L’album anti-clérical/Monseigneur fait ses farces

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Bibliothèque anti-cléricale (p. 13-15).

MONSEIGNEUR FAIT SES FARCES

1
À l’occasion de la canonisation du bienheureux Labre, Monseigneur s’est décidé à entreprendre le voyage de Rome. Le vénérable évêque nage dans la joie en voyant que les brebis de son diocèse lui remettent des sacs d’écus en masse pour qu’il puisse leur rapporter beaucoup de reliques des catacombes de la ville sainte.
2
Une fois la cérémonie de canonisation terminée, les vénérables prélats se sont réunis dans un banquet fraternel et godaillent à tire-larigot. Monseigneur demande à un collègue romain s’il ne connaît pas un endroit où… enfin… on s’amuse.
— « Toutes nos femmes sont de vertu facile », répond en riant le joyeux collègue.
3
Justement, tandis qu’il flâne sur le trottoir, passe une jeune et jolie Romaine très pimpante. L’air fripon de la brune enfant fait venir l’eau à la bouche de Monseigneur. Et, rempli de désirs depuis longtemps comprimés, Sa Grandeur épiscopale suit, avec l’ardeur d’un caniche amoureux, l’objet de ses convoitises.
4
La signora, fière d’avoir conquis une Grandeur ecclésiastique, ne se montre pas cruelle. Très hospitalière de sa nature, du reste, elle reçoit Monseigneur dans son appartement. Souper en tête-à-tête. Le vénérable prélat est expansif comme à vingt ans ; l’explosion de son cœur ne va pas tarder à suivre celle du champagne.
5
Patatra ! juste au moment où l’épiscope s’apprête à déborder, on entend ouvrir la porte. C’est le mari, qui rentre beaucoup plus tôt que de coutume. La signora n’a que le temps de renfermer Monseigneur dans un lieu retiré, où il pourra se livrer à l’édifiante lecture de l’Imitation de Jésus-Christ, si le cœur lui en dit.
6
Jaloux comme un tigre du Bengale, le mari furète partout et visite même le cabinet. Grande est sa surprise en voyant s’agiter sur le siège une tête de « décapité parlant. » C’est Monseigneur qui s’est caché comme il a pu et où il a pu, ne laissant que sa tête en dehors du trône, histoire de ne pas étouffer.
7
Mais le mari jaloux, qui ne croit pas au « décapité parlant », examine de près le phénomène, et, comme il a bien vite constaté le subterfuge, il profite de la situation désavantageuse de Monseigneur pour lui couper les deux oreilles et lui apprendre, par cette leçon, à ne plus travailler à l’accroissement des Joseph.
8
De retour à son auberge, l’épiscope se renferme et se soigne en chambre. Toutefois, pour empêcher les mauvaises langues de son diocèse de jaser, il écrit à ses brebis fidèles qu’il est tombé au pouvoir de brigands italiens, lesquels exigent une forte rançon. Conclusion de la lettre : « Envoyez-moi beaucoup d’argent. »
9
Enfin, Monseigneur reparaît au milieu de ses brebis, et, à sa première allocution, les tance vertement : « Vous n’avez pas envoyé assez ! leur crie-t-il. Les brigands italiens m’ont coupé les oreilles, et il s’en est fallu de peu qu’ils ne me coupassent la tête. » Aussi les oreilles du martyr sont-elles l’objet d’une grande vénération.