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L’oublié/XXII

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La Compagnie de Publication de la Revue Canadienne (p. 181-183).

XXII


Il ne devait jamais revenir.

C’était bien vrai que le héros, à la tête d’une vingtaine de colons, avait repris le moulin, mis l’ennemi en fuite ; mais les Iroquois étaient revenus plusieurs fois à la charge et une balle avait atteint Lambert Closse en plein front.

Pendant que sa femme épiait son retour, il gisait sanglant, inanimé sur la grande table sinistre de l’hôpital. Penché sur lui, le docteur Bouchard lui lavait le visage, et son chien Vaillant lui léchait les mains en gémissant.

— C’est fini, c’est bien fini ; mais la mort a été instantanée… il n’a pas souffert, dit enfin le docteur à ceux qui remplissaient la salle et regardaient muets, consternés.

Averti que le major était gravement blessé, Maisonneuve accourait bouleversé, tremblant, mais espérant encore. Il aimait son héroïque compagnon de luttes et de misères… Il en était presque venu à le croire invulnérable ; et lorsqu’il l’aperçut le front sanglant, pour toujours immobile, silencieux, un profond sanglot déchira sa poitrine, et se jetant sur le corps déjà glacé, il l’étreignit et pleura comme un enfant. Ceux qui l’entouraient pleuraient aussi : et, comme pour consoler leur chef, ils répétaient :

— Il est mort pour Dieu et pour ses frères — c’était la fin qu’il souhaitait.

— Oui : et Dieu seul peut reconnaître ce que nous lui devons, dit Maisonneuve, commandant à sa douleur et relevant la tête. Vous le savez, c’est lui surtout qui a porté le poids de la lutte… Il a été le défenseur de Ville-Marie, et jamais homme n’eut plus de grandeur d’âme, de noblesse et de courage.

Pour cacher aux Iroquois la terrible perte, Maisonneuve décida que le corps serait exposé à l’hôpital, et que les funérailles se feraient de nuit. Pâle et tremblant, il prit le mousquet du héros, le chargea, et, tout brisé de douleur, se dirigea vers la maison de la pauvre jeune veuve, où le deuil allait entrer pour jamais.



FIN