L’espion des habits rouges/01
I
L’ESPION
Le 23 novembre 1837, au matin, le village de Saint-Denis de Richelieu était soudainement mis en émoi par la nouvelle que des Patriotes avaient arrêté sur le chemin de Saint-Ours un émissaire ennemi, et plus justement un espion. Cet espion venait de Montréal et avait été envoyé par John Colborne avec ordre de surveiller les Patriotes de Saint-Charles, de s’assurer de leur nombre et de leurs moyens de défense, de prendre les noms des principaux meneurs et de faire rapport au colonel Gore en garnison à Sorel.
Voilà ce qu’on se disait de bouche à bouche. Mais un Patriote affirmait que l’espion précédait les troupes de Sorel commandées par Gore en personne et Crompton, son aide-de-camp, et que ces forces armées se dirigeaient vers le camp retranché de Saint-Charles à six milles de Saint-Denis. Il fallait donc admettre que cet espion avait déjà fait des relevés minutieux, qu’il avait surpris quelques secrets des Patriotes et que, maintenant, il conduisait les troupes du gouvernement avec la certitude que celles-ci surprendraient les insurgés inopinément, les tailleraient en pièces et raseraient leurs travaux militaires et, peut-être aussi, leurs villages.
Il est vrai que les Patriotes n’avaient rien de précis sur les desseins de l’ennemi, mais on savait pour certain que le colonel Wetherall, qui commandait la garnison de Chambly, devait marcher contre Saint-Charles, et alors on ne s’étonnait pas que Gore vint tenter de se joindre à lui, afin que, avec des forces doubles, l’ennemi pût plus aisément dompter l’insurrection.
Quoi qu’il en soit, sur les routes qui se déroulaient entre Sorel et Saint-Denis et entre Chambly et Saint-Charles, les chefs des insurgés avaient aposté ça et là des factionnaires chargés de surveiller ces routes et de signaler la venue de troupes ennemies. C’est ainsi que l’espion était tombé entre les mains de deux Patriotes qui surveillaient la route entre Saint-Ours et Saint-Denis. Interrogé, l’inconnu avait refusé de répondre ; et les deux Patriotes, pour obéir probablement à des instructions précises, avaient conduit leur prisonnier au village de Saint-Denis pour le remettre entre les mains du docteur Wolfred Nelson, qui avait été reconnu comme le chef suprême des insurgés de la vallée du Richelieu. Mais là, au village, il s’était trouvé quelqu’un à qui le prisonnier n’était pas tout à fait inconnu, et l’on sut bientôt que le soi-disant espion était un nommé André Latour, de nationalité canadienne-française, et lieutenant d’une compagnie de volontaires en garnison à Montréal. Que cet homme fût espion ou nom, une chose certaine, comme le pensaient les Patriotes, c’était un ennemi.
On conduisit donc le prisonnier chez Nelson. Mais celui-ci était parti pour Saint-Charles avec Papineau ; les deux chefs étaient allés faire une revue du camp et donner des instructions nouvelles aux officiers qui y commandaient.
En attendant le retour de Nelson, le prisonnier fut conduit à l’auberge de dame veuve Rémillard, à l’extrémité ouest du village et sur le chemin du roi qui du village formait la rue principale.
Il était environ six heures du matin. Le temps était nuageux et froid. À l’arrivée du prisonnier et de ses deux gardiens les habitants du village étaient pour la plupart plongés dans un bon sommeil. Tout y était calme et silencieux. Mais ce ne fut pas long que l’arrestation de l’espion était connue, et bientôt on put voir les volets s’ouvrir, les fenêtres s’éclairer, les cheminées fumer, et dix minutes ne s’étaient pas écoulées qu’une bonne partie de la petite population entourait avec curiosité le prisonnier et ses gardiens. C’est alors qu’un jeune officier de Nelson, qui habitait Montréal, reconnut cet André Latour. Et peu à peu la nouvelle pénétrait dans tous les foyers, si bien que, lorsqu’on atteignit l’auberge, presque toute la population faisait cortège.
L’auberge fut envahie.
La tenancière venait de se lever. Une lampe et les hautes flammes de la cheminée éclairaient la salle commune.
Le prisonnier, dont les deux mains étaient liées derrière le dos, fut assis près du foyer, et ses deux gardiens en recommandèrent la surveillance à la tenancière, disant qu’ils devaient aller reprendre leur poste sur la route.
— C’est bien, répondit la brave femme. D’ailleurs, je trouverai bien quelques patriotes pour le surveiller.
Les deux hommes burent chacun un grand verre d’eau-de-vie et s’en allèrent.
Jusqu’à ce moment les villageois étaient demeurés sur la réserve à l’égard du prisonnier, et personne n’avait paru mal intentionné à son égard, attendu qu’on désirait savoir ce que dirait le docteur Nelson ! L’auberge comptait environ une quarantaine de personnes, des hommes d’âge mûr et des jeunes gens pour la plupart ; mais il y avait aussi sept ou huit femmes qui, curieuses, avaient vivement jeté un châle sur leur tête et étaient venues voir ce qui se passait. Les hommes s’étaient assis aux tables qui garnissaient la salle et avaient allumé leurs pipes, tout en commentant à voix plutôt basse l’incident. Les femmes, réunies en groupe au milieu de la pièce et non loin du prisonnier, faisaient aussi leurs commentaires mais à voix plus haute et avec plus d’animation que les hommes. Ceux-ci de temps à autre se faisaient servir des liqueurs par la tenancière qui répondait avec empressement.
C’était une accorte commère, pas laide, grasse et gaie. Âgée d’environ quarante-cinq ans elle possédait un visage encore sans rides, au teint clair et coloré qu’animaient des yeux noirs d’un vif éclat. Sur ses cheveux très noirs encore elle portait un bonnet de toile écrue et autour de son cou un fichu de soie mauve. Quant au reste, elle était vêtue comme les autres femmes du pays, corsage d’indienne ou de coton et jupe d’étoffe grise.
Dame Rémillard était très estimée dans le village et de tous les gens qui la connaissaient. C’était une femme hospitalière et généreuse, bonne chrétienne et excellente patriote. Avenante, sa clientèle augmentait constamment au lieu de diminuer, et l’on disait qu’elle faisait des affaires d’or. Aussi, nombre de veufs et vieux garçons avaient-ils essayé de lui faire la cour dans l’espoir d’obtenir sa main, mais Dame Rémillard avait fait savoir qu’elle ne songerait pas à se remarier tant qu’elle aurait sa fille avec elle. Cette décision avait paru définitive, et les pauvres soupirants qui, probablement, soupiraient après le magot plutôt qu’après la femme elle-même, avaient donc retraité, mais sans perdre tout à fait l’espoir de se voir un jour ou l’autre d’heureux élus.
Ce matin du 23 novembre 1837, Dame Rémillard avait l’air plus vive que d’habitude, plus avenante, et un large sourire ne quittait pas ses lèvres qui s’ouvraient sur de forts belles dents.
Elle parcourait la salle avec un cabaret sur lequel étaient posés un flacon et des verres. Elle servait elle-même les consommateurs. Quand le flacon était vide, elle allait derrière un petit comptoir placé dans un angle de la pièce et en prenait un autre.
Mais Dame Rémillard ne servait pas toujours ainsi : lorsqu’elle avait sa fille ou une servante elle demeurait à son comptoir pour y recevoir la monnaie. Elle abandonnait à sa fille ou à sa servante la tâche d’aller à la ronde dans la salle.
À mesure que se vidaient les verres, ce matin-là, les têtes s’échauffaient et les voix s’élevaient. Tous les hommes fumaient à grosses bouffées, de sorte qu’une boucane bleue planait comme un brouillard entre le plancher et le plafond bas, et dans ce brouillard on ne distinguait que confusément les silhouettes humaines.
À un moment, la tenancière offrit du vin aux quelques femmes présentes. Elle les fit approcher du comptoir, disant :
— Il n’y a pas que les hommes qui ont le droit de boire, les femmes aussi !
Cette invitation fut acceptée sans déplaisir.
Dame Rémillard versa du vin rouge dont elle vida elle-même allègrement une bonne tasse.
Les villageoises firent claquer leur langue et ne manquèrent pas de nombreux éloges sur la qualité du vin. Naturellement on entama la conversation avec la tavernière sur le compte du prisonnier vers qui ces braves femmes glissaient plus d’un regard furtif et défiant.
Une d’elles avait dit :
— Vous devez connaître cet espion, Mame Rémillard ?
La tenancière ne répondit pas, mais ses lèvres esquissèrent un sourire énigmatique.
Les femmes s’entre-regardèrent, ébauchant elles aussi un sourire qui pouvait clairement signifier : « Elle le connaît, mais elle ne dira rien ! »
Puis de nouveau chacune de ces femmes lançait un coup d’œil inquisiteur vers l’espion.
Celui-ci se trouvait assis de profil au coin de la cheminée. Cette cheminée occupait une partie du mur à gauche en entrant dans la salle. L’escalier conduisant à l’étage supérieur en frôlait le manteau. Dans l’angle du fond ouvrait la porte de la cuisine et entre cette porte et la cheminée s’élevait une haute pile de bûches de bois d’érable et de bouleau. Dans l’angle opposé se dressait le comptoir. Tel qu’il était placé le prisonnier se trouvait donc à faire face aux occupants de la salle.
Nous avons déjà dit qu’il avait les mains liées derrière le dos. Il était vêtu d’un ample manteau gris, comme en portaient les Patriotes, et coiffé d’un chapeau de feutre noir à larges bords. Son front disparaissait tout entier sous ce chapeau, et l’on ne pouvait bien voir que ses yeux, son nez et sa bouche. Avec sa tête un peu penchée, vers la poitrine, son menton s’enfonçait dans le collet de son manteau. De gros souliers le chaussaient lourdement, et ses jambes étaient emprisonnées dans des molletières de cuir noir.
Si l’on ne pouvait pas voir son visage en entier, on en découvrait suffisamment pour se convaincre que le prisonnier était un jeune homme âgé de pas plus de vingt-cinq ans.
De bonne taille, il pouvait avoir quelque élégance sous des vêtements moins grossiers. Son visage, aux traits assez réguliers, était pâle et fatigué, mais les regards brillants de ses yeux bruns accusaient l’audace et l’énergie. D’ailleurs, il levait rarement ses yeux qu’il tenait attachés sur les flammes du foyer. Ses lèvres minces esquissaient un sourire dédaigneux qui semblait y être stéréotypé.
Qui était ce jeune homme ?…
Quelqu’un avait dit qu’il se nommait André Latour et faisait partie d’un corps de volontaires au titre de lieutenant. En effet, André Latour était le fils d’un riche négociant de Montréal qui, comme beaucoup de Canadiens-français de cette époque, avait laissé pencher ses sympathies du côté des Loyalistes anglais qui, par tous les moyens, essayaient d’enlever aux Canadiens leurs droits, leurs coutumes et leur langue. On demandait que le Bas-Canada fût administré par un régime exclusivement anglais, qu’on n’y parlât qu’une langue et qu’on fît disparaître jusqu’au dernier vestige des lois civiles françaises. On voulait, en outre, que les Canadiens fussent exclus des emplois publics. Bref, on travaillait à l’extinction totale de la nationalité française de Québec.
André Latour, après ses études faites, avait préféré le métier des armes au négoce en lequel son père avait songé à l’initier. À ce propos, disons que, à cette époque si troublée, un bon nombre de Canadiens français et dont plusieurs étaient des officiers remarquables, étaient enrôlés sous les drapeaux britanniques ; mais nous devons leur rendre cette justice que la plupart, sinon tous, n’avaient pas pris du service pour combattre leurs compatriotes. Bien que les esprits fussent très exaltés, malgré que bien des rumeurs batailleuses circulassent par tout le pays, tant dans le Bas-Canada que dans le Haut-Canada où, à certains moments, on croyait voir éclater un volcan, personne n’osait croire avec assurance à une insurrection, pour la bonne raison que le peuple n’était nullement préparé ni armé pour jeter le défi aux troupes du gouvernement canadien. Au vrai, l’insurrection existait, elle était dans les esprits, mais les insurgés ne voulaient pas prendre la responsabilité de l’offensive. Mais cette offensive, les Patriotes la prirent d’une certaine façon, et il arriva que des compatriotes durent porter des armes meurtrières contre des compatriotes. Les événements devaient transformer en ennemis des hommes de même origine et de même sang.
C’est ainsi que, ce matin de novembre, André Latour se voyait traité comme un ennemi.
Un quart d’heure s’était écoulé depuis que s’en étaient allés les deux gardiens du prisonnier, lorsque la porte de l’auberge s’ouvrit pour laisser entrer une douzaine de Patriotes dont un seul cependant était armé d’un fusil.
— Ah ! ah ! les compagnons ! s’écria l’un des arrivants, il paraîtrait qu’on nous a amené un espion ?
— On sait ben ! répondit un des villageois attablés en pointant Latour avec sa pipe. Regardez-y donc le nez, là !
Le prisonnier venait de lever la tête pour jeter un rapide coup d’œil sur les nouveaux venus.
Le Patriote qui venait de parler et qui portait un fusil en bandoulière, s’approcha de la cheminée, se pencha et regarda sous le nez de Latour.
Puis il se releva, se redressa, fit entendre un sifflement et regardant toute la salle qui venait de faire silence :
— Dames et Sieurs de la compagnie, nasilla-t-il avec une expression de surprise comique, je veux que le Bon Guieu me pardonne tous mes péchés… mais c’est pas un espion… c’est une espionne !…
— Une espionne !
Tout le monde bondit d’étonnement.
— Es-tu fou, Farfouille Lacasse ? cria Dame Rémillard de son comptoir.
— Fou… non ! répliqua gravement celui qu’on venait de nommer Farfouille Lacasse. Mais j’ai peut-être mal vu et mal regardé !
— Regardes-y encore sous le nez, Farfouille ! cria un jeune homme, un Patriote aussi, mais tout petit, et qui pour mieux voir sauta sur une table à pieds joints. Car toute la salle se pressait en rond près du prisonnier.
Farfouille Lacasse, puisque tel était son nom, se rapprocha de nouveau et avec précaution du prisonnier, tout comme il aurait fait d’un animal dangereux, et tout en relevant le bord du chapeau qui couvrait la tête de l’espion, il disait :
— J’y vas doucement, comme faisait mon grand-père qui levait les couvertes pour me sacrer une claque parce que je dormais mieux le matin que le soir…
D’un geste brusque il enleva tout à fait le chapeau du prisonnier, puis exécuta un bond en arrière, exclamant :
— Ah ! batèche… j’avais ben mal vu… c’est un espion !
On se mit à rire à la ronde.
Mais une voix nasillarde clama :
— Un espion !… Un espion !… Ah ben ! à bas l’espion… à bas l’espion !
— Tais-toi donc, Landry ! commanda Dame Rémillard en perdant son sourire et en fronçant ses sourcils noirs !
Tout le monde se retourna, et tous les regards virent debout sur une table le petit bonhomme qui avait l’instant d’avant crié à Farfouille Lacasse de regarder le nez du prisonnier. Oui, c’était un petit homme, maigre, la figure longue et très brunie par le hâle, la pipe aux dents et fumant à grosses bouffées, un bonnet de laine rouge vif planté sur l’oreille gauche, et les deux mains dans les poches de sa capote grise. Ses jambes fines et fortement cagneuses étaient serrées dans les jambières de bottes sauvages, et dans cette pose il avait une mine si drolatique qu’on se mit à rire de nouveau.
— Faut pas rire ! s’écria la tenancière en jetant un regard courroucé au petit homme ; ça va l’encourager !
— Moi, Mame Rémillard, j’ris pas, répliqua Landry avec un grand sérieux… c’est eux autres qui rient ! Moi, j’dis seulement : à bas l’espion !
— C’est vrai, Mame Rémillard, renchérit Farfouille Lacasse, c’est un espion, et vous savez qu’un espion c’est dangereux ! Ça se fourre le nez partout, ça vous guette si ben que vous êtes pas capable de lever le couvercle de la casserole sans qu’on voie ce qu’il y a dedans ! Vous pouvez pas fermer les yeux une seconde, parce que si vous fermez les yeux ça peut vous donner un coup dans l’estomac, ou ben dans l’ventre. Non, faut pas se fier à un espion ! Si vous parlez, ça vous écoute ; si vous vous grattez, ça vous entend ; si vous reluquez quelque part, ça reluque aussi ; et même si vous pensez à quelque chose, ça devine ce que vous pensez ! Eh ben ! ma grande foi du bon Guieu ! cet espion-là est pas dans nos parages rien que pour se promener, il a dû sentir quelque chose, et je serais pas étonné qu’il ait joué quelque tour aux Patriotes ! Donc, moi, Mame Rémillard, que ça vous fâche ou que ça vous fâche pas, j’dis comme Landry : À bas l’espion !
Landry poussa un cri de joie, un cri si aigu qu’il faillit briser les tympans des villageois, et il se mit à sauter une gigue sur la table.
Les villageois et les villageoises, dont l’esprit, était quelque peu échauffé par l’eau-de-vie et le vin, se mirent à rire encore, puis à murmurer, à chuchoter… Et tout à coup plusieurs voix crièrent :
— À bas l’espion !
— Moi, je propose qu’on lui mette une corde au cou ! clama Landry.
— Eh bien ! vous autres, demanda Farfouille Lacasse qui, debout, droit comme un pin, haut de taille, se tenait devant le prisonnier, les deux mains appuyées sur le canon de son fusil et face aux villageois… Eh bien ! vous autres, dit-il, qu’est-ce que vous en dites ? Est-ce qu’on va le pendre, ou si on ne le pendra pas ?
L’exaltation augmentait. D’autres Patriotes et villageois pénétraient dans l’auberge à tout instant et venaient grossir la réunion. Maintenant les femmes se mêlaient aux hommes, et çà et là on formait des groupes agités, discutant à voix basse ou haute, faisant des gestes qu’on pouvait interpréter assez facilement, car ces gestes étaient menaçants, car les regards froncés se posaient souvent avec colère sur le prisonnier. Des hommes et des femmes allaient de groupe en groupe, interrogeant :
— Eh bien ! qu’est-ce qu’on va décider ?
Les uns déclaraient qu’ils étaient pour une exécution sommaire ; d’autres, plus indécis, hochaient dubitativement la tête. Mais tous fumaient avec acharnement, comme s’ils eussent attendu du fond de leur pipe l’inspiration qui leur manquait. La salle s’assombrissait dans une fumée grisâtre au travers de laquelle la lampe n’apparaissait plus que comme un point rouge, ou comme un tison qui s’éteint. Les physionomies devenaient de plus en plus indistinctes dans cette boucane que les allées et venues des villageois déchiraient, mais qui se reformait de suite, telle la vague coupée par la proue d’une navire se rejoint peu après et se ressoude. Les voix se haussaient et se confondaient, les paroles se heurtaient en résonances diverses, de sorte qu’on ne pouvait plus bien saisir ce qui se disait. Au reste, ceux qui se parlaient n’avaient pas l’air de bien s’entendre ou se comprendre eux-mêmes. Et au-dessus de ce charabia zigzaguait la voix criarde de Landry. Lui, n’était presque plus visible dans le nuage de fumée qui le cerclait. Il demeurait toujours juché sur sa table, lançant après une large bouffée un jet de salive, dansant, sautant, giguant, et toujours avec son bonnet de laine rouge qui effleurait les poutres enfumées du plafond. Il criait :
— Farfouille vous l’a dit, mes amis : c’est dangereux, un espion ! Faut pas attendre que ça vous coupe le cou ou que ça vous déclenche un coup de fusil dans l’œil ou dans l’nez !
— Mais vas-tu bien te taire, Landry ! faisait chaque fois Dame Rémillard demeurée derrière son comptoir d’où elle surveillait ses hôtes avec une inquiétude que manifestaient nettement ses traits.
Landry lui décochait un sourire narquois en clignant de l’œil et reprenait, la voix plus perçante :
— Vous savez, les amis, un espion c’est comme qui dirait un serpent : ça se glisse entre vos jambes sans que vous vous en aperceviez, et puis ça vous darde tout d’un coup ! Moi, je me méfie des espions comme des serpents !
Or, Landry soufflait sur des braises déjà ardentes, et la tenancière, naturellement, redoutait que sa maison ne devînt le théâtre d’un drame affreux.
Le prisonnier ne paraissait nullement se préoccuper de ce qui se passait autour de lui. Farfouille Lacasse lui avait remis son chapeau sur la tête, et, les yeux toujours rivés sur la flamme du foyer, toujours avec ses lèvres dédaigneusement souriantes, celui qu’on appelait l’espion demeurait indifférent en apparence. Du reste, la fumée des pipes l’empêchait de bien voir cette foule grondante de villageois et de Patriotes, et le tumulte des conversations ne lui permettait pas de saisir le sens des choses qu’on se jetait confusément en paroles entrecoupées de jurons, de coups de poings sur les tables, d’exclamations, d’éclats de rire, de toussements et de frottements de pieds sur le plancher. Cependant, de temps à autre il levait un regard perçant sur la silhouette de Farfouille qui lui tournait le dos et le masquait à demi aux yeux des Patriotes et villageois.
Quant à Farfouille, comme une sentinelle vigilante, il demeurait appuyé sur le canon de son fusil et, sans impatience, calme, attendait la décision de l’assemblée. C’était un grand diable d’homme que ce Farfouille Lacasse, fils de paysan, âgé de vingt-deux à vingt-trois ans, qui, à la saison d’hiver, s’en allait dans les bois pour ne revenir chez son père qu’au printemps à la reprise des travaux de la terre. On le disait chasseur émérite, et tireur de première force. Il était très blond, pas laid, et d’un caractère jovial. C’était aussi un marcheur forcené, et peu de coureurs des bois pouvaient le suivre au travers de la forêt. Chaussé de raquettes, il allait à pas de géant. Habituellement Farfouille Lacasse partait pour les bois le surlendemain de la Toussaint ; mais cette année-là le docteur Nelson lui avait dit, un jour :
— On a besoin de toi et de ton fusil, Farfouille, cet automne !
— Ah ben ! monsieur le docteur, vous n’avez qu’à me prendre. Faut-il aller vous tuer un chevreuil ?
— Non… mais tu auras peut-être à défendre ton village contre les soldats du gouvernement… tu me comprends ?
— Si je vous comprends… avait souri le jeune chasseur, je vous crois ben ! C’est bon, je serai au poste !
— Tu as des balles et de la poudre ?
— En masse, monsieur le docteur !
— C’est bon, on comptera sur toi !
Et Farfouille était demeuré pour défendre son village. !
Mais il n’était pas un meurtrier, pas plus que les villageois et les Patriotes réuni dans l’auberge de Dame Rémillard n’étaient des assassins. Tous ces gens étaient menacés, et ils voulaient se protéger. Papineau leur avait dit que la parole était impuissante à se faire entendre à Québec, à Montréal, à Kingston et à Londres, et qu’il ne resterait bientôt plus qu’à faire parler les fusils. On avait donc apprêté le peu de fusils qu’on avait. Aussi, croyait-on être dans son juste droit en exécutant un compatriote qui était un traître et un espion, par conséquent un ennemi dangereux ! Si c’était la guerre, on prenait un droit de guerre : pas de quartier, point de merci ! Voilà le point sur lequel on essayait de s’entendre parmi ces gens honnêtes, braves et courageux qui, dans les jours ordinaires, n’eussent pas troublé l’écho du firmament, et qui, paisibles, retirés dans leurs affaires et leurs foyers, croyant fermement que ce pays était le leur puisqu’il était l’œuvre de leurs aïeux, assurés qu’ils avaient droit aux libertés dont ils avaient toujours eu la jouissance, ne demandaient que la paix, la tranquillité et le respect qu’on doit à tout homme digne de ce nom et à toute race fière de son origine !
Alors, un silence relatif s’établit et presque toutes les figures se tournèrent du côté du prisonnier et de Farfouille Lacasse.
— Eh ben ? interrogea ce dernier.
— Je pense, dit un des Patriotes, qu’il faudrait lui faire son affaire.
— Moi, dit un autre, j’serais d’avis qu’on attende le docteur !
— Et moi, qu’il faudrait tout au moins savoir ce que dirait Ambroise Coupal !
— Et moi, cria Landry, j’dis que le docteur lui ferait lui-même son affaire ! Et j’dis encore que Coupal lui passerait son sabre au travers du ventre à cet espion-là !
— Oui, dit Farfouille, je pense ça aussi. Mais l’embêtant, c’est que le docteur n’y est pas ni Ambroise Coupal !
— C’est pourquoi, reprit Landry, j’dis qu’on n’a pas le temps d’attendre ! Qui est-ce qui nous dit que les Rouges viendront pas tout d’un coup nous cracher dans la figure !
— T’as raison, Landry ! cria une voix forte. Moi je vote mort à l’espion !
Cette fois un cri général s’éleva en une condamnation presque unanime :
— Mort à l’espion !
Et cette fois le prisonnier se troubla et pâlit.
Mais Dame Rémillard se précipita dans le demi-cercle où se trouvaient le prisonnier et Farfouille.
— Faut pas lui faire de mal ! cria la brave femme en élevant ses mains au plafond. Faut pas rien lui faire ajouta-t-elle, avant que le docteur ait dit son mot !
Mais une des femmes riposta sur un ton aigre :
— Mame Rémillard, si on lui fait pas de mal à cet espion-là, il pourrait bien nous en faire lui ! Faut pas attendre les coups, vaut bien mieux les prévenir !
Ces paroles furent accueillies avec enthousiasme.
— Oui, reprit une autre femme, si on se débarrasse pas de cet espion, il pourra s’esquiver, puis revenir avec une armée de Rouges !
Le chahut reprenait de plus belle. Landry demanda le calme et le silence.
— Mes amis, dit-il, j’vas vous dire ce qu’on devrait faire… son procès de suite ! Je lui demanderais : es-tu un espion ou non ?… S’il dit oui, cri cra, crac ! on lui décharge trois fusils dans les entrailles-et-bénies ! S’il dit non… eh ben ! faudra attendre le docteur ou ben Coupal !
— Bravo, Landry ! exclama Farfouille en frappant le plancher de la crosse de son fusil. Eh ben ! les amis, est-ce que vous dites bravo aussi ?
— Oui, oui… cria toute la salle exaltée, et c’est Farfouille qui fera crac avec son fusil !
— Moi ! se mit à rire le jeune chasseur, je vous crois ! Tenez ! vous allez voir ça comment on fait crac !
Aussitôt il fit un saut en l’air et se mit à faire tourner son fusil au bout de ses doigts.
Toute l’assemblée poussa un cri d’étonnement et d’effroi, et tout le monde recula devant le fusil qui tournait avec une rapidité effroyable. Farfouille, l’œil bleu rivé sur le fusil, souriait. Landry dansait une gigue sur la table en poussant des cris perçants. Et cette fois le prisonnier regardait Farfouille Lacasse avec stupeur et admiration. Puis ce dernier lança le fusil en l’air. L’arme heurta violemment le plafond et redescendit avec la vitesse d’une balle…
Un « Ho » ! d’effroi partit sur les lèvres pâles des braves villageoises.
Mais Farfouille venait de rattraper son fusil, et de suite il faisait un nouveau saut et criait en imitant certain officier anglais qu’il avait déjà entendu :
— Attention !… Ready !… Fire !…
Comme il ne savait pas un mot d’anglais, il prononçait « Attenshune. »
Puis, ayant dit, il porta la crosse de son fusil à l’épaule et mit en joue quelques flacons de Dame Rémillard posés sur une tablette derrière le comptoir. Mais la tenancière s’élança en avant et d’une main hardie saisit le canon du fusil, clamant :
— Arrête ! Arrête ! Farfouille… ne casse pas mes bouteilles !
— Ah ! ah ! ah ! se mit à rire Farfouille en abaissant le canon de son fusil, vous avez ben fait Mame Rémillard de mettre la main sur mon fusil, parce que sans ça… Oui, je lui mettrais toute la charge dedans comme je l’aurais mise dans l’estomac d’un anglais !
Un éclat de rire général circula.
— Eh ben ! Farfouille, cria Landry en désignant l’espion. Ce type-là, c’est pas un anglais ; mais c’est peut-être pire ! Demande-lui donc s’il est un espion, car faut lui faire son procès.
— Ah ! tais-toi donc, Landry, dit encore Dame Rémillard, tu sais ben que c’est sans bon sens cette affaire de procès !
— Eh ! riposta avec aigreur Landry, c’est à vous de vous taire la mère Rémillard, sans quoi on va penser que vous êtes pas une patriote !
— Hein ! moi, pas une patriote ! rugit Dame Rémillard violemment souffletée par cette riposte.
Tous les yeux se fixèrent curieusement sur la tavernière qui était devenue très rouge.
— Oui, je suis une Patriote ! reprit-elle avec force, et on le verra ben avant longtemps.
— En ce cas, laissez-nous donc faire ! répartit Landry dont les yeux brillaient comme des flammes. Voyons, Farfouille, fais le juge !
— Ah ! béniche ! par exemple, fit Farfouille en retirant son bonnet de loutre, me v’là dans les honneurs par-dessus la tête ! C’est égal, on va faire son devoir !
Et il se tourna vers le prisonnier qu’il considéra avec un air moqueur.
Le silence se fit de toutes parts. Le prisonnier regarda Farfouille dans les yeux hardiment, mais toujours avec son air dédaigneux. Mais cette mine dédaigneuse n’impressionna nullement le Patriote.
— Sir, dit-il sur un ton grave, vous allez me répondre devant tout le monde ici si vous êtes un espion ou point ! Si vous êtes un espion, pan ! ça y est ! Si vous êtes pas un espion, ça n’y est pas encore à c’t’heure, mais ça pourra y être un peu plus tard ! Voyons ! béniche…
Et se tournant vers la salle attentive, il hurla :
— Attention !… Ready !… Fffffff…
Un immense éclat de rire retentit sous le plafond bas. Le prisonnier lui-même ne put s’empêcher de sourire devant la comique physionomie de Farfouille qui, très sérieux, essayait encore de finir le mot « Fire », mais ne parvenait pas à faire entendre autre chose qu’un long sifflement.
— Holà ! cria une voix courroucée parmi les villageois, ce n’est pas le temps de faire des farces ! Les Rouges peuvent arriver à tout moment !
— Laissez-les donc arriver ! se fâcha Farfouille. D’ailleurs, on a du plomb pour les recevoir.
Et, cette fois, d’une voix rude et impérative, il demanda au prisonnier :
— Eh ben ! prisonnier, est-ce qu’on est un espion ou point ?
L’autre haussa les épaules et ne répondit pas.
— Qui ne dit mot consent ! clama une femme.
— Ça y est ! À mort l’espion ! rugit Landry du haut de sa table.
— À mort ! À mort ! clama toute la salle.
Mais Farfouille branla la tête, s’appuya sur le canon de son fusil et demeura immobile et muet.
— Eh ben ! Eh ben ! qu’est-ce que tu fais là ? demanda Landry avec étonnement.
Et le même étonnement se manifestait sur tous les visages.
Farfouille grave comme une statue de pierre, hocha encore la tête sans parler.
Alors, Landry poussa un rugissement, sauta à terre, fendit la masse des villageois et se rua comme un tigre enragé sur le prisonnier.
Mais Farfouille, d’une poigne solide, le saisit au collet et le rejeta dans la foule des villageois et Patriotes.
La stupeur était à son comble, mais personne n’osait parler. Tous les regards se fixaient sur Farfouille.
Après le premier moment de surprise, Landry se rapprocha de Farfouille et demanda :
— As-tu perdu l’aviron, Farfouille ? Tu me sembles d’aller de travers !
— Non, répondit gravement le chasseur. Moi, Landry, je tue pas un canayen ; et vous autres, les amis, vous tuez pas non plus un canayen !
— Mais, pourtant tout à l’heure… voulut dire Landry.
— Tout à l’heure, je faisais des histoires ; mais à c’t’heure c’est du sérieux !
— Oui, mais cet homme est un espion et un traître ! cria Landry exaspéré par le calme de son ami.
— C’est vrai ! approuva une partie de la salle. Cet homme est un traître, et ce n’est pas un canayen ! Mort ! Mort !
— Mort !… hurla Landry en arrachant à Farfouille son fusil.
La salle applaudit à ce geste.
— Landry ! Landry !… cria Dame Rémillard pour protester.
— Laissez donc faire, la mère ! vociféra un villageois. C’est pas vous qu’on tue, et c’est pas votre garçon non plus ! Mort à l’espion !
— Mort au traître ! Mort à l’espion ! cria la salle entière une dernière fois.
Puis un silence effrayant se fit, car Landry mettait le prisonnier en joue, presque à bout portant.
Farfouille Lacasse jeta une imprécation.
— Si vous tuez, vous autres, des canayens qui sont pas armés, moi je m’efface !
— Va-t’en, sans-cœur ! cria Landry. Moi, je tire… Allons ! traître, ajouta le jeune homme sur un ton résolu, fais ton signe de croix, car je tire…
Un nouveau silence se fit… Dans ce silence une voix de femme au timbre sonore et grave résonna et sembla descendre de l’étage supérieur :
— Landry… proféra la voix, tu ne tireras pas !
Les Anglais survenant à l’improviste et aux bruits de leurs canons n’auraient pas produit un effet plus curieux : la salle entière se statufia et tous les yeux s’élevèrent vers le haut de l’escalier où venait de paraître une jeune fille vêtue de blanc.
Landry, frémit de tout son être et abaissa vivement son arme.
Le prisonnier lui-même tressaillit. Puis il pâlit et baissa la tête pour regarder les flammes du foyer, comme s’il avait eu peur de regarder cette jeune fille qui venait de sauver sa vie.
Mais Dame Rémillard, elle, jeta un cri de joie en proférant ce nom :
— Denise !… Ma Denise !…
La jeune fille descendait lentement l’escalier, une de ses mains fines glissant sur la rampe luisante. Et c’était une belle fille de vingt-un ans, grande, élancée, élégante même, très brune et ressemblant fort du visage à Dame Rémillard. Ses cheveux très noirs, comme ceux de sa mère, fins, légers et ondulés formaient deux bandeaux, couvraient à demi les oreilles et se terminaient par une grosse natte enrubannée de rouge et reposant sur la nuque. Le visage était très ovale, un peu maigre, mais aux traits délicats et harmonieux, et le tout était complété par des yeux noirs très brillants et mobiles, un nez parfait, une bouche admirable. Quelle belle fille !… On la regardait avec une admiration croissante, et pourtant on la connaissait bien, cette Denise Rémillard.
Elle descendait, calme et grave, en tenant son regard perçant et sévère sur les hôtes de l’auberge qui demeuraient béants.
Au pied de l’escalier elle s’arrêta, sourit à sa mère, laissa peser sur Landry honteux et confus un œil courroucé, et regarda le prisonnier. Celui-ci venait de lever ses yeux sur la jeune fille. Les deux regards se croisèrent rapidement et parurent échanger une pensée. Puis, chose étrange, la jeune fille ferma les yeux, porta une main à sa poitrine, tandis que l’autre main demeurait crispée à la rampe, et soudain elle s’affaissa sur le tapis de laine étendu au bas de l’escalier.
— Denise !… Denise !… clama Dame Rémillard en s’élançant au secours de sa fille.
Mais déjà Farfouille Lacasse bondissait et relevait la jeune fille.
Mais celle-ci n’était pas évanouie. De suite, par un effort de volonté elle se raidissait en écartant Farfouille. Son teint brun était devenu blanc, sa poitrine suffoquait, et de ses deux mains serrées à la rampe de l’escalier elle se maintenait debout.
Dame Rémillard survenait aussitôt et passait un bras autour de la taille flexible de sa fille qu’elle soutenait.
— Mais qu’as-tu donc, ma chérie ? demandait toute angoissée la tavernière. On dirait que tu es bien malade…
— Un étourdissement, maman… Ce n’est rien.
Elle sourit encore. Puis, promenant son regard à demi voilé sur les villageois et Patriotes silencieux, elle dit d’une voix plus faible :
— Mes amis, je vous prie de ne point faire de mal à ce jeune homme !
Elle indiquait le prisonnier sans oser le regarder.
Du reste, celui-ci, dont on pouvait deviner le trouble, avait reporté ses regards sur le foyer.
Des murmures approbateurs coururent parmi les hôtes de l’auberge.
— Veux-tu un coup de vin ? demanda la tavernière en embrassant sa fille.
— Non, maman, merci. Je suis mieux déjà. Seulement, dites à nos amis de se retirer…
Mais déjà des villageois et des Patriotes sortaient dehors, et les autres s’apprêtaient à suivre.
— Faut pourtant en garder, dit la tenancière, pour veiller sur le prisonnier. Si on gardait Farfouille et Landry ?…
Ceux-ci demeuraient là, confus, comme s’ils eussent attendu des ordres.
— Non, non, dit la jeune fille en souriant aux deux Patriotes, je veillerai moi-même sur le prisonnier !
Et elle fit un geste en montrant la porte ouverte.
Farfouille et Landry se retirèrent.
Alors le prisonnier ramena son regard sur Denise.
Tous deux se sourirent.
— Bon ! se dit Dame Rémillard, ce garçon-là ça doit être celui qu’elle aime ! Par conséquent, c’est pas un espion ! Je l’avais deviné !
L’auberge s’était entièrement vidée, mais tout le monde demeurait groupé sur le chemin et faisait à voix basse mille commentaires. Soudain plusieurs voix crièrent :
— Le docteur ! Le docteur !…
À ce nom, le prisonnier perdit son sourire et jeta à la jeune fille un regard inquiet.
Mais elle répondit par un sourire qui semblait dire :
— Soyez tranquille, je veillerai !…
À cet instant même, une haute silhouette humaine paraissait sur le seuil de la porte ouverte, un homme avec une physionomie martiale qui, d’une voix rude, proféra :
— Ah ! ah ! voici le sujet en question !
Et il dardait sur le prisonnier un œil pénétrant.
Puis il entra tout à fait et marcha vers la cheminée d’un pas bref et décidé…
C’était Wolfred Nelson !