L’histoire de Juliette/première partie
Juliette, faisant suite et servant de conclusion à la Nouvelle Justine dont les Aventures forment 4 volumes, le tome Ier. de Juliette, dont l’histoire en contient 6, a été cotté tome 5, et ainsi de suite jusqu’au tome 10 inclusivement.
Les deux Ouvrages, quoique se liant ensemble, se vendent séparément.
Les quatre premiers volumes contiennent un frontispice et 40 gravures.
Les six derniers… 60 gravures.
cent Sujets gravés avec soin
Des bizarres penchans qu’inspire la nature.
Ce fut au couvent de Panthemont que Justine et moi fûmes élevées. Vous connaissez la célébrité de cette abbaye, et vous savez que c’était de son sein que sortaient depuis bien des années les femmes les plus jolies et les plus libertines de Paris. Euphrosine, cette jeune personne dont je voulus suivre les traces, qui, logée dans le voisinage de mes parens, s’était évadée de la maison paternelle, pour se jeter dans le libertinage, avait été ma compagne dans ce couvent ; et comme c’est d’elle et d’une religieuse de ses amies que j’avais reçu les premiers principes de cette morale, qu’on est surpris de me voir aussi jeune dans les récits que vient de vous faire ma sœur, je dois, ce me semble, avant tout, vous entretenir de l’une et de l’autre… vous rendre un compte exact de ces premiers instans de ma vie, où séduite, corrompue par ces deux sirènes, le germe de tous les vices naquit au fond de mon cœur.
La religieuse dont il s’agit, s’appelait madame Delbène ; elle était abbesse de la maison depuis cinq ans, et atteignait sa trentième année, lorsque je fis connaissance avec elle. Il était impossible d’être plus jolie ; faite à peindre, une physionomie douce et céleste, blonde, de grands yeux bleus pleins du plus tendre intérêt, et la taille des grâces ; victime de l’ambition, la jeune Delbène avait été mise à douze ans dans un cloître, afin de rendre plus riche un frère aîné qu’elle détestait. Enfermée dans l’âge où les passions commencent à s’exprimer, quoique Delbène n’eût encore fait aucun choix, aimant le monde et les hommes en général, ce n’avait pas été sans s’immoler elle-même, sans triompher des plus rudes combats qu’elle s’était enfin déterminée à l’obéissance. Très-avancée pour son âge, ayant lu tous les philosophes, ayant prodigieusement réfléchi, Delbène, en se condamnant à la retraite, s’était ménagée deux ou trois amies. On venait la voir, on la consolait ; et comme elle était fort riche, l’on continuait de lui fournir tous les livres et toutes les douceurs qu’elle pouvait desirer, même celles qui devaient le plus allumer une imagination… déjà fort vive, et que n’attiédissait pas la retraite.
Pour Euphrosine, elle avait quinze ans lorsque je me liai avec elle, et elle était depuis dix-huit mois l’élève de madame Delbène, quand l’une et l’autre me proposèrent d’entrer dans leur société, le jour ou je venais d’atteindre ma treizième année. Euphrosine était brune, grande pour son âge, fort mince, de très-jolis yeux, beaucoup d’esprit et de vivacité, mais moins jolie, bien moins intéressante que notre supérieure.
Je n’ai pas besoin de vous dire que le penchant à la volupté est, dans des femmes récluses, l’unique mobile de leur intimité ; ce n’est pas la vertu qui les lie, c’est le foutre ; on plaît à celle qui bande pour nous, on devient l’amie de celle qui nous branle. Douée du tempérament le plus actif, dès l’age de neuf ans, j’avais accoutumé mes doigts à répondre aux desirs de ma tête, et je n’aspirais depuis cet âge, qu’au bonheur de trouver l’occasion de m’instruire et de me plonger dans une carrière dont la nature précoce m’ouvrait déjà les portes avec autant de complaisance. Euphrosine et Delbène m’offrirent bientôt ce que je cherchais. La supérieure, qui voulait entreprendre mon éducation, m’invita un jour à déjeûner… Euphrosine s’y trouvait, il faisait une chaleur incroyable, et cette excessive ardeur du soleil leur servit d’excuse à l’une et à l’autre sur le désordre où je les trouvai ; il était tel, qu’à cela près d’une chemise de gaze, que retenait simplement un gros nœud de ruban rose, elles étaient en vérité presque nues.
Depuis que vous êtes entrée dans cette maison, me dit madame Delbène, en me baisant assez négligemment sur le front, j’ai toujours desiré de vous connaître intimément. Vous êtes très-jolie, vous m’avez l’air d’avoir de l’esprit, et les jeunes personnes qui vous ressemblent ont des droits bien certains sur moi… Vous rougissez, petit ange, je vous le défends ; la pudeur est une chimère ; unique résultat des mœurs et de l’éducation ; c’est ce qu’on appelle un mode d’habitude ; la nature ayant créé l’homme et la femme nuds, il est qu’elle leur ait donné en même tems de l’aversion ou de la honte pour paraître tels. Si l’homme avait toujours suivi les principes de la nature, il ne connaîtrait pas la pudeur, fatale vérité qui prouve, ma chère enfant, qu’il y a de certaines vertus qui n’ont d’autre berceau que l’oubli total des lois de la nature ; quelle entorse on donnerait à la morale chrétienne, en scrutant ainsi tous les principes qui la composent. Mais nous jaserons de tout cela. Aujourd’hui parlons d’autre chose, et déshabillez-vous comme nous ; puis s’approchant de moi, les deux friponnes, en riant, m’eurent bientôt mise dans le même état qu’elles. Les baisers de madame Delbène prirent alors un caractère tout différent… Qu’elle est jolie ma Juliette, s’écria-t-elle avec admiration ! comme sa délicieuse petite gorge commence à bondir ! Euphrosine, elle l’a plus grosse que toi… et cependant à peine treize ans, les doigts de notre charmante supérieure chatouillaient les fraises de mon sein, et sa langue frétillait dans ma bouche, elle s’apperçut bientôt que ses caresses agissaient sur mes sens avec un tel empire, que j’étais prête à me trouver mal ; oh ! foutre, dit-elle, ne se contenant plus et me surprenant par l’énergie de ses expressions… Sacredieu quel tempérament ! Mes amies ne nous gênons plus, au diable tout ce qui voile encore à nos yeux des attraits que la nature ne nous créât point pour être cachés ; et jetant aussitôt loin d’elle les gazes qui l’enveloppaient, elle parut à nos regards belle comme la Vénus qui fixa l’hommage des Grecs. Il était impossible d’être mieux faite, d’avoir une peau plus blanche… plus douce… des formes plus belles et mieux prononcées ; Euphrosine qui l’imita presque tout de suite, ne m’offrit pas autant de charmes ; elle n’était pas aussi grasse que madame Delbène ; un peu plus brune, peut-être devait-elle plaire moins généralement ; mais quels yeux ! que d’esprit ! Émue de tant d’attraits, vivement sollicitée par les deux femmes qui les possédaient, de renoncer comme elles à tous les freins de la pudeur, vous croyez bien que je me rendis : au sein de la plus tendre ivresse la Delbène m’emporte sur son lit et me dévore de baisers ; un moment, dit-elle tout en feu ; un instant mes bonnes amies, mettons un peu d’ordre à nos plaisirs ; on n’en jouit qu’en les fixant. À ces mots elle m’étend les jambes écartées, et se couchant sur le lit à plat-ventre, sa tête entre mes cuisses, elle me gamahuche pendant qu’offrant à ma compagne les plus belles fesses qu’il soit possible de voir, elle reçoit des doigts de cette jolie petite fille, les mêmes services que sa langue me rend. Euphrosine instruite de ce qui convenait à Delbène entre-mêlait ses pollutions de vigoureuses claques sur le derrière, dont l’effet me parut certain sur le physique de notre aimable institutrice ; vivement électrisée par le libertinage, la putain dévorait le foutre qu’elle faisait à chaque instant jaillir de mon petit con. Quelquefois elle s’interrompait pour me regarder… pour m’observer dans le plaisir. Qu’elle est belle, s’écriait la tribade !… Oh sacredieu qu’elle est intéressante ; secoue-moi, Euphrosine, branle-moi, mon amour, je veux mourir enivrée de son foutre ! Changeons, varions tout cela, s’écriait-elle le moment d’après, chère Euphrosine ; tu dois m’en vouloir ; je ne pense pas à te rendre tous les plaisirs que tu me donnes… Attendez, mes petits anges, je vais vous branler tous les deux à-la-fois. Elle nous place sur le lit, à côté l’une de l’autre par ses conseils nos mains se croisent, nous nous polluons réciproquement, sa langue s’introduit d’abord dans l’intérieur du con d’Euphrosine, et de chacune de ses mains elle nous chatouille le trou du cul ; elle quitte quelquefois le con de ma compagne, pour venir pomper le mien, et recevant ainsi chacune trois plaisirs à-la-fois, vous jugez si nous déchargions ; au bout de quelques instans la friponne nous retourne, nous lui présentions nos fesses, elle nous branlait en dessous en nous gamahuchant l’anus. Elle louait nos culs, elle les claquait et nous faisait mourir de plaisir, se relevant de là comme une bacchante, rendez-moi tout ce que je vous fais, disait-elle, branlez-moi toutes les deux, je serai dans tes bras, Juliette, je baiserai ta bouche, nos langues se refouleront… se presseront… se suceront ; tu m’enfonceras ce godemiché dans la matrice, poursuit-elle, en m’en donnant un ; et toi, mon Euphrosine, tu te chargeras du soin de mon cul, tu me le branleras avec ce petit étui ; infiniment plus étroit que mon con, c’est tout ce qu’il lui faut… Toi, ma poule, continue-t-elle en me baisant, tu n’abandonneras pas mon clitoris, c’est le véritable siège du plaisir dans les femmes, frotte-le jusqu’à l’égratigner, je suis dure… je suis épuisée, il me faut des choses fortes ; je veux me distiller en foutre avec vous, je veux décharger vingt fois de suite si je le puis. Oh dieu ! comme nous lui rendîmes ce qu’elle nous prêtait ; il est impossible de travailler avec plus, d’ardeur à donner du plaisir à une femme… impossible d’en trouver une qui le goûtât mieux. Nous nous remîmes.
Mon ange, me dit cette charmante créature, je ne puis t’exprimer le plaisir que j’ai d’avoir fait connaissance avec toi ; tu es une fille délicieuse, je vais t’associer à tous mes plaisirs, et tu verras qu’il est possible d’en goûter de bien vifs, quoiqu’on soit privé de la société des hommes. Demande à Euphrosine si elle est contente de moi. — Oh mon amour, que mes baisers te le prouvent, dit notre jeune amie, en se précipitant sur le sein de Delbène, c’est à toi que je dois la connaissance de mon être ; tu as formé mon esprit, tu l’as dégagé des stupides préjugés de l’enfance ; c’est par toi seule que j’existe au monde ; ah que Juliette est heureuse, si tu daignes prendre d’elle les mêmes. soins ; oui, répondit madame Delbène, oui, je veux me charger de son éducation, je veux dissiper dans elle, comme je l’ai fait dans toi, ces infâmes prestiges religieux qui troublent toute la félicité de la vie, je veux la ramener aux principes de la nature, et lui faire voir que toutes les fables dont on a fasciné son esprit, ne sont faites que pour le mépris. Déjeûnons, mes amies, restaurons-nous ; lorsqu’on a beaucoup déchargé, il faut réparer ce qu’on a perdu : un repas délicieux que nous fîmes nues, nous rendit bientôt les forces nécessaires pour recommencer. Nous nous rebranlâmes nous nous replongeâmes toutes trois par mille nouvelles postures dans les derniers excès de la lubricité ; changeant à tout moment de rôles, quelquefois nous étions les épouses de celles dont nous redevenions l’instant d’après les maris, et trompant ainsi la nature, nous la forçâmes un jour entier à couronner de ses voluptés les plus douces tous les outrages dont nous l’accablions.
Un mois se passa de la sorte, au bout duquel Euphrosine, la tête perdue de libertinage, quitta le couvent et sa famille, pour se jeter dans tous les désordres du putanisme et de la crapule. Elle revint nous voir, elle nous fit le tableau de sa situation, et trop corrompues nous-mêmes pour trouver du mal au parti qu’elle prenait, nous nous gardâmes bien de la plaindre ou de la détourner. Elle a bien fait, me disait madame Delbène ; j’ai voulu cent fois me jeter dans la même carrière, et je l’eusse fait infailliblement, si le goût des hommes l’eût emporté chez moi sur l’extrême amour que j’ai pour les femmes ; mais, ma chère Juliette, le ciel en me destinant à une clôture éternelle, m’a créée assez heureuse pour ne desirer que très-médiocrement toute autre sorte de plaisir, que ceux que me permet cette retraite ; celui que les femmes se procurent entre elles est si délicieux, que je n’aspire à presque rien au-delà ; je comprends pourtant qu’on aime les hommes ; j’entends à merveille qu’on fasse tout pour s’en procurer… Je conçois tout sur l’article du libertinage… Qui sait même si je n’ai pas été beaucoup au-dessus de ce que peut saisir l’imagination.
Les premiers principes de ma philosophie, Juliette, continua madame Delbène qui s’attachait plus particulièrement à moi depuis la perte d’Euphrosine, sont de braver l’opinion publique ; tu n’imagines pas à quel point, ma chère, je me moque de tout ce qu’on peut dire de moi. Et que peut faire au bonheur, je t’en prie, cette opinion de l’imbécile vulgaire ? Elle ne nous affecte qu’en raison de notre sensibilité ; mais si, à force de sagesse et de réflexion nous sommes parvenues à émousser cette sensibilité, au point de ne plus sentir ses effets, même dans les choses qui nous touchent le plus, il deviendra parfaitement impossible que l’opinion, bonne ou mauvaise des autres, puisse rien faire à notre félicité. Ce n’est qu’en nous seules que doit consister cette félicité, elle ne dépend que de notre conscience, et peut-être encore un peu plus de nos opinions sur lesquelles seules doivent être étayées les sûres inspirations de la conscience ; car la conscience ; poursuivait cette femme remplie d’esprit, n’est pas une chose uniforme ; elle est presque toujours le résultat des mœurs et de l’influence des climats, puisqu’il est de fait que les Chinois, par exemple, ne répugnent nullement à des actions qui nous feraient frémir en France. Si donc cet organe flexible peut se prêter à des extrêmes, seulement en raison du degré de latitude, il est donc de la vraie sagesse d’adopter un milieu raisonnable entre des extravagances et des chimères, et de se faire des opinions compatibles à la fois et aux penchans qu’on a reçus de la nature, et aux lois du gouvernement qu’on habite ; et ces opinions doivent créer notre conscience. Voilà pourquoi l’on ne saurait travailler trop jeune à adopter la philosophie qu’on veut suivre, puisqu’elle seule forme notre conscience, et que c’est à notre conscience à régler toutes les actions de notre vie. — Quoi, dis-je à madame Delbène, vous avez porté cette indifférence au point de vous moquer de votre réputation ? — Absolument, ma chère ; j’avoue même que je jouis intérieurement beaucoup plus, de la conviction où je suis, que cette réputation est mauvaise, que je n’aurais de plaisir à la savoir bonne. Oh Juliette ! retiens bien ceci, la réputation est un bien de nulle valeur, il ne nous dédommage jamais des sacrifices que nous lui faisons ; celle qui est jalouse de sa gloire, éprouve autant de tourmens que celle qui la néglige ; l’une craint toujours que ce bien précieux ne lui échappe, l’autre frémit, de son insouciance. S’il est donc autant d’épines dans la carrière de la vertu que dans celle du vice, d’où vient se tourmenter autant sur le choix, et d’où vient ne pas s’en rapporter pleinement à la nature, sur celui qu’elle nous suggère ? — Mais en adoptant ces maximes, objectai-je à madame Delbène, j’aurais peur de briser trop de freins. — En vérité, ma chère, me répondit-elle, j’aimerais autant que tu me dises que tu craindrais d’avoir trop de plaisir. Et quels sont-ils donc ces freins ? osons les envisager de sang-froid… des conventions humaines presque toujours promulguées sans la sanction des membres de la société, détestées par notre cœur… contradictoires au bon sens… conventions absurdes, qui n’ont de réalité qu’aux yeux des sots qui veulent bien s’y soumettre, et qui ne sont que des objets de mépris, aux yeux de la sagesse et de la raison… Nous jaserons sur tout cela, je te l’ai dit, ma chère, je l’entreprends, ta candeur et ta naïveté me prouvent que tu as grand besoin d’un guide dans la carrière épineuse de la vie, et c’est moi qui t’en servirai.
Rien n’était effectivement plus délabré que la réputation de madame Delbène ; une religieuse à laquelle j’étais particulièrement recommandée, fâchée de mes liaisons avec l’abbesse, m’avertit que c’était une femme perdue ; elle avait gangrené presque toutes les pensionnaires du couvent, et plus de quinze ou seize avaient déjà, par ses conseils, pris le même parti qu’Euphrosine. C’était, m’assurait-on, une femme sans foi, ni loi, ni religion, affichant impudemment ses principes, et contre laquelle on aurait déjà vigoureusement sévi, sans son crédit et sa naissance. Je me moquais de ces exhortations ; un seul baiser de la Delbène, un seul de ses conseils avait plus d’empire sur moi, que toutes les armes qu’on pouvait employer pour m’en séparer ; eût-elle dû m’entraîner dans le précipice, il me semblait que j’eusse mieux aimé me perdre avec elle, que de m’illustrer avec une autre. Oh, mes amis ! il est une sorte de perversité délicieuse à nourrir ; entraînés vers elle par la nature… si la froide raison nous en éloigne un moment, la main des voluptés nous y replace, et nous ne pouvons plus nous en écarter.
Mais notre aimable supérieure ne tarda pas à me faire voir que je ne la fixais pas toute seule, et je m’apperçus bientôt que d’autres partageaient des plaisirs, où le libertinage avait plus de part que la délicatesse.
Viens demain goûter avec moi, me dit-elle un jour ; Elisabeth, Flavie, madame de Volmar et sainte-Elme seront de la partie, nous serons six en tout ; je veux que nous fassions des choses inconcevables. — Comment, dis-je, tu t’amuses donc avec toutes ces femmes ? — Assurément. Eh quoi, tu t’imagines que je m’en tiens là ? Il y a trente religieuses dans cette maison, vingt-deux m’ont passé par les mains ; il y a dix-huit novices, une seule m’est encore inconnue ; vous êtes soixante pensionnaires, trois seulement m’ont résisté ; à mesure qu’il en paraît une nouvelle, il faut que je l’aye, je ne lui donne pas plus de huit jours de réflexions. Oh Juliette, Juliette, mon libertinage est une épidémie, il faut qu’il corrompe tout ce qui m’entoure ; il est très-heureux pour la société que je m’en tienne à cette douce façon de faire le mal ; avec mes penchans et mes principes, j’en adopterais peut-être une qui serait bien plus fatale aux hommes. — Eh ! que fairais-tu, ma bonne ? — Que sais-je ; ignores-tu que les effets d’une imagination aussi dépravée que la mienne, sont comme les flots impétueux d’un fleuve qui se déborde, la nature veut qu’il fasse du dégât, et il en fait, n’importe comment ; ne mettrais-tu pas, dis-je à mon institutrice, sur le compte de la nature ce qui ne doit être que sur celui de la dépravation ? Écoute-moi, mon ange, me dit la supérieure, il n’est pas tard, nos amies ne doivent se rendre ici que sur les six heures, je veux répondre, avant qu’elles n’arrivent, à tes frivoles objections. Nous nous assîmes :
Comme nous ne connaissons les inspirations de la nature, me dit madame Delbène, que par ce sens intime que nous appelons conscience ; c’est en analisant ce qu’est la conscience, que nous pourrons approfondir avec sagesse ce que sont les mouvemens de la nature, qui fatiguent, tourmentent ou font jouir cette conscience.
On appelle conscience, ma chère Juliette, cette espèce de voix intérieure qui s’élève en nous à l’infraction d’une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être, définition bien simple, et qui fait voir du premier coup-d’œil que cette conscience n’est l’ouvrage que du préjugé reçu par l’éducation, tellement que tout ce qu’on interdit à l’enfant, lui cause des remords, dès qu’il l’enfraint, et qu’il conserve ses remords jusqu’à ce que le préjugé vaincu, lui ait démontré qu’il n’y avait aucun mal réel dans la chose défendue.
Ainsi la conscience est purement et simplement l’ouvrage, ou des préjugés qu’on nous inspire, ou des principes que nous nous formons. Cela est si vrai, qu’il est très-possible de se former avec des principes nerveux une conscience qui nous tracassera, qui nous affligera, toutes les fois que nous n’aurons pas remplis, dans toute leur étendue, les projets d’amusemens, même vicieux… même criminels, que nous nous étions promis d’exécuter pour notre satisfaction ; de là, nait cette autre sorte de conscience qui, dans un homme au-dessus de tous les préjugés s’élève contre lui, quand par des démarches fausses, il a pris pour arriver au bonheur, une route contraire à celle qui devait naturellement l’y conduire ; ainsi, d’après les principes que nous nous sommes faits, nous pouvons donc également nous repentir, ou d’avoir fait trop de mal, ou de n’en avoir pas fait assez. Mais prenons le mot dans l’acception la plus simple et la plus commune ; alors le remords, c’est-à-dire l’organe de cette voix intérieure que nous venons d’appeler conscience, est une faiblesse parfaitement inutile, et dont nous devons étouffer l’empire, avec toute la vigueur dont nous sommes capables ; car le remords, encore une fois, n’est que l’ouvrage du préjugé produit par la crainte de ce qui peut nous arriver après avoir fait une chose défendue, de quelque nature qu’elle puisse être, sans examiner si elle est mal ou bien ; ôtez le châtiment, changez l’opinion, anéantissez la loi, déclimatisez le sujet, le crime restera toujours, et l’individu n’aura pourtant plus de remords. Le remords n’est donc plus qu’une réminiscence fâcheuse, résultative des lois et des coutumes adoptées, mais nullement dépendante de l’espèce du délit. — Eh ! si cela n’était pas ainsi, parviendrait-on à l’étouffer ? Et n’est-il pas pourtant bien certain qu’on y réussit, même dans les choses de la plus grande conséquence, en raisons des progrés de son esprit, et de la manière dont on travaille à l’extinction de ses préjugés ; en sorte qu’à mesure que ces préjugés s’effacent par l’âge, ou que l’habitude des actions qui nous effrayaient, parvient à endurcir la conscience, le remords qui n’était que l’effet de la faiblesse de cette conscience, s’anéantit bien-tôt tout-à-fait, et qu’on arrive ainsi tant qu’on veut, aux excès les plus effrayans. Mais m’objectera-t-on peut-être, l’espèce de délit doit donner plus ou moins de violence au remords ; sans doute, parce que le préjugé d’un grand crime est plus fort que celui d’un petit… la punition de la loi plus sévère ; mais sachez détruire également tous les préjugés, sachez mettre tous les crimes au même rang, et vous convainquant bientôt de leur égalité, vous saurez modéler sur eux le remords, et comme vous aurez appris à braver le remords du plus faible, vous apprendrez bientôt à vaincre le repentir du plus fort, et à les commettre tous avec un égal sang-froid… avec une semblable indifférence ; ce qui fait, ma chère Juliette, que l’on éprouve du remords après une mauvaise action, c’est que l’on est persuadé du systême de la liberté, et l’on se dit : que je suis malheureux de n’avoir pas agi différemment ! Mais si l’on voulait bien se persuader que ce systême de la liberté est une chimère, et que nous sommes poussés à tout ce que nous faisons, par une force plus puissante que nous ; si l’on voulait être convaincu que tout est utile dans le monde, et que le crime dont on se repent est devenu aussi nécessaire à la nature, que la guerre, la peste ou la famine, dont elle désole périodiquement les empires, infiniment plus tranquilles sur toutes les actions de notre vie, nous ne concevrions même pas le remords, et ma chère Juliette ne me dirait pas que j’ai tort de mettre sur le compte de la nature, ce qui ne doit être que sur celui de ma dépravation.
Tous les effets moraux, poursuivit madame Delbène, tiennent à des causes physiques, auxquelles ils sont irrésistiblement enchaînés, c’est le son qui résulte du choc de la baguette sur la peau du tambour ; point de cause physique, c’est-à-dire point de choc, et nécessairement point d’effet moral, c’est-à-dire, point de son ; de certaines dispositions de nos organes, le fluide nerval plus ou moins irrité par la nature des atômes que nous respirons… par l’espèce ou la quantité de particules nitreuses contenues dans les alimens que nous prenons, par le cours des humeurs, et par mille autres causes externes, déterminent un homme au crime ou à la vertu et souvent dans le même jour, à l’un et à l’autre ; voilà le choc de la baguette, le résultat du vice ou de la vertu ; cent louis volés dans la poche de mon voisin, ou donnés de la mienne à un malheureux, voilà l’effet du choc, ou le son. Sommes-nous maîtres de ces seconds effets quand les premières causes les nécessitent ? Le tambour peut-il être frappé sans qu’il en résulte un son ? Et pouvons-nous nous opposer à ce choc, quand il est lui-même le résultat de choses si étrangères à nous, et si dépendantes de notre organisation. Il y a donc de la folie, de l’extravagance, et à ne pas faire tout ce que bon nous semble, et à nous repentir de ce que nous avons fait. Le remords n’est donc d’après cela, qu’une faiblesse pusillanime, que nous devons vaincre autant que cela peut dépendre de nous, par la réflexion, le raisonnement et l’habitude. Quel changement, d’ailleurs, le remords peut-il apporter à ce que l’on a fait ? Il n’en peut diminuer le mal, puisqu’il ne vient jamais qu’après l’action commise ; il empêche bien rarement de le commettre encore, et n’est donc par conséquent bon à rien. Après que le mal est commis, il arrive nécessairement deux choses : ou il est puni, ou il ne l’est pas. Dans cette seconde hypothèse, le remords serait assurément d’une bêtise affreuse ; car à quoi servirait-il de se repentir d’une action de quelque nature qu’elle pût être, qui nous aurait apporté une satisfaction très-complette, et qui n’aurait eu aucune suite fâcheuse. Se repentir dans un tel cas, du mal que cette action aurait pu faire au prochain, serait l’aimer mieux que soi, et il est parfaitement ridicule de se faire un chagrin de la peine des autres, quand cette peine nous a fait plaisir, quand elle nous a servis, chatouillés, délectés, en quelque sens que ce puisse être. Conséquemment dans ce cas-ci, le remords ne saurait avoir lieu ; si l’action est découverte, et qu’elle soit punie, alors, si l’on veut bien s’examiner, on reconnaîtra que ce n’est pas du mal arrivé au prochain par notre action que l’on se repent, mais de la mal-adresse que l’on a eue en le commettant, de manière à ce qu’elle ait pu être découverte, et alors il faut se livrer sans doute aux réflexions produites par le regret de cette mal-adresse… seulement pour en recueillir plus de prudence, si la punition vous laisse vivre. Mais ces réflexions ne sont pas des remords, car le remords réel est la douleur produite par celle qu’on a occasionnée aux autres, et les réflexions dont nous parlons, ne sont que les effets de la douleur produite par le mal que l’on s’est fait à soi-même, ce qui fait voir l’extrême différence qui existe entre l’un et l’autre de ces sentimens, et en même tems utilité de l’un, et le ridicule de l’autre.
Quand nous nous sommes livrés à une mauvaise action, de quelqu’atrocité qu’elle puisse être, que la satisfaction qu’elle vous a donnée, ou le profit que nous en avons recueilli nous console amplement du mal qui en a rejailli sur notre prochain. Avant que de commettre cette action, nous avons bien prévu le mal qu’en ressentiraient les autres ; cette pensée ne nous a pourtant point arrêtés ; au contraire, le plus souvent elle nous a fait plaisir ; lui permettre plus de force après l’action commise, ou une manière différente de nous agiter est la plus grande sottise que l’on puisse faire. Si cette action influe sur le malheur de notre vie, parce qu’elle a été découverte, appliquons tout notre esprit à démêler, à combiner les causes qui ont pu la faire découvrir ; et sans nous repentir d’une chose qu’il n’a pas été en nous de pouvoir arranger autrement, mettons tout en œuvre pour ne pas manquer de prudence à l’avenir, tirons du malheur qui a pu nous arriver de cette faute, l’expérience nécessaire à améliorer nos moyens et nous assurer dorénavant l’impunité au moyen de l’épaisseur des voiles que nous jeterons sur l’involontaire dérèglement de notre conduite. Mais, par de vains et inutiles remords, n’entreprenons point d’extirper les principes, car cette mauvaise conduite, cette dépravation, ces égaremens vicieux, criminels ou atroces nous ont plu, nous ont délectés, et nous ne devons pas nous priver d’une chose agréable. Ce serait ici la folie d’un homme qui, parce qu’un grand dîner lui aurait fait mal, voudrait à l’avenir se priver à jamais de ce repas.
La véritable sagesse, ma chère Juliette, ne consiste pas à réprimer ses vices, parce que les vices constituant presque l’unique bonheur de notre vie, ce serait devenir soi-même son bourreau, que de les vouloir réprimer, mais elle consiste à s’y livrer avec un tel mystère, avec des précautions si étendues, qu’on ne puisse jamais être surpris. Qu’on ne craigne point par-là d’en diminuer les délices ; le mystère ajoute au plaisir. Une telle conduite d’ailleurs, assure l’impunité, et l’impunité n’est-elle pas le plus délicieux aliment des débauches ?
Après t’avoir appris à régler le remords né de la douleur d’avoir fait le mal trop à découvert, il est essentiel, ma chère amie, que je t’indique à présent la manière d’éteindre totalement en soi cette voix confuse qui, dans le calme des passions, vient encore quelquefois réclamer contre les égaremens où elles nous ont portés ; or, cette manière est aussi sûre que douce, puisqu’elle ne consiste qu’à renouveller si souvent ce qui nous a donné des remords, que l’habitude ou de commettre cette action ou de la combiner énerve entièrement toute possibilité d’en pouvoir former des regrets. Cette habitude, en anéantissant le préjugé, en contraignant notre ame à se mouvoir souvent de la manière et dans la situation qui primitivement la gênait, finit par lui rendre le nouvel état adopté, facile et même délicieux ; l’orgueil vient à l’appui, non-seulement on a fait une chose que personne n’oserait faire, mais on s’y est même si bien accoutumé, qu’on ne peut plus exister sans cette chose, voilà d’abord une jouissance. L’action commise en produit une autre, et qui doute que cette multiplication de plaisirs n’accoutume bien promptement une ame à se plier à la manière d’être qu’elle doit acquérir, quelque pénible qu’ait pu lui sembler en commençant, la situation forcée où cette action la contraignait.
N’éprouvons-nous pas ce que je te dis dans tous les prétendus crimes où la volupté préside ? pourquoi ne se répend-t-on jamais d’un crime de libertinage ? parce que le libertinage devient très-promptement une habitude ; il en pourrait être de même de tous les autres égaremens ; tous peuvent, comme la lubricité, se changer aisément en coutume, et tous peuvent ; comme la luxure, exciter dans le fluide nerval un châtouillement qui ressemblant beaucoup à cette passion, peut devenir aussi délicieux qu’elle, et, par conséquent, comme elle, se métamorphoser en besoin.
O Juliette, si tu veux, comme moi, vivre heureuse dans le crime… et j’en commets beaucoup, ma chère… Si tu veux, dis-je, y trouver le même bonheur que moi, tâche de t’en faire, avec le tems, une si douce habitude, qu’il te devienne comme impossible de pouvoir exister sans le commettre ; et que toutes les convenances humaines te paraissent si ridicules, que ton ame flexible, et malgré cela nerveuse, se trouve imperceptiblement accoutumée à se faire des vices de toutes les vertus humaines et des vertus de tous les crimes : alors un nouvel univers semblera se créer à tes regards, un feu dévorant et délicieux se glissera dans tes nerfs, il embrasera ce fluide électrique dans lequel réside le principe de la vie : assez heureuse pour vivre dans un monde dont ma triste destinée m’exile, chaque jour tu formeras de nouveaux projets, et chaque jour leur exécution te comblera d’une volupté sensuelle qui ne sera connue que de toi ; tous les êtres qui t’entoureront te paraîtront autant de victimes dévouées par le sort à la perversité de ton cœur ; plus de liens, plus de chaînes, tout disparaîtra promptement sous le flambeau de tes desirs, aucune voix ne s’élèvera plus dans ton ame pour énerver l’organe de leur impétuosité, nuls préjugés ne militeront plus en leur faveur, tout sera dissipé par la sagesse, et tu arriveras insensiblement aux derniers excès de la perversité par un chemin couvert de fleurs ; c’est alors que tu reconnaîtras la faiblesse de ce qu’on t’offrait autrefois comme des inspirations de la nature ; quand tu auras badiné quelques années avec ce que les sots appellent ses loix, quand, pour te familiariser avec leur infraction, tu te seras plu à les pulvériser toutes, tu verras la mutine, ravie d’avoir été violée, s’assouplissant sous tes desirs nerveux, venir d’elle-même s’offrir à tes fers… te présenter les mains pour que tu la captives ; devenue ton esclave, au lieu d’être ta souveraine, elle enseignera, finement à ton cœur la façon de l’outrager encore mieux, comme si elle se plaisait dans l’avilissement, et comme si ce n’était réellement qu’en t’indiquant de l’insulter à l’excès, qu’elle eût l’art de te mieux réduire à ses loix. Ne résiste jamais quand tu en seras là ; insatiable dans ses vues sur toi, dès que tu auras trouvé le moyen de la saisir, elle te conduira pas à pas d’écarts en écarts ; le dernier commis ne sera jamais qu’un acheminement à celui par lequel elle se prépara à se soumettre à toi de nouveau ; telle que la prostituée de Sibaris, qui se livre sous toutes les formes, et prend toutes les figures pour exciter les desirs du voluptueux qui la paie, elle t’apprendra de même cent façons de la vaincre, et tout cela pour t’enchaîner plus sûrement à son tour. Mais une seule résistance, je te le répète, une seule te ferait perdre tout le fruit des dernières en chûtes ; tu ne connaîtras rien si tu n’as pas tout connu, et si tu es assez timide pour t’arrêter avec elle, elle t’échappera pour jamais ; prends garde surtout à la religion, rien ne te détournera du bon chemin ; comme ses inspirations dangereuses, semblable à l’hydre dont les têtes renaissent à mesure qu’on les coupe, elle te fatiguera sans cesse, si tu n’as le plus grand soin d’en anéantir perpétuellement les principes. Je crains que les idées bizarres de ce dieu fantastique dont on empoisonna ton enfance, ne reviennent troubler ton imagination au milieu de ses plus divins écarts : ô Juliette, oublie-là, méprise-là, l’idée de ce Dieu vain et ridicule ; son existence est une ombre que dissipe à l’instant le plus faible effort de l’esprit, et tu ne seras jamais tranquille tant que cette odieuse chimère n’aura pas perdu sur ton ame toutes les facultés que lui donna l’erreur. Nourris-toi sans cesse des grands principes de Spinosa, de Vanini, de l’auteur du systême de la nature, nous les étudierons, nous les analyserons ensemble, je t’ai promis de profondes discussions sur ce sujet, je te tiendrai parole, nous nous remplirons toutes deux de l’esprit de ces sages principes. S’il te survient encore des doutes, tu me les communiqueras, je te tranquilliserai, aussi ferme que moi, tu m’imiteras bientôt, et comme moi, tu ne prononceras plus le nom de cet infâme Dieu que pour le blasphémer et le haïr. L’idée d’une telle chimère est, je l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme ; je l’excuse dans tous ses écarts, je le plains de toutes ses faiblesses, mais je ne puis lui passer l’érection d’un tel monstre, je ne lui pardonne pas de s’être forgé lui-même les fers religieux qui l’ont accablé si violemment, et d’être venu, présenter lui-même le col sous le joug honteux qu’avait préparé sa bêtise. Je ne finirais pas, Juliette, s’il fallait me livrer à toute l’horreur que m’inspire l’exécrable systême de l’existence d’un Dieu ; mon sang bouillonne à son nom seul, il me semble voir autour de moi, quand je t’entends prononcer, les ombres palpitantes de tous les malheureux que cette abominable opinion a détruits sur la surface du globe ; elles m’invoquent, elles me conjurent d’employer tout ce que j’ai pu recevoir de forces ou de talent, pour extirper de l’ame de mes semblables, l’idée du dégoûtant fantôme qui les fit périr sur la terre.
Ici, madame Delbène me demanda où j’en étais sur ces choses-là. Je n’ai point encore fait ma première communion, lui dis-je. — Ah ! tant mieux, me répondit-elle en m’embrassant ; va, mon ange, je t’éviterai cette idolâtrie ; à l’égard de la confession, réponds, lorsqu’on t’en parlera, que tu n’es pas préparée. La mère des novices est mon amie, elle dépend de moi, je te recommanderai à elle, et tu n’en seras point tracassée. Quant à la messe, malgré nous il faut y paraître ; mais tiens, vois-tu cette jolie petite collection de livres, me dit-elle en me montrant une trentaine de volumes reliés en maroquin rouge, je te prêterai ces ouvrages, et leur lecture, pendant l’abominable sacrifice, te consolera de l’obligation d’en être témoin. O mon amie, dis-je à madame Delbène, que d’obligations je t’aurai ! mon cœur et mon esprit avaient dévancé tes conseils… non sur la morale, tu viens de me dire des choses trop fortes et trop neuves pour qu’elles se fussent déjà présentées à moi ; mais je ne t’avais pas attendue pour détester, comme toi, la religion ; et ce n’était qu’avec le plus extrême dégoût que j’en remplissais les affreux devoirs. Que de plaisirs tu me fais en me promettant d’étendre mes lumières. Hélas ! n’ayant rien entendu dire sur ces objets superstitieux, tous les frais de ma petite impiété ne sont encore dus qu’à la nature. — Ah ! suis ces inspirations, mon ange… voilà celles qui ne te tromperont jamais. — Sais-tu, poursuivis-je, que tout ce que tu viens de m’apprendre est bien fort, et qu’il est rare d’être instruite à ce point à ton âge. Me permets-tu de le dire, ma bonne ? Il est difficile que la conscience soit au degré où tu peins la tienne, sans quelques actions très-extraordinaires ; et comment, pardonne à ma question, comment dans ton intérieur as-tu eu l’occasion des délits capables de t’endurcir à ce point. — Un jour tu sauras tout cela, me répondit la supérieure en se levant. — Eh pourquoi ces retards ?… crains-tu ? — Oui, de te faire horreur. — Jamais, jamais. — Et la compagnie qui se fit entendre empêcha Delbène de m’éclaircir sur ce que je brûlais de savoir. Chut, chut, me dit-elle, pensons au plaisir maintenant… Baise-moi, Juliette ; je te promets ma confiance un jour ; mais nos amies parroissent, il faut que je vous les peigne.
Madame de Volmar venait de prendre le voile, il y avait environ six mois. À peine âgée de vingt ans, grande, mince, élancée, fort blanche, les cheveux châtains, et le plus beau corps possible ; Volmar, douée de tant de charmes, était avec raison une des élèves les plus chéries de madame Delbène, et après elle la plus libertine de toutes les femmes qui allaient assister à nos orgies.
Ste. Elme était une novice de dix-sept ans, d’une figure charmante, très-animée, de beaux yeux, une gorge moulée, et l’ensemble excessivement voluptueux. Elisabeth et Flavie étaient deux pensionnaires, dont la première avait à peine treize ans, la seconde seize. La figure d’Elisabeth était fine, des traits fort délicats, des formes agréables et déjà prononcées. Pour Flavie, c’était bien la plus céleste figure qu’il fût possible de voir au monde : on n’avait point un plus joli rire, de plus belles dents, de plus beaux cheveux. On ne possédait point une plus belle taille, une peau plus douce et plus fraîche. Ah ! mes amis, si j’avais la déesse des fleurs à peindre, je ne choisirais pas d’autre modèle.
Les premiers complimens ne furent pas longs ; toutes sachant bien la cause de leur réunion, ne tardèrent pas à en venir au fait ; mais leurs propos, je l’avoue, m’étonnèrent. On ne saisit pas, au milieu même d’un bordel, tous ceux du libertinage, avec l’aisance et la facilité de ces jeunes personnes ; et rien n’était plaisant comme le contraste de leur modestie, de leur retenue dans le monde, et de leur énergique indécence dans ces assemblées luxurieuses.
Delbène, dit madame de Volmar en entrant, je te défie de me faire décharger aujourd’hui ; je suis épuisée, ma chère ; j’ai passé La nuit avec Fontenille… J’adore cette petite friponne ; de ma vie je ne fus mieux branlée… je n’ai jamais versé tant de foutre, avec tant d’abondance… avec tant de délices. Oh ma bonne, nous avons fait des choses ! — Incroyables, n’est-ce pas ? dit Delbène. Eh bien, je veux que nous en fassions ce soir de mille fois plus extraordinaires. — Oh foutre, dépêchons-nous donc, dit Ste.-Elme ; je bande, moi ; je ne suis pas comme Volmar, j’ai couché seule ; et se troussant, tiens, vois mon con… vois comme il a besoin de secours. — Un moment, dit la supérieure ; ceci est une cérémonie de réception ; J’admets Juliette dans notre société, il faut qu’elle remplisse les formalités d’usage. — Qui ? Juliette ? dit étourdiment Flavie qui ne m’avait point encore apperçu ; ah ! je connais à peine cette jolie fille… Tu te branles donc, mon cœur, continua-t-elle en venant me baiser sur la bouche… tu es donc libertine… tu es donc tribade comme nous, et la friponne, sans plus de préliminaires, me prit le con et la gorge à la fois. Laisse-la donc, dit Volmar, qui, me troussant par derrière, examinait mes fesses ; laisse-la donc, il faut qu’elle soit reçue, avant que nous ne nous en servions. Tiens, Delbène, dit Elisabeth, regarde donc Volmar qui baise le cul de Juliette ; elle la prend pour un petit garçon, la garce veut l’enculer : (Et remarquez que c’était la plus jeune qui parlait ainsi.) Ne sais-tu pas, dit Ste.-Elme, que Volmar est un, homme ; elle a un clitoris de trois pouces, et destinée à outrager la nature, quelque soit le sexe qu’elle adopte, il faut que la putain soit tour-à-tour tribade ou bougre ; elle n’y connaît pas de milieu. Puis s’approchant elle-même et m’examinant de tous côtés, attendu que Flavie montrait mon devant et Volmar mon derrière, il est certain, poursuivit-elle, que la petite coquine est bien faite, et je jure qu’avant la fin du jour je saurai le goût de son foutre. Un moment donc, un moment, mesdemoiselles, dit Delbène, en cherchant à rétablir l’ordre… Eh sacredieu, presse-toi, dit Ste.-Elme, je bande. Qu’attends-tu donc pour commencer ? Faut-il que nous fassions nos prières avant que de nous branler le con ? À bas les robes, mes amies… Et dans l’instant vous eussiez vu six jeunes filles plus belles que le jour s’admirer… se caresser nues, et former entr’elles les groupes les plus agréables et les plus variés. Oh ! pour à présent, reprit Delbène avec autorité, vous ne pouvez me refuser un peu d’ordre… Écoutez-moi : Juliette va s’étendre sur ce lit, et vous irez, chacune à votre tour, goûter le plaisir qui vous conviendra le mieux avec elle ; moi, bien en face de l’opération, Je vous prendrez toutes à mesure que vous la quitterez, et les luxures commencées avec Juliette s’achèveront sur moi ; mais je ne me presserai point, mon foutre n’éjaculera que quand je vous aurai toutes les cinq sur le corps.
L’extrême vénération que l’on avait pour les ordres de la supérieure fit mettre à leur exécution la ponctualité la plus entière. Toutes ces créatures étant fort libertines, peut-être ne serez-vous pas fâchés d’entendre ce que chacune exigea de moi. Comme elles arrivaient par rang d’âge, Elisabeth passa la première ; la jolie friponne m’examina partout ; et après m’avoir couverte de baisers, elle s’entrelaça dans mes cuisses, se frotta sur moi, et nous nous pâmâmes toutes deux. Flavie vint après ; elle y mit plus de recherches. Après mille délicieux préliminaires, nous nous couchâmes en sens inverse l’une sur l’autre, et de nos langues frétillantes, nous fîmes jaillir des torrens de foutre. Ste.-Elme approche, elle s’étend sur le lit, me fait asseoir sur son visage ; et pendant que son nez branle le trou de mon cul, sa langue s’enfonce dans mon con ; courbée sur elle par mon attitude, je puis le gamahucher de même : je le fais ; mes doigts chatouillent son cul, et cinq éjaculations de suite me prouvent que le besoin qu’elle annonçait n’était pas illusoire. Je le lui rendis complètement ; jamais encore je n’avais été plus voluptueusement sucée. Volmar ne veut que mes fesses, elle les dévore de baisers, et préparant la voie étroite avec sa langue de rose, la libertine se colle sur moi, m’enfonce son clitoris dans le cul, se secoue long-tems, retourne ma tête, baise ardemment ma bouche, suce ma langue et me branle en m’enculant. La gueuse ne s’en tient pas là ; m’armant d’un godmiché qu’elle même fixe le long de mes reins, elle se présente à mes coups ; et les dirigeant au derrière, la coquine est sodomisée ; je la branlais, elle pensa mourir de plaisir.
Après cette dernière incursion, je fus prendre le poste qui m’attendait sur le corps de la Delbène. Voici comme la putain disposa le groupe.
Elisabeth, sur le dos, était établie au bord du lit. Delbène étendue dans ses bras, s’en faisait branler le clitoris. Flavie à genoux, les jambes sous le lit, la tête à la hauteur du con de la supérieure, la gamahuchait et lui pressait les cuisses. Au-dessus d’Elisabeth Ste.-Elme, le cul sur le visage de cette dernière, présentait en plein son con aux baisers de Delbène, que Volmar enculait de son clitoris brûlant. On m’attendait pour completter le groupe, mise un peu courbée auprès de Ste.-Elme, j’offrais à lecher à l’envers ce que celle-ci faisait gamahucher par devant. Delbène passant avec inconstance et rapidité du con de Ste.-Elme au trou de mon cul, léchait, pompait ardemment l’un et l’autre, et se remuant avec l’agilité la plus incroyable sous les doigts d’Elisabeth, sous la langue de Flavie et sous le clitoris de Volmar, la tribade n’était pas une minute sans répandre des torrens de foutre.
Oh, sacredieu, dit Delbène, en se retirant de là, rouge comme une bacchante, double dieu, comme j’ai déchargé. N’importe, suivons nos opérations ; que chacune de vous maintenant se place sur le lit ; Juliette exigera d’elle, tour à tour, ce qui lui conviendra, vous serez contraintes à vous y prêter ; mais comme elle est encore bien neuve, je la conseillerai, le groupe se formera sur elle ensuite, comme il vient de se former sur moi, et nous ferons éjaculer son foutre jusqu’à ce qu’elle demande grace.Elisabeth est la première offerte à mon libertinage. Place-la, me dit Delbène qui me conseillait, de manière à ce que tu puisses baiser sa jolie petite bouche pendant qu’elle te branlera, et pour que tu sois chatouillée de par-tout, je vais, pendant toute la séance, me charger du trou de ton cul. Flavie remplace Elisabeth. Je te recommande les jolis tetons de cette petite fille, me dit l’abbesse, suce-les lui pendant qu’elle te chatouille : à cause des goûts de Volmar, il faut que tu lui enfonces ta langue dans le cul, pendant que, courbée sur toi, la friponne te gamahuchera… Pour Ste.-Elme, poursuivit la supérieure, sais-tu ce que j’en ferais ; je m’arrangerais de manière à pouvoir lui sucer à-la-fois le cul et le con pendant qu’elle te le rendrait… Et quant à moi, commande, ma mie, je suis à tes ordres. Échauffée de ce que j’avais vu faire à Volmar, je veux t’enculer, dis-je, avec ce godmiché ; fais, ma bonne, fais, me répond humblement Delbène, en se présentant à mes coups, voilà mon cul, je te le livre ; eh bien ! dis-je, en sodomisant mon institutrice, puisque le groupe doit s’arranger sur moi, qu’il commence tout de suite. Chère Volmar, continuai-je, que ton clitoris rende à mon cul ce que je fais à celui de Delbène, tu ne saurais croire à quel point mon tempérament s’irrite de cette manière de jouir ; de chacune de mes mains, je voudrais branler Elisabeth et Ste.-Elme pendant que je sucerais le con de Flavie ; les ordres de la supérieure étant de m’épuiser, je n’eus la peine de rien dire, les situations varièrent sept fois, et sept fois mon foutre coula dans leurs bras.
Les plaisirs de la table succédèrent à ceux de l’amour : une superbe collation nous attendait ; différentes sortes de vins ou de liqueurs ayant vivement échauffées nos têtes, on se remit au libertinage ; trois groupes se dessinèrent. Ste.-Elme, Delbène et Volmar, comme les plus âgées, se choisirent chacune une branleuse ; par hasard ou par prédilection, Delbène ne me manqua pas ; Elisabeth était devenue le choix de Ste.-Elme, et Flavie celui de Volmar. Les groupes étaient arrangés de manière à ce que chacun jouissait de la vue des plaisirs de l’autre. On n’a pas d’idée de ce que nous fîmes. Oh ! comme Ste.-Elme était délicieuse ! Ardemment passionnées l’une pour l’autre, nous nous branlâmes toutes deux jusqu’à extinction. Il ne fut rien que nous n’imaginâmes, rien que nous ne fîmes ; enfin, tout se remela, et les deux dernières heures de cette voluptueuse débauche furent si lascives, que dans aucun bordel peut-être il ne se commit tant de luxures.
Une chose m’avait paru singulière, c’était l’extrême ménagement qu’on avait pour le pucelage des pensionnaires. On n’observait pas sans doute les mêmes loix vis-à-vis de celles dont les vœux étaient prononcés ; mais on respectait à un point que je ne pouvais comprendre, celles qui se destinaient au monde ; leur honneur y tient, me dit Delbène, que j’interrogeai sur cette réserve : nous voulons bien nous amuser de ces jeunes filles, mais pourquoi les perdre ? Pourquoi leur faire détester les momens qu’elles ont passés près de nous ? Non, nous avons cette vertu, et quelques corrompues que tu nous supposes, nous ne compromettons jamais nos amies. Ces procédés me parurent superbes, mais créée par la nature, pour l’emporter de scélératesse un jour sur tout ce qui devait m’entourer, le desir de flétrir une de mes compagnes, m’échauffa dès ce moment la tête pour le moins autant que celui d’être flétrie moi-même.
Delbène s’apperçut bientôt que je lui préférais Ste.-Elme ; j’adorais effectivement cette charmante fille ; il m’était impossible de la quitter ; mais comme elle était infiniment moins spirituelle que la supérieure, un penchant naturel me ramenait invinciblement vers celle-ci. Avec la passion dont je te vois dévorée pour dépuceler une fille ou pour l’être, me dit un jour cette charmante femme, je ne doute pas que Ste.-Elme ou ne t’ait accordés ces plaisirs ou ne te les promette bientôt. Il n’y a sûrement point de risque avec elle, puisqu’elle est destinée à passer, comme moi, ses jours dans le cloître ; mais Juliette, si elle t’en faisait autant, tu ne trouverais jamais à te marier, et que de malheurs pourraient devenir les suites de cette faute ; cependant, écoute-moi, mon ange, tu sais que je t’adore, fais moi le sacrifice de Ste.-Elme, et je te satisfais à l’instant sur tous les plaisirs que tu souhaites. Tu choisiras dans le couvent celle dont tu voudras cueillir les prémices, et ce sera moi qui flétrirai les tiens… les déchiremens… les blessures, tranquillise-toi, j’arrangerai tout. Mais ceci sont de grands mystères ; pour y être initiée, il faut ta parole sacrée que dès ce moment-ci tu ne parleras plus à Ste.-Elme, autrement je ne mets point de bornes à ma vengeance. Aimant trop cette charmante fille pour la compromettre, brûlant d’ailleurs de goûter les plaisirs qu’on me faisait espérer, si je renonçais à elle, je promis tout. Eh bien ! me dit Delbène au bout d’un mois d’épreuve, ton choix est-il fait ? Qui veux-tu dépuceler ? Et ici, mes amis, vous ne devineriez de la vie sur quel objet mon imagination libertine s’arrêtait avec complaisance ? Sur cette fille que voilà sous vos yeux… Sur ma sœur. Mais madame Delbène la connaissait trop bien pour ne pas me détourner de ce projet. Eh bien dis-je, donne-moi Laurette ; son enfance… (à peine avait-elle dix ans), sa jolie petite mine éveillée, l’éclat de sa naissance, tout m’irritait… tout m’enflamait pour elle ; et la supérieure y voyant d’autant moins d’obstacles que cette jeune orpheline n’avait pour protecteur au couvent qu’un vieil oncle demeurant à cent lieues de Paris, m’assura que je pourrais regarder comme déjà sacrifiée la victime qu’immolaient d’avance mes perfides desirs.
Le jour était pris, lorsque Delbène m’ayant fait venir la veille pour passer la nuit dans ses bras, remit la conversation sur les matières religieuses.
Je crains, me dit-elle, que tu n’ailles trop vîte, mon enfant ; ton cœur, trompé par ton esprit, n’est pas encore au point où je le voudrais. Ces infamies superstitieuses te gênent toujours, je le parierais ; écoute, Juliette, prête-moi toute ton attention, et tâche qu’à l’avenir ton libertinage, étayé sur d’excellens principes, puisse, avec effronterie, comme chez moi, se porter à tous les excès sans remords.
Le premier dogme qui s’offre à moi, lorsqu’on me parle de religion, est celui de l’existence d’un Dieu ; comme il est la base de tout l’édifice, c’est par son examen, que je dois raisonnablement commencer.
O Juliette ! n’en doutons pas, ce n’est qu’aux bornes de notre esprit qu’est due la chimère d’un Dieu ; ne sachant à qui attribuer ce que nous voyons, dans l’extrême impossibilité d’expliquer les inintelligibles mystères de la nature, nous avons gratuitement placé au-dessus d’elle un être revêtu du pouvoir de produire tous les effets dont les causes nous étaient inconnues.
Cet abominable phantôme ne fut pas plutôt envisagé comme l’auteur de la nature, qu’il fallut bien le voir également comme celui du bien et du mal ; l’habitude de regarder ces opinions comme vraies, et la commodité que l’on y trouvait pour satisfaire à-la-fois la paresse et la curiosité, firent promptement donner à cette fable le même degré de croyance qu’à une démonstration géométrique, et la persuasion devint si vive… l’habitude si forte, qu’on eut besoin de toute sa raison pour se préserver de l’erreur. De l’extravagance qui admet un Dieu, à celle qui le fait adorer, il ne devait y avoir qu’un pas ; rien de plus simple que d’implorer ce que l’on craignait ; rien que de très-naturel au procédé qui fait fumer l’encens sur les autels de l’individu magique que l’on fait à-la-fois le moteur et le dispensateur de tout. On le croyait méchant, parce que de très-méchans effets résultaient de la nécessité des loix de la nature ; pour l’appaiser, il fallait des victimes, de-là les jeûnes, les macérations, les pénitences, et toutes les autres imbécillités, fruits résultatifs de la crainte des uns et de la fourberie des autres ; ou, si tu l’aimes mieux, effets constans de la faiblesse des hommes, puisqu’il est certain que par-tout où il y en aura, se trouveront aussi des dieux enfantés par la terreur de ces hommes, et des hommages rendus à ces dieux, résultat nécessaire de l’extravagance qui les érige. Ne doutons pas, ma chère amie, que cette opinion de l’existence et du pouvoir d’un Dieu dispensateur des biens et des maux, ne soit la base de toutes les religions de la terre. Mais laquelle préférer de toutes ces traditions ? Toutes allèguent des révélations faites en leur faveur, toutes citent des livres, ouvrages de leurs dieux, et toutes veulent exclusivement l’emporter l’une sur l’autre. Pour m’éclairer dans ce choix difficile, je n’ai que ma, raison pour guide, et dès qu’à son flambeau, j’examine toutes ces prétentions, toutes ces fables, je ne vois plus qu’un tas d’extravagances et de platitudes qui m’impatientent et me révoltent.
Après avoir rapidement parcouru les absurdes idées de tous les peuples sur cette importante matière, je m’arrête enfin à ce qu’en pensent les juifs et les chrétiens, les premiers me parlent d’un Dieu, mais ils ne m’en expliquent rien, ils ne m’en donnent aucune idée, et je ne vois sur la nature du Dieu de ce peuple, que des allégories puériles, indignes de la majesté de l’Être dans lequel on veut que j’admette le créateur de l’univers ; ce n’est qu’avec des contradictions révoltantes que le législateur de cette nation me parle de son Dieu, et les traits sous lesquels il me le peint, sont bien plus propres à me le faire détester que servir. Voyant que c’est ce Dieu même qui parle dans les livres qu’on me cite pour me l’expliquer, je me demande comment il est possible qu’un Dieu ait pu donner de sa personne des notions si propres à le faire mépriser des hommes ! Cette réflexion me détermine à étudier ces livres avec plus de soin ; que deviens-je, lorsque je ne puis m’empêcher de voir, en les examinant, que non-seulement ils ne peuvent être dictés par l’esprit d’un Dieu, mais qu’ils sont même écrits très-long-tems après l’existence de celui qui ose affirmer les avoir transmis d’après Dieu même ! Eh ! voilà donc comme on me trompe, m’écriai-je au bout de mes recherches ; ces livres saints qu’on veut me donner comme l’ouvrage d’un Dieu, ne sont plus que celui de quelques charlatans imbécilles, et je n’y vois, au lieu de traces divines, que le résultat de la bêtise et de la fourberie ; et, en effet, quelle plus lourde ineptie que celle d’offrir par-tout dans ces livres, un peuple favori du souverain qu’il vient de se forger, annonçant à toutes les nations que ce n’est qu’à lui que Dieu parla, que ce ne fut qu’à son sort qu’il put s’intéresser ; que ce n’est que pour lui qu’il dérange le cours des astres, qu’il sépare les mers, qu’il épaissit la rosée, comme s’il n’eût pas été bien plus facile à ce Dieu de pénétrer les cœurs, d’éclairer les esprits, que de déranger le cours de la nature, et comme si cette prédilection en faveur d’un petit, peuple obscur, abject, ignoré, pouvait convenir à la majesté suprême de l’être auquel vous vouliez que j’accorde la faculté d’avoir créé l’univers ; mais quelque soit l’envie que j’aurais d’acquiescer à ce que ces livres absurdes m’apprennent, je demande si le silence universel de tous les historiens des nations voisines, sur les faits extraordinaires qui y sont consignés, ne devait pas suffire à me faire révoquer en doute les merveilles qu’ils m’annoncent ; que dois-je penser, je vous prie, lorsque c’est dans le sein du peuple même qui m’entretient si fastueusement de son dieu que je trouve le plus d’incrédules ! Quoi, ce dieu comble son peuple de faveurs et de miracles, et ce peuple chéri ne croit pas à son dieu ! Quoi, ce dieu tonne sur le haut d’une montagne avec l’appareil le plus imposant, il dicte sur cette montagne des loix sublimes au législateur de ce peuple qui dans la plaine doute de lui, et des idoles s’élèvent dans cette plaine pour narguer le Dieu législateur, tonnant sur la montagne ; il meurt enfin, cet homme singulier, qui vient d’offrir aux juifs un Dieu si magnifique, il expire, un miracle accompagne sa mort ; tant de motifs vont pénétrer sans doute de la majesté de ce dieu, le peuple témoin de sa grandeur, que ne doivent point admettre les descendans de ceux qui ont tout vu. Mais plus incrédules que leurs pères, l’idolâtrie culbute en peu d’années les autels chancelans du dieu de Moïse, et les malheureux juifs opprimés, ne se souviennent de la chimère de leurs ancêtres que quand ils recouvrent leur liberté ; de nouveaux chefs leur en parlent alors, malheureusement les promesses qu’ils leur font ne s’accordent pas avec les évènemens : les juifs, selon ces nouveaux chefs, devaient être heureux tant qu’ils seraient fidèles au Dieu de Moïse ; jamais ils ne le respectèrent davantage, et jamais le malheur ne les opprimât plus durement. Exposés à la colère des successeurs d’Alexandre, ils n’échappent aux fers de ceux-ci que pour retomber sous ceux des Romains, qui, las enfin de leur perpétuelle révolte, culbutent leur temple et les dispersent ; et voilà donc comment leur Dieu les sert ! Voilà comme ce Dieu, qui les aime, qui ne trouble qu’en leur faveur l’ordre sacré de la nature, voilà comme il les traite, voilà comme il leur tient, ce qu’il leur a promis.
Ce ne sera donc plus chez les juifs que je chercherai le Dieu puissant de l’univers ; ne rencontrant chez cette méprisable nation qu’un fantôme dégoûtant né de l’imagination exaltée de quelques ambitieux, j’abhorerai le Dieu méprisable offert par la scélératesse, et je jetterai les yeux sur les chrétiens.
Que de nouvelles absurdités se présentent ici ! Ce ne sont plus les livres d’un fou sur une montagne qui doivent me servir de régle ; le Dieu dont il s’agit maintenant s’annonce, par un ambassadeur bien plus noble, et le bâtard de Marie est bien autrement respectable que le fils délaissé de Jocabed ; examinons donc ce polisson, que fait-il, qu’imagine-t-il pour me prouver son Dieu : quelles sont ses lettres de créances ? des gambades, des soupers de putains, des guérisons de charlatans, des calembours et des excroqueries : il est le fils du Dieu qu’il m’annonce, ce malotru qui ne sait pas même m’en parler, et qui, de ses jours, n’écrivit une ligne ; il est Dieu lui-même, je dois le croire dès qu’il l’a dit : le coquin est pendu, qu’importe ; sa secte l’abandonne, tout cela est égal. C’est là, c’est là seul qu’est le Dieu de l’univers, il n’a pu prendre racine que dans le sein d’une juive, il n’a pu naître que dans une étable, c’est par l’abjection, la pauvreté, l’imposture qu’il doit me convaincre ; si je n’y crois point, tant pis pour moi, d’éternels supplices m’attendent ! vous voyez bien que tout cela peint un Dieu, et qu’il n’est pas un seul trait dans le tableau qui n’élève l’ame et ne la persuade. O comble de contradiction ! c’est sur l’ancienne loi que la nouvelle s’étale, et la nouvelle cependant anéantit l’ancienne : quelle sera donc la base de cette nouvelle ? Christ est donc à présent le législateur qu’il faut croire ? lui seul va m’expliquer le Dieu qui me l’envoie, mais si Moïse avait intérêt à me prêcher un Dieu dans lequel il prenait sa puissance, quel plus grand intérêt n’a pas le nazaréen à me parler du Dieu dont il dit qu’il descend ; certes le législateur moderne en savait bien plus que l’ancien ; il suffisait au premier de causer familièrement avec son maître ; le second est du même sang. Moïse, content de s’étayer des miracles de la nature, persuade à son peuple que la foudre ne s’allume que pour lui ; Jesus, bien plus adroit fait le miracle lui-même ; et si tous deux, méritèrent à jamais le mépris de leurs contemporains, il faut convenir au moins que le nouveau sut, avec plus de friponnerie, prétendre à l’estime des hommes ; et la postérité qui les juge en assignant à l’un une loge aux petites maisons, ne pourra cependant s’empêcher de donner à l’autre une des premières places au gibet.
Tu vois, Juliette, dans quel cercle vicieux tombent les hommes, dès que leur tête s’égare sur ces inepties… La religion prouve le prophète, et le prophète la religion.
Ce dieu ne s’étant point encore montré, ni dans la secte juive, ni dans la secte bien autrement méprisable des chrétiens, je le cherche de nouveau, j’appelle la raison à mon secours, et je l’analise elle-même, pour qu’elle me trompe moins. Qu’est-ce que la raison ? C’est cette faculté qui m’est donnée par la nature, de me déterminer pour tel objet, et de fuir tel autre, en proportion de la dose de plaisir ou de peine reçue de ces objets, calcul absolument soumis à mes sens, puisque c’est d’eux seuls que je reçois les impressions comparatives qui constituent, ou les douleurs que je veux fuir, ou le plaisir que je dois chercher. La raison n’est donc autre chose, ainsi que le dit Fréret, que la balance avec laquelle nous pesons les objets, et par laquelle remettant sous le poids, ceux qui sont éloignés de nous, nous connaissons ce que nous devons penser, par le rapport qu’ils ont entr’eux, en telle sorte, que ce soit toujours l’apparence du plus grand plaisir qui l’emporte. Cette raison enfin, tu le vois, dans nous, comme dans les animaux qui en sont eux-mêmes remplis, n’est que le résultat du mécanisme le plus grossier et le plus matériel. Mais comme nous n’avons point d’autre flambeau, ce n’est donc qu’au sien seul, qu’il faut soumettre la foi impérieusement exigée par des fourbes, pour des objets, ou sans réalité, ou si prodigieusement vils, par eux-mêmes, qu’ils ne sont faits que pour nos mépris. Or le premier effet de cette raison, est, tu le sens, Juliette, d’assigner une différence essentielle, entre l’objet qui apparaît, et l’objet qui est apperçu. Les perceptions représentatives d’un objet, sont encore de différentes espèces. Si elles nous montrent les objets comme absens, et comme ayant été autrefois présens à notre esprit, c’est ce que nous appelons alors mémoire, souvenir. Si elles nous offrent les objets sans nous avertir de leur absence, c’est alors ce qu’on nomme imagination, et cette imagination est la vraie cause de toutes nos erreurs. Or la source la plus abondante de ces erreurs, vient de ce que nous supposons une existence propre aux objets de ces perceptions intérieures, et qu’ils existent séparément de nous, de même que nous les concevons séparément. Je donnerai donc pour me faire entendre de toi, je donnerai, dis-je, à cette idée séparée, à cette idée, née de l’objet qui apparaît, le nom d’idée objective, pour la différencier de celle qui est apperçue, et que je nommerai réelle. Il est très-important de ne pas confondre ces deux genres d’existence ; on n’imagine pas dans quel gouffre d’erreurs on tombe, faute de caractériser ces distinctions. Le point divisé à l’infini, si nécessaire en géométrie, est dans la classe des existences objectives ; et les corps, les solides, dans celle des existences réelles, Quelque abstrait que ceci te paraisse, ma chère, il faut pourtant me suivre, si tu veux arriver avec moi au but où je veux te conduire par mes raisonnemens.
Observons d’abord ici, avant que d’aller plus loin, que rien n’est plus commun, ni plus ordinaire que de se tromper lourdement entre l’existence réelle des corps qui sont hors de nous, et l’existence objective des perceptions qui sont dans notre esprit. Nos perceptions elles-mêmes, sont distinguées de nous, et entr’elles autant qu’elles apperçoivent les objets présens, et leurs rapports, et les rapports de ces rapports. Ce sont des pensées, en tant qu’elle nous rapportent les images des choses absentes ; ce sont des idées, en tant qu’elles nous rapportent les images des objets qui sont en nous ; cependant toutes ces choses ne sont que des modalités, ou manière d’exister de notre être, qui ne sont pas plus distinguées entre elles, ni de nous-mêmes que l’étendue, la solidité, la figure, la couleur, le mouvement d’un corps, le sont de ce corps ; on a ensuite forcément imaginé des termes qui convinssent généralement à toutes les idées particulières qui étaient semblables ; on a nommé cause, tout être qui produit quelque changement dans un autre être distingué de lui ; et effet, tout changement produit dans un être par une cause quelconque. Comme ces termes excitent en nous, au moins une image confuse d’être, d’action, de réaction, de changement, l’habitude de s’en servir a fait croire que l’on en avait une perception nette et distincte ; et l’on en est venu enfin à imaginer qu’il pouvait exister une cause qui ne fut pas un être ou un corps, une cause qui fut réellement distincte de tout corps, et qui, sans mouvement et sans action pût produire tous les effets imaginables. On n’a pas voulu faire réflexion que tous les êtres agissans et réagissans sans cesse les uns sur les autres, produisent et souffrent en même tems des changemens ; la progression intime des êtres qui ont été successivement cause et effets, a bientôt fatigué l’esprit de ceux qui veulent absolument trouver la cause dans tous les effets. Sentant leur imagination épuisée par cette longue suite d’idées, il leur a paru plus court de remonter tout d’un coup à une première cause qu’ils ont imaginée comme la cause universelle à l’égard de laquelle les causes particulières sont des effets, et qui n’est, elle, l’effet d’aucune cause.
Voilà le dieu des hommes, Juliette ; voilà la sotte chimère de leur débile imagination. Tu vois par quel enchaînement de sophismes ils sont venus à bout de la créer ; et, d’après la définition particulière que je t’ai donnée, tu vois que ce fantôme n’ayant qu’une existence objective, ne saurait être hors de l’esprit de ceux qui le considèrent, et n’est par conséquent qu’un pur effet de l’embrâsement de leur cerveau. Voilà pourtant le Dieu des mortels, voilà l’être abominable qu’ils ont inventé, et dans les temples duquel ils ont fait couler tant de sang.
Si je me suis étendue, poursuivit madame Delbène, sur les différences essentielles entre les existences réelles et les existences objectives, c’est, tu le vois, ma chère, parce qu’il était urgent que je te démontrasse les variétés qui se trouvent dans les opinions pratiques et spéculatives des hommes, et que je te fisse voir qu’ils donnent une existence réelle à beaucoup de choses qui n’ont qu’une existence spéculative. Or, c’est au produit de cette existence spéculative que les hommes ont donné le nom de Dieu ; s’il ne résultait de tout cela que de faux raisonnemens, l’inconvénient serait médiocre ; mais malheureusement on va plus loin ; l’imagination s’enflamme, l’habitude se forme, et l’on s’accoutume à considérer comme quelque chose de réel ce qui n’est l’ouvrage que de notre faiblesse. On ne s’est pas plutôt persuadé que la volonté de cet être chimérique est cause de tout ce qui nous arrive que l’on emploie tous les moyens de lui être agréable, toutes les façons de l’implorer.
Que de plus mûres réflexions nous éclairent, et ne nous déterminant sur l’adoption d’un Dieu que d’après ce qui vient d’être dit, persuadons-nous que toute idée de Dieu ne pouvant se présenter à nous que d’une manière objective, il ne peut résulter d’elle que des illusions et des fantômes.
Quelques sophismes qu’allèguent les partisans absurdes de la divinité chimérique des hommes, ils ne vous disent autre chose, sinon qu’il n’y a point d’effet sans cause ; mais ils ne vous démontrent pas qu’il faille en revenir à une première cause éternelle, cause universelle de toutes les causes particulières, et qui soit elle-même créatrice et indépendante de toute autre cause ; je conviens que nous ne comprenons pas la liaison, la suite, et la progression de toutes les causes, mais l’ignorance d’un fait n’est jamais un motif suffisant pour en croire ou déterminer un autre. Ceux qui veulent nous persuader l’existence de leur abominable Dieu, osent effrontément nous dire, que parce que nous ne pouvons assigner la véritable cause des effets, il faut que nous admettions nécessairement la cause universelle. Peut-on faire un raisonnement plus imbécille, comme s’il ne valait pas mieux convenir de son ignorance, que d’admettre une absurdité ; ou comme si l’admission de cette absurdité devenait une preuve de sort existence ; l’aveu de notre faiblesse n’a nul inconvénient sans doute ; l’adoption du fantôme est rempli d’écueils, contre lesquels nous ne ferons que heurter si nous sommes sages, mais où nous nous briserons, si nos têtes s’exaltent ; et les chimères échauffent toujours.
Accordons, si l’on veut, un instant à nos antagonistes, l’existence du vampire qui fait leur félicité[1]. Je leur demande dans cette hypothèse, si la loi, la règle, la volonté par laquelle Dieu conduit les êtres, est de même nature que notre volonté et que notre force, si Dieu dans les mêmes circonstances peut vouloir et ne pas vouloir, si la même chose peut lui plaire et lui déplaire, s’il ne change pas de sentiment, si la loi par laquelle il se conduit est immuable ; si c’est elle qui le conduit, il ne fait que l’exécuter, de ce moment il n’a aucune puissance ; cette loi nécessaire qu’est-elle alors elle-même ? est-elle distincte de lui ou inhérente à lui ? Si, au contraire, cet être peut changer de sentiment et de volonté, je demande pourquoi il en change ; assurément il lui faut un motif, et un bien plus raisonnable que ceux qui nous déterminent, car Dieu doit l’emporter sur nous en sagesse, comme il nous surpasse en prudence ; or, ce motif peut-il s’imaginer, sans altérer la perfection de l’être qui y cède. Je vais plus loin ; si Dieu sait d’avance qu’il changera de volonté, pourquoi, dès qu’il peut tout, n’a-t-il pas arrangé les circonstances de manière à ce que cette mutation toujours fatiguante, et prouvant toujours de la faiblesse, ne lui devint nullement nécessaire ; et s’il l’ignore, qu’est-ce qu’un, Dieu qui ne prévoit pas ce qu’il doit faire ? S’il le prévoit, et qu’il ne puisse se tromper, comme il faut le croire, pour avoir de lui une idée convenable, il est donc arrêté indépendamment de sa volonté, qu’il agira de telle ou telle façon : or, qu’est-elle cette loi que sa volonté suit ! où est-elle ! d’où tire-t-elle sa force ?
Si votre Dieu n’est pas libre, s’il est déterminé à agir en conséquence des loix qui le maîtrisent, alors c’est une force semblable au destin, à la fortune, que des vœux ne toucheront point, que des prières ne fléchiront nullement, que des offrandes n’appaiseront pas davantage, et qu’il vaut mieux mépriser éternellement, qu’implorer avec aussi peu de succès.
Mais si plus dangereux, plus méchant, et plus féroce encore, votre exécrable Dieu a caché aux hommes ce qui devenait nécessaire à leur bonheur, son projet n’était donc pas de les rendre heureux, il ne les aime donc pas ; il n’est donc alors ni juste ni bienfaisant. Il me semble qu’un Dieu ne doit rien vouloir que de possible, et il ne l’est pas, que l’homme observe des loix qui le tyrannisent, ou qui lui sont inconnues.
Ce vilain Dieu fait encore plus ; il hait l’homme pour avoir ignoré ce qu’on ne lui a point appris ; il le punit, pour avoir transgressé une loi inconnue, pour avoir suivi des penchans qu’il ne tient que de lui seul : ô Juliette ! s’écria mon institutrice ; puis-je concevoir cet infernal et détestable Dieu, autrement que comme un tiran, un barbare, un monstre, auquel je dois toute la haine, tout le courroux, tout le mépris que mes facultés physiques et morales peuvent exhaler à-la-fois.
Ainsi, vînt-on même à bout de me démontrer… de me prouver l’existence de Dieu, dût-on réussir à me convaincre qu’il a dicté des loix ; qu’il a choisi des hommes pour les attester aux mortels ; me fit-on voir que le plus harmonieux accord règne dans toutes les relations qui viennent de lui, rien ne pourrait me prouver que je lui plais, en suivant ses loix, car s’il n’est pas bon, il peut me tromper, et ma raison qui ne vient que de lui, ne me rassurera pas, puisqu’il peut alors ne me l’avoir donnée, que pour mieux me précipiter dans l’erreur.
Poursuivons : Je vous demande maintenant, ô déistes, comment ce Dieu que je veux bien admettre un moment, se conduira vis-à-vis de ceux qui n’ont aucune connaissance de ses loix : si Dieu punit l’ignorance invincible de ceux auxquels ses loix n’ont pu être annoncées, il est injuste ; s’il ne peut les en instruire, il est impuissant.
Il est certain que la révélation des loix de l’Éternel doit porter des caractères qui prouvent le Dieu dont elles émanent ; or, de toutes les révélations qui nous sont parvenues, je demande laquelle porte ce caractère aussi évident qu’indispensable ? C’est donc par la religion même que se détruit le Dieu qu’annonce la religion ; or, que deviendra cette religion, quand le Dieu qu’elle établit, n’aura plus d’existence que dans la tête des sots.
Que les connaissances humaines soient réelles ou fausses, peu importe au bonheur de la vie ; il n’en est pas de même en matière de religion. Lorsque les hommes ont une fois réalisé les objets imaginaires qu’elle présente, ils se passionnent pour ces objets. Ils se persuadent que ces fantômes qui voltigent dans leur esprit existent réellement, et de ce moment rien ne peut plus les retenir. Chaque jour nouveaux sujets de trembler ; tels sont les uniques effets produits en nous par l’idée dangereuse d’un Dieu ; c’est cette idée seule qui cause les maux les plus cuisans de la vie de l’homme : c’est elle qui le contraint à la privation des plus doux plaisirs de la vie, dans la frayeur de déplaire à ce fruit dégoûtant de son imagination en délire. Il faut donc, mon aimable amie, se délivrer le plutôt possible des terreurs que cette chimère inspire ; et pour cela, sans doute, il ne faut que porter la faulx sur l’idole, il ne faut que la pulvériser d’un bras ferme.
L’idée que les prêtres veulent nous donner de la divinité, n’est autre chose que celle d’une cause universelle, et de laquelle toutes les autres sont des effets. Les imbécilles auxquels ces imposteurs se sont adressés, ont cru qu’une telle cause existait… pouvait exister séparément des effets particuliers qu’elle produit, comme si les modalités d’un corps pouvaient être séparées de ce corps, comme si la blancheur étant une des qualités de la neige, il était possible de séparer d’elle cette qualité. Les modifications quittent-elles les corps qu’elles modifient ? Eh bien ! votre Dieu n’est qu’une modification de la matière perpétuellement en action par son essence : cette action que vous croyez pouvoir en séparer, cette énergie de la matière, voilà votre Dieu ; examinez maintenant, sots adorateurs d’un tel être, de quel hommage il peut être digne ? Ceux qui ne font produire à la première cause que le mouvement local des corps, et qui donnent à nos esprits la force de se déterminer, bornent étrangement cette cause, et lui ôtent son universalité pour la réduire à ce qu’il y a de plus bas dans la nature, c’est-à-dire, à l’emploi de remuer la matière, mais comme tout est lié dans la nature, que les sentimens spirituels produisent des mouvemens dans les corps vivans, que les mouvemens des corps excitent des sentimens dans les ames, on ne peut avoir recours à cette supposition pour établir ou pour défendre le culte religieux ; nous ne voulons, qu’en conséquence de la perception des objets qui se présentent à nous, les perceptions ne nous viennent qu’à l’occasion du mouvement excité dans nos organes, donc la cause du mouvement est celle de notre volonté. Si cette cause ignore l’effet que produira le mouvement en nous, quelle idée indigne d’un dieu ; s’il le sait, il en est complice, et il y consent ; si, le sachant, il n’y consent pas, il est donc forcé de faire ce qu’il ne veut pas ; il y a donc quelque chose de plus puissant que lui, donc il est contraint de suivre des loix. Comme nos volontés sont toujours suivies de quelques mouvemens, Dieu est par conséquent obligé de concourir avec notre volonté, il est donc dans le bras du parricide, dans le flambeau de l’incendiaire, dans le con de la prostituée ? Dieu n’y consent-il pas ? Le voilà moins fort que nous, le voilà contraint à nous obéir ; donc quelque chose que l’on dise, il faut avouer qu’il n’y a point de cause universelle, ou si vous voulez absolument qu’il y en ait une, il faut que nous convenions qu’elle consent à tout ce qui nous arrive, et ne veut jamais autre chose ; il faut que vous avouiez encore qu’elle ne peut aimer ni haïr aucun des êtres particuliers qui émanent d’elle, parce que tous lui obéissent également, et que d’après cela, les mots de peines, de récompenses, de loix, de défenses, d’ordre, de désordre, ne sont que des mots allégoriques, tirés de ce qui se passe parmi les hommes.
Si l’on n’est pas obligé de regarder Dieu comme un être essentiellement bon, comme, un être qui aime les hommes, l’on peut croire qu’il a voulu les tromper. Ainsi quand même tous les prodiges sur lesquels se fondent ceux qui prétendent connaître les loix qu’il a revelées à quelques hommes, seraient véritables, comme tout nous confirme que c’est un être injuste, inhumain, nous n’avons pas d’assurance qu’il n’ait pas fait ces prodiges exprès pour nous tromper, et rien ne nous autorise à croire que l’observation la plus stricte de ses loix puisse jamais me rendre son ami : s’il ne punit pas ceux qui ont observé ces loix, leur observance devient inutile ; et comme cette observance est pénible, votre Dieu, en la promulgant, s’est à-la-fois rendu coupable d’inutilité et de méchanceté, je vous demande dès-lors, si c’est là un être digne de nos hommages ; ces loix d’ailleurs n’ont rien de respectable, elles sont absurdes, contraires à la raison ; elles répugnent au moral, affligent le physique ; ceux qui les annoncent, les violent à tout moment, et s’il est quelques individus dans le monde qui s’avisent d’y ajouter foi, scrutons avec soin leur esprit, nous les reconnaîtrons bientôt pour des imbécilles. Veux-je approfondir les preuves de ce fratras de mystères et de loix dictées pur ce Dieu ridicule, je ne les trouve appuyées que par des traditions confuses, incertaines et toujours victorieusement combattues par les adversaires.
Disons-le, avec vérité, de toutes les religions établies parmi les hommes, il n’en est aucune qui puisse légitimement l’emporter sur l’autre ; pas une qui ne soit remplie de fables, de mensonges, de perversités et qui n’offre à-la-fois les dangers les plus imminens, à côté des contradictions les plus palpables ; des fous veulent-ils établir leurs rêveries ? ils appellent les miracles à leur secours, d’où il résulte que, toujours dans le même cercle, à présent c’est le miracle qui prouve la religion, tandis que tout-à-l’heure la religion prouvait le miracle ; encore, s’il n’en était qu’une qui pût s’étayer de prodiges ; mais toutes en citent, toutes en offrent.
Et le beau cigne de Léda
Vaut bien le pigeon de Marie.
Si néanmoins tous ces miracles étaient vrais, il résulterait nécessairement que Dieu aurait permis qu’il en fût fait pour les fausses religions comme pour les bonnes, et que d’après cela l’erreur ne le toucherait guères plus que la vérité ; ce qu’il y a de plaisant, c’est que chaque secte est également persuadée de la réalité de ses prodiges ; si tous sont faux, on doit en conclure que des nations entières ont pu croire des prodiges supposés ; donc sur le chapitre des prodiges, la persuasion vive d’une nation entière n’en prouve pas la vérité ; mais il n’y a aucun de ces faits dont on puisse autrement prouver la vérité que par la persuasion de ceux qui les croient maintenant, donc il n’y en a aucun dont la vérité soit suffisamment établie ; et comme ces prodiges sont les seuls moyens par lesquels on puisse nous obliger à croire une religion, nous devons conclure qu’il n’en est aucun de prouvé, et les regarder tous comme l’ouvrage du fanatisme, de la fourberie, de l’imposture et de l’orgueil.
Mais, interrompis-je ici, s’il n’y a ni Dieu ni religion, qui gouverne donc l’univers ?
Ma chère amie, reprit madame Delbène, l’univers est mu par sa propre force, et les loix éternelles de la nature inhérentes à elle-même, suffisent sans une cause première, à produire tout ce que nous voyons ; le mouvement perpétuel de la matière explique tout ; quel besoin de supposer un moteur à ce qui est toujours en mouvement ? L’univers est un assemblage d’êtres différens qui agissent et réagissent mutuellement et successivement les uns sur les autres ! je n’y découvre aucune borne, je n’y apperçois seulement qu’un passage continuel d’un état à un autre par rapport aux êtres particuliers qui prennent successivement plusieurs formes nouvelles, mais je ne crois point une cause universelle distinguée de lui qui lui donne l’existence, et qui produise les modifications des êtres particuliers qui le composent ; j’avoue même que j’y vois absolument tout le contraire, et que je crois l’avoir démontré ; ne nous inquiétons donc nullement de mettre quelque chose à la place des chimères, et n’admettons jamais comme cause de ce que nous ne comprenons pas, quelque chose que nous comprenons encore moins.
Après t’avoir démontré l’extravagance du systême déifique, poursuivit cette charmante femme, je n’aurai pas grande peine sans doute à détruire en toi les préjugés inculqués dès l’enfance sur le principe de notre vie ; est-il rien de plus extraordinaire en effet que la supériorité que les hommes s’arrogent sur les autres animaux ? Dès qu’on leur demande ce qui fonde cette supériorité. — Notre ame, répondent-ils imbécillement ; les prie-t-on d’expliquer ce qu’ils entendent par ce mot, ame : oh, pour lors, vous les voyez balbutier, se contredire ; c’est une substance inconnue, disent-ils, c’est une force secrète distinguée de leur corps ; c’est un esprit dont ils n’ont nulle idée ; demandez-leur comment cet esprit, qu’ils supposent, comme leur Dieu, totalement privé d’étendue, a pu se combiner avec leur corps étendu et matériel, ils vous diront qu’ils n’en savent rien, que c’est un mystère, que cette combinaison est l’effet de la toute-puissance de Dieu : voilà les idées nettes que l’imbécillité se forme de la substance cachée, ou plutôt imaginaire dont elle a fait le mobile de toutes ses actions.
À cela, je ne réponds qu’une chose ; si l’ame est une substance essentiellement différente du corps, et qui ne peut avoir aucune relation avec lui, leur union est une chose impossible ; d’ailleurs, cette ame étant d’une essence différente du corps, devrait nécessairement agir d’une façon différence de lui ; cependant, nous voyons que les mouvemens éprouvés par les corps se font sentir à cette ame prétendue, et que ces deux substances diverses par leur essence agissent toujours de concert ; vous, nous direz encore que cette harmonie est un mystère, et moi je vous répondrai que je ne vois pas mon ame, que je ne connais et ne sens que mon corps ; que c’est le corps qui sent, qui pense, qui juge, qui souffre, qui jouit, et que toutes ses facultés sont des résultats nécessaires de son mécanisme et de son organisation.
Quoique les hommes soient dans l’impossibilité de se faire la moindre idée de leur ame, quoique tout leur prouve qu’ils ne sentent, ne pensent, n’acquièrent des idées, ne jouissent et ne souffrent que par le moyen des sens ou des organes matériels du corps, ils se persuadent pourtant que cette ame inconnue est exempte de mort ; mais en supposant même l’existence de cette ame, dites-moi, je vous prie, si l’on peut s’empêcher de reconnaître qu’elle dépend totalement du corps, et qu’elle subit conjointement avec lui toutes les vicissitudes qu’il éprouve lui-même ? et cependant on porte l’absurdité jusqu’à croire qu’elle n’a, par sa nature, rien d’analogue à lui ; on veut qu’elle puisse agir et sentir sans le secours de ce corps ; en un mot, on prétend que, privée de ce corps, et dégagée des sens, cette ame sublime pourra vivre pour souffrir, éprouver le bien-être ou sentir des tourmens rigoureux. C’est sur un pareil tas d’absurdités conjecturales que l’on bâtit l’opinion merveilleuse de l’immortalité de l’ame.
Si je demande quels motifs on a de supposer l’ame immortelle, on me répond aussi-tôt, c’est que l’homme, par sa nature, desire d’être immortel ; mais, répliquai-je, votre desir devient-il une preuve de son accomplissement ? Par quelle étrange logique ose-t-on décider qu’une chose ne peut manquer d’arriver, seulement parce qu’on la souhaite ; les impies, continue-t-on, privés des espérances flatteuses d’une autre vie desirent d’être anéantis ! eh bien, ne sont-ils pas autant autorisés à conclure, d’après ce desir, qu’ils seront anéantis, que vous vous prétendez autorisés à conclure, vous, que vous existerez simplement, parce que vous le desirez !
O Juliette, poursuivait cette femme philosophe, avec toute l’énergie de la persuasion, ô ma chère amie, n’en doute pas, nous mourons tout entiers, et le corps humain, après que la parque a coupé le fil, n’est plus qu’une masse incapable de produire les mouvemens dont l’assemblage constituait la vie ; on n’y voit plus alors ni circulation ni respiration, ni digestion, ni parole, ni pensée ; on prétend que, pour lors, l’ame s’est séparée du corps ; mais dire que cette ame, qu’on ne connaît point, est le principe de la vie, c’est ne rien dire, sinon qu’une force inconnue est le principe caché de mouvemens imperceptibles ; rien de plus naturel et de plus simple que de croire que l’homme mort n’est plus, rien de plus extravagant que de croire que l’homme mort est encore en vie.
Nous rions de la simplicité de quelques peuples, dont l’usage est d’enterrer les provisions avec les morts ; est-il donc plus absurde de croire que les hommes mangeront après la mort, que de s’imaginer qu’ils penseront, qu’ils auront des idées agréables ou fâcheuses, qu’ils jouiront, qu’ils souffriront, qu’ils éprouveront du repentir ou de la joie, lorsque les organes, propres à leur porter des sensations ou des idées, seront une fois dissous et réduits en poussière ? Dire que les ames humaines seront heureuses ou malheureuses après la mort, c’est prétendre que les hommes pourront voir sans yeux, entendre sans oreilles, goûter sans palais, flairer sans nez, toucher sans mains, etc. Des nations qui se croient très-raisonnables adoptent pourtant de pareilles idées !
Le dogme de l’immortalité de l’ame suppose que l’ame est une substance simple, en un mot, un esprit ; mais je demanderai toujours ce que c’est qu’un esprit ?
On m’a appris répondis-je à madame Delbène, qu’un esprit était une substance privée d’étendue, incorruptible, et qui n’a rien de commun avec la matière.
Mais si cela est, reprit avec vivacité mon institutrice ; comment ton ame naît-elle, s’accroît-elle, se fortifie-t-elle, se dérange-t-elle, vieillit-elle dans les mêmes proportions que ton corps ?
À l’exemple de tous les sots qui ont eu les mêmes principes, tu me répondras que tout cela sont des mystères ; mais, imbécilles que vous êtes, si ce sont des mystères, vous n’y comprenez donc rien, et si vous n’y comprenez rien, comment pouvez-vous décider affirmativement une chose dont vous êtes incapables de vous former aucune idée ! Pour croire ou pour affirmer quelque chose, il faut au moins savoir en quoi consiste ce que l’on croit et ce que l’on affirme ; croire à l’immatérialité de l’ame, c’est dire que l’on est persuadée de l’existence d’une chose dont il est impossible de se former aucune notion véritable ; c’est croire à des mots sans y pouvoir attacher aucun sens ; affirmer qu’une chose est telle qu’on l’a dit, c’est le comble de la folie et de la vanité.
Que les théologiens sont d’étranges raisonneurs ! dès qu’ils ne peuvent deviner les causes naturelles des choses, ils inventent des causes surnaturelles, ils imaginent des esprits, des Dieux, des causes occultes, des agens inexplicables, ou plutôt des mots bien plus obscurs que les choses qu’ils s’efforcent d’expliquer. Demeurons dans la nature quand nous voudrons nous rendre compte des effets de la nature ; ne nous écartons jamais d’elle quand nous voudrons expliquer ses phénomènes ; ignorons les causes trop déliées pour être saisies par nos organes, et soyons persuadés, qu’en sortant de la nature, nous ne trouverons jamais la solution des problêmes que la nature nous présente.
Dans l’hypothèse même de la théologie, c’est-à-dire, en supposant un moteur tout-puissant, à la matière, de quel droit les théologiens refuseraient-ils à leur Dieu de donner à cette matière la faculté de penser. Lui serait-il plus difficile de créer des combinaisons de matière dont résultât la pensée, que des esprits qui pensent ? Au moins en supposant une matière qui pensât, nous aurions quelques notions du sujet de la pensée, ou de ce qui pense en nous ; tandis qu’en attribuant la pensée à un être immatériel, il nous est impossible de nous en faire la moindre idée.
On nous objecte que le matérialisme fait de l’homme une pure machine, ce que l’on juge très-déshonorant pour l’espèce humaine ; mais cette espèce humaine sera-t-elle bien plus honorée quand on dira que l’homme agit par les impulsions secrètes d’un esprit ou d’un certain je ne sais quoi, qui sert à ranimer sans qu’on sache comment.
Il est aisé de s’appercevoir que la supériorité que l’on donne à l’esprit sur la matière, ou à l’ame sur le corps, n’est fondée que sur l’ignorance où l’on est de la nature de cet ame, tandis que l’on est plus familiarisé avec la matière ou le corps que l’on s’imagine connaître et dont on croit démêler les ressorts ; mais les mouvemens les plus simples de nos corps, sont, pour tout homme qui les médite, des énigmes aussi difficiles à deviner que la pensée.
L’estime que tant de gens ont pour la substance spirituelle, ne paraît avoir pour motif que l’impossibilité où ils se trouvent de la définir d’une manière intelligible ; le peu de cas que nos théologiens font de la matière, ne vient que de ce que la familiarité engendre le mépris ; lorsqu’ils nous disent que l’ame est plus excellente que le corps, ils ne nous disent rien, sinon que ce qu’ils ne connaissent aucunement, doit être bien plus beau que ce dont ils ont quelques faibles idées.
On nous vante sans cesse l’utilité du dogme de l’autre vie ; on prétend que quand même ce serait une fiction, elle serait avantageuse, parce qu’elle en imposerait aux hommes et les conduirait à la vertu. À cela je demande s’il est bien vrai que ce dogme rende les hommes plus sages et plus vertueux ; j’ose affirmer, au contraire, qu’il ne sert qu’à les rendre fous, hypocrites, méchans, atrabilaires, et qu’on trouvera toujours plus de vertus, plus de mœurs chez les peuples qui n’ont aucune de ces idées, que chez ceux où elles font la base des religions. Si ceux qui sont chargés d’instruire et de gouverner les hommes, avaient eux-mêmes des lumières et des vertus, ils les gouverneraient bien mieux par des réalités que par des chimères ; mais fourbes, ambitieux, corrompus, les législateurs ont par-tout trouvé plus court d’endormir les nations par des fables que de leur enseigner des vérités… que de développer leur raison, que de les exciter à la vertu par des motifs sensibles et réels… que de les gouverner enfin d’une façon raisonnable.
Ne doutons pas que les prêtres n’aient eu leurs motifs pour imaginer la fable ridicule de l’immortalité de l’ame ; eussent-ils, sans ces systêmes, mis les mourans à contribution ? Ah ! si ces dogmes épouvantables d’un Dieu… d’une ame qui nous survit, ne sont d’aucune utilité pour le genre humain, convenons qu’ils sont au moins de la plus grande nécessité pour ceux qui se sont chargés d’en infecter l’opinion publique[2].
Mais, objectai-je à madame Delbène, le dogme de l’immortalité de l’ame n’est-il pas consolant pour les malheureux ? Quand ce serait une illusion, n’est-elle pas douce, n’est-elle pas agréable, n’est-ce pas un bien pour l’homme, que de croire qu’il pourra se survivre à lui-même et jouir quelque jour au ciel d’un bonheur qui lui est refusé sur la terre ?
En vérité, me répondit mon amie, je ne vois pas que le desir de tranquilliser quelques malheureux imbécilles, vaille la peine d’empoisonner des millions d’honnêtes gens ; est-il raisonnable d’ailleurs de faire de ses souhaits la mesure de la vérité ? Ayez un peu plus de courage, consentez à la loi générale, résignez-vous à l’ordre du destin dont les décrets sont, qu’ainsi que tous les êtres, vous retombiez dans le creuset de la nature, pour en sortir bientôt sous d’autres formes ; car, dans le fait, rien ne périt dans le sein de cette mère du genre humain ; les élémens qui nous composent, se réuniront bientôt sous d’autres combinaisons ; un laurier perpétuel croît sur le tombeau de Virgile, Cette transmigration glorieuse n’est-elle pas, sots déistes, aussi douce que votre alternative de l’enfer ou du paradis ! Car, si ce dernier est consolant, ou m’avouera que l’autre est affreux ; ne dites-vous pas, imbéciles chrétiens, qu’il faut, pour se sauver, des graces que votre Dieu n’accorde qu’à très-peu de gens ? Certes, voilà des idées fort consolantes ; et ne vaut-il pas mieux cent fois être annéanti, que de brûler éternellement ? Qui osera donc soutenir d’après cela que l’opinion, qui débarrasse de ces craintes, ne soit mille fois plus agréable que l’incertitude où nous laisse l’admission d’un Dieu qui, maître de ses graces, ne les donne qu’à ses favoris, et qui permet que tous les autres se rendent dignes des supplices éternels : il n’y a que l’enthousiasme ou la folie qui puisse faire préférer un systême évident qui tranquilise, à des conjectures improbables qui désespèrent.
Mais que deviendrai-je, dis-je encore à madame Delbène, cette obscurité m’effraye, cet éternel anéantissement m’effarouche ? Et qu’étais-tu, je te prie, avant que de naître, me répondit cette femme pleine de génie ; quelques portions pleines de matière non organisée, n’ayant encore reçu aucune forme, ou en ayant reçu dont tu ne peux te souvenir ; eh bien ! tu redeviendras les mêmes portions de matière prêtes à organiser de nouveaux êtres, dès que les loix de la nature le trouveront convenables. Jouissais-tu ? — Non. Souffrais-tu ? — Non. Est-ce donc là un état si pénible, et quel est l’être qui ne consentirait pas à sacrifier toutes ses jouissances à la certitude de n’avoir jamais de peines ; que serait-il alors, s’il pouvait conclure ce marché ? Un être inerte, sans mouvement ; que sera-t-il après la mort ? Positivement la même chose. À quoi sert-il donc de s’affliger, puisque la loi de la nature vous condamne positivement à l’état que vous accepteriez de bon cœur, si vous en étiez le maître ? Eh ! Juliette, la certitude de n’être pas toujours, est-elle plus désespérante que celle de n’avoir pas toujours été ? Va, va, tranquillise-toi, mon ange, la frayeur de cesser d’être, n’est un mal réel que pour l’imagination créatrice du dogme absurde d’une autre vie.
L’ame, ou, si l’on veut, ce principe actif… vivifiant, qui nous anime, qui nous meut, qui nous détermine, n’est autre chose que de la matière subtilisée à un certain point, moyen par lequel elle a acquis les facultés qui nous étonnent. Toutes les portions de matière, sans doute ne seraient pas capables des mêmes effets ; mais combinées avec celles qui composent nos corps, elles en deviennent susceptibles, ainsi que le feu peut devenir flamme quand il est combiné avec des corps gras ou inflammables ; l’ame, en un mot, ne peut être considérée que sous deux sens, comme principe actif et comme principe pensant ; or, sous l’un et sous l’autre rapport nous allons la démontrer matière par deux syllogismes sans réplique : 1°. comme principe actif elle se divise ; car le cœur conserve encore son mouvement long-tems après sa séparation d’avec le corps : or, tout ce qui se divise est matière. L’ame, comme principe actif, se divise, donc elle est matière.
2°. Tout ce qui périclite est matière, ce qui serait essentiellement esprit, ne saurait péricliter ; or, l’ame suit les impressions du corps, elle est faible dans l’âge tendre, affaissée dans l’âge décrépit ; elle éprouve donc les influences du corps : cependant tout ce qui périclite est matière, l’ame périclite, donc elle est matière.
Osons le dire et le redire sans cesse ; rien d’étonnant dans le phénomène de la pensée, ou du moins rien qui prouve que cette pensée soit distincte de la matière, rien qui fasse voir que la matière subtilisée ou modifiée, de telle ou telle façon, ne puisse produire la pensée ; cela est infiniment moins difficile à comprendre que l’existence d’un Dieu. Si cette ame sublime était effectivement l’ouvrage de Dieu, pourquoi subirait-elle tous les différens changemens ou accidens du corps ; il me semble que comme l’ouvrage de Dieu, cette ame devrait être parfaite, et c’est ne l’être pas que de se modifier à l’égal d’une matière aussi remplie de défaut. Si cette ame était l’ouvrage d’un Dieu, elle n’aurait pas besoin de sentir ni d’éprouver ses gradations, elle ne le pourrait, ni ne le devrait ; elle se joindrait à l’embryon toute formée, et dès le berceau Cicéron aurait pu composer ses Tusculanes, Voltaire son Alzire, etc. Si cela n’est pas ni ne peut être, l’ame observe donc les mêmes gradations que le corps, elle a donc des parties, puisqu’elle croît, baisse, augmente ou diminue : or, tout ce qui a des parties est matière ; donc l’ame est matière, puisqu’elle est composée de parties. Convenons qu’il est absolument impossible que l’ame puisse exister sans le corps, et celui-ci sans l’autre.
Rien de merveilleux au reste dans l’empire absolu de l’ame sur le corps ; ce n’est qu’un même tout, composé de parties égales, j’en conviens, mais dans lequel néanmoins les parties grossières doivent être soumises aux parties subtiles, par la même raison de l’empire qu’à la flamme, qui est matière, sur la cire qu’elle consume qui est également matière ; et voilà, comme dans nos corps, l’exemple de deux matières aux prises, dont la plus subtile domine la plus grossière.
En voilà plus qu’il ne t’en faut, Juliette pour te convaincre, à ce que j’imagine, du néant de l’existence de Dieu, et de celui du dogme de l’immortalité de l’ame. Quelle adresse dans ceux qui inventèrent ces deux monstrueux dogmes. Et que n’entreprenait-on pas sur un peuple, en se disant les ministres d’un Dieu dont la haine ou l’amour était d’un si grand intérêt pour la vie future ? Quel crédit n’avait-on pas sur l’esprit de gens, qui redoutant des peines ou des récompenses futures, étaient obligés de recourir à ces fourbes, comme aux médiateurs d’un Dieu, seuls capables d’éviter les uns et de valoir les autres ? Toutes ces fables ne sont donc que le fruit de l’ambition, de l’orgueil et de la démence de quelques individus, nourries par l’absurdité de quelques autres, mais qui ne sont faites que pour nos mépris… que pour être éteintes… absorbées dans nous, au point de ne jamais reparaître. Oh ! combien je t’exhorte, ma chère Juliette, à les détester comme moi. Ces systêmes, dit-on, mènent à la dégradation des mœurs. Eh ! mais les mœurs sont-elles donc plus importantes que les religions ? Absolument soumises au degré de latitude d’un pays, elles n’ont et ne peuvent avoir rien que d’arbitraire ; rien ne nous est défendu par la nature ; les loix seules se sont crues autorisées d’imposer de certaines bornes au peuple, relatives à la température de l’air, à la richesse ou à la pauvreté du climat, à l’espèce d’homme qu’elles maîtrisent. Mais ces freins purement populaires n’ont rien de sacré, rien de légitime aux yeux de la philosophie, dont le flambeau dissipe toutes les erreurs, ne laisse exister dans l’homme sage que les seules inspirations de la nature. Or, rien n’est plus immoral que la nature ; jamais elle ne nous imposa de freins, elle ne nous dicta jamais de loix. O Juliette ! tu vas me trouver bien tranchante, bien ennemie de toutes les chaînes, mais je vais jusqu’à repousser sévèrement, cette obligation aussi enfantine qu’absurde, qui nous enjoint de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. C’est précisément tout le contraire que la nature nous conseille, puisque son seul précepte est de nous délecter, n’importe aux dépens de qui. Sans doute il peut arriver, d’après ces maximes, que nos plaisirs troubleront la félicité des autres ; en seront-ils moins vifs pour cela ? Je dis plus, seraient-ils vraiment délicieux sans cela ? Cette prétendue loi de la nature à laquelle les sots veulent nous astreindre, est donc aussi chimérique que celles des hommes, et nous devons en foulant aux pieds les unes et les autres, nous persuader intimement qu’il n’est de mal à rien ; mais nous reviendrons sur tous ces objets, et je me flatte de te convaincre en morale, comme je crois t’avoir persuadée en religion. Mettons maintenant nos principes en pratique, et après t’avoir démontré que tu peux tout faire sans crime, commettons tant soit peu de crimes, pour nous convaincre que l’on peut faire tout.
Électrisée par ces discours, je me jette dans les bras de mon amie ; je lui rends mille et mille graces des soins qu’elle veut bien prendre de mon éducation. Je te devrai bien plus que la vie, ma chère Delbène, m’écriai-je ; qu’est-ce que l’existence sans la philosophie ? Est-ce la peine de vivre quand on languit sous le joug du mensonge et de la stupidité ? Va, poursuivis-je avec chaleur, je me sens digne de toi maintenant, et c’est sur ton sein que je fais le serment sacré de ne jamais revenir aux chimères que ta tendre amitié vient de détruire en moi ; continue de m’instruire, de diriger mes pas vers le bonheur ; je me livre à tes conseils ; tu feras de moi ce que tu voudras, bien sûre, que tu n’auras jamais eu d’écolière, ni plus ardente, ni plus soumise que Juliette.
La Delbène était dans l’ivresse ; il n’est point, pour un esprit libertin, de plaisir plus vif que celui de faire des prosélytes. On jouit des principes qu’on inculque, mille sentimens divers sont flattés en voyant les autres se gangréner à la corruption qui nous mine. Ah ! comme on chérit cette influence obtenue sur leur ame, unique ouvrage de nos conseils et de nos séductions. Delbène me rendit tous les baisers dont je l’accablais ; elle me dit que j’allais devenir une fille perdue comme elle, une fille sans mœurs, une athée, et qu’unique cause de mon désordre, elle aurait à répondre devant Dieu de l’ame qu’elle lui enlevait, et ses caresses devenant plus ardentes, nous allumâmes bientôt le feu des passions, au flambeau de la philosophie.
Tiens, me dit Delbène, puisque tu veux être dépucelée, je vais te satisfaire à l’instant. Ivre de luxure, la friponne s’arme aussitôt d’un godmiché, elle me branle pour endormir en moi la douleur qu’elle va, dit-elle, me causer, et me porte ensuite des coups si terribles, que mon pucelage disparut au second bond. On ne se peint point ce que je souffris ; mais aux douleurs cuisantes de cette terrible opération, succédèrent bientôt les plus doux plaisirs. Delbène que rien n’épuisait, était loin de se fatiguer ; me limant à tour de reins, sa langue enfoncée dans ma bouche, et de ses mains chatouillant mon derrière, il y avait une heure que je déchargeais dans ses bras, lorsqu’à la fin je lui demandai grace : Rends-moi tout ce que je viens de te faire, me dit-elle aussitôt… Je suis dévorée de luxure, je n’ai pas joui, moi, pendant que je te foutais ; je veux décharger à mon tour ; de maîtresse chérie je devins bientôt l’amant le plus passionné ; j’enconne Delbène, je la lime. Dieu ! quel égarement, nulle femme n’était aussi aimable, aucune n’était emportée comme elle dans le plaisir ; dix fois de suite la friponne se pâma dans mes bras, je crus qu’elle se distillerait en foutre. Oh ma bonne, lui dis-je, n’est-il pas vrai que plus l’on a d’esprit et mieux l’on goûte les douceurs de la volupté. Assurément, me répondit Delbène, et la raison de cela est bien simple ; la volupté n’admet aucune chaîne, elle ne jouit jamais mieux que quand elle les rompt toutes ; or, plus un être à d’esprit, plus il brise de freins : donc l’homme d’esprit sera toujours plus propre qu’un autre aux plaisirs du libertinage. Je crois que l’extrême finesse des organes y contribue beaucoup aussi, répondis-je. Cela n’est pas douteux, dit madame Delbène, plus la glace est polie, mieux elle reçoit, et mieux elle réfléchit les objets qui lui sont présentés.
Enfin, épuisées toutes deux, je rappelai à mon institutrice la promesse qu’elle m’avait faite de dépuceler Laurette. Je ne l’ai point oubliée, me répondit madame Delbène, c’est pour cette nuit. Dès que l’on sera remonté dans les dortoirs, tu t’échapperas, Volmar et Flavie en feront autant ; ne t’inquiète pas du reste, te voilà maintenant initiée dans nos mystères, sois ferme, sois courageuse, Juliette, et je te ferai voir d’étonnantes choses.
Je quittai mon amie pour reparaître dans la maison ; mais jugez qu’elle fut ma surprise, lorsque j’entendis raconter qu’une pensionnaire venait de se sauver du couvent ; je demande aussitôt son nom ; c’est Laurette. Laurette, m’écriai-je, puis à part. Oh dieu ! elle sur qui je comptais ; elle qui m’avait si échauffé la tête… Perfides desirs, vous aurai-je donc conçus vainement ! Je demande des détails, personne ne peut m’en donner ; je vole chez Delbène pour l’instruire, sa porte est fermée ; il m’est impossible de la joindre avant l’heure qu’elle m’a indiquée. Qu’elle me parut longue, cette heure ! elle sonne enfin ; Volmar et Flavie m’avaient devancées ; elles étaient déjà chez Delbène[3]. Eh bien, dis-je à la supérieure, comment me tiendras-tu la parole que tu m’as donnée ? Laurette n’est plus ici ; par qui la remplacer maintenant ; et puis avec un peu d’aigreurs : Ah ! je vois bien que je ne jouirai jamais du plaisir que vous m’avez promis.
Juliette, me dit madame Delbène, d’un air très-sérieux, la première des loix de l’amitié est la confiance ; si tu veux être des nôtres, ma chère, il faut et plus de retenue et moins de soupçons. Est-il vraisemblable que je t’eusse promis un plaisir que je ne saurais te faire goûter, et ne devais-tu pas me supposer assez d’adresse… me croire assez de crédit dans cette maison, pour que les moyens de ces voluptés ne dépendant que de moi, tu ne dusses jamais craindre de n’en pas jouir. Suis nous, tout est calme. Ne t’avais-je pas dis que je te ferais voir des choses singulières. Delbène allume une petite lanterne, elle marche devant nous ; Volmar, Flavie et moi la suivions. Arrivées dans l’église, quel est mon étonnement de voir la supérieure ouvrir un tombeau, et pénétrer dans l’asyle des morts. Mes compagnes au fait, la suivent en silence ; je témoigne un peu de frayeur, Volmar me rassure ; Delbène rabaisse la pierre. Nous voilà dans les souterrains destinés à servir de sépulture à toutes les femmes qui mouraient dans le couvent. Nous avançons, une nouvelle pierre se lève, et quinze à seize marches à descendre nous font parvenir dans une espèce de salle basse, très-artistement décorée, et qui prenait de l’air par des ventouses correspondantes au milieu des jardins. Oh mes amis ! je vous laisse à penser qui je trouvai là… ? Laurette, parée comme les vierges qu’on immolait jadis au temple de Bacchus… L’abbé Ducroz, grand vicaire de l’archevêque de Paris, homme de trente ans, d’une très-jolie figure, spécialement chargé de la police de Panthemont, et le père Télème, récolet, beau brun de trente-six, confesseur des novices et des pensionnaires.
Elle a peur, dit Delbène en s’avançant vers ces deux hommes et me présentant à eux ; apprends, jeune innocente, continua-t-elle en me baisant, que nous ne nous réunissons ici que pour foutre… que pour nous livrer à des horreurs… à des atrocités ; si nous nous engloutissons au fond de la région des morts, c’est pour être le plus loin possible des vivans. Quand on est aussi libertins, aussi dépravés, aussi scélérats, on voudrait être dans les entrailles de la terre, afin de mieux fuire les hommes et leurs absurdes loix.
Quelqu’avancée que je fusse dans la carrière de la lubricité, j’avoue que ce début m’interdit. Oh ciel, dis-je toute émue ! qu’allons-nous donc faire dans ces souterrains ? Des crimes, me dit madame Delbène, nous allons nous en souiller à tes yeux, nous allons t’apprendre à nous imiter… Redouterais-tu quelques faiblesses ?… Aurais-je eu tort de répondre de toi ? Ne le crains point, répondis-je avec vivacité, je fais serment entre tes mains de ne m’effrayer de quoi que ce puisse être. Aussi-tôt Delbène ordonne à Volmar de me déshabiller.
Elle a le plus joli cul du monde, dit le grand vicaire dès qu’il m’eût vue toute nue, et des baisers… des attouchemens couvrirent aussitôt mes fesses, puis passant une de ses mains sur ma motte, l’homme de Dieu tâchait que son membre pût frotter assez hermétiquement mon derrière, pour en être lubriquement chatouillé ; bientôt il y pénétre presque sans peine, et dans le même instant Télème enfile mon con. Tous deux déchargent, et j’avoue que je les suivis de près. Juliette, me dit la supérieure, nous venons de vous procurer les deux plus grands plaisirs dont une femme puisse jouir ; il faut que vous nous disiez franchement duquel des deux vous avez été le mieux délectée. En vérité, madame, répondis-je, l’un et l’autre m’ont donné tant de plaisir, qu’il me serait impossible de prononcer. J’éprouve encore par réminiscence des sensations en même tems si confuses et si voluptueuses, que je leur assignerais bien difficilement leur véritable place. Il faut la faire recommencer, dit Télème, l’abbé et moi nous varierons nos attaques, nous prierons la belle Juliette d’interroger ses sensations et de nous en rendre un compte plus exact. Eh bien, volontiers, répondis-je, je crois comme vous, que ce n’est qu’en recommençant qu’il me sera possible de décider. Elle est charmante, dit la supérieure, il y a bien là de quoi nous faire la plus jolie petite putain que nous ayons formée depuis long-tems ; mais il faut arranger tout ceci, non-seulement pour que Juliette décharge délicieusement, mais pour qu’il réjaillisse quelque chose sur nous des plaisirs qu’elle va goûter.En conséquence de ces libertins projets, voici comme le tableau se dessina.
Télème, qui venait de foutre mon con, s’arrangea dans mon cul, il l’avait un peu plus gros que son confrère, mais toute novice que j’étais, la nature sans doute m’avait si bien créée pour ces plaisirs, que je ne souffris point de la différence ; j’étais couchée à plat-ventre sur la supérieure, de manière à ce que mon clitoris posa sur sa bouche, et la friponne, mollement étendue sur des carreaux, le suçait en écartant les cuisses. Entre ses jambes, Laurette courbée, lui rendait ce qu’elle me faisait, et le plaisir que la coquine recevait, elle le faisait voluptueusement refluer sur Volmar et Flavie qu’elle masturbait de droite et de gauche. Ducroz, derrière Laurette, se branlait légèrement sur ses fesses, mais sans y pénétrer ; l’honneur de l’un et l’autre pucelage de cette petite fille ne regardait absolument que moi.
Toutes les scènes de fouterie commencent par un moment de calme ; il semble que l’on veuille savourer la volupté toute entière, et qu’on craigne de la laisser échaper en parlant ; il m’était recommandé de jouir avec attention afin de comparer ; j’étais dans une extase silentieuse ; et, je l’avoue, les plaisirs incroyables que je recevais des secousses vives et réitérées du vit de Télème dans le trou de mon cul, les angoisses lubriques où me plongeaient les frétillemens de la langue de l’abesse sur mon clitoris, les scènes luxurieuses dont j’étais entourée, la réunion enfin de tant d’épisodes lascifs tenaient mes sens dans un délire où j’aurais voulu vivre éternellement.
Télème essaya de parler le premier, mais ses bégayemens, ses soupirs entrecoupés exprimèrent bien moins ses idées que son désordre. Tout ce que nous pûmes comprendre c’est qu’il jurait beaucoup, et que l’extrême chaleur, le resserrement de mon anus lui faisait goûter de bien grands plaisirs : je suis prêt à décharger dans le plus divin des derrières, s’écria-t-il enfin, je ne sais si Juliette sera plus délectée de recevoir mon foutre dans son cul, qu’elle ne l’a été de le sentir éjaculer dans son con ; mais pour moi je jure que j’ai mille fois plus de plaisir à la sodomiser que je n’en ressentis au fond de son vagin. C’est histoire de goût, dit Ducroz qui se branlait fortement sur le cul de Laurette, en baisant Flavie. C’est philosophie, c’est raison, dit Volmar heureusement branlée par Delbène et langotant Ducroz, quoique femme je pense de même, et je proteste bien que si j’étais homme, je ne foutrais jamais qu’en cul, et la voluptueuse créature décharge en prononçant ces paroles impures ; Télème la suit de près ; il devient furieux, retournant ma tête vers lui, il enfonce d’un pied sa langue dans ma bouche ; Delbène me suce si voluptueusement pendant ce temps-là, que je m’abandonne, je veux crier de plaisir, la langue chatouilleuse de Télème repousse mes paroles, le libertin avale mes soupirs ; j’inonde les lèvres et le gozier de ma suceuse qui, elle-même, lance des torrens dans la bouche de Laurette ; Flavie se joint bientôt à nous et la charmante libertine perd son foutre en jurant comme un charretier.
Passons à autre chose, dit Delbène en se relevant ; Ducroz, enconnez Juliette, elle se couchera dans vos bras, Volmar également à plat-ventre lui gamahuchera le cul ; je me coulerai sous Volmar pour lui sucer le clitoris, pendant que Télème m’enconnera, Flavie donnera la diligence à Télème qui chatouillera le con de Laurette, et cela tout en me foutant.
De nouvelles libations à Cypris terminèrent cette seconde épreuve et l’on m’interrogea. O mon amie ! dis-je à Delbène qui me questionnait, j’avoue, puisqu’il faut que je réponde avec vérité, que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. Je suis jeune, innocente, timide, peu faite aux plaisirs dont je viens d’être comblée, il serait possible que je me trompasse sur l’espèce et la nature de ces plaisirs en eux-mêmes, mais vous me demandez ce que j’ai senti, je le dis. Viens me baiser mon ange, me dit madame Delbene, tu es une fille digne de nous ; eh sans doute, poursuivit-elle avec enthousiasme, sans doute, il n’est aucun plaisir qui puisse se comparer à ceux du cul : malheur aux filles assez simples, assez imbéciles pour n’oser pas ces lubriques écarts, elles ne seront jamais dignes de sacrifier à Vénus, et jamais la déesse de Paphos ne les comblera de ses faveurs[4].Ah ! qu’on m’encule, s’écrie la putain en s’agenouillant sur un canapé ; Volmar, Flavie, Juliette, armez-vous de godmichés ; vous Ducroz et Telème, bandez ferme, et que vos vits mutins entrelacent les membres postiches de ces coquines ; voilà mon cul : Foutez-le tous ; Laurette sera devant moi pendant ce temps-là, et je lui ferai tout ce qui me passera par la tête. Les ordres de la supérieure s’exécutent ; à la manière dont la libertine reçoit ces attaques, il est facile de voir à quel point elle y est habituée ; à mesure qu’un des acteurs la travaille, un autre, se courbant sous elle, lui chatouille le clitoris ou l’intérieur de la motte ; c’est de la réunion de ces deux actes que la volupté s’améliore, elle n’est vraiment entière, qu’autant qu’une douce masturbation du devant vient prêter aux intromissions du cul le sel piquant qui peut résulter de cette jouissance, À force d’irritation, Delbène devint furieuse ; les passions parlaient impétueusement dans cette femme ardente, et nous ne tardâmes pas à nous apercevoir que c’était bien plutôt à ses fureurs qu’à ses caresses que servait la petite Laurette ; elle la mordait, elle la pinçait, elle l’égratignait. Sacredieu, s’écria-t-elle à la fin, sodomisée par Télème, châtouillée par Volmar, oh foutre ! je décharge. Vous m’avez fait mourir de volupté, asseyons-nous, et dissertons. Ce n’est pas tout que d’éprouver des sensations, il faut encore les analiser : Il est quelquefois aussi doux d’en savoir parler que d’en jouir, et quand on ne peut plus celui-ci, il est divin de se rejetter sur l’autre. Faisons cercle ; Juliette, calme-toi, je lis déjà ton inquiétude dans tes regards ; as-tu donc peur que nous te manquions de parole ? Voilà ta victime, continua-t-elle, en me montrant Laurette ; tu l’enconeras, tu l’enculeras, cela est sûr ; les promesses des libertines sont solides comme leurs déréglemens : Télème, et vous Ducroz soyez près de moi, je veux manier vos vits en parlant ; je veux les faire rebander, je veux que l’énergie qu’ils retrouveront sous mes doigts, se communique à mes discours, et vous verrez mon éloquence s’accroître, non comme celle de Cicéron en raison des mouvemens du peuple entourant la tribune aux harangues, mais comme celle de Sapho en proportion du foutre qu’elle obtenait de Damophile.
J’avoue, nous dit Delbène, dès qu’elle se fut mise en état de discourir, qu’il n’est rien au monde qui m’étonne comme l’éducation morale que l’on donne aux jeunes filles ; il semble que l’on ne s’attache dans les principes qu’on leur inculque qu’à contrarier tous les mouvemens de la nature ; je voudrais bien que quelqu’un me répondit à quoi sert une femme sage dans le monde, et s’il existe quelque chose de plus inutile que ces pratiques de vertu dont on ne cesse d’étourdir notre sexe : nous existons dans deux situations où ces pratiques nous sont recommandées, et c’est dans l’une et l’autre époque de notre vie où je vais entreprendre de prouver leur inutilité.
Jusqu’à ce qu’une fille se marie, à quoi sert-il, je le demande, qu’elle conserve sa virginité ? Et comment peut-on porter l’extravagance au point de croire qu’une créature féminine devait valoir mieux pour avoir une partie de son corps un peu plus ou un peu moins ouverte. Pour quel but la nature a-t-elle créé tous les humains ? N’est-ce pas pour se donner mutuellement tous les secours, et par conséquent tous les plaisirs qui dépendent d’eux ; or s’il est vrai qu’un homme doive attendre de très grands plaisirs d’une jeune fille, ne contrariez-vous pas les loix de la nature en composant à cette pauvre fille une vertu féroce qui lui défend de se prêter aux desirs impétueux de cet homme ; pouvez-vous vous permettre une telle barbarie, sans la justifier par quelque chose ; or que m’alléguez-vous pour me convaincre que cette jeune fille fait bien de garder sa virginité ? Votre religion, vos mœurs, vos usages ? Et qu’y a-t-il, je vous prie, de plus méprisable que tout cela ? Je ne parle pas de la religion, je vous connais assez tous pour être bien persuadée du peu de cas que vous en faites. Mais les mœurs, qu’est-ce que les mœurs, j’ose vous le demander ? On appelle ainsi, ce me semble, le genre de conduite des individus d’une nation entre eux et avec les autres. Or ces mœurs, vous en conviendrez, doivent être basées sur le bonheur individuel ; si elles n’assurent pas ce bonheur, elles sont ridicules ; si elles y nuisent, elles sont atroces, et une nation sage doit travailler sur-le-champ à la prompte réforme de ces mœurs dès qu’elles ne servent plus au bonheur général ; or je demande qu’on me prouve qu’il y a quelque chose dans nos mœurs françaises qui, relativement au plaisir de la chair, puisse coopérer au bonheur de la nation ; en vertu de quoi contraignez-vous cette jeune fille à conserver son pucelage, malgré la nature qui lui dit de le perdre, et malgré sa santé que cette sagesse dérange ! Me répondrez-vous que c’est pour qu’elle arrive pure dans les bras de son époux ; mais cette prétendue nécessité est-elle autre chose que l’histoire des préjugés ? Quoi pour faire jouir un homme du frivole plaisir de moissonner des prémices, il faut que cette malheureuse se sacrifie dix ans ; il faut qu’elle fasse de la peine à cinq cents individus, pour en délecter tristement un seul ? Existe-t-il quelque chose de plus barbare et de plus mal combiné que cela ? Oh, je vous prie, l’intérêt général est-il plus cruellement immolé que dans des loix aussi absurdes ? Vivent à jamais les nations qui loin de ces puérilités, n’estiment au contraire les jeunes personnes de nôtre sexe qu’en raison de leurs désordres ; à cette seule multiplicité réside la véritable vertu d’une fille ; plus elle se livre, plus elle est aimable ; plus elle fout, plus elle fait d’heureux, et plus elle est utile au bonheur de ses concitoyens. Qu’ils renoncent donc ces maris barbares au vain plaisir de cueillir une rose, droit despotique qu’ils ne s’arrogent qu’aux dépends du bonheur des autres hommes ; qu’ils cessent de mésestimer une fille qui ne les connaissant pas, il a pu les attendre pour leur faire présent de ce qu’elle a de plus précieux, et qui certainement ne l’a pas dû si elle a consulté la nature : examinerons-nous la nécessité de la vertu des êtres de nôtre sexe sous le second rapport, je veux dire quand nous sommes mariées ? Ceci nous ramène à l’adultère, et c’est ce prétendu délit que je veux traiter à fond.
Nos mœurs, nos religions, nos loix, toutes ces viles considérations locales ne méritent aucun égard dans cet examen ; l’objet n’est pas de savoir si l’adultère est un crime aux yeux du Lapon qui le permet, ou du français qui le défend ; mais si l’humanité et la nature sont offensées de cette action : pour pouvoir admettre une hipothèse semblable, il faudrait méconnaître l’étendue des desirs physiques dont cette mère commune des hommes a doué les deux sexes. Sans doute si un seul homme suffisait aux desirs d’une seule femme, ou qu’une seule femme put contenter les ardeurs d’un seul homme, dans cette hipothèse, alors tout ce qui violerait la loi, outragerait aussi la nature. Mais si l’inconstance et l’insatiabilité de ces desirs sont telles, que la pluralité des hommes soit aussi nécessaire à la femme que celle des femmes le devient aux hommes, vous m’avouerez que dans ce cas, toute loi qui s’oppose à leurs desirs, devient tyrannique, et s’éloigne visiblement de la nature. Cette fausse vertu qu’on nomme chasteté, étant certainement le plus ridicule de tous les préjugés, encore que cette manière d’être ne coopère en rien au bonheur des autres, et nuit infiniment à la prospérité générale, puisque les privations qu’impose cette vertu sont nécessairement très-cruelles, cette fausse vertu, dis-je, étant l’idole qu’on encense, dans la crainte qu’on a de l’adultère, doit d’abord être mise, par tout être sensé, au rang des freins les plus odieux dont il a plû à l’homme de grever les inspirations de la nature. Osons arracher le voile ; le besoin de foutre n’est pas d’une moins haute importance que celui de boire et de manger, et l’on doit se permettre l’usage de l’un et de l’autre, avec aussi peu de contrainte. L’origine de la pudeur ne fut, soyons en bien sûrs, qu’un rafinement luxurieux ; on était bien aise de desirer plus long-tems, pour s’exciter davantage, et des sots prirent ensuite pour une vertu, ce qui n’était qu’une recherche du libertinage[5]. Il est aussi ridicule de dire que la chasteté est une vertu, qu’il le serait de prétendre que c’en est une de se priver de nourriture ; qu’on le remarque bien, c’est presque toujours la sotte importance que nous mettons à certaine chose, qui finit par l’ériger en vertu ou en vice ; renonçons à nos imbécilles préjugés sur cela, qu’il soit aussi simple de dire à une fille, à un garçon, ou à une femme, qu’on a envie de s’en amuser, qu’il l’est, dans une maison étrangère, de demander les moyens d’appaiser sa faim ou sa soif, et vous verrez que le préjugé tombera, que la chasteté cessera d’être une vertu, et l’adultère un crime. Eh, quel mal fais-je, je vous prie, quelle offense commets-je, en disant à une belle créature, quand je la rencontre. — Prêtez-moi, la partie de votre corps qui peut me satisfaire un instant, et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut vous être agréable. — En quoi cette créature quelconque est-elle lézée de ma proposition ? En quoi le sera-t-elle en acceptant la mienne ? Si je n’ai rien de ce qu’il faut pour lui plaire, que l’intérêt tienne peu du plaisir, et qu’alors, pour un dédommagement convenu, elle m’accorde sur-le-champ la jouissance de son corps, et qu’il me soit permis d’employer la force et tous les mauvais traitemens qu’elle entraîne, si en la satisfaisant comme je peux, ou de ma bourse, ou de mon corps, elle ose ne pas me donner à l’instant ce que je suis en droit d’exiger ; elle seule offense la nature en refusant ce qui peut obliger son prochain ; je ne l’outrage point, moi, en proposant d’acheter d’elle ce qui m’en convient, et de payer ce qu’elle me cède au prix qu’elle peut desirer. Eh, non, non, encore une fois, la chasteté n’est point une vertu, elle n’est qu’un mode de convention, dont la première origine ne fut qu’un rafinement de libertinage ; elle n’est nullement dans la nature, et une fille, une femme ou un garçon qui accorderait ses faveurs au premier venu, qui se prostituerait effrontément en tous sens, en tous lieux, à toute heure, ne commettrait qu’une chose contraire, j’en conviens, aux usages du pays qu’habiterait peut-être cet individu ; mais il n’offenserait en quoi que ce puisse être, ni son prochain qu’il servirait bien plutôt que de l’outrager, ni la nature aux desseins de laquelle il ne fait que complaire en se livrant aux derniers excès du libertinage. La continence, soyez en bien certains, n’est que la vertu des sots et des enthousiastes ; elle a beaucoup de dangers, aucuns bons effets : elle est aussi, pernicieuse aux hommes qu’aux femmes : elle est nuisible à la santé, en ce qu’elle laisse corrompre dans les reins une semence destinée à être lancée au dehors comme toutes les autres sécrétions ; la corruption la plus affreuse des mœurs, en un mot, a infiniment moins d’inconvéniens, et les peuples les plus célèbres de la terre, ainsi que les hommes qui l’illustrèrent le plus, furent incontestablement les plus débauchés. La communauté des femmes est le premier vœu de la nature, elle est générale dans le monde, les animaux nous en donnent l’exemple ; il est absolument contraire aux inspirations de cette agente universelle, d’unir un homme avec une femme, comme en Europe, et une femme avec plusieurs hommes, comme dans certains pays de l’Affrique, ou un homme avec plusieurs femmes, comme en Asie et dans la Turquie d’Europe ; toutes ces institutions sont révoltantes, elles gênent les desirs, elles contraignent les humeurs, elles enchaînent les volontés, et de toutes ces infâmes coutumes, il ne peut résulter que des malheurs. O vous ! qui vous mêlez de gouverner les hommes, gardez-vous de lier aucune créature. Laissez-la faire ses arrangemens toute seule, laissez-la se chercher elle-même ce qui lui convient, et vous vous appercevrez bientôt que tout n’en ira que mieux. Quelle nécessité y a-t-il donc, diront tous les hommes raisonnables, que le besoin de perdre un peu de semence me lie à une créature que je n’aimerai jamais ; de quelle utilité peut-il être que ce même besoin enchaîne à moi cent infortunées que je ne connais seulement pas ? Pourquoi faut-il que ce même besoin avec quelque différence pour la femme, l’assujetisse à une contrainte, et à un esclavage perpétuel ? Eh quoi, cette malheureuse fille brûle de tempérament, le besoin de se rassasier la consume, et vous allez, pour la satisfaire, lier son sort à celui d’un homme… peut-être fort loin du goût de ces plaisirs, et qui, on ne la verra pas quatre fois dans sa vie, on ne se servira d’elle que pour la soumettre à des plaisirs dont le partage deviendra impossible à cette jeune personne. Quelle injustice de part et d’autre, et comme elle est évitée en abrogeant vos ridicules mariages, en laissant les deux sexes libres de se chercher et de se trouver réciproquement ce qu’il leur faut Quel bien établissent les mariages dans la société ? bien loin d’en resserrer les nœuds, ils les brisent ; lequel, selon vous, paraît le plus uni, ou d’une seule et même famille, comme le serait alors chaque gouvernement de la terre, ou de cinq ou six millions de petites, dont les intérêts, toujours personnels, divisent nécessairement l’intérêt général, et le combattent perpétuellement Quelle différence d’union… de tendresse entre tous les hommes, si tout également, frères, pères, mères, époux, en cherchant à se combattre ou à se nuire, nuisaient ou combattaient, alors ce qu’ils auraient de plus cher ; mais cette universalité, direz-vous, affaibliraient les liens ; il n’y en aurait plus à force d’en avoir. Eh, qu’importe ! il vaut bien mieux qu’il n’y en ait d’aucune espèce que d’en avoir, dont le but ne peut être que de troubler ou que de nuire. Jettons un coup-d’œil sur l’histoire. Que seraient devenus les ligues, les différens partis qui ont déchiré la France, parce que chacun suivait sa famille, et s’unissait à elle pour combatre, que tout cela, dis-je, serait-il devenu, s’il n’y eût eu qu’une seule famille en France ; cette famille se serait-elle divisée par troupes pour se combatre réciproquement, pour adopter, les unes le parti, d’un tyran, les autres le parti contraire. Plus d’Orléanais contre les Bourguignons, plus de Guises contre les Bourbons, plus de toutes ces horreurs qui ont déchiré la France, et dont l’unique objet était l’orgueil et l’ambition des familles. Ces passions s’annéantissent avec l’égalité que je propose ; elles s’oublient avec la destruction de ces liens ridicules appelés mariages ; plus qu’une vue, plus qu’un projet, plus qu’un desir dans l’état ; vivre heureux ensemble, et défendre ensemble la patrie. Il est impossible que la machine subsiste long-tems avec les usages adoptés jusqu’à ce jour. Les richesses et le crédit s’étayant, se cherchant sans cesse, il y aura nécessairement avant un siècle une portion de l’état si puissante et si riche qu’elle culbutera l’autre, et voilà encore la patrie désolée[6]. Que l’on y réfléchisse bien, on verra que tous les troubles n’ont jamais eu d’autres causes. Une puissance sourdement accrue a toujours fini par essayer de culbuter l’autre, et elle y a réussi. Que d’obstacles levés, que d’inconvéniens prévenus, en abolissant les mariages ; plus de chaînes abhorrées, plus de repentirs amers, plus aucuns des crimes, fruits de ces abus monstrueux, puisque c’est la loi seule qui fait le crime, et que le crime tombe dès que la loi n’existe plus. Aucune cabale dans l’état, plus d’inégalité choquante de fortune ; mais les enfans… la population ?… C’est cela que nous allons traiter.
Nous commencerons par établir un fait auquel nous croyons difficile de répondre. C’est que pendant l’acte de la jouissance, assurément, l’on s’occupe fort peu de la créature qui peut en résulter : celui qui serait assez bête pour y penser aurait assurément la moitié moins de plaisir que celui qui ne s’en occupe pas. C’est un ridicule outré, sans doute, ou de ne voir une femme que dans cette idée, ou que de concevoir même cette idée en la voyant. C’est à tort que l’on suppose que la propagation est une des loix de la nature, notre seul orgueil nous a fait imaginer cette sottise. La nature permet la propagation ; mais il faut bien se garder de prendre sa tolérance pour un ordre. Elle n’a pas le plus petit besoin de la propagation ; et la destruction totale de la race, qui deviendrait le plus grand malheur du refus de la propagation, l’affligerait si peu qu’elle n’en interromprait pas plus son cours que si l’espèce entière des lapins ou des lièvres venait à manquer sur notre globe. Ainsi, nous ne la servons pas plus en propageant, que nous ne l’offensons en ne propageant pas. Soyons, bien persuadé, que cette intéressante propagation, que notre orgueil érige sottement en vertu, devient, relativement aux loix de la nature, la chose la plus inutile et qui doit le moins nous inquiéter. Deux êtres de sexe différent, que l’instinct du plaisir rapproche, doivent donc s’attacher à goûter le plaisir unanimement dans toute l’étendue qu’il peut avoir, et y mettre tant pour son augmentation que pour son amélioration, toutes les recherches qui peuvent dépendre d’eux, puis se moquer absolument des suites, et parce que ces suites ne sont nullement nécessaires, parce que la nature s’en embarrasse on ne sauroit moins[7].
À l’égard du père, il devient totalement dégagé du soin de cette progéniture, si elle a lieu. Et comment pourrait-il s’en inquiéter avec la communauté que je suppose ? Un peu de semence jeté par lui dans une matrice commune où ce qui peut germer germe, ne peut lui devenir une obligation de prendre soin de l’embryon germé, et ne peut pas plus lui imposer de devoirs envers cet embryon qu’envers celui de l’insecte que ses excrémens déposés au pied d’un arbre auraient fait éclore quelques jours après ; c’est dans l’un et dans l’autre cas de la matière dont le besoin oblige de se débarasser, et qui devient ce qu’elle peut. La femme seule, dans le cas supposé, devient maîtresse de l’embryon ; comme unique propriétaire de ce fruit plaisamment précieux, elle en peut donc entièrement disposer à son gré, le détruire au fond de son sein, s’il la gêne, ou après qu’il est né, si l’espèce ne lui convient pas, et dans tous les cas, l’infanticide ne peut jamais lui être défendu. C’est un bien entièrement à elle, que personne ne réclame, qui n’appartient à personne, dont la nature n’a aucun besoin, et que, par conséquent, elle peut ou nourrir ou étouffer si elle veut. Eh ? ne craignons pas de manquer d’hommes ; il y aura plus que l’on ne voudra de femmes envieuses d’élever le fruit qu’elles portent ; et vous aurez toujours plus de bras qu’il ne vous en faudra pour vous défendre, et pour cultiver vos terres. Formez, pour lors, des écoles publiques, où les enfans soient élevés dès qu’ils n’ont plus besoin du sein de leur mère ; que, déposés là comme enfans de l’état, ils oublient même jus qu’au nom de cette mère, et que, s’unissant ensuite vulgivaguement à leur tour, ils fassent comme leurs parens.
Voyez, d’après ces principes, ce qu’est maintenant l’adultère, et s’il est possible ou vrai qu’une femme puisse faire mal en se livrant à qui bon lui semble. Voyez si tout ne subsisterait pas également, même avec l’entière destruction de nos loix. Mais, d’ailleurs, sont-elles générales, ces loix ; tous les peuples ont-ils le même respect pour ces liens absurdes ? Faisons un examen rapide de ceux qui les ont méprisés.
En Laponie, en Tartarie, en Amérique, c’est un honneur que de prostituer sa femme à un étranger.
Les Illiriens ont des Assemblées particulières de débauche, où ils contraignent leurs femmes à se livrer au premier venu, devant eux.
L’adultère était publiquement autorisé chez les Grecs. Les Romains se prêtaient mutuellement leurs femmes. Caton prêta la sienne à Hortensius qui desirait une femme féconde. Cook découvrit une société à Othaïti ou toutes les femmes se livrent indifféremment à tous les hommes de l’assemblée. Mais si l’une d’elles devient enceinte, l’enfant est étouffé au moment de sa naissance, tant il est vrai qu’il existe des peuples assez sages pour sacrifier à leurs plaisirs les loix futiles de la population. Cette même société, à quelque différence près, existe à Constantinople[8].
Les nègres de la côte de Poivre et de Riogabar prostituent leurs femmes à leurs propres enfans.
Zingha, reine d’Angole, avait fait une loi qui établissait la vulgivaguibilité des femmes. Cette même loi leur enjoignait de se garantir de grossesse, sous peine d’être pilées dans un mortier ; loi sévère, mais utile, et qui doit toujours suivre la défense des liens et la communauté, afin de mettre des bornes à une population dont la trop grande abondance pourrait devenir dangereuse.
Mais on peut tarir cette population par des moyens plus doux ; ce serait en accordant des honneurs et des récompenses au saphotisme, à la sodomie, à l’infanticide, comme Sparte en décernait au vol. Ainsi la balance s’égaliserait sans avoir besoin, comme à Angole ou à Formose, d’écraser le fruit des femmes dans leur propre sein.
En France, par exemple, où la population est beaucoup trop nombreuse, en établissant la communauté dont je parle, il faudrait fixer le nombre des enfans ; faire impitoyablement noyer tout le reste ; et, comme je viens de le dire, vénérer les amours illégitimes entre sexes égaux. Le gouvernement, maître alors et de ces enfans et de leur nombre, compterait nécessairement autant de défenseurs qu’il en aurait élevés, et l’état n’aurait point, par grandes villes, trente mille malheureux à soulager dans des tems de disette. C’est pousser trop loin le respect pour un peu de matière fécondée, que d’imaginer qu’on ne puisse pas, quand il en est besoin, le détruire avant terme ou même beaucoup après.
Il y a, à la Chine, une société pareille à celles d’Otaïti et de Constantinople. On les appelle les Maris commodes. Ils n’épousent de filles qu’à condition quelles se prostitueront à d’autres, leurs maisons est l’asile de toutes les luxures. Ils noient les enfans qui naissent de ce commerce.
Il existe des femmes au Japon, qui, quoique mariées, se tiennent avec l’agrément de leurs époux, aux environs des temples et des grands chemins, le sein découvert comme les courtisanes d’Italie, et sont toujours prêtes à favoriser les desirs du premier venu.
On voit une pagode à Cambaye, lieu de pèlerinage, où toutes les femmes se rendent avec la plus grande dévotion ; là, elles se prostituent publiquement sans que leurs maris y trouvent à redire. Celles qui ont amassé une certaine fortune à ce métier, achètent, avec cet argent, de jeunes esclaves qu’elles dressent au même usage, et qu’elles mènent ensuite à la pagode pour se prostituer à leur exemple[9].
Un mari, au Pégu, méprise souverainement les premières faveurs de sa femme ; il les fait prendre par un ami, souvent même à l’étranger qu’il considère ; mais il n’en ferait pas de même pour les prémices d’un jeune garçon. Cette jouissance est, pour les habitans de ces pays, la plus délicieuse de toutes.
Les indiennes de Dariens se prostituent au premier venu. Si elles sont mariées, l’époux se charge de l’enfant : si elles sont filles, ce serait un déshonneur d’être grosses, et elles se font alors avorter, ou prennent, dans leur jouissance, des précautions qui les délivrent de cette inquiétude.
Les prêtres de Cumane ravissent la fleur des jeunes mariées ; l’époux n’en voudrait pas sans cette cérémonie préalable. Ce précieux bijou n’est donc qu’un préjugé national, ainsi que tant d’autres choses sur lesquelles nous ne voulons jamais ouvrir les yeux.
Combien de tems la féodalité usa-t-elle de ce droit dans plusieurs provinces de l’Europe, et particulièrement en Écosse ? Ce sont donc des préjugés que la pudeur… que la vertu…… que l’adultère. Il s’en faut bien que tous les peuples aient également estimé des prémices. Plus une fille, dans l’Amérique septentrionale, avait eu d’avantures galantes, plus elle trouvait d’époux qui la recherchaient. On n’en voulait point si elle était vierge : c’était une preuve de son peu de mérite.
Aux îles Baléares, le mari est le dernier qui jouisse de sa femme : tous les parens, tous les amis le précédent dans cette cérémonie ; il passerait pour un homme fort malhonnête s’il s’opposait à cette prérogative. Cette même coutume s’observait en Irlande, et chez les Nazaméens, peuple de l’Égypte ; après le festin, l’épouse nue allait se prostituer à tous les convives, et recevait un présent de chacun.
Chez les Messagetes, toutes les femmes étaient en commun : lorsqu’un homme en rencontrait une qui lui plaisait, il la faisait monter sur son charriot, sans qu’elle pût s’en défendre ; il suspendait ses armes au timon, et cela suffisait pour empêcher les autres d’approcher.
Ce ne fut point en faisant des loix de mariage, mais en établissant, au contraire, la parfaite communauté des femmes, que les peuples du Nord furent assez puissans pour culbuter trois ou quatre fois l’Europe, et l’inonder de leurs émigrations.
Le mariage est donc nuisible à la population, et l’univers rempli de peuples qui l’ont méprisé. Il est donc contraire au bonheur des individus, aux vœux de la nature, et généralement à toutes les institutions qui peuvent assurer la félicité de l’homme sur la terre. Or, si c’est l’adultère qui le pulvérise, l’adultère qui détruit ses loix, l’adultère qui rentre si énergiquement dans celles de la nature, l’adultère pourrait donc bien, au lieu d’être un crime, facilement passer pour une vertu.
O tendres créatures, ouvrages divins, créées pour les plaisirs de l’homme, cessez de croire que vous ne soyez faites que pour la jouissance d’un seul ; foulez aux pieds, sans nulle frayeur, ces liens absurdes qui, vous enchaînant dans les bras d’un époux, nuisent au bonheur que vous attendez de l’amant qui vous est cher ; songez que ce n’est qu’en lui résistant que vous outragez la nature ; en vous formant le plus sensible, le plus ardent des sexes, elle gravait dans vos cœurs le desir de vous livrer à toutes vos passions. Vous indiquait-elle de vous captiver à un seul homme, en vous donnant la force d’en lasser quatre ou cinq de suite ? Méprisez les vaines loix qui vous tyrannisent, elles ne sont l’ouvrage que de vos ennemis, sitôt que ce n’est pas vous qui les avez faites : dès qu’il est sûr que vous vous seriez bien gardé de les approuver, de quel droit prétendrait-on vous y astreindre ? Songez qu’il n’est qu’un âge pour plaire, et que vous verserez, dans votre vieillesse, des larmes bien cruelles, si vous avez passe sans jouir : et quel fruit recueillerez-vous de cette sagesse, quand la perte de vos charmes ne vous laissera plus prétendre à nuls droits ? L’estime de votre époux, quelle faible consolation ! quels dédommagemens pour de tels sacrifices ! Qui, d’ailleurs, vous répond de son équité ? qui vous dit que votre constance lui soit aussi précieuse que vous l’imaginez ? Vous voilà donc réduites à votre propre orgueil. Ah ! femmes aimables, la plus mince des jouissances que donne un amant, vaut mieux que celles de soi-même : ce sont de pures chimères que toutes ces jouissances isolées ; personne n’y croit ; personne ne s’en doute ; personne ne vous en sait gré ; et toujours destinées à être victimes, vous mourez celles du préjugé, au lieu de l’avoir été de l’amour. Servez-le, jeunes beautés, servez-le donc sans crainte, ce Dieu charmant, qui vous créa pour lui ; c’est au pied de ses autels, c’est dans les bras de ses sectateurs que vous trouverez la récompense des petits chagrins que vous fait éprouver une première démarche : songez qu’il n’y a que celle-là qui coûte ; elle n’est pas plutôt faite que vos yeux se dessillent ; ce n’est plus la pudeur qui colore de roses vos joues fraîches et blanches, c’est le dépit d’avoir pu respecter une minute le frein méprisable dont l’atrocité des parens ou la jalousie des époux osa vous lier un seul jour.
Dans l’état cruel où les choses sont, et c’est ce qui doit faire la seconde partie de mon discours ; dans cet état de gêne affreux, dis-je, il ne reste plus qu’à donner aux femmes quelques conseils sur la manière de se conduire, et qu’à examiner si réellement il résulte un inconvénient de ce fruit étranger que se trouve contraint d’adopter le mari.
Voyons, d’abord, si ce n’est pas une vaine chimère pour un mari, que de placer son honneur et sa tranquillité dans la conduite d’une femme.
L’honneur ! et comment un autre être que nous, peut-il donc disposer de nôtre honneur ? Ne serait-ce pas ici un moyen adroit que les hommes auraient employé pour obtenir davantage de leurs femmes, pour les enchaîner plus fortement à eux ? Eh quoi ! il sera permis à cet homme injuste de se livrer lui-même à toutes les débauches qui lui plairont, sans entamer cet honneur frivole ; et cette femme qu’il néglige, cette femme vive et ardente dont il ne contente pas le quart des desirs, le déshonore en ayant recours à un autre ; mais ceci est positivement le même genre de folie que celui de ce peuple, où le mari se met au lit quand la femme accouche. Persuadons-nous donc que notre honneur est à nous, qu’il ne peut jamais dépendre de personne, et qu’il y a de l’extravagance à imaginer que jamais les fautes des autres puissent y donner la moindre atteinte.
Si donc il devient absurde d’imaginer qu’il puisse résulter pour un homme du déshonneur de la conduite de sa femme, quel autre chagrin pouvez-vous prouver qu’il puisse en revenir ? De deux choses l’une ; ou cet homme aime sa femme, ou il ne l’aime point ; dans la première hipothèse, dès qu’elle lui manque, c’est qu’elle ne l’aime plus ; or dites-moi, si la plus haute de toutes les extravagances, n’est pas d’aimer quelqu’un qui ne nous aime plus ? L’homme dont il s’agit doit donc dès ce moment cesser d’être attaché à son épouse, et dans cette supposition, l’inconstance doit être parfaitement permise à cette épouse. Si c’est le second cas, et que n’aimant plus sa femme, l’homme ait donné lieu à cette inconstance, de quoi peut-il se plaindre ? il a ce qu’il mérite, ce qui devait nécessairement lui arriver, en se comportant comme il le fait ; il commettrait donc la plus grande injustice en s’en plaignant, ou le trouvant mauvais ; n’a-t-il pas dix mille objets de dédommagement autour de lui : Eh ! qu’il laisse s’amuser en paix cette femme, assez malheureuse déjà, d’être obligée de se contraindre, pendant que lui n’a besoin d’aucun voile, et qu’aucune opinion ne le condamne. Qu’il la laisse goûter tranquillement des plaisirs qu’il ne peut plus lui procurer, et sa complaisance peut encore lui faire une amie, d’une femme… outragée par des procédés contraires ; la reconnaissance alors fera ce que le cœur n’avait pu opérer ; la confiance naîtra d’elle-même, et tous deux parvenus au déclin de l’âge, se dédommageront ensemble dans le sein de l’amitié de ce que leur aura refusé l’amour.
Époux injustes, cessez donc de tourmenter vos femmes si elles vous sont infidelles ; ah ! si vous voulez-bien vous examiner, vous vous trouverez toujours le premier tort, et ce qui persuadera le public que ce tort est véritablement toujours de votre côté, c’est que tous les préjugés sont contre l’inconduite des femmes, c’est qu’elles ont, pour être libertines, une infinité de liens à franchir, et qu’il n’est pas naturel qu’un sexe doux et timide en vienne-là sans d’excellentes raisons. Mon hipothèse est-elle fausse ? L’épouse seule est-elle coupable ? Eh ! qu’importe au mari ? Qu’il serait dupe de mettre là sa tranquillité. Éprouve-t-il des sottises de sa femme, quelques peines physiques ? Hélas non. Elles sont toutes imaginaires, il ne se fâche que d’une chose qui l’honorerait à cinq ou six cent lieues de Paris. Qu’il foule aux pieds le préjugé, pense-t-on aux torts de l’himen au sein des plaisirs de la luxure : voilà les plus sensuels de tous, qu’il s’y livre, et toutes les fautes de sa femme seront bientôt oubliées.
C’est donc ce fruit… ce fruit qu’il n’a point semé, et qu’il lui faut pourtant recueuillir ; voilà donc ce qui fait sa désolation ? Quelle enfance ! deux choses se présentent ici ; ou vous vivez avec votre femme, quoiqu’infidelle, de manière à vous donner des héritiers, ou vous n’y vivez pas ; ou vous y vivez comme certains époux libertins de manière à être sûrs que le fruit n’est pas de vous. N’ayez point de frayeur dans ce dernier cas-ci, votre femme est assez fine pour ne pas vous donner d’enfans, laissez-la faire, vous n’en aurez pas ; une telle gaucherie ne sera jamais hazardée par une femme assez adroite pour conduire une intrigue. Dans l’autre cas, dès que vous travaillez comme votre rival à la multiplication de l’espèce, qui peut vous assurer que le fruit ne vous appartient pas, il y a autant à parier pour que contre, et c’est une extravagance à vous de ne pas adopter le parti rassurant ; ou cessez entièrement de voir votre femme, sitôt que vous lui soupçonnez une intrigue, ce qui est la plus sûre et la meilleure façon de la jouer, ou si vous continuez à cultiver le même jardin que son amant, n’accusez pas celui-ci plutôt que vous, d’avoir semé le fruit qui germe ; voilà donc les deux objections répondues ; ou vous n’aurez sûrement point d’enfans, ou si vous en avez, il y a autant à parier qu’ils vous appartiennent qu’à votre rival ; il y a même en faveur de cette dernière opinion une probabilité de plus, c’est l’envie que votre femme doit avoir de couvrir son intrigue par une grossesse, ce qui, soyez en bien sûr, lui fera faire tout au monde pour y parvenir avec vous, parce qu’il est constant qu’elle ne sera jamais plus tranquille, que quand elle vous aura vu mettre le beaume sur le mal, et qu’elle retirera de ce procédé la certitude de pouvoir désormais tout hazarder avec son amant. Votre inquiétude sur cela est donc une folie, l’enfant est à vous, soyez en certain ; votre femme a Je plus grand intérêt à ce qu’il vous appartienne, vous y avez d’ailleurs travaillé. Eh bien, de ces deux raisons réunies, arrive à vous la certitude de ce que vous desirez savoir ; l’enfant est à vous, cela est clair, et il y est par le même calcul qui doit faire parvenir au but celui de deux coureurs payés pour y arriver le premier, lorsque son camarade ne gagne rien à la même course. Mais supposons un instant qu’il ne soit pas de vous : que vous importe dans le fait ? Vous voulez un héritier, le voilà : C’est l’éducation qui donne le sentiment filial, ce n’est pas la nature. Croyez que cet enfant désabusé par rien, d’être votre fils, accoutumé à vous voir, à vous nommer, à vous chérir comme son père, vous révérera, vous aimera tout autant et peut-être plus que si vous aviez coopéré à son existence ; il n’y aura donc plus en vous que l’imagination de malade ; or rien ne se guérit facilement comme ces maux ; donnez à cette imagination une secousse plus vive, agitez-la par quelque chose qui ait plus d’empire, plus d’activité sur elle, vous l’assouplirez bientôt à ce que vous voudrez, et sa maladie se guérira. Dans tous les cas ma philosophie vous offre un moyen. Rien n’est à nous autant que nos enfans ; on vous donne celui-là, il vous appartient encore mieux ; il n’y a rien de si bien à nous que ce qu’on nous donne. Usez de vos droits, et souvenez-vous qu’un peu de matière organisée, soit qu’elle nous appartienne, ou qu’elle soit la propriété des autres, est bien peu chère à la nature qui nous donna dans tous les tems le pouvoir de la désorganiser à notre gré.
À vous maintenant, épouses charmantes, à vous la leçon, mes amies. J’ai tranquillisé l’esprit de vos maris, je leur ai appris à ne se fâcher de rien avec vous ; je vais à présent vous instruire dans l’art de les tromper adroitement, mais je veux vous faire frémir avant ; je veux exposer à vos yeux le tableau sinistre de toutes les peines imposées à l’adultère, autant pour vous faire voir qu’il faut que le prétendu délit donne de grands plaisirs, puisque tous les peuples le traitèrent avec tant de rigueur, que pour que vous ayez à rendre grâce au sort du bonheur que vous avez d’être nées sous un gouvernement doux, qui s’en rapportant de votre conduite à vous-même, ne vous impose d’autres peines, si cette conduite n’est pas bonne, que la honte frivole de vous déshonorer les premières… Charmes de plus, convenez-en, pour la plus grande partie d’entre vous.
Une loi de l’empereur Constance condamnait l’adultère à la même peine que le parricide, c’est-à-dire, à être brûlée vive, ou cousue dans un sac et jetée dans la mer : il ne laissait pas même à ces malheureuses, la ressource de l’appel quand elles étaient convaincues.
Un gouverneur de province avait exilé une femme coupable d’adultère ; l’empereur Majorien trouvant la punition trop légère, chassa cette femme de l’Italie, et donna la permission de la tuer, à tous ceux qui la rencontreraient.
Les anciens danois punissaient l’adultère de mort, tandis que l’homicide ne payait qu’une simple amende ; ils le croyaient donc un bien plus grand crime.
Les Mogols fendent une femme adultère en deux avec leurs sabres.
Dans le royaume de Tunquin, elle est écrasée par un éléphant. À Siam, c’est plus doux ; on la livre à l’éléphant même ; il en jouit dans une machine préparée exprès et dans laquelle il croit voir la représentation de sa femelle. La lubricité pourrait bien avoir inventé ce supplice-là.
Les anciens Bretons en cas pareils, et peut-être dans les mêmes vues, la faisaient expirer sous les verges.
Au royaume de Louango, en Afrique ; elle est précipitée avec son amant, du haut d’une montagne escarpée.
Dans les Gaules, on les étouffait dans la boue, et l’on les couvrait de claies,
À Juida, le mari lui-même condamnait sa femme, il la faisait exécuter sur-le-champ devant lui, s’il la trouvait coupable, ce qui devenait extrêmement commode pour les maris las de leurs femmes.
Dans d’autres pays, il reçoit des loix, le pouvoir de l’exécuter de sa propre main, s’il la trouve en faute. Cette coutume était principalement celle des Goths[10].
Les Miamis coupaient le nez à la femme adultère ; les Abyssins la chassaient de leurs maisons couverte de guenilles.
Les sauvages du Canada lui cernaient la tête en rond, et lui enlevaient une bande de peau.
Dans le Bas-Empire, la femme adultère était prostituée à tous les passans.
À Diarbeck, la criminelle était exécutée par sa famille assemblée, et tous ceux qui entraient devaient lui donner un coup de poignard.
Dans quelques provinces de Grèce où ce crime n’était pas autorisé comme à Sparte, tout le monde pouvait impunément tuer une femme adultère.
Les Guaux-Tolliams, peuple d’Amérique, amenaient l’adultère aux pieds du cacique, et là elle était coupée en pièce, et mangée par les témoins.
Les Hottentots, qui permettent le parricide, le matricide et l’infanticide, punissent l’adultère de mort ; l’enfant lui-même, devient, sur un tel fait, le délateur de sa mère[11].
O femmes voluptueuses et libertines ! si ces exemples ne servent, ainsi que je l’imagine, qu’à vous enflammer davantage, parce que l’espoir que le crime est sûr, est toujours un plaisir de plus pour des têtes organisées comme les vôtres, écoutez mes leçons, et profitez-en ; je vais dévoiler à vos yeux lascifs toute la théorie de l’adultère.
Ne cajolez jamais tant votre mari, que quand vous avez envie de le tromper.
S’il est libertin, servez ses desirs, soumettez-vous à ses caprices, flattez toutes ses fantaisies, offrez-lui même des objets de luxure. Ayez d’après ses fantaisies, ou de jolies filles, ou de jolis garçons près de vous, fournissez-les lui. Enchaîné par la reconnaissance, il n’osera jamais vous faire de reproches ; que vous objecterait-il d’ailleurs que vous puissiez à l’instant rétorquer contre lui ?
Vous avez besoin d’une confidente ; vous risquez de vous perdre, en agissant seule : prenez avec vous une femme sûre, et ne négligez rien pour la lier à vos intérêts et au service de vos passions ; payez-la bien sur-tout.
Faites-vous satisfaire plutôt par des gens à gages, que par un amant ; les premiers vous serviront bien et secrètement ; les autres tireront vanité de vous, et vous déshonoreront, sans vous donner de plaisir.
Un laquais, un valet-de-chambre, un secrétaire, tout cela ne marque pas dans le monde ; un petit-maître affiche, et vous voilà perdues, souvent pour n’avoir été que ratées.
Ne faites jamais d’enfans ; rien ne donne moins de plaisir ; les grossesses usent la santé, gâtent la taille, flétrissent les appas, et c’est toujours l’incertitude de ces événemens qui donne de l’humeur à un mari. Il est mille moyens de les éviter, dont le meilleur est de foutre en cul ; faites-vous branler le clitoris pendant ce tems, et cette manière de jouir vous donnera bientôt mille fois plus de plaisir que l’autre : vos fouteurs y gagneront sans doute le mari ne s’appercevra de rien, et vous serez tous contens.
Peut-être votre époux vous proposera-t-il la sodomie de lui-même ; alors faites-vous valoir ; il faut toujours avoir l’air de refuser ce qu’on desire ; si dans la frayeur des encans vous êtes obligées de l’y amener, vous-même, excusez-vous sur la crainte où vous êtes de mourir en accouchant ; soutenez qu’une de vos amies vous a dit que son époux s’y prenait ainsi avec elle ; une fois faite à ces plaisirs, n’employez qu’eux avec vos amans, voilà dès-lors la moitié des soupçons dissipée, et votre tranquillité bien établie sur tout ce qui tient aux grossesses.
Faites épier les démarches de votre tyran ; il ne faut jamais avoir de surprises à craindre, quand on veut jouir avec délices.
Si jamais pourtant vous étiez découvertes, au point de ne pouvoir plus nier votre conduite, jouez le remords, redoublez de soins et d’attentions avec votre mari : si vous avez préalablement gagné son amitié, par des complaisances et des égards, il reviendra bientôt ; s’il s’obstine, plaignez-vous la première ; il n’est pas que vous ne possédiez son secret ; menacez-le de le divulguer ; et c’est pour avoir toujours sur lui cet empire, que je vous recommande d’étudier ses goûts et de les servir dès les commencemens de votre union : enfin, le prenant de cette manière, vous le verrez infailliblement revenir ; composez alors avec lui, et passez-lui tout ce qu’il voudra, pourvu qu’il pardonne à son tour : mais, n’abusez pas de cette composition ; redoublez l’épaisseur des voiles ; une femme prudente doit toujours craindre d’irriter par trop son époux.
Jouissez tant que vous ne serez pas découverte : gardez-vous bien alors de vous rien refuser.
Fréquentez peu de femmes libertines ; leur commerce ne vous procurera pas beaucoup de plaisirs, et pourrait vous donner de grandes peines ; elles affichent plus que les amans, parce qu’on sait qu’il faut toujours se cacher avec un homme, et qu’on ne le croit pas nécessaire avec une femme.
Si vous vous permettez des parties quarrées, que ce soit avec une amie sûre : examinez bien les chaînes qu’elle doit respecter ; ne vous hasardez pas, si vous n’avez à-peu-près les mêmes devoirs, parce qu’alors elle s’observera moins que vous, et vous perdra par ses imprudences.
Ayez toujours quelque moyen d’être sûres de la vie des autres ; et si un homme vous trompe, ne le ménagez pas. Il n’y a aucune comparaison entre la vie de cet homme et votre tranquillité, d’où je conclus qu’il vaut cent fois mieux s’en défaire, que de vous afficher ni de vous compromettre ; ce n’est pas que la réputation soit une chose essentielle, elle sert seulement à consolider les plaisirs. Une femme que l’on croit sage, jouit toujours infiniment mieux qu’une, dont l’inconduite trop connue a fait évanouir la considération.
Respectez cependant la vie de votre époux, non qu’il y ait aucun individu dans le monde dont les jours doivent l’être, sitôt que notre intérêt parle ; mais c’est que dans ce cas, cet intérêt, personnel se trouve, à ce que vous ménagiez les jours de cet homme. C’est une étude longue et fatiguante pour une femme, que d’apprendre à connaître son mari : faite avec le premier, qu’elle ne se donne pas une peine de plus avec le second ; peut-être même n’y gagnerait-elle pas. Ce n’est pas un amant qu’elle veut dans son époux, c’est un personnage commode, et la longue habitude, dans ce cas, est plus sure du succès que la nouveauté.
Si la jouissance anti-physique dont je vous ai parlé tout-à-l’heure, ne réussit pas à vous enflammer, foutez en con, je le veux bien, mais vuidez le vase aussitôt qu’il se remplit, ne laissez jamais arriver l’embryon à terme ; c’est de la plus grande importance, si vous ne couchez pas avec votre mari, et cela l’est encore si vous y couchez, parce que de l’incertitude naissent, comme je vous l’ai dit, tous les soupçons, et de ces soupçons, presque toujours et les ruptures et les éclats.
N’ayez sur-tout aucun respect pour cette cérémonie civile ou religieuse, qui vous enchaîne à un homme, ou que vous n’aimez point, ou que vous n’aimez plus, ou qui ne vous suffit pas ; une messe, une bénédiction, un contrat, toutes ces platitudes sont-elles donc assez fortes… assez sacrées, pour vous déterminer à ramper sous des fers : cette foi donnée, jurée et promise, n’est qu’une formalité qui donne à un homme le droit de coucher avec une femme, mais qui n’engage ni l’un ni l’autre ; encore moins celle, qui des deux a le moins de moyens de se délier. Vous qui êtes destinée à vivre dans le monde, me dit la supérieure, en me fixant, méprisez, ma chère Juliette, foulez aux pieds ces absurdités, comme elles méritent de l’être ; ce sont des conventions humaines, où vous êtes forcée d’adhérer malgré vous : un charlatan masqué qui fait quelques tours de passe-passe auprès d’une table, en face d’un grand livre, et un coquin qui vous fait signer dans un autre, tout cela n’est fait, ni pour contraindre, ni pour en imposer ; usez des droits que vous a donné la nature ; elle ne vous dictera que de mépriser ces usages, et de vous prostituer au gré de vos desirs. C’est votre corps qui est le temple où elle veut être adorée, et non l’autel où ce prêtre imbécille vient de brailler sa messe : les sermens qu’elle exige de vous ne sont pas ceux que vous venez de faire à ce méprisable jongleur, ou que vous avez signé dans les mains de cet homme lugubre : ceux que la nature veut, sont de vous livrer aux hommes, tant que vos forces vous le permettront. Le Dieu qu’elle vous offre, n’est pas le morceau de pâte ronde que cet arlequin vient de faire passer dans ses entrailles ; mais le plaisir, mais la volupté, et c’est en ne servant pas exactement l’un et l’autre, que vous outrageriez cette mère tendre.
Quand vous aurez le choix dans vos amours, préférez toujours des gens mariés ; l’intérêt au mystère étant alors le même, vous aurez moins à craindre des indiscrétions ; mais à ceux-ci, préférez encore les gens à gages, je vous l’ai dit, cela vaut infiniment mieux, on change de cela, comme de linge, et la variation… la multiplicité, sont les deux plus puissans véhicules de la luxure. Foutez avec le plus d’hommes qu’il vous sera possible ; rien n’amuse, rien n’échauffe la tête comme le grand nombre ; il n’y en a pas qui ne puisse vous donner des plaisirs nouveaux, ne fût-ce que par le changement de conformation, et vous ne savez rien, si vous ne connaissez qu’un vit. Dans le fait, c’est absolument égal à votre époux ; vous conviendrez qu’il n’est pas plus déshonoré au millième qu’au premier, moins même, car il semble que l’un efface l’autre. D’ailleurs, le mari, s’il est raisonnable, excuse toujours beaucoup plutôt le libertinage que l’amour ; l’un l’offense personnellement, l’autre n’est qu’un tort de votre physique ! Lui, peut fort bien ne pas en avoir, et voilà son amour-propre en paix. C’est donc égal vis-à-vis de lui ; quant à vos principes, ou vous n’êtes pas philosophe, ou vous devez bien sentir que quand le premier pas est fait, on ne pèche pas plus au dix millième qu’au premier, reste donc le public ; or, ceci vous appartient entièrement ; tout dépend de l’art de feindre et de celui d’en imposer ; si vous possédez bien l’un et l’autre, et ce doit être votre unique étude, vous ferez du public et de votre mari, absolument tout ce que vous voudrez. Ne perdez jamais de vue, que ce n’est pas la faute qui perd une femme, mais l’éclat, et que dix millions de crimes ignorés sont moins dangereux, que le plus léger travers, qui saute aux yeux de tout le monde.
Soyez modeste dans vos habits : l’étalage affiche plutôt une femme que vingt amans ; une coiffure plus ou moins élégante, une robe plus ou moins riche, tout cela ne fait rien au bonheur ; mais, de foutre souvent et beaucoup, y fait étonnamment ; avec un air prude ou modeste, on ne vous soupçonnera jamais de rien : l’osa-t-on un instant, mille défenseurs rompraient aussitôt des lances pour vous ; le public qui n’a pas le tems d’approfondir, ne juge jamais que sur les apparences : il n’en coûte guères pour se revêtir de celles qu’il veut. Satisfaites-le donc, afin qu’il soit à vous dans le besoin.
Quand vous aurez de grands enfans, écartez-les de vous : on ne les a que trop souvent vus les délateurs de leur mère. Dussent-ils vous tenter, résistez au desir ; la disproportion d’âge établirait un dégoût, dont vous seriez victime. Cet inceste-là n’a pas grand sel, et il peut nuire à des voluptés bien plus grandes ; il y a moins de risques à vous branler avec votre fille, si elle vous plaît, faites-lui partager vos débauches, afin qu’elle ne les éclaire pas.
Il est, je crois, maintenant nécessaire d’ajouter une conclusion à tous ses conseils : c’est que la sagesse des femmes est une perte, un fléau pour la société, et qu’il devrait y avoir des punitions dirigées les créatures absurdes qui, par quelque motif que ce puisse être, croient, en conservant leur ridicule virginité, et s’illustrer dans ce monde-ci, et se préparer des couronnes dans l’autre.
Jeunes et délicieux objets de notre sexe, poursuivit Delbène avec chaleur, c’est à vous que je me suis adressé jusqu’à présent, c’est à vous que je dis encore… foulez aux pieds cette vertu sauvage de laquelle des sots osent vous composer un mérite, renoncez à l’usage barbare de vous immoler aux autels de cette ridicule vertu, dont les jouissances fantastiques ne vous dédommageront jamais de tous les sacrifices que vous lui feriez ; et de quel droit les hommes exigent-ils de vous tant de retenue, quand ils en ont si peu de leur côté ; ne voyez-vous pas bien que ce sont eux qui ont fait les loix, et que leur orgueil ou leur intempérance présidait à la rédaction.
O mes compagnes ! foutez, vous êtes nées pour foutre, c’est pour être foutues que vous à créées la nature ; laissez crier les sots, les bégueules et les hypocrites ; ils ont leur raison pour vous blâmer de cette délicieuse intempérance qui fait le charme de vos jours. Ne pouvant plus rien obtenir de vous, jaloux de tout ce que vous pouvez donner aux autres, ils ne vous blâment que parce qu’ils n’attendent plus rien, et qu’ils sont hors d’état de vous rien demander ; mais consultez les enfans de l’amour et du plaisir, interrogez la société toute entière, tout se réunira pour vous conseiller de foutre, parce que foutre est, l’intention de la nature, et que l’abstinence en est le crime. Que le nom de putain ne vous effraye pas, bien dupe est celle qui s’en effarouche ; une putain est une créature aimable, jeune, voluptueuse, qui sacrifiant sa réputation au bonheur des autres, rien que par cela seul, mérite des éloges. La putain est l’enfant chéri de la nature, la fille sage en est l’exécration ; la putain mérite des autels, et la vestale des bûchers. Eh quel plus sensible outrage une fille peut-elle faire à la nature, que de garder en pure perte, et malgré tout ce qui peut en résulter de dangereux pour elle, une virginité chimérique, dont toute la valeur ne consiste que dans le préjugé le plus absurde et le plus imbécille. Foutez, mes amies, je vous le répète, narguez effrontément les conseils de ceux qui veulent vous captiver sous les fers despotiques d’une vertu qui n’est bonne à rien. Abjurez à jamais toute pudeur et toute retenue ; pressez-vous de foutre, il n’est qu’un âge pour décharger, profitez-en ; si vous laissez flétrir les roses, vous vous préparerez des regrets bien amers, et quand, peut-être encore avec le desir de les effeuiller, vous ne trouverez plus d’amans qui en veuillent, vous ne vous consolerez pas alors d’avoir perdu les instans de les présenter à l’amour ; mais, vous dit-on, une telle fille se rend infâme, et le poids de cette infamie est insupportable. Quelle objection ! osons le dire, c’est le préjugé seul qui fait l’infamie ; que d’actions passent pour telles, et qui n’ont cependant que le préjugé pour base de cette opinion sur leur compte. Les vices du vol, de la sodomie, de la poltronerie, par exemple, ne sont-ils pas notés d’infamie, et vous m’avouerez cependant qu’au microscope de la nature, ils n’ont rien que de légitime, ce qui est contradictoire à l’idée d’infamie ; car il est impossible qu’une chose conseillée par la nature, puisse n’être pas légitime, et il est absurde de dire qu’une chose légitime puisse être infâme. Or, sans approfondir ces vices dans ce moment-ci, n’est-il pas certain qu’il est inspiré à tous les hommes de devenir riches ; si cela est, le moyen qui y conduit devient donc aussi naturel que légitime. N’est-il pas de même donné à tous les hommes, de rechercher dans leurs plaisirs, la plus grande dose de volupté possible. Or, si la sodomie y conduit infailliblement, la sodomie n’est plus une infamie. Chacun enfin n’éprouve-t-il pas le desir de se conserver ? La poltronerie en est un des plus sûrs moyens ; la poltronerie n’est donc pas infâme, et quelque puissent être nos ridicules préjugés sur l’un et sur l’autre de ces objets, il est clair que jamais aucun de ces trois vices ne saurait être regardé comme infâme, puisque tous trois sont dans la nature. Il en est de même du libertinage des individus de notre sexe ; puisque rien ne sert autant la nature, il est impossible qu’il puisse être infâme ; mais supposons un instant la réalité de cette infamie ; en quoi pourrait-elle arrêter une femme d’esprit ? que lui importe qu’on la regarde comme infâme, si dans le fait elle ne l’est pas aux yeux de la raison, et s’il est impossible que l’infamie puisse exister dans le cas ou elle se trouve ; elle rira de l’injustice et de la folie de ses semblables, n’en cédera pas moins aux impulsions de la nature, et toujours avec bien plus de tranquilité qu’un autre ; car tout arrêtte, tout fait trembler celle qui craint de perdre sa réputation, au lieu, que celle qui l’a perdue n’ayant plus rien à risquer, et se livrant à tout sans appréhension, doit être nécessairement plus heureuse.
Allons plus loin, la chose à laquelle cette femme se livre, l’habitude où son penchant l’entraîne, fût-elle vraiment infâme, eu égard aux loix, et aux principes du gouvernement sous lequel elle vit, si cette chose, telle qu’elle puisse être, tient tellement à sa félicité, qu’elle ne puisse l’abandonner sans devenir malheureuse, ne serait-elle pas une folle d’y renoncer, quelque soit l’infamie dont elle se couvre en s’y livrant ; car le poids de cette imaginaire infamie ne la gênera, ne l’affectera jamais autant que le sacrifice de son péché d’habitude ; cette première souffrance ne sera qu’intellectuelle, capable d’affecter seulement certains esprits, et ce dont elle se prive est un plaisir à la portée de tout le monde ; ainsi, entre deux maux indispensables, comme il faut nécessairement prendre le moindre, la femme dont nous parlons, doit incontestablement braver l’infamie, et continuer de vivre comme elle faisait en la risquant ; car, elle ne perdra que fort peu de chose en encourant cette infamie, et beaucoup en renonçant à ce qui doit la lui mériter ; il faut donc qu’elle s’y apprivoise, il faut qu’elle la brave ; il faut qu’elle se mette au dessus de ce fardeau imaginaire, qu’elle s’accoutume dès l’enfance à ne plus rougir de rien, à fouler aux pieds la pudeur et la honte qui ne feraient que nuire à ses plaisirs sans rien ajouter à son bonheur.
Une fois là, elle éprouvera une chose singulière, et pourtant très-vraie, c’est que les pointes de cette infamie qu’elle redoutait, se métamorphoseront en voluptés, et qu’alors bien loin d’en éviter les blessures, elle enfoncera d’elle-même les dards, elle doublera la recherche des choses qui pourront les mieux introduire, et poussera bientôt l’égarement de l’esprit sur ce point, jusqu’à desirer de mettre sa turpitude à découvert ; observez-la, cette délicieuse coquine, elle voudrait se libertiner aux yeux du monde entier, la honte ne lui fait plus rien, elle la brave, elle ne se plaint plus que du peu de témoins de ses erreurs ; et ce qu’il y a de singulier, ce n’est que de cette époque qu’elle connaît vraiment le plaisir, enveloppée jusques là pour elle dans le nuage de ses préjugés, elle ne se trouve transportée dans le dernier degré d’ivresse que depuis qu’elle a détruit radicalement tous les obstacles que ces aiguillons éprouvaient à venir chatouiller son cœur. Mais, vous dit-on quelque fois, il y a des choses horribles, des choses qui choquent toutes les lumières du bon sens, toutes les loix apparentes de la nature, de la conscience et de l’honnêteté, des choses qui paraissent faites, non-seulement pour inspirer généralement de l’horreur, mais pour ne pouvoir même jamais procurer de plaisir… Oui, aux yeux des sots ; mais il est de certains esprits, qui avant débarassé ces mêmes choses de ce qu’elles ont d’horrible en apparence, et les en ayant dégagé en foulant aux pieds le préjugé qui les avilit et les condamne, ne voient plus dans ces choses que de très-grandes voluptés, et des délices d’autant plus piquants que ces procédés s’écartent le plus des usages reçus, qu’ils outragent le plus grièvement les mœurs, et qu’ils deviennent le plus sévèrement défendus. Essayez de guérir une telle femme, je vous en défie ; les secousses qu’elle a éprouvées en montant son ame à ce ton, deviennent si voluptueuses et si vives, qu’elle n’entrevoit plus rien de préférable à la route divine qu’elle a prise. Plus la chose est épouvantable alors, plus elle lui plaît, et vous ne l’entendrez jamais se plaindre que de manquer des moyens de braver cette infamie qu’elle chérit, et dont le poids augmente ses plaisirs ; voilà qui vous explique pourquoi les scélérats recherchent toujours les excès, et pourquoi nul plaisir n’est piquant pour eux s’il n’est assaisonné de crime ; ils en ont écarté tout ce qu’il y a de répugnant aux yeux du vulgaire, il ne reste plus pour eux que les attraits. L’habitude de tout franchir, leur fait incessamment trouver tout simple ce qui d’abord leur avait paru révoltant, et d’écarts en écarts ils parviennent aux monstruosités à l’exécution desquelles ils se trouvent encore en arrière, parce qu’il faudrait des crimes réels pour leur donner une véritable jouissance, et qu’il n’existe malheureusement de crime à rien. Ainsi toujours au-dessous de leurs desirs, ce ne sont plus eux qui manquent aux horreurs, ce sont les horreurs qui leur manquent ; gardez-vous de croire, mes amies, que la délicatesse de notre sexe nous mette à couvert de ces écarts. Plus sensibles que les hommes, nous ne nous plongeons que plus vite dans tous leurs travers ; on n’imagine pas alors les excès où nous nous portons, on n’a pas d’idée de ce que l’on fait, quand la nature n’a plus de frein, la religion plus de voix, et les loix plus d’empire.
On déclame contre les passions, sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien, que c’est à l’homme passionné que l’on doit le renversement total de toutes les imbécillités religieuses, qui si long-tems empestèrent le monde ; le seul flambeau des passions consuma cette odieuse chimère de la divinité, au nom de laquelle on s’égorgeait depuis tant de siècles ; lui seul osa l’anéantir et consumer ses indignes autels. Ah ! les passions n’eussent-elles rendu à l’homme que ce service, n’en serait-ce point assez pour faire oublier leurs écarts. Oh mes chères filles ! sachez donc braver l’infamie, et pour apprendre à la mépriser comme elle doit l’être, familiarisez-vous avec tout ce qui la mérite, multipliez vos petites erreurs, ce sont elles qui peu-à-peu vous accoutumeront à tout braver… qui étoufferont dans vous le germe des remords. Adoptez pour base de votre conduite, et pour régie de vos mœurs ce qui vous paraîtra de plus analogue à vos goûts, sans vous inquiéter si cela s’accorde ou non à nos coutumes, parce qu’il serait injuste que vous vous punissiez par la privation de cette chose, de n’être pas nées dans le pays où elle se permet. N’écoutez que ce qui vous flatte ou vous délecte le plus, c’est, cela seul qui vous convient le mieux. Que les mots de vice et de vertu soient nuls à vos regards ; ces mots n’ont aucune signification réelle, ils sont arbitraires et ne donnent que des idées purement locales. Encore une fois croyez que l’infamie se change bientôt en volupté. Je me souviens d’avoir lu quelque part, dans Tacite, je pense, que l’infamie était le dernier des plaisirs pour ceux qui se sont blasés sur tous les autres par l’excès qu’ils en ont fait, plaisir bien dangereux sans doute, puisqu’il fait trouver une jouissance, et une jouissance bien vive à cette espèce d’abandon de soi-même, à cette sorte de dégradation de sentimens, d’où naissent à-la-fois tous les vices… qu’elle flétrit l’ame, et elle lui permet plus d’autre amorce que celle de la plus entière corruption, et cela, sans laisser le moindre jour au remords absolument éteint dans un être, qui n’estime plus que ce qui en donne, qui ne se plaît qu’à les faire revivre pour avoir le plaisir de les vaincre, et qui parvient ainsi par degrés aux excès les plus monstrueux, avec d’autant plus de facilité que les freins qu’elle lui fait rompre, ou les vertus qu’il lui fait mépriser, deviennent comme autant d’épisodes voluptueux, souvent plus piquans encore pour sa perfide imagination que l’écart même qu’il avait conçu. Ce qu’il y a de fort singulier, c’est qu’il se croit heureux alors, et qu’il l’est ; si réversiblement l’individu vertueux l’est aussi, le bonheur n’est donc plus une situation que chacun puisse saisir en se conduisant bien ; il ne dépend donc uniquement que de notre organisation, et peut donc se rencontrer également dans le triomphe de la vertu et dans l’abîme du vice… Mais que dis-je, dans le triomphe de la vertu… Ah ! ses chatouillemens alors seraient-ils aussi piquans ? Quelle est l’ame froide qui pourrait s’en contenter ? Non, mes amies, non, jamais la vertu ne sera faite pour le bonheur, il ment, celui qui se flatte de l’avoir trouvé dans elle, s’il veut nous faire prendre pour le bonheur les illusions de son orgueil ; pour moi, je vous le déclare, je la foule aux pieds de toute mon ame, je la méprise autant que j’avais la faiblesse de la chérir autrefois, et je voudrais joindre aux délices de l’outrager sans cesse, la volupté suprême de l’arracher dans tous les cœurs. Que de fois dans mes illusions, ma maudite tête s’échauffe au point de vouloir être couverte de cette infamie que je viens de peindre ; oui je voudrais être déclarée infâme, je voudrais qu’il fut décidé, affiché que je suis une putain ; je voudrais rompre ces indignes, vœux qui m’empêchent de me prostituer publiquement, de m’avilir comme la dernière des femmes. J’en suis, je vous l’avoue, à desirer le sort de ces divines créatures qui satisfont au coin des rues les sales lubricités du premier passant ; elles croupissent dans l’avilissement et l’ordure ; le deshonneur est leur lot, elles ne sentent plus rien… Quel bonheur ! et pourquoi ne travaillerions-nous pas à nous rendre toutes ainsi ? l’être le plus heureux de la terre, n’est-il pas celui dans lequel les passions ont endurci le cœur… l’ont amené au point de n’être plus sensible qu’au plaisir. Et quel besoin a-t-il d’être ouvert à d’autre sensation qu’à celle-là ? Eh mes amies ! en fussions-nous à ce dernier degré de turpitude, nous ne nous paraîtrions pas encore viles, et nous aimerions mieux diviniser nos erreurs, que de nous mésestimer nous-même ; voilà comme la nature sait nous ménager à tout, du bonheur.
Mais, foutre, ils bandent, poursuivit chaleureusement Delbène ; ils sont en l’air, ces vits que je palpe en discourant, les voilà durs comme de l’airain, et mon cul les desire ; tenez, mes amis, foutez-le ce derrière insatiable ; faites couler au fond de ce cul libertin de nouveaux jets de sperme, qui rafraîchissent, s’il est possible, la brûlante ardeur qui le dévore : viens, Juliette, je veux sucer ton con, pendant qu’on m’enculera ; Volmar accroupie sur ton nez, te présentera tous ses charmes, tu les lécheras, tu les dévoreras, pendant que ta main droite branlera Flavie, et que ta gauche claquera les fesses de Laurette. Cette nouvelle scène est encore exécutée. Les deux amans de la Delbène la sodomisent tour à tour. Inondée du foutre de Volmar, le mien coule très-abondamment dans la bouche de la supérieure, et l’on procède enfin à la défloration de Laurette.Destinée à jouer le rôle de grand-prêtre, on me revêt du membre postiche. Par les ordres barbares de l’abbesse, c’est le plus gros que l’on préfère ; et tel est l’arrangement de cette séance à la fois lubrique et cruelle.
Laurette est liée sur un tabouret, en telle sorte que son croupion, soulevé par un coussin fort dur, repose seul sur ce petit siège ; ses jambes, très-écartées, sont contenues de même à des anneaux par terre, et ses bras pendans de l’autre côté le sont également. En cette attitude, la victime présente dans la plus belle position l’étroite et délicate partie de son corps où doit pénétrer le glaive ; assis en avant d’elle, Télème doit soutenir sa jolie tête… exhorter à la patience ; et cette idée de la mettre entre les mains du confesseur, à peu près comme si elle eût été au supplice, amuse infiniment la cruelle Delbène, dont je m’apperçois que les passions sont aussi féroces que ses goûts me paraissent libertins ; pendant que je dépucelerai le con de cette agnès, Ducroz doit l’enculer. L’autel qui se trouve là, et qui par sa position, couronne celui où la jeune personne doit être immolée, va servir de sopha à notre voluptueuse abbesse. C’est-là qu’entre Volmar et Flavie, la coquine va se délecter libidineusement, et de l’idée du crime qu’elle fait commettre, et du spectacle délicieux de sa consommation.
Avant que de m’enculer, Ducroz facilite l’introduction que je dois faire ; il humecte les bords du vagin de Laurette et mon godmiché, d’une essence onctueuse qui le fait pénétrer presque tout de suite ; cependant, le déchirement est affreux ; Laurette n’a pas encore dix ans, et mon membre postiche a huit pouces de tour sur douze de long ; les encouragemens qu’on me donne, l’irritation dans laquelle je suis, l’extrême desir que j’ai de consommer cet acte libertin, tout me fait mettre à l’opération la même activité, la même chaleur qu’eût employé l’amant le plus vigoureux ; la machine pénètre, mais les flots de sang qui jaillissent du brisement de l’hymen, les cris terribles de la victime, tout nous annonce que l’outrage entrepris ne s’est pas fait sans péril ; et la pauvre petite, en effet, vient d’être assez cruellement blessée, pour donner de l’inquiétude même sur ses jours. Ducroz, qui s’en apperçoit, l’apprend par un signe à l’abbesse, qui, voluptueusement branlée par ses tribades, ordonne d’aller en avant : la garce est à nous, s’écrie-t-elle, ne l’épargnons pas ; je n’ai de compte à en rendre à qui que ce soit. Vous imaginez facilement à quel point ces propos m’enhardirent ; bien sûre du malheur qu’avait occasionné ma maladresse, je n’en redoublai que plus nerveusement mes secousses, tout entra, Laurette s’évanouit, Ducroz m’encule, et Télème, enchanté, se branle sur le joli visage de la moribonde, dont il comprime rudement la tête dans ses jambes… Il faudrait des secours, madame, dit-il à Delbène, tout en se secouant. C’est du foutre qu’il faut, répond l’abbesse, oui, foutre, voilà les seuls secours que je veuille donner à cette garce. Cependant je continue de limer, électrisée par le vit de Ducroz, tellement enfoncé dans le trou de mon cul, qu’il n’en reste pas deux lignes au-dehors, je ne ménage pas plus ma victime, que je ne suis ménagée moi-même. L’extase nous saisit presque tous à la fois. Les trois tribades placées sur l’autel déchargent comme des gueuses, pendant que les parois du godmiché que j’enfonce dans Laurette évanouie, se mouillent de mon sperme, que Ducroz m’en remplit l’anus, et que Télème mêle le sien aux pleurs de la victime, en lui déchargeant sur le visage.
Notre épuisement, la nécessité de rappeler Laurette à la vie, si nous voulons en tirer d’autres plaisirs, tout nous oblige à lui donner quelques soins ; on la détache ; Laurette environnée, nasardée, tripotée, soufflettée, redonne bientôt signe de vie. Qu’as-tu, lui demande cruellement Delbène, es-tu donc si faible qu’une aussi légère attaque t’envoie déjà aux portes de l’enfer ? Hélas, madame, je n’en puis plus, dit cette pauvre petite malheureuse, dont le sang continue de couler en abondance, on m’a fait une douleur bien sensible ; j’en mourai. Bon ! dit froidement la supérieure, de plus jeunes que toi ont soutenu ces attaques sans risque ; poursuivons, et sans prendre d’autres peines que ceux d’étancher le sang, la victime est rattachée sur le ventre, comme elle vient de l’être sur le dos ; et le trou de son cul bien à ma portée, la Delbène remise sur l’autel avec ses deux tribades, je m’apprête à remonter à l’assaut par une autre brêche.
Rien n’était luxurieux comme la manière dont la supérieure se faisait branler par Volmar et Flavie. Cette dernière, étendue sur madame Delbène, lui faisait sucer son con en lui branlant le clitoris et lui chatouillant les tetons. Volmar, un peu au-dessous, instrumentait d’une main notre lubrique abbesse, en lui enfonçant trois doigts dans le cul, de manière que la tribade n’avait pas une seule partie de son corps qui ne tut soumise au plaisir. Les yeux, pendant ce tems, fixés sur mon opération, la putain m’encourageait à la terminer : je me présente ; c’est Télème qui, cette fois, doit m’enculer, pendant que je sodomiserai Laurette ; et Ducroz, placé près de moi, doit préparer l’introduction en me branlant le clitoris : les difficultés sont insurmontables ; mon instrument, déjà trois ou quatre fois repoussé, ou s’est dérangé, ou s’est, malgré moi, reniché dans le con, ce qui ne s’est pas fait sans occasionner de nouvelles douleurs à la malheureuse victime de notre libertinage ; Delbène impatientée de ces délais, charge Ducroz de préparer les voies en enculant lui-même la petite fille ; et comme vous l’imaginez aisément, cette commission ne lui déplaît pas. Moins effrayant que la poutre dont je suis affublée, n’ayant pas à craindre les vacillations qui me dérangent, le libertin, en un instant est au fond du cul de la pucelle, il en refoule l’étron virginal ; il est prêt à l’arroser de foutre lorsque l’exigeante abbesse lui ordonne de se retirer et de me céder la place. Sacredieu, dit l’abbé en sortant son vit écumant de luxure, et tout couvert des marques de sa victoire : ah ! double foutu Dieu, j’obéis, mais je me vengerai sur le cul de Juliette. Non, dit Delbène, qui, malgré les plaisirs dont elle s’enivre, ne s’occupe pas moins des nôtres, non, le cul de ma Juliette appartient à Télème, c’est à lui d’en jouir cette fois-ci, et je ne souffrirai pas qu’il perde ses droits. Mais, scélérat, puisque tu bandes si fort, encule Volmar ; vois son fessier superbe offert à tes désirs ; encule-la, te dis-je elle m’en branlera mieux. Oui, foutredieu, oui, dit Volmar, voilà mon cul, qu’il l’enfile, le bougre, jamais je n’eus tant de besoin d’être sodomisée. Tout s’arrange ; et la brèche préparée chez Laurette, laissant mon instrument pénétrer sans trop de difficultés, la pauvre petite, en une minute, le sent au fond de son anus. C’est alors que ses cris redoublent ; elle en pousse d’affreux ; mais Télème, bien enclavé dans mon cul, et Delbène, qui nage dans le foutre, m’encouragent l’un et l’autre avec tant d’énergie, que Laurette éprouve bientôt par derrière ce que je lui ai fait sentir par devant : le sang coule, et la pauvre enfant s’évanouit pour la seconde fois. C’est ici où je m’apperçois bien du caractère féroce de Delbène : continue, continue, s’écrie-t-elle en me voyant prête à sortir ; ne la lâche pas que nous n’ayons déchargé. Mais elle se meurt, réponds-je. — Bon, bon, ce sont des simagrées ; et que m’importe, d’ailleurs, l’existence de cette putain ? Elle n’est ici que pour nos plaisirs, et, foutre, elle y servira. Enhardie par cette mégère, et, ne me sentant déjà pas trop portée, moi-même, à des sentimens pusillanimes de commisération dont la nature ne m’a point abondamment pourvue, je poursuis et ne prends, pour signal de ma retraite, que les témoignages certains du délire général que j’entends bientôt retentir de toutes parts à mes oreilles ; j’en étais à ma troisième émission quand j’abandonnai le poste. Voyons tout ceci, dit l’abbesse en se rapprochant : est-elle morte ? elle n’est pas plus mal qu’aux premières attaques, dit Ducroz ; et, si l’on veut, en l’enconnant, je vais bientôt la rappeler à la vie : j’y consens, dit l’abbesse, essayons ce moyen ; il faut la mettre entre nous deux, dit Télème ; pendant que j’enculerai, Delbène me branlera le cul, et je gamahucherai celui de Volmar ; Juliette socratisera de même Ducroz, qui langotera le con de Flavie. Le projet est mis en action, et les mouvemens rapides de nos deux fauteurs, leur fougueuse luxure, ne tardent pas à rendre une seconde fois la pauvre Laurette à la lumière.
Ma chère bonne, dis-je alors à l’abbesse, et m’approchant d’elle, comment vas-tu raccommoder tout le dommage qui vient d’être fait ? Celui que tu as éprouvé le sera bientôt, mon ange, répondit Delbène ; demain, je te frotterai d’une pommade qui remettra tellement les choses en leur entier, qu’on ne pourra pas même se douter des assauts qu’elles auront reçues. Pour Laurette, oublies-tu donc qu’on la croit échappée du couvent… Elle est à nous, Juliette, elle ne reparaîtra de ses jours. Et qu’en ferez-vous, dis-je toute étonnée ? — La victime de nos luxures : ah, Juliette ! que tu es novice encore ? Tu ne sais donc pas qu’il n’y a de bon que les jouissances criminelles, et que plus on les environne d’horreurs, plus on leur prête de charmes. — En vérité, ma chère, je ne vous entends pas. — Patience, ce sera bientôt par des faits que je me ferai comprendre. Soupons.On passe dans un petit caveau, voisin de celui dans lequel venaient de se célébrer nos orgies. Là, se trouvent préparés, avec profusion, les mets les plus exquis, les vins les plus délicieux. Nous nous mettons à table. Laurette nous servait : je m’apperçus bientôt, au ton que la société prenait avec elle, aux brusqueries qu’elle éprouvait, que la pauvre petite malheureuse n’était déjà plus regardée que comme une victime. Plus les têtes s’échauffaient, plus elle était maltraitée ; elle ne rendait pas un service qu’elle ne reçut une claque, un pinçon, un soufflet ; et la plus légère inattention se trouvait souvent bien plus sévèrement punie. Je passerai sous silence, mes amis, et les actions et les propos de ces luxurieuses bacchanales. Qu’il vous suffise de savoir qu’elles égalèrent en horreurs, en exécrations, tout ce que j’ai vu depuis, de plus libertin dans le monde.
Il faisait très-chaud, nous étions nuds, les hommes dans le même désordre, et mêlés parmi nous, se livraient sans aucune gêne, à tout ce que le délire pouvait leur inspirer de plus sale et de plus crapuleux. Télème et Ducroz se disputant mon cul, semblaient vouloir se battre pour en obtenir la jouissance, et courbée sous tous deux, j’attendais humblement l’issue de ce combat, quand Volmar déjà grise, et plus belle que Vénus même, dans cet état d’ivresse, s’empare des deux vits, et veut les branler dans une jatte de punch qu’elle vient de préparer, afin, dit-elle, d’avaler leur foutre ; je n’y consens, dit l’abbesse, à-peu-près aussi étourdie des fumées de Bacchus, que tout ce qui l’environne, je n’y consens qu’aux conditions que Juliette y mêlera son urine… Je pisse ; les putains boivent, les hommes les imitent, et le délire étant à son comble, l’extravagante abbesse, qui ne sait plus qu’inventer pour réveiller en elle des desirs épuisés par le libertinage, annonce qu’elle veut passer dans le caveau où reposent les cendres des femmes de cette maison, qu’elle veut choisir là le cercueil de l’une de celles qu’immola dernièrement sa jalouse rage, et se faire foutre cinq ou six coups sur le cadavre de sa victime. L’idée paraît plaisante ; on remonte, les bougies se placent sur les cercueuils voisins entourant celui de la jeune novice qu’avait depuis trois mois empoisonnée l’abbesse, après l’avoir idolâtrée. L’infernale créature s’étend sur ce cercueil, et présentant son con aux deux ecclésiastiques, elle les défie tour-à-tour. Ducroz l’enfile le premier, nous étions spectatrices, et notre unique emploi pendant cette scène lugubre, était de la baiser, de lui branler le clitoris, et de nous prêter à ses attouchemens. Delbène, dans le délire, se repaissait d’horreurs, lorsqu’un sifflement affreux se fait entendre, toutes les lumières s’éteignent à la fois. Oh ciel ! qu’est-ceci, s’écrie l’intrépide abbesse, la seule de nous qui conserve son courage au milieu du bouleversement dans lequel nous sommes, Juliette… Volmar… Flavie… Mais tout est sourd, tout est interdit, personne ne répond ; et sans les détails que je reçus de notre supérieure le lendemain, évanouie moi-même, j’ignorerais peut-être encore l’origine de tout ce fracas. Un chat-huant caché dans ce caveau, en était la seule cause ; effrayé des lumières auxquelles ses yeux n’étaient pas accoutumés, il avait pris son vol, et l’air agité de ses ailes avait éteint ce qui l’affectait. Quand je repris l’usage de mes sens, je me retrouvai dans mon lit, et Delbène qui vint m’y voir, dès qu’elle sut que j’étais mieux, m’apprit, qu’après avoir rassuré les deux hommes presqu’aussi effrayés que nous, c’était avec leur aide qu’elle nous avait fait porter dans nos chambres, et que tout s’était éclairci. Je ne crois point aux événemens surnaturels, me dit Delbène, il n’y a jamais de causes sans effets, et le premier de mes soins, quand un effet me surprend, est de remonter sur-le-champ à la cause ; j’ai promptement trouvé celle de notre aventure d’hier, et les lumières rallumées, les hommes et moi nous avons promptement mis ordre à tout. — Et Laurette, madame ? — Elle est dans le caveau, ma bonne, nous l’y avons laissée. Quoi, vous l’auriez ? — Pas encore, ce sera le sujet de notre première assemblée, elle y passait hier sans la catastrophe. — En vérité, Delbène, vous êtes d’une débauche… d’une cruauté. — Non, rien de tout cela j’ai des passions fort vives, je n’écoute qu’elles ; et comme je suis persuadée que ce sont les plus fidèles organes de la nature, je me rends à ce qu’elles m’inspirent, sans frayeur, comme sans remords. Te voilà mieux, Juliette, lève-toi, viens dîner dans mon appartement ; nous jaserons.
Assieds-toi mon enfant, me dit-elle, dès que nous fûmes hors de table, je vois que tu es surprise de me voir aussi calme dans le crime, je veux que les réflexions que j’ai à te communiquer sur cet objet, te rendent bientôt aussi apatique que moi : Hier, je le vis, tu te surprenais de ma tranquillité au milieu des horreurs que nous commettions, et tu m’accusais de manquer de pitié pour cette pauvre Laurette sacrifiée à nos débauches.
Oh ! Juliette, sois-en bien certaine, tout est arrangé par la nature, pour être dans l’état où nous le voyons ; a-t-elle donné la même force, les mêmes beautés, les mêmes grâces, à tous les êtres qui sortent de ses mains ; non, sans doute. Puisqu’elle veut des nuances dans les constructions, elle en exige donc dans les sorts et dans les fortunes. Les malheureux que le hazard nous offre, ou que font nos passions, sont dans les plans de la nature, comme les astres dont elle nous éclaire, et l’on fait un mal aussi sûr, en troublant cette sage économie, qu’on en pourrait faire à troubler le cours du soleil, si ce crime était en notre puissance… Mais, interrompis-je ici, si tu étais malheureuse, Delbène, ne serais-tu pas bien aise qu’on te soulageât ?… je saurais souffrir sans me plaindre, me répondit cette stoïque créature, et je n’implorerais les secours de personne ; suis-je à l’abri des maux de la nature, et si je n’ai pas la misère à craindre, n’ai-je pas la fièvre, la peste, la guerre, la famine, les secousses d’une révolution imprévue, et tous les autres fléaux de l’humanité ? Qu’ils viennent, et je les recevrai courageusement. Crois, Juliette… oui, persuade-toi bien, que lorsque je consens à laisser souffrir les autres sans les soulager, c’est que j’ai appris à souffrir moi-même sans l’être. Abandonnons-nous à la nature, ce ne sont pas des secours mutuels que son organe nous indique ; il ne fait retentir dans nous que le seul besoin d’acquérir pour nous seuls, toute la force nécessaire à endurer les maux qu’elle nous réserve, et la commisération, loin d’y préparer notre ame, l’énerve, l’amollit, et lui ôte le courage qu’elle ne peut plus retrouver ensuite quand elle en a besoin pour ses propres douleurs. Qui sait s’endurcir aux maux d’autrui, devient bientôt impassible aux siens propres, et il est bien plus nécessaire de savoir souffrir soi-même avec courage, que de s’accoutumer à pleurer sur les autres. Oh ! Juliette, moins on est sensible, moins on s’affecte, et, plus on approche de la véritable indépendance ; nous ne sommes jamais victimes que de deux choses, ou des malheurs d’autrui, ou des nôtres ; commençons par nous endurcir aux premiers, les seconds ne nous toucheront plus, et rien, de ce moment, n’aura le droit de troubler notre tranquillité. Mais, dis-je, il résultera nécessairement des crimes de cette apathie. — Qu’importe, ce n’est ni au crime, ni à la vertu spécialement, qu’il faut s’attacher, c’est à ce qui rend heureux, et si je voyais qu’il n’y eut de possibilité pour moi d’être heureuse que dans l’excès des crimes les plus atroces, je les commettrais tous à l’instant, sans frémir, certaine, ainsi que je te l’ai déjà dit, que la première loi que m’indique la nature, est de me délecter, n’importe ceux dépends de qui. Si elle a donné à mes organes, une constitution telle, que ce ne soit qu’au malheur de mon prochain, que ma volupté puisse éclore, c’est que pour parvenir à ses vues de destruction… vues toutes aussi nécessaires que les autres, elle a cru urgent de former un être comme moi, qui la servit dans ses projets. — Voilà des systêmes qui peuvent aller bien loin. Et qu’importe, répondit Delbène, je te défie de me montrer un terme où ils puisent devenir dangereux ; on s’est réjoui, c’est tout ce qu’il faut. — Le peut-on aux dépends des autres ? — La chose du monde qui m’occupe le moins, c’est le sort des autres ; je n’ai pas la plus petite foi à ce lien de fraternité, dont les sots me parlent sans cesse, et c’est pour l’avoir bien analisé, que je le réfute. Oh ciel ! douteriez-vous de cette première loi de la nature ? — Écoute-moi, Juliette… il est inoui le besoin que tu as d’être formée… Nous en étions là de notre conversation, lorsqu’un laquais arrivant de la part de ma mère, vint apprendre à madame l’abbesse les affreux malheurs de notre maison, et la maladie dangereuse de mon père ; on demandait ma sœur et moi, il fallait partir sur-le-champ… Oh ciel ! dit madame Delbène, j’ai oublié de raccommoder ton pucelage ; attends, mon ange, attends, prends ce pot, c’est un extrait de myrthes, dont tu te froteras matin et soir, seulement, pendant neuf jours, tu peux être sûre que le dixième tu te retrouveras aussi vierge, que s’il ne te fut jamais rien arrivé ; puis, envoyant chercher ma sœur, elle nous remit, l’une et l’autre, à la personne qui venait nous prendre, en nous recommandant de revenir le plutôt que nous pourrions ; nous l’embrassâmes, et nous partîmes.
Mon père mourut, vous savez quels désastres suivirent cette mort : celle de ma mère qui eut lieu au bout d’un mois, et l’abandon dans lequel nous nous trouvâmes. Justine, qui ne connaissait pas mes liaisons secrètes avec l’abbesse, ignora la visite que je fus lui faire quelques jours après notre ruine, et comme les sentimens que je lui découvris alors achevent de dévoiler le caractère de cette femme originale, il est bon, mes amis, que je vous en parle. Le premier trait de dureté de la Delbène vers moi, fut de me refuser la porte de l’intérieur, et de ne consentir à me parler qu’un instant à la grille ; lorsque surprise du froid qu’elle me témoignait, je voulus faire valoir nos liaisons, mon enfant, me dit-elle, toutes ces misères-là doivent s’oublier dès qu’on ne vit plus ensemble, et pour moi, je vous assure que je ne me rappelle pas la moindre circonstance des faits dont vous me parlez ; quant à l’indigence qui vous menace, rappellez-vous le sort d’Euphrosine, elle se jeta sans besoin dans la carrière du libertinage : imitez-la par nécessité. C’est l’unique parti qui vous reste, le seul que je vous conseille ; mais quand vous l’aurez pris, ne me voyez plus, peut-être cet état ne vous réussirait point, vous auriez besoin d’argent, de crédit, et je ne pourrais vous offrir ni l’un ni l’autre. À ces mots, la Delbène lève le siège, et me laisse dans un étonnement… qui, sans doute, eût été moins vif, avec un peu plus de philosophie ; mes réflexions furent cruelles… Je partis sur le champ avec la ferme résolution de suivre les conseils de cette méchante créature, tous dangereux qu’ils fussent. Je me ressouvenais heureusement du nom et de l’adresse de la femme dont Euphrosine nous avait parlé dans un tems, hélas ! où j’étais loin de prévoir le besoin de cette cruelle ressource : j’y volai. La Duvergier me reçut à merveille, l’excellence du remède de la Delbène en abusant ses yeux connaisseurs, la mit à même d’en tromper bien d’autres. Ce fut deux ou trois jours avant que d’entrer dans cette maison, que je me séparai de ma sœur pour suivre une carrière bien différente de la sienne.
Mon existence, après les malheurs qui m’étaient arrivés, dépendant uniquement de ma nouvelle hôtesse, je me résignai à tout ce qu’elle me recommanda ; mais à peine fus-je seule, que je me mis néanmoins à réfléchir de nouveau sur l’abandon et sur l’ingratitude de madame Delbène. Hélas ! me disais-je, pourquoi mon malheur la refroidit-il ? Juliette pauvre, ou Juliette riche, formait-elle deux créatures différentes ? Quel est donc ce caprice bizarre qui fait aimer l’opulence et fuir la misère ? Ah ! je ne concevais pas encore que l’infortune dût être à charge à la richesse, j’ignorais combien elle la craint… à quel point elle la fuit, et que, de la frayeur qu’elle a de la soulager, résulte l’antipathie qu’elle a pour elle ; mais, poursuivais-je dans mes réflexions, comment cette femme libertine… criminelle même, ne redoute-t-elle pas l’indiscrétion de ceux qu’elle traite avec tant de hauteur ? Autre enfantillage de ma part ; je ne connaissais pas l’insolence et l’effronterie du vice étayé par la richesse et par le crédit : madame Delbène était supérieure d’une des plus célèbres abbayes de Paris, elle jouissait de soixante mille livres de rente, elle tenait à toute la cour, à toute la ville, à quel point devait-elle mépriser une pauvre fille comme moi, qui, jeune, orpheline, et sans un sou de bien, ne pouvait opposer à ses injustices que des réclamations qui se fussent bientôt anéanties, ou des plaintes qui, traitées sur le champ de calomnies, eussent peut-être valu à celle qui eût eu l’effronterie de les entreprendre, l’éternelle perte de sa liberté.
Étonnemment corrompue déjà, cet exemple frappant d’une injustice dont j’avais pourtant à souffrir, me plût, au lieu de me corriger. Eh bien ! me dis-je, je n’ai qu’à tâcher d’être riche à mon tour, je deviendrai bientôt aussi impudente que cette femme, je jouirai des mêmes droits et des mêmes plaisirs. Gardons-nous d’être vertueuse, puisque le vice triomphe sans cesse ; redoutons la misère, puisqu’elle est toujours méprisée… mais n’ayant rien, comment éviterai-je l’infortune ? Par des actions criminelles, sans doute ; qu’importe, les conseils de madame Delbène ont déjà gangréné mon cœur et mon esprit ; je ne crois de mal à rien, je suis convaincue que le crime sert aussi bien les intentions de la nature, que la sagesse et que la vertu : élançons-nous dans ce monde pervers, ou ceux qui trompent le plus sont ceux qui réussissent le mieux, qu’aucun obstacle ne nous borne, il n’y a de malheureux que celui qui reste en chemin, puisque la société n’est composée que de dupes et que de fripons, jouons décidément le dernier rôle ; il est bien plus flatteur pour l’amour-propre de tromper que d’être trompée soi-même.
Rassurée par ces réflexions qui vous paraîtront prématurées peut-être, à quinze ans, mais qui devenaient pourtant toutes simples d’après l’éducation que j’avais reçue, j’attendis avec résignation les évènemens que la providence m’offrirait ; bien décidée à profiter de tous ceux qui se présenteraient pour améliorer ma fortune à tel prix que ce pût être.
J’avais sans doute un rude apprentissage à faire ; ces malheureux débuts devaient achever de corrompre mes mœurs, et pour ne pas alarmer les vôtres, peut-être ferais-je bien, mes amis, de vous soustraire des détails qui vont dévoiler à vos yeux des écarts plus étonnans que ceux où vous vous livrez journellement… J’ai peine à le croire, madame, dit le marquis en interrompant Juliette, et après ce que vous savez de nous, il est même singulier qu’une telle crainte puisse un instant vous alarmer. C’est qu’il s’agit ici de la corruption des deux sexes, dit madame de Lorsange, car la Duvergier fournissait également des sujets aux fantaisies de l’un et de l’autre. Vos tableaux ainsi mélangés, n’en seront que plus agréables, dit le chevalier ; nous savons à-peu-près tous les écarts dont le nôtre est capable ; il sera délicieux pour nous d’apprendre de vous-mêmes tous ceux où peut se porter le vôtre. Soit, dit madame de Lorsange, j’aurai soin cependant de ne tracer que les débauches les plus singulières, et pour éviter la monotonie, je passerai sous silence celles qui me paraîtront trop simples… À merveille, dit le marquis, en faisant voir à la société un engin déjà tout gonflé de luxure ; mais songez-vous à l’effet que ces récits peuvent produire en nous, voyez l’état où me met leur simple promesse… Eh bien ! mon ami, dit cette femme charmante, ne suis-je pas toute entière à vous ? Je jouirai doublement de mon ouvrage, et comme l’amour-propre est toujours pour beaucoup chez les femmes, vous me permettrez d’imaginer que dans l’embrâsement que j’aurai produit, si quelque chose est pour mes tableaux, bien plus encore sera pour ma personne.
Il faut que je vous en convainque tout de suite, dit le marquis très-ému, en entretenant Juliette dans un arrière-cabinet, où tous deux restèrent assez de tems pour se livrer aux plus doux plaisirs de la luxure. Pour moi dit le chevalier que cet arrangement laissait tête-à-tête avec Justine, j’avoue que je ne bande point encore assez pour avoir besoin de perdre du foutre. N’importe, approchez mon enfant, mettez-vous à genoux et suçez-moi, mais avancez, je vous prie, les choses de manière à ce que je voie infiniment plus de cul que de con : bien, bien, dit-il en voyant Justine accoutumée à toutes ces turpitudes, saisir, on ne saurait mieux, quoi qu’à regret, l’esprit de celle-ci… Oui, c’est cela, et le chevalier, singulièrement bien suçé, allait peut-être s’abandonner mollement aux douces et moëlleuses sensations d’une décharge ainsi provoquée, lorsque le marquis rentrant avec Juliette, engagea celle-ci à poursuivre le fil de ses aventures, et son ami, de remettre à un autre instant, s’il le pouvait, le dénouement où il semblait toucher.
Tout étant ainsi convenu, madame de Lors ange reprit en ces termes :
Madame Duvergier n’avait que six femmes chez elle, mais plus de trois cents étaient à ses ordres ; deux grands laquais de cinq pieds huit pouces, membrés comme Hercule, et deux jokeis, de quatorze ou quinze ans, d’une céleste figure, se fournissaient de même aux libertins qui voulaient mêler l’un à l’autre, ou qui préferaient l’anti-physique à la jouissance des femmes ; et dans le cas où ce léger détachement masculin n’eût pas suffi, Duvergier pouvait y suppléer par plus de quatre-vingt sujets du dehors, tous prêts à se porter où leur service était nécessaire.
La maison de madame Duvergier était délicieuse ; située entre cour et jardin, et ayant deux issues opposées, les rendez-vous s’y donnaient avec un mystère qu’on n’eût pas obtenu de toute autre position ; ses meubles étaient magnifiques, ses boudoirs aussi voluptueux que décorés ; son cuisinier fort bon, ses vins délicieux et ses filles charmantes ; tant d’agrémens devaient s’acheter fort cher, rien en effet ne l’était autant que les parties de ce local divin, où les plus simples têtes-à-têtes ne se payaient pas moins de dix louis. Sans mœurs, comme sans religion, parfaitement soutenue à la police, fournissant les plus grands seigneurs, madame Duvergier, à l’abri de tout, entreprenait des choses que n’eussent jamais imité ses compagnes, et qui faisaient à la fois frémir la nature et l’humanité.
Pendant six semaines, cette adroite coquine vendit mon pucelage à plus de cinquante personnes, et chaque soir se servait d’une pommade à-peu-près semblable à celle de madame Delbène ; elle raccommodait avec soin ce que déchirait impitoyablement le matin l’intempérance de ceux auxquels son avarice me livrait ; comme tous ces dévirgineurs s’y prirent assez lourdement, je vous ferai grâce des détails, et ne m’arrêterai qu’au duc de Stern, dont la manie fut plus singulière.
Le plus simple costume flattant le mieux la lubricité de ce libertin, ce fut en petite poissarde que je me présentai chez lui ; après avoir traversé un grand nombre d’appartemens somptueux, je parvins au fond d’un cabinet de glace, où m’attendait le duc avec son valet-de-chambre, grand jeune homme de dix-huit ans, fait à peindre, et de la plus intéressante figure. Bien pénétrée de l’esprit de mon rôle, je ne restai courte sur aucune des questions de ce paillard… Assis sur le canapé de son boudoir, et branlant le vit de son valet-de-chambre pendant que j’étais debout en face de lui, est-il vrai, me demanda-t-il, que vous soyez dans la plus extrême misère, et que la démarche que vous faites n’ait pour objet que de pourvoir aux premiers besoins de la vie ! — Cette vérité est si grande, monsieur, qu’il y a trois jours que ma mère et moi mourons de faim. Ah ! bon, répondit le duc en prenant une des mains de son homme pour se faire branler par lui ; cette circonstance était nécessaire ; je suis fort aise que votre état soit tel que je le desirais ; et c’est votre mère qui vous vend ? — Hélas oui. — Avez-vous des sœurs ? — Une, monsieur. — Et pourquoi ne me l’a-t-on pas envoyée ? — Elle n’est plus à la maison, la misère l’a fait fuir ; nous ignorons ce qu’elle est devenue. — Ah ! foutre, je veux qu’on me trouve cela ; quel âge ? — Treize ans. — Il est affreux que, connaissant mes goûts, on imagine de me soustraire cette créature. — Mais on ne sait où elle est, monsieur. — Il fallait la chercher… Ah ! je la trouverai… Je la trouverai ; allons Lubin, qu’on déshabille pour vérifier, et pendant que l’ordre s’exécute, le duc continuant l’ouvrage de son ganimède, se met à secouer avec complaisance un engin noir et mou qui ne s’appercevait qu’à peine ; dès que je suis nue, Lubin m’examine avec la plus grande attention, et proteste à son maître que tout est dans le meilleur ordre ; faites-moi voir cela par derrière, dit le duc, et Lubin me courbant sur le canapé, entr’ouvrit mes cuisses, et convainquit son maître ; non pas de l’inexécution d’aucun assaut, mais que les brèches, occasionnées par eux, avaient été assez bien refermées, pour qu’il fût impossible de s’en appercevoir ; et là, dit Stern en écartant mes fesses, et touchant d’un doigt le trou de mon cul… Non, non sûrement, répondit Lubin ; c’est bon, dit le paillard en me prenant dans ses bras et m’asseyant sur une de ses cuisses ; mais tu vois, mon enfant, que je suis hors d’état de faire la besogne moi-même… Touche ce vit ; tu sens comme il est mou, possédas-tu les graces de Vénus, tu ne le ferais pas durcir ; considère ce hochet redoutable poursuivit-il en me faisant empoigner le vit superbe de son valet-de-chambre ; avoue que ce beau membre te dépucellera beaucoup mieux que le mien ; place-toi donc, je te servirai de maquereau ; ne pouvant faire le mal, j’aime à le faire faire ; cette idée me console… Oh monsieur, répondis-je effrayée de la grosseur du vit qui m’était présentée, ce monstre va me déchirer, je n’en pourrai soutenir les assauts… Et comme j’essayais de m’esquiver ; allons, allons, point de cérémonie, je n’aime que la docilité dans les filles ; celles qui en manquent avec moi, sont sûres de ne pas me plaire long-tems… Approchez… Je voudrais qu’avant tout, vous baisassiez le cul de mon Lubin, et me le présentant… Voyez comme il est beau… J’obéis : autant sur le vit, dit le duc ; j’obéis encore. — Placez-vous, maintenant… Il me tient, son valet se présente, et met à l’opération tant d’adresse et tant de vigueur, que son engin monstrueux touche, en trois tours de reins, le fond de ma matrice ; je pousse un cri terrible ; le duc, qui me captive, et qui branle le trou de mon cul pendant ce tems-là, recueille avec soin dans sa bouche et mes soupirs et mes larmes ; le nerveux Lubin, maître de moi, n’a plus besoin de secours de son maître qui, s’établissant aussitôt près du postérieur de mon amant, l’encule pendant qu’il me dépucelle ; je m’apperçois bientôt au redoublement des secousses du valet, de celles qu’il reçoit de son patron ; mais, seule pour supporter le poids de ces deux attaques, j’allais succomber sous leur violence, quand la décharge de Lubin me tira d’affaire. Ah ! sacre dieu, dit le duc qui n’avait pas fini, tu te presses trop aujourd’hui, Lubin ; faut-il donc qu’un foutu con te fasse toujours faire des folies ! et cet évènement ayant dérangé les attaques du duc, il nous fit voir un petit vit mutin qui, furieux d’être déplacé, semblait n’attendre qu’un autel pour consommer le sacrifice ; venez ici, petite fille, me dit le duc en déposant son outil dans mes mains, et vous Lubin, couchez-vous à plat-ventre sur ce lit ; conduisez vous-même, petite pécore, cet engin furieux au trou qui vient de le rejeter, puis vous campant derrière moi pendant que j’agirai, vous favoriserez mes projets en m’enfonçant deux ou trois doigts dans le cul ; tout répond aux desirs du paillard : l’opération s’achève, et le capricieux libertin paie trente louis des prémices dont il ne s’est seulement pas douté.
De retour à la maison, Fatime, celle de mes compagnes que j’aimais le mieux, âgée de seize ans, et belle comme le jour, se divertit beaucoup de l’aventure ; elle y avait passé, mais plus heureuse que moi, elle avait, disait-elle, volé une bourse de cinquante louis sur la cheminée du duc, pour se dédommager de tout ce qu’elle en avait souffert. Comment, dis-je, tu te permets de pareilles choses ? Le plus souvent que je le puis, ma chère, me répondit ma compagne, et sans aucun scrupule, en honneur. C’est pour nous qu’est fait l’argent de ces coquins là, et nous serions bien dupes de ne pas nous en emparer quand nous le pouvons ! Serais-tu donc encore assez dans les ténèbres de l’ignorance pour soupçonner le moindre mal au vol ? — Assûrément j’y en crois beaucoup. Eh bien, mon ange, me répondit Fatime ; je veux te faire revenir de cet absurde préjugé. Je dîne demain à la campagne, chez mon amant ; j’obtiendrai de madame Duvergier la permission de te mettre de la partie, tu entendras Dorval raisonner sur cette matière. Oh, scélérate, répondis-je ! tu achèveras de me corrompre, je ne me sens déjà que trop de dispositions à toutes ces horreurs ; j’accepte, va, tu n’auras pas grand peine à faire une excellente écolière de moi… mais la Duvergier permettra-t-elle ?… Ne t’inquiète de rien, dit Fatime, je me charge de tout.
Le lendemain de bonne heure, un fiacre nous conduisit à la Villette. Nous entrons dans une maison reculée, mais d’assez bonne apparence ; un valet nous reçoit, et nous ayant introduit dans un appartement fort bien meublé, il se retire et va renvoyer notre voiture ; ce fut alors que Fatime s’ouvrit à moi… Sais-tu chez qui tu es, me dit-elle en souriant… Non en vérité, répondis-je… Chez un homme fort extraordinaire, reprit ma compagne, je te trompais en le faisant passer pour mon amant ; c’est un homme chez lequel j’ai souvent fait des parties à l’insu de madame Duvergier ; ce que je gagne alors n’appartient qu’à moi seule ; mais l’opération n’est pas sans danger… Explique-toi, repris-je vivement, tu excites ma curiosité… Tu es ici, me dit Fatime, chez un des plus célèbres voleurs de Paris ; le vol dont le coquin tire sa subsistance, compose aussi ses plus doux plaisirs. Il t’expliquera ses principes, il te mettra à même de les pratiquer ; nul avec nous jusqu’après son expédition, ce ne sera qu’au feu qu’embrâsera dans lui cette action, selon toi, criminelle, qu’il allumera le flambeau de ses lubricités ; et comme il veut que l’image de sa passion favorite se retrouve au moins dans tout ce qui l’accompagne, ce ne sera qu’en volant qu’il cueillera nos faveurs, et ces faveurs il nous les excroquera, nous aurons l’air de n’en rien retirer, quoique j’en sois payée d’avance ; en voilà la preuve, Juliette, ces dix louis t’appartiennent, j’en ai autant. Et la Duvergier ? — N’en sait rien, je te l’ai dit ; j’excroque notre chère maman, t’en repends-tu ? Non en vérité, répondis-je, au moins ici tout ce que nous gagnons est à nous. Il n’est plus question de ce maudit partage qui me désespère ; mais achève au moins de m’instruire ; qui, et comment allons-nous voler ? Écoute-moi, me dit ma compagne. Cet homme-ci, par la multitude d’espions qu’il a dans Paris, est chaque jour au fait de tous les étrangers, de tous les nigauds qui y débarquent ; il fait connaissance avec eux, il les accueille, il leur donne à dîner avec des femmes de notre espèce qui les volent pendant l’acte de la jouissance ; on lui rend tout, et de quelque nature que soit le vol, les femmes en ont toujours un quart, indépendamment de leur payement particulier. Mais, dis-je, un tel métier ne fera-t-il pas bientôt arrêter ce coquin ? — De long-tems, sois en sûre ; ses précautions sont trop bien prises pour cela. — Et sa maison ? — Il en a trente, nous voilà maintenant dans celle-ci, de six mois il n’y reviendra. Remplis ton rôle avec intelligence ; deux ou trois étrangers vont se trouver à dîner, dès après le repas nous amuserons ces messieurs dans des cabinets différens, vole le tien avec adresse, je te promets de ne pas manquer le mien ; Dorval caché nous examinera. L’opération faite, au moyen d’un breuvage, les dupes s’endormiront, nous passerons la soirée avec le maître du lieu, qui s’en retournera quelques heures après nous, pour aller ailleurs, et avec d’autres femmes exercer les mêmes infamies, et nos imbécilles demain réveillés, ne trouvant plus personne au logis, seront trop heureux de pouvoir s’évader la vie sauve. Mais puisque nous sommes payées d’avance, répondis-je à ma compagne, quel besoin avons-nous de nous prêter aux goûts de ce fripon ? — Ce serait un mauvais calcul, nous ne le reverrions plus, et en le servant bien, il peut nous faire faire par ans, douze ou quinze parties semblables ; ne perdrions-nous pas d’ailleurs, avec ta manière de penser, absolument tout ce qui nous reviendra du vol ? — Ah, bon, car sans la première partie de ta réponse, je t’aurais encore objecté, peut-être, qu’il me paraissait inutile de lui rendre un compte aussi exact de ce que nous volerons chez lui. J’aime ta réflexion tout en la désaprouvant, me dit Fatime, elle me prouve en toi des dispositions qui me font espérer que tu te tireras bien de l’aventure.
À peine avions-nous fini que Dorval entra ; c’était un homme de quarante ans, d’une fort belle figure, et qui me parut plein d’esprit et d’amabilité ; il était doué surtout de ce don de séduire, si nécessaire au métier qu’il faisait. Fatime, dit-il à ma compagne, je suppose que cette jeune et jolie personne est au fait ; il ne me reste donc plus qu’à vous prévenir que nous avons pour convives, deux vieux Allemands, à Paris depuis un mois, et qui brûlent du desir de connaître quelques jolies filles. L’un d’eux a pour vingt mille écus de diamans sur lui, Fatime, je te le recommande ; l’autre qui desire acheter une maison dans ce village, et à qui j’ai persuadé que je lui en trouverais une à très-bon marché, s’il apportait de quoi la payer comptant, aura sûrement plus de quarante mille francs dans sa poche, soit en or, soit en lettres à vue ; Juliette, ce sera votre lot ; acquittez-vous bien de la mission, et je vous ferai souvent faire de semblables parties. Eh quoi, dis-je, monsieur, de telles horreurs peuvent exciter vos sens ? Charmante fille, me répondit Dorval, vous ignorez, je le vois, l’histoire du choc des impressions criminelles sur la masse des nerfs, vous avez besoin d’être instruite de ces phénomènes de la lubricité, nous y viendrons ; passons dans cette salle en attendant ; nos germains vont paraître, souvenez-vous de mettre tout votre art à les séduire… à les enchaîner, c’est de là seul que j’attends tout.
Nous entrâmes : Scheffner, celui des deux Allemands qui devait me revenir, était un bon baron de quarante-cinq ans, bien laid, bien bourgeoné et bête, à ce qu’il me parut, comme l’Allemagne en masse, si l’on en excepte Gesner. Conrad était le nom de la poule que devait plumer mon amie, il nous parut en effet couvert de diamans ; son esprit, sa figure et son âge le rendaient fort semblable à son compagnon, et sa lourdeur toute aussi complette, assurait des succès à Fatime, pour le moins aussi faciles que les miens.
La conversation, d’abord générale, se particularisa fort vîte ; Fatime, aussi adroite que jolie, eût bientôt fait tourner la tête du pauvre Conrad, et mon air d’innocence et de timidité, m’enchaîna promptement Scheffner. On dîna : Dorval eût soin de faire distiller, dans les verres de nos convives, les boissons les plus délicieuses, et le dessert fut à peine servi, que tous deux témoignèrent le plus extrême desir de nous entretenir en secret. Dorval, qui voulait examiner chacune de ces opérations en particulier, sous le prétexte qu’il n’avait qu’un boudoir où l’on pût sacrifier à Vénus, calma, du mieux qu’il pût, les desirs de Conrad, et me fît passer avec Scheffner ; le bon allemand, tout enthousiasmé, ne pouvait se rassasier de caresses : Il faisait chaud, je l’invitai à se mettre nud, j’en fîs de même, pour l’enflammer avec plus d’énergie, et plaçant ses habits sous ma main droite, pendant que l’honnête baron m’enfilait, pendant, que pour le mieux duper, je serrais amoureusement sa tête dans mon sein, bien plus occupée de mon opération que de ses plaisirs, je fouillai lestement dans toutes ses poches ; Une bourse très-mince renfermant tout son numéraire, je me doutai que le trésor était au porte-feuille, et le saisissant adroitement dans la poche droite de son habit, je le cachai fort vite sous le matelat du canapé qui nous servait d’autel.
Le coup fait, n’ayant plus besoin de rien ménager avec un animal lourd et puant qui me faisait horreur, je sonne, une femme paraît, aide au baron allemand à se rajuster, lui présente un verre de liqueur, dosé comme il faut, et le conduit dans une chambre, où il s’endort d’un si profond sommeil, qu’il ronflait encore plus de huit heures après.
À peine est-il disparu, que Dorval entre ; vous êtes délicieuse, mon ange, s’écrie-il en m’embrassant, je n’ai rien perdu de votre manœuvre, voyez, poursuivit-il en me montrant un vit plus dur qu’une barre de fer, voyez l’état où votre procédé m’a mis, et se précipitant avec moi sur le canapé, je vis que la manie de ce libertin était de dérober, avec sa bouche, le foutre qui venait de m’être lancé dans le con ; il le pompa avec tant d’art, frétilla si délicieusement avec sa langue, sur tous les bords et jusqu’au fond de ma matrice, que je l’inondai moi-même… mille fois plutôt, peut-être, en raison de la singulière action où je venais de me livrer… en raison du personnage qui venait de me la faire commettre, qu’à cause du plaisir que je recevais de lui ; car, à quelque point qu’ils affectassent mon physique… mon moral, je ne puis le cacher, était encore bien plus ému de l’horreur gratuite que les séductions de Fatime et de Dorval, me faisaient aussi délicieusement entreprendre,
Dorval ne déchargea point ; je lui remis et la bourse et le porte-feuille ; il prit l’un et l’autre sans aucun examen, et je cédai la place à Fatime. Dorval m’emmena, et pendant qu’il examinait par un trou la manière dont ma camarade s’y prenait pour en venir au même but, le libertin se fit branler, il me le rendait. De tems en tems, sa langue s’enfonçait au fond de mon gozier, il paraissait dans une extase réelle. Sublimes effets de la réunion du crime et de la luxure, combien vous prêtez d’énergie au délire des passions ! La façon leste dont Fatime opère, détermine enfin l’éjaculation de Dorval ; se serrant alors contre moi, il m’enconne jusqu’à la matrice, et m’inonde des preuves non équivoques de l’extase qu’il vient de goûter.
Dorval vigoureux retourne à ma compagne ; comme il m’avait laissé au trou, rien ne m’échape ; il se courbe de même entre les cuisses de Fatime, et va pomper, de la même manière, le foutre perdu par Conrad, il s’empare du vol et les deux bons germains dans leurs lits, nous passons dans un cabinet délicieux, où Dorval, après avoir déchargé une seconde fois dans le con de Fatime, en me gamahuchant, nous expose, de la manière suivante, l’apologie de ses goûts singuliers.
Une seule distinction, mes amies, différencie les hommes dans l’enfance des sociétés, c’est la force ; la nature leur a donné à tous un sol à habiter, et c’est de cette force, qu’elle leur a également départie, que va dépendre le partage qu’ils en feront ; mais ce partage sera-t-il égal, pourra-t-il l’être, dès que la force seule va le diriger ? Voilà donc déjà un vol établi ; car l’inégalité de ce partage, suppose nécessairement une lésion du fort sur le faible, et cette lésion, c’est-à-dire le vol, la voilà donc décidée, autorisée par la nature, puisqu’elle donne à l’homme ce qui doit nécessairement l’y conduire. D’une autre part, le faible se venge, il met l’adresse en usage, pour rentrer dans des possessions que lui ravit la force, et voilà l’escroquerie, sœur du vol, également fille de la nature ; si le vol avait offensé la nature, elle aurait formé des hommes égaux de force et de caractère ; l’égalité de partages, née de l’égalité de forces, fruit de sa main, évitait alors toute envie de s’enrichir aux dépends des autres ; de ce moment le vol devenait impossible ; mais quand l’homme reçoit des mains de cette nature qui le crée, une conformation qui nécessite et l’inégalité des partages et le vol, effet certain de cette inégalité, comment pouvoir s’aveugler au point de croire que le vol puisse l’offenser ? Elle nous prouve si bien que le vol est sa loi la plus chère, qu’elle en compose l’instinct des animaux. Ce n’est que par des vols perpétuels, qu’ils parviennent à se conserver ; que par des usurpations sans nombre, qu’ils soutiennent leurs vies : Et comment, l’homme, lui n’est lui-même qu’un animal, a-t-il pu croire que ce que la nature imprégnait au fond du cœur des animaux, pût, chez lui, devenir un crime.
Lorsque les loix se promulguèrent, lorsque le faible consentit à la perte d’une portion de sa liberté, pour conserver l’autre, le maintien de ses possessions fut incontestablement la première chose dont il desira la paisible jouissance, et le premier objet des freins qu’il demanda. Le plus fort consentit à des loix auxquelles il était sûr de se soustraire : elles se firent. On promulgua que tout homme posséderait son héritage en paix, et que celui qui le troublerait dans la possession de cet héritage éprouverait une punition ; mais, là, il n’y avait rien à la nature, rien qu’elle dicta, rien qu’elle inspira, tout était l’ouvrage des hommes, divisés pour lors en deux classes ; la première, qui cédait le quart, pour obtenir la jouissance tranquille du reste ; la seconde, qui, profitant de ce quart, et voyant bien qu’elle aurait les trois autres portions quand elle voudrait, consentait à empêcher, non que sa classe dépouillât le faible, mais que les faibles ne se dépouillassent point entre eux, pour qu’elle pût seule les dépouiller plus à l’aise. Ainsi, le vol, seule institution de la nature, ne fut point banni de dessus la terre ; mais il y exista sous d’autres formes ; on vola juridiquement. Les magistrats volèrent en se faisant payer pour une justice qu’ils devaient rendre gratuitement. Le prêtre vola en se faisant payer pour servir de médiateur entre l’homme et son Dieu. Le marchand vola en accaparant, en faisant payer sa denrée un tiers de plus que la valeur intrinsèque qu’elle avait réellement. Les souverains volèrent en imposant sur leurs sujets des droits arbitraires de taxe, de tailles, etc. Toutes ces voleries furent permises, toutes furent autorisées sous le spécieux nom de droits, et l’on n’imagina plus de sévir que contre les plus naturelles, c’est-à-dire, contre le procédé tout simple d’un homme qui, manquant d’argent, en demandait, le pistolet à la main, à ceux qu’il soupçonnait plus riches que lui, et cela sans songer que les premiers voleurs, auxquels on ne disait mot, devenaient l’unique cause des crimes du second… la seule qui le contraignit à rentrer, à main armée, dans des propriétés que ce premier usurpateur lui ravissait si cruellement ; car, si toutes ces voleries ne furent que des usurpations qui nécessitaient l’indigence des êtres subalternes, les seconds vols de ces êtres inférieurs, rendus nécessaires par ceux des autres, n’étaient plus des crimes, ils étaient des effets secondaires, nécessités par des causes majeures ; et dès que vous autorisiez cette cause majeure, il vous devenait légalement impossible d’en punir les effets ; vous ne le pouviez plus sans injustice. Si vous poussez un valet sur un vase précieux, et que de sa chute il brise ce vase, vous n’êtes plus en droit de le punir de sa maladresse ; vous ne devez vous en prendre qu’à la cause qui vous a contraint à le pousser. Lorsque ce malheureux cultivateur, réduit à l’aumône par l’immensité des taxes que vous lui imposez[12], abandonne sa charrue, s’arme et va vous attendre sur le grand chemin, si vous punissez cet homme, certes, vous commettez une grande infamie ; car, ce n’est pas lui qui a manqué, il est le valet poussé sur le vase ; ne le poussez pas, il ne brisera rien ; et si vous le poussez, ne vous étonnez pas qu’il brise. Ainsi, ce malheureux, en allant vous voler, ne commet donc point un crime, il tâche à rentrer dans des biens que vous lui avez précédemment usurpé, vous ou les vôtres ; il ne fait rien que de naturel ; il cherche à rétablir l’équilibre qui, en morale comme en physique, est la première des loix de la nature : il ne fait rien que de juste. Mais ce n’est point là ce que je voulais démontrer : il ne faut point de preuves, il n’est pas besoin d’argumens pour prouver que le faible ne fait que ce qu’il doit en cherchant à rentrer dans des possessions envahies ; ce dont je veux vous convaincre, c’est que le fort ne commet lui-même, ni crime, ni injustice en tâchant de dépouiller le faible, parce que c’est ici le cas où je me trouve ; c’est l’acte que je me permets tous les jours ; or, cette démonstration n’est pas difficile, et l’action du vol, dans ce cas, est assurément bien mieux dans la nature, que sous l’autre rapport : car, ce ne sont pas les représailles du faible sur le fort, qui véritablement sont dans la nature : elles y sont au moral, mais non pas au physique, puisque pour employer ces représailles, il faut qu’il use de forces qu’il n’a point reçues ; il faut qu’il adopte un caractère qui ne lui est point donné, qu’il contraigne en quelque sorte la nature. Mais ce qui, vraiment, est dans les loix de cette mère sage, c’est la lésion du fort sur le faible, puisque pour arriver à ce procédé il ne fait qu’user des dons qu’il a reçu ; il ne revet point, comme le faible, un caractère différent du sien ; il ne met en action que les seuls effets de celui qu’il a reçu de la nature. Tout ce qui résulte de là est donc naturel : Son oppression, ses violences, ses cruautés, ses tyrannies, ses injustices, tous ces jets divers du caractère imprimé dans lui par la main de la puissance qui l’a mis au monde sont donc tout simples, sont donc purs comme la main qui les grava ; et lorsqu’il use de tous ses droits pour opprimer le faible, pour le dépouiller, il ne fait donc que la chose du monde la plus naturelle. Si notre mère commune eût voulu cette égalité que le faible s’efforce d’établir ; si elle eut vraiment desiré que les propriétés fussent équitablement partagées, pourquoi aurait-elle créé deux classes, une de forts, l’autre de faibles ? N’a-t-elle donc pas suffisamment prouvé, par cette différence, que son intention était qu’elle ait lieu dans les biens, comme dans les facultés corporelles ? Ne prouve-t-elle pas que son dessein est que tout soit d’un côté et rien de l’autre ; et cela précisément pour arriver à cet équilibre, unique base de toutes ses loix ? Car, pour que l’équilibre soit dans la nature, il ne faut pas que ce soit les hommes qui l’établissent ; le leur dérange celui de la nature ; ce qui nous paraît le contrarier à nos yeux est justement ce qui l’établit aux siens, et cela, par la raison que, de ce défaut d’équilibre, selon nous, résultent les crimes par lesquels l’ordre s’établit chez elle ; les forts s’emparent de tout ; voilà le défaut d’équilibre, eu égard à l’homme. Les faibles se défendent et pillent le fort ; voilà des crimes qui établissent l’équilibre nécessaire à la nature. N’ayons donc jamais de scrupules de ce que nous pourrons dérober au faible, car ce n’est pas nous qui faisons le crime, c’est la défense ou la vengeance du faible qui le caractérise : en volant le pauvre, en dépouillant l’orphelin, en usurpant l’héritage de la veuve, l’homme ne fait qu’user du droit qu’il a reçu de la nature. Le crime consisterait à n’en pas profiter : l’indigent, qu’elle offre à nos coups, est la proie qu’elle livre au vautour. Si le fort a l’air de troubler l’ordre en volant celui qui est au-dessous de lui, le faible le rétablît en volant ses supérieurs, et tous les deux servent la nature.
En remontant à l’origine du droit de propriété, on arrive nécessairement à l’usurpation. Cependant le vol n’est puni que parce qu’il attaque le droit de propriété ; mais ce droit n’est lui-même originairement qu’un vol ; donc la loi punit le vol de ce qu’il attaque le vol, le faible de ce qu’il cherche à rentrer dans ses droits, et le fort de ce qu’il veut ou établir ou augmenter les siens en profitant de ce qu’il a reçu de la nature. Peut-il exister au monde une plus affreuse conséquence ! Tant qu’il n’y aura aucune propriété légitimement établie (et il ne saurait y en avoir aucune), il sera très-difficile de prouver que le vol soit un crime, car ce que le vol dérange d’un côté, il le rétablit à l’instant de l’autre, et la nature ne s’intéressant pas plus au premier de ces côtés qu’au second, il est parfaitement impossible qu’on puisse constater l’offense à ses loix, en favorisant l’un de ces côtés plus que l’autre.
Le faible a donc raison, quand cherchant à rentrer dans des possessions usurpées, il attaque à dessein le fort, et l’oblige à restitution ; le seul tort qu’il puisse avoir, c’est de sortir du caractère de faiblesse que lui imprimât la nature : elle le créât pour être esclave et pauvre, il ne veut pas s’y soumettre, voilà son tort ; et le fort avec ce tort-là de moins, puisqu’il conserve son caractère, et n’agit que d’après lui, a donc également raison, quand il cherche à dépouiller le faible, et à jouir à ses dépends ; que l’un et l’autre maintenant descendent un moment dans leurs cœurs ; le faible en se décidant à attaquer le fort, quelques puissent être ses droits, éprouvera un petit combat ; et cette résistance à se satisfaire, vient de ce qu’il veut outrepasser les loix de la nature, en se revêtissant d’un caractère qui n’est pas le sien ; le fort, au contraire en dépouillant le faible, c’est-à-dire en jouissant de tous les droits qu’il a reçu de la nature, en leur donnant toute l’extension possible, jouit en raison du plus ou moins de cette extension ; plus la lézion qu’il fait au faible est atroce, plus il est voluptueusement ébranlé ; l’injustice le délecte ; il jouit des larmes que son oppression arrache à l’infortuné ; plus il l’accable, plus il l’opprime, et plus il est heureux, parce qu’il fait alors un plus grand usage des dons qu’il a reçu de la nature, que l’usage de ces dons devient un besoin, et par conséquent une volupté. D’ailleurs cette jouissance nécessaire, qui naît de la compassion que l’homme heureux fait du malheureux à lui ; cette jouissance vraiment délicieuse, ne s’établit jamais mieux aux regards de l’homme fortuné, que quand le malheur qu’il produit est complet. Plus il écrase ce malheureux, plus il rehausse le prix de la comparaison, et plus, par conséquent, il alimente sa volupté. Il a donc deux plaisirs bien réels dans ses concussions sur le faible, et l’augmentation qu’il fait de ses fonds physiques, et la jouissance morale des comparaisons qu’il rend d’autant plus voluptueuses, que ses lésions affaiblissent l’infortune. Qu’il pille donc, qu’il brûle, qu’il ravage, qu’il ne laisse plus à ce malheureux que le souffle qui doit prolonger une vie, dont l’existence est nécessaire à l’oppresseur, pour établir ses loix de comparaison ; tout ce qu’il fera sera, dans la nature, tout ce qu’il inventera ne sera que l’usage des forces actives qu’il en a reçu, et plus il exercera ces forces, plus il constatera son plaisir ; mieux il usera de ses facultés, et mieux par conséquent il aura servi la nature.
Permettez, chères filles, poursuivit Dorval, que j’appuie mes raisonnemens de quelques exemples ; vous avez reçu l’une et l’autre, une sorte d’éducation, qui ne vous les rendra pas étrangers.
Le vol est tellement autorisé en Abyssinie, que le chef des voleurs achète sa charge, et le droit d’en jouir tranquillement.
Cette même action est recommandable chez les Koriaques ; on ne s’honore chez eux que par elle.
Chez les Tohoukichi, une fille ne peut se marier, sans avoir fait ses preuves en ce métier.
Chez les Mingreliens, le vol est une marque d’adresse et de courage ; on se vante publiquement de ses belles actions dans ce genre.
Nos voyageurs modernes la trouvèrent en vigueur dans l’île d’Othaïti.
C’est un métier honorable en Sicile, que celui de brigand.
La France n’était qu’un vaste repaire de voleurs, sous le régime féodal : il n’y a que la forme de changée ; les effets sont les mêmes ! Ce ne sont plus les grands vassaux qui volent, ce sont eux que l’on pille, et la noblesse, en perdant ces droits, est devenue l’esclave des rois qui la subjuguaient[13].
Le célèbre voleur sir Ewin Caméron ? résista long-tems à Cromwel.
L’illustre Marc Grégor fit une science du vol ; il envoyait ses sujets sur les terres voisines ; il extorquait la rente dûe par les fermiers, et leur donnait quittance, au nom des propriétaires.
Il n’y a, soyez-en certaines, aucune sorte de façon de s’approprier le bien d’autrui, qui ne soit légitime ; la ruse, l’adresse, ou la force, ne sont que des moyens sages d’arriver à un but permis ; l’objet du faible est d’égaliser la fortune ; celui du fort est d’obtenir et de dépouiller, n’importe comment, n’importe aux dépens de qui. Quand les loix de la nature exigent un bouleversement, prennent-elles garde à ce qu’elles enveloppent ? Toutes les actions de l’homme imitent les loix de la nature, parce que toutes les actions humaines ne sont que les résultats des loix de la nature, ce qui doit bien rassurer l’homme, et l’engager à ne frémir d’aucunes… à se livrer pacifiquement à toutes, de quelque genre et de quelque espèce qu’elles puissent être. Rien ne se fait sans nécessité, tout est nécessaire dans le monde ; or, la nécessité excuse tout, et dès qu’une action est démontrée nécessaire, de ce moment elle ne peut plus être regardée comme infâme.
Un fils du célèbre Caméron, dont je viens de vous parler, perfectionna le systême du vol : le chef donnait ses ordres, on lui obéissait aveuglément, et tous les vols étaient déposés dans des magasins généraux, pour être ensuite partagés avec la plus extrême justice.
Les grands exploits de vol passaient autrefois pour de l’héroisme ; ils obtenaient des marques honorables.
Deux fameux voleurs prirent le prétendant sous leur protection ; ils allaient voler, pour l’entretenir. Quand un Illinois fait un vol, il l’acquitte, en donnant au juge la moitié de la somme dérobée, et l’on n’imagine jamais de le punir différemment.
Il y a des pays où l’on punit le vol, par la loi du Talion ; on dépouille le voleur, et on le laisse aller ; quelque douce que paraisse cette loi dans ce cas-ci, comme il en est d’autres où ses effets sont atroces, je veux vous en faire voir l’iniquité. Cette petite démonstration ne sera point hors d’œuvre. Une seule réflexion bien simple va vous faire voir l’injustice du Talion. Nous reprendrons ensuite notre dissertation.
Pierre, je suppose, insulte et maltraite Paul ; en raison de cela, on rend, par la loi du Talion, à Pierre, tout ce qu’il a fait à Paul. C’est une injustice criante ; car, lorsque Pierre a fait à Paul l’injure dont il est question, il avait des motifs qui, suivant toutes les loix de l’équité naturelle, diminuent, en quelque façon, l’atrocité de son crime ; mais lorsque vous le punissez du même genre de traitement qu’il a fait éprouver à Paul, vous n’avez pas la même raison que lui, et cependant vous le traitez aussi mal, ainsi, voilà une grande différence entre lui et vous : lui, a fait une atrocité fondée sur des motifs ; et vous, vous commettez la même atrocité, sans motif. Ce seul exposé suffit à vous faire voir toute l’injustice d’une loi que les sots trouvent si belle. Poursuivons[14].
Il fut un tems où les seigneurs allemands comptaient parmi leurs droits, celui de voler sur les grands chemins. Ce droit remonte aux premières institutions des sociétés où l’homme libre et vagabond se nourrissait comme les oiseaux, de tout ce qu’il pouvait dérober ; il était alors l’élève de la nature, il est aujourd’hui l’esclave des préjugés absurdes, des loix atroces, et des religions imbécilles. Tous les biens, dit le faible, furent également repartis sur la surface de la terre ; soit : mais la nature, en créant des forts et des faibles, indiqua suffisamment qu’elle ne destinait ces biens qu’au plus fort, et que l’autre n’en pourrait jouir qu’en s’assujétissant au despotisme et au caprice du plus puissant ; elle inspire à celui-ci de voler le faible pour s’enrichir ; et au faible, de voler le fort, pour égaliser ; et cela, de la même manière qu’elle conseille à l’oiseau de voler la semence du laboureur ; au loup, de dévorer l’agneau ; à l’araignée, de tendre ses filets : tout est vol, tout est concussion dans la nature ; le desir de s’emparer du bien d’autrui est la première… la plus légitime passion que nous ayons reçu d’elle. Ce sont les premières loix que sa main grave en nous, c’est le premier penchant de tous les êtres, et sans doute le plus agréable.
Le vol était en honneur à Lacédémone. Lycurgue en avait fait une loi ; il rendait, disait ce grand homme, les Spartiates souples, adroits, courageux et agiles ; il est encore en honneur aux Philippines.
Les Germains le regardaient comme un exercice qui convenait à la jeunesse ; il y avait des fêtes où les Romains le permettaient ; les Égyptiens le faisaient entrer dans l’education ; les Américains y sont tous adonnés ; en Afrique, il est général ; au-delà des Alpes, à peine est-il puni.
Néron sortait de son palais toutes les nuits pour voler ; on vendait le lendemain, sur les places publiques, et à son profit, les effets qu’il avait dérobé la veille.
Le président Rieux, fils de Samuel Bernard, et père de Boulainviliers, volait par inclination, et dans les mêmes vues que nous ; il attaquait les passans sur le Pont-Neuf, et les volait le pistolet à la main ; envieux d’une montre, qu’il vit à un ami de son père, il fut l’attendre un soir, au moment où cet ami venait de souper chez Samuel, il le vole ; l’ami revient chez le père, se plaint, nomme le coupable ; Samuel assure que cela est impossible, il jure que son fils est couché, on vérifie, Rieux n’est point chez lui ; il rentre peu après, on l’attendait, on le convainct, il est accablé de reproches, il avoue tous ses autres vols, promet de se corriger et l’exécute ; Rieux devint depuis un fort grand magistrat[15].
Rien de plus simple à concevoir que le vol comme débauche : il occasionne un choc nécessaire sur le genre nerveux, et delà naît l’inflammation qui détermine à la lubricité : tous ceux qui, comme moi, et sans aucun besoin, ont volé par libertinage, connaissent ce plaisir secret ; on peut l’éprouver de même en friponnant au jeu ; le comte de… y éprouvait une irritation décidée ; je l’ai vu dans l’obligation d’excroquer cent louis à un jeune homme, au piquet, parce qu’il avait envie de foutre, et qu’il ne pouvait obtenir d’érection qu’en volant, la partie s’engage, le comte vole, il bande, il encule le jeune homme, mais il se garde bien de rendre l’argent.
Argafond vole, dans les mêmes principes, indifféremment tout ce qu’il trouve sous sa main ; il avait établi une maison de débauche, où il faisait effrontément dépouiller à son profit, tous ceux que pouvaient attirer dans son sérail, les charmantes créatures dont il l’avait rempli.
Qui volait plus que nos financiers ? En voulez-vous un exemple pris dans le dernier siècle ?
La France contient neuf cent millions d’espèces ; sur la fin du règne de Louis XIV, le peuple payait sept cent cinquante millions d’impôts par an, et il n’en entrait que deux cent cinquante millions dans les coffres du roi, voilà donc cinq cents millions de volés ; croyez-vous que la conscience de ces grands voleurs-là fut très-alarmée de ce vol ?
Eh bien, répondis-je à Dorval, je me pénètre de tous vos modèles je goûte tous vos raisonnemens, mais j’avoue que je ne comprends cependant point qu’un homme riche comme vous, par exemple, puisse trouver du plaisir au vol.
Parce que le choc voluptueux de cette lésion sur la masse des nerfs, d’où je vous ai prouvé que l’érection se déterminait, me répondit Dorval, n’en est pas moins la même sur moi, quoique je sois riche ; parce que, riche ou non, je n’en suis pas moins construit comme les autres hommes ; d’ailleurs, je n’ai selon moi que le nécessaire, et ce n’est pas le nécessaire qui rend riche, c’est le superflu ; on n’est riche, on n’est heureux que de ce superflu ; et mes vols me le donnent. Ce n’est point par la satisfaction des besoins de première nécessité que nous sommes heureux, c’est par le pouvoir de contenter toutes nos fantaisies ; celui qui n’a que ce qu’il faut à ses besoins, ne peut se dire heureux, il est pauvre.
La nuit approchait, Dorval avait encore besoin de nous, il avait de nouveaux détails lubriques à nous faire subir, qui demandaient du repos, du silence, et de la tranquillité ; qu’on emballe ces deux allemands dans une voiture, dit-il à un de ses gens, accoutumé à le servir en pareille circonstance ; ils ne se réveilleront pas, j’en suis sûr ; qu’on les dépose nuds dans quelque rue détournée, et qu’on les laisse-là ; ils deviendront ce qu’il plaira à Dieu. — Oh ! monsieur, dis-je, quelle cruauté ! — Et qu’importe, ils m’ont satisfait, c’est tout ce que j’attendais d’eux ; je n’en ai plus besoin, qu’ils deviennent tout ce qu’ils pourront ; il y a une providence pour tout cela, si la nature a besoin d’eux, elle les conservera, si elle n’en a que faire, ils périront. — Mais, c’est vous qui les exposez, — Je remplis la première partie des vues de la nature, sa main puissante accomplira le reste ; qu’ils partent, ils sont bien heureux que je ne fasse pas pis, je le devrais peut-être.
L’ordre fut ponctuellement exécuté ; les deux allemands ne se réveillèrent pas plus, que s’ils eussent été morts, et, pour ne plus revenir sur leur compte, nous apprîmes qu’ils avaient été déposés dans une rue borgne, près le boulevard neuf, et conduits le lendemain, chez un commissaire de police, des mains duquel ils sortîrent, aussitôt qu’on vît qu’il leur devenait impossible de jetter aucune lumière sur la bisarrerie de leurs aventures.
Dès qu’ils furent partis, Dorval nous remit exactement le quart qui nous revenait des prises que nous avions faites sur ces deux individus, et sortit ; nous restâmes seules un instant, pendant lequel Fatime me prévint qu’il y avait encore une terrible scène de luxure à éprouver, qu’elle ne savait pas positivement en quoi elle consistait, mais elle était bien sûre, au moins, qu’il ne nous arriverait rien de malheureux… ; Elle avait à peine fini, qu’une vieille femme parut, et nous ordonna brusquement de la suivre, nous obéîmes ; après quelques détours dans les corridors les plus élevés de la maison, elle nous jeta dans une chambre obscure, où il nous fut impossible de rien appercevoir jusqu’à l’arrivée de Dorval.
Il parut presque sur-le-champ, suivi de deux grands coquins à moustaches, dont le seul aspect me fit frémir ; les bougies qu’ils portaient, nous montrèrent tout de suite la singularité des meubles de la chambre où nous étions enfermées ; au fond de cette pièce se voyait un échafaud, sur lequel était deux potences, et tous les apprêts nécessaires à l’exécution du supplice de la corde.
Vous allez, mesdemoiselles, nous dit brusquement Dorval, recevoir ici la punition de vos crimes ; et se plaçant dans un grand fauteuil, il ordonne à ses deux acolites de nous déshabiller, depuis les pieds jusqu’à la tête, sans nous laisser même, ni bas, ni souliers, ni coëffes ; on apporte tous ces vêtemens à ses pieds, il les fouille, il en dérobe tout l’argent qu’il y trouve ; puis ayant fait un paquet du total, il le jette par une fenêtre. Ces coquines, dit-il, d’un ton flegmatique, n’ont plus besoin de ces hardes. Une bière sera bientôt le seul habit qu’il leur faudra, et j’en ai deux toutes prêtes. Un des agens de Dorval les tire effectivement de dessous l’échafaud, et nous les fait voir.
Quoique vous soyez bien et dûement atteintes et convaincues toutes deux, dit Dorval, d’avoir ce matin chez moi, méchamment, dépouillé deux honnêtes gens de leurs bijoux et de leur or, je ne vous en somme pas moins de me déclarer la vérité : êtes-vous coupable ou non de cette atrocité ? Nous en sommes coupables, monsieur, répondit Fatime ; car, pour moi, véritablement émue, je commençais à perdre la tête. Puisque vous avouez votre crime, reprit Dorval, toute formalité devient inutile ; cependant il m’en faut l’aveu tout entier ; n’est-il pas vrai, Juliette, poursuivit le traître, en me contraignant, par ce moyen, à répondre ? n’est-il pas vrai que vous les avez fait mourir, en les jetant inhumainement la nuit dans le milieu de la rue ? — Monsieur, c’est vous… Puis me reprenant : Oui monsieur, c’est nous qui sommes aussi coupables de ce crime : allons, dit brusquement Dorval, il ne me reste plus qu’à prononcer ; écoutez toutes deux votre arrêt à genoux, nous nous y mîmes ; ce fut alors que je m’apperçus de l’effet que cette scène d’horreur produisait sur ce libertin ; obligé de donner l’essort à un membre qu’il ne pouvait plus contenir dans sa culotte, il nous fit naître, en le laissant s’élancer dans l’air, l’idée de ces jeunes arbustes dégagés du lien qui courbe un instant leur cîme sur le sol : allons, putains, dit-il, en se branlant, vous allez être pendues… vous allez être étranglées ; Rose Fatime, et Claudine Juliette, sont condamnées à la mort, pour avoir vilainement… odieusement volé et dépouillé, puis, exposé à périr dans le milieu de la rue deux particuliers, dans la maison de M. Dorval : la justice ordonne, en conséquence, que l’arrêt soit exécuté sur-le-champ.
Nous nous relevâmes ; et sur le signe d’un de ses alguasils, nous l’approchâmes, chacune à notre tour ; il était en feu ; nous prîmes son vit, il jura, et nous menaça ; ses mains s’égarèrent indifféremment sur toutes les parties de notre corps, et il entremêlait ses menaces de persifflage. Qu’il est cruel à moi, disait-il, de livrer d’aussi belles chairs à la pourriture ; mais il n’y a plus de grace à espérer, l’arrêt est prononcé, il faut le subir, ces cons affreux deviendront la proie des vers… Oh, double dieu, que de plaisirs ! et sur un geste, les deux sbirres qu’il avait à ses ordres s’emparèrent aussitôt de Fatime, pendant que je continuais de le branler ; en une minute, les deux scélérats l’accrochent ; mais tout était disposé de façon, que la victime retombant aussitôt sur un matelas à terre, ne restait pas pendue l’intervalle d’une seconde ; on vint me prendre ; je frémissais ; la peur empêche de voir ; je n’avais apperçu du supplice de Fatime, que ce qui devait effrayer ; le reste m’était échappé ; et ce ne fut qu’après ma propre expérience, que je reconnus le peu de risques que l’on courait à subir cette singulière fantaisie ; je me rejetai donc, toute effrayée, dans les bras de Dorval, quand on vint me saisir ; cette résistance l’enflamma ; il me mordit au flanc d’une telle force, que ses dents y restèrent plus de deux mois empreintes. Cependant on m’entraîne, et me voilà bientôt dans la même situation que Fatime. Dorval s’approche, dès que je suis à terre… Oh, sacré nom d’un Dieu ! s’écrie-t-il, est-ce que les garces ne sont pas mortes ? pardonnez-moi, monsieur, répond un de ses gens, c’est fait, elles ne respirent plus ; telle est l’époque du dénouement de la ténébreuse passion de Dorval ; il s’élance sur Fatime, qui se garde bien de remuer, l’enconne d’un vit furieux, et après quelques bonds, il retombe sur moi, qu’il trouve dans la même immobilité, il engloutit, en jurant, son membre au fond de mon vagin, et y décharge, avec des symptômes de plaisir, qui tiennent plus de la fureur, que de la volupté.
Soit honte, soit dégoût, nous ne revîmes plus Dorval. Quant aux valets, ils avaient disparu, aussitôt que leur maître s’était élancé sur l’échafaud, pour nous soumettre à sa frénésie, La même vieille qui nous avait introduites, revint nous dégager ; elle nous soigna, mais nous annonça qu’il ne nous serait absolument rien rendu de tout ce qui nous, avait été pris ; c’est toutes nues, continua la vieille, que je vais vous ramener chez madame Duvergier, vous lui ferez vos plaintes, elle y pourvoira : partons, il est tard, il faut que j’arrive avant le jour. Piquée du procédé, je demande à parler à Dorval, on me le refuse, quoiqu’il fut bien certain que le drôle nous examinait par un trou. Il fallut donc s’évader bien vîte ; une voiture nous attend, nous y montons, et dans moins de cinq quarts d’heure nous voilà nues chez notre matrone.
Madame Duvergier n’était pas levée, nous nous retirâmes dans nos chambres, où nous trouvâmes chacune dix louis, et un déshabiller complet, très-au-dessus de la valeur de ceux que nous avions perdus. Ne parlons de rien, me dit Fatime, nous voilà contentes, il est inutile que la Duvergier soit instruite ; je te l’ai dit, Juliette, tout cela s’est fait à son insu, et dès que nous n’avons rien à partager avec elle, il n’est pas nécessaire ce lui parler de ce qui s’est fait. Ma bonne, continua Fatime, tu viens d’éprouver un très-petit mal, et de recevoir une très-grande leçon ; que l’un te console de l’autre. Avec ce que tu viens d’apprendre chez Dorval, tu es en fond maintenant, pour que toutes les parties que tu feras te rapportent, par ton adresse, le triple et le quadruple de ce qu’elles vaudraient à une autre. En vérité, dis-je à ma compagne, je ne sais si j’oserai, lorsque personne ne me soutiendra. Tu serais bien dupe de ne le pas faire, répondit Fatime ; que la morale et les conseils de Dorval ne te sortent jamais de l’esprit ; l’égalité, ma chère, voilà ma seule loi ; et partout ou la fortune ne l’établit pas, c’est à notre adresse à y suppléer.
Juliette, me dit madame Duvergier, trois ou quatre jours après cette aventure, voilà vos déflorations naturelles à-peu-près faites ; il faut maintenant, ma fille, que vous me rapportiez deux ou trois fois plus par derrière que vous n’avez rapporté par devant. J’espère que vous ne serez pas scrupuleuse sur cet article ; et qu’à l’exemple de quelques petites imbécilles que j’ai eues chez moi, vous ne direz pas que le crime que vous supposez à cette manière de vous prêter aux hommes, vous empêche de me satisfaire. Apprenez, mon enfant, que c’est la même chose ; une femme est femme partout, elle ne fait pas plus de mal à prêter son cul que son con, sa bouche que sa main, ses cuisses que ses aisselles ; tout cela est indifférent, mon ange ; l’essentiel est de gagner de l’or, n’importe comment. De quelle extravagance sont atteints ceux qui osent dire que la sodomie est un crime qui nuit à la population ; ce fait est absolument faux, il y aura toujours assez d’hommes sur la terre, quelques puissent être les progrès de la sodomie ; mais à supposer une minute que la population s’en ressentit, ne serait-ce pas à la nature qu’il faudrait s’en prendre, puisque c’est d’elle seule que les hommes enclins à cette passion ont reçu non-seulement le goût et le penchant qui les y entraînent, mais même le défaut d’organisation ou de construction qui les rend inhabiles aux plaisirs ordinaires de notre sexe ; n’est-ce pas elle encore qui nous met hors d’état de pouvoir procurer de vrais plaisirs aux hommes quand nous avons longtemps satisfait à cette prétendue loi de population ? Or, si sa main met à-la-fois d’un côté, dans l’homme l’impossibillité de goûter des plaisirs légitimes, et que de l’autre elle constitue la femme d’une façon absolument opposée à celle qui serait nécessaire pour les goûter, il est bien clair, ce me semble, que les ridicules outrages que les sots prétendent qu’on lui fait en cherchant des plaisirs ailleurs qu’avec les femmes, ou avec elles en sens contraire, ne sont plus que des inspirations de cette même nature, bien-aise d’accorder un peu de dédommagement aux peines, imposées par ses premières loix, ou contrainte peut-être elle-même, à mettre un frein à une population, dont la trop grande abondance ne pourrait que lui nuire. Et cette seconde idée nous est encore mieux indiquée dans le terme qu’elle a prescrit aux femmes pour engendrer. Pourquoi des freins, si cette copulation perpétuelle était si nécessaire qu’on le pense, et si elle a posé des bornes dans ce sens-là, pourquoi n’en aurait-elle pas placé dans l’autre, en inspirant à l’homme, ou des passions différentes, ou des dégoûts certains qui, le devoir rempli, l’obligent à se débarasser ailleurs, d’un germe dont la nature n’a plus que faire. Eh ! sans autant de raisonnemens, contentons-nous d’en appeler à la sensation même, et soyons bien certains que là où elle est la plus sensuelle, c’est-là même où la nature veut être servie. Or, sois bien assurée, Juliette, (et à qui disait-elle cela) soit bien certaine, ma fille, qu’il y a infiniment plus de plaisir à se livrer de cette manière que de l’autre ; les femmes voluptueuses qui en ont goûté ne peuvent plus reprendre la voie ordinaire ; toutes te le diront comme moi ; essaye donc, mon enfant, pour les intérêts de ta bourse, et pour ceux de la volupté ; car tu dois être bien sûre que les hommes payent cette fantaisie bien autrement que les jouissances communes, et si j’ai trente mille livres de rente, aujourd’hui, je puis bien dire que j’en ai gagné les trois-quarts à livrer des culs. Les cons ne valent plus rien, ma fille, on en est las, personne n’en veut, et je renoncerais tout-à-l’heure au métier, si je ne trouvais plus de femmes disposées à cette essentielle complaisance. Demain matin, mon cœur, poursuivit l’insigne maquerelle, je livre ton pucelage masculin au vieil archevêque de Lion, qui te les paye cinquante louis ; garde-toi d’opposer aucune résistance aux desirs énervés de ce bon prélat, ils s’évanouiraient bientôt si tu t’avisais de les combattre. Ce sera bien plus à ta soumission qu’à tes charmes que tu devras les preuves de sa virilité, et si le vieux despote ne trouve pas un esclave en toi, tu n’auras dans lui qu’un automate.
Parfaitement instruite du rôle que je dois remplir, j’arrive le lendemain sur les neuf heures du matin à l’abbaye de Saint-Victor, où logeait le prélat, lors de ses voyages à Paris ; le saint-homme m’attendait au lit. Madame Lacroix, dit-il à une femme fort belle, d’environ trente ans, et qui me parut n’être là que pour servir de tiers dans les scènes lubriques du prélat ; approchez-moi cette petite fille que je la voye… Pas mal, en vérité ; et quel âge avez-vous, mon petit ange ? — Quinze ans et demi, monseigneur. — Allons, madame Lacroix, déshabillez, et ne négligez surtout aucune des précautions que vous savez. Je ne fus pas plutôt nue qu’il me fut facile de deviner quel était le but de ces précautions. Le dévot sectateur de sodôme, dans la terrible appréhension où il était que les attraits antérieurs d’une femme ne troublassent son illusion, exigeait qu’on voilât ces attraits avec une telle sévérité, qu’il lui devint même impossible de les soupçonner. Effectivement, madame Lacroix les empaqueta si bien, qu’on n’en appercevait pas la plus légère trace. Ce devoir rempli, la complaisante créature me rapproche du lit de monseigneur, — Le cul, madame, dit-il à la Lacroix, le cul, et pas autre chose que le cul, je vous en conjure… Prenez y bien garde, avez-vous eu soin ?… — Oui, oui, monseigneur, et votre éminence voit bien qu’en ne lui exposant que la partie qu’il desire, j’offre à son libertin hommage le plus joli cul vierge qu’il soit possible d’embrasser. Mais oui, effectivement, dit Montazet, il est assez bien tourné ; voyons que je le caresse ; et contenue par son amie, dans l’élévation où il faut que je sois pour que le cher évêque puisse amplement baiser les fesses ; il les manie et les dévore partout, pendant plus d’un quart-d’heure ; la caresse favorite des gens de ce goût, je veux dire l’introduction de la langue au plus profond de l’anus, comme vous le croyez bien, n’est pas oubliée, et l’éloignement le plus marqué pour le voisin est caractérisé au point que le con s’étant entrouvert, il me rejeta avec un air de dédain et de dégoût si prodigieux, que je me fusse enfuie à vingt lieues, si j’eusse été ma maîtresse. Pendant ce premier examen, la Lacroix s’était déshabillée. Dès qu’elle est nue, Montazet se lève ; mon enfant, me dit-il en me posant sur le lit, dans l’attitude nécessaire à ses plaisirs, on vous a bien recommandé, j’espère, d’être docile et complaisante. J’ose vous assurer, monseigneur, répondis-je avec innocence, qu’on n’aura rien à me reprocher sur cela. — Ah ! bon, bon ; c’est que le moindre refus me déplairait infiniment ; et à la peine extrême que l’on a de me mettre en train, vous jugez où j’en serais, si par quelque défaut de soumission on venait à déranger l’ouvrage. Allons, madame Lacroix, humectez la route et tâchez d’y conduire mon vit avec une telle adresse, qu’une fois dedans, rien ne l’en puisse sortir que la défaillance où le réduira bientôt ma décharge.
Rien ne fut négligé par l’aimable tiers ; Montazet n’était pas très-fourni : une parfaite résignation de ma part, jointe à tous les soins pris pour faire réussir l’entreprise, la firent promptement arriver à bien. M’y voilà, dit le saint pasteur ; il y a ma foi, long-tems que je n’ai foutu plus à l’étroit : oh ! pour celle-ci, je la garantis vierge, j’en jurerai quand on voudra… Allons, placez-vous, Lacroix ; placez-vous, car je sens que mon sperme éjaculera bientôt dans ce beau cul.
À ce signal, madame Lacroix sonne ; une seconde femme, que je n’eus pas trop le tems d’examiner, arrive ; le bras nud, armé d’une forte poignée de verges, elle se met à travailler d’importance le cul pontifical, pendant que Lacroix, s’élançant sur mes reins, vient offrir son postérieur aux lubriques baisers du sodomiste, qui, promptement vaincu par ce concours d’actions libidineuses, répand à foison, dans mon anus, un baume dont il ne doit l’éjaculation qu’aux vigoureux coups de verges dont on lui déchire le derrière.
Tout est dit ; monseigneur, énervé, se recouche ; on lui prépare son chocolat, et la gouvernante, r’habillée, me remet bientôt entre les mains de la fouetteuse, qui, m’ayant donné deux louis pour moi, indépendamment des cinquante que je rapportais, m’embarque dans un fiacre, auquel elle donne l’ordre de me ramener chez la Duvergier.
Le lendemain, on me fit voir à la maison un homme d’environ cinquante ans, d’une physionomie sombre et pâle, qui ne m’annonçait rien de bon. Prends garde de rien refuser à celui-ci, me dit la Duvergier, en m’introduisant dans l’appartement où on l’avait reçu ; c’est une de mes meilleures pratiques, et le tort que tu me ferais, en le rebutant, serait irréparable : après quelques préliminaires, toujours dirigés par les goûts de prédilection de ce sectateur de Sodome, il me renverse à plat-ventre sur le lit, et se prépara à m’enculer ; déjà ses mains écartent mes deux fesses ; déjà le bougre s’extasie devant le trou mignon, lorsque, surprise de l’extrême soin qu’il met à se cacher, et comme saisie par une espèce de pressentiment, je me retourne avec vivacité… Qu’apperçois-je ? grand Dieu !… Un engin absolument couvert de pustules…, de verrues…, de chancres, etc. symptômes abominables, et malheureusement trop réels de la maladie vénérienne dont est rongé ce vilain homme. Oh, monsieur, m’écriai-je ! êtes-vous fou de vouloir, jouir d’une femme en l’état où vous êtes ? voulez-vous donc me perdre pour la vie ? Comment, dit le paillard, en essayant de me prendre de force, mais mon arrangement est fait en-conséquence ; ta maîtresse sait bien mon état ; payerai-je les femmes aussi cher, si ce n’était pour le plaisir de leur communiquer mon venin ? c’est-là mon unique passion, la seule cause qui fait que je ne me fais point guérir. — Oh ! monsieur, c’est une infamie dont on s’est bien gardé de me faire part : et, volant appeler madame, vous jugez de la vivacité des reproches que je lui adressai. Je vis aux signes qu’elle faisait à cet homme, le desir qu’elle avait que je ne susse rien ; mais il n’était plus tems. Vous ne raccommoderez point tout cela, madame, dis-je très en colère ; je suis au fait de tout ; il est affreux à vous d’avoir voulu me sacrifier ; n’importe, je ne vous compromettrai point ; pressez-vous seulement de me remplacer, et trouvez bon que je me retire. La maquerelle n’osa s’y opposer, mais l’homme qui me dévorait déjà ne pouvait se résoudre au troc ; le vilain avait juré ma perte ; et ce ne fut qu’avec peine qu’il se décidait à en empoisonner une autre. Tout s’arrangea, cependant ; une autre fille parut : je sortis. C’était une petite novice de treize ans que ce libertin trouva propre à le dédommager. On lui banda les yeux ; elle ne se douta de rien, et huit jours après il fallut l’envoyer à l’hôpital, où ce scélérat fut la voir souffrir. Telle était toute sa jouissance : il n’en connaissait pas, me dit la Duvergier, de plus délicieuse au monde.
Quinze ou seize autres du même goût, mais sains et bien portans, me passèrent sur le corps en un mois, avec plus ou moins d’épisodes singuliers, lorsque je fus envoyée chez un homme dont les détails, dans l’acte de la sodomie, sont assez bizarres pour devoir vous être racontés. Quel intérêt n’y prendrez-vous pas, d’ailleurs, quand vous saurez que cet homme est Noirceuil, qui vient de nous quitter pendant le peu de jours que doit durer la narration que j’ai à vous faire d’aventures trop connues de lui, pour qu’il ait besoin de les entendre encore.
Par un excès de débauche inconcevable et bien digne de l’homme charmant dont j’ai à vous entretenir, Noirceuil voulait que sa femme fût le témoin de son libertinage ; qu’elle le servît et s’y prêtât ensuite à son tour. Remarquez bien ici qu’on me croyait toujours pucelle, et que ce n’était qu’à des filles vierges, au moins dans cette partie de leurs corps, que Noirceuil voulait avoir à faire.
Madame de Noirceuil était une très-jolie femme de vingt ans au plus : livrée très-jeune à son époux, âgé déjà d’environ quarante ans, et d’un libertinage effrénée, je vous laisse à penser tout ce que cette intéressante créature avait souffert depuis qu’elle était l’esclave de ce roué. Tous deux étaient dans le boudoir où l’on me reçut. À peine fus-je entrée, que l’on sonna, et deux garçons de dix-sept à dix-huit ans parurent aussitôt presque nuds. On prétend, mon cœur, que vous avez le plus beau cul du monde, me dit Noirceuil, dès que sa société fut réunie. Madame, continua-t-il, en s’adressant à son épouse, faites-moi voir cela, je vous conjure. En vérité, monsieur, répondit cette pauvre petite femme, toute honteuse, vous exigez des choses… — Bien simples, madame ; et depuis le tems que vous les faites, vous devriez y être accoutumée : je donne à vos devoirs envers moi la plus noble extension, et je suis bien surpris que vous ne vous soyez pas encore fait une raison sur cela. — Oh ! je ne me la ferai jamais. — Ma foi, tant pis pour vous ; quand une chose est d’obligation, il vaut cent fois mieux s’y prêter de bonne grace, que de s’en composer chaque jour un supplice. Allons, madame, déshabillez donc cette petite fille. Rougissant pour cette pauvre dame, j’allais, en ôtant moi-même mes vêtemens, lui épargner la peine qu’on voulait lui donner, lorsque Noirceuil, m’en empêchant, brusqua tellement son épouse, qu’elle n’eut plus d’autre parti que l’obéissance. Pendant ces préliminaires, Noirceuil se faisant baiser par ses gitons, les excitait tous deux de chacune de ses mains : l’un lui branlait le trou du cul, l’autre le vit. Dès que je fus nue, madame de Noirceuil, par les ordres de son mari, lui présenta mes fesses à baiser, ce que le coquin fit avec les plus lubriques détails ; et par une suite de ces ordres, les deux gitons sont bientôt mis dans le même état que moi… Toujours par les mains de la docile épouse, qui, ayant fini toutes ses toilettes, travaille enfin à se mettre aussi nue que nous : Noirceuil, également déshabillé, se trouve donc, par ce moyen, au milieu de deux jolies femmes et de deux beaux garçons. Indifférent, d’abord, à tous les sexes, l’autel qu’il chérit reçoit également chez tous, les premiers hommages de sa luxure ; et je crois que jamais derrières ne furent aussi lubriquement baisés. Le coquin nous entremêlait et mettait quelquefois un garçon au-dessus d’une femme, pour mieux établir ses comparaisons. Suffisamment excité enfin, il ordonne à son épouse de m’étendre à plat ventre sur le canapé du boudoir, et de diriger elle-même son vit dans mon derrière, après avoir pris la précaution de le sucer pour faciliter l’introduction. Noirceuil a, comme vous le savez, un engin de sept pouces de tour sur onze de long ; et ce ne fut point, par conséquent, sans des douleurs inouïes que je parvins à le recevoir : il s’y enfonça cependant jusqu’aux couilles, et toujours par les soins de sa triste victime. Un des vits de nos acolites disparaissait alternativement dans son cul. Le libertin, plaçant alors sa femme près de moi, et dans la même attitude où j’étais, exigea qu’elle fut soumise aux mêmes lubricités qu’il se permettait sur mon corps : il restait un vit de vacant, Noirceuil s’en saisit, et tout en m’enculant, il l’introduit, dans l’anus délicat de sa tendre moitié. Un moment elle veut résister, mais son cruel époux la courbant d’un bras ferme, sait bientôt la contraindre à ce qu’il en attend. Me voilà satisfait, dit-il, dès que tout est en train t je suis foutu, j’encule une pucelle, je fais sodomiser ma femme, il ne manque plus rien à mes fougueux plaisirs. Oh, monsieur ! dit en gémissant l’honnête épouse de ce libertin, vous en prenez donc à me désespérer ? — Beaucoup, madame, infiniment, en vérité ; et je vous avoue, avec la franchise que vous me connaissez, que je jouirais bien moins si vous vous prêtiez un peu mieux. — Homme sans mœurs. — Oh ! sans foi, sans Dieu, sans principes, sans religion homme effroyable, enfin ; continuez, continuez, madame, continuez de m’invectiver ; vous n’imaginez pas comme les injures féminines ont l’art de précipiter ma décharge. Ah ! Juliette, tenez-vous bien, elle coule : et le coquin, foutant, foutu, regardant foutre, me lance, au fond des entrailles, un clistère dont j’étais loin de deviner l’emploi. Comme tout avait déchargé, les attitudes se rompirent ; mais Noirceuil, toujours tyran de son épouse, Noirceuil qui, pour s’exciter à de nouveaux plaisirs, éprouve déjà le besoin d’une vexation, dit à sa femme de se préparer à ce qu’elle sait bien… Eh ! quoi, monsieur, répond cette infortunée, il est dit que vous renouvellerez sans cesse cette exécrable cochonnerie ? — Sans cesse, madame ; elle est essentielle à ma luxure ; et l’infâme ayant couché son épouse tout du long sur le canapé, la contraint à recevoir, dans sa bouche, le foutre qu’il a déposé dans mon cul. Obligée d’obéir, je lâche toute la bordée, non sans un petit plaisir méchant de voir le vice humilier aussi cruellement la vertu ; la malheureuse avale : son mari l’eût, je crois, étranglée sans cela.Ce fut au sein de cet outrage que le cruel époux retrouva les forces nécessaires à en commettre de nouveaux. Madame de Noirceuil replacée, reçut tour-à-tour, dans son derrière, le vit de son mari et ceux des deux gitons. On n’imagine pas la rapidité avec laquelle ces trois libertins se succédaient dans le beau cul qui leur était offert, pendant qu’il maniait ou baisait le mien, Noirceuil foutit enfin ses gitons, ayant pour perspective les fesses de sa femme : pendant qu’il enculait le premier, il nous obligea, celui qui restait et moi, à nous emparer chacun d’une des fesses de sa femme, et à ne pas ménager les globes charnus qu’il mettait en nos mains ; et chaque fois qu’au milieu de ces épisodes, il déchargeait dans l’anus de l’un ou l’autre, la pauvre créature était obligée de recevoir, dans sa bouche, le foutre qu’il y avait laissé.
Enfin, les ignominies redoublèrent ; Noirceuil promit deux louis à celui des trois qui vexerait le mieux sa malheureuse femme : coups de poings, coups de pieds, soufflets, chiquenaudes, il nous fut permis de tout employer ; et le scélérat, en nous excitant, se branlait en face de l’opération. On n’imagine pas ce que ces jeunes gens et moi inventâmes pour tourmenter cette malheureuse ; nous ne la quittâmes pas qu’elle ne fût évanouie ; nous rapprochant alors de Noirceuil en feu, nous l’environnâmes de nos culs, et le branlâmes sur le corps tout meurtri de l’infortunée victime de sa passion ; ensuite Noirceuil me livra aux deux jeunes gens : tantôt l’un me foutait en cul, pendant que l’autre me faisait sucer son vit : quelquefois, entre l’un et l’autre, ou j’avais leurs deux outils dans le con, ou j’en possédais un par devant, l’autre par derrière.
Nous en étions là, je m’en souviens, lorsque Noirceuil ne voulant pas qu’il y eût une seule partie de mon corps vacante, vint m’enfoncer son vit dans la bouche pour y faire couler sa dernière décharge, pendant que mon vagin et mon anus recevaient celle des deux gitons ; nous partîmes tous à-la-fois, je n’avais jamais eu tant de plaisir.
Noirceuil à qui ma figure et mes petites méchancetés avaient plu, me retint à souper avec ses deux jeunes gens. Nous mangeâmes dans un cabinet charmant, uniquement servis par madame de Noirceuil, toute nue, à qui son époux promit une scène plus terrible que celle qu’elle venait d’éprouver, si elle ne s’acquitait pas bien de la besogne. Noirceuil a de l’esprit, vous le savez, personne ne raisonne ses égaremens comme lui ; je voulus hasarder quelques reproches sur sa conduite envers sa femme ; rien n’est injuste, leur dis-je, comme ce que vous faites éprouver à cette pauvre créature… Oui, cela est fort injuste, reprit Noirceuil ; mais uniquement par rapport à ma femme, je vous réponds que relativement à moi, rien n’est équitable comme ce que je fais avec elle, et la preuve en est, qu’il n’est rien au monde qui me délecte autant. Toutes les passions ont deux sens, Juliette, l’un très-injuste, relativement à la victime ; l’autre singulièrement juste, par rapport à celui qui l’exerce. Cet organe des passions, tout injuste qu’il est, eu égard aux victimes de ces passions, n’est pourtant que la voix de la nature ; c’est sa main seule qui nous donne ces passions ; c’est sa seule énergie qui nous les inspire ; cependant elles nous font commettre des injustices. Il y a donc des injustices nécessaires dans la nature ; et ses loix dont les motifs seuls nous sont inconnus, exigent donc une somme de vice, au moins égale à celle de ses vertus ; celui qui n’a point de penchant pour la vertu, doit donc se courber aveuglément sous la main qui le tyrannise, bien certain que cette main est celle de la nature, et qu’il est l’être choisi par elle, pour le maintien de l’équilibre ; mais, dis-je, à cet insigne libertin, quand le délire est dissipé, n’éprouvez-vous donc pas quelques secrets mouvemens de vertu… qui, si vous les suiviez, vous ramèneraient infailliblement au bien ? Oui, me répondit Noirceuil, j’éprouve quelquefois ces secrets mouvemens, ils naissent quelquefois dans le calme des passions ; et voici, je crois, comment ils peuvent s’expliquer.
Est-ce véritablement la vertu qui vient combattre le vice dans moi ? et à supposer que ce soit elle, dois-je me livrer à ses inspirations ? Pour résoudre cette question et la résoudre sans partialité, je mets mon esprit dans un état de calme assez parfait, pour ne pouvoir accuser aucunes des parties de l’avoir fait pencher plus que l’autre, et je me demande ensuite, ce que c’est que la vertu ? Si je trouve que son existence ait quelque réalité, j’analiserai cette existence ; et si elle me paraît préférable à celle du vice, je l’adopterai sans doute. Je vois donc, en réfléchissant, qu’on honore du nom de vertu, toutes les différentes manières d’être d’une créature, par lesquelles cette créature abstractivement de ses plaisirs et de ses intérêts, se porte au bonheur de la société, d’où il résulte que, pour être vertueux, je dois oublier tout ce qui m’appartient, pour ne plus m’occuper que de ce qui intéresse les autres ; et cela, avec des êtres, qui certainement n’en feraient pas autant pour moi ; mais le fissent-ils même, serait-ce une raison pour que je dusse agir comme eux, si toutes les dispositions de mon être s’opposent en moi à cette manière d’exister ? D’ailleurs, si l’on appelle vertu, ce qui est utile à la société, en isolant la définition, on donnera le même nom à ce qui sera utile à ses propres intérêts, d’où il résultera, que la vertu du particulier sera souvent tout le contraire de la vertu de société ; car les intérêts du particulier, sont presque toujours opposés à ceux de la société ; ainsi, il n’y aura donc rien de positif, et la vertu purement arbitraire, n’offrira plus rien de solide. Si je reviens à la cause du combat que j’éprouve lorsque je penche vers le vice, bien persuadé que la vertu n’a nulle existence réelle, je découvrirai facilement, que ce n’est point elle qui combat en moi, mais que cette faible voix qui se fait entendre un instant, n’est que celle de l’éducation et du préjugé ; cela fait, je compare les jouissances, je fais précéder celle de la vertu, et la savoure dans toute son étendue. Quel défaut de mouvement ! quelle glace ! rien ne m’émeut là ; rien ne m’agite ; et en analisant avec justesse, je reconnais que la jouissance est toute entière pour celui que j’ai servi, et que je ne retire en retour de lui, qu’une froide reconnaissance ; je le demande ; est-ce là jouir ? Quelle différence dans le parti contraire ! Comme mes sens sont chatouillés, comme mes organes sont émus ; rien qu’en caressant l’idée de l’égarement que je projette, un feu divin circule dans mes veines, une espèce de fièvre me saisit ; le délire où cette idée me plonge répand une illusion délicieuse sur toutes les faces de mon projet ; je le complotte, il me délecte ; j’en examine toutes les branches, je suis enivré ; ce n’est plus la même vie ! Ce n’est plus la même ame qui me meut ; mon esprit est fondu dans le plaisir, je ne respire plus, que pour la volupté.
Monsieur, dis-je à ce libertin dont j’avoue que les discours m’enflammaient extraordinairement, et que je ne réfutais, que pour qu’il s’ouvrit davantage ; ah ! monsieur, refuser une existence à la vertu, est, ce me semble, vouloir atteindre le but avec trop de rapidité, et s’exposer peut-être, le manquer, en glissant trop sur les principes qui doivent nous amener aux conséquences.
Eh bien, reprit Noirceuil, je le veux : raisonnons avec plus de méthode ; tes réflexions me prouvent que tu es en état de m’entendre ; j’aime à parler à ceux qui te ressemblent.
Dans tous les événemens de la vie, reprit Noirceuil, dans tous ceux, au moins, qui nous laissent la liberté du choix, nous éprouvons deux impressions, ou si on l’aime mieux, deux inspirations ; l’une nous porte à faire ce que les hommes appellent la vertu, et l’autre à préférer ce qu’ils appellent le vice. C’est l’histoire de ce choc, qu’il faut examiner : Ce flux n’existerait pas sans nos passions, dit l’honnête-homme, ce sont elles qui balancent les mouvemens de la vertu, toujours imprimés dans nos âmes par la main même de la nature. Maîtrisez vos passions, vous ne balancerez plus ; mais, qui a convaincu cet homme qui me parle ainsi, que les passions ne sont que les effets des seconds mouvemens, et que les vertus sont les effets des premiers ? Quelles preuves certaines pourra-t-il me donner de son hypothèse ? Pour découvrir cette vérité, et pour m’assurer auquel des deux sentimens appartient, en effet, la priorité qui doit me décider, (car il est sûr, que celle des deux voix qui parle la première, est celle à laquelle je dois me rendre, comme inspiration certaine de la nature, dont l’autre n’est que la corruption.) Pour, dis-je, reconnaître cette priorité, j’examine, non pas les nations individuellement, parce que leurs mœurs ont pu dénaturer leurs vertus, mais j’observe la masse entière de l’humanité ; j’étudie le cœur des hommes, d’abord sauvages, ensuite civilisés ; voilà le livre qui, bien certainement, va m’apprendre si c’est aux vices, ou bien à la vertu, que je dois la préférence, et qu’elle est, de ces deux inspirations, celle à qui appartient la priorité. Or, dans cet examen, je découvre d’abord la constante opposition de l’intérêt particulier, à l’intérêt général ; je vois, que si l’homme préfère l’intérêt général, et que, par conséquent, il soit vertueux, il sera très-infortuné toute sa vie, et que si, au contraire, son intérêt particulier l’emporta chez lui, sur l’intérêt général, il deviendra parfaitement heureux, si les loix le laissent en paix ; mais les loix ne sont pas dans la nature, ainsi elles ne doivent être d’aucune considération dans notre examen, lequel examen doit donc, abstraction faite des loix, nous démontrer infailliblement l’homme plus heureux dans le vice, que dans la vertu ; d’où je concilierai que la priorité appartenant au mouvement le plus fort, c’est-à-dire, à celui où est le bonheur, il deviendra incontestable, que ce mouvement sera celui de la nature, et que l’autre n’en sera que la corruption, il deviendra démontré que la vertu n’est point le sentiment habituel de l’homme, qu’elle n’est simplement que le sacrifice forcé que l’obligation de vivre en société, le contraint de faire à des considérations, dont l’observance pourra faire refluer sur lui une dose de bonheur, qui contrebalancera les privations ; ainsi, c’est à lui de choisir, ou de l’inspiration vicieuse qui, bien certainement, est celle de la nature, mais qui, à cause des loix, pourra, peut-être, ne pas lui procurer un bonheur complet… pourra, peut-être, troubler celui qu’il en attend, ou du mode factice de la vertu, qui n’est nullement naturel, mais, qui le contraignant à quelque sacrifice, lui rapportera, peut-être, un dédomagement pour l’extinction cruelle qu’il est obligé de faire dans son cœur, de la première inspiration. Et, ce qui achèvera plus encore de détériorer à ses yeux le sentiment de la vertu, c’est que, non seulement il n’est pas un premier mouvement, non seulement il n’est pas un mouvement naturel, mais il n’est même, par sa définition, qu’un mouvement vil et intéressé qui semble dire, je te donne, pour que tu me rendes ; d’où vous voyez que le vice est tellement inhérent en nous et qu’il est si constamment la première loi de la nature, que la plus belle de toutes les vertus analisée, ne se trouvant plus qu’égoïste, devient elle-même un vice. Tout est donc vice dans l’homme ; le vice seul, est donc l’essence de sa nature et de son organisation ; il est vicieux, quand il préfère son intérêt à celui des autres ; il est encore vicieux dans le sein même de la vertu puisque cette vertu, ce sacrifice à ses passions, n’est en lui, ou qu’un mouvement de l’orgueil, ou que le desir de faire refluer sur lui une dose de bonheur plus tranquille que celle que lui offre la route du crime ; mais c’est toujours son bonheur qu’il cherche, jamais il n’est occupé que de cela ; il est absurde de dire, qu’il y ait une vertu désintéressée, dont l’objet soit de faire le bien sans motif ; cette vertu est une chimère. Soyez assurée que l’homme ne pratique la vertu, que par le bien qu’il compte en retirer, ou la reconnaissance qu’il en attend ; que l’on ne m’objecte pas les vertus de tempérament, celles-là sont égoïstes comme les autres, puisque celui qui les pratique, n’a d’autre mérite que de livrer son cœur au sentiment qui lui plait le plus. Analisez telle belle action qu’il vous plaira, et vous verrez si vous n’y reconnaîtrez pas toujours quelque motif d’intérêt : le vicieux travaille dans les mêmes vues, mais avec plus de franchise, et n’en est par là que plus estimable ; il y réussirait, assurément, bien mieux que son adversaire, sans les loix ; mais, ces loix sont odieuses, puisqu’en prenant sur la somme du bonheur particulier, pour conserver le bonheur général, elles enlèvent infiniment plus qu’elles ne donnent. De cette définition, vous pouvez donc induire maintenant, pour conséquence, que puisque la vertu n’est dans l’homme que le second mouvement, que, puisqu’il est incontestable que le premier qui existe en lui, abstractivement de tout autre, est l’envie de faire son bonheur, n’importe aux dépends de qui ; que, puisque le mouvement qui combat ou contrarie les passions, n’est qu’un sentiment pusillanime d’acheter à meilleur prix le même bonheur, c’est-à-dire, par un peu de sacrifice, et sans crainte de l’échafaud ; que puisque la vertu n’est, à le bien prendre, qu’un asservissement à des loix qui variant de climats en climats, ne laissent plus à cette vertu aucune existence déterminée, on ne peut plus avoir pour cette vertu que la haine et le mépris le plus complet ; et ce qu’on peut faire de mieux, est de se déterminer à n’adopter, de ses jours, une manière d’être, qui n’est que le résultat des loix, des préjugés, ou des tempéramens, qui n’a rien que de vil et d’intéressé, et dont l’admission doit nous rendre d’autant plus malheureux, qu’il est impossible que, par ce trafic bas et honteux, l’homme puisse retirer sa mise ; c’est donc, alors, le calcul d’un fou, et il y a de la faiblesse à s’y rendre.
Je sais qu’on dit quelquefois en faveur de la vertu, elle est si belle que le méchant même est contraint à la respecter ; mais Juliette, ne soyez pas la dupe de ce sophisme ; si le méchant respecte la vertu, c’est qu’elle lui sert, c’est qu’elle lui est utile, elle n’est en contradiction avec lui que par l’autorité des loix, jamais par ses procédés physiques ; ce n’est jamais l’homme vertueux qui nuit aux passions de l’homme criminel, c’est l’homme vicieux, parce qu’ayant tous deux les mêmes intérêts, tous deux nécessairement doivent se nuire, et se croiser dans leurs opérations, plutôt que le criminel avec l’homme vertueux n’a jamais de discussions semblables. Ils peuvent bien ne pas s’accorder de principes ; mais ils ne se heurtent pas, ils ne se nuisent pas dans leurs actions ; les passions du méchant, au contraire, voulant dominer impérieusement, rencontrent à tout instant celles de son semblable, et leurs discussions doivent être perpétuelles. Cet hommage que le scélérat rend à la vertu, n’est donc encore qu’égoïste ; ce n’est pas l’idole qu’il encense, c’est le repos dont elle le laisse jouir. Mais, vous dit-on quelquefois, le sectateur de la vertu y trouve une jouissance, d’accord ; il n’y a sorte de folie qui ne puisse en donner ; la jouissance n’est pas ce que je nie, je soutiens seulement que tant que la vertu est jouissance, non-seulement elle est vicieuse, je l’ai démontré, mais qu’elle est faible, et qu’entre deux jouissances vicieuses, je dois me déterminer pour la plus vive.
Le degré de violence dont on est ému, caractérise seul l’essence du plaisir ; celui qui n’est que médiocrement agité par une passion, ne peut jamais être aussi heureux que celui qu’une passion forte remue vivement ; or, quelle différence d’émotion entre les plaisirs que donne la vertu, et ceux procurés par le vice ; celui qui prétend avoir éprouvé quelque bonheur à remettre aux mains d’un héritier le fidéicommis d’un million, dont il était secrètement chargé, je le suppose, pourra-t-il soutenir que cette portion de bonheur a été aussi forte que celle, ressentie par celui qui aura mangé le million après s’être sourdement défait de l’héritier ? À tel point que le bonheur soit dans notre façon de penser, ce n’est point tant que par des réalités qu’il enflamme notre imagination, et telle flattée que puisse être celle de notre honnête homme, assurément il n’aura pas fait éprouver, par son bonheur idéal à son individu, autant de sensations piquantes qu’auront pu le faire toutes les jouissances réitérées, que ce sera très-physiquement procuré l’autre avec son million. Mais le vol… mais le meurtre de l’héritier auront, direz-vous, contrebalancé son bonheur ; nullement si ses principes sont faits, toutes ces choses là ne peuvent nuire au bonheur, qu’autant qu’elles donnent des remords ; mais l’homme affermi dans sa façon de penser ; celui qui sera parvenu à vaincre entièrement en lui ces réminiscences fâcheuses du passé, goûtera le bonheur sans mélange, et la différence qu’il y aura de l’un à l’autre, consistera en ce que le premier ne pourra s’empêcher de dire dans certaines occasions de sa vie. Ah ! si j’avais pris ce million, j’en jouirais, au lieu que l’autre ne dira jamais… Pourquoi l’ai-je pris ? Ainsi l’action vertueuse aura pu donner naissance aux remords, et la mauvaise l’éteint nécessairement par sa constitution. En un mot, la vertu ne peut jamais procurer qu’un bonheur phantastique ; il n’y a de véritable félicité que dans les sens, et la vertu n’en flatte aucun. Est-ce d’ailleurs à la vertu que l’on attache les places, les honneurs, les richesses ; ne voyons-nous pas tous les jours le méchant comblé de prospérité, et l’homme de bien, languir dans les fers. S’attendre à voir la vertu récompensée dans l’autre monde, est une chimère qui n’est plus admissible ; de quoi sert donc le culte d’une divinité fausse… tirannique… égoïste presque ; toujours vicieuse elle-même, (je l’ai prouvé) qui n’accorde aucun bien à ceux qui la servent actuellement, et qui n’en promet dans l’avenir que d’impossibles ou de trompeurs ? Il y a du danger, d’ailleurs à vouloir être vertueux dans un siècle corrompu ; cette singularité seule nuit au bonheur qu’on pourrait attendre de la vertu, et il vaut absolument mieux être vicieux avec tout le monde, que d’être honnête homme tout seul. Il y a si loin de la manière dont on vit, à celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse, dit Machiavel, ce qui se fait pour ce qui devrait se faire, cherche à se perdre plutôt qu’à se conserver, et par conséquent il faut qu’un homme qui fait profession d’être tout-à-fait bon, parmi tant d’autres qui ne le sont pas, périsse tôt ou tard. Si les malheureux ont de la vertu, ne soyons pas encore la dupe de ce sentiment dans eux, c’est qu’ils ne peuvent plus placer leur orgueil que dans cette frêle jouissance ; elle les console des pertes qu’ils font, voilà leur secret.
Pendant cette savante dissertation, madame de Noirceuil et les Gitons s’étaient endormis. Ce sont des imbécilles que ces êtres là, dit Noirceuil, ce sont les machines de nos voluptés, cela est trop bête pour rien sentir, ton esprit plus subtil, me conçoit, m’entend, me devine ; je le vois, Juliette, tu aimes le mal. — Beaucoup, monsieur, il me tourne la tête. — Tu iras loin, mon enfant… je t’aime, je veux te revoir. — Je suis flattée de vos sentimens, monsieur, j’ose presque dire que je les mérite, par la conformité des miens aux vôtres… J’ai eu quelqu’éducation, une amie a formé mon esprit au couvent. Hélas, monsieur ! ma naissance aurait dû me préserver de l’humiliation dans laquelle je suis, et à ce sujet je racontai mon histoire à Noirceuil. Je suis désespéré de tout ce que vous me dites, Juliette, me répondit Noirceuil, après m’avoir écouté avec la plus grande attention. — Et pourquoi donc ? — Le voici : J’ai beaucoup connu votre père, je suis cause de sa banqueroute, c’est moi qui l’ai ruiné, maître un instant de toute sa fortune, je pouvais la doubler ou la faire passer dans mes mains ; par une juste conséquence de mes principes, je me suis préféré à lui ; il est mort ruiné, et j’ai trois cent mille livres de rente ; après votre aveu, je devrais nécessairement réparer envers vous l’adversité où mes crimes vous ont plongée, mais cette action serait une vertu ; je ne m’y livrerai point, j’ai la vertu trop en horreur, ceci met d’éternelles barrière entre nous, il ne m’est plus possible de vous revoir. — Homme exécrable, m’écriai-je, à quelque degré que je sois victime de tes vices, je les aime… Oui, j’adore tes principes… — Oh, Juliette, si vous saviez tout ! — Ne me laissez rien ignorer. — Votre père… votre mère. — Eh bien. — Leur existence pouvait me trahir… il fallait que je les sacrifiasse, ils ne sont morts, à peu de distance l’un de l’autre, que d’un breuvage que je leur fis prendre dans un souper chez moi… Un frémissement subit s’empare ici de toute mon existence ; mais fixant aussitôt Noirceuil avec ce flegme apatique de la scélératesse qu’imprimait malgré moi la nature au fond de mon cœur : Monstre, je te le répète, m’écriai-je… tu me fais horreur, et je t’aime. — Le bourreau de ta famille. — Et que m’importe, je juge tout par les sensations ; ceux dont tes crimes me séparent, ne m’en faisaient naître aucune, et l’aveu que tu me fais de ce délit, m’embrâse, me jette dans un délire dont il m’est impossible de rendre compte. Charmante créature, me répondit Noirceuil, ta naïveté, la franchise de l’ame que tu me développes, tout me détermine à transgresser mes principes ; je te garde, Juliette, je te garde, tu ne retourneras plus chez la Duvergier. Mais monsieur… votre femme. — Elle te sera soumise, tu régneras dans ma maison, tout ce qui l’occupe sera sous tes ordres ; on n’obéira qu’à toi seule ; voilà l’empire du crime sur mon ame, tout ce qui en porte l’empreinte me devient cher ; la nature m’a fait pour l’aimer, il faut qu’en abhorrant la vertu, je tombe malgré moi, sans cesse aux pieds du crime et de l’infamie. Viens, Juliette, je bande, présente-moi ton beau cul, que je le foute, je vais mourir de plaisir en imaginant que je rends victime de ma lubricité le rejetton de celle de mon avarice. — Oui, fouts-moi, Noirceuil, j’aime l’idée de devenir la putain du bourreau de tous mes parens, fais couler mon foutre au lieu de mes pleurs, tel est le seul hommage que je veuille offrir aux cendres abhorrées de ma famille. Nous réveillâmes les accolites ; Noirceuil se fit enculer en me sodomisant, et ayant établi les fesses de sa femme au-dessus de mes reins, il les lui mordit, les lui pinça, les lui claqua, et tout cela d’une telle force, que la pauvre créature avait le cul tout meurtri quand Noirceuil eut perdu son foutre.
Dès l’instant je fus établie dans la maison. Noirceuil ne voulut pas même me laisser retourner chez la Duvergier pour y prendre mes hardes ; il me présenta le lendemain à ses domestiques, à ses connaissances, comme une cousine, et je devins chargée de ce moment, de faire les honneurs de chez lui.
Il me fut cependant impossible de ne pas saisir un moment pour aller revoir mon ancienne matrone ; j’étais bien éloignée de l’envie de l’abandonner tout-à-fait ; mais pour mieux en tirer parti, je ne voulais pas avoir l’air de me jeter à sa tête. Viens, viens, ma chère Juliette, me dit la Duvergier aussitôt qu’elle me vit, je t’attendais avec impatience, j’ai mille et mille choses à te dire ; nous nous enfermons dans son cabinet, et là, après m’avoir embrassé bien chaudement, félicité du bonheur que je venais d’avoir, de plaire à un homme aussi riche que Noirceuil ; Juliette, me dit-elle, écoute-moi.
Je ne sais quelle idée tu te fais de ta nouvelle position ; mais si tu allais malheureusement t’imaginer que ta qualité de fille entretenue t’engageât à une fidélité à toute épreuve, et cela avec un homme qui voit sept ou huit cents filles par an, certes, mon ange, tu serais dans une grande erreur ; quelque riche que soit un homme, et quelque bien qu’il nous fasse, nous ne lui devons jamais aucune reconnaissance ; car il travaille pour lui seul en nous comblant de biens. L’or dont il nous couvre, n’est l’effet, ou que de l’orgueil qu’il met à nous avoir à lui seul, ou que de la jalousie qui lui fait prodiguer ses trésors pour que personne ne partage l’objet de son amour ; mais je te demande, Juliette, si les extravagances d’un homme doivent jamais être pour nous des motifs suffisans à servir sa folie ? De ce qu’un homme doit être blessé de nous voir dans les bras d’un autre, s’ensuit-il que nous devions nous gêner pour ne pas y être ? Je vais plus loin : aima-t-on à la fureur l’homme avec lequel on vit, fût-on sa femme, sa maîtresse la plus chère, il y aurait toujours l’absurdité la plus complette à nous imposer des fers. On peut foutre de toutes les façons possibles sans rien enlever aux sentimens du cœur. On aime tous les jours un homme à l’excès, et l’on n’en fout pas moins avec un autre ; ce n’est pas le cœur qu’on donne à celui-ci, c’est le corps. Les écarts les plus effrénés, les plus multipliés du libertinage n’enlèvent rien à la délicatesse de l’amour, D’ailleurs en quoi consiste le mal qu’on fait à l’homme qu’on outrage en se prostituant à un autre ? Tu m’avoueras que ce n’est tout au plus qu’une lésion morale ; il n’y a qu’à prendre les plus grandes précautions pour qu’il ne puisse jamais savoir l’infidélité qu’on lui fait ; de ce moment il ne peut en être blessé ; je dis plus, une femme très-sage qui néanmoins donnerait prise à quelques soupçons sur elle, soit que ces soupçons naquissent de l’imprudence, soit qu’ils fussent les fruits du mensonge, serait, toute vertueuse que vous voudrez la supposer, infiniment plus coupable pourtant vis-à-vis de l’homme qui l’aime, que celle qui, quoiqu’elle se livrât du matin au soir, aurait pourtant l’art de le cacher à tous les yeux. Je vais plus loin encore, je dis qu’une femme, quelques raisons qu’elle ait de ménager un homme, de l’aimer même, peut donner à un autre, et son cœur et son corps ; elle peut même, en aimant beaucoup un homme, aimer, cependant beaucoup aussi, l’être avec lequel elle couche accidentellement ; alors, c’est une inconstance, et rien selon moi, ne s’arrange aussi bien avec les grandes passions, comme l’inconstance. Il y a deux façons d’aimer un homme, l’amour moral, et l’amour physique ; une femme peut idolâtrer moralement son amant, ou son époux, et aimer physiquement et momentanément le jeune homme qui lui fait la cour ; elle peut se livrer à lui, sans offenser, en quoique ce puisse être, les sentimens moraux dûs au premier ; tout individu de notre sexe qui pense différemment, est une folle, qui ne travaille qu’à son infortune. Une femme à tempérament, d’ailleurs, peut-elle s’en tenir aux caresses d’un seul homme ? Si cela est, voilà donc la nature en perpétuelle opposition avec vos prétendus préceptes de constance et de fidélité. Or, dis-moi, je te prie, de quel poids doit être aux yeux d’un homme sensé, un sentiment toujours en contradiction avec la nature ? Un homme assez ridicule pour exiger d’une femme de ne se livrer jamais à d’autres qu’à lui, commettrait une bisarerie aussi grande, que celui qui voudrait que son épouse ou sa maîtresse ne dinât jamais avec d’autres ; il exercerait, de plus, une horrible tyrannie ; car, de quel droit, n’étant pas en état de satisfaire à lui seul une femme, exige-t-il que cette femme souffre, et ne puisse se contenter avec un autre ? Il y a à cela un égoïsme, une dureté incroyables, et si-tôt qu’une femme reconnaît de tels sentimens dans celui qui prétend l’aimer, cela doit suffire pour la déterminer à se dédomager sur-le-champ de la gêne cruelle où son tyran veut la réduire ; mais, si au contraire, une femme n’est liée à un homme que par intérêt, quel plus puissant motif n’aura-t-elle pas, de ne contraindre en quoi que ce puisse être, et ses penchans, et ses desirs ; elle n’est plus, de ce moment, obligée de se prêter que quand on la paye, elle ne doit son corps qu’à l’instant du payement, toutes les autres heures sont à elles, et c’est alors, que les inclinations du cœur lui deviennent bien plus permises ; pourquoi se gênerait-elle, puisqu’elle n’est plus engagée que physiquement ? l’amant payeur, ou l’époux, doivent être trop judicieux, alors, pour exiger de l’objet de leur tendresse, un cœur qu’ils doivent bien savoir impayable ; ils ont trop de raison, pour ne pas sentir qu’on n’achète point les sentimens de l’ame. De ce moment, pourvu que la femme que l’un ou l’autre paye, se prête à ce qu’ils desirent, ils n’ont plus de reproches à lui faire, et ils passeraient pour des fous, s’ils en exigeaient davantage. Ce n’est pas, en un mot, la vertu d’une femme qu’un amant, ou qu’un mari veut, c’est l’apparence : Qu’elle ne foute point, et qu’elle en ait l’air, elle est perdue ; qu’elle foute, au contraire, avec le monde entier, et qu’elle se cache, la voilà une femme à réputation[16]. Des exemples vont appuyer mes assertions, Juliette : l’instant où tu viens me voir, est propre à te convaincre ; j’ai là dedans quinze femmes, au moins, qui viennent se prostituer chez moi, ou que je vais envoyer se faire foutre à la campagne ; jettes un coup-d’œil sur elles, je te raconterai leur histoire en te les désignant, mais, songes que ce n’est qu’en ta faveur, que je me permets une telle imprudence, je ne l’oserais pas avec d’autres.
La Duvergier ouvrit, à ces mots, une petite croisée secrète, qui, sans être vue, nous permit d’observer tout ce qui était dans le salon ; tiens, me dit-elle, vois ce cercle ; en te disant qu’il y en avait quinze, t’ai-je trompée ? Comptes-les.
Quinze femmes charmantes, mais toutes différemment costumées, attendaient effectivement, en silence, les ordres qu’on allait leur signifier.
Commençons, me dit Duvergier, par cette belle blonde que tu vois la première, au coin de la cheminée ; nous suivrons le cercle, en partant de là ; c’est la duchesse de St.-Fal, dont la conduite ne peut être blâmée, sans doute ; car, toute jolie qu’elle est, son mari ne saurait la souffrir. Quoique tu la voies ici, elle n’en prétend pas moins à la plus haute vertu ; elle a une famille qui l’observe, et qui la ferait enfermer, si sa conduite était connue ; mais, dis-je à la Duvergier, toutes ces femmes ne risquent-elles rien à se trouver ainsi réunies ! Elles peuvent se revoir ailleurs, et se perdre : premièrement, me répondit la matrone, elles ne se connaissent pas ? mais si par la suite, elles venaient à se connaître, que l’une dirait-elle à l’autre, que celle-ci ne pût aussitôt rétorquer contre son accusatrice ; liées toutes par le même intérêt il n’est donc nullement à craindre qu’elles se trahissent ; et depuis vîngt-cinq ans que je sers, elles ou leurs pareilles, je n’ai jamais ouï parler d’indiscrétions semblables ; elles ne les redoutent même pas : poursuivons.
Cette grande femme, d’environ vingt ans, que tu vois près de la duchesse, et dont la figure céleste ressemble à celle d’une belle vierge, est folle de son mari ; mais un tempérament fougueux la domine ; elle me paye, pour lui faire voir des jeunes gens : crois-tu qu’elle est déjà libertine, au point que, quelqu’argent que j’y mette, il m’est impossible de lui trouver de vits assez gros pour la satisfaire.
Regarde un ange non loin de là ; c’est la fille d’un conseiller au parlement ; la ruse seule me la donne ; sa gouvernante me la conduit ; à peine a-t-elle quatorze ans ; je ne la livre qu’à des passions où la fouterie n’entre pour rien ; on m’offre cinq cents louis de son pucelage ; je n’ose la donner ; elle attend un homme qui décharge, rien qu’en lui baisant le derrière ; il veut me donner mille louis de son cul : comme il y a moins de dangers, je vais arranger cela tout-à-l’heure.
Cette autre fille de treize ans, que tu vois ensuite, est une petite bourgeoise que j’ai subornée ; elle va épouser un homme qu’elle aime à la folie ; mais elle s’est rendue aux mêmes leçons que je viens de te faire. Je vendis hier son pucelage anti-physique à Noirceuil, il en jouira demain : un jeune évêque me la débourre aujourd’hui, dans le même sens ; comme il l’a bien plus petit que ton amant, celui-ci ne s’en doutera pas.
Observe avec attention cette jolie femme de vingt-six ans ; elle vit avec un homme qui l’adore… qui la couvre de biens ; tous lui ont fait des choses incroyables, l’un pour l’autre : la petite coquine n’en fout pas moins ; elle aime les hommes à la fureur ; son amant lui-même lui en a permis autrefois, et c’est à lui seul qu’elle doit s’en prendre, des désordres dans lesquels elle se plonge ; elle profite des exemples qu’il lui a donnés, et elle fout tous les jours ici, sans que le cher homme le sache.
Cette jolie brune que tu vois près d’elle est la femme d’un vieillard, qui l’a épousée par amour ; elle pousse les attentions qu’elle a pour lui, au point de s’en faire une étonnante réputation de vertu : tu vois comme elle s’en dédommage ; elle attend ici deux jeunes gens ; et cet après midi elle reviendra pour celui qu’elle aime ; ceux de ce matin sont pour la débauche ; le cœur seul sera satisfait ce soir.
À côté d’elle est une dévote, regarde son costume ; cette coquine-là passe sa vie au sermon, à la messe et au bordel ; elle a un mari qui l’adore, mais qui ne peut la corriger, aigre, impérieuse dans son ménage, elle croit que ses momeries doivent lui faire pardonner tout. Quoique son pauvre époux ait fait sa fortune, elle ne le rend pas moins le plus malheureux des hommes ; elle me donne à moi une peine horrible pour la contenter, parce qu’elle ne veut foutre qu’avec des prêtres. Il est vrai que l’âge et la tournure lui sont de la plus grande indifférence, pourvu que ce soit un croque dieu, la putain est contente.
Au dessous d’elle est une femme entretenue, à deux cents louis par mois ; on lui donnerait le double, qu’on ne l’empêcherait pas de faire des parties ; c’est une de mes élèves ; son vieil archevêque parierait ses bénéfices, qu’elle est plus chaste que la vierge, aux dépens de qui le drôle la nourrit ; si tu voyais comme elle le trompe : Voilà l’art des femmes, Juliette, il faut l’employer dans notre état, ou se résoudre à y mourir de faim.
Vient ensuite une petite bourgeoise de dix-neuf ans, jolie comme tu vois, au-delà de tout ce qu’il est possible de dire ; il n’y a rien que son amant n’ait fait pour elle ; il l’a retirée de la misère, il a payé ses dettes, il la tient maintenant sur le meilleur pied ; elle desirerait les astres, qu’il essayerait, je crois, de les déplacer pour les lui offrir, et la petite putain n’a pas un moment à elle qui ne soit employé à foutre. Ce n’est pas le libertinage qui guide celle-ci, c’est l’avarice ; elle fait tout ce qu’on veut, elle passe avec qui bon me semble, pourvu qu’on la paye très cher : a-t-elle tort ? Le brutal à qui je vais la livrer, la mettra pour six semaines au lit ; mais elle aura dix mille francs ; elle s’en moque — Et l’amant ? Bon ; une chûte, un accident, avec l’art qu’elle a, elle en imposerait à Dieu même.
Cette petite fille, continua la Duvergier, en me montrant un enfant de douze ans, joli comme l’amour, est dans un cas plus singulier ; c’est sa mère même qui la vend par besoin ; toutes deux pourraient s’occuper, on leur offre même du travail, elles n’en veulent pas ; le libertinage seul leur convient ; c’est encore à Noirceuil qu’est destiné le cul de cet enfant.
Voici le triomphe de l’amour conjugal. Il n’est point de femme qui chérisse son mari comme celle-ci, continua la Duvergier, en me faisant voir une créature de vingt-huit ans, belle comme Vénus ; elle l’adore, elle en est jalouse, mais le tempérament l’emporte ; elle se déguise, on la prend pour une vestale, et il n’y a pas de semaine où elle ne voie quinze ou vingt hommes chez moi.
En voici une pour le moins aussi jolie, poursuivit mon institutrice, et dans une position vraiment extraordinaire ; c’est son mari même qui la prostitue. Quoiqu’il en soit fou, il se mettra en tiers dans la partie, et servira lui-même de maquereau à sa femme ; mais il enculera le fouteur.
Le père de cette jeune personne, si belle et si gentille, livre de même ici cette charmante enfant ; mais il ne veut pas qu’on la foute ; tout le reste est indifférent, pourvu qu’on respecte les deux pucelages ; il sera de même en tiers ; je l’attends, car l’homme à qui je vais livrer sa fille est déjà là ; il y aura du plaisant dans la scène. Je suis fâchée que tu sois pressée, au point de ne pouvoir y jouer un rôle. Je sais qu’on t’y admettrait volontiers. — Et que s’y passera-t-il enfin ? — Le père voudra fouetter l’homme auquel il va livrer sa fille ; celui-ci ne le voudra pas ; mille bassesses de la part de l’un, mille refus opiniâtres de la part de l’autre, qui, s’armant d’un bâton, finira par rosser le père, en déchargeant sur le cul de la fille ? — Et le papa ? Il dévorera le foutre perdu, en répandant le sien, et mordant de rage le cul de celui dont il viendra d’être si bien rossé. — Quelle passion ! et que ferai-je là ? Le père s’en prendrait à toi des coups qu’on lui donnerait ! Tu serais peut-être un peu marquée ; mais cent louis de gratification. — Poursuivez, madame, poursuivez ; vous savez que je ne peux pas aujourd’hui.
Voici, pour l’avant-dernière, une très-jolie personne, jouissant de plus de cinquante mille livres de rente, et d’une excellente réputation ; elle aime les femmes ; vois comme elle les lorgne ; elle aime aussi les enculeurs, tout cela, sans cesser d’adorer son époux ; mais elle sait bien, que ce qui tient au physique, est absolument indépendant du moral. Elle fout avec son mari d’un côté, elle vient s’en faire donner ici de l’autre, tout cela s’arrange.
Cette dernière enfin est une célibataire à grandes prétentions, une des plus célèbres prudes de Paris ; elle battrait, je crois, dans le monde, un homme qui lui parlerait d’amour ; et je suis payée très-chèrement, par elle, pour la faire foutre une cinquantaine de fois, par mois, à ma petite maison.
Eh bien, Juliette ! balanceras-tu après tous ces exemples ? Non, sans doute, madame, répondis-je ; je foutrai chez vous par intérêt et par libertinage, je me livrerai à toutes les parties libidineuses qu’il vous plaira de m’envoyer ; mais lorsque mes prostitutions seront pour votre compte, je vous préviens que ce ne sera jamais à moins de cinquante louis. Tu les auras, tu les auras, me répondit la Duvergier au comble de la joie ; je ne voulais que ton acquiescement ; l’argent ne m’inquiète point ; sois douce, obéissante, ne refuses jamais rien, je te trouverai des monts d’or. Et comme il était tard, et que je craignais que Noirceuil ne fut inquiet de la longueur de cette première sortie, je retournai bientôt dîner à la maison, vraiment désespérée de n’avoir pas vu quelques-unes de ces femmes à l’ouvrage ou de le partager avec elles.
Madame de Noirceuil ne voyait pas de sang froid sa rivale établie chez elle ; la manière impérieuse et dure dont son mari lui avait enjoint de m’obéir, ne contribuait pas peu à l’aigreur qu’elle témoignait à tout instant ; il n’y avait pas un seul jour où elle n’en pleurât de dépit : infiniment mieux logée qu’elle, mieux servie, plus magnifiquement habillée, ayant une voiture à moi seule, pendant qu’elle jouissait à peine de celle de son mari, on doit facilement juger à quel point cette femme devait me haïr. Mais mon ascendant sur l’esprit de monsieur, était trop bien établi pour que j’eusse rien à redouter des boutades de madame.
Vous imaginez pourtant bien que ce n’était point par amour que Noirceuil agissait ainsi. Il voyait, dans ma société, des moyens de crimes : en fallait-il davantage pour sa perfide imagination. Rien n’était réglé comme les désordres de ce scélérat. Tous les jours, sans que jamais rien pût interrompre un pareil arrangement, la Duvergier lui fournissait une pucelle qui ne pouvait pas avoir plus de quinze ans et jamais moins de dix : il donnait cent écus par chacune de ces filles, et la Duvergier vingt-cinq louis de dommages et intérêts, si, Noirceuil pouvait prouver que la fille ne fut pas exactement vierge. Malgré toutes ses précautions, mon exemple vous prouve à quel point il était trompé chaque jour.
Cette séance de libertinage avait ordinairement lieu tous les soirs : les deux gitons, madame de Noirceuil et moi ne manquions jamais de nous y trouver, et chaque jour la tendre et malheureuse épouse devenait la victime de ces piquantes et singulières luxures. Les petites filles se retiraient et je soupais tête-à-tête avec Noirceuil, qui se grisait assez communément et finissait par s’endormir dans mes bras.
Depuis long-tems, il faut enfin que j’en convienne avec vous, mes amis, je brûlais de mettre en action les principes de Dorval ; il semblait que les doigts me démangeassent ; je voulais voler, à quelque prix que ce pût être. Mon épreuve n’était pas encore faite ; je ne doutais pas de mon adresse ; je n’étais embarrassé que du sujet avec lequel je devais l’employer ; j’avais le plus beau jeu du monde chez Noirceuil : sa confiance était aussi entière que ses richesses étoient immenses, ses désordres extrêmes. Il n’y avait pas de jour où je ne pusse lui dérober dix à douze louis, sans qu’il s’en doutât. Par les singulier calcul de mon imagination un sentiment dont j’aurais peut-être bien de la peine à me rendre compte, je ne voulus jamais me permettre de faire tort à un être aussi corrompu que moi ; c’est sans doute ici ce qu’on appelle la bonne foi des bohêmes ; mais je l’eus : un autre motif entra pour beaucoup aussi dans ce projet de réserve ; je voulais faire mal, en volant : cette idée embrâsait étonamment ma tête. Or, quel crime commettais-je en dépouillant Noirceuil ? Regardant ses propriétés comme les miennes, je ne faisais que rentrer dans mes droits ; donc, pas la plus légère apparence de délit dans ce procédé. En un mot, si Noirceuil eût été un honnête homme, je ne lui aurais pas fait la moindre grace ; c’était un scélérat, je le respectais. En me voyant tout-à-l’heure lui faire des infidélités, vous me demanderez, peut-être, pourquoi cette vénération ne me suivait point : par tout : oh ! ceci était différent ; il était dans mes principes de ne soupçonner aucun mal à l’infidélité : j’aimais dans Noirceuil, le libertinage, la singularité de l’esprit ; mais ne rafolant point de sa personne, je ne me croyais pas liée avec lui au point de ne pas lui manquer quand bon me semblerait. Je visais au grand ; en voyant beaucoup d’hommes, je pouvais trouver mieux que Noirceuil. Ce bonheur même ne me fût-il pas arrivé, les parties de la Duvergier devaient me valoir beaucoup… et je ne pouvais donc pas y sacrifier un sentiment chevaleresque pour Noirceuil, dans lequel aucune sorte de délicatesse ne pouvait foncièrement exister. D’après ce plan de conduite, j’acceptai, comme vous croyez bien, une partie que la Duvergier me fit proposer, quelques jours après l’entrevue dont je viens de vous parler avec elle.
Cette partie devait avoir lieu chez un millionaire qui n’épargnant rien pour ses plaisirs, payait au poids de l’or toutes les créatures assez complaisantes pour satisfaire à ses honteuses luxures, On n’imagine pas le degré d’extension que peut avoir le libertinage ; on ne se fait pas d’idée du point ou il dégrade l’homme qui n’écoute plus que les chatouilleuses passions inspirées par ce délicieux vice.
Six filles charmantes de chez la Duvergier devaient m’accompagner chez ce Crésus. Mais, plus distinguée que les autres, à moi seule s’adressait le véritable culte dont mes compagnes n’étaient que les prêtresses : on nous fit entrer, dès en arrivant, dans un cabinet tendu de satin brun, couleur adoptée, sans doute, pour relever l’éclat de la peau des sultanes qui y étaient reçues ; et, là, l’introductrice nous prévint de nous déshabiller : dès que je le fus, elle me ceignit d’une gaze noire et argent, qui me distinguait de mes compagnes : cette parure, le canapé sur lequel on me plaça pendant que les autres, debout, attendaient en silence les ordres qui devaient leur être donnés, l’air d’attention que l’on eût pour moi, tout me convainquit bientôt des préférences qui m’étaient destinées.
Mondor entre ; c’était un homme de soixante-six ans, petit, trapu, mais l’œil libertin et vif : il examine mes compagnes, et les ayant louées l’une après l’autre, il m’aborde en m’adressant quelques-unes de ces grosses gentillesses qu’on ne trouve que dans le dictionnaire des traitans. Allons, dit-il à sa gouvernante, si ces demoiselles sont prêtes, nous allons nous mettre à l’ouvrage. Trois scènes composaient l’ensemble de cet acte libidineux : il fallait, premièrement, pendant que j’allais, avec ma bouche, réveiller l’activité très-endormie de Mondor, il fallait, dis-je, que mes six compagnes, réunies en trois groupes, exécutassent, sous ses regards, les plus voluptueuses attitudes de Sapho ; aucunes de leurs postures ne devaient être les mêmes ; chaque instant devait les voir renouveller. Insensiblement les groupes se mêlèrent, et nos six tribades, exercées depuis plusieurs jours, formèrent enfin le tableau le plus neuf et le plus libertin qu’il fût possible d’imaginer. Il y avait une demi-heure qu’il était en action, quand je commençai seulement à m’apperçevoir d’un peu de progrès dans l’état de notre sexagénaire. Bel ange, me dit-il, ces putains me font, je crois, bander ; faites-moi voir vos fesses, car s’il arrivait que je fusse en état de perforer le beau cul que vous allez docilement offrir à mes baisers, en vérité, nous irions tout de suite au fait, sans avoir besoin d’autre chose. Mais Mondor, en augurant aussi bien de ses forces, n’avait pas consulté la nature. Allons, me dit-il, au bout d’un couple d’épreuves, suffisant à me faire voir quel allait être le genre de ses attaques, allons, je vois bien qu’il faut encore quelques véhicules ; et le groupe rompu, nous l’entourâmes toutes les sept. Alors, la duègne nous ayant armé chacune d’une bonne poignée de verges, nous tombâmes tour à tour sur le vieux cul ridé du pauvre Mondor, qui pendant que l’une fouettait, maniait les appas des six autres. Nous l’étrillâmes jusqu’au sang, et rien n’avança la besogne. Oh, ciel ! nous dit le pauvre homme, me voilà réduit aux dernières extrémités ; et tout suant, tout haletant, le vilain nous considérait pour nous demander des secours. Mes demoiselles, nous dit en ce moment la compâtissante duègne en rafraîchissant par des lotions d’eau de Cologne, les fesses déchirées de son maître, je ne vois plus qu’un seul moyen pour rappeler monsieur à la vie : et quel est ce moyen, madame, répondis-je, il n’en est point que nous n’adoptions pour le tirer de cette langueur : eh bien, répondit la duègne, je vais l’étendre sur ce canapé ; vous, aimable Juliette, agenouillée devant lui, vous continuerez à réchauffer, dans votre bouche de rose, l’outil glacé de mon pauvre maître. Je sais qu’aucune autre que vous ne réussirait à le rendre à la vie. Pour vous, mesdemoiselles, il faut que vous veniez, l’une après l’autre, exécuter trois choses assez singulières sur son individu ; le souffleter d’abord d’importance, lui cracher au visage, et lui peter au nez : à peine y aurez-vous toutes passé que vous verrez des effets bien surprenans de ce remède. La vieille dit : tout s’exécute ; et j’avoue que je reste confondue de la supériorité du restaurant ; le balon se gonfle dans ma bouche au point que je puis à peine le contenir ; il est vrai qu’on ne saurait se faire une idée de la rapidité avec laquelle tous les épisodes ordonnés s’exécutaient sur ce pauvre paillard ; et rien n’était plaisant comme les différens bruits qu’occasionnait à la fois, dans l’air, la multiplicité de ces pets, de ces soufflets et de ces expectorations. Enfin, le paresseux instrument se dérouille au point que je crois qu’il va crever sur mes lèvres, lorsque se relevant avec vîtesse, Mondor fait signe à sa gouvernante de tout préparer pour le dénouement : à mon cul seul en est réservé l’honneur : la vieille me place dans l’attitude exigée pour la sodomie ; Mondor, aidé, conduit par sa gouvernante, se plonge à l’instant au temple des plus doux plaisirs de cette passion : mais tout n’était pas dit. J’étais ratée sans l’épisode crapuleuse dont Mondor couronnait son extase. Il fallait, pendant que le paillard m’enculait, 1°. que sa gouvernante, armée d’un immense godmiché lui rendit le même service ; 2°. qu’une des filles, agenouillée sous moi, excitât beaucoup de bruit dans mon con en le branlant avec sa langue ; 3°. qu’un beau cul s’offrît à chacune de ses mains ; 4°. enfin, que les deux filles qui, restaient élevées à califourchon, la première sur mes reins, la seconde sur les reins de celle-ci, en chiant toutes deux à la fois, inondassent de merde, l’une la bouche du paillard, l’autre son front ; mais chacune, tour à tour, remplit ces deux derniers rôles : toutes chièrent, même la vieille ; toutes me branlèrent, toutes enculèrent Mondor, qui, cédant aux titillations de plaisir dont nous l’enivrions, darde enfin au fond de mon anus les déplorables jets de sa défaillante luxure. Quoi, madame, dit le chevalier en interrompant ici Juliette, quoi, vraiment la vieille chia aussi. — Assurément, reprit notre historienne, je ne conçois point qu’avec votre tête, chevalier, vous puissiez être étonné de cela ; plus une femme est ridée et plus elle convient à cette opération ; les sels sont plus âcres, les odeurs plus fortes… en général on se trompe sur les exhalaisons émanées de caput-mortuum de nos digestions ; elles n’ont rien de mal sain, rien que de très-agréable… c’est le même esprit recteur que celui des simples ; il n’est rien à quoi l’on s’accoutume aussi facilement qu’à respirer un étron ; en mange-ton, c’est délicieux, c’est absolument la saveur piquante de l’olive ; il faut, j’en conviens, monter un peu son imagination ; mais quand elle l’est bien, je vous assure que cet épisode compose un acte de libertinage très-sensuel… et dont j’essayerai avant qu’il soit long-tems, je vous le jure, madame, dit le chevalier en maniant complaisamment un vit, que l’idée dont il venait d’être question faisait horriblement bander. Quand vous voudrez, dit Juliette, je m’offre à vous satisfaire… tenez, à l’instant, si vous le desirez ; vous avez l’envie, moi j’ai le besoin, et le Chevalier prenant Juliette au mot, tous deux passèrent dans un cabinet voisin, dont ils ne sortirent qu’au bout d’une grosse demie-heure, employée sans doute par le chevalier, aux plus voluptueuses épreuves de cette passion, et par le marquis, à quelques vexations sur les fesses flétries de la malheureuse Justine. En vérité, c’est délicieux, dit, le chevalier en revenant. As-tu mangé, dit le marquis ? — Absolument tout… Je suis étonné que tu ne connaisses pas cela, il n’est pas aujourd’hui d’enfant de dix-huit à vingt ans qui ne l’ait fait faire à des filles ; allons, poursuivez Juliette, il est très-joli d’allumer nos passions, comme vous le faites par vos intéressans récits, et de les appaiser ensuite par vos délicieuses complaisances.Bel ange, me dit Mondor en m’entraînant avec lui dans son arrière cabinet, après avoir congédié les autres femmes, il vous reste un dernier service à me rendre, et c’est de celui-là que j’attends mes plus divins plaisirs. Il faut imiter vos compagnes, il faut chier comme elles, et rendre à-la-fois dans ma bouche, et l’étron divin de votre cul, et le foutre dont je viens de l’arroser. Assurément, monsieur, je suis prête à vous obéir, répondis-je avec humilité. — Quoi, d’honneur tu le peux ?… Fille adorable, ce service est en ta puissance ?… Ah ! je n’aurai jamais si bien déchargé.
Dès en entrant dans ce cabinet, j’avais remarqué sur le bureau un paquet assez volumineux, contenant, à ce que j’imaginais, des choses qui pouvaient devenir très-utiles à l’amélioration de ma fortune ; m’en emparer avec adresse, était devenu le premier vœu de mon cœur, aussitôt que je l’avais apperçu. Mais comment faire, j’étais nue, où fourrer ce paquet, presqu’aussi gros que mes deux bras, quoi qu’assez court, à la vérité. Monsieur, dis-je à Mondor, est-ce que vous n’appelez personne pour nous aider ? Non, dit le financier, je goûte seul cette dernière jouissance ; j’y mets des épisodes si lubriques, des détails si voluptueux… — Oh ! n’importe, n’importe, il nous faut quelqu’un. — Tu crois, mon ange. — Assurément monsieur. — Eh bien, va voir si toutes ces femmes sont parties ; si elles ne le sont pas, fait venir la plus jeune, son cul m’a fait assez bien bander, et c’est de toutes, celle que je desire le plus. — Mais monsieur, je ne connais pas votre maison… l’état, d’ailleurs dans lequel je suis. — Je vais sonner. — Gardez-vous en, monsieur, je ne veux point paraître ainsi aux yeux de vos valets. — Mais c’est la vieille qui viendra. — Point du tout, elle raccompagne les filles. — Oh que de mystère, que de tems perdu, et s’élançant aussitôt ; dans les appartemens que nous quittions l’imbécille, sans s’en appercevoir, me laisse au milieu de ses trésors. Plus de retenue ici, plus aucun motif, qui comme chez Noirceuil, m’empêcha de me livrer à l’excessif penchant que j’éprouvais à m’emparer du bien d’autrui ; je ne perds donc pas une minute ; dès que mon homme a le dos tourné, je saute sur le paquet, et l’entortillant dans l’épais chignon qui couvrait ma tête, je le dérobe par cette ruse, absolument à tous les yeux. À peine avais-je fini que Mondor m’appela ; les filles n’étaient point encore parties ; ne se souciant point de les faire passer dans son cabinet, il préferait que la scène eut lieu dans le même endroit qui avait été témoin des premières : nous y repassâmes, la plus jeune fille suça le vit du patient, il lui remplit la bouche de sperme, pendant que je déposais dans la sienne, le met qui lui plaisait tant. Rien ne s’apperçut, je me rajustai, deux voitures nous attendaient, et nous nous séparâmes du pèlerin, après en avoir été largement payées.
Oh Dieu ! me dis-je en rentrant chez Noirceuil, et considérant à mon aise le rouleau que j’avais dérobé. Est-il possible que le ciel favorise ainsi mon premier vol. Le paquet contenait pour soixante mille francs de billets payables au porteur, et sans qu’aucune nouvelle signature devînt nécessaire.
De retour chez moi, je vis que par une incroyable fatalité, pendant que je volais on me volait moi-même ; on avait forcé mon secrétaire, et cinq ou six louis que l’on y avait trouvé, étaient devenus la proie du ravisseur. Noirceuil, consulté sur ce fait, m’assura qu’il ne pouvait avoir été commis que par une nommée Gode, fort jolie fille de vingt ans, que Noirceuil avait attaché à mon service, depuis que j’étais dans sa maison, qu’il mettait même très-souvent en tiers dans nos plaisirs, et à laquelle, par un caprice digne du libertinage de son esprit, il s’était amusé de faire faire un enfant par un de ses gitons ; elle était grosse de six mois. — Quoi, monsieur, dis-je, vous croyez que c’est Gode. — J’en suis certain, Juliette, regarde son air confus, embarassé ; n’écoutant plus alors que mon perfide égoïsme, et nullement les résolutions que j’avais prises, de ne jamais vexer ni tourmenter ceux qui me paraîtraient aussi scélérats que moi, je me jette aux pieds de Noirceuil, pour le supplier de faire arrêter la coupable. Je le veux bien, me dit Noirceuil, avec un flegme qui eut dû m’éclairer, si mon esprit eût été plus présent. Mais tu ne jouiras pas de son supplice ; grosse, elle obtiendra des délais, et pendant ce terme, jeune et jolie, la coquine pourra fort bien se tirer d’affaire. — Oh Dieu, j’en serais désolée. — Je le sens bien, c’est au gibet que tu voudrais la voir ; mais cela ne se pourra pas de trois mois au moins. Écoute, Juliette, à supposer, même que tu pusses jouir de ce plaisir, ce qui, je le sens, en serait un très-vif pour la tête que je te connais ; cette volupté, dans le fond, ne serait que l’histoire d’un quart-d’heure ; prolongeons les tourmens de cette malheureuse ; faisons-la souffrir toute sa vie ; rien n’est plus aisé ; je vais la faire jeter dans un cachot de Bicêtre, où elle pourrira cinquante ans peut-être. — Oh, mon ami, le délicieux projet ! — Je ne te demande que la fin du jour pour l’exécuter, pour avoir le tems d’agir, et pour revêtir cet heureux plan de tous les épisodes qui peuvent lui prêter des charmes. J’embrasse Noirceuil ; il fait mettre ses chevaux, et revient deux heures après, muni de l’ordre nécessaire à l’exécution de notre dessein. Amusons-nous maintenant, me dit le traître ; mettons bien de la fourberie à tout cela. Gode, ma chère Gode, dit-il à cette pauvre fille en la faisant venir dans son cabinet avec moi, aussitôt que nous eûmes dîné. Tu connais mes sentimens, le tems approche où je veux t’en donner des preuves ; je vais unir ton sort à celui qui a laissé dans ton sein des preuves de son amour pour toi, et je vous fais deux mille écus de rente. — Oh, monsieur, que de graces ! — Non, point du tout, ma fille, ne me remercie point ; je te jure que tu ne me dois aucune reconnaissance ; je ne flatte absolument dans tout ceci que mes goûts. Te voilà sûre au moins à présent, par les précautions que je viens de prendre, d’avoir du pain pour le reste de tes jours ; et Gode, bien loin de saisir le double sens des perfides paroles de Noirceuil, arrosait des larmes de sa joie les mains de son prétendu bienfaiteur. Allons, Gode, poursuivit mon amant, un peu de complaisance pour la dernière fois, quoique je n’aime guères les femmes grosses, laisse moi t’enculer en baisant les fesses de Juliette ; tout s’arrange, je n’avais jamais vu Noirceuil si passionné. Comme l’idée d’un crime ajoute à la volupté ! lui dis-je tout bas. — Étonament, me répondit Noirceuil ; mais le crime où serait-il, si elle t’avait réellement volé ? — Tu as raison, mon ami. — Eh bien, console-toi, Juliette, console-toi, le crime est donc dans toute son étendue ; car je suis le seul coupable en cette aventure ; cette malheureuse est aussi innocente que toi, et il l’enculait pendant ce tems-là, en baisant ma bouche et claquant mon derrière ; je l’avoue, ce comble de scélératesse me fit aussitôt décharger ; en saisissant la main de mon amant et la portant à mon clitoris, je le priai de juger par le foutre dont il retira ses doigts tout couverts, du puissant effet de son infamie sur mon cœur ; il me suit de près, deux ou trois coups de reins furieux accompagnés d’horribles blasphêmes, m’annoncent son délire… Mais son vit est à peine hors du cul, qu’un valet-de-chambre frappant doucement à la porte, le prévient que le commissaire qu’il a fait avertir, fait demander la permission d’exécuter l’ordre dont il est porteur. Ah, bon, bon, qu’il attende là, dit Noirceuil, je vais lui livrer sa victime… Allons, Gode rajustez-vous, voilà votre mari qui vient vous chercher pour vous conduire lui-même à la maison de campagne dont je vous donne l’habitation pour votre vie. Gode se presse, Noirceuil la pousse dehors. Dieux ! quelle est sa frayeur en voyant l’homme noir et sa suite, en se sentant lier comme une criminelle, en entendant surtout (il paraît que c’est ce qui la frappât davantage) tous les domestiques de la maison prévenus, s’écrièrent, ne la manquez pas, monsieur le commissaire, c’est elle qui bien sûrement a forcé le bureau de mademoiselle, et qui par cette conduite épouvantable a laissé planer le soupçon sur nos têtes… Moi, forcer le bureau de mademoiselle, s’écria Gode en s’évanouissant ! oh Dieu, j’en suis incapable ; le commissaire voulût suspendre, mais Noirceuil ordonnant qu’on poursuivit l’opération sans aucun égard, la malheureuse fut enlevée et jetée dans les cachots les plus malsains de Bicêtre, où elle fit en arrivant une fausse couche qui pensa lui coûter la vie ; elle respire encore, il y a comme vous voyez, bien des années qu’elle pleure le tort qu’elle eut d’avoir irrité les desirs de Noirceuil, qui n’est jamais six mois sans aller jouir de ses larmes, et resserrer autant qu’il le peut, ses fers, par de nouvelles recommandations.
Eh bien, me dit Noirceuil, dès que Gode fut enlevée, en me rendant le double de l’argent pris chez moi, cela ne vaut-il pas cent fois mieux, de cette manière, que si elle eut été livrée au cours d’une justice incertaine et compatissante ; nous n’eussions pas été les maîtres de son sort, nous le sommes à jamais, maintenant. — Oh ! Noirceuil, que tu es fourbe, et quelle jouissance tu viens de te donner ! Oui, me répondit mon amant, je savais que le commissaire était à la porte, je déchargeais délicieusement dans le cul de la proie que j’allais lui livrer. — Oh ! mon ami, vous êtes bien scélérat ; mais, pourquoi faut-il que j’aie aussi goûté le plus grand plaisir, à l’infamie que vous avez commise ? Précisément, parce que c’en est une, me répondit Noirceuil, et qu’il n’en est point qui ne donne du plaisir ; le crime est l’ame de la lubricité ; il n’en est point de réelle sans lui : il y a donc des passions qui étouffent l’humanité : si cela est, elle n’est donc plus l’organe de la nature, cette fastidieuse humanité dont les moralistes nous entretiennent sans cesse, où il existe des momens pendant lesquels cette nature inconséquente éteint d’une voix, ce qu’elle conseille de l’autre. Eh ! Juliette, connais-tu mieux, cette nature complaisante et douce, elle ne nous conseille jamais de soulager les autre, que par intérêt, ou par crainte… par crainte, parce que nous redoutons pour nous, les maux que notre faiblesse soulage… par intérêt, dans l’espoir du profit, ou de la jouissance qu’en attend notre orgueil ; mais, dès qu’une passion plus impérieuse se fait entendre, tout le reste se tait, l’égoïsme, alors, reprend ses droits sacrés, nous nous moquons du tourment des autres ; et qu’aurait-il donc de commun avec nous, ce tourment ? Nous ne le ressentons jamais que par la frayeur d’un sort égal ; or, si la pitié naît de la frayeur, elle est donc une faiblesse, dont nous devons nous garantir, nous purger le plutôt qu’il est possible.
Ceci, dis-je à Noirceuil, demande des développemens. Vous m’avez démontré le néant de la vertu, je vous prie de m’expliquer, ce que c’est que le crime ; car, si d’un côté, vous anéantissez ce qu’il faut que je respecte, et que de l’autre, vous amoindrissiez ce que je dois craindre, vous aurez certainement mis mon ame dans l’état où je la desire, pour oser tout, dorénavant sans peur.
Assieds-toi, Juliette, me dit Noirceuil, ceci exige une dissertation sérieuse, et pour que tu puisses me comprendre, j’ai besoin de toute ton attention.
On appelle crime, toute contravention formelle, soit fortuite, soit préméditée, à ce que les hommes appellent les loix ; d’où, tu vois que voilà encore un mot arbitraire et insignifiant ; car, les loix sont relatives aux mœurs, aux climats ; elles varient de deux cents lieues, en deux cents lieues, de manière, qu’avec un vaisseau, ou des chevaux de poste, je peux me trouver, pour la même action, coupable de mort le dimanche matin à Paris, et digne de louanges, le samedi de la même semaine, sur les frontières d’Asie, ou sur les côtes d’Afrique. Cette complette absurdité a ramené le philosophe aux principes suivans :
1°. Que toutes nos actions sont indifférentes en elles-mêmes ; qu’elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises, et que si l’homme les qualifie quelquefois ainsi, c’est uniquement en raison des loix qu’il adopte, ou du gouvernement sous lequel il vit, mais, qu’à ne considérer que la nature, toutes nos actions sont parfaitement égales entr’elles.
2°. Que si nous ressentons au-dedans de nous-même un murmure involontaire qui lutte contre les mauvaises actions projetées par nous, cette voix n’est absolument l’effet, que de nos préjugés, ou de notre éducation, et qu’elle se trouverait bien différente, si nous étions nés dans un autre climat.
3°. Que si en changeant de pays, nous ne parvenions pas à perdre cette inspiration, cela ne prouverait rien pour sa bonté, mais que les premières impressions reçues, ne s’effacent que difficilement.
4°. Enfin, que le remords est la même chose, c’est-à-dire, le pur et simple effet des premières impressions reçues que l’habitude seule peut détruire, et qu’il faut travailler fortement à vaincre.
Et en effet, pour juger si une chose est véritablement criminelle, ou non, il faut examiner de quel dommage elle peut être à la nature ; car, on ne peut raisonnablement qualifier de crime que ce qui, vraiment outragerait ses loix ; il faut donc que ce crime se trouve uniforme, que ce soit une action quelconque, tellement en horreur à tous les peuples de la terre, que l’exécration qu’elle inspire, se trouve aussi généralement empreinte en eux, que le desir de satisfaire à leurs besoins ; or, il n’en existe pas une seule de cette espèce, celle qui nous paraît la plus atroce et la plus exécrable, a trouvé des autels ailleurs.
Le crime n’a donc rien de réel, il n’y a donc véritablement aucun crime, aucune manière d’outrager une nature toujours agissante… toujours trop au-dessus de nous, pour nous redouter en quoi que ce puisse être. Il n’est aucune action, telle épouvantable, telle atroce, telle infâme que vous puissiez la supposer, que nous ne puissions commettre indifféremment, toutes les fois que nous nous y sentons portés, que dis-je, que nous n’ayons tort de ne pas commettre, puisque c’est la nature qui nous l’inspire ; car, nos usages, nos religions, nos coutumes peuvent facilement, et doivent même nécessairement nous tromper, et la voix de la nature ne nous trompera certainement jamais ; c’est par un mélange absolument égal de ce que nous appelions crime et vertu, que ses loix se soutiennent ; c’est par des destructions qu’elle renaît, c’est par des crimes qu’elle subsiste ; c’est, en un mot, par la mort, qu’elle vit. Un univers totalement vertueux, ne saurait subsister une minute, la main savante de la nature fait naître l’ordre du désordre, et sans désordre, elle ne parviendrait à rien ; tel est l’équilibre profond qui maintient le cours des astres, qui les suspend dans les plaines immenses de l’espace, qui les fait périodiquement mouvoir ; ce n’est qu’à force de mal, qu’elle réussit à faire le bien ; ce n’est qu’à force de crimes, qu’elle existe, et, tout serait détruit, si la vertu seule habitait sur la terre. Or, je vous le demande, Juliette, dès que le mal est utile aux grands desseins de la nature, dès qu’elle ne peut parvenir à rien sans lui, comment, l’individu qui fait le mal, pourrait-il ne pas être utile à la nature ; et, qui peut douter que le scélérat ne soit un être qu’elle ait formé tel, pour accomplir ses vues. Pourquoi ne voulons-nous pas qu’elle ait fait parmi les hommes, ce que nous voyons qu’elle a fait parmi les animaux ; toutes les classes ne se dévorent-elles pas mutuellement, et ne s’affaiblissent-elles pas sur la terre, en raison de l’état où il est nécessaire que les loix de la nature se maintiennent. Qui doute que l’action de Néron, empoisonnant Agrippine, ne soit un des effets de ces mêmes loix, aussi constant que celui du loup qui dévore l’agneau ; qui doute que les proscriptions de Marius et de Sylla, ne soient autre chose que la peste et la famine qu’elle envoye quelquefois sur terre. Je sais bien qu’elle n’assigne pas aux hommes tel ou tel crime, de préférence, mais elle les crée tous, avec une certaine propension à tel genre de crimes : et de la réunion de tous ces forfaits, de la masse de toutes ces destructions légales ou illégales, elle en recueille le désordre et l’affaiblissement dont elle a besoin pour retrouver l’ordre et l’accroissement. Pourquoi, nous eut-elle donné les poisons, si elle n’eût pas voulu que l’homme s’en servît ? Pourquoi eût-elle fait naître Tibère, Héliogabale, Andronic, Hérode, Venceslas, et tous les autres scélérats ou héros (ce qui est synonyme) qui ravagent la terre, si les destructions de ces hommes de sang, ne remplissaient pas ses vues ? Pourquoi enverrait-elle, près de ces coquins-là, des pestes, des guerres, des famines, s’il n’était pas essentiel qu’elle détruisît, et, si le crime et la destruction ne tenaient pas essentiellement à ses loix ? Si donc, il est essentiel qu’elle détruise, pourquoi, celui qui se sent né pour détruire, résisterait-il à ses penchans ? Ne pourrait-on pas dire que, s’il faut qu’il y ait un mal sur la terre, ce doit être visiblement celui qu’on fait en résistant aux vues de la nature sur nous. Pour que le crime qui n’offense et qui ne peut offenser que notre semblable, pût irriter la nature, il faudrait supposer qu’elle prît plus d’intérêt a certains êtres qu’à d’autres, et que quoique nous fussions tous également formés de ses mains, nous ne fussions pourtant pas tous également ses enfans ; mais, si nous nous ressemblons tous, à la force près, si elle n’a pas pris plus de peine à former un empereur qu’un savetier, toutes ces différentes actions ne sont plus que des accidens nécessaires de la première impulsion, et qui doivent nécessairement s’accomplir, étant formés de la manière dont il lui a plû de nous construire ; quand nous voyons ensuite qu’elle a mis des différences physiques dans nos individus, qu’elle a créé les uns faibles, les autres forts, n’est il pas clair qu’elle a achevé de nous indiquer, par ces procédés, que c’était par la main du plus fort, que devaient s’accomplir les crimes dont elle avait besoin, comme il devait être de l’essence du loup de manger l’agneau, et de celle de la souris d’être dévorée par le chat.
C’était donc avec grande raison que les Celtes nos premiers aïeux, prétendaient que le meilleur et le plus saint des droits était celui du plus fort… que c’était celui de la nature, et que quand elle avait voulu nous assigner cette portion de force supérieure à celle de nos semblables, elle ne l’avait fait, que pour nous mieux apprendre le droit qu’elle nous donnait sur eux…… Ce n’était donc point à tort, que ces mêmes peuples, dont nous descendons, prétendaient que, non-seulement, ce droit était sacré, mais que l’intention même de la nature, en nous le donnant, était que nous en profitassions : qu’il fallait, pour remplir ses vues, que le plus fort dépouillât le plus faible ; et que celui-ci abandonnât de bonne grâce, ce qu’il n’était pas en état de défendre. Si les choses ont changées physiquement, elles sont toujours moralement les mêmes. L’homme opulent représente le plus fort dans la société ; il en a acheté tous les droits ; il doit donc en jouir et assouplir, pour cela, tant qu’il le peut, à ses caprices, l’autre classe d’hommes qui lui est inférieure, sans offenser en rien la nature, puisqu’il ne fait qu’user du droit qu’il en a reçu, soit matériellement, soit conventionnellement. Eh ! si la nature avait voulu nous empêcher de faire des crimes, s’il était vrai que les crimes l’irritassent elle aurait bien su nous enlever les moyens de les commettre ; quand elle les laisse à notre disposition, c’est qu’ils ne l’outragent point, c’est qu’ils lui sont indifférens ou nécessaires ; indifférens, s’ils sont légers ; toujours utiles s’ils sont capitaux ; car il est parfaitement égal que je dérobe la fortune de mon voisin, que je viole son fils, sa femme ou sa sœur ; tout cela sont des délits d’une trop mince importance pour qu’ils puissent lui devenir d’une utilité bien majeure ; mais il lui est très-nécessaire que je tue ce fils, cette femme ou cette sœur, quand elle me l’indique ; et voilà pourquoi les penchans… les désirs que nous éprouvons pour les grands crimes sont toujours plus violens que ceux que nous ressentons pour les petits, et que les plaisirs qu’ils nous donnent ont un sel mille fois plus piquant ; aurait-elle ainsi, par gradation, placé du plaisir à tous les crimes, si le crime ne lui était pas nécessaire ? ne nous indique-t-elle pas, au moyen de ce charme mis avec coquetterie, par sa main, que son intention est que nous suivions la pente où elle nous entraîne : ces chatouillemens indiscibles que nous éprouvons au complot d’un crime, cette ivresse où nous sommes, en nous y livrant ; cette joie secrète qui vient nous délecter encore quand il est fait ; tout cela ne nous prouve-t-il pas que, puisqu’elle a si bien placé l’attrait auprès du délit, c’est qu’elle veut que nous le commettions ; et que, puisqu’elle a doublé cet attrait, en raison de l’énormité, c’est que le forfait de destruction regardé conventionnellement comme le plus atroce, est pourtant celui qui lui plaît le mieux[17] ; car, soit que le crime vienne de la vengeance, soit qu’il vienne de l’ambition ou de la lubricité, examinons-nous bien, nous verrons que cet attrait dont je parle, accompagne toujours le forfait en raison de sa violence ou de sa noirceur ; et quand la destruction de nos semblables devient l’effet de la cause, l’attrait alors n’a plus de bornes, parce que c’est à cette destruction nécessaire que ses loix gagnent le plus.
O Noirceuil ! interrompis-je, dans un état de délire inexprimable, il est certain que j’ai eu le plus grand plaisir à l’action que nous venons de faire, mais que j’en aurais eu mille fois davantage à la voir pendre… Dis donc, scélérate, à la pendre de ta main… — Oh ! oui, oui, Noirceuil, je l’avoue, je décharge rien qu’en y pensant ; et tous ces plaisirs-là doublaient parce qu’elle était innocente, conviens-en, Juliette ; sans cela, l’action que nous avions commise devenait utile aux loix ; tout le délicieux de l’attrait du mal en disparaissait. Ah ! poursuivit Noirceuil, la nature nous aurait-elle donné nos passions, si elle n’avait pas su que le résultat de ces passions accomplirait ses loix ; l’homme l’a si bien senti, qu’il en a voulu faire aussi de son côté pour réprimer cette force invincible qui, le portant au crime, ne le laisserait pas subsister un moment ; mais il a fait une chose injuste, car les loix lui prennent infiniment plus qu’elles ne lui donnent ; et pour un peu qu’elles lui assurent, elles lui enlèvent étonnamment ; mais ces loix, qui ne sont que l’ouvrage des hommes, ne doivent obtenir aucune considération du philosophe : elles ne doivent jamais arrêter les mouvemens où le porte la nature ; elles ne sont faites que pour l’engager au mystère ; laissons-les nous servir d’abri, jamais de frein. Mais, mon ami, dis-je à Noirceuil, si les autres en disent autant, il n’y aura plus d’abri. Soit, répondit mon amant, nous redeviendrons, en ce cas, dans l’état d’incivilisation où nous a créé la nature, qui certainement, n’est pas très-malheureux. Ce sera alors au plus faible à se garantir d’une force et d’une guerre ouverte ; il verra tout ce qu’il aura à craindre, au moins, et n’en sera que plus heureux, puisqu’à présent il a de même cette guerre à soutenir, et qu’il lui est impossible de faire valoir, pour se défendre, le peu qu’il a reçu de la nature. Tous les états gagneraient à ce changement, cela est bien prouvé, et les loix ne seraient plus nécessaires. Mais, revenons[18].
Un de nos plus grands préjugés sur les matières dont il s’agit, naît de l’espèce de lien que nous supposons gratuitement entre un autre homme et nous ; lien chimérique… absurde, dont nous avons formé cette espèce de fraternité sanctifiée par la religion ; c’est sur cet objet principal que je dois jeter quelques lumières, parce que j’ai toujours vu que l’idée de ce lien fantastique gênait et captivait les passions infiniment plus qu’on ne pense ; et c’est en raison du poids qu’il a sur la raison humaine, que je veux le briser à tes yeux.
Toutes les créatures naissent isolées et sans aucun besoin les unes des autres ; laissez les hommes dans l’état naturel, ne les civilisez point, et chacun trouvera sa nourriture, sa subsistance, sans avoir besoin de son semblable : les forts pourvoiront à leur vie sans nécessité d’assistance : les faibles seuls en auront peut-être besoin ; mais ces faibles nous sont asservis par la main de la nature ; elle nous les donne ; elle nous les sacrifie ; leur état nous le prouve : donc le plus fort pourra, tant qu’il voudra, se servir du faible ; mais il est faux qu’il y ait aucun cas où il doive l’aider, car s’il l’aide, il fait une chose contraire à la nature ; s’il jouit de ce faible, s’il l’assouplit à ses caprices, s’il le tyrannise, le vexe, s’il s’en divertit, s’en amuse, ou le détruit, il sert la nature ; mais, je le répète, s’il l’aide au contraire, s’il l’égalise à lui, en lui prêtant une partie de ses forces, ou l’étayant d’une portion de son autorité, il détruit nécessairement alors l’ordre de la nature, il pervertit la loi générale, d’où il résulte que la pitié, bien loin d’être une vertu, devient un vice réel, dès qu’elle nous entraîne à troubler une inégalité exigée par les loix de la nature ; et que les philosophes anciens, qui la regardaient comme une faiblesse de l’ame, comme une de ses maladies dont il fallait promptement se guérir, n’avaient pas tort, puisqu’en voilà les effets diamétralement opposés aux loix de la nature, dont les différences et les inégalités sont les premières bases[19]. Le prétendu fil de fraternité ne peut donc avoir été imaginé que par le faible ; car il n’est pas naturel que le plus fort, qui n’avait besoin de rien, ait pu lui donner l’existence : pour assouplir le plus faible, sa force seule lui devenait nécessaire ; mais nullement ce fil, qui dès-lors n’est que l’ouvrage du faible… n’est plus fondé que sur un raisonnement aussi futile que le serait celui de l’agneau au loup : vous ne devez pas me manger, car j’ai quatre pieds comme vous.
Le faible, en établissant l’existence du fil de fraternité, avait des raisons d’égoïsme trop reconnues pour que le pacte établi par ce lien pût avoir rien de respectable ; d’ailleurs, un pacte quelconque n’acquiert de forces qu’autant qu’il a la sanction des deux partis ; or, celui-ci pût être proposé par le faible ; mais il est bien certain que le fort ne dût jamais y consentir : à quoi lui eût-il servi ? Quand on donne, c’est pour recevoir ; telle est la loi de la nature : or, en donnant de l’assistance au faible, en se dépouillant d’une portion de sa force pour l’en revêtir, qu’y gagnait le fort ? Et comment supposer comme réelle entre les hommes, l’existence d’un pacte que l’un des deux partis avait essentiellement le plus grand intérêt à ne pas consentir ; car enfin, le fort, en l’acceptant, se privait et ne gagnait rien ; il ne l’a donc point sanctionné, ce pacte ; de ce moment, il est donc idéal, et ne mérite de nous aucun respect. Nous pouvons rejeter, sans crainte, un arrangement proposé par nos inférieurs, dans lequel il n’y aurait pour nous que de la perte.
Que la religion de ce polisson de Jésus, faible, languissante, persécutée, singulièrement interressée à maîtriser les tyrans et à les ramener à des principes de fraternité qui lui assuraient du repos, ait sanctionné ces liens ridicules ; rien de plus simple ; elle joue ici le rôle du faible ; elle le représente ; elle doit parler comme lui : rien, là, ne doit nous surprendre ; mais que celui qui n’est ni faible, ni chrétien, s’assujétisse à des chaînes pareilles, à des nœuds qui lui ôtent et ne lui donnent rien : voilà ce qui est impossible, et nous devons conclure, de ces raisonnemens, que le fil de fraternité, non-seulement n’a jamais eu, ni pu avoir d’existence parmi les hommes, mais qu’il est même contre la nature, dont les intentions ne purent jamais être que l’homme égalisât ce qu’elle différenciait avec autant d’énergie : nous devons être persuadés que ce lien pût être, à la vérité, proposé par le faible, put être sanctionné par lui, quand l’autorité sacerdotale s’est trouvée par hasard en ses mains, mais que son existence est frivole, et que nous ne devons nullement nous y assujétir.
Il est donc faux que les hommes soient frères, interrompis-je avec vivacité, il n’y a donc aucun espèce de lien réel, entre un autre être et moi, et la seule manière dont je doive agir avec cet individu, est donc de retirer de lui tout ce que je pourai, en lui donnant le moins possible ? Assurément, me répondit Noirceuil ; car on perd de lui ce qu’on lui donne, et l’on gagne à ce qu’on lui prend. La première loi, d’ailleurs, que je trouve écrite au fond de mon ame, n’est pas d’aimer, encore moins de soulager ces prétendus frères, mais de les faire servir à mes passions ; d’après cela, si l’argent, si la jouissance, si la vie de ces prétendus frères est utile à mon bien être, ou à mon existence, je m’emparerai de tout cela à main armée, si je suis le plus fort, tacitement si je suis le plus faible ; si je suis obligé d’acheter une partie de ces choses, je tâcherai de les avoir, en donnant de moi, le moins possible ; je les arracherai si je puis, sans rien rendre ; car encore une fois, ce prochain ne m’est rien, il n’y a pas le plus petit rapport entre lui et moi, et si j’en établis, c’est dans la vue d’avoir de lui, par adresse, ce que je ne puis avoir par la force ; mais si je puis réussir par la violence, je n’userai d’aucun autre artifice, parce que les rapports sont nuls, et que ne devant plus m’en rien revenir, je n’ai plus besoin de les employer.
O Juliette ! sache donc fermer ton cœur aux accens fallacieux de l’infortune. Si le pain que ce malheureux mange est arrosé de ses larmes, si le travail pénible d’une journée suffit à peine pour lui donner le moyen de rapporter le soir à sa triste famille le faible soutien de ses jours ; si les droits qu’il est obligé de payer viennent absorber encore la meilleure partie de ses frêles épargnes ; si ses enfans nuds et sans éducation vont disputer au fond des forêts le plus vil aliment à la bête sauvage ; si le sein même de sa compagne, desséché par le besoin, ne peut fournir à son nourrisson, cette première partie de subsistance capable de lui donner la force d’aller, pour se procurer l’autre, partager celle des loups ; si, accablé sous le poids des années, des maux et des chagrins, il voit toujours, courbé par la main du malheur, arriver à pas lens la fin de sa carrière, sans que l’astre des cieux se soit un seul instant levé pur et serein sur sa tête affaissée, il n’y a rien-là que de très-simple, rien que de très-naturel, il n’y a rien qui ne remplisse l’ordre et la loi de cette mère commune qui nous gouverne tous, et tu n’as trouvé cet homme malheureux que par la comparaison que tu en as faites avec toi ; mais foncièrement il ne l’est pas : s’il t’a dit qu’il se croyait tel, c’était de même à cause de la comparaison qu’il établissait à l’instant, de lui à toi : qu’il se retrouve avec ses égaux, tu ne l’entendras plus se plaindre. Sous le régime féodal, traité comme la bête féroce, assoupli et battu comme elle, vendu comme le sol qu’il foulait aux pieds, n’était-il pas bien autrement à plaindre ; loin de prendre pitié de ses maux, loin d’adoucir ses malheurs, et de t’en composer ridiculement une peine, ne vois dans lui qu’un être que la nature t’offre pour en jouir à ton gré, et bien loin de sécher ses larmes, redoubles en la source, si cela t’amuse ; voilà les êtres que la main de la nature offre à la faux de tes passions ; moissone-les donc sans aucune crainte ; imite l’araignée, tends tes filets, et dévore impitoyablement tout ce qu’y jette la main savante de la nature.
Mon ami, m’écriai-je en pressant Noirceuil dans mes bras, que ne vous dois-je point, pour dissiper ainsi dans moi les affreuses ténèbres de l’enfance et du préjugé ! vos sublimes leçons deviennent pour mon cœur ce qu’est la rosée bienfaisante aux plantes desséchées par le soleil. O lumière de ma vie, je ne vois plus, je n’entends plus que par vous seul ; mais en annulant à mes yeux le danger du crime, vous me donnez l’ardent desir de m’y précipiter. Me guideriez-vous dans cette route délicieuse ? Tiendrez-vous devant moi le flambeau de la philosophie ? Vous m’abandonnerez peut-être après m’avoir égarée, et mettant avec moi-même en action, des principes aussi durs que ceux que vous me faites chérir, livrée à tout le péril de ces maximes, je n’aurai plus au milieu des ronces dont elles sont semées, ni votre crédit pour m’y soutenir, ni vos conseils pour me diriger.
Juliette, me répondit Noirceuil, ce que tu dis prouve de la faiblesse… exige de la sensibilité, et il faut être forte, et dure quand on se décide à être méchante ; tu ne seras jamais la proye de mes passions ; mais je ne te servirai jamais non plus ni d’étai, ni de protecteur ; il faut apprendre à marcher et à se soutenir isolément dans le chemin que tu choisis ; il faut savoir se garantir seule des écueils dont il est rempli, se familiariser à leur vue, et même à la destruction du navire, s’il vient à briser contre eux ; le pis aller de tout cela, Juliette, c’est l’échafaud, et en vérité, c’est peu de chose. Dès qu’il est décidé que nous devons mourir un jour, n’est-il donc pas égal que ce soit là ou dans notre lit. Faut-il l’avouer, Juliette, assurément le premier qui n’est l’affaire que d’une minute, m’effraye infiniment moins que l’autre, dont les accessoires peuvent être horribles ; quant à la honte, elle est en vérité si nulle à mes regards, que je ne la mets pour rien dans la balance. Tranquilise-toi donc, ma fille, et vole de tes propres ailes, tu courreras toujours moins de dangers. — Ah Noirceuil ! vous ne voulez pas quitter vos principes même pour moi. — Il n’est aucun être dans la nature en faveur de qui je puisse y renoncer. Poursuivons, je dois appuyer ma dissertation du néant des crimes par quelques exemples, c’est la meilleure façon de convaincre ; jetons un coup d’œil rapide sur l’Univers, et voyons combien tout ce que nous appelons crime s’érige en vertu d’un bout de l’Univers à l’autre.
Nous n’osons épouser les deux sœurs ; les sauvages de la Baye d’Hudson ne connaissent point d’autres liens. Jacob épousa Rachel et Lia.
Nous n’osons foutre nos propres enfans, bien que ce soit la plus délicieuse des jouissances ; point d’autres intrigues en Perse et dans les trois quarts de l’Asie. Loth coucha avec ses filles, et les engrossa toutes deux.
Nous regardons comme un très-grand mal la prostitution de nos propres épouses : en Tartarie, en Laponie, en Amérique, c’est une politesse, c’est un honneur que de prostituer sa femme à un étranger ; es Illiriens les mènent dans des assemblées de débauche, et les contraignent à se livrer au premier venu devant eux.
Nous croyons outrager la pudeur en nous offrant tous nuds aux regards des uns et des autres : presque tous les peuples du Midi vont ainsi sans y entendre la moindre finesse ; les anciennes fêtes de Priape, et de Bacchus se célébraient de cette manière. Licurgue obligea, par une loi, les jeunes filles à se présenter nues sur des théâtres publics. Les Toscans, les Romains se faisaient servir à table par des femmes nues. Il est une contrée dans l’Inde ou les honnêtes femmes vont de même ; il n’y a que les courtisannes de vêtues, pour mieux exciter la concupiscence ; ne voilà-t-il pas absolument le contraire de nos idées sur la pudeur ?
Nos généraux défendent le viol après l’assaut d’une forteresse ; les Grecs le donnaient pour récompense. Après la prise de Carbines, les Tarentins rassemblèrent les garçons, les vierges et les jeunes femmes qu’ils trouvèrent dans la ville, on les exposa nuds sur la place publique, et chacun choisit ce qui lui convenait, et pour le foutre et pour le tuer.
Les Indiens du Mont-Caucase vivent comme des brutes, ils se mêlent indistinctement. Les femmes de l’île de Hornes se prostituent publiquement aux hommes, jusqu’aux pieds du temple de leur Dieu.
Les Scithes et les Tartares révéraient les hommes que la débauche rendait impuissans à la fleur de l’âge.
Horace nous représente les Bretons, aujourd’hui les Anglais, comme très-libertins avec les étrangers ; ces peuples, assure-t-il, n’avaient aucune pudeur naturelle ; ils vivaient pêle-mêle, et en commun : frères, pères, mères, enfans, satisfaisaient également aux besoins de la nature, et ce qui en résultait, appartenait à celui qui avait couché avec la mère, quand elle était encore vierge. Ces peuples se nourrissaient de chair humaine[20].
Les Othaitiens satisfont publiquement leurs desirs ; ils rougiraient de se cacher pour cela. Les Européens leur firent voir leurs cérémonies religieuses, consistantes dans la célébration de cette ridicule jonglerie, qu’ils nomment messe. À leur tour ils demandèrent la permission de faire voir les leurs. C’était le viol d’une petite fille de dix ans, par un grand garçon de vingt-cinq. Quelle différence.
La débauche elle-même est encensée ; on élève des temples à Priape ; Vénus est adorée d’abord comme la déesse de la propagation, ensuite comme celle des luxures les plus dépravées, son cul seul reçoit de l’encens, et celle qui ne devait être que l’idole de la progéniture, devient bientôt la déesse des plus grands outrages que puisse faire l’homme à la génération, Il s’éclairait, il fallait bien qu’il devint vicieux ; ce culte oublié avec le paganisme, se révivifie dans les Indes, et le lingam, espèce de membre viril que les filles de l’Asie portent à leur col, n’est autre chose qu’un meuble à l’usage des temples de Priape.
Un étranger qui arrive au Pégu, loue une fille pour le tems qu’il doit passer dans le pays ; il en fait tout ce qu’il veut ; elle retourne ensuite dans sa famille, et n’en trouve pas moins à se marier.
L’indécence même devient une mode ; on a porté long-tems en France les parties naturelles de l’homme, relevées en bosse sur la veste ou sur la culotte.
À l’égard de la prostitution de ses sœurs ou de ses filles en usage chez presque tous les peuples du Nord, elle ne m’étonne pas ; celui qui se conduit ainsi, espère, ou des faveurs de celui auquel il prostitue, ou au moins de le voir agir, et cette lubricité est assez délicieuse pour être singulièrement recherchée. Il est un autre sentiment fort délicat dans ces sortes de prostitutions, et qui engage plusieurs hommes à livrer leurs femmes comme je le fais ; ce mouvement consiste à s’embrâser de l’infamie dont on se couvre soi-même, et il est excessivement chatouilleux ; plus l’on multiplie en ce cas les effets de sa honte, mieux l’on jouit. On voudrait traîner dans la boue l’objet qu’on s’amuse à livrer ; on voudrait le vautrer dans la crapule, faire en un mot ce que j’ai fait ; mener sa femme et sa fille au bordel, les faire racrocher au coin des rues, et les tenir soi-même, pendant l’acte de la prostitution.
Quoi, monsieur, interrompis-je, vous avez une fille ? J’en avais une, répondit Noirceuil. — De l’épouse que je vous connais ? — Non, de ma première ; celle-ci est ma huitième, Juliette. — Et comment, avec les goûts que je vous connais, pûtes-vous jamais faire un enfant ? — J’en eus plusieurs, ma chère, ne t’étonnes pas de ce procédé, on surmonte quelquefois des répugnances, lorsqu’il en doit résulter des plaisirs. — Ah monsieur, je crois vous entendre — Je t’expliquerai tout cela, mon ange, mais il faudra que tu sois bien estimable à mes yeux, pour que je te prouve combien je le suis peu moi-même, — Homme charmant, m’écriai-je, vous ne me serez jamais plus cher que quand vous m’aurez convaincu du point auquel vous méprisez les préjugés vulgaires ; et plus de crimes vous dévoilerez à mes yeux, plus d’encens vous obtiendrez de mon cœur. L’irrégularité de votre tête fait tourner la mienne ; je n’aspire qu’à vous imiter. Ah sacredieu, s’écria Noirceuil en m’enfonçant sa langue dans la bouche, je ne vis jamais une créature plus analogue à moi ; je l’adorerais, je crois, si je pouvais aimer une femme… Tu veux m’imiter, Juliette, je t’en défie ; si l’intérieur de mon ame pouvait s’entr’ouvrir, j’effrayerais tellement les hommes, qu’il n’en serait peut-être pas un seul qui osât m’approcher sur la terre ; j’ai porté l’impudence, et le crime, le libertinage et l’infamie au dernier période ; et si j’éprouve quelque remords, je proteste bien sincèrement qu’il n’est dû qu’au désespoir de n’en avoir pas assez fait. La prodigieuse agitation dans laquelle se trouvait Noirceuil, me convainquit que l’aveu de ses erreurs l’échauffait presqu’autant que leur action même. J’écartai la robe flottante qui l’enveloppait, et saisissant son membre plus dur qu’une barre de fer, je le plottai légèrement dans mes mains ; il distillait le foutre en détail. Que de crimes me coûte ce vit, s’écria Noirceuil, que d’exécrations je me suis permises pour lui faire perdre son sperme avec un peu plus de chaleur ; il n’est aucun objet sur la terre que je ne sois prêt à lui sacrifier ; c’est un Dieu pour moi, qu’il soit le tien, Juliette ; adore le, ce vit despote, encense-le, ce Dieu superbe ; je voudrais l’exposer aux hommages du monde entier ; je voudrais qu’il y eût un homme là, qui lit mourir dans d’affreux supplices tous ceux qui ne voudraient pas se courber devant lui… Si j’étais souverain, Juliette, je n’aurais pas de plus grand plaisir que celui de me faire suivre par des bourreaux qui massacreraient dans l’instant, tout ce qui choquerait mes regards… Je marcherais sur des cadavres, et je serais heureux ; je déchargerais dans le sang dont les flots couleraient à mes pieds.
Ivre moi-même, je me précipite aux genoux de cet étonnant libertin, j’adore avec enthousiasme, le mobile de tant d’actions dont les simples aveux irritent tellement celui qui les a commises ; je le prends dans ma bouche, je l’y suce pendant un quart-d’heure avec délices… Nous ne sommes pas assez, dit Noirceuil qui goûtait peu de plaisirs solitaires… Non ? laisse-moi ; il t’en cuirait peut-être, si tu prétendais à l’honneur de me faire décharger toute seule ; mes passions concentrées sur un point unique, ressemblent aux rayons de l’astre réunis par le ver ardent, elles brûlent aussitôt l’objet qui se trouve sous le foyer ; et Noirceuil écumant, comprimait fortement mes fesses.
Tel fut l’instant où l’un des conducteurs de Gode vint donner des nouvelles de son entrée à Bicêtre, et de l’enfant mort qu’elle avait pondu, dès en y arrivant ; voilà qui est bon, dit Noirceuil, en congédiant l’homme avec deux louis pour boire : on ne saurait trop, ce me semble, m’ajouta-t-il tout bas, payer l’annonce d’un tel évènement ; voilà du moins l’image d’un petit délit à la plaisanterie que nous nous sommes permis… Tu vois, Juliette !… tu vois comme mon vit en devient plus impérieux ; et faisant aussitôt venir dans son cabinet sa femme, et ce giton, père de l’enfant qu’il venait de détruire, il encule ce dernier, en lui apprenant cette nouvelle, et en contraignant madame de Noirceuil de sucer, à genoux, le vit du ganimède, pendant qu’il livre mon cul aux baisers de ce jeune homme, et que saisissant en dessous les mamelles de sa femme, il les lui tiraille, au point de lui faire pousser des cris, dont l’effet est si puissant sur ses organes, qu’il en perd son foutre à l’instant : tiens, Juliette, poursuit-il, en ordonnant à ce jeune homme de lui rendre dans la main, le foutre dont il vient de l’arroser, et en embarbouillant rudement le visage de sa femme, vois comme il est pur et beau mon sperme ; avais-je tort de te faire adorer ce Dieu dont la substance est aussi belle ; jamais celui que les sots prêtent pour moteur à l’univers, n’en versa d’aussi bouillonnant… d’aussi pur… Poursuivons, Juliette, dit-il, en congédiant son monde, je suis fâché d’avoir été contraint à m’interrompre.
Nous punissons le libertinage, reprit mon instituteur ; Plutarque nous apprend que les Samniens se rendaient journellement et sous la surveillance des loix dans un lieu nommé les Jardins, et qu’ils se livraient là, pêle-mêle, à des voluptés si lascives, qu’il était presqu’impossible de les imaginer ; en cet heureux endroit, continue l’historien, les distinctions du sexe, et les liens du sang, disparaissaient sous l’attrait du plaisir ; l’ami devenait la femme de son ami ; la fille, la tribade de sa mère, et plus souvent encore le fils, la catin de son père, à côté du frère enculant sa sœur.
Nous estimons beaucoup les prémices d’une fille. Les habitans des Philippines n’en font aucun cas. Il y a dans ces îles des officiers publics que l’on paye fort cher, pour se charger du soin de dévirginer les filles, la veille de leur mariage.
L’adultère était publiquement autorisé à Sparte. Nous méprisons les filles qui se sont prostituées ; les Lidiennes, au contraire, n’étaient estimées, qu’en raison de la multiplicité de leurs amans. Le fruit de leur prostitution était leur, unique dot.
Les Chypriennes, pour s’enrichir, allaient se vendre publiquement à tous les étrangers débarqués dans leur île.
La dépravation des mœurs est nécessaire dans un état ; les Romains le sentirent, en établissant dans toute l’étendue de la république, des bordels de filles et de garçons, et des théâtres, dont les filles dansaient toutes nues.
Les Babyloniennes se prostituaient une fois l’an, au temple de Vénus ; les Arméniennes étaient obligées de consacrer leur virginité aux prêtres du Tanaïs, qui les enculaient primitivement, et ne leur accordaient la faveur de la défloration, qu’autant qu’elles avaient courageusement soutenu les premières attaques : une défense, une larme, un mouvement, un cri, venait-il à leur échapper, elles étaient privées de l’honneur des secondes, et ne trouvaient plus à se marier.
Les Canariens de Goa font souffrir à leur fille un bien autre supplice ; ils les prostituent à une idole, fournie d’un membre de fer, dont la grosseur est démesurée ; ils les plongent de force sur ce terrible godmiché, que l’on a soin de chauffer prodigieusement ; tel est l’état d’élargissure où la pauvre enfant va chercher un mari, qui ne la prendrait pas sans cette cérémonie.
Les Caïnites, hérétiques du second siècle, prétendaient que l’on n’arrivait au ciel, que par l’incontinence, ils soutenaient que chaque action infâme avait un ange tutélaire ; et ils adoraient cet ange, en se livrant à d’incroyables débauches.
Ewen, ancien roi d’Angleterre, avait établi pour loi dans ses états, qu’aucune fille ne pouvait se marier, sans qu’il ne l’eût dévirginé. Dans toute l’Écosse, et dans quelques parties de la France, les grands vassaux jouissaient de ce droit.
Les femmes, ainsi que les hommes, arrivent à la cruauté par le libertinage ; trois cents femmes de l’Inca Atabaliba, au Pérou, se prostituèrent sur-le-champ, d’elles-mêmes aux Espagnols, et les aidèrent à massacrer leurs propres époux.
La sodomie est générale par toute la terre ; il n’est pas un seul peuple qui ne s’y livre ; pas un grand homme qui n’y soit adonné. Le saphotisme y règne également : cette passion est dans la nature comme l’autre, elle se forme au cœur de la jeune fille, dans l’âge le plus tendre, dans celui de la candeur et de l’innocence, lorsqu’elle n’a encore reçue aucune impression étrangère ; elle est donc l’organe de la nature ; elle est donc imprimée par sa main.
La bestialité fut universelle ; Xénophon nous apprend que pendant la retraite des Dix milles, les Grecs ne se servaient que de chèvres. Cette habitude est encore très-répandue dans toute l’Italie : le bouc est meilleur que sa femelle ; son anus plus étroit, est plus chaud ; et cet animal naturellement lubrique, s’agite de lui-même, dès qu’il s’apperçoit qu’on décharge : sois bien persuadée, Juliette, que je n’en parle que par expérience.
Le dindon est délicieux ; mais il faut lui couper le cou à l’instant de la crise ; le resserrement de son boyau vous comble alors de volupté[21].
Les Sybarites enculaient des chiens : les Égyptiennes se prostituaient à des crocodiles ; les Américaines à des singes ; on en vint enfin aux statues. Tout le monde sait qu’un page de Louis XV fut trouvé déchargeant sur le derrière de la Vénus aux belles fesses. Un grec arrivant à Delphes, pour y consulter l’oracle, trouva dans le temple deux génies de marbre, et rendit pendant la nuit son libidineux hommage à celui des deux qu’il avait trouvé le plus beau. Son opération faite, il le couronna de laurier, pour récompense des plaisirs qu’il en avait reçus.
Les Siamois croient non-seulement le suicide permis, mais ils pensent même que de se tuer soi-même, est un sacrifice utile à l’ame, et que ce sacrifice lui vaut son bonheur dans l’autre monde.
Au Pégu, on tourne et retourne cinq jours de suite, sur des charbons ardens, la femme qui vient d’accoucher ; c’est ainsi qu’on la purifie.
Les Caraïbes achètent les enfans, dans le sein même de la mère ; ils marquent au ventre, avec du rocou, ces enfans, dès qu’ils ont vu le jour, les dépucellent, à sept ou huit ans, et les tuent communément, après s’en être servis.
Dans l’île de Nicaragua, il est permis à un père de vendre ses enfans pour être immolés ; quand ces peuples consacrent leur maïs, ils l’arrosent de foutre, et dansent autour de cette double production de la nature.
On donne une femme, au Brésil, à chaque prisonnier qui va être immolé ; il en jouit ; et la femme souvent grosse de lui, aide à le déchiqueter, et participe au repas que l’on fait de sa chair.
Avant que d’être gouvernés par les Incas, les anciens habitans du Pérou, c’est-à-dire, les premiers colons venus de la Scithie, qui les premiers peuplèrent l’Amérique, avaient l’usage de sacrifier des enfans à leurs Dieux.
Les peuples des environs de Rio-Réal, substituent à la circoncision des filles, cérémonie en usage chez plusieurs nations, une coutume assez bizarre : dès qu’elles sont nubiles, ils leur enfoncent dans la matrice des bâtons garnis de grosses fourmis, qui les piquent horriblement ; ils changent avec soin ces bâtons, pour prolonger le supplice, qui ne dure jamais moins de trois mois, et quelquefois beaucoup davantage.
St.-Jérôme rapporte que dans un voyage qu’il fit chez les Gaulois, il vit les Écossais manger avec délices les fesses des jeunes bergers, et les tetons des jeunes filles ; j’aurais plus de confiance au premier de ces mets, qu’au second ; et je crois, avec tous les peuples antropophages, que la chair des femmes, comme celles de toutes les femelles d’animaux, doit être fort inférieure à celle du mâle.
Les Mingreliens et les Géorgiens sont les peuples de la terre les plus beaux et en même tems les plus adonnés à toutes sortes de luxure et de crime, comme si la nature eût voulu nous faire connaître, par-là, que ses écarts l’offensent si peu, qu’elle veut décorer de tous ses dons ceux qui y sont le plus adonnés : chez eux, l’inceste, le viol, l’infanticide, la prostitution, l’adultère, le meurtre, le vol, la sodomie, le saphotisme, la bestialité, l’incendie, l’empoisonnement, le rapt, le parricide, sont des actions vertueuses et dont on se fait gloire. Se rassemblent-ils, ce n’est que pour causer entre eux de l’immensité ou de l’énormité de leurs forfaits : des souvenirs et des projets de semblables actions deviennent la matière de leurs plus délicieuses conversations ; et c’est ainsi qu’ils s’excitent à en commettre de nouvelles.
Il y a un peuple au Nord de la Tartarie, qui se fait un nouveau Dieu tous les jours : Ce Dieu doit être le premier objet que l’on rencontre en s’éveillant le matin. Si par hasard c’est un étron, l’étron devient l’idole du jour ; et, dans l’hypothèse, celui-là ne vaut-il donc pas autant que le ridicule Dieu de farine adoré par les catholiques ? l’un est déjà matière excrémentale, l’autre le devient bientôt ; en vérité, la différence est bien légère.
Dans la province de Matomba, on enferme, dans une maison très-obscure, les enfans des deux sexes, lorsqu’ils ont atteint l’âge de douze ans ; et, là, ils souffrent, en manière d’initiation, tous les mauvais traitemens qu’il plaît aux prêtres de leur imposer, sans que ces enfans puissent, au sortir de ces maisons, ni rien révéler ni se plaindre.
Quand une fille se marie, à Ceylan, ce sont ses frères qui la dépucellent ; jamais son mari n’en a le droit.
Nous regardons la pitié comme un sentiment fait pour nous porter à de bonnes œuvres ; elle est, avec bien plus de raison, considérée comme un tort au Kamshatka : ce serait, chez ces peuples, un vice capital, que de retirer quelqu’un du danger où le sort l’a précipité. Ces peuples voyent-ils un homme se noyer, ils passent sans s’arrêter ; ils se garderaient bien de lui donner quelques secours.
Pardonner à ses ennemis est une vertu chez les imbécilles chrétiens ; c’est une action superbe, au Brésil, que de les tuer et de les manger.
Dans la Guyane, on expose une jeune fille, nue, à la piqûre des mouches, la première fois qu’elle a ses règles : souvent elle meurt dans l’opération, le spectateur, enchanté, passe alors toute la journée dans la joie. La veille des nôces d’une jeune femme, au Brésil, on lui fait un grand nombre de blessures aux fesses, pour que son mari, déjà trop porté par le sang et par le climat, à d’anti-physiques attaques, soit au moins repoussé par les flétrissures qu’on lui oppose[22].
Le peu d’exemples que j’ai rapporté, suffit de faire voir, Juliette, ce que sont les vertus dont nos loix et nos religions européennes paraissent faire tant de cas, ce qu’est cet odieux fil de fraternité si préconisé par l’infâme christianisme. Tu vois s’il est ou non, dans le cœur de l’homme ; tant d’exécrations seraient-elles générales si l’existence de la vertu qu’elles contrarient, avait quelque chose de réel.
Je ne cesserai de te le dire, le sentiment de l’humanité est chimérique ; il ne peut jamais tenir aux passions, ni même aux besoins, puisque l’on voit, dans les sièges, les hommes se dévorer mutuellement. Ce n’est donc plus qu’un sentiment de faiblesse absolument étranger à la nature, fils de la crainte et du préjugé ; peut-on se dissimuler que ce ne soit la nature qui nous donne et nos besoins et nos passions ? Cependant les passions et les besoins méconnaissent la vertu de l’humanité ; donc cette vertu n’est pas dans la nature ; elle n’est plus dès-lors qu’un pur effet de l’égoïsme qui nous a porté à désirer la paix avec nos semblables, afin d’en jouir nous-mêmes. Mais celui qui ne craint pas les représailles, ne s’enchaîne qu’avec bien de la peine à un devoir uniquement respectable pour ceux qui les redoutent. Eh ! non, non, Juliette, il n’y a point de pitié franche, point de pitié qui ne se rapporte à nous. Examinons-nous bien au moment où nous nous surprenons en commisération, nous verrons qu’une voix secrette crie au fond de nos cœur… Tu pleures sur ce malheureux, parce que tu es malheureux toi-même, et que tu crains de le devenir davantage. Or, quelle est cette voix, si ce n’est celle de la crainte ; et d’où naît la crainte, si ce n’est de l’égoïsme ?
Détruisons donc radicalement en nous ce sentiment pusillanime ; il ne peut être que douloureux, puisqu’on ne peut le concevoir que par une comparaison qui nous ramène au malheur.
Dès que ton esprit, chère fille, aura parfaitement conçu la nullité, je dis plus, l’espèce de crime qu’il y aurait à admettre l’existence de ce prétendu fil de fraternité, écrie-toi avec le philosophe : « Eh ! pourquoi balancerais-je à me satisfaire, lorsque l’action que je conçois, quelque tort qu’elle fasse à mon semblable, peut me procurer à moi le plus sensible plaisir ; car, enfin, supposons un moment qu’en faisant cette action quelconque, je commette une injustice envers ce prochain, il arrive qu’en ne la faisant pas j’en commets une envers moi-même ; en dépouillant mon voisin de sa femme, de son héritage, de sa fille, je peux, comme je viens de le dire, commettre une injustice envers lui, mais en me privant de ces choses qui me font le plus grand plaisir, j’en commets une envers moi ; or, entre ces deux injustices nécessaires, serais-je assez ennemi de moi-même pour ne pas donner la préférence à celle dont je peux retirer quelques chatouillemens agréables. Si je n’agis pas ainsi, ce sera par commisération. Mais si l’admission d’un tel sentiment est capable de me faire renoncer à des jouissances qui me flatteraient autant, je dois donc tout mettre en usage pour me guérir de ce sentiment pénible, tout faire pour l’empêcher d’avoir, à l’avenir, aucun espèce d’accès sur mon ame. Une fois que j’aurai réussi (et cela se peut en s’accoutumant par degrés au spectacle des maux d’autrui), je ne me rendrai plus qu’au charme de me satisfaire ; il ne sera plus balancé par rien, je ne craindrai plus le remords, parce qu’il ne pourrait plus être la suite que de la commisération, et elle est éteinte ; je me livrerai donc à mes penchans, sans frayeur ; je préférerai mon intérêt ou mon plaisir à des maux qui ne me touchent plus, et je sentirai que perdre un bien réel, parce qu’il en coûterait une situation malheureuse à un individu (situation dont le choc ne peut plus arriver jusqu’à moi), serait une véritable ineptie, puisque ce serait aimer cet étranger plus que moi, ce qui heurterait toutes les loix de la nature, et tous les principes du bon sens. »
Que les liens de famille ne te paraissent pas plus sacrés, Juliette, ils sont tout aussi chimériques que les autres ; il est faux que tu doives quelque chose à l’être dont tu es sorti ; encore plus faux, que tu doives un sentiment quelconque à celui qui est sorti de toi ; absurde d’imaginer que l’on doive à ses frères, à ses sœurs, à ses neveux, à ses nièces ; et par quelle raison le sang peut-il établir des devoirs ; pourquoi travaillons-nous dans l’acte de la génération ? N’est-ce pas pour nous ; que pouvons-nous devoir à notre père, pour s’être diverti à nous créer ? que pouvons-nous devoir à notre fils, parce qu’il nous a plû de perdre un peu de foutre au fond d’une matrice ; à notre frère ou à notre sœur, parce qu’ils sont sortis du même sang ? anéantissons tous ces liens comme les autres, ils sont également méprisables.
O Noirceuil, m’écriai-je ! combien de fois vous l’avez prouvé… et vous ne voulez pas me le dire ; Juliette, me répondit cet aimable ami, de tels aveux ne peuvent être la récompense que de votre conduite ; je vous ouvrirai mon cœur, quand je vous croirai vraiment digne de moi : vous avez quelques épreuves à subir avant ; et le valet-de-chambre étant venu l’avertir que le ministre dont il était l’ami intime l’attendait au salon, nous nous séparâmes.
Je ne tardai pas à placer, le plus avantageusement possible, les soixante mille francs dérobés chez Mondor : quelque sûre que je dusse être de l’approbation de Noirceuil, comme le vol ne pouvait se raconter, sans l’épisode de l’infidélité, et que d’ailleurs mon amant pourrait craindre de moi les mêmes lézions sur ses propriétés, je jugeai plus prudent de ne rien dire, et ne m’occupai que de nouveaux moyens d’augmenter, par les mêmes voies, la masse de mes revenus. Une autre partie chez la Duvergier m’en fournit bientôt l’occasion.
Il s’agissait d’aller, moi quatrième, chez un homme dont la manie, aussi cruelle que voluptueuse, consistait à fouetter des filles. Trois créatures charmantes s’étaient réunies à moi, au café de la porte St.-Antoine, pour aller ensemble dans une voiture que nous devions trouver là, chez le duc Dennemar, à sa délicieuse maison de St.-Maur ; rien n’était frais, rien n’était joli comme les filles qui me joignirent au rendez-vous : la plus âgée n’avait pas dix-huit ans ; on la nommait Minette ; elle me plaisait au point que je ne pus tenir à l’accabler des plus voluptueuses caresses : il y en avait une de seize, l’autre de quatorze. Très-difficile dans le choix de ses victimes, j’appris de la femme qui nous conduisait, que j’étais la seule courtisane des quatre ; ma jeunesse, ma beauté, avaient engagé le duc à franchir les règles qu’il s’était imposées, de ne jamais voir de femmes du monde. Mes compagnes étaient de jeunes ouvrières en modes, entièrement étrangères à ces parties, filles honnêtes, bien élevées, et seulement séduites par les grosses sommes que donnait le duc, et par l’assurance que, se bornant à la fustigation, il n’attenterait pas à leur virginité ; nous avions cinquante louis chacune ; vous allez voir si nous les gagnâmes.
Introduites toutes quatre dans un appartement magnifique, notre conductrice nous dit d’attendre, tout en nous déshabillant, les ordres qu’il plairait à monseigneur de nous signifier.
Ce fut alors que je pus examiner à loisir les graces naïves, les charmes délicats et doux de mes trois jeunes camarades ; rien n’était aussi svelte que leur taille, rien de frais comme leur gorge, rien d’appétissant comme leurs cuisses, rien de potelé, rien de mignon comme leurs trois charmans derrières ; je dévorais ces filles des plus tendres baisers, et surtout Minette, elles me les rendirent avec une naïveté qui me fit décharger dans leur bras. Il y avait près de trois quart-d’heure, qu’en attendant l’époque des desirs de monseigneur le duc, nous nous livrions en folâtrant, à toute l’impétuosité des nôtres, lorsqu’un beau et grand laquais, presque nud, vint nous prévenir que nous allions paraître, mais qu’il fallait que la plus âgée commençât. Cet ordre me plaçant au troisième rang, je pénétrai, quand ce fut mon tour, au sanctuaire des plaisirs de ce nouveau Sardanapale ; et ce que je vais vous raconter est absolument semblable à ce qu’avaient éprouvé mes compagnes.
Le cabinet où le duc nous reçut était rond, absolument environné de glaces ; au milieu était un tronçon de colonne de porphire, d’environ dix pouces de hauteur. On me fit monter sur ce piédestal ; le valet-de-chambre qui nous avertissait, et qui servait les plaisirs de son maître, lia mes deux pieds à des anneaux de bronze à dessein placés sur ce bloc, il éleva ensuite mes bras, les attacha à un cordon qui les contint le plus élevés possibles ; seulement alors le duc m’approcha ; il avait été jusqu’à ce moment couché sur un canapé, où il se branlait légèrement le vit. Totalement nud de la ceinture en bas, un simple gilet de satin brun lui couvrait le buste ; ses bras étaient à découvert ; sous le gauche était une poignée de verges, mince et flexible, renouée d’un ruban noir. Le duc, âgé de quarante ans, avait une physionomie très-dure, et il me parut que son moral n’était guères plus tendre que son physique. Lubin, dit-il à son valet, celle-ci me paraît mieux que les autres, son cul plus rond, sa peau plus fine, sa figure plus intéressante ; je la plains, elle n’en souffrira que davantage ; et en disant cela, le vilain approchant son museau de mon derrière, baisa d’abord, et mordit ensuite. Je jette un cri. — Ah ! ah ! vous êtes sensible, à ce qu’il me paraît, tampis, car vous n’êtes pas au bout ; et je sentis alors ses ongles crochus s’imprimer vivement dans mes fesses, et m’arracher la peau en deux ou trois endroits. De nouveaux cris que je poussai, ne firent qu’animer ce scélérat, qui portant alors deux de ses doigts dans l’intérieur du vagin, ne les retire qu’avec la peau qu’il déchire dans ce lieu sensible. Lubin, disait-il alors en montrant ses doigts pleins de sang au valet. Cher Lubin, je triomphe, j’ai de la peau du con ; et il la mit sur la tête du vit de Lubin, qui bandait assez bien alors. Ce fut en cet instant qu’il ouvrit une petite armoire, déguisée par des glaces ; il en sortit une longue guirlande de feuille vertes ; j’ignorais et l’usage qu’il en allait faire, et de quelle plante elle était formée. Hélas ! à peine l’eût-il approchée de moi, que je ne tardai pas à m’appercevoir qu’elle était d’épines. Aidé du cruel agent de ses plaisirs, il me la passe et repasse trois ou quatre fois autour du corps, et finit par l’y fixer d’une manière très-pittoresque, mais en même tems fort douloureuse, puisqu’elle déchirait absolument tout mon corps, et principalement mon sein, sur lequel il la pressait avec la plus féroce affectation ; mais mes fesses destinées à un autre fête, ne participaient nullement à cette maudite parure ; bien dégagées de partout, elles offraient sans obstacle à ce libertin, toutes les chairs que devaient parcourir ses verges.
Nous allons commencer, me dit Dennemar dès qu’il me vit en l’état qu’il desirait, je vous exhorte à un peu de patience ; car ceci pourra bien être long. Dix coups de verges assez légers, deviennent les avants-coureurs du terrible orage qui va molester mon cul. Allons sacredieu, plus de ménagement, s’écria-t-il alors ; et d’un bras vigoureux flagellant mes deux fesses, il m’en applique plus de deux cent coups de suite, et sans arrêter. Pendant l’opération, son valet à genoux devant lui, tâchait, en le suçant, d’exprimer le venin qui rendait cette bête aussi méchante ; et tout en flagellant, le duc criait de toutes ses forces… Ah la bougresse… la garce… Oh combien je déteste les femmes, que ne puis-je les exterminer toutes à coup de verges !… Elle saigne… elle saigne enfin… Ah foutre ! elle saigne… Suce, Lubin, suce, je suis heureux, je vois le sang ; et approchant sa bouche de mon derrière, il recueillit précieusement ce qu’il voyait couler avec tant de délices ; puis continuant : mais tu le vois, Lubin, je ne bande pas, et il faut que je fouette jusqu’à ce que je bande, et depuis que je bande, jusqu’à ce que je décharge ; allons, allons, la putain est jeune, elle l’endurera. La sanglante cérémonie recommence ; mais ici les épisodes changent, Lubin ne suce plus son maître ; armé d’un nerf de bœuf, il lui rend au centuple, les coups nerveux que j’en reçois. Je suis en sang, il ruisselle sur mes cuisses ; je le vois rougir le piédestal ; pressée par les épines, déchirée par les verges, il me devient impossible de pouvoir dire en quelle partie de mon corps les douleurs se font éprouver avec le plus d’empire, lorsque le bourreau, las de supplices, et se rejetant sur le canapé, tout en écumant de luxure, ordonne enfin qu’on me détache ; j’arrive à lui chancelante… Branlez-moi, me dit-il en baisant les vestiges de sa cruauté… ou plutôt, non… branlez Lubin, j’aime mieux le voir décharger que de décharger moi-même, et d’ailleurs quelque jolie que vous soyiez, je doute que vous en vinsiez à bout. Lubin s’empare aussitôt de moi, j’avais encore la funeste guirlande ; le barbare, à dessein la presse sur ma peau, pendant que je le pollue ; sa position était telle, que s’il cédait aux molles agitations de mon poignet, le foutre s’élançait sur le visage de son maître, qui tout en continuant de me presser… de me pincer le derrière, se branlait légèrement tout seul ; l’effet a lieu, le valet décharge, toute la figure du maître est couverte de sperme, le sien seul refuse de s’y joindre, il le réserve pour une scène plus lubrique, vous en allez entendre les détails. Sortez, me dit-il, dès que Lubin eut fait ; il faut que je fasse passer votre quatrième compagne avant que je ne vous rappelle. On ouvre, et je vois celles qui m’avaient précédées, dans une pièce voisine… Mais juste ciel, dans quel état !… il était pis que le mien ; leurs corps si jolis, si blancs, si délicieux, faisaient maintenant horreur à regarder ; les malheureuses pleuraient, se repentaient d’avoir accepté une telle partie ; et moi, plus fière, plus ferme et plus vindicative, je ne pensai qu’au dédomagement. Une porte entrebâillée, me laisse voir la chambre à coucher du duc ; j’y pénêtre hardiment. Trois objets se présentent aussitôt à ma vue, une très-grosse bourse d’or, un superbe diamant, et une fort belle montre. J’ouvre précipitament la fenêtre, je m’apperçois qu’elle donne au-dessus d’un petit cabinet d’aisance, formant un angle avec la muraille, et que le tout est situé près de la porte par laquelle nous sommes entrées. J’enlève lestement un de mes bas de dessous, j’entortille ces trois objets dedans, et laisse tomber le tout sur un arbuste placé dans l’angle dont je viens de parler ; les feuilles cachent le dépôt, et je reviens à mes compagnes. À peine les avais-je rejointes, que Lubin venait nous chercher ; c’était avec les quatre victimes réunies que le grand prêtre allait consommer le sacrifice. La plus jeune était déjà fustigée, et il nous sembla que son cul n’avait pas été plus ménagé que les nôtres ; elle était en sang ; le piédestal n’y était plus ; Lubin nous couche à plat-ventre toutes les quatre, au milieu du cabinet ; il nous entrelace avec tant d’art, qu’on ne voyait que nos huit fesses… Je vous laisse à penser dans quel état : le duc s’approche de ce groupe, son valet le branle d’une main, pendant qu’il distille de l’autre de l’huile bouillante sur nos culs ; heureusement, la crise n’est pas longue. Brûlez donc, Brûlez donc, s’écriait le duc en mêlant son foutre à la liqueur enflammée qui nous calcinait : Brûlez donc ces putains-là… je décharge, et nous nous relevâmes dans un état que vous peindrait mieux le chirurgien, qui fut dix jours à faire disparaître les marques de cette abominable scène, et qui y réussit d’autant plus facilement avec moi, que par un hasard très-heureux, il ne m’était tombé sur le derrière que deux ou trois goutes de cette huile brûlante, dont la plus jeune de mes compagnes, par méchanceté sans doute, se trouvait entièrement couverte.Quelque fût ma situation, je ne perdis pas la tête en descendant ; et volant au coin où j’avais laissé tomber mon trésor, je m’emparai promptement de ce qui devait me dédommager des maux qu’on m’avait fait souffrir. Descendue chez la Duvergier, je la grondai vivement de m’avoir exposée à une telle avanie ; le devait-elle, sachant que j’étais richement entretenue ? Et lui ayant enfin déclaré qu’il ne me plaisait plus de m’immoler à sa rapacité, je me retirai chez moi en faisant dire à Noirceuil que j’étais malade, et que je le priais de me laisser tranquillement garder ma chambre pendant quelques jours ; Noirceuil, nullement amoureux, encore moins sensible, et fort peu inquiet, ne parut point ; sa femme, plus douce et plus politique, vint me voir deux fois, mais, sans m’attendrir sur son compte ; le dixième jour, tout avait si bien disparu, que j’étais plus fraiche qu’avant. Je jetai alors les yeux sur ma prise, il y avait trois cents louis dans la bourse, le diamant valait cinquante mille francs, la montre mille écus ; je plaçai cette nouvelle somme comme l’autre, et me trouvant, par la réunion des deux, près de douze mille livres de rentes, je crus qu’il était tems de travailler un peu pour moi-même ; et que le rôle de jouet de l’avarice des autres, ne convenait plus à ma petite fortune.
Un an se passa de la sorte, perdant lequel je fis quelques parties pour mon compte, mais dans lesquelles le hasard n’offrit plus à mon adresse les mêmes moyens de se signaler ; d’ailleurs, toujours écolière de Noirceuil, toujours plastron de ses débauches, toujours detestée de sa femme.
Quoique nous vécussions dans l’indifférence, Noirceuil qui, sans m’aimer, faisait le plus grand cas de ma tête, continuait de me payer fort cher ; j’étais entretenue de tout, et vingt-quatre mille francs par an, pour mes plaisirs ; joignez à cela la rente de douze mille que je m’étais faite, et vous jugerez de mon aisance. Me souciant assez peu d’hommes, c’était avec deux femmes charmantes, que je satisfaisais mes desirs ; deux de leurs compagnes se mêlaient quelquefois à nous, il n’y avait sortes d’extravagances que nous n’exécutions alors.
Un jour, une des amies de celle de mes femmes que j’aimais le mieux, me supplia de m’intéresser pour un de ses parens auquel il était arrivé une aventure assez désagréable ; il ne s’agissait, disait-elle, que de dire un mot à mon amant dont le crédit près du ministre arrangerait tout aussitôt ; le jeune-homme, si je le voulais, viendrait lui-même me compter son histoire. Entraînée, ici, comme malgré moi, par le desir de faire un heureux, fatal desir, dont la main de la nature qui ne m’avait pas créé pour la vertu, eût bientôt soin de me punir, j’accepte : le jeune-homme paraît : Dieu ! quelle est ma surprise, en reconnaissant Lubin ! je fais ce que je puis, pour déguiser mon trouble ; Lubin m’assure qu’il n’est plus chez le duc, il me bâtit un roman qui n’a ni queue, ni tête ; je lui promets de le servir ; le traître sort content, dit-il, de m’avoir retrouvée, depuis un an qu’il ne cessait de me chercher. Quelques jours s’écoulèrent, sans que j’entendisse parler de rien ; je m’étourdissais sur la malheureuse suite que pouvait avoir cette rencontre, je marquais même mon ressentiment contre l’amie de ma femme-de-chambre, qui m’avait engagée dans ce piège, quoique je ne me doutasse pas si c’était, ou non, par méchanceté, lorsque, sortant un soir de la comédie italienne, six hommes arrêtent ma voiture, contiennent mes gens, me font descendre avec ignominie, et me précipitent dans un fiacre, en criant au cocher, à l’hôpital.
Oh ! ciel, me dis-je, je suis perdue ! Mais, me remettant aussitôt, messieurs, m’écriai-je, ne vous trompez-vous point ? Je vous demande pardon, mademoiselle nous nous trompons, me répondit un de ces scélérats que je reconnus bientôt pour Lubin lui-même, nous nous trompons sans doute, car, c’est à la potence, que nous devrions vous mener, mais, si jusqu’à de plus amples informations, la police en ne vous envoyant qu’à l’hôpital, veut bien par égard pour monsieur de Noirceuil, ne pas vous donner, tout de suite, ce qui vous est dû, nous espérons que ce ne sera qu’un léger retard. Eh bien, dis-je avec effronterie, nous le verrons, prenez-garde, surtout, que je ne fasse bientôt repentir ceux qui, se supposant un moment les plus forts, osent m’attaquer avec tant d’audace. Nous arrivons. On me jette dans un cachot obscur, où, pendant trente-six heures, je ne vis absolument que des geoliers.
Peut-être, serez-vous bien aise, mes amis, de savoir quel était ici l’état de mon intérieur ; je vais vous l’ouvrir avec franchise. Calme comme dans la fortune, désespérée de me voir dupe, pour avoir un instant écouté la vertu ; résolue… profondément déterminée à ne plus lui laisser nul accès dans mon cœur ; quelque chagrin, peut-être, de voir, en un instant, échouer ma fortune ; mais pas un remords… pas une seule résolution d’être plus sage, si j’étais rendue à la société ; pas le plus petit projet de me rapprocher de la religion, si je devais mourir. Voilà mon ame toute nue. Je ressentais pourtant quelques petites inquiétudes… N’en avais-je donc point, quand j’étais sage ? ah ! que m’importe ! J’aime mieux ne pas être pure, et sentir ces légères atteintes ; j’aime mieux m’être livrée au vice, que de me trouver stupidement tranquille au sein d’une innocence que je déteste… Oh crime ! Oui, tes serpens même sont des jouissances : C’est par leurs aiguillons qu’ils préparent l’embrâsement divin dont tu consumes tes sectateurs ; tous ces tressaillemens sont des plaisirs ; il faut que des ames comme les nôtres soient agitées ; il leur est impossible de l’être par la vertu ; elles l’ont trop en horreur ; que ce soit donc par tes délicieux égaremens… Oh ! divins écarts de la vie ! Oui, oui que l’on m’y rende ; que de nouveaux délits s’offrent à moi, et l’on verra comme j’y volerai. Telles étaient mes réflexions, vous vouliez les savoir, je vous les trace ; en quels soins seraient-elles mieux confiées, que dans ceux de mes meilleurs amis.
J’étais au milieu du second jour de cette terrible détention, lorsque j’entendis ouvrir ma porte avec grand tapage… O Noirceuil, m’écriai-je, en reconnaissant mon amant, quel Dieu vous amène à moi ? Et comment après tous mes torts, pourrai-je encore vous intéresser ?
Juliette, me dit Noirceuil, dès qu’on nous eut laissé tête-à-tête : la manière dont nous vivons ensemble, ne me met nullement dans le cas d’avoir aucun reproche à vous faire ; vous étiez libre ; l’amour n’entrait pour rien dans nos arrangemens, il n’était question que de confiance. Quelqu’analogie qu’il y eut entre ma façon de penser et la vôtre, vous avez cru devoir me refuser cette confiance ; rien n’est encore plus simple ; mais, ce qui ne l’est point, c’est que vous soyez punie pour une bagatelle comme celle qui vous a fait arrêter. Mon enfant, j’aime votre tête, vous le savez, il y a long-tems que je vous l’ai dit, et je servirai toujours ses écarts, tant qu’ils seront analogues aux miens ; ne croyez pas que ce soit ni par sentiment, ni par commisération, que je vienne briser vos fers, vous me connaissez assez pour être bien persuadée que je ne puis être mû ni par l’une, ni par l’autre de ces deux faiblesses. Je n’ai agi ici, que par égoïsme, et je vous jure, que si je bandais mieux à vous voir pendre, qu’à vous retirer, je ne balancerais pas une minute. Mais votre société me plait, j’en serais privé si vous étiez pendue ; d’ailleurs, vous aviez mérité de l’être, vous alliez l’être, et voilà des droits bien puissans sur mon ame ; je vous aimerais mieux, si vous eussiez mérité la roue… Suivez-moi, vous êtes libre… Point de reconnaissance, surtout, je l’abhorre ; et voyant que j’allais m’y livrer malgré moi… Puisqu’il en est ainsi, Juliette, reprit vivement Noirceuil, vous ne sortirez pas d’ici, que je ne vous aie prouvé l’absurdité du sentiment auquel la faiblesse de votre cœur paraît vous emporter, en dépit de vous. Puis, me forçant à m’asseoir, et se plaçant près de moi ; chère fille, me dit-il, tu sais que je ne veux perdre aucune occasion de former ton cœur, et d’éclairer ton, esprit, laisses-moi donc t’apprendre ce que c’est que la reconnaissance.
On appelle reconnaissance, Juliette, le sentiment du retour accordé à un bienfait ; or, je demande quel est le motif de celui qui accorde un bienfait ? Agit-il pour lui, ou pour nous ? S’il agit pour lui, tu m’avoueras que nous ne lui devons rien, et si c’est pour nous ; l’empire qu’il prend dès-lors, loin d’exciter en nous de la reconnaissance, ne pourra plus y faire naître que de la jalousie, il a blessé notre orgueil ; mais quel a été son but en nous obligeant ? Comment ne le pas voir tout de suite ; celui qui oblige, celui qui sort de sa poche cent louis pour les donner à un homme qui souffre, n’a nullement agi pour le bonheur de cet infortuné ; qu’il descende au fond de son cœur, il verra qu’il n’a fait que flatter son orgueil, qu’il n’a travaillé que pour lui, soit en trouvant un plaisir intellectuel plus flatteur à donner ces cent louis à un pauvre, qu’à les garder lui-même ; soit en imaginant que la publicité de cet acte lui établirait une réputation ; mais dans tous les cas, je ne vois que de l’égoïsme. Dites-moi donc, maintenant, ce que je dois à un homme qui n’a travaillé que pour lui ? Parvinssiez-vous à me prouver qu’il n’a eu que l’homme qu’il oblige en vue, en agissant comme il l’a fait, que son action est secrette, qu’elle n’éclatera jamais, qu’il ne peut avoir eu aucun plaisir à donner ces cent louis, puisqu’il est au contraire dérangé par ce don ; et qu’en un mot, son action est tellement désintéressée, qu’on n’y peut démêler l’égoïsme ; à cela, je vous répondrai d’abord que c’est impossible, et qu’en analisant bien l’action de ce bienfaiteur, nous y démêlerons toujours, pour son compte, quelque jouissance secrète qui en diminuera le prix ; mais qu’à supposer même que le désintéressement que vous admettez soit complet, vous ne seriez jamais dans le cas de la reconnaissance, puisque cet homme par son action, en s’élevant au dessus de vous, afflige votre orgueil, et fait, par ce procédé, ressentir des mortifications à un sentiment dont les offenses ne se pardonnent jamais. De ce moment cet homme, quelque chose qu’il ait fait pour vous, n’acquiert de droit, si vous êtes juste, qu’à votre perpétuelle antipathie ; vous profiterez de son service, mais vous détesterez celui qui vous le rend ; son existence vous pesera, vous ne le verrez jamais sans rougir ; si on vous apprend sa mort, vous vous en réjouirez intérieurement ; il vous semblera être dégagés d’un poids… d’une servitude, et l’assurance d’être délivrés d’un être aux yeux duquel vous ne pouviez plus paraître, sans une sorte de honte, deviendra nécessairement une jouissance : Que dis-je, si votre ame est vraiment indépendante et fière, peut-être irez-vous bien plus loin, peut-être le devrez-vous même… Oui, vous irez jusqu’à détruire cette existence qui vous gêne ; vous vous débarasserez de la vie de cet homme, comme d’un fardeau qui vous fatigue ; et loin que le service rendu ait fait naître dans vous de l’amitié pour ce bienfaiteur, il n’aura, comme on voit, produit que la haine la plus implacable. Oh ! combien cette réflexion doit prouver, Juliette, le ridicule et le danger de rendre des services aux hommes. Après ma manière d’analiser la reconnaissance, vois, ma chère, si je veux de la tienne, et si je ne dois pas me garder, au contraire, de me mettre, vis-à-vis de toi, dans le cas du service rendu ; je te répète donc, qu’en brisant tes liens, je ne fais rien pour toi, c’est pour moi seul que j’agis, absolument ; partons.
Dès que nous fûmes au greffe, Noirceuil prit la parole ; monsieur, dit-il à l’un des juges, cette demoiselle en recouvrant sa liberté, n’a pas dessein de vous dissimuler le nom de celle qui a commis le vol dont on accusait injustement mon amie ; c’est, vient-elle de m’assurer, une des trois filles qui l’avait accompagnée chez monsieur Dennemar ; parlez, Juliette, vous souvient-il du nom de cette fille ? Oui vraiment, monsieur, répondis-je en saisissant au mieux le perfide Noirceuil, c’était la plus jolie des trois, elle a dix-huit à dix-neuf ans, on la nomme Minette. C’est tout ce que nous demandions, Mademoiselle, dit l’homme de loi ; revêtirez-vous votre déposition des formes du serment ? Sans doute, monsieur, répondis-je, et levant la main vers le crucifix : je jure et proteste, dis-je à haute et intelligible voix, et fais devant Dieu le serment sacré que la nommée Minette est seule coupable du vol fait chez monsieur Dennemar. Nous sortîmes et montâmes promptement en voiture. Eh bien, Juliette, me dit mon amant, sans moi tu ne commettais pas cette petite méchanceté ; je te connaissais assez pour être bien sûr qu’il était inutile de te mettre dans la confidence, et que tu m’entendrais au premier mot. Baise-moi, mon ange… J’aime à sucer cette bouche faussaire. Ah ! tu t’es conduite comme un Dieu. Minette sera pendue, et il est délicieux, quand on est coupable, non-seulement de se tirer d’affaire, mais de faire même périr l’innocent à sa place. O Noirceuil, m’écriai-je, que je t’aime, tu étais le seul être qui me convint au monde, tu vas me donner des regrets de t’avoir manqué. Vas, Juliette, tranquilise-toi, me répondit Noirceuil, je te fais graces des remords du crime, je n’exige de toi que ceux de la vertu. Il ne fallait me rien cacher, poursuivit mon amant pendant qu’on nous ramenait à l’hôtel, je ne t’empêche point de faire des parties, si l’avarice ou le libertinage t’y porte : tout ce qui prend sa source dans de tels vices est étonnamment respectable pour moi ; mais tu devais prendre garde aux connaissances de la Duvergier, elle ne voit, elle ne fournit que des libertins dont les passions cruelles pouvaient t’entraîner à ta perte ; si tu m’avais confié tes goûts, je t’aurais fait faire moi-même des parties très-chères, où les dangers eussent été minces, et où tu aurais pu voler tout à ton aise ; car il n’y a rien de si simple que de voler, c’est une des fantaisies la plus naturelle à l’homme ; moi qui te parle, je l’ai eue très-long-tems, je ne m’en suis corigé qu’en faisant pis ; rien ne guérit des petits vices comme les grands crimes ; plus on balotte la vertu, plus on s’accoutume à l’outrager ; et ce n’est plus alors qu’aux plus grandes offenses que la volupté nous chatouille. Vois combien tu as perdu, Juliette, ignorant tes caprices ; je t’ai refusée à cinq ou six de mes amis, qui brûlaient de t’avoir, et chez lesquels tu en aurais été quitte en présentant le cul. Au reste, poursuivit Noirceuil, rien de tout cela ne se serait su sans ce maudit Lubin qui, soupçonné par son maître, avait juré de faire sur ce vol les plus exactes perquisitions. Mais tu es vengée, mon ange, nous l’avons fait mettre hier à Bicêtre pour le reste de ses jours. Il est essentiel que tu saches que c’est au ministre Saint-Fond, mon ami, que tu dois ta délivrance, et l’anéantissement de cette affaire ; tout était dit, demain l’on t’accrochait, vingt-deux témoins déposaient ; y en eût-il eu cinq cents, notre crédit ne les eût pas craint ; ce crédit est immense, Juliette, et nous sommes sûrs, St.-Fond et moi, ou d’arracher à l’instant de l’échafaud, le plus grand scélérat de la terre, ou d’y faire monter le plus vertueux des hommes. Voilà ce qu’on gagne sous le règne des princes imbécilles. Tout ce qui les entoure les mène, et les plats automates en croyant gouverner par eux-mêmes, ne régissent que par nos passions. Nous pouvions nous venger de Dennemar, je suis muni de tout ce qu’il faut pour cela, mais il est aussi libertin que nous, ses caprices te l’ont prouvé ; n’attaquons jamais ceux qui nous ressemblent ; le duc sait qu’il a eu tort de se conduire comme il l’a fait ; il en est tout honteux aujourd’hui, il t’abandonne le vol, et te reverra même avec plaisir ; il a demandé seulement qu’on en pendit une, le voilà content et nous aussi. Je ne te conseille pas de revoir ce vieux avare ; nous savons qu’il ne te desire que pour obtenir de toi la grace de Lubin ; mais ne te mêle pas de cela ; j’ai eu ce Lubin à mon service, il me foutait très-mal, me coûtait fort cher, je m’en dégoûtai au point que j’ai déjà voulu le faire enfermer plusieurs fois ; nous le tenons, qu’il y reste. Quant au ministre, il veut te voir, je te donne ce soir à souper avec lui ; c’est un homme excessivement libertin… Des goûts, des fantaisies…, des passions, infiniment de vices ; je n’ai pas besoin de te recommander la plus extrême soumission, c’est la seule manière de lui prouver cette reconnaissance dont tu voulais à tort, répandre les effets sur moi… Mon ame se moule sur la tienne, Noirceuil, dis-je avec sang froid, je ne te remercie point dès que tu me prouves que tu n’as agi que pour toi, et il me semble que je t’aimerai beaucoup davantage, n’étant obligée de te rien devoir : quant à la soumission que tu me demandes, elle sera entière ; dispose de moi, je t’appartiens ; comme femme je me mets à ma place, je sais que la dépendance est mon lot… Non pas absolument, me dit Noirceuil, l’aisance dont tu jouis, ton esprit et ton caractère te sortent absolument de cet esclavage. Je n’y soumets que les femmes épouses, ou les putains, et en cela je suis les loix de la nature qui, comme tu le vois, ne permet à ces êtres-là que de ramper : l’esprit, les talens, la richesse et le crédit sortent de la classe des faibles, ceux que la nature y fit naître ; et du moment qu’ils entrent dans celle des forts, tous les droits de ceux-ci, la tyrannie, l’oppression, l’impunité et l’entier exercice de tous les crimes leur deviennent entièrement permis. Je veux que tu sois femme et esclave avec mes amis et moi, despote avec tous les autres… et de ce moment-ci, je te jure de t’en fournir les moyens. Juliette, il faut un petit dédommagement à tes trente-six heures de prison… Friponne, je te connais déjà douze mille livres de rente, tu m’avais caché tout cela ; n’importe, je l’ai su, je t’en fais dix demain, et le ministre m’a chargé de te remettre ce brevet-ci, c’est une pension de mille écus sur les hôpitaux ; les malades auront quelques bouillons de moins, et toi quelques pompons, de plus, tout cela revient au même ; te voilà donc à la tête de vingt-cinq mille livres de rentes, sans compter tes appointemens qui te seront toujours exactement payés. Eh bien ! mon cœur, tu vois que les suites du crime ne sont pas toujours malheureuses ; le projet d’une vertu, celui d’obliger Lubin, t’a plongée dans le fond des cachots ; le vol de chez Dennemar, décide et motive ta fortune ; ose balancer maintenant ; ah ? commets des crimes tant que tu voudras, nous connaissons à présent ta tête, nous nous amuserons de ses écarts, et nous t’en promettons l’impunité. Oh Noirceuil, quelle injustice dans les loix humaines ! Gode innocente, gémit dans un cachot, Juliette coupable, en sort couverte des dons de la fortune. Tout cela est dans l’ordre, ma fille, me répondit Noirceuil ; l’infortune est le jouet de la prospérité ; elle lui est asservie par les loix de la nature ; il faut que le faible soit la pâture du fort ; jette les yeux sur l’Univers, dans toutes les loix qui le regissent, tu trouveras de pareils exemples : la tyrannie et l’injustice, comme seuls principes de tous les désordres, doivent être les premières loix d’une cause qui n’agit que par des désordres. Oh mon ami, dis-je dans l’enthousiasme, en légitimant à mes yeux tous ces crimes, en me donnant, comme tu le fais, les moyens de m’y plonger, tu places mon ame dans un état de délices, dans un trouble, dans un délire qu’aucune expression ne rendrait. Et tu ne veux pas que je te remercie ? — Tu ne me dois rien, encore une fois, j’aime le mal, je lui soudoye des agens, tu vois bien que je ne suis qu’égoïste ici, comme dans toutes les autres occasions de ma vie. — Mais il faudra que je reconnaisse tout ce que tu fais pour moi. — En commettant beaucoup de forfaits, et en ne m’en cachant aucun. — T’en cacher, jamais, ma confiance sera toute entière, tu seras maître de mes pensées comme de ma vie, il ne naîtra dans mon cœur, aucun desir qui ne te soit communiqué, aucune jouissance que tu ne partages… Mais, Noirceuil, j’ai encore une grace à te demander ; l’amie de celle de mes femmes qui m’a trahie en me présentant ce Lubin, excite puissament ma vengeance, je veux qu’en arrivant tu la fasses punir. Donne-moi son nom et son adresse, dit Noirceuil, et je te la garantis demain à l’hôpital pour le reste de ses jours. Nous descendîmes à l’hôtel ; voilà Juliette, dit Noirceuil en me présentant à sa femme, dont l’air fut froid et composé ; cette charmante créature, poursuivit mon amant, avait été victime de la calomnie, c’est la plus honnête fille du monde, et je vous prie, madame, de lui continuer les égards que vous lui devez à plus d’un titre.
Oh ciel ! me dis-je, dès que, rétablie dans mon voluptueux appartement, je jetai les yeux sur l’heureuse situation dont j’allais jouir… sur l’immense revenu dont je devenais maîtresse. Oh ciel ! quelle vie je vais mener ; fortune, sort, Dieu, agent universel, qui que tu sois enfin, si c’est ainsi que tu traites ceux qui se livrent aux délits comment ne suivrait-on pas cette carrière ? Ah ! c’en est fait, je n’en parcourerai jamais d’autres ; égarements divins qu’on ose appeler crime… vous serez désormais mes seuls Dieux, mes uniques principes, et mes loix ; je ne chérirai plus que vous dans le monde.
Mes femmes m’attendaient pour me mettre au bain ; j’y passai deux heures, autant à ma toilette, et fraîche comme la rose, je parus au souper du ministre, plus belle à ce qu’on m’assura, que l’astre même, dont d’infâmes coquins m’avaient privé des jours.
- ↑ Le vampire suçait le sang des cadavres, Dieu fait couler celui des hommes, tous deux à l’examen se trouvent chimériques : est-ce se tromper, que de prêter à l’un le nom de l’autre ?
- ↑ Vivraient-ils sans ces grands moyens ? Deux seules classes d’individus doivent adopter les systêmes religieux ; d’abord celle qu’engraissent ces absurdités, et celle des imbécilles qui croient éternellement tout ce qu’on leur dit, sans jamais rien approfondir ; mais, je défie qu’aucun être raisonnable et spirituel puisse affirmer qu’il croit de bonne foi aux atrocités religieuses.
- ↑ On n’a point oublié que Volmar est une charmante religieuse de vingt-un ans ; on se ressouvient de même que Flavie est une pensionnaire de seize ans, de la plus délicieuse figure.
- ↑ Douces et voluptueuses créatures que le libertinage, la paresse, ou l’adversité réduit à la lucrative et délicieuse profession de putains, pénétrez-vous de ces conseils ; vous voyez bien qu’ils ne sont ici les fruits que de la sagesse et de l’expérience ; foutez en cul, mes amies, c’est le seul moyen de vous enrichir et de vous amuser ; souvenez-vous que celles qui vous en empêchent ne le font jamais que par une imbécille pruderie, ou par la plus méchante jalousie. Épouses délicates et sensibles, recevez le même conseil ; devenez des protées avec vos maris si vous voulez parvenir à les fixer ; convainquez-vous bien que de toutes les ressources que la coquetterie vous offre, celle-là devient à-la-fois la plus sûre et la plus sensuelle ; et vous, jeunes filles séduites au sein de l’innocence, retenez bien qu’en n’offrant que le cul, vous courez infiniment moins de risques et pour votre honneur et pour votre santé ; point d’enfans, presque jamais de maladies, et des plaisirs mille fois plus doux.
- ↑ L’homme ne rougit de rien quand il est seul ; la pudeur ne commence en lui, que quand on le surprend, ce qui prouve que la pudeur est un préjugé ridicule, absolument démenti par la nature : l’homme est né impudique, l’impudicité tient à la nature, la civilisation pût changer ses loix, mais elle ne les étouffât jamais dans l’ame du philosophe. Hominem planto, disait Diogène en foutant au coin d’une borne ; et pourquoi donc se cacher davantage, en plantant un homme, qu’un chou.
- ↑ Il faut observer que les mémoires de Justine et, ceux de sa sœur étaient écrits avant la révolution.
- ↑ O homme ! tu crois faire un crime contre la nature, quand tu t’opposes à la propagation, ou quand tu la détruis, et tu ne songes pas que la destruction de mille fois de dix millions de fois autant d’hommes qu’il y en a sur la surface de la terre, ne coûterait pas une larme à cette nature, et rapporterait pas la plus petite altération à la régularité de sa marche ; ce n’est donc pas pour nous que tout a été fait, puisque, n’existassions-nous même pas, tout existerait également. Que sommes-nous donc aux yeux de la nature ? et comment pouvons-nous nous estimer autant ?
- ↑ Elle a lieu en Perse. Les Brames se réunissent également entre eux, et se livrent réciproquement leurs femmes, leurs filles, et leurs sœurs. Chez les anciens Bretons, huit ou dix maris se rassemblaient, et mettaient leurs femmes en commun ; les intérêts, les partis différens s’opposent chez nous à ces trafics, délicieux. Quand serons-nous donc assez philosophe pour les établir ?
- ↑ Voyez le 6e. volume des cérémonies religieuses, pag. 300.
- ↑ Telle est la meilleure et la plus sage de toutes les loix, sans doute ; un délit sourd doit être puni sourdement, et la vengeance n’en doit jamais appartenir qu’à celui qu’il outrage.
- ↑ Toutes ces loix ne sont le fruit que de l’orgueil et de la luxure.
- ↑ Il est évident que Juliette ne fait parler ici son orateur, que des paysans de l’ancien régime : la misère pressait quelquefois ceux-là, mais ceux d’aujourd’hui, gonflés de luxe et d’insolence, ne peuvent plus servir pour l’exemple. (Note de l’éditeur.)
- ↑ L’égalité prescrite par la révolution, n’est que la vengeance du faible sur le fort, c’est ce qui se faisait autrefois en sens inverse ; mais cette réaction est juste, il faut que chacun ait son tour. Tout variera encore, parce que rien n’est stable dans la nature, et que les gouvernemens dirigés par des hommes, doivent être mobiles comme eux. (Note ajoutée.)
- ↑ La paresse et l’imbécillité des législateurs leur firent imaginer la loi du Talion. Il était bien plus simple de dire, faisons-lui ce qu’il a fait, que de proportionner spirituellement et équitablement la peine à l’offense : il faut infiniment d’esprit pour ce dernier procédé, et au-delà du nombre de trois ou quatre, qu’on me cite en France, depuis dix-huit cents ans, un seul faiseur de loix qui seulement ait eu le sens commun.
- ↑ Le père d’Henri IV avait le même goût.
- ↑ Femmes prudes, dévotes, ou timides, profitez, journellement et sans crainte de ces conseils, c’est à vous que l’auteur les adresse.
- ↑ Aimable la Métrie, profond Helvétius, sage et savant Montesquieu, pourquoi donc, si pénétrés de cette vérité, n’avez-vous fait que l’indiquer dans vos livres divins ? O siècle de l’ignorance et de la tyrannie ! quel tort vous avez fait aux connaissances humaines ? et dans quel esclavage vous reteniez les plus grands génies de l’univers ? Osons donc parler aujourd’hui, puisque nous le pouvons ; et puisque nous devons la vérité aux hommes, osons la leur dévoiler toute entière.
- ↑ Il n’y a rien de plaisant comme la multiplicité des loix que l’homme fait tous les jours pour se rendre heureux, tandis qu’il n’est pas une de ces loix qui ne lui enléve, au contraire, une portion de son bonheur : et pourquoi toutes ces loix ! eh, vraiment, il faut bien que des fripons s’engraissent, et que des sots soient subjugués. Voilà, d’un mot, tout le secret de la civilisation des hommes.
- ↑ Aristote, dans son Art poétique, veut que le but et le travail du poëte soit de nous guérir de la crainte et de la pitié, qu’il regarde comme la source de tous les maux de l’homme ; on pourrait même ajouter de tous ses vices.
- ↑ La meilleure de toutes les nourritures sans doute, pour obtenir de l’abondance et de l’épaisseur dans la matière séminale. Rien n’est absurde comme notre répugnance sur cet article ; un peu d’expérience l’aurait bientôt vaincue ; une fois qu’on a taté de cette chair, il devient impossible d’en aimer d’autres. (Voyez Paw sur cette matière. Recherche sur les Indiens, Égyptiens, Américains, etc. etc.)
- ↑ On en trouve dans plusieurs bordels de Paris ; la fille alors lui passe la tête entre les cuisses, vous avez son cul pour perspective, et elle coupe le cou de l’animal, au moment de votre décharge ; nous verrons peut-être bientôt cette fantaisie en action.
- ↑ Il y a tout plein de gens mal organisés que ce spectacle ferait encore mieux bander, et qui n’auraient, en le voyant, d’autres regrets que de n’y avoir point participé eux-mêmes.