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L’honneur de souffrir/XXVIII. J’étais morte avec toi, retiens-moi dans ta tombe

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XXVIII


J’étais morte avec toi, retiens-moi dans ta tombe,
Ne laisse le souffle enfler encore mon cœur,
Je crains ce tremblement enivré de colombe
Qui surprendrait ma lasse et secrète vigueur.

Reste devant mes yeux comme une exacte cendre,
Exige que ton froid vienne à jamais saisir
Ce cœur puissant, hélas ! et qui pourrait descendre
Dans l’abîme oscillant et tentant du plaisir.

Tant que l’on vit, la vie amoureuse est possible,
La musique, la voix, le sinueux espoir
Peuvent encor forcer un cœur d’être sensible
Sous le rideau céleste et perfide du soir.

Lentement, dans un rêve animal et suave,
Si quelque ardent regard vient s’attacher sur nous,
On sent se relâcher la rigoureuse entrave
Qui tenait réunis les pudiques genoux.

— Amour ! par qui le corps le plus joint se sépare
Comme pour accueillir l’annonciation,
Aie pitié du malheur ! qu’il reste étroit, avare,
Qu’il n’ait pas de répit, pas de tentation ;
N’accorde pas à ceux que la détresse pare
Cette humble guérison qui vient des passions !