L’impossible (Verhaeren)
Homme, si haut soit-il ce mont inaccessible,
Où ton ardeur veut s’élancer
Ne crains jamais de harasser
Les chevaux d’or de l’impossible.
Monte plus loin, plus haut, que ton esprit retors
Voudrait d’abord, parmi les sources,
À mi-côte, borner sa course ;
Toute la joie est dans l’essor !
Qui s’arrête sur le chemin, bientôt dévie ;
C’est l’angoisse, c’est la fureur,
C’est la rage contre l’erreur,
C’est la fièvre, qui sont la vie.
Ce qui fut hier le but est l’obstacle demain ;
Dans les cages les mieux gardées
S’entredévorent les idées
Sans que jamais meure leur faim.
Changer ! Monter ! est la règle la plus profonde.
L’immobile présent n’est pas
Un point d’appui pour le compas
Qui mesure l’orgueil du monde.
Que t’importe la sagesse d’antan qui va
Distribuant, comme des palmes,
Les victoires sûres et calmes,
Ton rêve ardent vole au delà !
Il faut en tes élans te dépasser sans cesse,
Être ton propre étonnement,
Sans demander aux dieux, comment
Ton front résiste à son ivresse.
Ton âme est un désir qui ne veut point finir ;
Et tes chevaux de l’impossible,
Du haut des monts inaccessibles,
— Eux seuls — la jetteront dans l’avenir.