L’instruction publique en Angleterre : lois de 1810 et de 1876/01

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L’instruction publique en Angleterre : lois de 1810 et de 1876
Revue pédagogique1, premier semestre (p. 146-153).
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L’INSTRUCTION PRIMAIRE EN ANGLETERRE
Lois de 1870 et de 1876.



Antérieurement à 1839, l’Angleterre n’avait pas, au vrai sens du mot, un système d’éducation nationale ; l’école était abandonnée à l’initiative personnelle, qui sut réaliser des progrès auxquels tout le monde se plaît à rendre justice. Mais le régime volontaire, si puissamment secondé qu’il fût par de généreuses libéralités, était encore resté bien au-dessous des besoins, et dans cette même année 1839, fut créé le Département d’éducation, autrement dit Comité du Conseil privé d’éducation, composé de membres de la Chambre haute. Grâce à l’action de ce nouveau pouvoir, des écoles libres en grand nombre passèrent sous la protection et la surveillance de l’État, qui les aida de ses subsides et dont l’intervention fut de plus en plus recherchée, Dès lors l’instruction primaire eut son budget formé, par tiers, de souscriptions volontaires, du montant de la rétribution des élèves et de subventions allouées par l’État.

Ce nouveau régime, quelque profitable qu’il fût à l’organisation scolaire, n’eut qu’une durée de quelques années ; il dut faire place à un autre système le jour où l’on constata que, dans les diverses parties du royaume, près de deux millions d’enfants, de l’âge de cinq à treize ans, étaient encore privés de toute instruction. Le mouvement en faveur d’une réforme radicale partit de la ville de Birmingham, et, en 1869, prit naissance la National Education League (Ligue de l’Éducation nationale), qui inscrivit en tête de son programme : Enseignement laïque et gratuit. Un projet de loi, rédigé par la Ligue d’éducation, allait être soumis au Parlement : mais le Gouvernement, d’accord avec le sentiment public, tint à préparer lui-même et à proposer à la Chambre des Communes le bill qui devint peu de temps après l’Elementary Education Act de 1870 (Loi sur l’Éducation élémentaire).

Avant de faire connaître, dans ses dispositions principales, cette loi qui sert de base à l’organisation scolaire actuelle, nous dirons que l’Angleterre est partagée en districts scolaires, lesquels correspondent aux divisions parlementaires dans la métropole, aux délimitations des bourgs dans les villes autres que Londres, et aux circonscriptions paroissiales dans le reste du pays. « Il y aura, est-il énoncé en tête de la loi, dans chaque district scolaire, des écoles, ou des établissements élémentaires publics, en nombre suffisant pour pourvoir convenablement à l’instruction de tous les enfants à l’éducation desquels il n’est pas pourvu autrement ». En exécution de cette disposition, le département d’éducation a le devoir de s’assurer et de déclarer que le nombre des écoles, dans chaque district scolaire, est suffisant et qu’il est satisfait aux besoins constatés. Là où il y a insuffisance, il est formé un comité scolaire chargé de compléter les moyens d’instruction ; si le comité scolaire est en défaut, le Département d’éducation intervient directement et prescrit d’office les mesures réclamées par les circonstances.

Le Comité scolaire est élu dans les bourgs par les personnes inscrites sur la liste des bourgeois, et dans les paroisses situées hors de la métropole par les contribuables. À Londres, le Comité scolaire, ou Conseil des Écoles, est composé de tel nombre de membres que fixe le Département d’éducation, et ces membres sont élus, pour chacune des divisions de la métropole, par les mêmes personnes et de la même manière que les membres du Conseil municipal. Le Conseil des Écoles est tenu de doter les diverses ressorts ou sections des aménagements scolaires nécessaires ; l’administration des nouvelles écoles est confiée au Comité scolaire, qui peut déléguer, sous sa responsabilité, la gestion et le contrôle de l’école à une commission administrative nommée par lui et composée de trois personnes au moins. Chaque Comité scolaire forme un corps administratif jouissant de la personnification civile, ayant qualité pour acquérir et prendre telles résolutions qu’il juge nécessaires, en se conformant aux dispositions de la présente loi.

Tout enfant, fréquentant une école publique, paie chaque semaine telle rétribution qui est fixée par le Comité scolaire. Remise partielle ou totale de cette rétribution peut être faite en faveur des enfants pauvres, selon le degré d’insolvabilité des parents. Dans les districts pauvres, le Comité scolaire peut ensuite, avec l’assentiment du Département d’éducation, rendre la fréquentation de l’école tout à fait gratuite ; il a aussi le droit d’établir des écoles industrielles, sous réserve des dispositions spéciales qui les régissent. Deux ou plusieurs districts scolaires peuvent être réunis en un seul, sauf dans la métropole, lorsque le Département d’éducation juge que cette réunion est plus avantageuse, et, dans ce cas, les districts unis sont substitués, dans tous les droits et dans toutes les obligations légales, à chacun des districts dont ils se composent.

La loi n’exige d’aucun enfant, comme condition d’admission dans une école publique, qu’il suive des exercices religieux, ou qu’il reçoive un enseignement sur des sujets religieux. Cet enseignement est donné au commencement où à la fin des classes, et l’enfant, à la demande de la famille, peut être dispensé de le recevoir. Enfin, l’enfant n’est pas tenu de se rendre à l’école aux jours spécialement réservés à la pratique des devoirs religieux dans la confession à laquelle appartiennent ses parents. Sans doute, l’école reste ouverte en tout temps aux inspecteurs royaux ; mais il n’entre pas dans les attributions de ces inspecteurs de s’enquérir de l’instruction religieuse qui se donne à l’école, ni d’examiner aucun élève en cette matière sur aucun sujet ou livre de religion. Il ressort de tout ceci que l’enseignement religieux n’est pas exclu des programmes suivis dans les écoles publiques, mais que cet enseignement doit être donné dans des conditions et à des heures déterminées. Le Parlement, en rendant cette loi, a entendu avant tout assurer à tous les enfants les bienfaits de l’éducation élémentaire, telle qu’il appartient à l’État de la donner ; mais dans son vote, il a été unanime à reconnaître et à déclarer que la religion ne serait pas exclue du système d’enseignement mis en pratique dans les écoles subventionnées.

Il est pourvu aux dépenses d’entretien des écoles au moyen d’un fonds spécial nommé fonds scolaire. Ce fonds se compose de rétributions versées par les élèves, du produit d’une imposition spéciale et des subsides accordés par l’État. Lorsqu’il y a déficit dans les ressources, la somme requise pour le combler est payée par l’autorité administrative du fonds des taxes locales. Pour les districts réunis, le Département d’éducation fixe la part contributive de chacun des districts qui entretiennent en commun des écoles. La loi complémentaire de 1873 reconnaît aux Comités scolaires qualité pour accepter et gérer les fondations ou donations faites à des écoles, sous la condition que l’objet de ces libéralités ne soit pas en opposition avec les principes édictés dans la loi de 1870. Il est procédé à la liquidation et à l’examen des dépenses annuelles, du 25 mars au 29 septembre ; les comptes sont arrêtés par le Comité et signés par le président. L’audition des comptes se fait par l’auditeur des comptes des pauvres du district dans lequel les écoles sont situées, au siége du Comité, ou dans tel autre endroit que désigne le Comité législatif des pauvres. Il est loisible à tout contribuable du district scolaire d’assister à l’audition et de faire des observations sur le compte.

La loi de 1870 ne rend pas la fréquentation obligatoire ; seulement elle confère aux Comités scolaires le pouvoir de prescrire telles mesures qui leur paraissent utiles en vue de déterminer les parents à envoyer aux écoles tous les enfants entre 5 et 13 ans. Encore ces mesures pour être exécutoires doivent-elles recevoir l’approbation du Département d’éducation.

Nous avons dit, dans un précédent article, que le principe de l’obligation ne rencontrait aucune opposition de la part de tous ceux qui s’intéressent aux progrès de l’enseignement primaire, qu’il est même en faveur auprès des classes pauvres. Un Inspecteur des écoles de grande expérience et de grande autorité a émis à ce sujet des considérations qui ont leur importance. « La chose difficile, dit M. Arnold dans un de ses rapports, ne serait pas de rendre une loi déclarant l’enseignement obligatoire, mais de faire exécuter la loi après qu’elle serait rendue. En Prusse, dont on invoque à tout propos l’exemple, l’instruction est florissante non parce qu’elle est obligatoire, elle est obligatoire parce qu’elle est florissante. Là le peuple tient en haute estime la culture intellectuelle et la met au-dessus de tous les autres biens ; aussi ne fait-il pas difficulté de s’imposer le devoir de rechercher et d’acquérir l’instruction. En Angleterre on a le goût inné des affaires, on veut gagner de l’argent et arriver vite à la fortune sans laquelle il n’y a dans ce pays nulle considération ; aussi longtemps que nous donnerons la préférence à ces choses, nous pourrons légiférer à notre aise sur l’instruction populaire, nous ne ferons œuvre ni sérieuse ni durable. Quand l’instruction sera appréciée chez nous comme elle l’est en Allemagne, nous pourrons songer à la rendre obligatoire. Pour le moment, le meilleur moyen de servir la cause de l’enseignement est d’en faire naître et développer le goût dans l’esprit de la nation. »

La loi de 1870, sans être parfaite, a réalisé un grand bienfait, en ce que l’action de l’État s’est substituée à l’initiative privée, et que, par la formation des comités scolaires, l’instruction à pénétré jusque dans les localités les plus retirées et les plus obscures. L’ignorance et l’apathie des parents, de même que la cupidité des chefs d’industrie, seront encore des obstacles à la diffusion de l’enseignement, surtout dans les centres manufacturiers et dans les pays agricoles ; mais ces résistances ne sauraient tenir longtemps contre la puissance des moyens employés pour les vaincre. Ce qui importe, c’est de faire d’abord comprendre aux classes pauvres les avantages de l’instruction et d’exciter en elles le désir de l’acquérir. Avec le temps des générations plus éclairées s’élèveront, et sous l’influence d’une législation nouvelle, apprécieront mieux l’importance d’une éducation vraiment nationale.

Les hommes d’État et les publicistes anglais pensent généralement que quiconque s’occupe de l’éducation des enfants, doit avoir en vue trois choses : initier les enfants aux connaissances les plus indispensables dans les diverses circonstances de la vie, leur enseigner les vérités fondamentales de la religion chrétienne, former et élever en eux le caractère, en d’autres termes, exciter et développer le sentiment de la dignité personnelle. On peut différer d’opinion sur l’importance à donner à chacun de ces trois éléments de l’éducation, ainsi que sur les moyens les plus propres pour les communiquer ; mais il n’est personne, ayant médité un instant sur ces questions, qui ne reconnaisse que l’enseignement auquel il manquerait l’une des conditions que nous venons d’énoncer, serait un enseignement imparfait.

Un autre inspecteur des écoles, dans un de ses rapports, insistait tout particulièrement sur les habitudes que l’enfant contracte de bonne heure à l’école, et qui devront exercer plus tard sur les événements de la vie une influence heureuse ou funeste. « Nul doute, dit M. Bellairs, tant vaut le maître, tant vaut l’école. Le maître est-il indolent, négligé dans la préparation de ses leçons, se montre-t-il indifférent aux travaux de ses élèves. l’indiscipline et le désordre régneront dans la classe, quelle que soit l’étendue de son savoir, ou la perfection de ses méthodes. Est-il au contraire, laborieux, vigilant, jaloux de rendre son enseignement fructueux et intéressant, ses qualités se communiqueront aux élèves avec plus ou moins de facilité, selon le milieu auquel ils appartiennent. Les leçons de l’école suivent l’enfant plus tard dans la vie ; les préceptes et les exemples du maître sont une semence qui portera tôt où tard ses fruits. Je ferai volontiers la part de la première éducation, bonne ou mauvaise, que l’enfant a reçue. dans la maison paternelle, mais j’affirme que de l’éducation donnée dans nos écoles publiques dépendra en bien ou en mal le caractère de la nation. »

Ici vient se placer naturellement la question du choix des maîtres auxquels doit être confiée la direction des écoles. En Prusse et aussi en France, le recrutement du personnel enseignant se fait dans des conditions meilleures qu’en Angleterre. Dans ces deux pays, il existe depuis longtemps des établissements spéciaux, largement dotés par l’État ou par les administrations locales, et où la science pédagogique est enseignée par des professeurs éprouvés. En Prusse, on aurait peine à comprendre que l’éducation des enfants fût confiée à des maîtres qui ne seraient pas préparés de longue main à l’art de l’enseignement, celui de tous les arts qui est le plus difficile. L’instituteur prussien est instruit ; il aime sa profession dont les devoirs ne lui coûtent pas à remplir, et toujours il s’efforce de donner à son enseignement un intérêt qui le rend attrayant pour les élèves. À cet égard l’instituteur anglais, sauf dans les centres importants, est dans un état d’infériorité auquel la loi de 1870 n’a remédié qu’en partie et qui appelle des réformes sérieuses.

Plusieurs de ces améliorations seront réalisées par les lois qui suivront, notamment par la loi de 1876, dans laquelle est établi, avec une sanction positive, le principe de l’obligation, et dont nous exposerons l’économie dans un prochain numéro.