L’ange de la caverne/02/23

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Le Courrier fédéral (p. 220-223).

CHAPITRE XXIII

L’ENLÈVEMENT


Quand Éliane se rendit dans sa chambre, la veille, Lucette l’y attendait. La jeune servante enleva la robe de sa maîtresse et elle se préparait à lui faire sa toilette pour la nuit, quand Éliane lui dit :

« Vous pouvez aller vous coucher, Lucette ; je vais lire un peu ; pas longtemps, cependant, car nous partons demain matin pour Cave City… Je me coucherai de bonne heure. »

Quand Lucette eut quitté la chambre, après avoir enveloppé Éliane dans un kimono, celle-ci s’installa sur un fauteuil et essaya, inutilement, de lire… Elle était si heureuse, ce soir-là qu’elle en oubliait, pour le moment la peur qu’elle avait ressentie, tout-à-l’heure, en apercevant un homme qu’elle avait pris pour Castello, sur les terrains de la villa. Combien elle était heureuse ! Et maintenant que son père était réhabilité, par la présence de Sylvio Desroches, l’avenir ne serait-il pas une fête continuelle ?… Bientôt, elle, Éliane, serait la femme, de Tanguay, son compagnon d’enfance qu’elle avait toujours tant aimé !

« Vraiment, » se disait la charmante enfant, en souriant, « j’aurai porté bien des noms dans ma vie : je me serai nommée Éliane Courcel, d’abord, puis Lecour, puis Mirville, puis encore Courcel et, bientôt… je serai devenue Éliane Desroches ! »

Éliane sourit et rougit en même temps en prononçant ce dernier nom, qui serait le sien sous peu, puis elle ouvrit un livre et essaya de lire. Tout à coup, elle porta la main à ses yeux comme pour en chasser un brouillard :

« C’est singulier, » murmura-t-elle, « mais je n’y vois guère… de plus, j’ai la tête lourde comme… Quelle est cette odeur ?… » s’écria-t-elle, soudain, « les fleurs ont dû être portées dehors, pourtant et je ne comprends pas… Ciel !… C’est du chloroforme !… Il faut que je… »

Sa phrase resta inachevée. Sa tête tomba lourdement sur son épaule ; Éliane s’était endormie…

À peine Éliane fut-elle endormie, qu’un homme sauta dans la chambre, tenant dans sa main une couverte d’automobile : cet homme, c’était Castello !

La chambre étant vivement éclairée, Castello se dirigea vers le fauteuil sur lequel gisait Éliane endormie. L’enveloppant de la couverte, il prit la jeune fille dans ses bras et s’enfuit dans la direction de la fenêtre. Saisissant un câble qu’il avait préalablement attaché au balcon, Castello se laissa glisser jusqu’en bas.

Castello s’arrêta pourtant dans sa fuite, deux fois : la première fois, pour examiner le corps de Lagarde, la chienne danoise qui — Castello le crut du moins — semblait se tordre dans les convulsions de l’agonie. Brutalement, il administra un coup de pied à la pauvre bête, puis il reprit la direction des barrières de la villa… Mais, avant de franchir ces barrières, l’ex-contrebandier, le chef des moonshiners se retourna vers la villa et s’écria :

“Ah ! Messieurs Mirville et Andréa… et vous aussi Docteur Stone, vous êtes loin de vous douter, en ce moment, que j’enlève votre Éliane chérie… Elle sera ma femme, vous entendez et jamais, non, jamais vous ne la reverrez ! »

Et le noble (?) Comte Anselmo del Vecchio Castello fit un pied-de-nez dans la direction de la villa Andréa, qui eut fait les délices du plus gamin des gavroches.

À la course, ensuite, Castello se dirigea vers une limousine, toujours portant dans ses bras Éliane endormie. Ayant déposé la jeune fille sur le siège de la limousine ; il appuya sur le bouton du démarreur et aussitôt l’auto partit dans la direction de la caverne.

Arrivée à la caverne, Castello se rendit dans le salon et déposa Éliane sur le canapé, puis, debout, les bras croisés, il attendit son réveil. Mais, il était destiné à attendre longtemps, car, ce n’est que vers le matin que la jeune fille ouvrit les yeux enfin.

« Enfin, vous voilà réveillée, Éliane ! » s’écria Castello, « je commençais à croire que vous ne vous éveilleriez plus… »

— « Monsieur Castello ! » murmura Éliane.

— « Moi-même, ma chère !… Comme vous aviez l’air d’avoir oublié que vous êtes ma fiancée, je suis allé vous chercher à la villa Andréa. »

— « Misérable ! » cria Éliane, « Misérable ! »

— « Et vous allez consentir à devenir ma femme, n’est-ce pas, Éliane ?… Nous partirons pour l’Italie et, je vous le promets, vous serez heureuse !… Vous ne vous imaginez pas combien je suis riche, Éliane !… Je vous com… »

— « Vous épouser ! Vous ! » s’écria Éliane.

— « Pourquoi pas ?… D’ailleurs, il le faudra bien ; vous êtes seule ici, en mon pouvoir, et je défie bien qui que ce soit de venir vous chercher en cette caverne ! »

— « Vous pouvez me tuer, M. Castello, » répondit Éliane ; « mais jamais vous ne me ferez consentir à vous épouser, jamais !

— « Il y a des moyens que je puis employer pour vous faire consentir, Éliane… vous allez voir. »

Ce disant, Castello prit de fortes ficelles et garotta les bras et les jambes de la jeune fille, puis il s’installa debout près du canapé… Qu’avait donc imaginé Castello pour se venger d’Éliane, ou, du moins pour la faire consentir à l’épouser ?… Cette question qu’Éliane se posait, allait bien vite recevoir sa réponse : des rats, d’énormes rats, vinrent folâtrer près du canapé puis, enhardis par la parfaite tranquillité que maintenait Castello, ces rats sautèrent sur les pieds, les jambes, les bras et la poitrine de la jeune fille, incapable de se défendre.

En vain Éliane suppliait-elle Castello de la délivrer de cet horrible supplice.

« Consentez à devenir ma femme, Éliane, » lui disait-il, et immédiatement, je vous délivrerai de ces liens qui vous mettent dans l’impossibilité de vous défendre. Consentez, Éliane ! »

— « Jamais ! » s’écriait-elle.

Castello, les bras croisés, regardait souffrir celle qu’il prétendait aimer… Des cris d’indicible terreur s’échappaient des lèvres d’Éliane, surtout quand un rat s’approchait ce trop près de son visage. Seul, l’Ange de la Caverne semblait être témoin de son supplice…

Mais d’autres témoins arrivaient et le martyre d’Éliane allait prendre fin.