L’esclavage en Afrique/Chapitre XII

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CHAPITRE XII

Acte Général De La Conférence De Bruxelles.


Au nom de Dieu Tout-Puissant,

Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, roi de Prusse ; Sa Majesté l’Empereur d’Autriche, roi de Bohème, etc. et roi apostolique de Hongrie ; Sa Majesté le roi des Belges ; Sa Majesté le roi de Danemark ; Sa Majesté le roi d’Espagne, et en son nom la reine régente du royaume ; Sa Majesté le roi souverain de l’Etat Indépendant du Congo ; le Président des Etats-Unis d’Amérique ; le Président de la République Française : Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes ; Sa Majesté le roi d’Italie ; Sa Majesté le roi des PaysBas, grand-duc de Luxembourg, etc. ; Sa Majesté le Schah de Perse ; Sa Majesté le roi de Portugal et des Algarves, etc. ; etc. ; Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies ; Sa Majesté le roi de Suède et de Norwège, etc. ; Sa Majesté l’Empereur des Ottomans et Sa Hautesse le Sultan de Zanzibar ;

Egalement animés de la ferme volonté de mettre un terme aux crimes et aux dévastations qu’engendre la traite des esclaves Africains, de protéger efficacement les populations aborigènes de l’Afrique, et d’assurer à ce vaste continent les bienfaits de la paix et de la civilisation ;

Voulant donner une sanction nouvelle aux décisions déjà prises dans le même sens et à diverses époques par les puissances, compléter les résultats qu’elles ont obtenus et arrêter un ensemble de mesures qui garantissent l’accomplissement de l’œuvre qui fait l’objet de leur commune sollicitude ;

Ont résolu, sur l’invitation qui leur a été adressée par le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, d’accord avec le gouvernement de Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes, de réunir à cet effet une conférence à Bruxelles, et ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir :

Sa Majesté l’empereur d’Allemagne, roi de Prusse :

Les sieurs, etc., etc.

Lesquels, munis de pleins pouvoirs qui ont été trouvés en bonne et due forme, ont adopté les dispositions suivantes :


CHAPITRE Ier

Pays de traite. — Mesures à prendre aux lieux d’origine.

Article 1er. — Les puissances déclarent que les moyens les plus efficaces pour combattre la traite à l’intérieur de l’Afrique sont les suivants :

1° Organisation progressive des services administratifs, judiciaires, religieux et militaires dans les territoires d’Afrique placés sous la souveraineté ou le protectorat des nations civilisées ;

2° Etablissement graduel, à l’intérieur, par les puissances de qui relèvent les territoires, de stations fortement occupées, de manière que leur action protectrice ou répressive puisse se faire sentir avec efficacité dans les territoires dévastes par les chasses à l’homme ;

3° Construction de routes et notamment de voies ferrées reliant les stations avancées à la côte et permettant d’accéder aisément aux eaux intérieures et sur le cours supérieur des fleuves et rivières qui seraient coupés par des rapides et des cataractes, en vue de substituer des moyens économiques et accélérés de transport au portage actuel par l’homme :

4° Installation de bateaux à vapeur sur les eaux intérieures navigables et sur les lacs, avec l’appui de postes fortifiés établis sur les rives ;

5° Etablissement de lignes télégraphiques assurant la communication des postes et des stations avec la côte et les centres d’administrations ;

6° Organisation d’expéditions et de colonnes mobiles, qui maintiennent les communications des stations entre elles et avec la côte, en appuient l’action répressive et assurent la sécurité des routes de parcours ;

7° Restriction de l’importation des armes à feu, au moins des armes perfectionnées, et des munitions dans toute l’étendue des territoires atteints par le traité ;

Art. 2. — Les stations, les croisières intérieures organisées par chaque puissance dans ses eaux et les postes qui leur servent de port d’attache, indépendamment de leur mission principale, qui sera d’empêcher la capture d’esclaves et d’intercepter les routes de la traite, auront pour tâche subsidiaire :

1° De servir de point d’appui et au besoin de refuge aux populations indigènes placées sous la souveraineté ou le protectorat de l’Etat de qui relève la station, aux populations indépendantes, et temporairement à toutes autres en cas de danger imminent ; de mettre les populations de la première de ces catégories à même de concourir à leur propre défense, de diminuer les guerres intestines entre les tribus par la voie de l’arbitrage ; de les initier aux travaux agricoles et aux arts professionnels, de façon à accroître leur bien-être, à les élever à la civilisation par l’extinction des coutumes barbares, telles que le cannibalisme et les sacrifices humains ;

2° De prêter aide et protection aux entreprises du commerce, d’en surveiller la légalité en contrôlant notamment les contrats de service avec les indigènes et de préparer la fondation de centres de culture permanents et d’établissements commerciaux ;

3° De protéger, sans distinction de culte, les missions établies ou à établir ;

4° De pourvoir au service sanitaire et d’accorder l’hospitalité et des secours aux explorateurs et à tous ceux qui participent en Afrique à l’œuvre de répression de la traite.

Art. 3. — Les puissances qui exercent une souveraineté ou un protectorat en Afrique, confirmant et précisant leurs déclarations antérieures, s’engagent à poursuivre graduellement, suivant que les circonstances le permettront, soit par les moyens indiqués ci-dessus, soit par tous autres qui leur paraîtront convenables, la répression de la traite, chacune dans ses possessions respectives et sous sa direction propre. Toutes les fois qu’elles le jugeront possible, elles prêteront leurs bons offices aux puissances qui, dans un but purement humanitaire, accompliraient en Afrique une mission analogue.

Art. 4. — Les puissances exerçant des pouvoirs souverains ou des protectorats en Afrique, pourront toutefois déléguer à des compagnies munies de chartes, tout ou partie des engagements qu’elles assument en vertu de l’article 3. Elles demeureront néanmoins directement responsables des engagements qu’elles contractent par le présent Acte général et en garantissent l’exécution.

Les puissances promettent accueil, aide et protection aux associations nationales et aux initiatives individuelles qui voudraient coopérer, dans leurs possessions, à la répression de la traite, sous la réserve de leur autorisation préalable et révocable en tout temps, de leur direction et contrôle et à l’exclusion de tout exercice de la souveraineté.

Art. 5. — Les puissances contractantes s’obligent, à moins qu’il n’y soit pourvu déjà par des lois conformes à l’esprit du présent article, à édicter ou à proposer à leurs législatures respectives, dans le délai d’un an, au plus tard, à partir de la date de la signature du présent Acte général, une loi rendant applicables, d’une part, les dispositions de leur législation pénale qui concernent les attentats envers les personnes, aux organisateurs et aux coopérateurs des chasses à l’homme, aux auteurs de la mutilation des adultes et des enfants mâles et à tous individus participant à la capture des esclaves par violence ; et d’autre part, les dispositions qui concernent les attentats à la liberté individuelle, aux convoyeurs, transporteurs et marchands d’esclaves.

Les co-auteurs et complices des diverses catégories spécifiées ci-dessus, les capteurs et trafiquants d’esclaves, seront punis de peines proportionnées à celles encourues par les auteurs.

Les coupables, qui se seraient soustraits à la juridictions des autorités où les crimes ou délits auraient été commis, seront mis en arrestation soit sur communication des pièces de l’instruction de la part des autorités qui ont constaté les infractions, soit sur toute autre preuve de culpabilité, par les soins de la puissance sur le territoire de laquelle ils auront été découverts, et tenus sans autre formalité, à la disposition des tribunaux compétents pour les juger.

Les puissances se communiqueront, dans le plus bref délai possible, les lois et décrets existants ou promulgués en exécution du présent article.

Art. 6. — Les esclaves libérés, à la suite de l’arrestation ou de la dispersion d’un convoi, à l’intérieur du continent, seront renvoyés, si les circonstances le permettent, dans leur pays d’origine ; sinon l’autorité locale leur facilitera, autant que possible, les moyens de vivre, et, s’ils le désirent, de se fixer dans la contrée.

Art. 7. — Tout esclave fugitif qui, sur le continent, réclamera la protection des puissances signataires, devra l’obtenir et sera reçu dans les camps et stations officiellement établis par elles ou à bord des bâtiments de l’Etat naviguant sur les lacs et rivières. Les stations et les bateaux privés ne sont admis à exercer le droit d’asile que sous la réserve du consentement préalable de l’Etat.

Art. 8. — L’expérience de toutes les nations qui ont des rapports avec l’Afrique ayant démontré le rôle pernicieux et prépondérant des armes à feu dans les opérations de la traite et dans les guerres intestines entre les tribus indigènes, et cette même expérience ayant prouvé manifestement que la conservation des populations africaines, dont les puissances ont la volonté expresse de sauvegarder l’existence, est une impossibilité radicale si des mesures restrictives du commerce des armes à feu et des munitions ne sont établies, les puissances décident, pour autant que le permet l’état actuel de leurs frontières, que l’importation des armes à feu et spécialement des armes rayées et perfectionnées, ainsi que de la poudre, des balles et des cartouches, est, sauf dans les cas et sous les conditions prévus dans l’article suivant, interdite dans les territoires compris entre le 20e parallèle nord et le 22e parallèle sud et aboutissant vers l’ouest à l’Océan Atlantique, vers l’est à l’Océan Indien et ses dépendances, y compris les îles adjacentes au littoral jusqu’à 400 milles marins de la côte.

Art. 9. — L’introduction des armes à feu et de leurs munitions, lorsqu’il y aura lieu de l’autoriser dans les possessions des puissances signataires qui exercent des droits de souveraineté ou de protectorat en Afrique, sera réglée, à moins qu’un régime identique ou plus rigoureux n’y soit déjà appliqué, de la manière suivante, dans la zone déterminée par l’article 8.

Toutes armes à feu importées devront être déposées, aux frais, risques et périls des importateurs, dans un entrepôt public placé sous le contrôle de l’administration de l'Etat. Aucune sortie d’armes à feu ni de munitions importées ne pourra avoir lieu des entrepôts sans l’autorisation préalable de l’administration. Cette autorisation, sauf les cas spécifiés ci-après, sera refusée pour la sortie de toutes armes de précision telles que fusils rayés, à magasin, ou se chargeant par la culasse, entières ou en pièces détachées, de leurs cartouches, des capsules ou d’autres munitions destinées à les approvisionner.

Dans les ports de mer et sous les conditions offrant les garanties nécessaires, les gouvernements respectifs pourront admettre aussi les entrepôts particuliers, mais seulement pour la poudre ordinaire et les fusils à silex et à l’exclusion des armes perfectionnées et de leurs munitions.

Indépendamment des mesures prises directement par les gouvernements pour l’armement de la force publique et l’organisation de leur défense, des exceptions pourront être admises, à titre individuel, pour des personnes offrant une garantie suffisante que l’arme et les munitions qui leur seraient délivrées ne seront pas données, cédées ou vendues à des tiers, et pour les voyageurs munis d’une déclaration de leur gouvernement constatant que l’arme et ses munitions sont exclusivement destinées à leur défense personnelle.

Toute arme, dans les cas prévus par le paragraphe précédent, sera enregistrée et marquée par l’autorité préposée au contrôle, qui délivrera aux personnes dont il s’agit des permis de port d’armes, indiquant le nom du porteur et l’estampille de laquelle l’arme est marquée. Ces permis, révocables en cas d’abus constaté, ne seront délivrés que pour cinq ans, mais pourront être renouvelés.


La règle ci-dessus établie de l’entrée en dépôt s’appliquera également à la poudre.

Ne pourront être retirés des entrepôts pour être mis en vente que les fusils à silex non rayés, ainsi que les poudres communes dites de traite. A chaque sortie d’armes et de munitions de cette nature destinées à la vente, les autorités locales détermineront les régions où ces armes et munitions pourront être vendues. Les régions atteintes par la traite seront toujours exclues. Les personnes autorisées à faire sortir des armes ou de la poudre s’obligeront à présenter, tous les six mois, à l’administration, des listes détaillées indiquant les destinations qu’ont reçues lesdites armes à feu et les poudres déjà vendues, ainsi que les quantités qui restent en magasin.

Art. 10. — Les gouvernements prendront toutes les mesures qu’ils jugeront nécessaires pour assurer l’exécution aussi complète que possible des dispositions relatives à l’importation, à la vente et au transport des armes à feu et des munitions, ainsi que pour en empêcher soit l’entrée et la sortie par leurs frontières intérieures, soit le passage sur les régions où la traite sévit.

L’autorisation de transit ne pourra être refusée, dans les limites de la zone spécifiée, lorsque les armes et munitions doivent passer à travers le territoire d’une puissance signataire ou adhérente, à moins que cette dernière puissance n’ait un accès direct à la mer par son propre territoire. Si cet accès était complètement interrompu, l’autorisation de transit ne pourra non plus être refusée. Toute demande de transit doit être accompagnée d’une déclaration émanée du gouvernement de la puissance ayant des possessions à l’intérieur et certifiant que les dites armes et munitions ne sont pas destinées à la vente mais à l’usage des autorités de la puissance ou de la force militaire nécessaire pour la protection des stations de missionnaires ou de commerce ou bien des personnes désignées nominativement dans la déclaration. Toutefois, la puissance territoriale de la côte se réserve le droit d’arrêter, exceptionnellement et provisoirement, le transit des armes et des munitions à travers son territoire, si, par suite de troubles à l’intérieur ou d’autres graves dangers, il y avait lieu de craindre que l’envoi des armes et munitions, ne pût compromettre sa propre sécurité[1].

Art. 11. — Les puissances se communiqueront les renseignements relatifs au trafic des armes à feu et des munitions, aux permis accordés ainsi qu’aux mesures de répression appliquées dans leurs territoires respectifs.

Art. 12. — Les puissances s’engagent à adopter ou à proposer à leurs législatures respectives, les mesures nécessaires afin que les contrevenants aux défenses établies par les articles 8 et 9 soient partout punis ainsi que leurs complices, outre la saisie et la confiscation des armes et des munitions prohibées, soit de l’amende, soit de l’emprisonnement, soit de ces deux peines réunies, proportionnellement à l’importance de l’infraction et suivant la gravité de chaque cas.

Art. 13. — Les puissances signataires qui ont en Afrique des possessions en contact avec la zone spécifiée à l’article 8, s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’introduction des armes à feu et des munitions, par leurs frontières intérieures, dans les régions de ladite zone, tout au moins celle des armes perfectionnées et des cartouches.

Art. 14. — Le régime stipulé aux articles 8 à 13 inclusivement restera en vigueur pendant douze ans. Dans le cas où aucune des parties contractantes n’aurait, douze mois avant l’expiration de cette période, notifié son intention d’en faire cesser les effets, ni demandé la révision, il continuera de rester obligatoire pendant deux ans, et ainsi de suite de deux en deux ans.

CHAPITRE II

Routes des caravanes et transports d’esclaves par terre[2].

Art. 15. — Indépendamment de leur action répressive et protectrice aux foyers de la traite, les stations, croisières et postes dont l’établissement est prévu à l’article 2 et toutes autres stations établies ou reconnues aux termes de l’article 4 par chaque gouvernement dans ses possessions, auront en outre pour mission de surveiller, autant que les circonstances le permettront, et au fur et à mesure du progrès de leur organisation administrative, les routes suivies sur leur territoire par les trafiquants d’esclaves, d’y arrêter les convois en marche ou de les poursuivre partout où leur action pourra s’exercer légalement.

Art. 16. — Dans les régions du littoral connues comme servant de lieux habituels de passage ou de points d’aboutissement aux transports d’esclaves venant de l’intérieur, ainsi qu’aux points de croisement des principales routes de caravanes traversant la zone voisine de la côte déjà soumise à l’action des puissances souveraines ou protectrices, des postes seront établis dans les conditions et sous les réserves mentionnées à l’article 3, par les autorités dont relèvent les territoires, à l’effet d’intercepter les convois et de libérer les esclaves.

Art. 17. — Une surveillance rigoureuse sera organisée par les autorités locales dans les ports et les contrées avoisinant la côte, à l’effet d’empêcher la mise en vente et l’embarquement des esclaves amenés de l’intérieur, ainsi que la formation de bandes de chasseurs à l’homme et de marchands d’esclaves.

Les caravanes débouchant à la côte ou dans son voisinage, ainsi que celles aboutissant à l’intérieur dans une localité occupée par les autorités de la puissance territoriale, seront, dès leur arrivée, soumises à un contrôle minutieux quant à la composition de leur personnel. Tout individu qui serait reconnu avoir été capturé et enlevé de force ou mutilé, soit dans son pays natal, soit en route, sera mis en liberté.

Art. 18. — Dans les possessions de chacune des puissances contractantes, l’administration aura le devoir de protéger les esclaves libérés, de les rapatrier, si c’est possible, de leur procurer des moyens d’existence et de pourvoir, en particulier, à l’éducation et à l’établissement des enfants délaissés.

Art. 19. — Les dispositions pénales prévues à l’article 5 seront rendues applicables à tous les actes criminels et délictueux accomplis au cours des opérations qui ont pour objet le transport et le trafic des esclaves par terre, à quelque moment que ces actes soient constatés.

Tout individu qui aurait encouru une pénalité à raison d’une infraction prévue par le présent Acte général, sera soumis à l’obligation de fournir un cautionnement avant de pouvoir entreprendre une opération commerciale dans les pays où se pratique la traite.

CHAPITRE III

Répression de la traite sur mer.

§ I. — dispositions générales

Art. 20. — Les puissances signataires reconnaissent l’opportunité de prendre d’un commun accord des dispositions ayant pour objet d’assurer plus efficacement la répression de la traite dans la zone maritime où elle existe encore.

Art. 21. — Cette zone s’étend entre, d’une part, les côtes de l’Océan Indien (y compris le golfe Persique et la mer Rouge) depuis le Bélouchistan jusqu’à la pointe de Tangalane (Quilimane) et, d’autre part, une ligne conventionnelle qui suit d’abord le méridien de Tangalane jusqu’au point de rencontre avec le 26° de latitude sud, se confond ensuite avec ce parallèle, puis contourne l’île de Madagascar par l’est en se tenant à 20 milles de la côte orientale et septentrionale, jusqu’à son intersection avec le méridien du cap d’Ambre. De ce point, la limite de la zone est déterminée par une ligne oblique qui va rejoindre la côte du Bélouchistan, en passant à 20 milles au large du cap Raz-el-Had.

Art. 22. — Les puissances signataires du présent Acte général, entre lesquelles il existe des conventions particulières pour la suppression de la traite, se sont mises d’accord pour restreindre les clauses de ces conventions concernant le droit réciproque de visite, de recherche et de saisie des navires de mer, à la zone susdite.

Art. 23. — Les mêmes puissances sont également d’accord pour limiter le droit susmentionné aux navires d’un tonnage inférieur à 500 tonneaux.

Cette stipulation sera révisée dès que l’expérience en aura démontré la nécessité.

Art. 24. — Toutes les autres dispositions des conventions conclues entre lesdites puissances pour la suppression de la traite restent en vigueur pour autant qu’elles ne seront pas modifiées par le présent Acte général.

Art. 25. — Les puissances signataires s’engagent à prendre des mesures efficaces pour prévenir l’usurpation de leur pavillon et pour empêcher le transport des esclaves sur les bâtiments autorisés à arborer leurs couleurs.

Art. 26. — Les puissances signataires s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter le prompt échange de renseignements propres à amener la découverte des personnes qui se livrent aux opérations de la traite.

Art. 27. — Un bureau international au moins sera crée ; il sera établi à Zanzibar. Les hautes parties contractantes s’engagent à lui faire parvenir tous les documents spécifiés à l’article 41, ainsi que les renseignements de toute nature susceptibles d’aider à la répression de la traite.

Art. 28. — Tout esclave qui se sera réfugié à bord d’un navire de guerre sous pavillon d’une des puissances signataires sera immédiatement et définitivement affranchi, sans que cet affranchissement puisse le soustraire à la juridiction compétente s’il a commis un crime ou délit de droit commun.

Art. 29. — Tout esclave retenu contre son gré à bord d’un bâtiment indigène aura le droit de réclamer sa liberté.

Son affranchissement pourra être prononcé par tout agent des puissances signataires, à qui le présent Acte général donne le droit de contrôler l’état des personnes à bord des dits bâtiments, sans que cet affranchissement puisse le soustraire à la juridiction compétente, si un crime ou délit de droit commun a été commis par lui.

§ II. — règlement concernant l’usage du pavillon et la surveillance des croiseurs
1. — Règles pour la concession du pavillon aux bâtiments indigènes, le rôle de l’équipage et le manifeste des passagers noirs.

Art. 30. — Les puissances signataires s’engagent à exercer une surveillance rigoureuse sur les bâtiments indigènes autorisés à porter leur pavillon dans la zone indiquée à l’article 21, et sur les opérations commerciales effectuées par ces bâtiments.

Art. 31. — La qualification de bâtiment indigène s’applique aux navires qui remplissent une des deux conditions suivantes :

1o Présenter les signes extérieurs d’une construction ou d’un gréement indigène ;

2o Etre monté par un équipage dont le capitaine et la majorité des matelots soient originaires d’un des pays baignés par les eaux de l’Océan Indien, de la mer Rouge ou du golfe Persique.

Art. 32. — L’autorisation d’arborer le pavillon d’une des susdites puissances ne sera accordée à l’avenir qu’aux bâtiments indigènes qui satisferont à la fois aux trois conditions suivantes :

1o Les armateurs ou propriétaires devront être sujets ou protégés de la puissance dont ils demandent à porter les couleurs ;

2o Ils seront tenus d’établir qu’ils possèdent des biens-fonds dans la circonscription de l’autorité à qui est adressée leur demande ou de fournir une caution solvable pour la garantie des amendes qui pourraient être éventuellement encourues ;

3o Lesdits armateurs ou propriétaires, ainsi que le capitaine du bâtiment, devront fournir la preuve qu’ils jouissent d’une bonne réputation et notamment n’avoir jamais été l’objet d’une condamnation pour faits de traite.

Art. 33. — L’autorisation accordée doit être renouvelée chaque année. Elle pourra toujours être suspendue ou retirée par les autorités de la puissance dont le bâtiment porte les couleurs.

Art 34. — L’acte d’autorisation portera les indications nécessaires pour établir l’identité du navire. Le capitaine en sera détenteur. Le nom du bâtiment indigène et l’indication de son tonnage devront être incrustés et peints en caractères latins à la proue ; et la ou les lettres initiales de son port d’attache, ainsi que le numéro d’enregistrement dans la série des numéros de ce port, seront imprimés en noir sur les voiles.

Art 35. — Un rôle d’équipage sera délivré au capitaine du bâtiment au port de départ par l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon. Il sera renouvelé à chaque armement du bâtiment ou, plus tard, au bout d’une année, et conformément aux dispositions suivantes :

1° Le rôle sera, au moment du départ, visé par l’autorité qui l’a délivré ;

2* Aucun noir ne pourra être engagé comme matelot sur un bâtiment sans qu’il ait été préalablement interrogé par l’autorité de la puissance dont ce bâtiment porte le pavillon ou, à défaut de celle-ci, par l’autorité territoriale, à l’effet d’établir qu’il contracte un engagement libre ;

3° Cette autorité tiendra la main à ce que la proportion des matelots ou mousses ne soit pas anormale par rapport au tonnage ou au gréement des bâtiments ;

4° L’autorité qui aura interrogé les hommes préalablement à leur départ, les inscrira sur le rôle d’équipage, où ils figureront avec le signalement sommaire de chacun d’eux en regard de son nom ;

5° Afin d’empêcher plus sûrement les substitutions, les matelots pourront, en outre, être pourvus d’une marque distinctive.

Art. 36. — Lorsque le capitaine d’un bâtiment désirera embarquer des passagers noirs, il devra en faire la déclaration à l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon ou à défaut de celle-ci à l’autorité territoriale. Les passagers seront interrogés et, quand il aura été constaté qu’ils s’embarquent librement, ils seront inscrits sur un manifeste spécial donnant le signalement de chacun d’eux en regard de son nom, et indiquant notamment le sexe et la taille. Les enfants noirs ne pourront être admis comme passagers qu’autant qu’ils seront accompagnés de leurs parents ou de personnes dont l’honorabilité serait notoire. Au départ, le manifeste des passagers sera visé par l’autorité indiquée ci-dessus, après qu’il aura été procédé à un appel. S’il n’y a pas de passagers à bord, mention expresse en sera faite sur le rôle d’équipage.

Art. 37. — A l’arrivée dans tout port de relâche ou de destination, le capitaine du bâtiment produira devant l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon ou, à défaut de celle-ci, devant l’autorité territoriale, le rôle d’équipage et, s’il y a lieu, les manifestes de passagers antérieurement délivrés. L’autorité contrôlera les passagers arrivés à destination ou s’arrêtant dans un port de relâche, et fera mention de leur débarquement sur le manifeste. Au départ, la même autorité apposera de nouveau son visa au rôle et au manifeste, et fera l’appel des passagers.

Art. 38. — Sur le littoral africain et dans les îles adjacentes, aucun passager noir ne sera embarqué à bord d’un bâtiment indigène en dehors des localités où réside une autorité relevant d’une des puissances signataires.

Dans toute l’étendue de la zone prévue à l’article 21, aucun passager noir ne pourra être débarqué d’un bâtiment indigène hors d’une localité où réside une autorité relevant d’une des hautes parties contractantes et sans que cette autorité assiste au débarquement.

Les cas de force majeure qui auraient déterminé l’infraction à ces dispositions, devront être examinés par l’autorité de la puissance dont le bâtiment porte les couleurs, ou, à défaut de celle-ci, par l’autorité territoriale du port dans lequel le bâtiment inculpé fera relâche.

Art. 39. — Les prescriptions des articles 35, 36, 37 et 38 ne sont pas applicables aux bateaux non pontés entièrement, ayant un maximum de dix hommes d’équipage et qui satisferont à l’une des deux conditions suivantes :

1° S’adonner exclusivement à la pêche dans les eaux territoriales ;

2° Se livrer au petit cabotage entre les différents ports de la même puissance territoriale, sans s’éloigner de la côte à plus de cinq milles.

Ces différents bateaux recevront, suivant les cas, de l’autorité territoriale ou de l’autorité consulaire, une licence spéciale renouvelable chaque année et révocable dans les conditions prévues à l’article 40, et dont le modèle uniforme, annexé au présent Acte général, sera communiqué au Bureau international de renseignements.

Art. 40. — Tout acte ou tentative de traite, légalement constaté à la charge du capitaine, armateur ou propriétaire d’un bâtiment autorisé à porter le pavillon d’une des puissances signataires ou ayant obtenu la licence prévue à l’article 39, entraînera le retrait immédiat de cette autorisation ou de cette licence. Toutes les infractions aux prescriptions du paragraphe 2 du chapitre 3 seront punies, en outre, des pénalités édictées par les lois et ordonnances spéciales à chacune des puissances contractantes.

Art. 41. — Les puissances signataires s’engagent à déposer au Bureau international de renseignements les modèles-types des documents ci-après :

1° Titre autorisant le port du pavillon ;

2° Rôle d’équipage ;

3° Manifeste des passagers noirs.

Ces documents, dont la teneur peut varier suivant les règlements propres à chaque pays, devront renfermer obligatoirement les renseignements suivants, libellés dans une langue européenne :

I. En ce qui concerne l’autorisation de porter le pavillon :

a. Le nom, le tonnage, le gréement et les dimensions principales du bâtiment ;

b. Le numéro d’inscription et la lettre signalétique du port d’attache ;

c. La date de l’obtention du permis et la qualité du fonctionnaire qui l’a délivré.

II. En ce qui concerne le rôle d’équipage :

a. Le nom du bâtiment, du capitaine et de l’armateur ou des propriétaires ;

b. Le tonnage du bâtiment ;

c. Le numéro d’inscription et le port d’attache du navire, sa destination, ainsi que les renseignements spécifiés à l’article 25.

III. En ce qui concerne le manifeste des passagers noirs :

Le nom du bâtiment qui les transporte et les renseignements indiqués à l’article 36 et destinés à bien identifier les passagers.

Les puissances signataires prendront les mesures nécessaires pour que les autorités territoriales ou leurs consuls envoient au même Bureau des copies certifiées de toute autorisation d’arborer leur pavillon, dès qu’elle aura été accordée, ainsi que l’avis du retrait dont ces autorisations auraient été l’objet.

Les dispositions du présent article ne concernent que les papiers destinés aux bâtiments indigènes.

2. — De l’arrêt des bâtiments suspects.

Art. 42. — Lorsque les officiers commandant les bâtiments de guerre de l’une des puissances signataires auront lieu de croire qu’un bâtiment d’un tonnage inférieur à 500 tonneaux et rencontré dans la zone ci-dessus indiquée, se livre à la traite ou est coupable d’une usurpation de pavillon, ils pourront recourir à la vérification des papiers abord.

Le présent article n’implique aucun changement à l’état de choses actuel en ce qui concerne la juridiction dans les eaux territoriales.

Art. 43. — Dans ce but, un canot, commandé par un officier de vaisseau en uniforme, pourra être envoyé à bord du navire suspect, après qu’on l’aura bêlé pour lui donner avis de cette intention.

L’officier envoyé à bord du navire arrêté devra procéder avec tous les égards et tous les ménagements possibles.

Art. 44. — La vérification des papiers consistera dans l’examen des pièces suivantes :

1° En ce qui concerne les bâtiments indigènes, les papiers mentionnés à l’article 41.

2° En ce qui concerne les autres bâtiments, les pièces stipulées dans les différents traités ou conventions maintenus en vigueur.

La vérification des papiers de bord n’autorise rappel de l’équipage et des passagers que dans les cas et suivant les conditions prévus à l’article suivant.

Art. 45. — L’enquête sur le chargement du bâtiment ou la visite ne peut avoir lieu qu’à l’égard des bâtiments naviguant sous le pavillon d’une des puissances qui ont conclu ou viendraient à conclure les conventions particulières visées à l’article 22 et conformément aux prescriptions de ces conventions.

Art. 46. — Avant de quitter le bâtiment arrêté, l’officier dressera un procès-verbal suivant les formes et dans la langue en usage dans le pays auquel il appartient.

Ce procès-verbal doit être daté et signé par l’officier et constater les faits.

Le capitaine du navire arrêté, ainsi que les témoins, auront le droit de faire ajouter au procès-verbal toutes explications qu’ils croiront utiles.

Art. 47. — Le commandant d’un bâtiment de guerre qui aurait arrêté un navire sous pavillon étranger doit, dans tous les cas, faire un rapport à son gouvernement en indiquant les motifs qui l’ont fait agir.

Art. 48. — Un résumé de ce rapport, ainsi qu’une copie du procès-verbal dressé par l’officier à bord du navire arrêté, seront, le plus tôt possible, expédiés au Bureau international de renseignements, qui en donnera communication à l’autorité consulaire ou territoriale la plus proche de la puissance dont le navire arrête en route a arboré le pavillon. Des doubles de ces documents seront conservés aux archives du Bureau.

Art. 49. — Si, par suite de l’accomplissement des actes de contrôle mentionnés dans les articles précédents, le croiseur est convaincu qu’un fait de traite a été commis à bord durant la traversée ou qu’il existe des preuves irrécusables contre le capitaine ou l’armateur pour l’accuser d’usurpation de pavillon, de fraude ou de participation à la traite, il conduira le bâtiment arrêté dans le port de la zone le plus rapproché où se trouve une autorité compétente de la puissance dont le pavillon a été arboré.

Chaque puissance signataire s’engage à désigner dans la zone et à faire connaître au Bureau international de renseignements les autorités territoriales ou consulaires ou les délégués spéciaux qui seraient compétents dans les cas visés ci-dessus.

Le bâtiment soupçonné peut également être remis à un croiseur de sa nation, si ce dernier consent à en prendre charge.

3. — De l’enquête et du jugement des bâtiments saisis.

Art. 50. — L’autorité visée à l’article précédent, à laquelle le navire arrêté a été remis, procédera à une enquête complète, selon les lois et règlements de sa nation, en présence d’un officier du croiseur étranger.

Art. 51. — S’il résulte de l’enquête qu’il y a eu usurpation du pavillon, le navire arrêté restera à la disposition du capteur.

Art. 52. — Si l’enquête établit un fait de traite défini par la présence à bord d’esclaves destinés à être vendus ou d’autres faits prévus par les conventions particulières, le navire et sa cargaison demeureront sous séquestre, à la garde de l’autorité qui a dirigé l’enquête.

Le capitaine et l’équipage seront déférés aux tribunaux désignés aux articles 54 et 56. Les esclaves seront mis en liberté après qu’un jugement aura été rendu.

Dans les cas prévus par cet article, il sera disposé des esclaves libérés conformément aux conventions particulières conclues ou à conclure entre les puissances signataires. A défaut de ces conventions, lesdits esclaves pourront être remis à l’autorité locale, pour être renvoyés, si c’est possible, à leur pays d’origine ; sinon cette autorité leur facilitera, autant qu’il dépendra d’elle, les moyens de vivre, et, s’ils le désirent, de se fixer dans la contrée.

Art. 53. — Si l’enquête prouve que le bâtiment est arrêté illégalement, il y aura lieu de plein droit à une indemnité proportionnelle au préjudice éprouvé par le bâtiment détourné de sa route.

La quotité de cette indemnité sera fixée par l’autorité qui a dirigé l’enquête.

Art. 54. — Dans le cas où. l’officier du navire capteur n’accepterait pas les conclusions de l’enquête effectuée en sa présence, la cause serait, de plein droit, déférée au tribunal dont le bâtiment capture aurait arboré les couleurs.

Il ne sera fait d’exception à cette règle que dans le cas où le différend porterait sur le chiffre de l’indemnité stipulée à l’article 53, lequel sera fixé par voie d’arbitrage, ainsi qu’il est spécifié à l’article suivant.

Art. 55. — L’officier capteur et l’autorité qui aura dirigé l’enquête désigneront chacun dans les quarante-huit heures un arbitre et les deux arbitres choisis auront eux-mêmes vingt-quatre heures pour désigner un sur-arbitre. Les arbitres devront être choisis, autant que possible, parmi les fonctionnaires diplomatiques, consulaires ou judiciaires des puissances signataires. Les indigènes se trouvant à la solde des gouvernements contractants sont formellement exclus. La décision est prise à la majorité des voix. Elle doit être reconnue comme définitive.

Si la juridiction arbitrale n’est pas constituée dans les délais indiqués, il sera procédé, pour l’indemnité comme pour les dommages-intérêts, conformément aux dispositions de l’article 58, paragraphe 2.

Art. 56. — Les causes sont déférées, dans le plus bref délai possible, au tribunal de la nation dont les prévenus ont arboré les couleurs. Cependant les consuls ou toute autre autorité de la même nation que les prévenus, spécialement commissionnés à cet effet, peuvent être autorisés par leur gouvernement à rendre les jugements aux lieu et place des tribunaux.

Art. 57. — La procédure et le jugement des infractions aux dispositions du chapitre III auront toujours lieu aussi sommairement que le permettent les lois et règlements en vigueur dans les territoires soumis à l’autorité des puissances signataires.

Art. 58. — Tout jugement du tribunal national ou des autorités visées à l’article 51 déclarant que le navire arrêté ne s’est point livré à la traite sera exécuté sur-le-champ, et pleine liberté sera rendue au navire de continuer sa route.

Dans ce cas, le capitaine ou l’armateur du navire arrêté sans motif légitime de suspicion ou ayant été soumis à des vexations, aura le droit de réclamer des dommages-intérêts dont le montant serait fixé de commun accord entre les gouvernements directement intéressés ou pair voie d’arbitrage, et payé dans le délai de six mois à partir de la date du jugement qui a acquitté la prise.

Art. 59. — En cas de condamnation, le navire séquestré sera déclaré de bonne prise au profit du capteur.

Le capitaine, l’équipage et toutes autres personnes reconnus coupables seront punis, selon la gravité des crimes ou délits commis par eux, et conformément à l’article 5.

Art. 60. — Les dispositions des articles 50 à 59 ne portent aucune atteinte ni à la compétence ni à la procédure des tribunaux spéciaux existants ou de ceux à créer pour connaître des faits de traite.

Art. 61. — Les hautes parties contractantes s’engagent à se communiquer réciproquement les instructions qu’elles donneront, en exécution des dispositions du chapitre III, aux commandants de leurs bâtiments de guerre naviguant dans les mers de, la

zone indiquée.

CHAPITRE IV

Pays de destination dont les institutions comportent l’existence de l’esclavage domestique.

Art. 62. — Les puissances contractantes dont les institutions comportent l’existence de. l’esclavage domestique, et dont, par suite de ce fait, les possessions situées dans ou hors l’Afrique, servent, malgré la vigilance des autorités, de lieux de destination aux esclaves Africains, s’engagent à en prohiber l’importation, le transit, la sortie ainsi que le commerce. La surveillance la plus active et la plus sévère possible sera organisée par elles sur tous les points où s’opèrent l’entrée, le passage et la sortie des esclaves Africains.

Art. 63. — Les esclaves libérés en exécution de l’article précédent seront, si les circonstances le permettent, renvoyés dans leur pays d’origine. Dans tous les cas, ils recevront des lettres d’affranchissement des autorités compétentes et auront droit à leur protection et à leur assistance afin de trouver des moyens d’existence.

Art. 64. — Tout esclave fugitif arrivant à la frontière d’une des puissances mentionnées à l’article 62 sera réputé libre et sera en droit de réclamer des autorités compétentes des lettres d’affranchissement.

Art. 65. — Toute vente ou transaction dont les esclaves visés aux articles 63 et 64 auraient été l’objet par suite de circonstances quelconques, sera considérée comme nulle et non avenue.

Art. 66. — Les navires indigènes portant le pavillon d’un des pays mentionnés à l’article 62, s’il existe des indices qu’ils se livrent à des opérations de traite, seront soumis par les autorités locales, dans les ports qu’ils fréquentent, à une vérification rigoureuse de leur équipage et des passagers, tant à l’entrée qu’à la sortie. En cas de présence à bord d’esclaves Africains, il sera procédé judiciairement contre le bâtiment et contre toute personne qu’il y aura lieu d’inculper. Les esclaves trouvés à bord recevront des lettres d’affranchissement par les soins des autorités qui auront opéré la saisie des navires.

Art. 67. — Des dispositions pénales en rapport avec celles prévues par l’article 5 seront édictées contre les importateurs, transporteurs et marchands d’esclaves Africains, contre les auteurs de mutilation d’enfants ou d’adultes mâles et ceux qui en trafiquent, ainsi que contre leurs co-auteurs et complices.

Art. 68. — Les puissances signataires reconnaissent la haute valeur de la loi sur la prohibition de la traite des noirs, sanctionnée par Sa Majesté l’empereur des Ottomans le 4/16 décembre 1889 (22 Rebi ul-Akhir 1307), et elles sont assurées qu’une surveillance active sera organisée par les autorités ottomanes, particulièrement sur la côte occidentale de l’Arabie et sur les routes qui mettent cette côte en communication avec les autres possessions de Sa Majesté Impériale en Asie.

Art. 69. — Sa Majesté le Shah de Perse consent à organiser une surveillance active dans les eaux territoriales et sur celles des côtes du golfe Persique et du golfe d’Oman, qui sont placées sous sa souveraineté, ainsi que sur les routes intérieures qui servent au transport des esclaves. Les magistrats et les autres autorités recevront à cet effet les pouvoirs nécessaires.

Art. 70. — Sa Hautesse le sultan de Zanzibar consent à prêter son concours le plus efficace pour la répression des crimes et délits commis par les trafiquants d’esclaves Africains sur terre comme sur mer. Les tribunaux institués à cette fin dans le sultanat de Zanzibar appliqueront strictement les dispositions pénales prévues à l’article 5. Afin de mieux as8arer la liberté des esclaves libérés, tant en vertu des dispositions du présent Acte général que des décrets rendus en cette matière par Sa Hautesse et ses prédécesseurs, un bureau d’affranchissement sera établi à Zanzibar.

Art. 71. — Les agents diplomatiques et consulaires et les officiers de marine des puissances contractantes prêteront, dans les limites des conventions existantes, aux autorités locales leur concours afin d’aider à réprimer la traite là où elle existe encore ; ils auront le droit d’assister aux procès de traite qu’ils auront provoqués, sans pouvoir prendre part à la délibération.

Art. 72. — Des bureaux d’affranchissement ou des institutions qui en tiennent lieu, seront organisés par les administrations des pays de destination des esclaves Africains aux fins déterminées à l’article 18.

Art. 73. — Les puissances signataires s’étant engagées à se communiquer tous les renseignements utiles pour combattre la traite, les gouvernements que concernent les dispositions du présent chapitre, échangeront périodiquement avec les autres gouvernements les données statistiques relatives aux esclaves arrêtés et libérés, ainsi que les mesures législatives ou administratives prises afin de réprimer la traite.

CHAPITRE V

Institutions destinées à assurer l’exécution de l’Acte général.

§ I. — Du bureau international maritime

Art. 74. — Conformément aux dispositions de l’article 27, il est institué à Zanzibar un Bureau international où chacune des puissances signataires pourra se faire représenter par un délégué.

Art. 75. — Le bureau sera constitué dès que trois puissances auront désigné leur représentant.

Il élaborera un règlement fixant le mode d’exercice de ses attributions. Ce règlement sera immédiatement soumis à la sanction des puissances signataires qui auront notifié leur intention de s’y faire représenter et qui statueront à cet égard dans le plus bref délai possible.

Art. 76. — Les frais de cette institution seront répartis, à parts égales, entre les puissances signataires mentionnées à l’article précédent.

Art. 77. — Le Bureau de Zanzibar aura pour mission de centraliser tous les documents et renseignements qui seraient de nature à faciliter la répression de la traite de la zone maritime.

A cet effet, les puissances signataires s’engagent à lui faire parvenir dans le plus bref délai possible :

1° Les documents spécifiés à l’article 61 ;

2° Le résumé des rapports et la copie des procès-verbaux visés à l’article 48 ;

3° La liste des autorités territoriales ou consulaires et des délégués spéciaux compétents pour procéder à l’égard des bâtiments arrêtés, aux termes de l’article 49 ;

4° La copie des jugements et arrêts de condamnation rendus conformément à l’article 58 ;

5° Tous les renseignements propres à amener la découverte des personnes qui se livrent aux opérations de la traite dans la zone susdite.

Art. 78. — Les archives du bureau seront toujours ouvertes aux officiers de la marine des puissances signataires autorisées à agir dans les limites de la zone définie à l’article 21, de même qu’aux autorités territoriales ou judiciaires et aux consuls spécialement désignés par leurs gouvernements.

Le bureau devra fournir aux officiers et agents étrangers autorisés à consulter ses archives, les traductions en une langue européenne des documents qui seraient rédigés dans une langue orientale.

Il fera les communications prévues à l’article 48.

Art. 79. — Des bureaux auxiliaires en rapport avec le Bureau de Zanzibar pourront être établis dans. certaines parties de la zone, en vertu d’un accord préalable entre les puissances intéressées.

Ils seront composés des délégués de ces puissances et établis conformément aux articles 75, 76, et 78.

Les documents et renseignements spécifiés à l’article 77, en tant qu’ils concernent la partie afférente de la zone, leur seront envoyés directement par les autorités territoriales et consulaires de cette région, sans préjudice de la communication au Bureau de Zanzibar prévue par le même article.

Art. 80. — Le Bureau de Zanzibar dressera, dans les deux premiers mois de chaque année, un rapport sur ses opérations et celles des bureaux auxiliaires pendant l’année écoulée,

§ II. — De l’échange entre les gouvernements des documents et renseignements relatifs à la traite

Art. 81. — Les puissances se communiqueront dans la plus large mesure et le plus bref délai qu’elles jugeront possibles ;

1o Le texte des lois et règlements d’administration existants ou édictés par application des clauses du présent Acte général ;

2o Les renseignements statistiques concernant la traite, les esclaves arrêtes et libérés, le trafic des armes, des munitions et des alcools.

Art. 82. — L’échange de ces documents et renseignements sera centralisé dans un Bureau spécial rattaché au département des affaires étrangères à Bruxelles.

Art. 83. — Le Bureau de Zanzibar lui fera parvenir chaque année le rapport mentionne à l’article 80 sur ses opérations pendant l’année écoulée et sur celles des bureaux auxiliaires qui viendraient à être établis conformément à l’article 79.

Art. 84. — Les documents et renseignements seront réunis et publiés périodiquement et adressés à toutes les puissances signataires. Cette publication sera accompagnée chaque année d’une table analytique des documents législatifs administratifs, et statistiques mentionnés aux articles 81 et 83.

Art. 85. — Les frais de bureau, de correspondance, de traduction et d’impression qui en résulteront, seront supportés à parts égales, par toutes les puissances signataires et recouvres par les soins du département des affaires étrangères à Bruxelles.

§ III. — De la protection des esclaves libérés

Art. 86. — Les puissances signataires ayant reconnu le devoir de protéger les esclaves libérés dans leurs possessions respectives s’engagent à établir, s’il n’en existe déjà, dans les ports de la zone déterminée à l’article 21, et dans les endroits de leurs dites possessions, qui seraient des lieux de capture, de passage et d’arrivée d’esclaves Africains, des bureaux ou des institutions en nombre jugé suffisant par elles et qui seront chargés spécialement de les affranchir et de les protéger, conformément aux dispositions des articles 6, 18, 52, 63 et 66.

Art. 87. — Les bureaux d’affranchissement ou les autorités chargées de ce service délivreront les lettres d’affranchissement et en tiendront registre.

En cas de dénonciation d’un fait de traite ou de détention illégale, ou sur le recours des esclaves eux-mêmes, les dits bureaux ou autorités feront toutes les diligences nécessaires pour assurer la libération des esclaves et la punition des coupables.

La remise des lettres d’affranchissement ne saurait, en aucun cas, être retardée, si l’esclave est accusé d’un crime ou délit de droit commun. Mais après la délivrance des dites lettres, il sera procédé à l’instruction en la forme établie par la procédure ordinaire.

Art. 88. — Les puissances signataires favoriseront, dans leurs possessions, la fondation d’établissements de refuge pour les femmes et d’éducation pour les enfants libérés.

Art. 89. — Les esclaves affranchis pourront toujours recourir aux bureaux pour être protégés dans la jouissance de leur liberté.

Quiconque aura usé de fraude ou de violence pour enlever à un esclave libéré ses lettres d’affranchissement, ou pour le priver de sa liberté, sera considéré comme marchand d’esclaves.

CHAPITRE VI

Mesures restrictives du trafic des spiritueux.

Art. 90. — Justement préoccupées des conséquences morales et matérielles qu’entraîne pour les populations indigènes l’abus des spiritueux, les puissances signataires sont convenues d appliquer les dispositions des articles 91, 92 et 93, dans une zone délimitée par le 20° latitude nord et par le 22° latitude sud et aboutissant vers l’ouest à l’océan Atlantique et vers l’est à l’océan Indien et à ses dépendances, y compris les îles adjacentes au littoral jusqu’à 100 milles marins de la côte.

Art. 91. — Dans les régions de cette zone où il sera constaté que, soit à raison des croyances religieuses, soit pour d’autres motifs, l’usage des boissons distillées n’existe pas ou ne s’est pas développé, les puissances en prohiberont l’entrée. La fabrication des boissons distillées y sera également interdite.

Chaque puissance déterminera les limites de la zone de prohibition des boissons alcooliques dans ses possessions ou protectorats et sera tenue d’eu notifier le tracé aux autres puissances dans un délai de six mois.

Il ne pourra être dérogé à la susdite prohibition que pour des quantités limitées, destinées à la consommation des populations non indigènes et introduites sous le régime et dans les conditions déterminées par chaque gouvernement.

Art. 92. — Les puissances ayant des possessions ou exerçant des protectorats dans les régions de la zone qui ne sont pas placées sous le régime de la prohibition et où les spiritueux sont actuellement importés librement ou soumis à un droit d’importation inférieur à 15 francs par hectolitre à 50° centigrades, s’engagent à établir sur ces spiritueux un droit d’entrée qui sera de 15 francs par hectolitre à 50° centigrades, pendant les trois années qui suivront la mise en vigueur du présent Acte général. A l’expiration de cette période, le droit pourra être porté à 25 francs pendant une nouvelle période de trois années. Il sera, à la fin de la sixième année, soumis à révision, en prenant pour base une étude comparative des résultats produits par ces tarifications, à l’effet d’arrêter alors, si faire se peut, une taxe minima dans toute l’étendue de la zone où n’existerait pas le régime de la prohibition visé à l’article 91.

Les puissances conservent le droit de maintenir et d’élever lestages au delà du minimum fixé par le présent article dans les régions où elles le possèdent actuellement.

Art. 93. — Les boissons distillées qui seraient fabriquées dans les régions visées à l’article 92 et destinées à être livrées à la consommation intérieure, seront grevées d’un droit d’accise.

Ce droit d’accise, dont les puissances s’engagent à assurer la perception, dans la limite du possible, ne sera pas inférieur au minimum des droits d’entrée fixés par l’article 92.

Art. 94. — Les puissances signataires qui ont en Afrique des possessions en contact avec la zone spécifiée à l’article 90 s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’introduction des alcools, par leurs frontières intérieures, dans les territoires de la dite zone.

Art. 95. — Les puissances se communiqueront, par l’entremise du bureau de Bruxelles, dans les conditions indiquées au chapitre V, les renseignements relatifs au trafic des alcools dans leurs territoires respectifs.

CHAPITRE VII

Dispositions finales.

Art. 96. — Le présent Acte général abroge toutes stipulations contraires des conventions antérieurement conclues entre les puissances signataires.

Art. 97. — Les puissances signataires, sans préjudice de ce qui est stipulé aux articles 14, 23 et 92, se réservent d’introduire au présent Acte général, ultérieurement et d’un commun accord, les modifications ou améliorations dont l’utilité serait démontrée par l’expérience.

Art. 98. — Les puissances qui n’ont pas signé le présent Acte général, pourront être admises à y adhérer.

Les puissances signataires se réservent de mettre à cette adhésion telles conditions qu’elles jugeraient nécessaires.

Si aucune condition n’est stipulée, l’adhésion emporte dé plein droit l’acceptation de toutes les obligations et l’admission à tous les avantages stipulés parle présent Acte général.

Les puissances se concerteront sur les démarches à faire pour amener l’adhésion des Etats dont le concours serait nécessaire ou utile pour assurer l’exécution complète de l’Acte général.

L’adhésion se fera par un acte séparé. Elle sera notifiée par la voie diplomatique au gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, et par celui-ci, à tous les Etats signataires et adhérents.

Art. 99. — Le présent Acte général sera ratifié dans un délai qui sera le plus court possible et qui, en aucun cas, ne pourra excéder un an.

Chaque puissance adressera sa ratification au gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, qui en donnera avis à toutes les autres puissances signataires du présent Acte général.

Les ratifications de toutes les puissances resteront déposées dans les archives du royaume de Belgique.

Aussitôt que toutes les ratifications auront été produites, ou au plus tard un an après la signature du présent Acte général, il sera dressé acte du dépôt dans un protocole qui sera signé par les représentants de toutes les puissances qui auront ratifié.

Une copie certifiée de ce protocole sera adressée à toutes les puissances intéressées.

Article 100. — Le présent Acte général entrera en vigueur dans toutes les possessions des puissances contractantes le soixantième jour à partir de celui où aura été dressé le protocole de dépôt prévu à l’article précédent.

En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont signé le présent Acte général et y ont apposé leur cachet.

DÉCLARATION

Les puissances réunies en conférence à Bruxelles, qui ont ratifié l’Acte général de Berlin du 26 février 1885, ou qui y ont adhéré.

Après avoir arrêté et signé de concert, dans l’Acte général de ce jour, un ensemble de mesures destinées à mettre un terme à la traite des nègres sur terre comme sur mer, et à améliorer les conditions morales et matérielles d’existence des populations indigènes,

Considérant que l’exécution des dispositions qu’elles ont prises dans ce but impose à certaines d’entre elles, qui ont des possessions ou exercent des protectorats dans le bassin conventionnel du Congo, des obligations qui exigent impérieusement pour y faire face, des ressources nouvelles,

Sont convenues de faire la déclaration suivante :

Les puissances signataires ou adhérentes qui ont des possessions ou exercent des protectorats dans ledit bassin conventionnel du Congo, pourront, pour autant qu’une autorisation leur soit nécessaire à cette fin, y établir sur les marchandises importées des droits dont le tarif ne pourra dépasser un taux équivalent à 10 pour cent de la valeur au port d’importation, à l’exception, toutefois, des spiritueux, qui sont régis par les dispositions du chapitre VI de l’Acte général de ce jour.

Après la signature dudit Acte général, une négociation sera ouverte entre les puissances qui ont ratifié l’Acte général de Berlin ou qui y ont adhéré, à l’effet d’arrêter, dans la limite maxima de 10 pour cent de la valeur, les conditions du régime douanier à instituer dans le bassin conventionnel du Congo.

Il reste néanmoins entendu :

1° Qu’aucun traitement différentiel ni droit de transit ne pourront être établis ;

2° Que, dans l’application du régime douanier qui sera convenu, chaque puissance s’attachera à simplifier, autant que possible, les formalités et à faciliter les opérations du commerce ;

3° Que l’arrangement à résulter de la négociation prévue, restera en vigueur pendant quinze ans, à partir de la signature de la présente déclaration.

A l’expiration de ce terme, et à défaut d’un nouvel accord, les puissances contractantes se retrouveront dans les conditions prévues par l’article IV de l’Acte général de Berlin, la faculté d’imposer à un maximum de 10 pour cent les marchandises importées dans le bassin conventionnel du Congo leur restant acquise.

Les ratifications de la présente déclaration seront échangées en même temps que celles de l’Acte général du même jour.

En foi de quoi, les soussignés, etc.

Nous devons tout d’abord reconnaître que les sentiments les plus chrétiens ont présidé à la rédaction de cet acte. Il est facile de le constater en voyant quelle légitime et large part, les représentants des puissances ont consacré à la religion, à ses ministres, aux missions, à leur protection, comme aux établissements de culture ou professionnels destinés aux esclaves libérés, aux maisons de refuge pour les négresses, d’éducation et d’enseignement pour les petits nègres.

Le paganisme avait prétendu résoudre la question sociale en dépouillant le faible de ses droits et en le plongeant dans l’esclavage.

Le christianisme annonça au monde l’égalité des hommes devant le Créateur, devant Dieu ! Il enseigne que le travail est la condition naturelle de l’homme. Accepter un travail est un honneur ; s’y soustraire, une lâcheté et une trahison.

Le Christ en a donné l’exemple lui-même ; il a supporté toutes les fatigues de l’humanité. Sa doctrine est que le riche est le trésorier de Dieu et qu’il ne doit jamais fermer son cœur à l’infortune. Il fallait rapprocher les deux classes de la société : les riches et les pauvres, les forts et les faibles. Le lien de rapprochement est la religion, escortée de toutes les vertus qui en rehaussent la majesté.

Voilà ce que les plénipotentiaires de Bruxelles ont parfaitement compris ; aussi, ont-ils inscrit la religion à la place qu’elle doit toujours occuper comme base nécessaire et inébranlable de toute société civilisée.

Si, au point de vue national, nous exprimons le regret que la Conférence n’ait pas été réunie à Paris, nous devons nous féliciter que Bruxelles ait été choisi. Comme le dit S. Ém. le cardinal Lavigerie, dans une lettre que le manque de place nous empêche de reproduire ici, c’était rendre un solennel et légitime hommage à S. M. Léopold II, qui a tant fait pour l’Afrique.

En lisant les articles spéciaux de l’Acte général, on comprend mieux encore la consécration que vient de lui donner le Pape Léon XIII, dans une lettre écrite ces jours derniers au cardinal Lavigerie. Le successeur de saint Pierre se réjouit des progrès de la civilisation des peuples Africains et loue, une fois de plus, les missionnaires catholiques qui parcourent les parties non encore explorées de l’Afrique. Il promet d’aider les gouvernements dans leur œuvre anti-esclavagiste et charge de ce soin l’archevêque d’Alger et de Carthage.

« Multipliez les missionnaires, dit-il au cardinal Lavigerie. »

Multipliez les missionnaires ! Ces missionnaires catholiques auxquels le major Wissmann, bien qu’Allemand, rendait hier un solennel hommage ! C’est le journal protestant le Temps qui l’a enregistré le premier en ces termes :

« Le major Wissmann, de retour d’Afrique, a parlé en termes très défavorables de tous les missionnaires protestants, Anglais ou Allemands. Il leur reproche de vouloir jouer un rôle politique, aussi nuisible qu’il est peu justifié. Il a rapproché leur conduite de l’œuvre bienfaisante des missionnaires catholiques, qui sont, a-t-il dit, infatigables et pleins d’abnégation, et dont les travaux contribuent à propager l’influence chrétienne, la civilisation et la moralité.

« Les missionnaires catholiques, a-t-il ajouté, sont les vrais piliers de la civilisation, tandis que les missionnaires protestants ne font que lui susciter des obstacles ; les sommes considérables qu’on leur consacre sont en réalité perdues. Au lieu d’aider, ils ne servent qu’à nuire par leurs agitations politiques. »

Voilà des attestations qui, à coup sûr, ne nous surprennent nullement, mais dont il est d’autant plus utile de prendre acte, qu’elles émanent d’une bouche aussi compétente que peu suspecte, et sont constatées par un journal dans les colonnes duquel leur insertion acquiert une valeur toute particulière. Emin-Pacha professe, nous l’avons déjà consigné, les mêmes sentiments que le major Wissmann.

Les Monat’s Hefte de Brunswick, signalaient, au mois de janvier dernier, une singulière contradiction.

Il s’agissait de l’histoire de la Society for propagating Christianity ; M. Gerhard Rohlfs, l’éminent explorateur, racontait que cette association respectable entre toutes et composée des plus hauts dignitaires du clergé anglican, tirait autrefois sa principale source de revenus du travail des nègres qu’elle possédait dans les colonies.

M. Gerhard Rohlfs a tort de s’étonner. Ce trait de mœurs est essentiellement britannique. De tout temps, nos voisins d’outre-mer se sont occupés d’abord des affaires temporelles, sauf à faire ensuite place aux questions religieuses. Quand il s’agissait de gagner de l’argent les lanières de cuir tombaient dru comme grêle sur les épaules des esclaves des Indes Occidentales, mais le bénéfice une fois encaissé, c’était le moment d’en faire un usage philanthropique.

Le produit des coups de fouet administrés aux noirs de la Jamaïque servait à évangéliser leurs frères restés sur la côte de Guinée. Des missionnaires, entretenus à grands frais, employaient les revenus des plantations des Antilles à conquérir des âmes à la foi anglicane . et à ouvrir en même temps des débouchés aux cotonnades de Manchester. Ils étaient aussi habiles au négoce que le sont encore aujourd’hui les marabouts musulmans !

Il a fallu le succès de la croisade entreprise par Wilberforce pour mettre un frein à cette ingénieuse combinaison qui donnait une satisfaction complète au triple penchant des Anglais pour l’exploitation des races inférieures, le commerce et la philanthropie.

Nos lecteurs nous pardonneront cette digression ; nous reprenons l’examen de l’Acte général.

L’indifférence coupable qui rognait parmi les Européens à l’égard de la traite africaine était l’un des phénomènes les plus étranges de cette fin de siècle ! C’était cependant un sujet qui s’imposait au plus haut degré à la pitié comme à la justice de l’Europe.

Sur un continent en rapport direct et perpétuel avec le nôtre, sous les yeux des peuples civilisés, s’était organisé ce système de brigandage, de dévastation et de massacres, dont nous avons essayé de retracer quelques scènes.

Le trafic des esclaves existait toujours, avait des marchés réguliers d’approvisionnement et de vente, ses routes déterminées et le nombre de ses victimes allait toujours croissant.

Il était temps que les nations civilisées, justement émues et tirées de leur torpeur par les accents vibrants du cardinal Lavigerie, fissent enfin un généreux effort pour essayer de mettre un terme à de pareilles horreurs.

Atteindra-t-on maintenant le but proposé par la mise en pratique des articles constitutifs de l’Acte général ? Nous l’espérons, nous le souhaitons, mais sans grande conviction. Toute œuvre elle-même est entachée d’imperfection et les auteurs de l’Acte ont eu l’insigne modestie de le déclarer perfectible !

Certes, la construction de routes, de voies ferrées, l’installation de bateaux à vapeur, l’établissement de postes, stations militaires, reliés télégraphiquement, etc., sont bien de nature à donner satisfaction à ceux qui, comme Tippou-Tib, par exemple, se plaignaient de ne pas avoir, en Afrique, d’autre moyen de transport que le portage à dos d’homme[3] ; mais, ces routes, ces chemins de fer, ces bateaux à vapeur, ces postes, ces stations ne resteront-ils pas encore bien longtemps à l’état de projet, comme l’un de ces ravissants mirages, si fréquents dans la région des Chtoutt.

La restriction de l’importation des armes à feu diminuera certainement d’une façon notable la traite et le nombre des victimes des guerres intestines entre les tribus ; il en sera de même de la prohibition d’entrée des alcools et de l’interdiction de la fabrication des boissons distillées dans les régions appartenant à la zone contaminée.

Ces mesures préventives contribueront à relever peu à peu le niveau moral des nègres, à amener l’extinction de l’anthropophagie et des sacrifices humains, auxquels nous avons, hélas ! dû consacrer trop de lignes.

Nous regrettons que l’exportation de l’ivoire n’ait pas été supprimée.

Tous les Africains, c’est-à-dire tous ceux qui s’occupent des choses du Continent africain, sont cependant unanimement d’accord sur ce point et pour réclamer la prohibition absolue de cette matière. L’Acte général n’en parité même pas. A notre humble avis c’est une lacune et une grande lacune. Il est facile de la combler, aussi la dénonçons-nous, avec confiance, à l’opinion publique, aux membres de la Conférence de Bruxelles, aux puissances signataires de l’Acte.

L’article 4 confère aux puissances le droit Aki déléguer à des Compagnies munies de chartes tout ou partie des engagements visés à l’article 3, etc., à l’exclusion de tout exercice de la souveraineté. Cet article concerne principalement les associations allemandes, anglaises et belges.

L’Angleterre a résolu d’acquérir tout ce qui reste de territoires disponibles dans l’intérieur de l’Afrique. La reine Victoria aurait signé une charte autorisant une nouvelle société, The British-South-African-Company, ayant à sa tète des personnages tels que le duc de Fife, petit-gendre de Sa Majesté ; le duc d’Abercorn, Sir Albert Grey, Sir Rhodes, à établir son protectorat sur le territoire d’environ quatre cent mille milles carrés, qui s’étend au sud du Zambèze, entre les possessions Portugaises à l’est, les possessions Allemandes du Sud-Ouest Africain à l’ouest, le Bechuanaland et le Transvaal au sud.

L’octroi d’une charte royale à la British-South-African-Company, comme aux Compagnies similaires, n’est que le prélude à l’annexion éventuelle de tous les territoires ainsi concédés.

Toutes ces Sociétés ne sont que de nouvelles Compagnies des Indes, destinées à préparer successivement à la Grande-Bretagne de vastes dépendances qui seront régulièrement rattachées au domaine de la Couronne, lorsque l’heure aura sonné. Le droit de rachat par l’Etat est, du reste, inscrit dans chacune des chartes, et les Compagnies elles-mêmes savent bien qu’il sera exercé, dès que les établissements coloniaux qu’elles auront créés seront suffisamment développés pour justifier leur réunion à l’Angleterre.

Les nouvelles acquisitions territoriales en vue desquelles a été constituée la British-South-African-Company ont déjà donné lieu à des protestations de la part du Portugal ; ces protestations n’ont pas abouti.

Les puissances contractantes devront édicter ou proposer à leurs législatures respectives, dans le délai d’un an, une loi rendant applicable les dispositions de leur législation pénale aux auteurs des crimes et délits de toute nature, résultant de la traite des nègres ; pour les pays régis par la loi française ou placés sous le protectorat de la France, il faudra donc recourir aux articles du Code pénal que nous avons invoqués et reproduits en discutant le Décret Beylical du 9 Chaoual 1307-28 mai 1890.

Les esclaves libérés, dont les moyens d’existence seront assurés provisoirement par les autorités locales, seront rapatriés, lorsque les circonstances le permettront, ou encouragés à se fixer dans la contrée. Sous peine d’être accusé de répétition, nous soulevons encore la question de dommages-intérêts, qui s’impose, il nous semble, en toute équité.

Le chapitre III, concernant la répression de la traite sur mer, est un chef-d’œuvre de tact, de délicatesse et d’habileté.

La Conférence n’aurait-elle pas dû s’intéresser aussi aux côtes de l’Océan Atlantique et attirer l’attention des puissances sur ces régions où la traite et l’embarquement des esclaves sont encore fréquemment signalés ?

La création d’un Bureau international à Zanzibar et des bureaux secondaires constitue la plus heureuse des innovations.

Le chapitre IV regarde les pays de destination dont les institutions comportent l’existence de l’esclavage domestique.

L’Indépendance Belge estime que la Turquie aurait dû s’engager à prendre des mesures nettement déterminées pour empêcher l’écoulement de ce qu’on appelle si horriblement « bois d’ébène » Nous sommes moins exigeant que le journal bruxellois parce que nous connaissons mieux que lui, certainement, les mœurs ottomanes. Nous nous déclarons donc satisfait et comptons sur les promesses du Sultan Abd-Ul-Hamid.

La répression, l’interdiction d’un système, si criminel qu’il soit, et qui existe depuis des siècles dans les pays Turcs, ne peuvent être l’affaire d’un instant, d’un trait de plume et d’une signature.

Sa Majesté le Shah de Perse et le Sultan de Zanzibar ont consenti formellement à participer à la guerre contre l’esclavage. Le Sultan de Zanzibar a déjà ouvert le feu et les difficultés qu’il rencontre doivent prouver à l’Indépendance Belge que, malgré la meilleure volonté, le Sulltan Abd’Ul-Hamtd a besoin d’agir avec circonspection et mesure[4].

Il n’en est pas de même du Sultan du Marok, qui fait encore cause commune avec les négriers et les tyrans fétichistes ou mahométans du Soudan et de l’Afrique Occidentale. Conformément à l’article 98, paragraphe 4, les puissances auront à se concerter sur les démarches à faire pour assurer l’exécution complète de l’Acte général et les amener à y adhérer ; ces négociations ne seront l’affaire ni d’un jour, ni d’une heure !

Ajoutons aussi que les États-Unis d’Amérique, d’après les protocoles de la Conférence, n’ont pas été seuls à estimer que les droits sur les spiritueux étaient réellement insuffisants, inutiles, au point de vue de la tempérance.

Lord Wivian a exprimé le profond regret du gouvernement britannique de ce que la Conférence s’était arrêtée à un droit d’entrée absolument inefficace à l’égard des boissons enivrantes[5].

Puisque vous êtes si partisans de toutes les mesures tendant à réprimer la débauche, l’ivrognerie et les vices qui en sont les tristes conséquences, songez donc un peu. Messieurs les Anglais, à l’opium avec lequel vous empoisonnez les Asiatiques ; vous pourrez ensuite faire plus facilement montre de pudeur.

C’est toujours l’éternelle histoire de la paille et de la poutre !

« L’œuvre que vous allez entreprendre, disait un orateur des premiers jours, est désintéressée, car elle ne comporte pas même la gratitude de ces races opprimées et décimées avec la plus révoltante barbarie, dont vous avez mission d’organiser le salut et qui, inconscientes du bien que veulent et peuvent leur faire des frères qu’elles ne connaissent pas, recevront la délivrance sans savoir d’où elle leur vient, sans pouvoir payer de reconnaissance leurs bienfaiteurs[6]. »

A défaut de la reconnaissance des nègres, la Conférence s’est attirée, par ses travaux, celle de toutes les nations civilisées ; certes c’est bien là quelque chose, une récompense appréciable, croyons-nous ; mais peut-être ses membres ne seront-ils réellement dédommagés de leurs labeurs que par le fonctionnement du précieux règlement qu’ils ont été chargés d’élaborer et dont la rédaction sera elle-même un monument éternel élevé en leur honneur.

Dans le discours qu’il a prononcé à l’audience de rentrée de la Cour de Cassation, M. l’avocat général Desjardins, parlant du Droit de visite et de la Conférence de Bruxelles (audience à laquelle assistait le si sympathique ambassadeur de Russie, M. de Morenheim), a rendu hommage à l’œuvre accomplie et fait ressortir en pleine lumière le rôle important et amiable des diplomates russes et loué justement S. M. Léopold II.

Nous croyons devoir terminer ce chapitre en reproduisant la partie suivante de ce discours :

« Tant d’efforts faits de part et d’autre pour arriver à l’entente commune ne permettaient pas de conserver un doute sur le désintéressement et la bonne foi des États représentés. Aucun d’eux ne déguisait d’ambitieux desseins sous l’apparence d’un généreux mobile ; aucun n’était dupe de manœuvres habiles ou de promesses sonores.

« La France pouvait désormais, sans répudier ses nobles traditions, admettre qu’un esclave réfugié à bord d’un vaisseau de guerre sous pavillon d’une des puissances signataires fût immédiatement et définitivement affranchi donner à tout esclave africain retenu contre son gré à bord d’un bâtiment indigène le droit de réclamer sa liberté, consentir à la création d’un bureau international sur la côte orientale d’Afrique afin d’organiser l’échange des renseignements nécessaires pour combattre la traite, prendre elle-même l’initiative d’une série de mesures rigoureuses, mais nécessaires, contre l’usurpation du pavillon.

« De leur côté, les plénipotentiaires russes, en coordonnant les propositions des uns, les contre-propositions des autres, avaient aplani des difficultés qu’on eût pu croire insurmontables ; ils justifiaient la confiance de l’Europe ; ils emportaient à juste titre le témoignage, hautement exprimé, de sa reconnaissance. En définitive, la conférence avait atteint le but élevé que lui assignait le roi des Belges, en la convoquant dans sa capitale, et bien mérité de l’humanité. »


  1. Par rapport à l’application de cet alinéa à certains cas, le représentant du Portugal a maintenu des réserves importantes, réserves qui seront insérées dans les protocoles et qui visent l’Angleterre.
  2. Voyez ici le passage relatif aux voies reliant les marchés d’esclaves, p. 347.
  3. Voyez ici p. 282.
  4. Le sultan de Zanzibar a rendu, le 1er août 1890, un décret interdisant le trafic des esclaves. Les Arabes l’ont fort mal accueilli et une manifestation imposante a eu lieu devant le palais de Zanzibar. Les dépêches suivantes démontrent que la tâche de ce prince n’est pas des plus faciles : « Zanzibar, 4 août. — Samedi matin, les six maisons qui faisaient le courtage des esclaves domestiques ont été fermées. On pense que le gouvernement de l’Inde permettra l’émigration de coolies indiens. « La proclamation du sultan, relative à l’esclavage, a été fort mal accueillie par les Arabes. Ceux-ci se sont réunis en meeting de protestation. « Les Arabes ont lacéré les proclamations du sultan : on a fait afficher de nouvelles proclamations en arabe et en anglais qui ont été gardées par des soldats indigènes. « Berlin, 2 septembre. — La Gazette Nationale public une lettre de Zanzibar, datée du 12 août. D’après son correspondant, le sultan de Zanzibar, sous la pression d’une imposante manifestation faite le 11 août devant son palais, aurait rapporté l'édit qu’il avait promulgué contre le trafic des esclaves. »
    D’autre part les journaux britanniques affirment que la vente des nègres n’a jamais été plus florissante qu’actuellement dans l’Afrique orientale soumise à l’Allemagne. 20, 000 Ounyamouezi auraient été vendus à Bagamoyo, sous le contrôle personnel d’un agent allemand.
    Les feuilles berlinoises répondent que le gouvernement de Guillaume II n’a jamais eu l’intention de supprimer immédiatement l’esclavage sous toutes ses formes, et qu’au contraire il a déclaré au Reichstag qu’il se proposait de modifier graduellement la situation en ménageant l’état de choses actuel.
    L’attitude du gouvernement impérial est justifiée par Mgr Livinhac qui conseille de ne pas user de moyens trop prompts pour abolir l’esclavage et croit pouvoir blâmer les Anglais dont les violentes mesures répressives ont failli causer une révolution à Zanzibar.
  5. Protocole XVI, séance du 24 mai 1890.
  6. Protocole Ier, séance du 18 novembre 1889.