout dans les riches États de l’Est que les libéralités sont le plus fréquentes, Elles s’adressent principalement à l’enseignement supérieur, mais les écoles primaires et secondaires en ont aussi leur part (plus d’un million de francs en 1875).

Une des plus célèbres donations de ce genre est celle que fit M. Peabody, en 1867, à la fin de la guerre de sécession. « Je sens profondément, écrivit-il, que le devoir et le privilége de la partie de notre nation la plus favorisée et la plus riche est d’assister ceux qui sont moins fortunés… Je donne un million de dollars pour encourager et améliorer l’éducation intellectuelle, morale et industrielle parmi la jeunesse des régions les plus dépourvues de moyens d’instruction des États du sud et du sud-ouest de l’Union. » Il constitua un Conseil d’administrateurs pour gérer ce fonds auquel, en 1869, il ajouta un second million (en tout, environ 10 millions de francs donnant un revenu de 600,000 francs).

La libéralité à l’égard des œuvres d’utilité publique est un trait des mœurs américaines. L’esprit de charité évangélique a donné naissance à ce sentiment ; la constitution politique, en faisant du bienfait un moyen légitime de se signaler à l’attention du peuple, souverain dispensateur des honneurs, l’a développé.

IX. Budgets de quelques États et villes.

La matière de percevoir et d’aménager les fonds scolaires, diffère sensiblement d’un État à l’autre, Il serait trop long d’expliquer la diversité des détails. Nous aurons donné une idée suffisante de la matière en transcrivant les comptes de quelques États et de quelques villes, tels qu’ils se trouvent dans les rapports annuels.

Californie. — Année 1875.

Recettes.
En caisse au commencement de l’année scolaire.
387.761 dollars
Provenant de l’État.
1.210.808 dollars
Provenant des comtés.
1.115.530 dollars
Provenant des taxes des cités et des districts.
315.682 dollars
Rentes et recettes diverses.
360.576 dollars
_________dollars
TOTAL. 3.390.359 dollars
Dépenses.
Traitement des maîtres.
1.810.479 dollars
Rentes, réparations, chauffage, etc.
381.806 dollars
Livres de classe.
33.962 dollars
Fournitures scolaires.
10.713 dollars
_________dollars
TOTAL. 2.658.241 dollars

Ohio. — 1875-1876.

Recettes.
En caisse au commencement de l’année.
3.600.383 dollars
Taxes de l’État.
1.620.572 dollars
Fonds inaliénable des écoles.
232.720 dollars
Taxes locales.
6.136.237 dollars
Émissions d’obligations.
374.008 dollars
Amendes, licences, rétribution scolaire pour enfants étrangers.
241.595 dollars
_________dollars
TOTAL. 12.205.518 dollars
Dépenses.
Maîtres des écoles primaires.
1.506.822 dollars
Maîtres des écoles supérieures.
430.001 dollars.
Administration et surintendance.
144.513 dollars
Bâtiments scolaires.
1.395.212 dollars
Service des obligations.
570.485 dollars
Combustible et dépenses diverses.
1.415.722 dollars
_________dollars
TOTAL. 8.762.757 dollars

État de New York. — 1874-1875.

Recettes.
Fonds en caisse au commencement de l’année.
1.113.746 dollars
Portion du revenu public de l’État répartie entre les comtés[28].
2.800.345 dollars.
Produit des terres de l’évangile et des écoles.
36.779 dollars.
Produit des taxes de comté et des taxes locales.
8.124.127 dollars.
Provenant d’autres sources.
597.354 dollars.
_________dollars.
TOTAL. 12.672.353 dollars.
Dépenses.
Traitement des maîtres.
7.849.667 dollars
Bibliothèques.
33.225 dollars
Fournitures scolaires.
221.233 dollars
Écoles des gens de couleur.
66.387 dollars
Terrains et bâtiments scolaires.
1.927.466 dollars
Autres dépenses accidentelles.
1.361.193 dollars
Entre les mains des surveillants.
179 dollars
En caisse à la fin de l’année.
1.213.000 dollars
_________dollars
TOTAL. 12.672.353 dollars

La taxe scolaire payée par l’État de New York était de 2,712,000 dollars. Sur cette somme, la ville de New York a fourni 1,382,445 dollars et le comté de New York a reçu à son tour de l’État, pour sa part dans la répartition de la taxe, 498,874 dollars : il a reçu de plus, comme part du double fonds commun des écoles, 55,817 dollars : en tout, 554,191 dollars. La cité a fourni le reste par des taxes locales qui ont élevé le budget scolaire de la ville de New York à 3,769,086 dollars, c’est-à-dire à environ 18 millions de francs pour une population de près d’un million d’habitants. Ce budget, comme celui de toutes les Villes et de la plupart des districts, a grossi rapidement : en 1867, il était de 14 millions.

Budget de la ville de Chicago. — 1873-74.

Recettes.
Provenant de la taxe scolaire[29]
434.076 dollars
Provenant des fonds de l’État.
70.021 dollars
Provenant des rentes, intérêts, etc[30]
119.032 dollars
_________dollars
TOTAL. 627.130 dollars
Dépenses.
Traitement des maîtres.
492.893 dollars
Loyer des bâtiments.
1.240 dollars
Portiers, combustibles, etc.
108.660 dollars
Constructions, etc.
181.990 dollars
Terrains pour écoles.
1.781 dollars
_________dollars
TOTAL. 792.654 dollars

Budget de la ville de Cleveland. — 1874-75.

Recettes.
Taxes payées par la ville.
325.130 dollars
Portion des taxes levées par l’État et donnée à la ville dans la proportion de ses élèves.
69.804 dollars
Droits d’écolage pour les enfants non résidants.
795 dollars
_________dollars
TOTAL. 395.729 dollars
Dépenses.
Salaires de tous les employés ordinaires.
249.988 dollars
Constructions et aménagements.
62.602 dollars
Autres dépenses.
43.505 dollars
_________dollars
TOTAL. 356.095 dollars

Comme exemple de l’accroissement des dépenses qu’occasionne l’instruction, il ne sera peut-être pas sans intérêt de jeter les yeux sur les chiffres suivants, extraits des comptes de la ville de Boston[31].

X. Traitements et dépenses.

Le défaut de hiérarchie, la mobilité des fonctionnaires, l’insuffisance du contrôle nuisent à la bonne administration financière. Les Américains n’hésitent pas à le reconnaître.

M. Eaton, se plaignant dans son rapport[32] de l’absence de régularité dans certains comptes, termine par ces mots : « À ce propos, on doit rappeler que l’état de Delaware n’a eu de surintendant que pendant un an et qu’il y a un nombre considérable de communautés (comtés ou districts) qui choisissent leurs fonctionnaires des écoles avec. la conviction que tout homme en sait assez pour administrer des écoles. Cette absurdité et les fâcheuses conséquences de cette opinion deviennent manifestes et éclatantes dans ces statistiques générales, quand même d’autres considérations ne les feraient pas apercevoir. Mais que devons-nous dire de ceux qui pensent que ces statistiques ne devraient pas être réunies et qu’il ne faut pas corriger et stimuler dans ce pays l’œuvre des écoles ? »

M. Philbrick écrivait, dans son rapport de 1876, que l’Amérique n’a plus aujourd’hui besoin d’un Horace Mann pour stimuler les âmes et pour prouver l’utilité de l’instruction : « Ce qu’exige le temps présent, ce n’est pas le prédicateur de l’éducation, c’est l’homme d’études, le savant, le critique, le philosophe qui par de patientes et consciencieuses études trouvera et fera connaître la vérité sur ce sujet et qui nous donnera le dernier mot de la science et de la sagesse appliquées à l’éducation, Nous avons plus besoin de renseignements que de stimulants ; et, comme preuve, je n’ai qu’à rappeler ce que les pédagogues français appellent « nos sacrifices pour l’éducation » et qui, en réalité, est notre libéralité dans la dépense. Mais, faute de connaître mieux le sujet, une grande partie de cette dépense est perdue. Nous ne savons pas comment tirer le meilleur profit de nos ressources. »

Je suis convaincu pour ma part qu’en France, en Allemagne, dans la plupart des États européens, on obtient avec la même somme d’argent plus d’effets utiles à l’instruction qu’en Amérique. L’enseignement populaire est très-répandu aux États-Unis, comme nous le montrerons dans la suite de ce travail ; mais les Américains dépensent quatre fois autant que nous et ils n’ont pas quatre fois plus de résultats. Ils ont donc beaucoup à gagner sous le rapport de l’administration financière.

Ils n’auront jamais une instruction à bon marché. Voici les principaux arguments sur lesquels j’appuie cette opinion.

Leur enseignement est loin d’avoir reçu tous les développements désirables. Il en est de cette matière comme de beaucoup d’autres branches de l’administration où les administrés deviennent plus exigeants à mesure que la civilisation accroît leurs besoins. Aussi les économies qu’on pourra faire d’un côté seront-elles largement absorbées d’un autre côté.

La réforme pourra faire des progrès ; mais elle ne les fera que lentement, puisqu’elle n’a que la voie de la persuasion, qu’il lui faut convertir toute la masse des électeurs et combattre l’intérêt particulier de ceux qui profitent de leur ignorance et de leurs passions dans plus de cent mille districts indépendants.

À défaut d’une carrière sûre, il faut offrir aux fonctionnaires, surintendants, instituteurs et autres l’appât d’un fort traitement. Les salaires sont en général élevés en Amérique, quoiqu’ils aient beaucoup baissé depuis la crise de 1873, occasionnée en partie par l’usage du papier-monnaie et en partie par le développement anormal que le système protecteur avait fait prendre à l’industrie[33]. Ceux des maîtres se règlent à la fois sur le taux général du travail et sur les risques que l’incertitude fait courir. Il faut pourtant en rabattre un peu de l’opinion très-accréditée des gros traitements des instituteurs américains. Quelques hautes situations et les grandes villes ont servi à former en Europe une idée un peu trop avantageuse ; des surintendants comme ceux de New York, de la Louisiane, de Boston touchent 4,000 dollars équivalant à peu près à 20,000 francs ; dans cette dernière ville, quelques directeurs d’école reçoivent la même somme et dans d’autres, des professeurs et des directeurs ont de 7 à 12,000 francs. Mais, d’une part, les traitements supérieurs sont au moins aussi élevés dans les autres branches de l’administration[34], et, d’autre part, les moyennes restent bien au-dessous de ce niveau. En l’an 1875, elles ressortaient par mois : pour les hommes à 88 dollars ou 440 francs (Massachusetts), et pour les femmes à 68 dollars ou 390 francs (Californie), dans les États ou le salaire est le plus élevé ; pour les hommes à 30 dollars ou 150 francs (Caroline du Nord), et pour les femmes à 25 dollars ou 90 francs (Maine), dans les États où ils sont le plus bas. Mais le traitement est voté d’ordinaire par terme de trois à quatre mois et le plus souvent il n’est pas payé pour les mois de vacances, de sorte que la moyenne générale des traitements varie entre 800 et 1,000 francs. C’est une somme très-modique, surtout en Amérique, où les habitudes sociales rendent la vie coûteuse pour toutes les catégories de personnes.

Enfin un dernier argument est dans le nombre des publications scolaires. Les directeurs et surintendants font imprimer beaucoup de rapports et de statistiques ; l’opinion publique étant la grande souveraine, il faut convaincre en donnant une grande publicité à tous les actes de la vie publique. C’est là un bien. Mais un tel résultat ne peut être obtenu qu’avec de l’argent, et, comme les Américains joignent d’ordinaire à la multiplicité des publications le luxe d’une belle impression et souvent celui d’une reliure, il leur faut beaucoup d’argent[35].

XI. Le bureau de l’éducation à Washington.

Parmi ces publications, il y en a une à laquelle nous devons pour deux raisons une mention particulière ; d’abord les lecteurs français y trouveront chaque année un résumé très-bien fait de l’état général de l’instruction aux États-Unis ; ensuite il est par lui-même un des signes caractéristiques du mouvement pédagogique qui tend à se produire dans ce pays.

Après la guerre de sécession, au mois de février 1867, le Congrès, sur la demande d’hommes dévoués au progrès de l’enseignement, vota la création à Washington d’un département de l’éducation chargé de rassembler et de répandre des renseignements sur l’éducation en vue « d’aider le peuple des États-Unis à établir et à maintenir un bon système d’écoles et en général pour seconder la cause de l’éducation dans le pays ». Le premier commissaire de ce département a été M. H. Barnard, dont le nom et les travaux sont bien connus des pédagogues ; le second est M. J. Eaton, pédagogue non moins distingué, qui occupe ce poste depuis 1870 et auquel sont dues les remarquables publications du Bureau de l’éducation.

Ces publications sont de deux espèces.

Un rapport annuel, formant un gros volume[36], contient le résumé de la statistique scolaire aux États-Unis ; non-seulement les écoles publiques, mais tous les établissements d’instruction qui prennent la peine de fournir des renseignements y figurent ; les tableaux sont précédés d’un rapport général rédigé par le commissaire. La collection commence à l’année 1870. C’est la source la plus abondante à laquelle on puisse puiser ; avec elle, on peut se dispenser des autres ; sans elle, il est à peu près impossible de se faire une idée complète de l’ensemble de l’éducation en Amérique, tant les documents originaux sont nombreux, divers ct difficiles à rassembler[37]. À ce titre, elle n’est pas moins précieuse pour les Américains que pour les étrangers.

La seconde espèce consiste en circulaires, en rapports divers consacrés à des questions pédagogiques ou à des procès-verbaux de réunions de pédagogues[38].

Le département de l’éducation est sans contredit une excellente institution. Nulle part peut-être il n’était plus désirable d’avoir un centre d’informations et de statistique que dans un pays où l’action et l’administration appartiennent à tant de groupes morcelés et indépendants. C’est un miroir dans lequel les écoles américaines peuvent se voir elles-mêmes groupées les unes à côté des autres, comparer leur organisation, apprécier leurs différences et mesurer leurs progrès dans la suite des années ; les nombreux renseignements particuliers qu’elles demandent sont encore une preuve des services rendus par le Bureau. Cependant il ne manque pas d’adversaires qui le dénoncent comme une machine de centralisation. Quoique rassembler des documents et administrer soient choses bien différentes, on le regarde comme suspect. C’est là une susceptibilité exagérée ; il faut espérer qu’elle ne prévaudra pas contre l’opinion de ceux qui acceptent le bien, même lorsqu’il part du centre fédéral.

Parmi ces derniers, on doit mentionner l’Association pour l’éducation nationale, qui, dans sa dernière assemblée, en 1877, à Louisville du Kentucky, a voté la résolution suivante ; « L’Association pour l’éducation nationale affirme de nouveau la profonde conviction qu’elle a de la grande importance du Bureau national d’éducation, comme étant une institution propre à rassembler, comparer, répandre les renseignements qui sont d’une nécessité vitale pour la bonne direction et pour le progrès des écoles et du système d’écoles sous le gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. » Aussi a-t-elle demandé qu’on augmentât le crédit alloué à ce bureau,

Elle a demandé davantage dans une assemblée tenue en décembre dernier à Washington : « Convaincue que l’influence et l’action du gouvernement général ; qui représente tout le peuple, doit être employée à stimuler et à encourager, dans toutes les voies pratiques, les efforts des États et des communes pour étendre et améliorer le système des écoles publiques », elle a adressé au Congrès une pétition en vue de créer un fonds national d’éducation dont le revenu serait annuellement distribué aux États et aux territoires sous la surveillance du Bureau de l’éducation ». C’est une proposition du genre de celle qui a déjà été deux fois repoussée. Les pédagogues ne se lassent de la reproduire. Triompheront-ils ? Quelque jour, peut-être. Mais ce jour ne me paraît pas encore venu.

Nous qui, en France, n’avons pas à soutenir les mêmes luttes que les Américains pour obtenir l’ordre par la centralisation et qui péchons quelquefois en cette matière : par excès plus que par insuffisance, nous pouvons cependant envier aux États-Unis l’institution d’un bureau analogue à celui de Washington qui dresse et publie régulièrement la statistique générale de l’instruction dans notre pays, qui fasse venir des pays étrangers, rassemble et mette à la portée des hommes studieux les livres d’école, les objets du matériel, les comptes rendus, les statistiques et documents publics ou privés de l’éducation. L’administration actuelle de l’instruction publique a commencé, il est vrai, à exécuter une partie de ce plan en faisant rédiger une statistique de l’enseignement, comme l’avait déjà fait M. Duruy ; elle désire faire plus encore. Espérons que là France ne restera pas en arrière de l’Amérique dans la création d’un établissement pour lequel la centralisation donne des facilités particulières.

  1. « Les pouvoirs qui ne sont pas conférés aux gouvernements des États-Unis par la Constitution ou qui ne sont pas interdits aux États particuliers par la Constitution sont réservés aux États particuliers ou au peuple », 10e amendement à la Constitution.
  2. Politics for young Americans, by Charles Nordhuff, 1876, p. 125.
  3. Cette cession si importante par les résultats qu’elle a eus pour l’ensemble de la politique américaine et en particulier pour le système d’éducation, n’a pas été un don purement spontané et bénévole des États à l’Union. Elle a été au contraire une des premières questions difficiles et irritantes que le gouvernement fédéral ait eu à traiter. Le territoire situé entre l’Ohio et le Mississipi avait été cédé récemment à l’Angleterre par la France au traité de Paris (1763). Chacun des sept États cherchait à s’appuyer sur les chartes qui lui étaient le plus favorables et sur les voyages d’exploration de ses pionniers pour réclamer le territoire le plus étendu. Les six autres États, dont le territoire était au contraire nettement délimité par les chartes de fondation et qui n’avaient rien à prétendre sur les territoires vagues de l’Ouest ou du Nord se plaignaient d’être sacrifiés : 1° parce que l’équilibre territorial entre les États se trouverait complètement rompu à leur détriment dans l’avenir, quand ces régions se peupleraient ; 2° parce que dans le présent l’Union allait avoir à conquérir ou à défendre à ses frais les territoires pour le profit particulier de quelques États. Le Maryland refusa obstinément de signer l’acte de confédération. Le Congrès, par les résolutions du 6 septembre et 10 octobre 1780, pressa les états de céder à l’Union les territoires de l’Ouest et du Nord, en s’engageant à n’en faire lui-même usage que dans l’intérêt commun, « for the common benefit », et, quand ils seraient peuplés, à les admettre dans la Confédération au même titre que les treize premiers États. L’État de New-York (cession autorisée en février 1780, exécutée en mars 1781), le Connecticut {cession offerte le 10 octobre 1786 dans des conditions inacceptables, offerte de nouveau dans d’autres termes en mai 1785 et acceptée en septembre 1786), la Virginie (cession offerte en janvier 1781, exécutée en mars 1784), ayant accédé à la demande du Congrès, les délégués du Maryland se décidèrent enfin (1er mars 1781) à signer l’acte d’union.

    Les autres cessions ont été postérieures et plusieurs n’ont été obtenues qu’avec beaucoup de difficultés. Celle du Massachusetts, offerte en novembre 1784, fut exécutée en avril 1785 ; celle de la Caroline du Sud, offerte en août 1790, fut exécutée en avril 1791 ; celle de la Caroline du Nord, offerte en décembre 1789, fut exécutée en avril 1790 ; enfin celle de la Géorgie, offerte dans des conditions inacceptables en février 1788, ne fut acceptée que le 24 avril 1802, à la suite d’un travail de délimitation fait de concert par des délégués de l’État de Georgie et des délégués du Congrès et sous condition d’une indemnité pécuniaire.

  4. Dans les anciens États de la Nouvelle-Angleterre, le comté n’a pas la même importance administrative que dans le reste de l’Union.
  5. L’acre vaut 0 hectare 404.
  6. Un ancien document mentionne déjà, en 1633, l’existence de maîtres d’école à New-York qui s’appelait alors New-Amsterdam et qui était une colonie hollandaise ; en 1642, on trouve des contrats de mariage par lesquels les époux s’engageaient à bien élever leurs enfants et à les envoyer à l’école, Plus tard, de 1702 à 1709, la colonie de New-York, devenue Anglaise, eut une loi pour la gratuité des écoles qui ne fut pas renouvelée en 1709.

    Les premiers colons de la Virginie, à James-Lown, en 1607, consacrèrent 15000 acres de terres à la fondation d’un collége. (Report of the commissioner of education for the year 1875, Washington ; p. XV.)

  7. Cependant la colonie de New-York avait, en 1702, rendu une loi pour les écoles gratuites (free schools act) qui ne fut pas renouvelée en 1709 et paraît même ne pas avoir été appliquée.
  8. Le recensement de 1840 est le premier dans lequel, sur les conseils du pédagogue Henry Barnard, il ait été tenu compte du degré d’instruction des habitants. Le recensement de 1850 est le second.
  9. Le Maryland a supprimé, en 1874, la fonction de surintendant, et.à peu près à la même époque, le Mississippi a supprimé le Bureau d’État.
  10. Cependant, dans le Massachusetts et dans le district fédéral de Columbia, la durée des fonctions est illimitée.
  11. a et b New England Journal of Education, 31 janvier 1878.
  12. Dans un numéro du Journal d’Éducation de la Nouvelle-Angleterre (24 janvier 1878), un Américain s’est amusé à relever quelques traits piquants relatifs aux interrogations faites par des membres du Comité des écoles. En voici un.
    Un membre du Comité, qui était entré dans l’école au moment où le maître donnait une leçon de géographie sur l’Europe, crut devoir encourager les enfants et leur dit : « Oui, mes enfants, il est bon que vous sachiez les choses. Vous ne devez pas rester toute votre vie des sots. Quand vous voyez les choses, vous devez savoir ce qu’elles sont ; quand vous voyez les Alpes, vous saurez que ce sont des montagnes ; quand vous verrez les Apennins, vous saurez que ce sont des montagnes ; quand vous verrez les Dardanelles, vous saurez que ce sont des montagnes. »
  13. À l’époque où j’ai visité les écoles de New York, le président du Bureau était M. Willam Wood, qui a déployé un zèle intelligent pour le développement des écoles à New York, surtout pour l’organisation du « Normal College », et qui a mis, ainsi que le maire de la ville, autant empressement que d’amabilité à nous faire visiter les établissements scolaires.
  14. Le surintendant de New York (1876) est M. H. Kiddle, pédagogue distingué.
  15. Le surintendant des écoles de Chicago, en 1876, était M. Josiah L. Pickard, justement renommé parmi les pédagogues américains.
  16. Le comité se partage en un certain nombre de sous-comités, pour l’expédition des affaires : il y en avait dix-sept en 1876.
  17. Dans l’Alabama, l’Arkansas, la Californie, la Floride, l’Illinois, l’Indiana, l’Iowa, le Kansas, le Kentucky, la Louisiane, le Michigan, le Mississipi, le Missouri, le Nebraska, le Nevada, la Caroline du Nord, l’Ohio, l’Orégon, la Caroline du Sud, le Texas, le Vermont, la Virginie occidentale, le Wisconsin.
  18. Dans le Connecticut, le Massachusetts, le New-Jersey, le Rhode-Island. le Maryland.
  19. Dans le New York et la Virginie.
  20. Dans le Delaware, la Georgie, le Maine, le Minnesota, le New-Hampshire, la Pennsylvanie, le Tennessee.
  21. Ces lignes étaient écrites lorsque les journaux américains nous ont appris. que M. Pickard n’avait pas été reélu surintendant à Chicago, et qu’au commencement de cette année, M. Philbrick, après vingt-deux ans de services, a éprouvé le même sort à Boston. Quel que soit le mérite du directeur de l’École supérieure et normale des filles qui a été élu à sa place, ce fait est une nouvelle preuve du peu de sécurité qu’offrent les fonctions pédagogiques en Amérique.
  22. Rapport de M. Eaton pour l’année 1874. — Ce passage est cité dans le Rapport sur l’instruction primaire à l’exposition de Philadelphie en 1876 (chapitre de l’organisation administrative, rédigé par M. Laporte.)
  23. En comptant le dollar à 5 francs, valeur un peu supérieure à la valeur du change actuel (environ 4 fr. 75 c).
  24. Environ 5 milliards de francs, en comptant la dette fédérale et les dettes des États, comtés et communes.
  25. Environ 250 millions de francs pour la guerre et la marine réunies en 1876-77.
  26. Ces sommes sont inférieures à la réalité, plusieurs États n’ayant envoyé que des comptes incomplets au bureau de l’éducation.
  27. Rapport de 1873, p. CXI.
  28. Cette portion du revenu se compose elle-même de
    Fonds commun des écoles.
    170.000 dollars
    Deposit fund.
    165.000 dollars
    Taxe scolaire de l’État.
    2.712.000 dollars
    _________dollars.
    TOTAL. 3.047.000 dollars.

    dont 2.800.345 ont été répartis entre les comtés.

  29. Il y a, à en juger par les perceptions de l’année, beaucoup de débiteurs arriérés.
    Perçu sur la taxe scolaire de 1873
    87.934 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1872
    324.608 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1871
    5.988 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1870
    4.826 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1869
    6.993 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1868
    223 dollars
    Perçu sur la taxe scolaire de 1867
    149 dollars
    Autres sources
    43.352 dollars
    Perçu pour les mêmes années sur la taxe du fonds du chant.
    environ 7.000 dollars
  30. Les rentes et intérêts proviennent des fonds suivants :
    Propriétés du fonds scolaire sur la circulaire de la ville, estimées à.
    2.571.832 dollars
    Propriétés hors du territoire de la ville.
    50.116 dollars
    Capital du fonds scolaire.
    197.602 dollars
    Fonds des quais.
    68.061 dollars
    _________dollars
    TOTAL. 2.887.612 dollars
  31. Statistique internationale des grandes villes (t, I, 1re et 2e section), rédigée par M. J, Körösi, directeur du Bureau de statistique de Buda-Pest.
    ANNÉE SCOLAIRE POPULATION
    DE LA VILLE
    au dernier
    recensement
    NOMBRE
    D’ÉLÈVES
    DÉPENSE TOTALE
    DE L’INSTRUCTION
    DÉPENSE
    PAR ÉLÈVE
    1854-55
    138.788
    23.739
    389.879 fr.
    12 fr. 18
    1859-60
    177.840
    25.328
    519.632 fr.
    14 fr. 79
    1864-65
    192.324
    27.095
    643.775 fr.
    20 fr. 41
    1869-70
    250.526
    35.442
    1.599.751 fr.
    27 fr. 86
    1874-75
    »
    46.464
    2.081.044 fr.
    37 fr. 11
  32. Rapport de 1875, p. xxxiii.
  33. Au commencement de l’année 1878, le salaire des maçons à New York (10 heures de travail) était de 8 fr. 75 à 11 fr. 25, celui des charpentiers de 6 fr. 25 à 10 francs, celui des typographes de 7 fr. 50 à 12 fr.50, les tailleurs de 8 fr. 75 à 13 fr. 75, les boulangers de 6 fr. 25 à 7 fr. 50. L’adoption de la monnaie d’argent au même titre que la monnaie d’or contribuera à maintenir les prix et salaires à un taux nominalement élevé.
  34. Ainsi à New York le traitement du maire est de 12,000 dollars (60,000 francs), celui des aldermen de 4,000 dollars (20,000 francs), celui du contrôleur de la ville de 10,000 dollars (50,000 francs), celui du président du bureau de police de 8,000 dollars (40,000 francs), celui du président du bureau des incendies de 7,500 dollars (37,500 francs).
  35. Voici le titre de quelques-unes de ces publications :

    Twenty-second annual report of the superintendent of public instruction of the state of New York. Albany, 1876.

    Annual report of the board of education of the state of Connecticut, 1876.

    Twenty-third annual report of the state of commissioner of common schools to the general assembly of the state of Ohio for the school year ending Aug. 31 1876.

    Annual reports of the state Superintendent of public instruction to the governor of Nebraska 1871-72. Des Moines.

    Twenty-fourth report of the superintendent of public instruction of the state of Indiana, being the eighth biennial report 1875-76. Indianopolis.

    Sixth biennial report of the superintendent of public instruction of the state of California 1874-75. Sacramento.

    Annual report of the school committee of the city of Boston 1876. Boston.

    Twenty-seventh report of the board of trustees of public schools of the city of Washington 1873-74. Washington city.

    Twenty-fourth annual report of the board of education of the city and county of New York for the official year ending December 31 1875.

    Twenty-first annual report of the board of education 1875. Department of public instruction. City of Chicago.

    Twenty-first annual report of the board of directors of the Saint-Louis public schools for the year ending Aug. 1875.

    Parmi les sources à consulter pour la pédagogie américaine, nous devons citer : the American educational Cyclopædia, published annually New-York ; Barnard’s American journal of education, l’Instruction publique aux États-Unis, rapport adressé au ministre de l’instruction publique par M. Hippeau. Nous devons citer surtout le Rapport sur l’instruction primaire à l’Exposition universelle de Philadelphie, en 1876, présenté à M. le ministre de l’instruction publique au nom de la commission envoyée par le ministère à Philadelphie, par M. Buisson, président de la commission. Ce Rapport est le résultat de la mission qu’à la suite du vote d’un crédit spécial {Chambre des députés, 20 mai ; Sénat, 26 juin 1876), le Ministre de l’instruction publique confia à une Commission composée de M. Buisson, président, et de MM. Berger, Laporte, Olagnier, Valens, Rauber. Il vient de paraître au moment où je corrige les épreuves de ce travail (avril 1878). C’est un volume in-quarto de 688 pages qui renferme un tableau de l’instruction primaire aux États-Unis très-intéressant et le plus complet qui, à notre connaissance, ait été publié dans les deux mondes.

  36. Ces volumes portent pour titre Report of the Commissioner of education for the year… Washington.
  37. Le nombre des documents analysés dans le rapport de 1875 s’élève à plus de 6, 085. Le rapport de 1870 ne portait que sur 831 documents.
  38. Cette seconde espèce porte pour titre : Circulars of information of the bureau of education, Washington.