L’art dans l’Afrique australe/07
Figurines
es nègres bassouto ne sont décidément pas des
artistes, du moins comme nous l’entendons, mais on
peut surprendre surtout chez les enfants des talents
d’observation et un sens du pittoresque parfois très
frappants. Certaines fillettes ont, par exemple, comme
de naissance, le don de faire de la poterie
et font, aidées de leur mère, toute la vaisselle
du ménage avec une légèreté de main
que n’ont pas toujours ceux qui manient la
glaise.
Pour s’amuser et tout en gardant le petit frère, elles bâtissent un petit village rendant assez bien l’aspect des huttes paternelles ; elles joueront aussi, comme c’est leur devoir de fillettes, à la poupée, un lambeau de chiffon suffira pour cela, mais le haut sera attaché en boule de manière à former une tête.
On jouera également à la cuisine et, pendant des heures, elles vivront d’une vie heureuse, moulant de la terre en guise de farine et préparant des aliments imaginaires pour des convives de rêves.
Les garçons, surtout les bergers,
poteries faites par des fillettes pendant les heures de tranquillité que
leur laisse la garde du bétail, feront,
ainsi que nous l’avons dit ailleurs, des
figures de bœufs selon un type un peu
immuable.
On peut, mais plus rarement, en rencontrer modelant, parfois avec un instinct sûr, de « rustiques figurines », si originales qu’un musée d’ethnographie pourrait désirer les mettre dans ses vitrines, affirmant ainsi la vérité de cette parole d’un savant archéologue[1] : « Il n’y a pas de différence entre les inventions des Bushmen ou des Hottentots et celles des premiers Grecs. »
Les vitrines du musée du Louvre nous fournissent sous ce rapport des affirmations irréfutables et des plus probantes, telles, par exemple, les trois figurines ci-contre qui ne diffèrent pas d’une manière très sensible de ce que font nos jeunes amis nègres, d’autant plus qu’il faut se dire que l’enfance de l’art est aussi souvent l’art de l’enfance.
jouet antique
(Musée du Louvre) |
jouet fait par un nègre mossouto)
|
Le cheval à roues, façonné il y a plus d’une vingtaine de
siècles par un naïf coroplaste — modeleur de figurines — de l’Afrique ou de la Béotie, ressemble d’une manière
frappante à ce qu’un jeune homme de notre connaissance,
un combattant
(Figurine faite en terre glaise
par un berger mossouto)
qui n’avait aucun souvenir archéologique, modelait pour un de nos enfants.
Le coq et le lapin que nous donnons plus haut, ainsi que l’animal mangeur de glands, ne manquent d’aucun des traits essentiels qui les caractérisent.
Quant au pauvre vieux, façonné par un gamin de l’école, qui s’avance à grand’peine, appuyé sur son bâton, il ne vaut pas peut-être une terre cuite quelconque provenant de Tanagra, mais il n’est pas non plus sans mérite, cela est évident ; il en est de même pour le cavalier que nous donnons ci-contre
de la guerre anglo-boer.
Les indigènes ont eu, ces dernières années,
un tricycle en terre glaise
l’occasion de voir des bicyclettes qu’ils admirent,
cela va sans dire, quelques-uns même deviennent
des fervents du pneu ; mais ils connaissent
aussi les tricycles qui leur paraissent
bien autrement sûrs, et l’un de nos
jeunes amis s’essayait l’autre jour à en
faire un.
Sans doute que son œuvre n’a rien de particulièrement transcendant, mais l’essai a quelque chose d’intéressant, démontrant un effort pour rendre le côté plastique des choses nouvelles.
D’autres apprentis artistes ne
voient pour ainsi dire dans la
wagonsnature que le wagon à bœufs ; pour eux ce lourd
véhicule constitue ce qu’il y a de plus intéressant
et de plus captivant sur notre
vieille planète. Que nous sommes
loin des automobiles et des
tramways plus ou moins électriques !
On ne sera pas difficile sous
le rapport des matériaux : de la
terre glaise et des brins de paille
suffiront pour le véhicule et quelques bobines et de vieilles boîtes d’allumettes feront un chargement tout à fait convenable.
tombereau en terre glaiseOu bien une vieille boîte de
sardines avec des roues de terre
glaise et un morceau de fer-blanc
comme tente consumeront un jouet
très présentable ; comme bœufs,
des os de mouton font tout à fait
l’affaire, surtout si l’on a soin d’y
fixer des bâtonnets en guise de jougs qui, avec des ficelles, les
réunissent deux à deux.
Quelquefois, le fabricant sera plus habile et ne se contentera pas d’un à peu près enfantin,
dessins faits par un mossotomais fera quelque chose
de très soigné, un véritable
jouet, auquel il ne manquera
plus qu’une couche
de peinture pour rivaliser
avec ceux de la boutique à
dix-neuf sous.
Sous le rapport du dessin, les indigènes sont peu doués ; dans les écoles supérieures on essaie de leur en donner des éléments tenant plus il est vrai du dessin géométrique que du dessin d’art, mais ils ne témoignent généralement pas de très grandes dispositions. Je n’ai jamais guère entendu parler que d’un jeune homme, Tladiatsana, dessinant tout en gardant du bétail, inventant ou copiant des gravures avec un résultat pas très complet peut-être, mais en tout cas assez intéressant.
Nous parlons ailleurs des Barotsi, des bords du Zambèze, mais on rencontre partout chez les noirs des dons latents qui, dans des milieux artistiques, pourraient se développer et produire des œuvres de premier ordre. Témoin les œuvres du peintre Tanner, nègre d’Amérique, dont l’une, La Résurrection de Lazare, figure dans la collection du musée du Luxembourg.
Par exemple, des figurines comme celles faites par un jeune homme de quinze ans de la station missionnaire de Shilouvane, dans le nord du Transvaal, témoignent de dispositions pas du tout ordinaires, soulignant ces mots du grand missionnaire explorateur D. Livingstone[2] : « Nous n’avons rien vu qui prouve que le nègre soit d’une autre espèce que les plus civilisés… il est doué de tous les attributs qui caractérisent la race humaine. »