L’amour saphique à travers les âges et les êtres/12

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(auteur prétendu)
Chez les marchands de nouveautés (Paris) (p. 101-120).

L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre
L’Amour saphique, Bandeau de début de chapitre

XII

L’HOMOSEXUALITÉ FÉMININE
LA FEMME MÂLE OU INVERTIE


La pudeur qu’il est nécessaire de conserver dans les relations sociales et que parfois, même l’on exagère, en se refusant à apercevoir autour de soi les vérités naturelles et les phénomènes physiologiques, fait que la plupart des individus même éclairés ne se doutent pas du nombre des invertis des deux sexes qu’ils coudoient quotidiennement.

L’esprit est habitué à attribuer à l’homme et à la femme telles qualités, telles facultés, telles tendances physiques, et l’on n’imagine point qu’il existe des êtres qui n’ont de leur sexe que l’apparence et dont l’âme aussi bien que les sens s’élancent insurmontablement vers l’idéal qui normalement devrait être celui du sexe opposé au leur.

Dans le domaine scientifique, au contraire, ces cas d’inversion chez les deux sexes, qui donnent lieu à l’homosexualité féminine ou masculine sont bien connus et donnent lieu à de longues et minutieuses observations. Nous citerons entre autres sur ce sujet les magistrales études de MM. Moll, von Krafft-Ebing, Hirschfeld, Forel, etc.

À leur suite, nous essaierons de caractériser pour la femme cette particularité physiologique qui est beaucoup plus fréquente qu’on ne pourrait l’imaginer et qui existe chez des femmes qui d’ailleurs n’ont jamais cédé à leurs instincts et se sont écartées des liaisons anormales.

On entend par homosexualité la tendance naturelle d’un être à éprouver de l’appétit sexuel pour un individu de son sexe, de préférence à un autre de sexe différent.

Lorsque ce penchant est vraiment instinctif et possède quelque force, excluant les sentiments passionnels naturels, celui qui l’éprouve doit être classé parmi les invertis.

L’homme inverti souhaite être traité par un autre homme comme s’il était une femme ; l’invertie se sent envahie du violent désir de posséder à la manière mâle la femme qui excite ses sens. Tous deux possèdent des tendances diamétralement opposées à leur sexe.

Ceci, au dire des savants, rentre habituellement dans le domaine de la pathologie.

Cependant, ceux-ci sont d’accord pour reconnaître que cette qualité anti-naturelle peut exister chez des gens de santé en apparence fort normale, jouissant d’une intellectualité élevée, et qui n’ont rien d’extraordinaire dans leurs autres rapports avec la société.

L’inverti mâle ou femelle, en dehors de l’appétit sexuel, possède à l’égard du sexe opposé au sien, dans les relations de la vie courante, la mentalité des individus de son sexe. Ce n’est absolument qu’à propos de l’amour, lorsqu’il arrive à la minute de l’acte passionnel que son caractère se dessine, s’impose.

L’invertie peut ne pas pratiquer la masturbation ou du moins celle-ci peut n’être pas indispensable pour provoquer l’orgasme vénérien qu’elle éprouve d’ordinaire avec autant de force et de brièveté que l’homme.

Il semble que, chez elle, les organes internes soient disposés plutôt comme ceux du mâle. Il n’est pas rare que l’homosexuelle féminine soit peu réglée ou pas du tout et que ses ovaires atrophiés ne produisent aucun ovule.

Au contraire, ses muqueuses sont extrêmement prodigues de ce suc liquoreux que sécrètent les parois du vagin, destiné par la nature à faciliter l’entrée de la verge dans la matrice, et dont la composition a de l’analogie avec le liquide prostatique sécrété par les glandes de l’homme qui est l’un des éléments du sperme.

Chez certaines inverties le clitoris lui-même sécrète de ce suc et se lubrifie au moindre attouchement et souvent seulement à la pensée d’un contact avec la femme désirée.

La particularité frappante des invertis, c’est leur persuasion que leur goût est normal. Chez eux, il y a, pour ainsi dire, absence de vice, parce que leurs penchants sont réels et spontanés.

En général l’invertie naît avec des goûts masculins. Tout enfant, elle n’aime que les jeux bruyants, sa voix est forte, ses gestes brusques, elle dédaigne les filles et admire avec véhémence les hommes, particulièrement les hommes mûrs. Cette admiration peut prendre tous les caractères d’une passionnette et l’on se trompe souvent en attribuant à une invertie née des sentiments féminins précoces qu’elle est destinée, au contraire, à ne jamais connaître.

Tout le regret de cette fillette est de ne pouvoir mesurer sa force avec les garçons ; et si on le lui permet, elle devient bientôt d’une adresse et d’une vigueur remarquable dans les sports.

D’autres fois le caractère homosexuel ne se développe chez la jeune fille qu’une fois la puberté accomplie.

Dans ce cas, la mentalité, le cerveau joue un grand rôle. La jeune fille aspire à devenir un être supérieur ; elle jalouse les hommes et s’attache à leur découvrir des ridicules et des imperfections, elle les aperçoit et les juge sévèrement au moral et au physique.

Si elle est jolie elle peut se plaire dans le flirt, mais celui-ci prend avec elle une allure agressive, cruelle. Elle n’éprouve pas la moindre sympathie pour ses adorateurs et se plaît à les tourmenter.

Le docteur Forel (page 287, la Question sexuelle), caractérise ainsi la femme-mâle :

« L’invertie pure se sent homme. L’idée du coït avec des hommes lui fait horreur. Elle aime prendre des habitudes, des mœurs et des vêtements masculins. Sous un régime irrégulier, on a vu des inverties porter l’uniforme, faire pendant des années du service militaire comme soldats, et même se conduire en héros. Ce ne fut souvent qu’après leur mort qu’on découvrit leur sexe. »

« Les excès des tribades dépassent en intensité ceux des invertis hommes. Un orgasme succède à l’autre, nuit et jour, presque sans interruption. »

Cependant, ce serait une erreur de croire que toutes les inverties possèdent un extérieur particulièrement viril ou cèdent à la fantaisie de se travestir plus ou moins en homme.

La femme aux goûts passionnels masculins n’a point forcément, pour cela, l’aspect hommasse. Au contraire, les fortes créatures moustachues, aux traits épais et durs, se révèlent, parfois, aux minutes de l’amour, des femmelettes minaudières, uniquement susceptibles des sensations féminines.

Ce qui révèle, pour tout observateur et psychologue un peu expérimenté, la femme-mâle, c’est l’expression de son œil.

Quelque gracieux, doux, que puissent être ses traits, quelque apparence féminine des contours qu’elle montre, la femme-mâle a le regard dominateur, volontaire, avisé, et, dès qu’une cause passionnelle survient, une intense volupté le charge.

La bouche est souvent un indice, mais pas toujours. Si l’œil ne trompe jamais, les lèvres peuvent égarer. En général, la femme aux lèvres mobiles, frémissantes, arquées, est une passionnée aux tendances masculines.

La nuance du teint, la couleur des cheveux ne signifient absolument rien. Il est arbitraire et absurde de cataloguer les blondes parmi les nonchalantes et les brunes parmi les ardentes. L’expérience démontre qu’il y a des brunes sans aucune espèce de tempérament, tandis que certaines blondes semblent pétries de feu.

Nous avons vu des blondes présenter dans la passion lesbienne tous les caractères masculins et se montrer cent fois plus énergiques que des noiraudes.

Il est intéressant de noter que toutes les femmes-mâles sont loin de s’adonner à l’amour saphique, beaucoup se contentent de l’homme ou même le préfèrent.

Il y a lieu de les séparer en deux groupes très différents.

La femme aux goûts mâles très prononcés, ayant une tendance à la cruauté, à un certain sadisme, préférera l’homme à la femme.

Mais, naturellement, non pas tous les hommes ; ceux qui se plieront à ses caprices, à ses goûts, à ses bizarreries ; ceux qu’elle aura la joie de manier, de dompter, de tourmenter. Elle jouira plus d’eux qu’ils ne la posséderont.

Certains hommes qui, au fond d’eux-mêmes, ont de la féminité passionnelle, adorent ces sortes de femmes et se soumettent à elles avec bonheur.

Lorsque la femme-mâle se contente des hommes, il n’est pas rare qu’elle en arrive au sadisme sous l’une ou l’autre de ses formes, à la flagellation ; en résumé, à tout ce qui, aux instants de l’amour, peut lui donner la suprématie sur l’homme qui devient, en quelque sorte, sa victime volontaire.

Jules G… avait pour maîtresse une femme qu’il adorait, avec qui il demeura en relation pendant six ans et que jamais il n’avait possédée, bien qu’il ne fût point impuissant et qu’avec d’autres femmes il remplît ses fonctions naturelles sans peine et même avec plaisir, quoique sans ardeur.

Durant toute sa première jeunesse, passée dans un pensionnat religieux, il avait servi volontiers de femme à ses maîtres et à ses camarades, et devenu âgé, ayant cessé de plaire à ses pareils, il conservait le goût d’être possédé.

Sa rencontre avec Germaine R… le combla donc de joie. Elle était comme lui une anormale, une invertie de naissance. Sans que la possession naturelle lui fût aucunement pénible, elle n’y goûtait que de pauvres plaisirs et ne jouissait pleinement que lorsqu’elle avait la sensation de posséder elle-même.

Elle avait eu plusieurs amants qui, par complaisance, lui avaient cédé pour certaines attitudes, certaines caresses où elle oubliait son sexe ; cependant, à aucun encore, elle n’avait osé parler de son rêve.

Se trouvant, par les circonstances, liée d’amitié avec Jules G…, ils en arrivèrent aux confidences et reconnurent, étonnés et heureux, que tous les deux souhaitaient ardemment ce que l’autre désirait.

L’on en vint à l’expérience qui combla leurs espoirs.

Munie d’un organe viril postiche, Germaine possédait son amant, le malmenait, le tarabustait, le fustigeait même, cependant que l’autre gémissait, suppliait, s’abandonnait à toutes les terreurs et les affres d’une jeune vierge qu’un satyre va violer.

Ce que l’un et l’autre adoraient, c’était, non pas la volupté de deux êtres d’accord et conscients, mais le viol, l’abus supposé de la force.

Sans en arriver aux joies anormales et excessives de ces deux invertis qui finirent l’une dans une maison de santé, l’autre par un suicide imbécile, sans raison autre que l’incohérence de son cerveau, beaucoup de femmes contentent leurs appétits mâles avec leurs maris ou leurs amants en adoptant une attitude dominatrice dans les corps-à-corps amoureux, en prenant l’initiative des caresses, en exigeant la passivité de leur partenaire.

Et souvent, il leur est plus agréable de soumettre un homme qu’une femme qui, en somme, reste dans son rôle. Leur orgueil préfère la mise en sujétion du mâle qui, normalement, devrait, au contraire, les maîtriser.

Il y a une jouissance cérébrale dans les relations avec un homme pour une femme-mâle qu’elle ne saurait trouver avec une femme : c’est le fait d’allumer les désirs de son partenaire, de les exaspérer et de se refuser à les satisfaire, tout au moins de façon naturelle : cette domination, cette victoire, l’assujettissement du mâle dompté, sont une source de vives jouissances cérébrales pour la femme-mâle qui a des instincts, non seulement autoritaires, mais cruels.

Au contraire, celle qui est mâle sans cruauté ; celle qui possède une sensualité spécialement éveillée par la vue, le toucher, goûtera la beauté de la femme et souhaitera en jouir. Il se développera en elle, en somme, les sentiments du mâle normal.

La femme-mâle, qui préfère la femme, apprécie la joliesse, la gracilité, la coquetterie de sa partenaire. Elle la regarde jouer son rôle de capricieuse et s’attarde volontiers aux caresses, mais toujours en escomptant l’instant où elle tiendra la mignonne à sa merci et halètera sur son sein, en un sauvage besoin de la posséder et de la réduire.

La femme vraiment mâle en arrive à ressentir la volupté réellement à l’aide de l’organe postiche qu’elle emploie pour illusionner sa compagne.

Il y a, pour cela, deux raisons physiologiques.

La première, c’est que la femme-mâle est une clitoridienne invétérée. Chez elle, le clitoris, non seulement est plus ou moins développé, mais aux minutes passionnelles, il entre dans une véritable érection, gonfle, rougit et devient extrêmement sensible. Or, l’organe postiche est toujours adapté de façon à se trouver en contact avec le clitoris de la femme qui le porte, d’où, pour elle, provient une cause de sensation matérielle.

Ensuite, les mouvements spéciaux que le simulacre de possession lui font faire, mettent en vibration tous les muscles qui correspondent chez l’homme à la verge et chez la femme au clitoris. La répétition du geste amène une exaspération extrême du clitoris et des sensations voluptueuses qui ont une grande analogie avec celles que les hommes ressentent au moment du coït.

Secondement, l’idée qu’elle vainct, soumet et possède sa maîtresse, enflamme cérébralement l’amante et projette un frisson voluptueux jusqu’à son sexe.

Donc, la femme-mâle arrive à la jouissance complète, au spasme le plus aigu, non seulement sans pénétration de son vagin, mais encore sans attouchements précis du clitoris, et sans caresses de la part de sa maîtresse.

Et dans cette volupté, dans ce spasme, si nous l’analysons, nous y trouverons beaucoup plutôt la caractéristique masculine que féminine.

Voici ce que nous disait, à ce sujet, Mme B… dont nous avons parlé précédemment :

« Dès que je suis en présence de mon amie, que je la vois minauder, frétiller gentiment en mon honneur, j’éprouve une satisfaction orgueilleuse, mon amour-propre est agréablement chatouillé. Puis, je la touche, je la dévêts, et la vue de son épiderme nu, son contact charnel me fait passer un frisson aboutissant directement au clitoris que je sens tout à coup prendre une place tellement capitale en mon être que je croirais volontiers qu’il grossit, s’allonge démesurément, devient une véritable verge de mâle. Véritablement, je vous jure que, parfois, j’y porte la main, convaincue que je vais rencontrer le précieux appendice qui, je ne sais pourquoi, me fait défaut. »

Et Mme B… ajoutait cette réflexion assez subtile et judicieuse, que le physiologiste ne saurait repousser.

« En somme, j’éprouve ce qu’éprouve l’amputé d’une jambe lorsqu’il croit ressentir un fourmillement dans l’orteil. L’extrémité où aboutit le nerf fait défaut, mais on possède l’autre extrémité et l’on ressent par celle-ci la sensation. Je n’ai pas la verge, mais je possède les nerfs qui y aboutissent et, par une faveur spéciale, ils ont le don de vibrer. »

Cependant, la vue et le toucher de sa maîtresse s’ils lui causaient un voluptueux émoi, étaient insuffisants pour l’amener au spasme. Comme pour l’homme, cet énervement lui était agréable, mais à condition qu’il ne se prolongeât pas trop longtemps et si, par suite d’une raison quelconque, elle ne pouvait jouir jusqu’au bout, elle frisait l’attaque de nerfs et se sentait mal à l’aise tout le jour.

« Lorsque, dans le lit, je maniais à loisir, ma maîtresse, continuait Mme B…, l’exaspération passionnelle croissait en moi. J’avais exactement l’illusion que la verge postiche que je portais au bas du ventre était un membre naturel, et, une fois, il m’est arrivé de pousser un cri de douleur atroce et spontané parce que Suzette, dans un moment d’effroi, l’avait saisi et serré à pleines mains. Tout naturellement, sans que j’y tâche, j’ai les gestes d’un homme qui s’apprête à la possession, et plus je vais, plus je m’affole de l’idée de vaincre, de dominer celle que je renverse sous moi, que je foule, que je pétris, que je meurtris avec délices. Enfin, quand je la sens au maximum de la terreur et, cependant, du désir d’être violentée encore plus intimement, c’est victorieusement que je saisis ma verge et que je la présente au bon endroit. À partir de la minute où je sens que je pénètre le sexe douloureux et voluptueux de mon amie, un délire s’empare de moi, je ne sais plus ce que je fais hors ce besoin fou, sauvage, de posséder, de pénétrer encore et encore plus. Mes reins ont un élan qui s’exaspère à mesure que mes mouvements spasmodiques sont plus violents, plus rapprochés. Pas un instant, je n’ai conscience de mon véritable sexe ; je sens vraiment par ma verge absente, grâce aux nerfs de mon clitoris surexcité, sans doute. Enfin, brusquement, quelque chose d’inouï, de lancinant, de foudroyant, traverse tout mon être, dans un dernier cri de triomphe sauvage, avec la persuasion que je projette ma sève, mon sang, je transperce mon amie d’un coup furieux et je retombe, à ses côtés, morte, anéantie, la tête perdue, tremblante et tous les membres aveulis, incapable d’aucun mouvement. À cette minute, la chérie, elle-même, m’est odieuse ; j’ai la nausée du baiser même le plus chaste ; je ne puis ni parler ni me mouvoir, jusqu’à l’instant où, de nouveau, ma pensée redevient claire, où je m’étire, où le sang recommence à courir sous ma peau et où je me redresse, sans désir, mais concevant que, bientôt, peu à peu, une nouvelle effervescence viendra m’embraser. »

Une autre femme ne jouissait lors d’attouchements au clitoris que si elle était sur le ventre et libre d’exécuter les mouvements des reins de l’homme au moment du coït.

Une grande dame du second empire, tout à fait folle des jeunes et jolies filles qu’elle obligeait à la complimenter tout le temps de la « fricarelle » sur la beauté de sa verge absente. Plus l’invention des filles était féconde, plus elles célébraient avec conviction les charmes de ce membre n’existant que dans leur imagination et celle de la comtesse X…, plus celle-ci goûtait de folles joies. Elle donna des sommes insensées à une jolie fille rusée qui savait se contorsionner à propos et pousser des gémissements pleins de vérité lorsque le doigt de la comtesse la pénétrant, elle se lamentait de la douleur d’un viol imaginaire, suppliait qu’on l’épargnât, se tordait sous l’outrage et le supplice fictifs.

Une autre, à la même époque, la femme d’un financier connu, fut pendant dix ans sous la domination d’une chanteuse de music-hall qui, sous un travesti, jouait les rôles de jeune gandin.

Soumise à tous les caprices de son amante qui la menait à la cravache — sans aucune métaphore — elle n’avait qu’une exigence, c’est que l’actrice demeurât au théâtre.

L’autre n’avait garde d’y renoncer, comprenant que tout son prestige tenait à ce rôle que tous les soirs sa maîtresse se délectait à lui voir tenir, d’une avant-scène d’où elle lui envoyait des œillades et des bouquets.

Malheureusement, la svelte fille devint obèse, remplit burlesquement les culottes du gommeux démodé. Elle ne se maintint au programme que grâce à l’argent qu’elle soutirait à son adoratrice et reversait en partie à son imprésario. La guerre franco-allemande vint anéantir ses derniers espoirs. En 1873, le gommeux impérial tentant de reparaître sur la scène d’un café-concert de troisième ordre, fut impitoyablement conspué.

Dépourvue aux yeux de son amante de son principal attrait, elle cessa de lui plaire et fut aussitôt abandonnée.

Si les inverties se font parfois illusion sur leur propre sexe, elles procurent aussi le même rêve, souvent à leur partenaire.

Un procès en adultère mit au jour une correspondance érotique des plus curieuses, adressée par une mondaine à une demi-mondaine et dans laquelle la dame adressait des paroles enflammées à son amante, non seulement en lui appliquant des qualificatifs masculins, mais en faisant des allusions si précises à des charmes que la courtisane ne pouvait posséder que les juges stupéfaits se demandaient s’il n’y avait pas supercherie de la part de cette dernière et si elle ne cachait pas une virilité réelle sous un costume féminin.

La demoiselle se prêta en riant à un examen médical qui lui reconnut une conformation parfaitement féminine.

Et, fait à noter, elle jura que dans ses rapports avec sa maîtresse elle n’avait jamais usé que de ses moyens naturels ; tous les organes auxquels la dame faisait allusion n’existaient que dans l’imagination surchauffée de celle-ci.

Les femmes-mâles arrivent aisément à la cruauté à l’égard des enfants ; nous étudierons ce cas dans un chapitre spécial traitant du saphisme sadique.

Au point de vue cérébral, la femme-mâle connaît de vives jouissances lorsqu’elle poursuit, traque, séduit et conquiert une nouvelle proie. Ses victimes préférées sont les innocentes, les femmes neuves à l’amour lesbien, celles les plus rebelles à la sensualité. Une conquête trop facile la désappointe et lui enlève le meilleur de son émotion.

La femme-mâle est extrêmement susceptible et jalouse. Elle ne supporte pas que sa maîtresse goûte des jouissances autres que celle qu’elle lui procure ; elle est capable des pires excès si son orgueil est blessé.

Elle peut inspirer de réelles passions ainsi que le constate le docteur Forel dans la curieuse notation qu’il donne page 285, dans son livre de la Question sexuelle.

« Une invertie habillée en garçon et se donnant pour un jeune homme, réussit à gagner par ses ferventes ardeurs l’amour d’une jeune fille normale, et se fiança officiellement avec elle. Mais peu après cet escroc-femme fut démasqué, appréhendé, puis conduit en observation à l’asile des aliénés où je le fis revêtir de vêtements féminins. Eh bien, la jeune fille trompée demeura amoureuse et rendit visite à son « amant » qui, dès qu’il l’aperçut, se jeta à son cou, la baisa partout et l’embrassa devant tout le monde dans de vraies convulsions voluptueuses impossibles à décrire. J’étais moi-même présent à la scène.

« La visite passée, je pris la jeune fille normale et florissante à part, et je lui exprimai ma stupéfaction de la voir conserver ses sentiments à l’égard de ce faux jeune homme qui l’avait pourtant indignement trompée.

« Sa réponse fut bien le soupir caractéristique de la vraie femme : « Ah ! voyez-vous, monsieur le docteur, je l’aime et je ne puis faire autrement ! » Que répondre à cette logique ? »

Très souvent l’invertie se marie, sans se douter de ses tendances sexuelles, c’est le mariage, le premier coït qui les lui révèle.

L’épreuve conjugale est abominable pour l’invertie. Son mari lui est odieux, elle se prend elle-même en dégoût. L’union sexuelle lui paraît suprêmement dégradante, elle se juge souillée à jamais.

Et loin que l’habitude atténue en elle ses révoltes, celles-ci croissent, grandissent jusqu’à la nausée, l’obsèdent, peuvent déterminer en elle de graves troubles nerveux.

Sans trêve elle songe à s’affranchir de l’abominable corvée, elle essaie de chasser de son esprit des images qu’elle juge immondes lorsqu’elle en est l’héroïne.

La plupart du temps, grâce à un subterfuge quelconque, elle parvient à se délivrer de son esclavage. Alors, elle respire, se reconquiert et se lave moralement de la boue sous laquelle elle se sentait enlisée.

Ce qui peut arriver de plus terrible pour l’invertie dont la sexualité conserve les qualités féminines, c’est de devenir mère.

La grossesse lui cause une terreur et une répulsion invincibles. Sa honte de la maternité ne peut se mesurer qu’avec son impatience et son dégoût envers son enfant.

Lorsque celui-ci est devenu grand, l’invertie peut se montrer envers lui excellente mère, très énergique, très sensée ; mais pour le premier âge elle fait une maman détestable.

Dès que l’invertie s’est débarrassée de la chaîne conjugale, soit en lassant son mari par ses froideurs, soit en invoquant un faux mauvais état de santé ou suivant tout autre prétexte, elle ne tarde pas à sentir tout son être envahi par un violent besoin d’amour.

Mais cet amour elle ne le conçoit point comme les autres femmes. Son idéal est celui que pourrait avoir un jeune homme.

Si ses lectures, ses habitudes d’adolescente l’ont avertie, elle sait qu’elle souhaite l’amour saphique et ne tarde pas à s’y précipiter avec frénésie.

Moralement et physiquement, elle agit en homme.

Ce qui la séduit chez la femme qu’elle distingue, c’est sa délicatesse, sa faiblesse physique, sa puérilité, sa frivolité, jusqu’à son infériorité mentale.

Certaines femmes-mâles sont de véritables don Juans et ne nombrent plus la masse de leurs conquêtes.