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L’art dans l’Afrique australe/07

La bibliothèque libre.
Berger-Levrault (p. 61-68).

Figurines



L’homme tout entier est pour ainsi dire contenu dans le berceau de l’enfant.
A. de Tocqueville.




L es nègres bassouto ne sont décidément pas des artistes, du moins comme nous l’entendons, mais on peut surprendre surtout chez les enfants des talents d’observation et un sens du pittoresque parfois très frappants. Certaines fillettes ont, par exemple, comme de naissance, le don de faire de la poterie et font, aidées de leur mère, toute la vaisselle du ménage avec une légèreté de main que n’ont pas toujours ceux qui manient la glaise.

Pour s’amuser et tout en gardant le petit frère, elles bâtissent un petit village rendant assez bien l’aspect des huttes paternelles ; elles joueront aussi, comme c’est leur devoir de fillettes, à la poupée, un lambeau de chiffon suffira pour cela, mais le haut sera attaché en boule de manière à former une tête.

On jouera également à la cuisine et, pendant des heures, elles vivront d’une vie heureuse, moulant de la terre en guise de farine et préparant des aliments imaginaires pour des convives de rêves.


modèles de huttes faites par des fillettes barolong

Les garçons, surtout les bergers,
poteries faites par des fillettes
pendant les heures de tranquillité que leur laisse la garde du bétail, feront, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, des figures de bœufs selon un type un peu immuable.

On peut, mais plus rarement, en rencontrer modelant, parfois avec un instinct sûr, de « rustiques figurines », si originales qu’un musée d’ethnographie pourrait désirer les mettre dans ses vitrines, affirmant ainsi la vérité de cette parole d’un savant archéologue[1] : « Il n’y a pas de différence entre les inventions des Bushmen ou des Hottentots et celles des premiers Grecs. »


figures grecques en terre cuite (Musée du Louvre)

Les vitrines du musée du Louvre nous fournissent sous ce rapport des affirmations irréfutables et des plus probantes, telles, par exemple, les trois figurines ci-contre qui ne diffèrent pas d’une manière très sensible de ce que font nos jeunes amis nègres, d’autant plus qu’il faut se dire que l’enfance de l’art est aussi souvent l’art de l’enfance.


jouet antique
(Musée du Louvre)


jouet fait par un nègre mossouto)


figurines en terre glaise faites par de jeunes bassouto

Le cheval à roues, façonné il y a plus d’une vingtaine de siècles par un naïf coroplaste — modeleur de figurines — de l’Afrique ou de la Béotie, ressemble d’une manière frappante à ce qu’un jeune homme de notre connaissance,
un combattant
(Figurine faite en terre glaise
par un berger mossouto)
qui n’avait aucun souvenir archéologique, modelait pour un de nos enfants.

Le coq et le lapin que nous donnons plus haut, ainsi que l’animal mangeur de glands, ne manquent d’aucun des traits essentiels qui les caractérisent.

Quant au pauvre vieux, façonné par un gamin de l’école, qui s’avance à grand’peine, appuyé sur son bâton, il ne vaut pas peut-être une terre cuite quelconque provenant de Tanagra, mais il n’est pas non plus sans mérite, cela est évident ; il en est de même pour le cavalier que nous donnons ci-contre


peinture de Tinfontein, près Wepener (état libre d’orange)

et qui est peut-être une image d’un combattant rencontré lors

de la guerre anglo-boer.

Les indigènes ont eu, ces dernières années,
un tricycle en terre glaise
l’occasion de voir des bicyclettes qu’ils admirent, cela va sans dire, quelques-uns même deviennent des fervents du pneu ; mais ils connaissent aussi les tricycles qui leur paraissent bien autrement sûrs, et l’un de nos jeunes amis s’essayait l’autre jour à en faire un.

Sans doute que son œuvre n’a rien de particulièrement transcendant, mais l’essai a quelque chose d’intéressant, démontrant un effort pour rendre le côté plastique des choses nouvelles.

D’autres apprentis artistes ne voient pour ainsi dire dans la
wagons
nature que le wagon à bœufs ; pour eux ce lourd véhicule constitue ce qu’il y a de plus intéressant et de plus captivant sur notre vieille planète. Que nous sommes loin des automobiles et des tramways plus ou moins électriques !

On ne sera pas difficile sous le rapport des matériaux : de la terre glaise et des brins de paille suffiront pour le véhicule et quelques bobines et de vieilles boîtes d’allumettes feront un chargement tout à fait convenable.
tombereau en terre glaise
Ou bien une vieille boîte de sardines avec des roues de terre glaise et un morceau de fer-blanc comme tente consumeront un jouet très présentable ; comme bœufs, des os de mouton font tout à fait l’affaire, surtout si l’on a soin d’y fixer des bâtonnets en guise de jougs qui, avec des ficelles, les réunissent deux à deux.


objets façonnés par uwangula, de shilouvane (transvaal)

Quelquefois, le fabricant sera plus habile et ne se contentera pas d’un à peu près enfantin,
dessins faits par un mossoto
mais fera quelque chose de très soigné, un véritable jouet, auquel il ne manquera plus qu’une couche de peinture pour rivaliser avec ceux de la boutique à dix-neuf sous.

Sous le rapport du dessin, les indigènes sont peu doués ; dans les écoles supérieures on essaie de leur en donner des éléments tenant plus il est vrai du dessin géométrique que du dessin d’art, mais ils ne témoignent généralement pas de très grandes dispositions. Je n’ai jamais guère entendu parler que d’un jeune homme, Tladiatsana, dessinant tout en gardant du bétail, inventant ou copiant des gravures avec un résultat pas très complet peut-être, mais en tout cas assez intéressant.


bergers bassouto

Nous parlons ailleurs des Barotsi, des bords du Zambèze, mais on rencontre partout chez les noirs des dons latents qui, dans des milieux artistiques, pourraient se développer et produire des œuvres de premier ordre. Témoin les œuvres du peintre Tanner, nègre d’Amérique, dont l’une, La Résurrection de Lazare, figure dans la collection du musée du Luxembourg.

Par exemple, des figurines comme celles faites par un jeune homme de quinze ans de la station missionnaire de Shilouvane, dans le nord du Transvaal, témoignent de dispositions pas du tout ordinaires, soulignant ces mots du grand missionnaire explorateur D. Livingstone[2] : « Nous n’avons rien vu qui prouve que le nègre soit d’une autre espèce que les plus civilisés… il est doué de tous les attributs qui caractérisent la race humaine. »



poterie faite par une femme mossoutose

  1. E. Pottier, Les Statuettes de terre cuite dans l’antiquitê. 1890.
  2. Explorations du Zambèze et de ses affluents. 1866.