L’amour saphique à travers les âges et les êtres/00

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L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

AVANT-PROPOS




Bien que de nombreux livres aient déjà été écrits sur le sujet qui fait le fond du présent ouvrage, nous croyons néanmoins combler une lacune en l’offrant non au grand public, mais à ceux des lettrés qui s’intéressent aux problèmes de l’humanité et sont persuadés que, pour guérir celle-ci des tares dont elle est affligée, il ne faut pas redouter d’étudier à fond ces tares par tous les moyens que nous procurent la science spéculative et la science d’observation pratique.

Jusqu’à cette heure, les auteurs qui ont abordé cette question complexe de l’amour de la femme pour la femme et des relations unisexuelles féminines ne nous paraissent pas s’être trouvés dans les conditions favorables pour la traiter dans toute son ampleur ainsi que dans ses détails infinis.

Pour écrire un livre vraiment impartial, scientifique et documenté sur l’amour lesbien, il faut réunir en soi un certain nombre de qualités essentielles, sans que l’une l’emporte trop ostensiblement sur l’autre.

Il faut être philosophe sans pourtant s’en tenir aux seules spéculations morales, moraliste sans prud’homie, afin de noter l’influence de la passion saphique sur les mœurs et les individus sans s’attarder à la discuter, à la flétrir, sans se laisser aller à la dénaturer par vertueuse indignation, ou à en exagérer les effets et les conséquences, dans un but de moralisation stricte.

Il est nécessaire aussi, pour écrire sur le saphisme, d’être sérieusement versé dans les sciences physiologiques, les connaissances de la pathologie, sans pourtant être un praticien exerçant. Car, celui-ci, forcément, par suite de ses études, de son esprit spécialisé, s’attachera trop au côté physique de la question, sans accorder au domaine cérébral son immense part.

Il est indispensable d’être un psychologue averti, un observateur rompu à l’étude de l’humanité, pour surprendre les secrets de la nature féminine dans son ensemble aussi bien que dans chacun de ses individus.

Une connaissance large et profonde de l’histoire s’impose pour embrasser l’histoire sexuelle en son universalité.

Tout cela, le sommes-nous ?

Il y aurait sans doute beaucoup de vanité à répondre oui.

Au moins, oserons-nous dire hardiment que si nous ne prétendons pas donner au public un ouvrage impeccable et résumant pour toujours la question, nous croyons nous trouver dans les conditions principales pour tenter de l’édifier.

Romancier, nous avons étudié patiemment et ardemment l’humanité, et particulièrement la femme.

Historien et philosophe, moraliste, comment ne le serait-on pas quelque peu quand on a passionnément lu et que les problèmes sociaux vous tiennent au cœur.

Ayant fait des études de médecine jusqu’au seuil de la pratique, la physiologie nous est familière, et dans notre métier d’écrivain, de notateur de l’âme humaine, la physiologie et la psychologie sont deux facteurs qui nous semblent égaux dans l’homme.

Au surplus, nos lecteurs jugeront de nos efforts et nous souhaitons sincèrement qu’ils éprouvent devant ces pages le sentiment que nous avons apporté quelque éclaircissement sur un sujet capital, et que pourtant, par suite d’une pudeur mal entendue, l’histoire laisse de côté et que l’on n’enregistre que furtivement et toujours de façon incomplète.

Nous pourrions terminer ces lignes ici. Cependant, nous croyons qu’il est de notre devoir d’exprimer quel est notre sentiment particulier sur le sujet que nous développons plus loin et quelle est notre tendance personnelle.

L’amour lesbien est-il condamnable au point de vue moral ? — Est-ce un vice honteux ? — Mérite-t-il la repréhension qui l’a presque toujours accompagné ?

Voilà des questions auxquelles le moraliste répondra sans hésiter par un « oui » indigné.

Cependant, le savant ne s’en tiendra pas à cette déclaration et y ajoutera celle-ci :

« L’amour lesbien est à n’en pas douter une dépravation de l’instinct génésique, dont les causes, souvent uniquement physiques, sont du domaine de l’aliénation mentale, ou physiques et intellectuelles, classent les sujets parmi les névrosées de tous les degrés. Mais, ce qu’il est indispensable de constater, c’est qu’actuellement, presque chez tous les humains, l’amour est dépravé, c’est-à-dire qu’il s’écarte plus ou moins de l’instinct de reproduction qui seul peut être dit naturel.

« Donc, à y regarder de près et sans prévention aucune, l’amour lesbien n’est ni plus anti-naturel, ni plus vicieux qu’une foule d’actes qui journellement ont lieu entre personnes d’un sexe différent, et qui satisfont leurs désirs dans un simple but de plaisir, en écartant la possibilité de la reproduction. »

Si l’on veut être juste et logique, l’on reconnaîtra que, du moment que, dans les relations sexuelles, l’on supprime volontairement le but normal de l’amour — l’enfant — et qu’on les pratique uniquement afin d’en obtenir des sensations agréables, il est tout identique au point de vue moral, que ces sensations soient provoquées par un procédé ou par un autre.

Il est normal, naturel, qu’un mâle possède une femelle et lui fasse un enfant, il est antinaturel et par conséquent vicieux qu’il jouisse et fasse jouir sa compagne par des caresses et des attouchements qui ont pour objet d’éveiller des sensations voluptueuses et ne remplissent aucunement le but naturel.

Or, ces caresses, ces attouchements accomplis par un individu du même sexe deviennent-ils par ce fait particulièrement vicieux ? — Pourquoi ?

Le geste est anormal, voilà la vérité ; et il est tout aussi bien anormal quand les sexes sont intervertis que lorsqu’ils sont pareils.

Pourquoi pourrait-il être admis moral de goûter du plaisir stérile avec un être d’un sexe différent du sien, et immoral de rechercher des sensations pareilles ou analogues solitairement ou en compagnie d’un individu de son sexe ?

Voilà ce que, en somme, il est difficile d’imaginer.

La vérité est que l’opinion publique devrait être aussi sévère pour les couples de sexes différents, unis par des liens légitimes ou non, qui transgressent ensemble aux lois naturelles que pour les couples unisexuels.

La civilisation, l’agglomération des individus et aussi les tares physiologiques ont donné à l’amour une place infiniment trop grande dans la vie des hommes. Ce devrait être, en réalité, un accident dans l’existence humaine, une préoccupation bonne pour l’extrême jeunesse et qui, le but naturel rempli, la famille fondée, s’effacerait devant des soucis plus graves, plus nobles et des plaisirs infiniment plus vifs procurés par l’esprit délivré de la sujétion, au fond purement animale, du désir.

Néanmoins, en l’état actuel des mœurs, où l’amour joue un rôle malheureusement prépondérant, il est utile d’examiner au microscope les passions plus ou moins dégénérées, afin de préciser le danger qu’elles font courir à l’humanité et de signaler où il y a plus particulièrement abus et crime.

Nous l’apercevons :

1o  Envers soi, si ces pratiques sont employées avec excès et peuvent nuire à l’équilibre moral et matériel.

Notons en passant que l’abus sexuel est tout aussi à éviter et à craindre dans l’amour que l’on nomme normal et qui est tout aussi anti-naturel que l’amour saphique.

2o  Si l’on s’adresse à un être dans une situation d’infériorité quelconque et qui ne se prête pas volontairement à vos désirs.


L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre
L’Amour saphique, Vignette de fin de chapitre