L’honneur de souffrir/XXV. À présent la vie est pour moi

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Librairie Grasset (p. 47-49).

XXV


À présent la vie est pour moi
Dans le sol funèbre étendue ;
Sans comprendre les jours, les mois,
J’erre parmi des lois perdues.

Le printemps n’était pas dehors
Pour mes yeux pleins d’humaine envie !
Pour moi, vivre, c’était d’abord
Que chacun de vous fût en vie.

C’est par vous, esprits pétulants,
Que la terre fut ma compagne ;
Les camélias de l’Espagne,
La cour d’un palais de Milan,

Le goût hardi des aventures,
L’amour, le séduisant danger,
Le divin spectacle étranger
Des nuits aux stellaires sutures,

Tout ce qui surprend et conduit
Le cœur vers les zones sublimes,
Je le contemplais dans l’abîme
D’un regard qui songe ou déduit !

— Ô compréhension humaine,
Astres tombés au fond des cœurs,
Courage actif qui se surmène
Comme une nef aux cent rameurs ;

Beaux fronts que je voyais dans l’ombre
Lutter contre les jours blessants ;
Raison qui combinait les nombres,
Tendresse qu’animait le sang,


Esprits saturés de musique,
Parois où s’était incrusté,
Malgré la tristesse physique,
Un sens secret d’éternité,

Corps graves, mais gardant la gloire
D’un orgueil net et précieux,
Échos bourdonnants des mémoires,
Soleils dissous dans l’or des yeux,

Puisque les grandes connaissances
Que vous eûtes de ce qui est
Par vous ont perdu leur essence,
Et que par vous le son se tait,

Ô morts, je suis la blanche dalle
Qui sur vous songe chaque jour,
Et j’ai dénoué ma sandale
En signe d’immobile amour !