L’invasion noire 1/3

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CHAPITRE III


L’expérience d’Atongha. — EL Kef. — Le plan de campagne du Sultan. — Les sept Armées du Nord. — Omar, chef d’état—major. — Une invasion de treize millions d’Africains. — Le Tchad.— A Koula. — Le harem de Mue. — Souvenirs de Saint—Cyr. — Touaregs et méharis. — Une caravane de traitants.


Depuis le matin tous les nègres couvraient les bords de la rivière, attendant le résultat de l’explosion annoncée et préparée par Zérouk à la chute même d’Atougha.

Le bruit s’était répandu rapidement parmi eux qu’un étranger possédant un secret terrible, capable de soulever les montagnes, était venu l’offrir à leur maître et, curieux, ils attendaient l’écroulement de l’énorme rocher qui semblait indéracinable au milieu du bouillonnement des eaux.

Pendant ces quinze jours ils avaient vu ceux des leurs que le sultan avait mis à la disposition du « renégat », percer des trous de distance en distance dans la masse rocheuse.

Suspendus par des cordes solidement fixées au sommet du roc, ces travailleurs avaient creusé des cavités suffisantes pour y introduire une grosse jarre de terre remplie d’une matière inconnue d’eux et qu’ils ne maniaient qu’avec une sainte terreur, persuadés qu’elle renfermait un morceau de la foudre.

Ces récipients introduits, ils avaient maçonné l’extrémité de chacune des cellules, de sorte que le travail terminé, El Kef était tacheté de points blancs.

Pendant ce temps Zérouk, après avoir fait une provision considérable de sel marin, denrée assez commune dans cette région où elle servait d’objet d’échange, avait fait creuser en terre un four de forme particulière intérieurement revêtu de glaise, et surmonté d’une cheminée assez élevée ; et depuis le jour où il l’avait allumé, le feu n’avait cessé ni le jour ni la nuit.

Par quel procédé, avec des éléments aussi primitifs, avait-il préparé une substance explosible ? Omar lui-même n’avait pu le deviner.

Il en était réduit à supposer que l’Anglais avait trouvé un procédé spécial pour séparer les deux corps qui composent le sel gemme, le chlore et le sodium, qu’il avait pu aussi, à l’aide de la chaleur et du fer, dissocier l’oxygène et l’hydrogène de l’eau, créer enfin du carbone avec le bois.

Mais comment ces éléments se réunissaient-ils pour créer une force explosive ?…

Mystère !

— Es-tu prêt ? demanda le sultan, lorsque Zérouk parut devant lui, noir de fumée et les yeux rougis par les veilles prolongées devant un feu ardent.

— J’attends ton ordre, répondit l’Anglais, fais-moi seulement donner un fusil chargé.

— Qu’en veux-tu faire ?

— Déterminer l’explosion que je t’ai annoncée.

— Comment cela ?

— Mon procédé de mise à feu n’est pas celui que tu as vu employer partout : des mèches et du fulminate de mercure je n’en ai point ; l’électricité me manque : c’est par le choc d’une balle sur l’explosif lui-même que je mets le feu à l’une des mines partielles que j’ai fait creuser de distance en distance. Celle qui doit être frappée par le projectile est située au point le plus bas, au niveau de l’eau, tu dois la remarquer d’ici, elle n’est pas murée et il suffira que la balle brise la jarre de la terre.

— Et comment partiront les autres ?

— Par influence : l’explosion de la première fera partir la plus voisine, celle-ci agira sur la suivante et ainsi de suite ; mais ces effets, bien que successifs, seront tellement rapides qu’ils paraîtront simultanés.

— C’est merveilleux de simplicité en effet ; et à quelle distance faut-il que mes gens s’éloignent pour n’avoir rien à craindre ?

— Ils n’ont rien à craindre à cent mètres du point d’explosion : j’ai voulu seulement déterminer la chute du rocher et je n’ai employé que des charges strictement suffisantes ; de plus, mon explosif est brisant : il pulvérise sur place, mais ne projette pas de morceaux au loin.

— Et si tu avais doublé les quantités ?

— Alors l’effet eût été effrayant ; tu verras plus tard…

— Tiens, Selim, dit le sultan s’adressant au commandant de sa garde, choisis ton meilleur tireur et donne-lui comme point à viser le trou noir qu’on va te montrer ; tu me donneras ainsi en même temps une idée de la justesse des nouvelles armes qui ont été distribuées à tes hommes.

Le commandant de la garde était un splendide gaillard d’une quarantaine d’années : noir comme un corbeau, il appartenait à la belliqueuse population du Mossi que Binger avait visitée en 1888 ; il avait d’abord servi sept ans aux tirailleurs haoussas recrutés par les Français sur les bords du Niger ; puis, rentré dans son pays, il était, à la suite d’une révolution, devenu le Naba-Sanom ou chef suprême de sa tribu, et c’est en constatant la manière intelligente dont il avait organisé et instruit une petite armée à Ouaghadougou, sa capitale, que le sultan lui avait confié le commandement de sa garde.

Il était imberbe et portait par-dessus son burnous rouge une peau de panthère à laquelle étaient suspendus des pitons en fer, bijoux très recherchés, et comme les Touaregs, il avait orné sa chéchia d’une bordure de gris-gris, amulette renommée dans tout le Soudan.

Il fit un signe et un nègre sortit des rangs, écouta les explications qui lui furent données, regarda le point a viser dont il était distant de deux cents mètres environ, mit un genou en terre et fit feu.

Il avait bien visé.

Une explosion sourde se produisit et un zigzag de flammes gagna en une seconde le sommet du rocher, l’entourant d’une épaisse fumée.

L’eau jaillit de tous côtés, s’épanouit en gerbes, retomba en colonne et projeta au loin une poussière brillante mêlée de débris de rochers : quand la fumée eut disparu, El Kef n’existait plus.

A sa place, la nappe d’eau d’Atougha s’étalait plus large et sans solution de continuité.

Le sultan avait suivi l’expérience avec une extrême attention.

— Il est vrai, tu possèdes une merveilleuse puissance, Zérouk, dit-il au bout d’un instant. Va, et puisses-tu en la faisant servir au triomphe de notre cause, me persuader de la sincérité de ta conversion. Tu sais que le Prophète préfère un chrétien converti à deux musulmans.

En rentrant dans le bôma, le sultan trouva Omar plongé dans ses cartes et prenant fiévreusement des notes.

— Toujours ce plan de campagne, dit-il, tu as raison de le bien étudier, car une question va primer toutes les autres dans cette marche de combattants innombrables : celle de l’alimentation.

— Évidemment, père, il ne faudrait pas que les approvisionnements emportés fussent consommés de suite ; il est indispensable qu’ils soient réservés pour la période de concentration.

— Il faut donc, dit le sultan, que toutes ces armées en marche vivent en Afrique des ressources qu’elles trouveront sur leur route.

— Et pour cela, reprit Omar, il est indispensable d’assigner à chacune d’elles des lignes de marche différentes, afin que les plus éloignées ne trouvent pas le pays dévasté par celles qui les auraient précédées. C’est ce dont je m’occupe en ce moment.

— As-tu déterminé quelles étaient les armées qui feraient face aux possessions françaises du Nord et tenteraient de gagner l’Europe par l’Espagne et la Sicile ?

— Oui, père, et leur composition me semble indiquée tout naturellement par leur position géographique. Une première armée, composée de Marocains et d’Algériens, sous les ordres de Ben-Amema, marchera sur Alger : c’est l’armée du Touat ; d’après les calculs du cheik de Tafilet, qui connaît à fond tous les Kouans sur lesquels on peut compter, cette armée grossie de tous les Algériens délivrés du joug français pourra atteindre 800.000 combattants en arrivant à la mer. Je ne parle pas des Tunisiens, gens efféminés, complètement soumis aux chrétiens et sur lesquels il ne faut pas compter.

Derrière cette première masse marchera l’armée de Mauritanie, conduite par Hadj-Ibrahim, chérif de l’Adrar ; elle devra comprendre au moins 200.000 Maures et tu connais leur férocité. Partout où ils auront passé, rien ne restera debout.

Les Touaregs de toutes provenances formeront sans doute un corps à part, bien qu’ils ne soient pas plus de 60.000 : Ischeriden, leur chef, nous fixera lorsque nous irons à Aghadés : ils seraient l’aile droite de l’armée du Touat et nous leur abandonnerions la Tunisie.

Enfin, Karamoko, avec les tribus du Sénégal et du haut. Niger, aura d’abord à jeter les Français à la mer vers l’Ouest ; cette besogne faite, il se mettra également en marche vers le Nord ; il estime à 300.000 guerriers les forces qu’il pourra réunir.

Les nègres de Libéria, de la cote d’Ivoire, de Sierra-Leone et des Achantis, commandés par Si-Mahmoud, le roi de Kong, nous débarrasseront des Anglais et des Portugais de la côte de Guinée et suivront ensuite Karamoko.

Da-Glé, ayant sous ses ordres les Dahoméens, les gens de Togo et du Bénin, c’est-à-dire une armée de 100.000 combattants aguerris, exterminera le corps d’occupation français d’Abomey, et se joignant au cheik de Tambouctou et au contingent du Niger moyen, prendra Tunis pour objectif derrière les Touaregs.

Des relais d’eau leur seront préparés pour la traversée du Sahara.

— Tel est l’ensemble des forces qui opéreront au Nord la diversion que tu as décidée.

— Quel effectif approximatif comprendront-elles ?

— Elles se composent de sept armées réunissant ensemble 16 à 1.800.000 hommes.

— oui, mais sept armées auxquelles manque une tête unique.

— Elles peuvent s’en passer, ayant leurs objectifs parfaitement déterminés, Espagne et Sicile, et les distances mêmes qui les séparent à l’origine empêcheront toute confusion entre elles : si par suite des résistances rencontrées elles s’accumulent, d’une part à Tunis et de l’autre à Tanger sans pouvoir prendre pied en Europe, il sera temps alors d’organiser le commandement de l’ensemble.

— En un mot tu persistes, Omar, dans ton refus de prendre la direction de cette importante diversion ?

— Ce n’est pas un refus, mon père, tu me sais trop respectueux de tes ordres pour te refuser quoi que ce soit ; mais je te l’ai dit : élevé en France, ayant passé deux ans à Saint-Cyr, je n’éprouve pas contre les Français la haine que je ressens contre le reste des blancs ; et puis, en Algérie, je me trouverais face à face avec des officiers français, je reverrais là l’uniforme que j’ai porté moi-même : qui sait même si je ne rencontrerais pas des camarades de la même promotion que moi, des amis, car j’en ai eu parmi eux ?

Non, vois-tu, c’est impossible ; d’ailleurs, je suis ton chef d’état-major et à ce titre je ne dois pas te quitter : comme nous entrerons en Europe par Constantinople, que nous aurons d’abord, à écraser la Russie, l’Autriche et l’Allemagne avant d’arriver à Paris, je n’aurai pas de ce côté les mêmes scrupules.

— Je ne veux pas aller contre tes raisons, mon enfant, d’autant plus qu’elles me permettent de te conserver ; parlons donc maintenant de l’attaque principale : il est bien entendu, n’est-ce pas, qu’elle a comme point de concentration la Mecque et l’Hedjaz.

— Oui, c’est bien là le point de rendez-vous d’une grande partie de nos forces, de celles dont le chemin naturel passe par Aden et la porte des Pleurs[1] ; quant à celles dont le trajet direct conduit à Suez, telles que les Snoussis tripolitains, les Egyptiens, Nubiens et hommes du Tibbou, ils s’écouleront par le Nil, le Sinaï et nous précéderont en Syrie, nous servant par là même d’avant-garde.

— Une avant-garde de quatre armées ?

— Oui, ce n’est pas commun, n’est-ce pas ? et quand on m’enseignait dans un cours de tactique très savant que dans les guerres modernes on n’hésiterait pas à mettre un corps d’armée tout entier en avant-garde, je ne me doutais guère que je serais appelé un jour à en constituer de dix fois plus fortes.

— Alors la masse principale, dit le sultan en se penchant sur la carte…

— La masse principale, fit Omar en indiquant du doigt successivement toutes les contrées du centre, de l’est et du sud de l’Afrique, ne comprend pas moins de vingt-trois armées : la répartition en a été faite après entente avec les principaux rois et en tenant compte des divisions naturelles : j’en déduis d’abord les Gallas et les gens d’Ogaden, qui nous serviront d’arrière-garde quand ils auront accompli l’œuvre qui leur aura été confiée : le sac de l’Abyssinie.

— Ainsi, reprit le sultan, les efforts de nos marabouts ont été vains dans cette contrée et les Abyssins ont refusé d’abjurer le christianisme !

— Oui, en grande partie.

— Alors ce sont eux qui l’auront voulu, point de quartier pour ces maudits.

— Et voici, reprit Omar, toutes les nations qui vont marcher derrière nous : d’abord l’armée organisée du Mahdi de Kordofan, à laquelle se joindront celles du Darfour et de l’Ouadaï ; derrière elles, celles de Sokoto, de Yola, du Bornou, du Kanem, du Baghirmi, de l’Adamaoua, les masses formées par les Pahouins et Batéké, l’armée du Congo, la plus nombreuse, puis celle de l’Ouganda, les gens de Somalis, de Tabora, de Msiri et de Kasemblé, les noirs de Mozambique qui auront tout d’abord à se débarrasser des Portugais du Zambèze, ceux de Mabounda, Batotsé, Mouta-Yamvo, de Damara et de Namaoua ; enfin les petits hommes des Bushmen et tous les révoltés musulmans du Cap, de l’Orange et du Transwaal : ces derniers tiendront tête aux Anglais du Cap et ne nous rejoindront probablement jamais.

— Et avec l’armée principale que je dirigerai moi-même et que nous allons constituer à Atougha, nous arriverons bien à vingt-trois, chiffre que tu donnais tout à l’heure.

— Le total des armées qui envahirent l’Europe par Constantinople, mon père, est de vingt-neuf, et si tu y ajoutes les sept armées destinées à opérer par l’Espagne et l’Italie, c’est un ensemble de trente-six masses armées et un total de 12 à 13.000.000 de guerriers ; si enfin nous y joignons nos frères d’Arabie et d’Asie Mineure, ceux que nous enverra la Perse, enfin l’armée indienne d’Alled-Din, nous arrivons à un total que je n’ose chiffrer ; mais je crains bien que s’il est impossible a l’Europe de résister à ce torrent, il nous soit bien difficile à nous-mêmes de le diriger.

— Sois sans inquiétude de ce côté, dit le sultan, et ne te préoccupe pas de stratégie avec de pareilles masses ; donnons-leur seulement des directions et fixons-leur les territoires de passage pour leur permettre de vivre.

Quant à notre tactique, lorsque nous aborderons les 7 armées européennes, il n’y en a qu’une, celle que nous avons employée l’autre nuit pour écraser les Italiens : la marche en avant sans arrêt, sans souci des pertes, en terrifiant l’adversaire par des cris et des hurlements dans toutes les langues. Ainsi, que nous ont-ils tué l’autre nuit ?

— Quatre mille et quelques nègres.

— C’est pour rien ; notre supériorité numérique nous permet cette prodigalité-là.

— Cependant, reprit Omar au bout d’un instant de réflexion, il me parait indispensable qu’au milieu de cette foule armée se meuve un noyau parfaitement organisé, et ce sera précisément celui dont tu parlais tout à l’heure, « l’armée d’Agoutha », restant sous tes ordres directs, mais à laquelle les cadres manqueront toujours.

— Des cadres, reprit le sultan, nous en trouverons à Constantinople ; les dernières nouvelles que j’en ai reçues m’annoncent que les officiers turcs, humiliés de se voir supplantés dans leur commandement par des Anglais et des Allemands, abandonneront l’usurpateur actuel à la première alerte : c’est sur eux que je compte, et ils nous transformeront en régiments, brigades et divisions le troupeau humain que j’emmènerai d’ici.

— Un dernier mot, mon père : le travail d’organisation est prêt pour nos armées du Nord ; quand comptes-tu le communiquer aux chefs ?

— Je tiens d’abord à le leur communiquer moi-même. Envoie-leur donc des courriers pour leur donner rendez-vous à Aghadès dans cinquante jours ; fais préparer un grand convoi d’or et d’armes pour eux et mets-le en route le plus tôt possible avec une puissante escorte de manière qu’il arrive en même temps que nous ; enfin donne rendez-vous à Kouka où nous nous arrêterons quelques jours, aux Sultans de Sokoto, de Yola, du Bagbirmi et du Bornou, aux rois du Kanem et de l’Ouadaï, au cheik de l’Adamaoua et à l’émir du Tibbou ; prépare les ordres les concernant eux aussi. Nous les leur remettrons et les leur expliquerons au passage ; ce sera une bonne besogne accomplie, car nous n’aurons plus qu’à convoquer une dernière fois avant le ramadan les chefs des armées du Sud en même temps que le Mahdi, actuellement trop éloigné du Tchad pour être convoqué à Kouka.

— Ce sera fait, mon père ; quand partons-nous pour Aghadès ?

— Dans vingt jours.

— Quelle escorte nous accompagnera ?

— Cinquante cavaliers seulement ; nous les laisserons à Kouka où un même nombre de Touaregs viendront nous prendre pour nous suivre à Aghadès.

— Et ce Zérouk viendra avec nous ?

— Oui, j’aime mieux l’avoir sous les yeux que de le laisser ici… j’ai beau faire, je n’ai pas confiance.

— Moi non plus.

— Et pourtant il pourra nous servir. Sa poudre a une force vraiment extraordinaire et il se trouvera des circonstances où elle produira des effets terrifiants sur des adversaires qui ne nous supposent pas de pareils moyens.

— Je voudrais bien posséder le secret et supprimer l’homme.

— Moi aussi, mais ce secret, il le gardera, car c’est sa sauvegarde vis-à-vis de nous.

— Et puis, fit le sultan, je l’ai accueilli : il est mon hôte !… Puissé-je n’avoir jamais a le regretter…

Un mois après cet entretien, le Sultan et son fils atteignaient le Tchad et entraient à Kouka, où régnait Mao, le sultan du Bornou.

Le Tchad, ou, comme l’appellent les indigènes, le Tsadé, vers lequel avaient tendu tant d’expéditions, ce lac fameux que les Anglais du Bénin, les Allemands du Cameroun et les Français du Congo avaient essayé d’englober dans leurs « hinterland », n’était pas à proprement parler un lac comme le sont les grands réservoirs du sud-est africain : le Tanganika aux falaises rocheuses et les deux Nyanza aux mystérieuses profondeurs.

C’était plutôt un immense marais, une vaste cuvette de la superficie du Portugal, remplie de crocodiles et de rhinocéros, se rétrécissant ou s’élargissant, suivant que le Chari, grossi du Bagbirmi, lui apportait plus ou moins d’eau.

Kouka, capitale du Bornou, située à quelque distance du lac, est une des grandes agglomérations et un des principaux marchés de l’Afrique centrale[2].

Elle se compose de deux villes entourées de murailles distinctes : l’une habitée par les gens riches est bien construite et renferme, outre le palais du sultan, de vastes demeures ; l’autre est formée de ruelles étroites où s’entassent des maisons petites, sales et dont la moitié tombe en ruines. Un espace de huit cents mètres qui sépare les deux cités est traversé dans toute sa longueur par une grande voie plantée d’arbres, faisant communiquer les deux parties de la ville.

C’est là qu’avait lieu le marché aux esclaves.

De là partaient ces lugubres caravanes qui semaient, tout le long du Sahara, les femmes et les enfants trop débiles pour marcher et dispersaient leur vivante marchandise dans le Fezzan et les villes de la côte tripolitaine.

Ce fut là que le sultan reçut les chefs qu’il avait convoqués.

Chacun d’eux ayant amené avec lui une troupe armée, composée de ses plus beaux guerriers, les environs de Kouka étaient couverts des campements les plus variés et une animation extraordinaire régnait dans toute la région.

On se rappelle que le bruit de ce palabre gigantesque parvint jusqu’en Europe ; les journaux s’en occupèrent quelque temps, mais les Anglais, bien que les possessions de la « Royal Niger Company » fussent assez voisines de Kouka, ne s’en émurent guère et n’y virent que des menées dirigées contre Tambouctou, dont l’essor sous la domination française excitait leur jalousie.

C’est que le sultan eut l’habileté d’en répandre le bruit, si bien que, de cette réunion de quatre sultans et de deux émirs qui aurait dû donner l’éveil à l’Europe, il ne résulta qu’une chose : la création d’un sixième régiment de tirailleurs envoyé par la France à In-Salah et dans les oasis du Touat, pour renforcer le cinquième.

Ce n’était pas d’ailleurs dans un pays de nouveaux convertis qu’opérait le sultan, il était là en plein milieu musulman : depuis la cinquième année de l’hégire, la civilisation arabe avait pénétré dans toute cette contrée et y avait même atteint un degré extraordinaire.

Les villes de Kano, Sokoto, Katchena, Yacoba, Gombé et tant d’autres y avaient compté parmi les plus florissantes de l’Afrique.

Mais les luttes intestines avaient porté un coup mortel à ce développement comparable à celui qu’avait atteint l’Asie sous les khalifes ; cependant l’appel du sultan y avait été entendu et les chefs arabes s’étaient montrés d’autant plus décidés à seconder ses projets que leur principale source de bénéfices, l’esclavage, venait d’être tarie : les payens avaient complètement disparu de la région du Baghirmi et de l’Adamaoua qui fournissait jusqu’à vingt mille esclaves par an.

Ils n’avaient donc plus qu’à se rejeter sur les infidèles du Nord pour essayer de retrouver la prospérité d’autrefois.

Pendant les trois jours que durèrent les audiences données par le sultan à Kouka et les conférences secrètes qu’il eut avec les chefs, les types les plus curieux et les plus étranges se trouvèrent réunis dans cette capitale.

On pouvait y voir, s’y coudoyant : l’Arabe olivâtre, le Kanouri à la peau foncée, aux narines flottantes ; le Foullane aux traits fins, à la taille souple, aux membres délicats ; l’Oulad-Sliman, le voleur par excellence au profil bestial et féroce ; le Mandingue à la figure aplatie ; la Virago de Noupé et la jolie négresse du Haoussa, élégante et bien faite.

Mao, en maître absolu qu’il était, profita de ce rassemblement pour augmenter son harem et le doter de nouveaux types féminins.

Un soir qu’il avait obtenu d’un cheik des Zaberma une jeune négresse d’une douzaine d’années, dont la peau d’un brun rouge et le nez fortement épaté lui avaient paru absolument séduisant, il prit à part le fils du sultan.

— Crois-tu, lui demanda-t-il, toi qui as été en Europe, que les femmes de là-bas vaudront celles que je rassemble ici avec tant de soin ?

— C’est affaire de goût, répondit le jeune homme en riant : il m’est bien difficile de comparer les blanches que j’ai vues avec les femmes de ton harem, puisque je ne les connais pas.

— Veux-tu que je t’en offre une ?

— Tu en as donc en double ?

— Non, mais je retrouverai aisément la jolie négresse Toucouleur que je te destine.

— Grand merci, je ne te cache pas que la plus ordinaire des Parisiennes me parait préférable à la plus séduisante de tes épouses Manghis.

— Que dis-tu ? ces payennes ont un tel charme !…

— Un charme qui me les a toujours fait regretter, oui, Mao.

Et, ce disant, le jeune Arabe tomba dans une mélancolie dont ne purent le tirer aucune des lourdes plaisanteries de son interlocuteur, lequel se promettait de recruter en Europe un second harem dans lequel il n’oublierait pas de loger quelques Parisiennes bon teint.

Il n’avait jamais entendu prononcer ce nom, ne connaissant que les Français et les Anglais : il crut donc qu’il s’agissait d’une race à part et se promit d’en retenir le nom.

Cependant Omar, lancé sur la pente de ses souvenirs, remontait à une dizaine d’années en arrière.

Il se voyait, débarquant à Paris sous la conduite d’un des ministres de son père et reçu à la gare par l’attaché militaire turc.

Mais il n’avait fait qu’y passer et, de suite, on l’avait expédié sur Saint-Cyr où il avait échangé son fez contre un képi rouge et bleu.

Et les souvenirs de la vieille école lui revenaient en foule.

Au début, il est vrai, il avait eu de la peine à se faire à une vie si nouvelle pour lui : ses goûts, ses habitudes, sa religion étaient si différents de tout ce qu’il voyait autour de lui ; mais combien tous ces jeunes gens avec lesquels il avait vécu deux ans s’étaient montrés bons et serviables avec lui ! Il n’avait pas eu à souffrir des petites brimades qui accueillent et accueilleront encore longtemps les nouveaux venus, brimades innocentes, mais qui l’eussent blessé dans sa dignité d’étranger.

Sa nationalité, son teint bistré, car il était né d’une sultane d’origine nubienne, sa timidité et en même temps son attitude fière et réservée, lui avaient attiré la sympathie de ces futurs officiers à la tête folle quelquefois, mais au cœur chaud et au sang généreux.

C’étaient deux bonnes années qu’il avait passées là, malgré les froids terribles qui l’avaient tant fait souffrir, lui l'amoureux du soleil.

Et il revoyait sa vie, le jour du triomphe de sa promotion, celle du Siam, un spectacle dont on ne pouvait se faire une idée dans ces pays arabes où le rire est inconnu : avait-il ri de bon cœur en voyant ceux de ses camarades qui s’étaient déguisés en odalisques et en nounous ?

Mais ce qu'il revoyait surtout, c’était la jolie fille qu’il avait un jour rencontrée et connue.

C’était à Longchamp, au retour de la revue, sur la route de Saint-Cloud; il était dans le rang comme les autres, et tout d’un coup une voix de femme avait dit assez haut pour être entendue de lui :

- « Oh! l’amour de nègre!… Quel joli garçon! »

Il avait rougi comme peut rougir un nègre et ses camarades s’étaient un peu moqués de lui; mais quelle avait été sa surprise de la trouver à la gare Montparnasse un des dimanches suivants.

Il n’avait fait que l’entrevoir à Longchamp, mais il l’avait reconnue de suite au gentil sourire qu’elle avait laissé percer en le retrouvant, et la connaissance avait été faite. Le voyant embarrassé, timide, elle l’avait emmené dans sa voiture, une voiture à elle, s’il vous plaît, et c’était un éblouissement quand il se rappelait le luxueux et coquet appartement de la Chaussée-d’Antin où elle l’avait débarqué.

C’était une toquade, disait-elle en riant, oui, mais une toquade qui avait duré dix-huit mois, et que pour son compte il avait joliment prise au sérieux, si bien même que le papa sultan, informé par l’ambassade ottomane de la conduite de son héritier, avait interrompu les études commencées en France et demandé au gouvernement allemand de recevoir son fils à l’académie de guerre de Berlin.

Ah ! la séparation avait été dure !

Mais le commandeur des croyants ne badinait pas.

D’autant plus dure que les Allemandes, avec leurs cheveux filasse, leurs yeux bleus à fleur de tête et leurs pieds larges comme des boucliers grecs, n’avaient pu lui faire oublier la jolie Parisienne aux attaches fines, à la chevelure soyeuse, aux yeux pétillants de gaieté.

Où était-elle à cette heure ! Du moins, il savait qu’elle n’avait pu vieillir comme ces négresses du Kordofan qui, ravissantes à quatorze ans, sont d’horribles mégères à vingt-cinq.

Il était bien sûr de la reconnaître s’il la retrouvait, car il n’y avait que dix ans de cela, et dix ans pendant lesquels son image avait bien souvent passé devant ses yeux.

Mais elle, pourrait-elle jamais le reconnaître, si les hasards de la vie les remettaient en présence ? Certes, elle était loin de se douter à cette heure que son « amour de nègre » était l’organisateur d’une invasion qui allait allumer en Europe une guerre effrayante et pousser jusqu’à Paris ses vagues mugissantes.

— Comme tu as l’air doux, lui disait-elle souvent :

Et il se rappelait ses réflexions : « Quand tu seras à Constantinople, quand tu auras un grand harem, beaucoup de femmes de toutes les couleurs, te souviendras-tu encore de moi ? »

Il avait répondu : « Toujours. »

Et c’était vrai.

Alors, un rêve l’emporta : il se vit entrant dans Paris par l’Arc de Triomphe, ce colosse qu’il avait tant admiré jadis. Il marchait en tête de l’Armée noire, brandissant d’une main l’étendard au croissant d’or : les Champs-Elysées n’étaient pas assez larges pour laisser passage à la cohue sauvage : à mesure qu’il avançait, les incendies s’allumaient, les cadavres jonchaient le sol. Sur les boulevards, où il s’était promené jadis avec son plumet rouge et blanc, c’était la désolation et la mort partout : çà et là il voyait étendus des cadavres qu’il reconnaissait, celui d’un de ses officiers instructeurs, puis celui d’un de ses camarades de la même compagnie, de la deuxième, il s’en souvenait. Qu’avaient-ils dû penser tous deux avant de mourir, sachant qu’il conduisait ces cohortes barbares ; qu’il avait employé contre ses frères d’armes d’autrefois les connaissances puisées au milieu d’eux ?… Puis, au tournant du boulevard, près du Vaudeville, c’était un corps de femme qu’il voyait étendu ; et il la reconnaissait : c’était celle à laquelle il pensait tout à l’heure.

— Suzanne ! murmura-t-il, continuant son rêve.

Il ne l’avait connue que sous ce nom.

Mais le son de sa voix l’éveilla, et honteux il se secoua énergiquement.

— A quoi vais-je penser là, fit-il, des regrets, maintenant !… c’est écrit ; je ne suis que l’instrument de Dieu… d’abord, nous n’allons pas à Paris de suite, et quand nous y serons… qui sait ?… ce qui doit arriver, arrive !

Et pendant qu’il se livrait à ces réflexions, qu’étaient bien loin de soupçonner tous ceux qui se prosternaient devant lui, les fêtes continuaient à Kouka, d’où avaient été expulsés les négociants européens qui s’y étaient établis l’année précédente et les nombreux juifs qui les y avaient suivis.

On y célébrait d’avance le triomphe de l’Islam, on n’y parlait plus que de la « Djiah », de la guerre sainte.

Les plus étranges costumes y étaient confondus.

Les Mossis[3] tourbillonnaient dans des fantasias splendides sur leurs chevaux barbes au large tapis brodé, à la selle garnie de clochettes et d’ornements de cuivre ; parmi les nombreux cavaliers venus du Niger, on les reconnaissait au bouclier de peau qu’ils portaient constamment dans le dos pour se préserver des flèches après la charge.

Les Sienès avaient une allure bizarre et fantastique et dominaient la foule de leurs casques en bois surmontés de cornes gigantesques.

Les cavaliers du sultan de Ngaoundiré[4], grande ville de l’Adamaoua, ne sortaient que revêtus d’une grande cuirasse en étoffe ouatée et matelassée, très épaisse, qui les couvrait eux et leurs chevaux.

Les gens de l’Almany de Karaga portaient de véritables armures moyen âge, avec des heaumes et des armets, des brassards et des cuissards de fer, souvenirs probables de l’occupation de l’Espagne par leurs ancêtres.

À côté de ces tribus musulmanes dont l’état de civilisation se ressentait des splendeurs de jadis, les Chouas et les Malanis circulaient complètement nus, spécimens superbes de nègres couleur de bronze, aux formes athlétiques ; les guerriers du Kanem dansaient avec leurs tabliers de cuir, leurs grands boucliers, leurs faisceaux de lances et leurs coiffures de plumes[5].

Les gens de Borkou se livraient au commerce ; grands pourvoyeurs de la denrée la plus précieuse du Soudan, le sel, ils en avaient apporté de nombreuses charges ; jadis une de ces charges payait deux esclaves ; maintenant ils les échangeaient contre du millet et du sorgho.

Les Foullanes à la peau d’un brun foncé excellaient dans les exercices du corps et se livraient à des jeux d’adresse qui amassaient autour d’eux une foule bruyante.

Pendant plus de trois jours plus de cent vingt mille musulmans se trouvèrent réunis à Kouka, et le Sultan put juger de l’enthousiasme que soulevait dans cette élite de la population soudanaise l’idée de la guerre contre les blancs.

C’était le vieux sang arabe qui, après cinq siècles d’affaissement, bouillonnait de nouveau dans les veines de ces descendants des premiers conquérants de l’Afrique.

Les officiers de la garde du sultan venus à Kouka profitèrent de leur séjour dans cette ville pour apprendre aux principaux chefs indigènes le maniement des fusils qui étaient destinés à leurs troupes.

Le convoi qui les avait apportés était arrivé et allait refaire la même route pour en apporter autant.

Le sultan tenait en effet à ce que les tribus du Nord et du Centre, plus habituées au maniement des armes à feu que les nègres des pays situés au-dessous de l’équateur, en fussent munis dans la plus forte proportion possible.

La plus grande économie fut prescrite au sujet des munitions qui ne devaient servir qu’en Europe.

Il s’agissait maintenant de porter les mêmes instructions aux chefs de l’armée du Nord réunis à Aghadès.

Les Touaregs qui devaient escorter le sultan étaient arrivés, non sans provoquer une vive émotion à Kouka.

Car leur réputation de pirates du désert était si bien établie, que leur vue seule inspirait la terreur.

Il fallait que la Djiah eût une bien grande puissance pour réunir dans la même pensée tous ces peuples ennemis.

Et c’était une imposante escorte que celle de ces cavaliers perchés au sommet de leurs méharis coureurs comme des seigneurs féodaux au sommet de leurs donjons.

Le Visage recouvert, du « litham » ou voile noir, qui ne découvre que leurs yeux petits et brillants sous d’épais sourcils, ils dirigeaient leurs méharis avec leurs jambes fines et nerveuses croisées sur le pommeau de leur selle ; ils avaient aussi les deux mains libres pour combattre : au bras droit ils portaient un anneau de serpentine verte pour donner plus de force à leurs muscles quand ils assénaient un coup de sabre ; ils maniaient avec une aisance extraordinaire une longue lance au fer large et tranchant, et un poignard en forme de croix était fixé par un anneau de cuir à leur poignet gauche de manière à ne les quitter Jamais.

Ils n’avaient pas de fusil, l’appelant l’arme de « la traîtrise ».

Leurs mains, leurs bras et leurs jambes étaient teints en bleu avec de l’indigo, et à les voir immobiles et silencieux sur leur puissante monture, on comprenait la domination qu’ils exerçaient sur cette étendue immense du Sahara.

La rapidité du méhari est telle qu’il parcourt de cent à cent cinquante kilomètres par jour : il supporte sept jours d’abstinence en été, même lorsqu’il marche et quand il est chargé ; en hiver il peut manger sans boire pendant deux mois : il est la richesse du Targui qui boit le lait des chamelles, mange la chair des chamelons, tresse des cordes avec son poil, se fait une tente avec sa peau et se sert de sa fiente comme combustible.

Les cinquante Touaregs qui escortaient le sultan, lui amenaient de la part de leur cheik Ischriden, deux méharis admirablement dressés qui allaient en sept jours parcourir les huit cent cinquante kilomètres qui séparent Kouka d’Aghadès.

Après les plaines riantes qui avoisinent le Tchad, le cortège traversa Gourai aux triples remparts, Zinder aux rochers curieux, aux cultures de tabac et d’indigo.

Après, c’était le Damergou aux champs de mimosas, de dilou, d’euphorbe et d’asclépias géants[6].

Plus loin, la végétation s’amaigrit : c’était la transition entre le fertile Soudan et le funèbre Sahara ; la girafe et l’antilope qui avaient couru jusque-là devant la rapide caravane disparurent pour faire place aux bandes d’autruches ; les buissons se firent rares ; les terriers de fenecs[7] et les fourmilières géantes se montrèrent sur le flanc des maigres coteaux et indiquèrent l’approche des solitudes sablonneuses.

Pendant un jour entier, la caravane marcha dans un terrain crayeux, auquel succéda un sol bouleversé de teinte rougeâtre.

Puis les dunes de sable se montrèrent seules, semblant s’étendre à l’infini en vagues immobiles et trois jours durant le sultan et sa suite en franchirent crêtes et vallées sous un soleil de feu.

Et la petite troupe venait d’arriver au bord d’un oued desséché, au fond duquel quelques pousses de laurier-rose indiquaient l’eau à une faible profondeur, lorsque le Targui de tête s’arrêta soudain.

Derrière un maigre buisson de lentisques un cadavre était étendu, celui d’une négresse aux côtes saillantes et dans un état de maigreur extrême : elle portait sur son dos un paquet de haillons bleus d’où émergeait un petit crâne aux yeux déjà vidés par les gypaètes, rôdeurs des airs.

— Une mère et son enfant morts de faim, dit Omar en s’approchant.

Mais le Targui qui l’avait vue le premier donna de petits coups du bois de sa lance sur les genoux de son méhari : celui-ci s’accroupit et l’homme sauta à terre ; puis, soulevant la tête de la malheureuse, il montra au sultan, derrière le crâne souillé de sable et de sang figé, le trou fait par une balle.

Le Sultan fronça le sourcil.

— En route, fit-il, et la caravane continua sa course à une allure plus rapide.

À quelques kilomètres de là, elle croisa sans s’arrêter deux autres cadavres, celui d’un homme et d’un enfant d’une quinzaine d’années.

— Plus vite, commanda le sultan.

Et comme ils venaient d’arriver au sommet d’une dune en suivant les empreintes nombreuses que jalonnaient ces cadavres, ils aperçurent une longue file d’hommes et de femmes attachés deux à deux : des fourches en bois emprisonnaient leur cou et une lourde chaine réunissait le pied gauche de celui qui marchait en tête au pied droit de celui qui le suivait. Sur les flancs de cette funèbre colonne des cavaliers allaient, poussaient brutalement les retardataires.

C’était un convoi d’esclaves venant du Nord-Est, et évitant Aghadès dont le haut minaret se profitait à l’horizon sur un fond de palmiers.

— Qu’on les prenne tous, commanda le sultan d’une voix brève.

Les Touaregs s’éparpillèrent comme des vautours.

En quelques instants ils enveloppèrent le convoi.

— Es-tu musulman ? demanda le sultan au premier des captifs qui lui fut amené.

— Oui, répondit le nègre qui récita la « fathîa »,

Le khalife n’en entendit pas davantage, et se tournant vers les marchands atterrés :

— Que l’on décapite immédiatement ces misérables qui déshonorent l’Islam en trafiquant du sang de leurs frères ! commanda-t-il.

Quand la Caravane repartit, quarante cadavres de traitants arabes de Mourzouk jonchaient le sol pendant que trois cents esclaves délivrés suivaient les méharis en courant et jetaient aux échos des sables les versets du Coran libérateur.

  1. Détroit de Bab-el-Mandel, entre la mer Rouge et le golfe d’Aden.
  2. Voyage du commandant Monteil.
  3. Binger.
  4. Mizon.
  5. Barth.
  6. Voyage du docteur Barth.
  7. Petit renard des sables.