L’astronomie, poème en six chants/Chant premier

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F. Didot frères (p. 2-45).

CHANT PREMIER.



Exposition du sujet. — Notions générales sur la nature des Corps Célestes ; leur origine ; leur durée. — De la Lumière. — Bienfaits dont l’homme est redevable à l’Astronomie ; la mesure du Temps, la connaissance des Saisons ; le perfectionnement de la Navigation ; le mépris de l’Astrologie. — Abandon du culte du Soleil.


Quel mortel, vers l’Olympe élevant ses regards,
N’a demandé les noms de tant d’astres épars ?
À contempler leur cours qui n’a donné des veilles ?
J’entreprends de chanter leurs brillantes merveilles,
Les lois que leur fixa l’arbitre souverain,
Et que l’homme a su lire en ce livre divin.
      Vous, qui de l’univers maintenez l’harmonie,
Ô puissance ! ô lumière ! ô sagesse infinie !
Donnez-moi d’entrevoir vos sublimes secrets,
Et qu’une voix mortelle annonce vos décrets (1).

Je les confie au rhythme, ami de la mémoire.
Les cieux de leur auteur nous racontent la gloire :
L’homme sort du néant, quand il sait l’admirer.
Astres majestueux, c’est à vous d’éclairer
L’atôme intelligent, si grand dans sa faiblesse :
Le spectacle du ciel prépare à la sagesse (2).
      La terre ouvre son sein à vos feux bienfaisants :
L’Océan obéit à deux astres pesants ;
La brute, par instinct, d’épouvante glacée,
Redemande à grands cris leur lumière éclipsée :
Tout reconnaît les lois de ces globes lointains,
Et l’homme crut long-temps y lire ses destins.
Cieux, montrez-nous celui dont vous êtes l’image :
L’étude est à ses yeux notre plus digne hommage.
L’être aux sens imparfaits a dans le firmament
Placé de ses travaux le plus beau monument ;
Mais il est des secrets que la docte Uranie
Pour d’autres temps réserve aux regards du génie.
      L’homme a sondé des cieux la vaste profondeur,
Révélé des soleils la marche et la grandeur :

Parmi ces feux lointains, qui roulent sur nos têtes,
Chaque jour, plus puissant, son œil fait des conquêtes ;
Des astres inconstants, qui ne brillent qu’un jour,
Son art trace l’orbite, et marque le retour.
Un mortel nous apprit qu’une force invisible
Anime et fait mouvoir la matière insensible.
Tous ces mondes brillants, dans l’espace lancés,
Attirés l’un par l’autre, y restent balancés,
Et, soumis à Newton, dans leur orbite immense
Gravitent par leur poids, qu’affaiblit la distance.
Mais quel est ce pouvoir, ce don mystérieux,
Par qui tout pèse, attire, et flotte dans les cieux ?
Quel peut être ce vide, océan de lumière,
Où tant d’astres brillants achèvent leur carrière ?
Hélas ! l’esprit de l’homme est étroit et borné
Comme le globe obscur sur lequel il est né :
Mais, tout faible qu’il est, il prend un vol sublime :
Du ciel qui l’environne il a franchi l’abîme ;
Et, de ces grands travaux, sous des lauriers en fleurs,
Uranie entretient ses immortelles sœurs.

L’homme ne peut atteindre à la cause première :
Le temps, la pesanteur, l’espace, la matière,
Que l’esprit croit comprendre, et ne peut définir,
Cacheront leur essence aux âges à venir.
Appelés, en naissant, à de pompeux spectacles,
Nous vivons, nous marchons entourés de miracles ;
Mais, témoins assidus, nous pouvons chaque jour
Sans assigner leur cause, attendre leur retour ;
Et tout ce qu’à nos yeux l’ordre des temps ramène
Cesse d’être un prodige, et n’est qu’un phénomène.
      Le temps, de la science observant les progrès,
D’une main patiente accumule les faits.
Épiant la nature, il sonde ses problêmes,
Confirme les calculs, et détruit les systèmes (3).
Trop long-temps les succès à nos vœux accordés,
Par notre impatience ont été retardés :
On voulut, dédaignant la route la plus sûre,
Au lieu de l’observer, deviner la nature ;
Et, son prisme à la main, l’imagination
Construisait l’univers sur une illusion.

La terre, six mille ans, fut le centre du monde ;
Soleil, ta place alors n’était que la seconde ;
Les sphères s’élevaient dans la voûte des cieux
Pour guider notre route et pour charmer nos yeux.
Enfin, reconnu roi des mondes qu’il attire,
L’astre dominateur recouvra son empire.
Quelques globes obscurs qui roulaient à l’entour,
Inondés de ses feux, composèrent sa cour,
Et, rejetée au loin dans la vaste étendue,
Notre terre à son roi fut peut-être inconnue.
Mais ce père des jours par lui-même embellis,
N’est qu’un de ces soleils dont les cieux sont remplis (4);
Innombrables, brûlants, puissants comme lui-même,
Sans doute ils sont aussi le centre d’un système ;
Dans l’espace profond jetés confusément,
Ils répandent la vie avec le mouvement ;
Ils marchent entourés de nombreux satellites,
Et l’univers n’a plus ni centre ni limites.
Notre brillant soleil, dans cette immensité,
N’est qu’un point ; notre terre, un atome habité

Par-delà tous ces cieux et ces voûtes profondes,
Que peut-il exister ? D’autres cieux, d’autres mondes ;
Et plus loin, l’infini, l’abîme. Ô quelle voix,
Quelle voix me dira si ces cieux que je vois,
Ne sont que des déserts inanimés, immenses,
Ou le brûlant séjour d’autres intelligences ?
N’en doutons point, ces cieux ont leurs contemplateurs ;
Un spectacle si beau n’est pas sans spectateurs :
Ces feux, ce mouvement, ces torrents de lumière
Ne sont pas prodigués pour l’inerte matière ;
Et partout la pensée, animant ces déserts,
Vivifie, ennoblit, explique l’univers.
Exilé sur un point de l’immense étendue,
L’homme a dans cet abîme osé plonger sa vue :
Pour qui sont, disait-il, ces cieux levés sur moi ?
Et l’orgueil répondait : Tout fut créé pour toi.
Mais un juge plus sûr, la science sévère,
Lui montrant ce qu’il est, le détrompe et l’éclaire.
Ce globe, poursuit-il, où je traîne mes jours,
Quel instant l’a vu naître ? exista-t-il toujours ?

Une voix lui répond : Arrête, téméraire,
Éternel ou créé, ce monde est un mystère ;
Jamais tu ne saurais entrevoir seulement
Ni son éternité, ni son commencement.
Il faut choisir pourtant : oseras-tu prétendre
À ces siècles sans fin, que tu ne peux comprendre ?
Éphémère habitant d’un fragile univers,
Quel pouvoir fixerait ces éléments divers,
Lorsqu’on voit dans le ciel des astres disparaître (5) ?
Rien ne périt : tout change, excepté le grand Être (6).
      Quelquefois les parvis du lointain firmament
S’éclairent tout-à-coup d’un vaste embrasement :
Il croit, et parcourant ces demeures profondes,
L’incendie en fureur y dévore des mondes (7).
L’Éridan, le Permesse, ont su le confirmer.
Précipité des cieux qu’il allait consumer,
Phaëton nous atteste un de ces grands désastres.
Ses sœurs, que leur douleur plaça parmi les astres,
Pleurent en gouttes d’ambre un frère trop puni.
Et vous, céleste chœur, près d’elles réuni,

Parlez, filles d’Atlas, Pléiades favorables,
Du pilote incertain déités secourables :
On dit que sur le front du taureau radieux
Un de vos sept flambeaux s’est éteint dans les cieux.
Mère du sage Hermès, Alcyone, Sterope,
Timide Céléno, Taygète, et vous, Mérope,
Est-il vrai que l’Olympe ait vu le sort jaloux
Vous ravir une sœur qui brillait parmi vous (8) ?
Des mondes ont péri dans ces vastes naufrages (9) ;
D’autres ont pu sortir de l’abîme des âges,
Soit qu’échappé du sein d’un orbe étincelant (10)
Un débris enflammé s’en éloigne en roulant,
Soit, et j’en crois Herschell, que dans son atmosphère
Le soleil ait produit une vapeur légère (11)
Qui, d’atomes flottants attirant le concours,
Obéit à cet astre et le suit dans son cours.
L’espace laisse errer cette masse fluide,
Et sa rotation sur son axe rapide
Détermine sa forme en un corps arrondi
Que vingt siècles peut-être ont à peine attiédi.

C’est un soleil nouveau que le monde a vu naître,
Lumineux par lui-même, et qui va ne plus l’être ;
Mais non solide encore, et dans l’immensité (12)
Lançant d’autres débris de son disque agité.
Maîtrisés, en tournant, par la loi qui les presse,
Son équateur s’élève, et son pôle s’abaisse
À mesure qu’il fuit dans les plaines du ciel
Le foyer enflammé de l’astre paternel ;
Sa chaleur s’amortit, sa matière plus dense
Règle enfin sa vitesse en gardant sa distance :
Le globe ardent n’est plus, et l’on voit en son lieu
Rouler un monde éteint autour d’un astre en feu.
Tel fut le sort, dit-on, des sœurs de notre sphère
Qui jaillirent des flancs de leur glorieux père ;
Et, sur un même plan, circulant à l’entour,
Forment une ceinture au dieu brillant du jour.
      Ô Muses, pardonnez, si d’une main mortelle
J’ajoute à votre lyre une corde nouvelle ;
Mais la science dicte, et confie à mes soins
Les fastes de ces temps qui furent sans témoins.

      La terre à tous les yeux raconte son histoire ;
Du feu qui l’embrasa tout garde la mémoire (13),
Il brûle, il vit encor dans ses gouffres profonds.
Cette douce chaleur et ces rayons féconds
Que le soleil sur nous chaque matin ramène,
Effleurant notre globe, y pénètrent à peine :
Ils sont loin d’égaler le foyer souterrain,
Reste des feux ravis à l’astre souverain (14),
Et que le temps a vus, dans leur ardeur première,
En torrents enflammés dissoudre la matière,
Vitrifier les rocs et les métaux divers,
Et suspendre en vapeurs l’Océan dans les airs.
Mais sur le globe enfin les ondes rappelées
D’un continent à l’autre ont rempli les vallées (15).
Sous la terre, le feu trouvant un aliment,
Compose, décompose, agit incessamment ;
Et, lorsqu’il s’éteindra, la sphère refroidie
Roulera dans les cieux une masse engourdie.
      Quoi ! l’ouvrage de Dieu, dit l’esprit étonné,
À de tels changements serait-il destiné ?

Si la glace et le feu, se disputant l’empire,
Combattaient pour créer et créaient pour détruire,
Le désordre serait la loi de l’univers !
Former, peupler, briser tant de globes divers !
Que devient la sagesse éternelle et profonde
Qui pour le conserver a fait naître le monde ?
Mais vous, êtres bornés, ouvrage de ses mains,
Quel droit vous fut donné de juger ses desseins,
Et d’appeler désordre une règle constante
Qui soumet à la mort la nature vivante ?
L’insecte, dont le corps se dérobe à vos yeux
Éphémère habitant d’un chêne audacieux,
En parcourt dans sa vie une branche touffue,
Et croit de l’univers mesurer l’étendue.
Ce géant des forêts y régna cinq cents ans,
Il couvrit son canton de superbes enfants ;
Sa tête fut un monde, où des peuples sans nombre
Vivaient de sa substance et dormaient sous son ombre ;
Il vit naître, chanter, mourir sous ses rameaux
Des générations d’insectes et d’oiseaux ;

Et le voilà, des vers insensible pâture,
Subissant à son tour la loi de la nature.
Son sort nous est commun : la terre au monde entier
N’est pas ce qu’auprès d’elle était ce chêne altier.
Et vous vous étonnez ! vous invoquez pour elle
Le droit d’une existence immuable, éternelle !
Chaque être, chaque monde est borné dans son cours (16),
Il faudrait s’étonner si tout durait toujours ;
Si, dans l’espace étroit d’où bientôt tout s’écoule,
Les générations s’accumulaient en foule ;
Si rien n’était changeant dans le monde animé,
Et si, tout consumant, rien n’était consumé (17).
      Le mouvement, le feu, le temps et la matière
Renouvèlent l’aspect de la nature entière.
Père de la chaleur, source de la clarté,
Le feu, sans s’épuiser, remplit l’immensité.
Caché dans tous les corps, ame de la nature,
Il consume et répare, unit, divise, épure (18) ;
Principe créateur, principe dévorant.
Le feu, par qui tout vit, détruit tout en courant.

Rien ne reste en repos : la matière agitée
Se dissipe et revient, dans l’espace emportée,
Éternel aliment d’un foyer éternel ;
Et le dieu destructeur, parricide immortel,
Saturne, dont la faim n’est jamais assouvie,
Engloutit les enfants qui lui durent la vie.
La fable nous instruit : la sage antiquité
D’un voile transparent couvre la vérité.
Gardons-nous d’interdire à l’être inaltérable
Le droit de faire un monde autant que lui durable.
Il peut tout ce qu’il veut ; et notre vanité
Assigne une limite à l’être illimité !
Tous les corps à nos yeux se transforment sans cesse ;
J’y vois sa loi suprême, et j’en crois sa sagesse.
L’homme interroge en vain et la terre et le ciel,
La nature, le temps : Dieu seul est éternel :
Tout naît, tout vit par lui ; sa parole est féconde,
La nature est la loi qu’il a donnée au monde (17),
Et qui doit gouverner les astres radieux,
Tant qu’il leur permettra d’exister à ses yeux.

Ah ! ne réclamez pas pour des sphères sans vie
Cette immortalité que le sort vous dénie !
Voyez si leur état atteste vainement
Leurs révolutions et leur commencement.
      Ces astres inégaux qu’en ses vastes limites
Retient le dieu du jour, planètes, satellites,
Roulent vers l’Orient sur leur axe incliné.
Comment un même cours leur fut-il ordonné,
Si ce n’est qu’échappés du centre du système,
Le dieu leur imposa la loi qu’il suit lui-même ?
La matière, docile au principe moteur,
A fui le double pôle, et gonflé l’équateur ;
Mais, pour qu’elle obéît, loin du centre emportée,
Il fallait que le feu l’eût soumise et domptée.
Dans leur zone d’azur, ces filles du soleil
Semblent, l’environnant d’un brillant appareil,
Prouver leur origine, et nous marquer la place
D’où le bras de ce dieu les lança dans l’espace.
      Leur distance à tes yeux, Buffon, l’atteste encor ;
Quand de l’orbe de flamme elles prirent l’essor,

Suivant sa densité, dans l’immense étendue,
Chacune s’arrêtant demeura suspendue (18).
Eh ! comment méconnaître, à ces signes certains,
De ces mondes créés les mobiles destins ;
Surtout, lorsque portant un même témoignage,
Le moindre satellite à ces lois rend hommage ?
D’un éclat emprunté tous brillent à nos yeux ;
Du couchant à l’aurore ils roulent dans les cieux ;
Ils disent à quel astre ils doivent la naissance,
Et leur forme est témoin de leur incandescence.
L’un est encore en feu ; l’autre, toujours errant,
Promène dans l’espace un disque transparent ;
La terre est refroidie, et peut-être la glace
De la pâle Phœbé couvre déjà la face (19).
Ainsi, tous ont subi des changements divers :
Changer est le destin, la loi de l’univers ;
Le temps fuit, la nature élabore, et chaque être
Naît, croît, vit un moment, et s’éteint pour renaître (20).
Mais qu’importe après tout aux mortels curieux
Cette immortalité des astres radieux ?

Notre œil ne peut braver leurs moindres étincelles,
Et nous leur demandons des clartés éternelles !
Sachons plutôt jouir de leurs bienfaits constants.
      Ces clartés que sur nous leurs disques éclatants
Versent incessamment dans l’étendue immense,
Remplissent l’univers qu’anime leur présence.
Sans corps, sans pesanteur, et pourtant colorés,
Élancés de leur source, et non pas attirés,
Ces filets déliés d’impalpable lumière
Viennent du fond du ciel frapper notre paupière.
Ils tracent dans leur route un sillon radieux ;
L’éclair est moins rapide ; et, tandis qu’à nos yeux
Le balancier du temps mesure une seconde,
Vingt fois ils franchiraient l’axe de notre monde (21) :
Prodige de vitesse à l’homme révélé,
Que son œil ne peut suivre, et qu’il a calculé !
Vainement ce soleil, père de la nature,
Se trouve séparé de notre sphère obscure
Par plus d’un million de ces vastes degrés
Que du nord au midi Delambre a mesurés ;

Un instant nous transmet sa flamme inépuisable ;
Et telle est de ses sœurs la distance effroyable,
Qu’il en est dont les feux, l’un de l’autre jaloux,
Courent dix ans, cent ans pour venir jusqu’à nous.
      De ces traits lumineux, délices de la vue,
Quelle est donc la nature ? elle reste inconnue.
Messagers de la flamme, ou privés de chaleur,
Chacun des sept rayons apporte une couleur.
Tant qu’ils restent unis, ils brillent sans rien peindre,
Tout est blanc : tout est noir, s’ils viennent à s’éteindre.
Ces gerbes que le prisme a su décomposer
L’art ne peut les connaître, et peut les diviser.
Que l’angle du cristal les sépare et les brise,
La palette se couvre, et je vois, ô surprise !
Le pourpre, l’orangé, l’améthyste, l’azur,
Le vert, ami de l’œil, le saphir, et l’or pur,
Phénomènes brillants des jeux de la lumière,
Qui prêtent leur éclat à la nature entière ;
Nobles enchantements d’un art ingénieux
Que l’écharpe d’Iris reproduit dans les cieux.

      Les effets des rayons sont un autre miracle :
En approchant des corps, un invisible obstacle
Les force à rejaillir dans un angle pareil
À celui qu’ils formaient en tombant du soleil.
Si le corps, leur ouvrant un passage facile,
Se laisse pénétrer par leur flèche subtile,
Dans le dédale obscur que forment ses tissus
Ceux-ci sont repoussés, et ceux-là sont reçus.
Attirés, détournés, les uns, dans leur carrière,
Sous mille angles divers font jaillir la lumière,
Et du corps transparent sortent victorieux ;
Les autres, absorbés, s’éteignent à nos yeux.
Il en est quelquefois dont les flammes errantes,
Remontant vers le ciel en gerbes transparentes,
Sur l’opaque surface épanchent leurs reflets,
Leur émail sur les prés, leur or sur les guérets ;
La nature sourit, et la robe de Flore
Rend les rayons amis dont elle se colore.
      Lumière de la vie, astres consolateurs,
Par qui sont animés ces tableaux enchanteurs,

Vous qui, toujours roulant sur la voûte du monde,
Ramenez des saisons la présence féconde,
Je dirai vos bienfaits et vos feux éclatants.
      Leur marche régulière a mesuré le temps.
Mesurer ce qui fuit, sans laisser nulle trace,
Ce qui fait la durée, et n’est pas dans l’espace,
L’homme a dû ce grand art au dieu père du jour.
De l’astre, en un point fixe, observant le retour,
Et suivant ses progrès dans sa course ordonnée,
Il apprit à compter les jours, les mois, l’année.
D’abord à l’inventeur d’un facile appareil
L’ombre trace, en tournant, la marche du soleil.
Dans le passage étroit qu’offre un vase infidèle,
L’eau marque, en s’écoulant, l’heure qui fuit comme elle.
Mais l’art vient nous offrir des secours plus certains :
Un instrument fragile, ouvrage de nos mains,
Et qu’anime l’effort d’une faible spirale,
Suit le cours du soleil d’une vitesse égale.
Dès que l’homme eut soumis à l’art ingénieux
La mesure du temps et la marche des cieux,

Ce livre étincelant, qui s’ouvrait à sa vue,
Lui montra des saisons la route mieux connue,
Et, pour prix des efforts qu’il oserait tenter,
Un monde à conquérir et Neptune à dompter.
      Jadis le nautonier, dans sa course timide,
N’osait perdre de vue un rivage perfide :
Son courage lui dit : Franchis les flots amers,
Et lis au front des cieux ta route sur les mers.
Si l’humide nuage a déployé ses voiles,
L’aimant sera ton guide à défaut des étoiles.
Sur un pivot aigu légèrement porté,
Toujours en équilibre et toujours agité,
L’acier t’indiquera sur sa mobile roue
L’angle qu’offre le pôle au sillon de ta proue.
Le ciel est-il d’azur ? armé de ton secteur (22),
Invoque Cynosure, et jugeant sa hauteur,
Détermine à l’instant la ligne que ta course
Trace entre l’équateur et l’étoile de l’Ourse.
Ton vaisseau vole au loin sur l’abîme emporté,
Mais ce plomb, qu’à la place où ta main l’a jeté

Retient quelques instants un liége qui surnage,
Mobile point d’appui, tend ce faible cordage
Dont les nœuds, effleurant la surface de l’eau,
Mesurent la vitesse imprimée au vaisseau.
Cet indice, il est vrai, peut tromper ton attente.
Quel chemin a décrit, dans sa marche éclatante,
Du port que tu quittas, le roi du firmament,
Jusqu’au flot que ta nef sillonne en ce moment,
C’est ce que t’apprendront les doctes Immortelles.
Consulte de Breguet les aiguilles fidèles,
À l’heure où le soleil, cherchant d’autres climats,
Portera vers le nord les ombres de tes mâts :
L’aiguille te dira, par sa pente avertie,
Quelle heure on compte au port d’où ta nef est sortie,
L’espace parcouru par l’astre radieux,
Et le point qu’il occupe à la voûte des cieux.
Alors tout est connu : déja, dans ta pensée,
Du pôle à l’équateur une ligne est tracée,
Et le point où ce trait divise en le touchant
Celui qui réunit l’aurore et le couchant,

Est la place où ta nef, dans la plaine liquide,
Glisse légèrement sur sa quille rapide,
Et qui tient suspendus sur le gouffre écumant
Ta gloire, tes destins, et tes jours d’un moment.
      Mais quoi ! lire à son gré dans la voûte azurée,
Conquérir l’Océan, calculer la durée,
Sur l’ordre des saisons interroger le ciel,
Est-ce assez pour l’orgueil d’un fragile mortel ?
Non : le ciel tout entier veille à sa destinée ;
Des astres pour lui seul la marche est combinée :
Au jour de sa naissance attentifs spectateurs,
Ils seront désormais ses guides, ses flatteurs :
Ils ont à l’heure même écrit en traits de flamme
Les frivoles destins d’un prince ou d’une femme.
Diane et Sirius du séjour éthéré
Observent tous les pas d’un mortel ignoré.
Qu’un fougueux conquérant, aux plaines de Pharsale,
Dispute à son rival la palme triomphale
Et l’empire d’un monde inconnu de tous deux,
Le soleil voilera son disque lumineux,

Les cieux seront troublés, et la comète ardente
Annoncera César à la terre tremblante.
Voilà donc la faiblesse et l’orgueil des humains !
Si leur sort est écrit au livre des destins,
Y lire est le grand art, la suprême science ;
Il faudra conjurer la maligne influence
De ces globes lointains qui ne s’informent pas
Si des êtres pensants végètent ici-bas ;
Et, prompts à profiter de nos terreurs secrètes,
Ceux qui d’un ciel muet se font les interprètes,
Promettront aux mortels, pour les mieux asservir,
De sonder, d’expliquer, de changer l’avenir :
Esclavage honteux sous un joug ridicule,
Imposé par la fourbe au vulgaire crédule !
Qui brisera ces fers ? Le sage, dont la voix
Des cieux que l’on redoute expliquera les loix.
Leurs feux ne peuvent rien sur notre destinée.
Que la vérité montre à la terre étonnée
De ces astres lointains l’ordre mystérieux,
Et l’homme adorera la main qui fit les cieux.

Il n’invoquera plus d’impuissantes planètes ;
Il saura d’un œil ferme attendre les comètes (23),
Et fouler sous ses pieds les oracles menteurs,
Les superstitions et les vaines terreurs.
D’un bout du monde à l’autre, éclairés ou sauvages,
Les peuples au soleil ont voué des hommages ;
Tous ils ont adoré, sous mille noms divers,
Dans le père du jour le dieu de l’univers.
Un miracle éternel, garant de sa puissance,
Le signale en effet à leur reconnaissance :
L’empyrée est sa cour, ses dons sont la clarté,
La chaleur, les saisons, et la fécondité.
Par lui, tout naît, se meut, croît, végète ou respire ;
Un seul de ses regards traversant son empire,
Porta l’intelligence aux mortels imparfaits (24) ;
Leurs autels ont prouvé le prix de ses bienfaits.
Babylone, Éleusis, si pleines de mystères,
Ceux qu’abreuvent du Nil les ondes salutaires,
Et le Perse, et l’Inca, l’un à l’autre inconnus,
Invoquaient Adonis, Memnon, Hercule, Orus.

Ouverts aux premiers feux dont l’Orient se dore
Leurs temples attendaient le retour de l’aurore.
Les prêtres, prosternés devant l’astre du jour,
Au nom de l’univers saluaient son retour.
Leurs vœux lui demandaient de fertiles années,
Pour les jeunes époux des chaînes fortunées,
De longs jours pour les rois, pères de leurs sujets,
La victoire aux combats, l’abondance, la paix :
Vœux impuissants de l’homme offerts à la matière !
Le dieu n’entendait pas la stérile prière.
Mais sitôt qu’à la terre une puissante voix
Eût appris que cet astre est soumis à des lois,
Qu’à mesure que l’œil plonge dans l’étendue,
Mille et mille soleils s’offrent à notre vue,
Que son empire immense est cependant borné,
Le roi devint sujet, le dieu fut détrôné,
Et l’homme, s’élançant dans la sphère infinie,
Fut plus grand que ces dieux qu’abaissait son génie,
Surtout quand des soleils mesurant la hauteur,
Il osa s’élever jusqu’à leur créateur.

Tous les peuples pourtant ont de ce culte antique
Gardé, sans le savoir, l’image symbolique.
Oh ! combien la science a renversé d’autels !
Digne objet à son tour du culte des mortels,
Qu’elle porte à Dieu seul un encens qu’elle épure.
Partout, lorsque l’hiver attriste la nature,
Les temples sont en deuil, les autels sont voilés ;
Vers les cendres des morts les mortels rappelés
Pleurent l’astre du jour comme eux prêt à s’éteindre,
Et conjurent Typhon qu’ils ne peuvent plus craindre.
Que le printemps au ciel rende un éclat nouveau,
Partout dans les lieux saints s’allume le flambeau ;
C’est l’astre qui renaît, et partout se déploie
La guirlande de fleurs, symbole de la joie.
Il semble que ce jour, qui vient charmer les yeux,
Ait réconcilié la terre avec les cieux ;
Et chez les peuples même où la foi plus sévère
Offre un encens plus pur au dieu qu’elle révère,
Des rites du vieux temps, non encore effacés,
Le sens mystérieux se fait entendre assez.

Voyez, quand des beaux jours la fête solennelle
Rend sa splendeur antique à la ville éternelle,
Parmi les flots d’encens, les fleurs et les flambeaux,
Marcher le Christ vainqueur de la nuit des tombeaux.
Les cloches, les clairons, les foudres de la guerre,
De leurs cent voix d’airain l’annoncent à la terre.
L’astre resplendissant, qui, sur ces mêmes lieux,
Fit lever autrefois tant de jours glorieux,
Des rayons du printemps dore les sept collines,
Et redouble l’éclat de ces pompes divines.
Le chœur des Chérubins prélude à ces accords,
Et le Tibre à regret s’éloigne de ces bords
Où d’un double portique, en un profond silence,
Un peuple prosterné couvre l’enceinte immense.
Tout-à-coup, sur le front du dôme audacieux
Que l’art de Michel-Ange éleva dans les cieux,
Au milieu des éclairs et du bronze qui tonne.
Un prêtre, le front ceint d’une triple couronne,
S’avance, étend le bras, et des cieux entr’ouverts
Appelle les bienfaits sur Rome et l’Univers,



NOTES
DU PREMIER CHANT.



(1). PAGE 3, VERS 7-10.

Vous qui de l’univers maintenez l’harmonie, etc.

Tu mihi nunc, præclara novum sapientia lumen,
Tu mihi cœlestes animos infunde roganti,
Urauie tu vera : tuas dum prosequor artes,
Et succensus amore tui, raptusque per auras,
Ultima siderei motus arcana recludo.
Duc igitur qui te tua per vestigia quærit,
Ne spatio immenso vagus aut incertus aberret.

(Anti-Lucrèce, liv. viii.)
(2). page 4, vers 6.

Le spectacle du ciel prépare à la sagesse.

......Nunc purius imbibe lumen,
Pronior in liquidam veniet sapientia mentem.

(Ibid.)
(3). page 6, vers 14.

(Le temps) confirme les calculs et détruit les systèmes.

Opinionum commenta delet dies, naturæ judicia confirmat.

(Cicéron, de la Nature des Dieux, I. II.)
(4). page 7, vers 12.

N’est qu’un de ces soleils dont les cieux sont remplis.

La pluralité des mondes a été proclamée par l’antiquité. L’interprète d’Épicure dit :

L’éternel univers
S’étend illimité dans tous les sens divers.
Eh ! qui de la nature eût donc borné l’ouvrage !
Oui, dans l’espace immense où la matière nage,
Si ces flots créateurs de toute éternité
Ont répandu la vie et la fécondité,
N’auraient-ils dans leur cours enfanté que ce monde,
Le ciel qui l’environne, et les plaines de l’onde ?
Et d’autres éléments inhabiles rivaux
Seraient témoins oisifs de leurs vastes travaux !
Non, non, etc.

(Traduction de M. de Pongerville.)
(5). page 9, vers 9.

Lorsqu’on voit dans le ciel des astres disparaître.

« La Connaissance des Temps de l’an VIII contient un catalogue de 146 étoiles qui ont disparu, ou qui ne se trouvent plus à la place à laquelle on les avait observées. On a remarqué aussi plusieurs apparitions d’étoiles nouvelles. Le chartreux Anthelme en avait aperçu une près du Cygne. » Cassini a trouvé dans Cassiopée une étoile de 4e grandeur et deux de 5e, à un endroit où il est sûr qu’elles ne se voyaient pas auparavant, puisque plusieurs astronomes ayant exactement compté jusqu’aux plus petites étoiles de cette constellation, aucun n’a parlé de ces trois étoiles. Il en découvrit encore deux autres, l’une de 4e et l’autre de 5e grandeur, vers le commencement de l’Éridan, où l’on est assuré qu’elles n’étaient pas sur la fin de 1664. Il en aperçut aussi, vers le pôle arctique, quatre de 5e ou 6e grandeur, que les astronomes n’auraient pas manqué de remarquer, si elles y avaient paru plus tôt. »

(Delambre, Hist de l’astr. mod., liv. XVI.)

(6). PAGE 9, VERS 10.


Rien ne périt, tout change……

Omnia mutantur, nihil interit.
(Ovide, Métam., I. xv.)

(7). PAGE 9, VERS 14


L’incendie en fureur y dévore des mondes.

Seu deus instanlis fati miseratus, in orbem
Signa per affertus cœlique incendia mittit. (Manilius, I. i.)

« Quant aux étoiles qui se sont montrées presque subitement avec une très-vive lumière, pour disparaître ensuite, on peut soupçonner avec vraisemblance que de grands incendies, occasionés par des causes extraordinaires, ont eu lieu à leur surface ; et ce soupçon se confirme par le changement de leur couleur, analogue à celui que nous offrent sur la terre les corps que nous voyons s’enflammer et s’éteindre. »

(Exposition du système du monde, liv. ier, ch. XIII.)

« Hipparque observa le premier fait de ce genre : il aperçut une nouvelle étoile ; un nouveau feu s’alluma devant lui dans le ciel : c’était un incendie qui commençait. Nous concevons mieux la destruction que la naissance des choses ; on sent d’abord qu’un soleil peut s’éteindre, on a peine à se figurer comment il peut s’allumer. On ne peut dire où étaient renfermés les feux qui brûlent une masse, tout-à-coup embrasée : mais il ne nous est pas permis de tout expliquer. »

(Bailly, Discours sur les corps lumineux.)

(8). PAGE 10, VERS 8.


Vous ravir une sœur qui brillait parmi vous.

La pléiade qu’on prétend avoir disparu, se nommait Électre. « En ce moment (après la prise de Troie) Électre se couvrit d’un voile sombre, et s’ensevelissant dans une éternelle obscurité, elle se sépara pour toujours des autres pléiades, ses sœurs et ses compagnes. En effet, celles-ci se montrent encore en seul groupe aux yeux des mortels ; mais Électre n’est plus aperçue depuis l’affreuse catastrophe qui détruisit la ville fondée par son fils Dardanus. »

(Guerre de Troie, de Quintus de Smyrne, ch. xiii.)


Ovide rapporte la même tradition (Fastes, 1. iv, vers 169.)


Pleiades incipiunt humeros relevare paternos,
Quæ septem dici, sex tamen esse solent.
Seu quod in amplexum sex hinc venere deorum ;
Nam Steropen Marti concubuisse ferunt,
Neptuno Halcyonen, et te formosa Celæno,
Majan et Electram, Taygetenque Jovi ;
Septima mortali Merope tibi, Sisyphe, nupsit :
Pœnitet, et facti sola pudore latet :
Sive quod Electra Trojæ spectare ruinas
Non tulit, ante oculos opposuitque manum.


Voilà deux versions sur la disparition de l’une des pléiades ; mais il y a une tradition plus extraordinaire. Selon Hygin (I. ii de Tauro), Électre, après la prise de Troie, se sépara de ses sœurs, et se retira vers le pôle, dans le désordre d’une femme accablée de douleur et les cheveux épars, ce qui lui a fait donner le surnom de comète. Avienus ajoute que de temps en temps elle se montre encore aux mortels ; selon d’autres, cette étoile (Électre ou Mérope), poursuivie par Orion ou par Canopus, s’était sauvée vers le nord, près de la queue de la grande Ourse, et on lui avait donné les noms de Longodès, de Riphax, de Renard.

Fréret a cherché à expliquer ces fables, en y trouvant la tradition de quelques comètes qui se seraient avancées de la constellation du Taureau, ou de celle d’Orion, vers le nord. Cela est fort possible : mais cela n’explique pas la disparition de la pléiade qui était une étoile. Une comète qui se serait montrée dans ce groupe n’y serait pas restée longtemps, et n’aurait pas pu être prise pour une étoile.

Quant à la tradition qu’on voyait autrefois 7 pléiades, nous ne saurions en douter, car Euripide leur donne dans Iphigénie le nom d’Eptaporos, et les Latins les avaient nommées Septistellium. — Aujourd’hui, à l’aide des lunettes, on voit 64 étoiles.


(9). PAGE 10, VERS 9

Des mondes ont péri dans ces vastes naufrages.

Les philosophes de tous les temps ont pensé que le mouvement étant inhérent à la matière, il devait en résulter pour les objets existants une formation et une destruction alternative inévitable. Lucrèce dit :

Vois-tu tomber ces murs et cette tour altière ?
Ce temple révéré se dissoudre en poussière ?
Ces dômes, ces palais, ces monuments pieux,
Ce marbre où respirait la majesté des dieux,
Des siècles entassés las de subir l’outrage,
Chancellent comme un être appesanti par l’âge :
Ainsi l’astre des jours, les orbes radieux,
Des ravages du temps sont atteints dans les cieux.

(Traduction de M. de Pongerville, Luc. liv. v.)

(10). PAGE 10, VERS 11.


Soit qu’échappé du sein d’un orbe étincelant
Un débris enflammé s’en éloigne en roulant :

C’est l’hypothèse de Buffon. « Ne peut-on pas imaginer avec quelque sorte de vraisemblance, dit-il, qu’une comète tombant sur la surface du soleil, aura déplacé cet astre, et qu’elle en aura séparé quelques petites parties, auxquelles elle aura communiqué un mouvement d’impulsion dans le même sens, et par un même choc ? »

(Théorie de la terre.)

(11). PAGE 10, VERS 13.


Soit, et j’en crois Herschell, que dans son atmosphère
Le soleil ait produit une vapeur légère, etc.

M. Herschell a fait sur les nébuleuses, qui ont été le sujet spécial de ses observations pendant quarante ans, un Mémoire lu à la Société royale de Londre, le 20 juin 1811, et dont l’objet est d’établir cette conjecture, que les nébuleuses pourraient bien être une matière lumineuse diffuse, qui en passant par divers degrés de condensation, formerait des comètes, des planètes, des soleils. On ne considère ici cette idée que dans ses rapports avec l’hypothèse de Buffon sur la formation des planètes. M. de La Place reproduit la conjecture de M. Herschell dans une note qui termine l’Exposition du système du monde, « Comme une hypothèse qui lui paraît résulter avec une grande vraisemblance des phénomènes ; mais il la présente avec cette défiance que doit inspirer tout ce qui n’est pas un résultat de l’observation et du calcul. »


(12). PAGE 11, VERS 1-3.


C’est un soleil nouveau que le monde a vu naître,
Lumineux par lui-même et qui va ne plus l’être,
Mais non solide encore et dans l’immensité, etc.

  « Leibnitz considéra les planètes comme des soleils éteints. Les changements observés dans les étoiles le conduisirent sans doute à cette idée ingénieuse et vraisemblable. Il regarda leur disparition comme la fin de leur incendie. »
          (Bailly, Hist. de l’astr. mod., t. II, discours sur les corps lumineux.)
« Toutes les planètes n’étaient donc alors que des masses de verre liquide, environnées d’une sphère de vapeurs : tant qu’a duré cet état de fusion et même long-temps après, les planètes étaient lumineuses par elles-mêmes, comme le sont tous les corps en incandescence ; mais à mesure que les planètes prenaient de la consistance, elles perdaient de leur lumière. Elles ne devinrent tout-à-fait obscures qu’après s’être consolidées jusqu’au centre. »
               (Buffon, Époques de la nature.)


(13). PAGE 12, VERS 2.

Du feu qui l’embrasa tout garde la mémoire, etc.

  Presque tous les philosophes anciens pensaient que le monde avait été autrefois bouleversé par l’action des eaux et du feu. Lucrèce dit :

Entre les éléments avec force pressé,

Par leurs efforts jaloux le globe est balancé.
Pourtant si nous croyons la fable ingénieuse,
Des ondes et des feux la lutte furieuse
A triomphé jadis du monde infortuné ;
D’un océan de flamme il fut environné,
Lorsque de Phaéton l’imprudente faiblesse
Des coursiers du soleil égara la vitesse.
Ils erraient emportés dans la plaine des airs,
Et des torrents de feux inondaient l’univers.
De l’Olympe bientôt le monarque sévère
Parut, et foudroya l’illustre téméraire.

Apollon remonta sur son char radieux.
De sa main suspendit le grand flambeau des cieux.

Des coursiers écumants la fougue comprimée
A sa voix retrouva la route accoutumée.
Avec ordre épanchant une douce clarté,
Ce dieu rendit le calme au monde épouvanté.
Les nobles fictions n’abusent pas le sage,
Mais de la vérité nous y trouvons l’image.

(Traduction de M. de Pongerville.)


(14). PAGE 12, VERS 8.


Ils sont loin d’égaler le foyer souterrain,
Reste des feux ravis à l’astre souverain.

« On a fait une estimation assez précise de la chaleur qui émane actuellement de la terre et de celle qui lui vient du soleil. On a trouvé, par des observations très-exactes et suivies pendant plusieurs années, que cette chaleur qui émane du globe terrestre est en toute saison 50 fois plus grande que celle qu’il reçoit du soleil.

(15). PAGE 12, VERS 13.


Mais sur le globe enfin les ondes rappelées
D’un continent à l’autre ont rempli les vallées.

« Tant que la surface du globe n’a pas été refroidie au point de permettre à l’eau d’y séjourner sans s’exhaler en vapeurs, toutes nos mers étaient dans l’atmosphère ; elles n’ont pu tomber et s’établir sur la terre, qu’au moment où sa surface s’est trouvée assez attiédie pour ne plus rejeter l’eau par une trop forte ébullition. »
(Buffon, Époques de la nature.)


(16). PAGE 14, VERS 7-12.


Chaque être, chaque monde est borné dans son cours,

Il faudrait s’étonner si tout durait toujours, etc.,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Et si, tout consumant, rien n’était consumé.

L’éternelle durée du monde est une de ces questions que la science ne résoudra jamais. Newton, considérant dans les mouvements des corps célestes des inégalités qu’il croyait destinées à s’accroître, disait que le système finirait par avoir besoin d’une main réparatrice. Mais, dit l’auteur de l’Exposition du système du monde, liv. 5, ch. 6, cet arrangement des planètes ne peut-il pas être lui-même un effet des lois du mouvement, et la suprême intelligence que Newton fait intervenir ne peut-elle pas l’avoir fait dépendre d’un phénomène plus général ? Tel est, suivant nos conjectures, celui d’une matière nébuleuse, éparse en amas divers dans l’immensité des cieux. Peut-on encore affirmer que la conservation du système planétaire entre dans les vues de l’auteur de la nature ? L’attraction mutuelle des corps de ce système ne peut pas en altérer la stabilité, comme Newton le suppose ; mais n’y eût-il dans l’espace céleste d’autre fluide que la lumière, la résistance et la diminution que son émanation produit dans la masse du soleil doivent à la longue détruire l’arrangement des planètes, et pour le maintenir, une réforme deviendrait sans doute nécessaire. Mais tant d’espèces d’animaux éteintes, dont M. Cuvier a su reconnaître avec une rare sagacité l’organisation dans les nombreux ossements fossiles qu’il a décrits, n’indiquent-elles pas dans la nature une tendance à changer les choses, même les plus fixes en apparence ? La grandeur et l’importance du système solaire ne doivent point le faire excepter de cette loi générale, car elles sont relatives à notre petitesse, et ce système, tout vaste qu’il nous semble, n’est qu’un point insensible dans l’univers.

(17). PAGE 15, VERS 18.


La nature est la loi qu’il a donnée au monde.

Naturam vero appello legem Omnipotentis

Supremique patris, quam primâ ab origine mundi
Cunctis imposuit rebus, jussitque teneri
Inviolabiliter, dum mundi secla manerent.

(Marcel Palingen, Zodiaq. de la vie, liv. II.)


(18). PAGE 17, VERS 2.


Suivant sa densité, dans l’immense étendue
Chacune s’arrêtant, demeura suspendue.

Sed cum septeni certâ sub lege planetæ

Perpetuâ medium lustrent vertigine solem,
Vorticis a centro non æquo limite distant.
Illi, quos crustæ moles onerosior ambit,
Vorticis extremas longe jaculantur ad oras ;
Quique minus solidà conflantur mole planetæ,
Exiguum peragunt multo velocius orbem,
Et centro solis gyro propiore rotantur.

 (Le Monde de Descartes, par le P. Ducouedic, jésuite.)


  « Képler avança que la différence des révolutions des planètes démontrait la différence de leur densité. Il établit que le soleil est de tous les corps le plus dense : ceux qui le sont le plus après lui sont rangés le plus près de lui. Képler compare Saturne au diamant, Jupiter à l’aimant, Mars au
fer, la Terre à l’argent, Vénus au plomb, Mercure au vif-argent,
et le soleil, qui est le plus lourd, et, selon lui, le plus dense des astres, à l’or, le plus pesant comme le plus précieux des métaux. Cet ordre de densité des planètes est presque le véritable. Les planètes les plus éloignées sont celles
qui renferment le moins de matière, relativement à leur volume. Le soleil, que Képler croyait le plus dense, est le seul qui s’écarte de la règle qu’il ose lui prescrire. »
           (Bailly, Hist. de l’astr. mod., t. II, liv. II.)

« Les planètes voisines du soleil sont les plus denses ;

celles qui en sont les plus éloignées sont en même temps les plus légères. »
                        (Buffon, Époques de la nature.)
 
  Si l’on veut connaître comment on est parvenu à découvrir les rapports de densité entre les planètes, on peut consulter l’Étude du ciel de Joseph Mollet, chap. 12, et l’Exposition du système du monde de M. de La Place, liv. 4, chap. 3.
  Voici la table des densités que nous a donnée M. Francœur, dans son Uranographie, la densité de la terre étant 1 :

Mercure………… 2,879646.
Vénus…………… 1,047010.
La Terre………… 1,000000.
Mars…………..... 0,930736.
Jupiter………….. 0,241190.
Saturne………… 0,095684.
Uranus…………. 0,020802.


(19). PAGE 17, VERS 14.


La terre est refroidie, et peut-être la glace
De la pâle Phœbé couvre déja la face.

   « Les grosses planètes, telles que Jupiter et Saturne, sont encore brûlantes ; l’excès de la chaleur ne permet pas l’habitation. Les petites, telle que la lune, ont tout perdu ; le refroidissement est consommé : elles sont dans un état de glace et de mort. La terre, avec sa grandeur moyenne, avec les secours du soleil, jouit de cette heureuse température
qui rend habitable le plus grand nombre de ses climats. Ses pôles seuls, abandonnés du soleil, sont inhabités, circonscrits et fermés par une zone de glaces, qui s’étend et s’avance lentement sur le globe, en lui annonçant sa destinée. »
                           (Bailly, Hist. de l’astr. mod., discours sur les corps lumineux.)


(20). PAGE 17, VERS 18.


Naît, croît, vit un moment, et s’éteint pour renaître.

Cette idée philosophique rappelle ces vers de Lucrèce :

Si des airs et du feu, de l’onde et de la terre
L’essence avec lenteur croît, s’augmente et s’altère,
Le monde, leur ouvrage, est soumis à leur sort,
Il reçut la naissance, il subira la mort.
(Traduction de M. De Pongerville.)

(21). PAGE 18, VERS 14.


Vingt fois ils franchiraient l’axe de notre monde.

La plus grande distance du soleil à la terre est de 34,934,736 lieues, la moindre de 33,780,210 ; la distance moyenne de 34,357,473 : la lumière parcourt cet espace en 8 minutes 13 secondes 2 tierces. La circonférence de la terre est de 9,000 lieues, et son diamètre de 2,864 ; ainsi la lumière parcourt en une seconde une ligne à peu près égale à 26 fois ce diamètre.


(22). PAGE 22, VERS 15.


Armé de ton secteur....

Le secteur est un instrument composé de deux miroirs placés sur un arc qui forme la 6e partie de la circonférence, c’est de là que lui vient son nom. On s’en sert beaucoup pour les observations astronomiques faites à bord d’un vaisseau, parce que l’exactitude des résultats qu’il donne n’est pas altérée par la mobilité du lieu sur lequel on se trouve. Il indique la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon ; on en conclut le point que l’on occupe sur le globe, et par suite le chemin qu’on doit suivre.
(23). PAGE 26, VERS 2.

Il saura d’un œil ferme attendre les comètes.

Jacques Bernouilli annonça en 1680 que la comète qu’on venait d’observer reparaîtrait en 1719 le 17 mai, dans le 1er degré 12′ de la Balance. L’assurance avec laquelle il faisait cette prédiction scandalisa quelques esprits, et on lui fit sentir combien son assertion était malsonnante ; car, si la marche des comètes était réglée, l’apparition de ces astres ne serait plus un signe de la colère du ciel. Cette objection l’ébranla, et il s’en tira par une distinction : il persista à soutenir que le corps de la comète avait une marche réglée, mais il avoua que la queue pouvait bien être un signe de la colère céleste, et qu’aussi cette queue n’était qu’accidentelle. « Tant il fallait encore, dit Fontenelle, avoir de ménagements pour cette opinion populaire, il y a 25 ans ; maintenant on est dispensé de cet égard, c’est-à-dire que le gros du monde est guéri sur le fait des comètes, et que les fruits de la saine philosophie se sont répandus de proche en proche ; il serait assez bon, ajoute-t-il, de marquer, quand on pourrait, l’époque de la fin des erreurs qu’elle a détruites. »

(24). PAGE 26, VERS 15.

Un seul de tes regards, traversant ton empire,
Porta l’intelligence aux mortels imparfaits.

Le soleil, chez les anciens, était l’ame, l’intelligence du monde. (Voy. Pline, liv. II, ch. VI.)