L’intendant Bigot/07

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George E. Desbarats, éditeur (p. 35-39).

CHAPITRE VII.

LE GUET-APENS.


Arrivée le vingt-cinq de juin au bas de l’île d’Orléans, la flotte anglaise avait, dans l’après-midi du jour qui vit se dérouler les événements que nous venons d’exposer, c’est-à-dire le vingt-sept, débarqué une partie de ses hommes vers le haut de l’île.[1]

Wolfe y trouva l’île déserte ; car suivant l’ordre qu’ils avaient reçu dès le mois de mai, les habitants avaient dû déserter leurs foyers pour se retirer à Charlesbourg.[2]

Le commandant anglais, qui avait espéré tirer quelques renseignements sur l’état de la capitale, des prisonniers qu’il pourrait faire à l’île d’Orléans, fut donc bien déconcerté de n’y trouver personne.

Comme il voulait néanmoins, avant d’attaquer la place, connaître les ressources et les endroits faibles de la ville à assiéger, il ordonna que le soir même, dès que la nuit pourrait favoriser cette expédition, un petit parti d’éclaireurs pousserait une reconnaissance du côté de Québec.

En effet, sur les huit heures et demie du soir, deux chaloupes quittaient le vaisseau de l’amiral anglais et glissaient sans bruit sur la surface de l’eau que baignaient les ténèbres.

Les avirons, soigneusement entourés de linge, ne rendaient aucun son en roulant sur le plat-bord des embarcations.

Ce fut dans le plus grand silence que les hardis éclaireurs, qui avaient pour mission spéciale de ramener quelques prisonniers, se dirigèrent vers l’embouchure de la rivière Saint-Charles.

La lune n’était pas encore levée.

Mais voyons comment on avait fortifié la capitale.

On se rappelle qu’il avait été décidé de réunir la majeure partie des troupes françaises dans le camp de Beauport.

Quant à la ville, six cents miliciens, commandés par M. de Ramesay, lieutenant du roi, devaient composer sa garnison, outre un petit nombre de matelots et de soldats de la marine, chargés du soin de l’artillerie, sous les ordres de M. le Mercier.

M. de Ramesay, qui fit preuve d’une si grande inertie quelques mois plus tard, ne possédait pas la confiance illimitée de ses chefs, puisque l’auteur du « Mémoire sur les affaires du Canada » dit que M. le lieutenant du roi « eut la disgrâce que l’on confiât à M. de Bernets, chevalier commandeur de Malte, le commandement de la basse ville, qui était, l’endroit pour lequel on craignait le plus. »

Cet auteur a tort de blâmer ce fait ; car la capitulation prématurée de Québec a fixé l’opinion de tous sur M. de Ramesay.

Les fortifications de la capitale avaient été entièrement négligées jusqu’à la veille du siège ; incurie d’autant plus surprenante qu’on avait dépensé des sommes fabuleuses pour des postes inutiles et distants de cinq à six cents lieues. Apparemment que MM. Bigot et Cie. y trouvaient leur intérêt.

Le moment critique arrivé, il fallait pourtant bien songer un peu à cette pauvre capitale si délaissée jusque-là, et que M. de Montcalm lui-même — on le lui a reproché — semble avoir à peu près abandonnée en se retirant à Beauport.

Voici donc les mesures hâtives qui furent prises pour la défense de la ville :

Un ouvrage en palissades, qui partait du coin de l’évêché[3] pour monter jusqu’au château, formait la communication de la basse à la haute-ville. Au-dessus s’élevait un cavalier dont les canons battaient la côte de la Montagne.

La batterie qui dominait la cime du roc, en arrière de l’évêché et des jardins du Séminaire, fut prolongée jusqu’à l’intendance ; mais on eut soin de garnir de palissades les endroits où les murs n’étaient pas encore élevés.

Du côté de la campagne, dit M. Garneau, le rempart, dépourvu de parapet, d’embrasures et de canons, n’avait que six à sept pieds de hauteur, et n’était protégé extérieurement par aucun fossé ou glacis.

À la basse-ville, ou avait ajouté de nouvelles batteries aux anciennes, tandis que toutes les ouvertures des maisons et des rues qui communiquaient au fleuve étaient fermées.

Entourés de palissades, le faubourg Saint-Roch et l’intendance étaient fortifiés, tant bien que mal, par des bastions garnis de bouches à feu.

En outre, deux navires qu’on avait fait caler vis-à-vis du palais de l’intendant, défendaient, avec du canon, le passage de la rivière Saint-Charles.[4]

Maintenant, avant que de reprendre le récit au point où nous l’avons laissé dans le chapitre qui précède, étudions un peu la topographie de ce quartier du palais qui se trouvait entre l’intendance et la rivière.

On sait que le palais de l’intendant avec les dépendances, c’est-à-dire les magasins du roi, les prisons[5], les bureaux des magasins et la maison du roi à droite ; et à gauche, la Remise, la Potasse avec les jardins et le parc, occupaient tout le terrain aujourd’hui situé entre les rues Saint-Nicolas, Saint-Paul, Saint-Roch et la rue « Sous-le-Côteau »[6], qui longe la base du roc dominé par les murs de fortification.

En arrière du palais se trouvait la « Cour où l’on mettait le bois du Roy. »[7]

Mais ce que l’on ignore peut-être, c’est qu’à l’extrémité nord-ouest et en dehors de l’enceinte du parc, c’est-à-dire, aujourd’hui, au bout de la rue Saint-Paul, se trouvaient deux immenses hangars, dans l’un desquels « on faisait les mâts des vaisseaux ; » et qu’en face de ces deux bâtisses s’élevait, sur la pointe de terre qui supporte aujourd’hui le quai de Saint-Roch, une chapelle qui avait ce même nom.[8]

En revenant un peu vers la ville et derrière le parc, là où s’étend maintenant le quai Caron, il y avait une redoute qui portait le nom de Saint-Nicolas.

Entre cette redoute et la rue du même nom, régnait une plage déserte qui se prolongeait, en descendant la rivière, jusqu’à l’extrémité nord de la rue Saint-Nicolas, où commençait, en gagnant la basse-ville, des chantiers et un hangar de construction, protégés au nord-est par une grande digue de pierre appelée la digue du Palais.[9]

Des vieillards se souviennent encore de cette digue.

Pour n’avoir rien de romantique, cette description n’est pourtant pas sans utilité, puisque sans elle on ne saurait se faire une idée de la position des principaux personnages de ce drame au moment où le carrosse de Mme Péan avait été arrêté par un parti d’Anglais.

Après être entrées dans l’embouchure de la rivière Saint-Charles avec la marée montante, les deux chaloupes anglaises avaient rasé sans bruit la plage déserte que les flots baignaient alors en arrière de la petite rue Saut-au-Matelot, puis passant près des chantiers, silencieux et sombres, les deux embarcations étaient venues s’échouer sur la plage déserte que nous venons de mentionner, c’est-à-dire quelques centaines de pieds en bas de la redoute Saint-Nicolas et des deux navires qui barraient la rivière.

Ils étaient douze, six hommes dans chacune des embarcations.

Lorsqu’ils se furent assurés qu’on ne les avait point vus et que personne ne les épiait dans les environs, deux d’entre eux restèrent pour veiller aux chaloupes, tandis que les dix autres débarquaient quelques cents pieds en arrière de la « Maison du Roy, » située au bas de la rue Saint-Nicolas et du côté de l’intendance.

Comme ils avaient eu la prévoyance, durant l’après-midi, d’examiner avec soin de la flotte, à l’aide d’une forte longue-vue, les lieux qu’ils devaient explorer le soir, les aventuriers s’y reconnurent assez bien pour ne pas aller se heurter à la barricade qui coupait la rue Saint-Nicolas, vis-à-vis de la « Maison du Roy ».

Quant à la redoute qui défendait le rivage, vis-à-vis de l’intendance, ils eurent le plus grand soin d’en éviter le voisinage, et gardant une distance égale entre la rivière et l’enceinte du parc, ils se glissèrent inaperçus et se blottirent entre les hangars situés près de la rue Saint-Roch.

By God ! dit alors le capitaine Brown, qui commandait ce petit détachement de braves, Diane aurait bien dû rester plus longtemps couchée. On va voir nos chaloupes !

Une subite clarté venait en effet d’envahir le ciel, car la lune se levait radieuse.

Il était près de neuf heures.

Craignant d’être vus, les dix hommes se coulèrent entre les deux hangars inhabités.

Pendant un quart d’heure, la blanche lumière de la lune caressa de ses reflets d’argent les eaux du fleuve, le camp de Beauport et la ville entière.

Les Anglais purent voir se détacher du ciel, dont l’azur éclairé faisait ressortir au loin la ligne sombre et tourmentée des Laurentides, la silhouette de la sentinelle qui montait la garde sur la redoute de Saint-Nicolas.

Deux cents toises les séparaient à peine du factionnaire.

— Le beau point de mire, dit l’un des Anglais qui épaula son mousquet.

— Ne tirez pas, par tous les diables ! grommela Brown en lui arrêtant la main.

— Pas si bête ! monsieur ; bien que ce ne soit pas l’envie qui m’en manque, répondit l’autre. Affaire de s’exercer l’œil, voilà tout.

Peu à peu cependant pâlit la lueur diaphane de la lune et l’ombre vaporeuse de la nuit, un moment refoulée par la lumière, revint bientôt planer sur la terre… Dans sa course triomphante, la blonde Phœbée, comme on disait dans le langage mythologique du temps, venait de rencontrer plusieurs gros nuages noirs qui couraient par le ciel et qui, sans respect pour sa majesté la reine des nuits, voilaient son auguste face.

— Ce ciel nuageux me rassérène le cœur, dit le capitaine, et pour peu qu’il continue à nous être propice, nous courrons moins de dangers que je ne l’aurais cru d’abord.

— Cette sentinelle n’a pas dû voir nos chaloupes, murmura l’un des hommes. Elle continue tranquillement sa marche sur le parapet de la redoute.

En effet le factionnaire, qui pourtant faisait bonne garde, n’avait pu voir ni entendre les Anglais, ceux-ci étant arrivés dans la rivière à la faveur de l’obscurité et dans le plus grand silence.

Puis un cran de rocher, qui s’élevait de dix pieds hors de l’eau et derrière lequel se trouvaient les deux chaloupes, avait empêché qu’on ne remarquât la présence inaccoutumée de ces embarcations.

Eussent-elles été en plus grand nombre, les circonstances auraient été totalement changées, les conditions de silence et d’espace cessant d’être les mêmes. C’est-à-dire que trente chaloupes n’auraient pu s’approcher sans bruit et disparaître au regard comme deux l’avaient su faire.

Les dix Anglais s’étaient cependant concertés. Il leur fallait amener quelques prisonniers. Mais où en prendre ? Le quartier où ils se trouvaient était désert, à part trois ou quatre maisons qui longeaient la rue Saint-Roch dans le voisinage de la chapelle. Encore semblaient-elles inhabitées car il n’en sortait ni bruit ni lumière.

— Attendons ! dit Brown à ses hommes. Il passera bien quelqu’un par ici ce soir. Impossible qu’il n’y ait pas d’allées et venues d’ici à deux ou trois heures entre le camp de Beauport et la ville. En cet endroit, nous sommes presque en sûreté avec autant de chance de réussite que partout ailleurs ; à moins, toutefois, que nous ne pénétrions dans la ville, entreprise que notre petit nombre rend irréalisable. Prenons donc patience.

Et pour donner l’exemple, le capitaine s’assit sur une énorme pièce de bois destinée à la mâture d’un vaisseau de haut bord.

Puis il demanda à l’un de ses hommes une torquette de tabac dans laquelle il coupa une chique à belles dents, tout officier qu’il était, vu l’impossibilité de fumer. La torquette fit le tour du cercle et les aventuriers se mirent à lancer à tour de rôle, avec une gravité toute britannique, de longs jets de salive.

Une heure s’écoula durant laquelle des Français se seraient rongés les poings plutôt que de rester si longtemps inactifs.

Eux ne bougèrent pas plus que s’ils eussent été couchés dans leur hamac.

L’horloge du beffroi de la cathédrale venait de sonner lentement dix heures, et les vibrations de la cloche, que leur permettait d’entendre le grand silence qui régnait de par la ville, bruissaient encore à leurs oreilles, affaiblies, néanmoins, par la distance, lorsque le capitaine Brown se leva soudain.

— Écoutez ! dit-il.

Un roulement lointain grondait sourdement dans la direction de la rivière Saint-Charles.

— Venez, dit Brown à ses gens.

Tous ensemble longèrent le hangar et marchèrent vers la rue Saint-Roch.

— Maintenant, que personne ne bouge ! fit Brown qui se coucha pour appuyer son oreille sur le sol.

Il écouta.

— C’est une voiture, reprit-il en se relevant après quelques secondes. Elle vient de notre côté. Blottissons-nous au bout de ce hangar. Soyons prêts à l’arrêter quand elle sera en vue.

Il était temps.

Le carrosse de Mme Péan n’était plus qu’à deux cents pas.

Au moment où il traversait la rue Saint-Roch pour longer l’enceinte du parc, les Anglais bondirent comme des jaguars à la tête des chevaux, qu’arrêtèrent de vigoureux bras.

Ce fut alors que Raoul et Jean accoururent en avant du carrosse.

Bien que démontés par un double coup de feu, les deux cavaliers gardèrent assez de sang-froid pour s’empêcher de tomber et de rester engagés sous leurs chevaux. Tous deux bondissant en arrière vinrent s’adosser à la portière du carrosse et firent face à leurs ennemis, Raoul se couvrant de son épée, et Lavigueur brandissant sa lourde rapière de cavalerie.

Ils ne pouvaient se servir de leurs pistolets, restés dans les fontes, sur la selle des chevaux morts.

Le premier assaillant qui s’approcha reçut en plein corps un coup de pointe de l’épée de Raoul.

Il râla et tomba.

— Et d’un ! fit Beaulac, qui, après s’être fendu à fond, se remit en garde.

— De deux ! dit Lavigueur. Et d’un furieux coup de taille, il fendit jusqu’aux oreilles le crâne d’un autre Anglais.

— Par Dieu ! finissons-en ! vociféra Brown, voici qu’on accourt !

En effet, Bigot arrivait à bride abattue ; il n’était plus qu’à soixante pas.

Le capitaine arma l’un de ses pistolets et le déchargea presque à bout portant sur Raoul qui, du coup, eut la garde de son épée broyée dans la main, tandis que la balle lui labourait les chairs de l’avant-bras et traversait la voiture de part en part en passant à deux doigts de Berthe et de Mme Péan.

— Malédiction ! cria Raoul en lâchant son arme.

Deux Anglais s’élancent, le saisissent aux quatre membres et l’emportent en courant.

Au même instant Lavigueur, qui avait jusqu’alors tenu ses ennemis en respect, tombe soudain la face contre terre en proférant un affreux juron.

L’un des Anglais s’est glissé, par derrière, sous la voiture et l’a traîtreusement jeté à terre en le tirant par les pieds.

Pendant qu’on se saisit du Canadien, Brown ouvre la portière, tire violemment à lui la dame qui se trouve de son côté et, malgré la résistance qu’elle lui oppose, la charge sur ses épaules et bondit avec sa proie dans la direction des chaloupes.

L’autre femme laissée dans la voiture attire par ses cris l’attention des trois Anglais qui restent en arrière.

L’un d’eux se penche dans l’ouverture béante du carrosse pour tirer cette femme à soi.

Mais il lâche un blasphème et retombe sanglant hors de la voiture.

— Arrière ! bandits ! a crié une voix retentissante coupée par une détonation.

C’est Bigot qui vient de tomber comme la foudre au milieu des trois ennemis et de casser d’une pistolade les reins de celui dont la tête entrait par la portière.

Les deux autres, terrifiés, prennent la fuite.

— Ne crains rien, Angélique ! dit Bigot, qui a reconnu à ses cris la voix de sa maîtresse.

Mme Péan s’élance hors de la voiture. Bigot se baisse vers elle, l’enlève comme une plume, la jette en travers de sa selle et, faisant volte-face, revient au galop vers la rue Saint-Nicolas.

Les coups de feu et les cris ont donné l’éveil.

Une escouade de miliciens portant des torches accourt de la redoute au pas de charge.

Mais il est trop tard. La clarté des flambeaux qu’on agite en ce moment sur les deux navires coulés au milieu de la rivière, sur la redoute et le long du rivage, et s’épandant au loin sur l’eau, laisse voir les deux chaloupes qui s’enfuient à force de rames, après avoir dépassé la digue de pierre.

— Par la corbleu ! s’écrie l’un des spectateurs les plus rapprochés, en voilà une qui chavire.

En effet, l’une des embarcations, elle était en avant de l’autre, se présentait aux regards la quille en l’air, tandis que des cris étouffés, comme ceux de gens qui se noient, s’élevaient dans la nuit.

Voici ce qui était arrivé.

Amenés les premiers aux chaloupes, Beaulac et Lavigueur avaient été garrottés à la hâte et jetés au fond de la première embarcation venue. Puis, trois des quatre hommes qui les avaient faits prisonniers avaient poussé au large sans attendre les autres.

En comptant celui qui était resté à bord pour la garde de la chaloupe, ils étaient quatre qui, penchés sur leurs rames, firent aussitôt bondir la pirogue en avant.

Telles étaient leurs instructions.

Lavigueur et Beaulac avaient cependant été garrottés trop précipitamment ; aussi la chaloupe dans laquelle on les retenait prisonniers n’était pas encore à cinquante pas du rivage que déjà Lavigueur, grâce à la puissance de ses muscles, avait fait glisser dans ses liens sa main droite qui n’eut rien de plus pressé, une fois libre, que d’aller tirer de sa gaine un long couteau de chasse accroché à sa ceinture. L’arme était tranchante comme un rasoir : d’un seul mouvement, Lavigueur coupa les liens qui entouraient ses pieds et ses jambes. Puis se penchant vers Beaulac étendu tout à côté, il lui rendit le même service en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Les rameurs étaient trop occupés à fuir pour le remarquer.

Jean approcha doucement ses lèvres de l’oreille de Raoul et lui souffla ces mots :

— Jetons-nous à tribord en faisant verser la chaloupe et piquons à terre. Houp !

Ce cri se confondit avec celui des rameurs qui poussèrent des hurlements d’effroi en se sentant tout à coup submergés.

Deux têtes reparurent aussitôt ruisselantes hors de l’eau et fendirent le flot en se dirigeant vers la digue de pierre.

— Allons ! courage, mon lieutenant, dit Lavigueur qui s’aperçut que Beaulac nageait difficilement à cause de sa blessure au bras droit. Hardi ! mon officier ; dix brassées encore et nous y sommes.

Tous deux touchèrent bientôt la digue du palais, d’où ils gagnèrent le rivage en courant.

Quant aux quatre Anglais qui avaient partagé leur bain, deux se noyèrent, ne sachant pas nager. Brown recueillit les autres en jurant comme un payen que c’était bien la peine d’avoir perdu cinq hommes pour prendre une femme.

On manqua faire un mauvais parti à Beaulac et à Lavigueur lorsqu’ils atteignirent terre près des chantiers, vu qu’on les prit pour des ennemis.

Lorsqu’ils eurent été reconnus, Raoul écarta de son bras gauche le cercle de curieux qui l’entouraient, et prit, suivi de Jean, sa course dans la direction du parc.

Mais ils furent arrêtés, au bas de la rue Saint-Nicolas, pas une voiture qui barrait le chemin, parce que le cocher ne pouvait donner le mot d’ordre aux soldats gardiens de la barricade, qui refusaient de laisser passer le véhicule.

— Cordieu ! c’est le carrosse ! s’écria Raoul. Pour l’amour de Dieu ! cocher, que sont devenues les dames !

Mme Péan est en sûreté, monsieur. M. l’intendant l’a ramenée sur son cheval à la ville.

— L’autre ! l’autre ! mille tonnerres ! cria Raoul avec Angoisse.

— L’autre ! monsieur ; ah ! c’est différent. Comme je m’étais jeté à plat-ventre sur la boîte de la voiture, afin d’éviter les coups, j’ai vu un anglais l’emporter en courant.

— Damnation ! l’avoir retrouvée pour la perdre aussitôt ! Ô mon Dieu ! vous me haïssez donc !

Et Raoul s’affaissa sur la terre en se tordant les bras.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
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  1. M. Ferland, tome II, p. 572.
  2. Histoire de l’île d’Orléans, par L. P. Turcotte, p. 40 et suivantes.
  3. En relisant, dans François de Bienville, le chapitre intitule : « Le vieux Québec, » on se souviendra que l’évêché se trouvait alors à la place des bâtisses de notre parlement provincial.
  4. Détails tiré du « Mémoire sur les affaires du Canada. »
  5. Les prisons s’élevaient sur la rue Saint-Nicolas, à côté de l’endroit où se trouve aujourd’hui l’épicerie de M. Alexandre Fraser.
  6. La commencement de la rue Saint-Vallier, aujourd’hui.
  7. C’est encore là que l’on met en partie le bois de chauffage de la garnison.
  8. La chapelle Saint-Roch devait se trouver sur le bord de la rivière, à peu près vers l’endroit où commence maintenant la rue de la Reine.
  9. J’ai pris tous ces détails à la bibliothèque de l’Université Laval, sur la copie, dessinée par M. P. L. Morin, d’un plan dont l’original est déposé dans les archives du Séminaire de Québec.