L’isotopie et les éléments isotopes/15
CHAPITRE XV
PHÉNOMÈNES DE RÉGIME DÉPENDANT DU NOMBRE ATOMIQUE
48. Séparation par affinité chimique ou par distillation fractionnée. — Nous envisagerons ici les états d’équilibre qui résultent du partage des isotopes entre deux phases. Dans le premier cas, ce partage est régi par la loi d’action de masses, dans le second cas, par la valeur de la pression de vapeur saturante. Entre ces deux données la théorie prévoit des relations qui ont été discutées par Lindemann en ce qui concerne leur application au problème de la séparation des isotopes [94].
Cet auteur envisage la relation théorique qui permet de calculer la pression de vapeur saturante p à partir des chaleurs spécifiques moléculaires et pour l’état gazeux et pour l’état condensé, sous pression constante. Cette relation s’écrit ainsi qu’il suit :
où est la chaleur latente de vaporisation au zéro absolu, T la température absolue, R la constante des gaz parfaits et i une constante d’intégration nommée constante chimique.
D’après les expériences sur les plombs (voir p. 61), on admet que les isotopes ont le même volume atomique à l’état condensé et la même température de fusion. On peut aussi conclure de là à l’égalité des forces de cohésion et de la chaleur latente . Admettant, de plus, l’égalité tout à fait plausible, de on déduit de la relation précédente
où les indices 1 et 2 se rapportent aux isotopes de masses moléculaires et .
D’autre part, la différence des affinités chimiques A1 et A2 des deux isotopes et la différence des forces électromotrices qui mesurent ces affinités s’expriment par les formules
où n est la valence et F la valeur du Faraday.
Par conséquent, les possibilités de séparation par distillation ou par l’emploi de réactions chimiques, dépendent, en définitive de la valeur de .
Or, la différence des chaleurs moléculaires à pression constante se réduit après examen, à celle des chaleurs moléculaires à volume constant, laquelle de son côté ne peut provenir que de l’application de la loi des quanta aux basses températures, faisant intervenir les fréquences propres des deux solides. Les forces de cohésion et étant égales, mais les masses et inégales, les fréquences vibratoires déterminées par des formules telles que
peuvent être différentes.
On calcule cette différence en utilisant la formule donnée par Debye pour la chaleur spécifique des solides.
On admet, d’autre part, conformément à la théorie que
Le résultat obtenu dépend encore de l’hypothèse sur la valeur de l’énergie interne au zéro absolu. Celle-ci est égale à zéro dans la théorie de l’absorption discontinue, mais dans le cas de l’absorption continue, elle prend la valeur moyenne pour un oscillateur de fréquence .
On peut alors résumer ainsi qu’il suit le résultat de l’investigation : le premier terme du développement provenant de l’intégrale qui fait intervenir les chaleurs spécifiques est compensé par le terme ; le deuxième terme du même développement est compensé par le terme de l’énergie au zéro absolu. Si donc on admet l’existence de ce dernier, il ne subsiste que des termes d’ordre supérieur, tout à fait négligeables au point de vue expérimental. Si, au contraire, l’énergie au zéro absolu était supposée nulle, on serait conduit à prévoir, pour les plombs isotopes, des différences d’environ 5 % pour la pression de vapeur saturante au point de fusion et d’environ un millivolt pour le potentiel électrochimique à la température ordinaire.
En ce qui concerne les résultats expérimentaux, il est à peine utile d’insister à nouveau sur l’insuccès général des tentatives de séparation des isotopes par la voie chimique. Il est vrai, que pour la plupart de ces expériences, la précision n’était pas élevée, pourtant certaines d’entre elles correspondent à un effort systématique et considérable ; telle la série de cristallisations fractionnées décrites par Richards. D’autre part, le nombre des tentatives et la variété des réactions utilisées rendent extrêmement probable que la séparation chimique des isotopes présente, en général, une difficulté réelle d’ordre élevé.
La distillation fractionnée n’a été jusqu’ici expérimentée que dans les cas suivants : dès 1913 Aston a eu recours à cette méthode pour essayer de séparer les deux constituants du néon [61]. Le fractionnement avait lieu par condensation dans le charbon refroidi par l’air liquide, et l’appareil était constitué de telle manière que les opérations pouvaient être poursuivies systématiquement d’une manière continue. Après un cycle de 3.000 opérations, le gaz partagé en 7 fractions a été soumis à l’examen, qui consistait à déterminer la densité de chaque fraction au moyen d’une microbalance spécialement construite à cet effet et sensible à 10-6 mg. Cet instrument permettait de mesurer la densité du gaz à la précision de 0,1 % sur un échantillon d’un demi-centimètre cube, en un temps de 10 minutes. Les mesures étaient faites par comparaison avec un gaz pur de densité connue. Les densités trouvées pour les 7 fractions sont les mêmes, à la précision des expériences, et leur moyenne correspond au poids moléculaire 20,19. Aucune séparation n’a donc été obtenue.
Une autre tentative a été faite sans succès sur le gaz HCl, par absorption dans le charbon à la température ordinaire et dégagement fractionné à 110° ou 220° (Jitsusabura Sameshima, Kazno Aïhara et Foshiaki Shirai) [94].