L’enquête du diplomate
PETITES JOIES
L’ENQUÊTE DU DIPLOMATE
Une cour.
Le diplomate. — Ainsi, ce sont ces jolies chambrettes si spacieuses et si bien aérées que nous venons de quitter qu’ils appellent leurs cachots ! Les appétissantes salaisons qui embaument à l’office leur sont destinées ! Et ils osent se plaindre ?…
Le directeur de la forteresse. — Ils ont toutes les audaces !… Ah ! il y a bien des gens qui voudraient avoir, comme eux, de la morue à discrétion. Moi-même, je suis loin d’en manger à tous mes repas… de la morue !… Et encore plus de boire du Porto…
Le diplomate. — Du Porto ? Ils boivent du Porto ?… Et leurs journaux prétendent qu’un jour, l’un d’eux, mourant de soif, but le pétrole de sa lampe !
Le directeur — Oh ! C’est très possible ! Ces gens-là ont le génie du mal !… Le pétrole, d’ailleurs, est de première qualité !
Le diplomate. — C’est inouï ! (Apercevant divers instruments de torture.) À quoi donc servent ces appareils… dans ce coin ?
Le directeur. — Ce sont des jeux pour distraire les détenus… Ceci, tenez, c’est un casque… un jeu tout nouveau… breveté avec garantie du gouvernement, s’il vous plaît ! On les gâte…
Le diplomate. — Tiens ! une corde à nœuds…
Le directeur. — Ils adorent la gymnastique.
Le diplomate. — Voici, je crois, une petite forge ?
Le directeur. — Elle leur sert à faire rougir les barres de fer que vous voyez là-bas… Ils ont la manie d’allumer leurs cigares avec.
Le diplomate. — Voilà une habitude bien curieuse !… Que font-ils de ces pinces ?
Le directeur. — Il les ont demandées pour se faire les ongles…
Le diplomate. — Ah ! des cordes de guitare !…
Le directeur. — Il y en a qui sont musiciens… fort bons musiciens !…
(On entend un cri déchirant.)
Le directeur. — Tenez, en voici un qui chante…
(Des hurlements horribles s’échappent d’un soupirail.)
Le directeur. — Bon ! les voilà qui font enrager leurs gardiens !… Oh !…
Le diplomate. — Allons, je vois bien que tout ce qu’on m’a dit est faux. Mais pourquoi traiter si bien des bandits pareils ?
Le directeur. — C’est une tactique… Quand on soupçonne un individu d’anarchisme, on va lui proposer le marché suivant : rester libre et pauvre ou venir ici et jouir de tout le confort désirable.
Le diplomate. — Ils préfèrent perdre leur liberté ?
Le directeur. — Parbleu !… Et le pays est débarrassé ! C’est simple ! Malheureusement ce moyen humanitaire est aujourd’hui trop connu !… Tous les « sans-le-sou » se disent anarchistes pour goûter aux joies de la prison… L’étranger donne aussi, malgré les expulsions !… Toujours la concurrence !
Le diplomate. — Alors traitez-les moins bien…
Le directeur. — C’est ce que nous commençons de faire… Ainsi, l’autre matin, nous nous sommes vus obligés d’en fusiller cinq !