La Fille du tambour-major
Opéra-Comique en trois Actes et quatre Tableaux
MONTHABOR, tambour-major | MM. | Lucc. |
LE LIEUTENANT ROBERT | Lepers. | |
LE DUC DELLA VOLTA | Maugé. | |
GRIOLET, tambour | Simon Max. | |
LE MARQUIS BAMBINI | Bartel. | |
CLAMPAS, aubergiste | Henriot. | |
GRÉGORIO, jardinier du couvent | Noirot. | |
LE SERGENT MORIN | Speck. | |
ZERBINELLI | Jeault. | |
DEL PONTO | Abel. | |
UN SERGENT | Duriol. | |
STELLA. | Mmes | Simon-Girard. |
LA DUCHESSE DELLA VOLTA | Girard. | |
CLAUDINE, cantinière | Mles | Vernon. |
LA PRIEURE | Lestrade. | |
FRANCESCA, pensionnaires du couvent. | Reval. | |
LORENZA | Andrée. | |
LUCREZIA | Georges. |
S’adresser, pour la musique, à MM. Choudens, éditeurs, 30, boulevard des Capucines.
ACTE PREMIER
Le théâtre représente le jardin d’un couvent. — À gauche, les arcades du cloître formant galerie ; sous cette galerie, la porte qui conduit dans le couvent. — Au fond, un mur au milieu duquel est une grande porte charretière. — À droite, au milieu des arbres, un petit pavillon ; sur le mur de ce pavillon, une niche, dans laquelle est une madone. — Bancs et chaises de jardin.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, les pensionnaires sont en train de prier la madone. — À droite, sur un banc de jardin, la prieure est endormie, un gros livre ouvert sur ses genoux.
- Reçois, sainte madone,
- L’hommage de nos cœurs,
- Ô toi, notre patronne !
- Accepte ici ces fleurs.
- Tu fus toujours si bonne
- Pour les pauvres pécheurs,
- Reçois, sainte madone,
- L’hommage de nos cœurs.
Stella paraît au fond.
- C’est Stella !…
A Stella qui descend.
- Chut !
- Pourquoi ?
- Silence !…
- Pour vous je viens de ravager
- Le jardin et le potager…
Ouvrant son tablier qui est rempli de fleurs, de raisins, de figues et d’oranges.
- Regardez…
- Ah !
- De la prudence !
- J’ai cueilli tout cela pour vous,
- Des fleurs, des fruits pour tous les goûts…
- Quoi ! c’est pour nous !
- Oui, c’est pour vous… COUPLETS
- Oui, c’est pour vous…
- Prenez les grappes empourprées
- De ce beau raisin succulent,
- Prenez ces oranges dorées,
- Prenez, et régalez-vous-en !
- Tout ça c’est de la contrebande,
- Mais, comme au paradis… perdu,
- Moquons-nous de la réprimande
- Et mordons au fruit défendu !
- Moquons-nous de la réprimande
- Et mordons au fruit défendu !
- Autrefois, ce fut une pomme
- Qu’à belles dents Ève croqua,
- Moi j’apporte autre chose, — en somme,
- Il faut croquer ce que l’on a !
- Eh ! qu’importe que le fruit change,
- L’important, c’est qu’il soit mordu,
Mangeant une orange.
- Que ce soit pomme… ou bien orange,
- Oui, mordons au fruit défendu !
- Que ce soit pomme ou bien orange,
- Oui, mordons au fruit défendu !
- Ce bruit… que faites-vous… hein ? quoi ?
- Elle s’éveille… imitez-moi…
- Reçois, sainte madone,
- L’hommage de nos cœurs,
- Ô toi, notre patronne !
- Accepte ici ces fleurs.
Parfait ! voilà les sentiments de bonnes italiennes… et de plus une excellente tenue… C’est très bien, mesdemoiselles, je suis heureuse de vous le dire… (A Stella.) à vous surtout, Stella, qui êtes parfois si dissipée, si turbulente…
Moi, ma mère…
Oui, vous, mon enfant… n’oubliez pas que vous êtes la fille du duc Della Volta, un des plus grands seigneurs de la Lombardie, et que par conséquent vous devez servir d’exemple à toutes vos compagnes.
Je ne l’oublierai plus, ma mère.
À la bonne heure !… (Appelant Grégorio qui entre en ratissant les plates-bandes.) Grégorio !
Ma mère ?
C’est aujourd’hui jour de fête… le jardinier du couvent doit se reposer comme tout le monde… je vous donne congé.
C’est cela… allez, Grégorio… allez ! (Grégorio sort, aux jeunes filles.) Et vous, mes enfants, amusez-vous, mais décemment, et comme il convient à des jeunes filles de votre âge.
Elle sort à pas lents et en lisant un gros livre.
Scène II
Ouf ! la voilà partie !… j’ai cru que le sermon n’en finirait pas… Ah ! vive la gaîté et la liberté ! Amusons-nous, mesdemoiselles, rions, chantons et dansons !…
Oui, oui… il faut danser.
Qui est-ce qui sait une ronde, une chanson ?
À propos de chanson, il paraît qu’il y en a une que l’on chante partout maintenant.
Oui, mais tout bas, car elle est mise à l’index.
À l’index !… et pourquoi ça ?
Ah ! pourquoi… parce que c’est une chanson concernant les Français.
Il est donc défendu d’en parler.
Je crois bien… il paraît même qu’il est impossible de se la procurer, cette fameuse chanson.
Impossible !… allons donc. (Tirant un papier de sa poche.) Tenez, la voici.
Ah !
Comment est-elle en ta possession ?
Oui, comment ?
Vous allez voir… C’était à ma dernière sortie… j’étais à Novare dans le salon de mon père… j’avais l’air de feuilleter un album, mais j’écoutais…
Après ! après !…
Mais je ne vois pas venir la chanson…
Attendez donc… (Prenant un ton grave.) « Croiriez-vous, reprit mon père, que certains Italiens appellent à grands cris ces maudits Français qui, disent-ils, doivent délivrer le pays du joug étranger !… — Est-ce possible ?… — C’est comme je vous le dis… et tenez, j’ai là sur mon bureau plusieurs exemplaires d’une chanson… »
Ah ! nous y voilà…
Oui… (Continuant.) « d’une chanson qui circule mystérieusement dans la ville… »
Bon !… c’est celle que tu as là ?
Sans doute… j’en ai pris un exemplaire.
Et qu’est-ce qu’elle dit cette chanson ?
C’est donc bien terrible ?
Dis-nous la… dis-nous la…
Je veux bien… Nous sommes seules… écoutez.
- Petit Français, brave Français
- Viens délivrer notre patrie,
- Par les enfants de l’Italie,
- Tu seras bien reçu…
- Petit Français, brave Français
Scène III
Qu’entends-je ?…
La prieure !…
Donnez-moi cela, mademoiselle… Eh quoi !… Stella… vous osez chanter une chanson pareille !
Ma mère, j’ignorais que ce fût mal !
Taisez-vous, mademoiselle ! Vous le saviez très bien !… mais c’est affreux !… vous appelez à votre aide les ennemis de votre pays !… Ah ! mes enfants, vous ne les connaissez pas, ces Français !… Ce sont des brigands qui ne respectent rien !… les églises, ils les pillent !… les petits enfants, ils les fouettent !… et les femmes !… Ah ! les femmes !…
Les femmes… eh bien ?
Je ne sais pas au juste… mais il paraît que c’est horrible !…
Ah !
Aussi, Stella a mérité une punition exemplaire et elle l’aura, (A la sous-maîtresse.) Conduisez-la dans la lingerie où elle restera jusqu’à ce soir au pain sec et à l’eau !…
Nous te porterons des confitures…
Et du raisiné…
Ah bah !… je n’en mourrai pas… un jour est bien vite passé… Au revoir, mesdemoiselles…
S’en allant avec la sous-maîtresse et fredonnant.
- Moquons-nous de la réprimande
- Et mordons au fruit défendu !…
La sous-maîtresse l’entraîne.
Eh bien ! eh bien !… petite séditieuse !… Au pain sec et à l’eau ! vous entendez !…
Pauvre Stella !…
Silence, mesdemoiselles !… ou je punis tout le monde… (On entend sonner deux heures.) Voici l’heure du goûter, prenez vos rangs et allons au réfectoire…
Au moment où elles se dirigent vers la gauche, Grégorio entre vivement par le fond, il est pâle et défait et tremble de tous ses membres.
Scène IV
Quoi donc ?… Qu’avez-vous ?…
Parlez, parlez, Grégorio…
Que saint Grégoire, mon patron, nous protège !… (D’une voix étranglée.) Les Français sont ici !…
Les Français !…
C’est impossible !… Seriez-vous devenu fou ?
Pas encore… mais ça ne tardera pas… Faut vous dire que j’étais sorti pour faire quelques achats de graines… je me trouvais tout au bout du village… quand tout à coup, j’entends comme un bruit de tambour…
De tambour… Ah ! mon Dieu !
Je me glisse derrière un gros arbre… j’attends… et qu’est-ce que je vois surgir… — les cheveux m’en dressent encore sur la tête… — des uniformes français !
Vous en êtes sûr ?…
Ah ! je les connais bien, allez… Je les ai déjà vus en 96… il y avait tout un régiment… des tambours qui battaient… une vivandière avec sa voiture… et des clairons… traînée par un âne… qui jouaient de la trompette…
Il faut les voir !… des moustaches hérissées, des yeux flamboyants et des nez rouges… enfin, de vraies figures de Satan…
C’est horrible !… Enfin, ils sont passés…
Sans me voir… oui… mais ils ont pris la route qui conduit tout droit ici…
Ici !…
Sainte Vierge !… Est-ce possible ?…
Alors, j’ai rassemblé tout mon courage… Je n’en avais guère, mais je l’ai rassemblé tout de même… j’ai fait un détour et je suis rentré par la petite porte du potager pour vous prévenir…
Que faire ?… que devenir ?… Et toutes ces pauvres enfants…
On entend le son du tambour au loin.
Les voilà !… (Se précipitant vers la supérieure.) Ma mère !… ma mère !… sauvons-nous !
Attendez… attendez… ne criez pas… Nous allons nous réfugier à une lieue d’ici… au couvent de Santa-Maria… on ne refusera pas de nous donner asile…
Oui, c’est cela… (Montrant la gauche.) Fuyons par le potager…
Bruit de tambour plus rapproché.Ils s’approchent !…
Serrez-vous bien autour de moi, mes enfants.
Oui, ma mère…
Grand bruit de pas, cliquetis de fusils au dehors. – On frappe à la porte du fond.
Les voici !… En route !… Et que tous les saints du paradis veillent sur nous !… (Ils disparaissent tous par la gauche pendant que l’on continue à frapper à la porte du fond et qu’on entend des voix qui crient : Ouvrez ! Ouvrez !… il n’y a donc personne ?)
Hissez-moi, les amis…
Scène V
Cordon, s’il vous plaît !… peut-on entrer ?… Oui… merci ! (Descendant en scène en s’accrochant aux espaliers.) Ne vous dérangez pas, je connais l’escalier (Sautant à terre.) Houp ! là ! (Regardant autour de lui.) Tiens ! visage de bois. (Allant à la porte du fond et l’ouvrant.) Entrez, camarades.
Tout le monde entre.- Par un’chaleur aussi forte
- Nous consigner à la porte,
- Vraiment ça n’était pas d’jeu !
- Ici nous pourrons à l’aise,
- Protégés contr’la fournaise,
- Enfin nous r’poser un peu.
- Nous s’rons ici parfaitement,
A Robert qui entre.
- N’est-il pas vrai, mon lieutenant ?
- Très bien, — et nous avons vraiment
- Bien gagné ce r’pos d’un moment !
- Nous courons tous après la gloire,
- Mais nous somm’s fourbus, harassés,
- Sans avoir à manger ni boire,
- Tantôt rôtis, tantôt glacés !
- Et quand on a brûlé l’étape,
- Le fusil et le sabre en main
- A travers la mitraill’qui frappe,
- Il faut se frayer un chemin !
- Pif ! paf !
- Plein d’ardeur guerrière !
- Pif ! paf !
- En avant, morbleu !
- Pif ! paf !
- En bon militaire,
- Pif ! paf !
- On s’élance au feu !
- Mais quand nous entrons dans un’ville
- On nous tress’des couronn’s de fleurs
- Et d’la façon la plus civile
- Chacun nous reçoit en vainqueurs
- Le mari, qu’un beau zèle enflamme,
- S’en va nous chercher son vin vieux,
- Et pendant ce temps-là sa femme
- En cachett’nous fait les doux yeux.
- Pif ! paf !
- En amour, en guerre,
- Pif ! paf !
- En avant, morbleu !
- Pif ! paf !
- En bon militaire,
- Pif ! paf !
- On s’élance au feu !
Ah ça ! où sommes-nous ici ?… Ça m’a l’air d’un couvent.
Comme qui dirait une caserne de demoiselles… pas vrai, Griolet ?
C’est mon avis, papa Monthabor… mais où sont-elles donc, les demoiselles ?
Envolées, que je supperpose… la cage est vide.
Ça me fait cet effet-là.
Corbleu ! que j’ai chaud ! Foi de Monthabor, tambour-major à la 20e demi-brigade ; je fonds comme du beurre !… Et toi, Griolet ?
Moi idem, papa Monthabor… c’est ce polisson de soleil qui vous tape sur la coloquinte…
Ah bah !… nous en verrons bien d’autres… Nous étions tranquillement bivouaqués en Suisse, quand, tout à coup, on nous dit : Sac au dos et en avant ! vous voyez bien ces grandes montagnes couvertes de neige…
Le Saint-Bernard… rien que ça !
Il faut passer par là-dessus… C’est bien… puisqu’il le faut, on y passera… et on y est passé ni plus ni moins que si c’avait été une simple cosse d’orange… Nous avons gravi les sentiers, escaladé les pics, franchi les ravins, traîné nos canons et nos affûts… en riant et en chantant !… et ce matin, nous débouchions gaîment dans la vallée d’Aoste…
Alors, changement à vue… un vrai paradis terrestre…
Nous avons continué l’étape jusqu’ici… nous allons nous y reposer quelques heures, et ce soir, en route…
Pour aller où ?…
Ça, je l’ignore… c’est l’affaire du premier consul et de ses généraux… Mais en attendant, mes enfants, quittez vos sacs et reposez-vous… (A un sergent.) Vous, sergent, allez faire une petite visite dans l’établissement…
Tout de suite, mon lieutenant !
Et tâchez moyen de trouver quelque chose à nous insérer dans le gosier…
Le sergent sort à gauche avec deux soldats.
Atroce… Griolet !… J’ai beau fumer ma pipe… ça ne me désaltère pas…
Eh bien ! appelez la vivandière…
Qui… oui… appelons-la… la belle, la superbe Claudine, la reine des vivandières…
Tenez, regardez-moi ça… le v’là-t-il pas qu’y s’allume, ce tapin-là ?…
Hue donc, Martin, hue donc !…
C’est elle ! j’entends son organe enchanteur… (Courant au fond.) La v’là ! la v’là ! avec sa voiture et son âne !…
Scène VI
Claudine entre par le fond, montée dans une petite voiture traînée par un âne.
Salut à Claudine… et salut à Martin.
Merci pour moi, mes enfants… (Montrant l’âne.) et merci pour lui… pour mon brave Martin, le roi des baudets.
- Ce n’est pas un âne ordinaire
- Un lourdaud, un âne bâté,
- Martin possède l’art de plaire,
- Il a le charme et la beauté !
- Doué d’un très bon caractère,
- Il est loyal, soumis, constant…
- Y a bien des hommes sur la terre
- Qui n’en pourraient pas dire autant !
- Hi han !
- Le bel organe !
- Qu’il est joli !
- Hi han !
- C’est pas un âne,
- C’est un ami !
- Il est sag’comme un’demoiselle,
- Il est brav’comme un vieux troupier,
- Il est doux comme un’tourterelle
- Et coquet comme un officier !
- On devrait l’couronner rosière,
- Car son cœur est encor… tout blanc !
- Y a bien des femmes sur la terre
- Qui n’en pourraient pas dire autant !
- Hi han !
- Le bel organe !
- Qu’il est joli !
- Hi han !
- C’est pas un âne,
- C’est un ami !
Bonjour, les enfants… Enchantée de me retrouver au milieu de vous, moi et mon âne… (Caressant le cou de son âne.) A-t-il chaud, ce pauvre chérubin…
Attendez, Claudine… je vas l’éponger avec mon mouchoir… (Il tire son mouchoir et éponge l’âne, à part.) J’en fais-t-y des bassesses pour lui plaire…
Très bien, Claudine…
Sauf, par exemple, que nous avons latéralement la pépie… Vous serait-il facultatif de nous verser un léger verre de schnick ?…
Oui… à boire… à boire !…
Désolée, mes amis… mais, sécheresse générale… plus rien dans le bidon… C’est à peine si, en pressant bien, je pourrai en trouver encore un verre… (Elle penche son tonneau tant qu’elle peut et en tire un petit verre d’eau-de-vie.) Ce sera pour mon lieutenant…
Elle l’offre à Robert.
Le soigne-t-elle assez, son Robert !
Merci, Claudine… mais je refuse…
Tiens, pourquoi donc ?
Parce que nous sommes tous égaux devant la soif… et que s’il n’y en a que pour un, il n’y en a pour personne… voilà ma manière de voir…
La v’là, la crème des supérieurs. (Prenant le petit verre d’eau-de-vie.) Mais faut pas qu’y se perde pour ça… (Montrant l’âne.) Ce sera pour Martin… étant d’un autre sexe que nous, il n’y aura pas de jalousie.
Tiens, mon fiston, avale… ça te fera du bien à ta petite estomaque…
Il lui fait avaler le petit verre.
C’est bon, hein ?… Dis merci à papa…
Allons, laissez-le donc tranquille… Je vas le mettre à son aise…
Elle dételle son âne et le fait sortir par la gauche.
Attendez, je vas remiser votre voiture. (Il traîne la voiture.) J’en fais-t-y des bassesses !… J’en fais-t-y !
Avec tout ça, les camarades ne reviennent pas de leur visite domiciliaire… l’estomac commence à tirailler et j’avoue qu’un joli rata…
Les voilà… Nous allons savoir s’ils ont découvert quelque chose…
Tiens !… qu’est-ce qu’ils amènent donc là… une fillette…
Une petite nonne !… Pristi !… Qu’elle est gentille !
Scène VII
- De grâce, ayez pitié de moi !
- Pitié, messieurs les militaires !…
- Mon enfant, calmez votre effroi,
- Nous ne sommes pas des corsaires !
- Vraiment, vous n’êtes pas méchants ?
- Non, nous ne sommes pas méchants
- Nous sommes de très bons enfants
- Quelle surprenante aventure :
- Comment êtes-vous seule ici ?
- Je n’en sais rien, je vous le jure,
- C’est bien ce qui m’étonne aussi…
- J’étais en pénitence,
- Mes sœurs, dans leur effroi
- Ont dû s’enfuir, je pense…
- Sans plus songer à moi…
- Aussi je tremble…
- En nous tous ayez confiance !…
- Nous avons la tête légère,
- Nous sommes gais et sans façons,
- Mais j’vous l’jur’vous avez affaire
- A de bons et braves garçons !
- Sur votre front plus de nuage,
- Certain’de notre loyauté,
- Ainsi qu’il convient à votre âge
- Reprenez vit’votre gaîté !
Allons donc !… Et pourquoi ?
- C’est fini. Non… Je n’ai plus peur,
- Et même s’il faut vous le dire,
- Vers vous je sens au fond du cœur
- Un je ne sais quoi qui m’attire !
- À la bonne heure, c’est charmant MONTHABOR.
- Elle m’plaît considérablement.
- À la bonne heure, c’est charmant
- Voyez-vous, cett’petit’sucrée,
- Somme elle fait sa mijaurée !
- Puisque je suis seule en ces lieux,
- Je vous y reçois, — et je veux,
- Si vous le permettez, vous faire
- Les honneurs de ce monastère !
- Je vais vous m’ner au poulailler !
- Ell’va nous m’ner au poulailler !
- Puis vous conduire au potager !
- Puis nous conduire au potager !
- Je vous ouvrirai le cellier !
- Elle nous ouvrira le cellier !
- Et nous allons tout saccager !
- Et nous allons tout saccager !
- Vite, vite, au poulailler !
- Avec lapins et volaille,
- Avec le vin du cellier
- Nous allons faire ripaille !
- Allez donc, mais modérément…
- Le nécessaire seulement !… STELLA, très gaîment, faisant le salut militaire
- C’est entendu, mon lieutenant…
Aux soldats.
- Suivez-moi, soldats, en avant !
- En avant !
- Montrez-nous l’chemin, commandant !
- Vite, vite au poulailler !
- Etc., etc.
- Vite, vite au poulailler !
Stella sort avec Monthabor, Robert et les soldats. — Claudine va pour les suivre.
Scène VIII
Un mot !… un mot, belle Claudine.
Laissez-moi… vous ne voyez donc pas qu’il s’en va avec cette petite.
Qui ça ?… Votre Robert ?
Oui, mon Robert !
Ah çà ! décidément, vous avez un coup de soleil pour lui.
Oh ! je marronne !
Malheureusement, il ne fait guère attention à moi… je suis amoureuse d’un glaçon… je me consume pour un caillou… c’est dur !
Pardi ! je vous l’ai toujours dit, vous perdez votre temps avec le lieutenant… C’est un être incombustible… tandis que moi…
Vous !… Laissez-moi donc tranquille… vous n’êtes pas assez bel homme, mon cher…
Vous êtes toujours à me jeter mon physique à la tête… Si je n’ai pas six pieds, j’ai des talents d’agréments… d’abord, je suis tambour… et de plus tailleur de mon ancien état, ce qui est déjà pas mal distingué. Ah ! tenez, Claudine, vous ne savez pas ce que c’est qu’un tailleur amoureux !
- Tout en tirant mon aiguille,
- J’pense à vous, et quand j’vous vois
- Ma prunelle s’écarquille,
- J’rougis, j’pâlis à la fois.
- Vous m’aim’rez, je l’espère,
- Car sachez-le, sur terre
- Rien n’est plus vaporeux,
- Qu’un tailleur amoureux !
- En voyant que j’vous adore,
- Vous s’rez ému’certain’ment,
- Si je n’vous plais pas encore,
- Ça viendra tout doucett’meut.
- Vous m’aim’rez, je l’espère,
- Car sachez-le, sur terre
- Rien n’est plus vaporeux
- Qu’un tailleur amoureux !
(Avec force.) Ah ! Claudine ! Claudine ! si vous saviez les choses dont je suis capable pour vous plaire… Tenez, un exemple… Voilà votre uniforme de vivandière qui commence à rire et qui demande un remplaçant, pas vrai ?… Eh bien ! je vous en fabrique un sournoisement dans mes heures de loisir… Je compte vous l’offrir le jour de votre fête… en guise de bouquet… c’est-y délicat, ça ?… Et voilà les choses que l’amour m’inspire, à moi !… C’est pas votre Robert qui serait susceptible d’en faire autant…
Mon Dieu ! Griolet… je ne dis pas… vous êtes un bon garçon… Mais, qu’est-ce que vous voulez, j’ai beau faire, je sens que je ne vous aime pas…
Ça viendra… on a vu des choses plus bêtes que ça… Oui, ça vous viendra, ô Claudine, cantinière céleste, ça vous viendra à la longue…
J’en doute…
Et moi, j’en caresse voluptueusement l’hypothèse… et alors, quelle noce !… (Monthabor entre.) Nous nous marierons !…
Scène IX
Monthabor a un tablier de cuisine, il tient à la main un saladier et des romaines ; des soldats, au nombre de quatre ou cinq, entrent après lui. Ils sont également en tabliers de cuisine, deux d’entre eux portent des tables, les autres des paniers renfermant de la vaisselle.
Pourquoi ça, imbécile ?
Parce que tu parles de mariage, clampin… (Lui donnant les romaines.) Tiens, épluche la salade. (Reprenant.) Le mariage… vois-tu, c’est pas toujours drôle… J’en sais quelque chose… attendu que j’y ai passé…
Vous, papa Monthabor ?
Moi-même… (Aux soldats qui sont entrés avec des tables, leur montrant le milieu du théâtre.) Posez ça là… (Reprenant.) Tel que vous me voyez, j’ai allumé dans le temps les torches de l’hyménée…
Ah bah !… Alors, vous êtes veuf ?…
Je suis veuf sans l’être… Autrement dit, je suis redevenu garçon sans avoir perdu ma femme…
Contez-nous donc ça…
Oh ! C’est bien simple… (Lui donnant des assiettes.) Aidez-moi à mettre le couvert… (Tout en mettant le couvert avec Claudine.) Faut vous dire qu’il y a de ça dix-neuf ans… j’étais teinturier à Paris… j’y fis la connaissance d’une séduisante blanchisseuse… jolie comme un amour… et qui chantait toute la journée comme une vraie fauvette…
Dans mon genre…
Veux-tu laisser la salade… (Reprenant.) Je me dis : V’là mon affaire !… Je me déclare, elle m’accepte et je l’épouse ostensiblement… (A Claudine.) Mettez les couteaux…
Chançard de major !
Chançard !… Ah ben ouiche !… au bout de six mois, notre ménage était devenu un enfer… et quelques années après nous divorcions… d’un commun accord !… C’était la première fois que nous étions du même avis !
Alors, tout était pour le mieux…
Oui, s’il n’y avait pas eu un enfant…
Vous avez un enfant ?…
Et qu’est-ce qu’elle est devenue ?…
Ah ! voilà le chiendent !… J’avais été obligé de m’enrôler comme tout le monde pour courir à la frontière… Quand je revins, plus de nouvelles de mon ex-épouse… elle avait disparu avec la petite.
Et vous n’avez jamais pu remettre la main dessus ?
Jamais !… Vous comprenez… quand on est soldat, on ne va pas où on veut… (Avec une émotion qui le gagne peu à peu.) Dire pourtant que j’ai quelque part une fillette qui a aujourd’hui dix-huit ans… qui doit être belle et bien bâtie, si elle tient de son père… et que je ne peux pas l’embrasser !… Cré tonnerre ! voyez-vous, on a beau être un vieux racorni, c’est fichant !… Ça vous serre le cœur !…
Pauvre major !…
Oui… pauvre major… (Changeant de ton et arrachant à Griolet la romaine qu’il tient.) Mais, mille millions d’obus ! à la fin, veux-tu laisser la salade !… Il va manger tout notre dessert, cet animal-là !…
Il n’en aura pas le temps… V’là les camarades…
Pendant cette scène, Monthabor et Claudine ont mit complètement le couvert.Scène X
Eh bien, monsieur Monthabor, tout est-il prêt ?
Tout est prêt, ma commandante…
Le coup d’œil est superbe !
Je vous avais promis de vous faire les honneurs du couvent, j’ai tenu ma promesse… le dîner vous attend.
Bravo ! bravo !
Elle me déplaît, cette petite !
Et vous allez voir quel menu, mes enfants ; je vous recommande surtout la sauce du lapin.
Elle est de votre composition ?
Un peu… comme il n’y avait pas de poivre dans l’établissement, j’ai eu l’idée de le remplacer par une pincée de poudre à canon… c’est estomachique.
Ah ! ah ! ah !
Satané Griolet !… est-il spirituel cet imbécile-là !… À table !
À table !…
Pendant le chœur qui suit on s’est assis. — Robert est au milieu de la table, ayant à sa droite le sergent, puis Monthabor, puis Stella. — À la gauche de Robert un soldat puis Griolet, puis Claudine. — Les autres militaires mangent debout autour de deux petites tables qui sont placées à droite et à gauche de la grande. — Chaque soldat a devant lui son pain de munition.
- Puisque le couvert est mis
- Pour ce festin mémorable,
- Asseyons-nous, mes amis.
- Et plaçons-nous vite à table !
On s’est placé à table.
- Je vais couper un peu de pain…
- C’est beaucoup…
- Bast ! il faut qu’on mange !
- Pristi !… mais c’est du vrai lapin…
- Un peu, Griolet… Ça nous change…
- Et quelle sauce !…
- C’est divin !
- Ça vous emporte la mâchoire ! ROBERT.
- Par bonheur nous avons du vin…
- Allons, vite qu’on verse à boire !
- A boire ! à boire !
On remplit les verres.
- Amis, je bois à la santé
- De la fée aimable et charmante,
- Qui nous donn’l’hospitalité
- D’une façon si bienveillante !
- A notr’fée aimable et charmante !
- A sa santé !
- A notr’fée aimable et charmante !
- Soyons gais comme des pinsons,
- C’est l’heur’d’entonner des chansons,
- Chacun va dire sa chacune…
A Stella.
- A vous l’honneur…
- une Je n’en sais qu’
- C’est un air défendu que j’ai trouvé chez nous,
- Une chanson enfin, où l’on parle de vous…
- De nous, vraiment !…
- Mais c’est charmant !
- Dites-nous la, ma belle enfant…
- Depuis longtemps l’Italien
- Veut enfin devenir son maître.
- Nous crions, on n’écoute rien,
- C’est à qui nous enverra paître ;
- Bon Français, viens, nous t’implorons,
- En attendant ce jour de fête,
- Le jour où nous te reverrons,
- Chacun de nous tout bas répète :
- Petit Français, brave Français,
- Viens délivrer notre patrie ;
- Par les enfants de l’Italie
- Tu seras bien reçu, tu sais,
- Brave Français.
- Petit Français, brave Français,
- Etc.
- Petit Français, brave Français,
- Le Français a le cœur brûlant,
- Il en a donné plus d’un gage ;
- Car il a laissé dans Milan
- Des souvenirs de son passage.
- Toujours, dans les tendres combats
- Sa victoire fut si complète,
- Que les dames disent tout bas,
- En pensant à quelque amourette :
- Petit Français, gentil Français,
- Viens délivrer notre patrie,
- Par les femmes de l’Italie
- Tu seras bien reçu, tu sais,
- Gentil Français !
- Petit Français,
- Etc.
Le sergent et quelques soldats entourent Stella.
- Bravo ! ma belle
- Demoiselle ! Voulant lui prendre la taille.
- Bravo ! ma belle
- Elle est charmante, sur ma foi.
- Ah ! messieurs, messieurs, laissez-moi !
- Plus un mot, et que ça finisse,
- Respect aux femm’s, c’est notre loi !
- Par la mordieu ! qu’on m’obéisse,
- Ou l’on aurait affaire à moi.
- C’est bien, lieut’nant, on reste coi…
Chacune dans un sentiment différent.
Ah ! quelle ardeur à me défendre la
- Tiens, tiens, tiens ! je crois comprendre.
- N’en parlons plus… que Griolet
- A son tour nous chante un couplet
À nous deux, Claudine… la légende du petit troupier.
- Il était une grand’princesse…
- Il était un petit troupier…
- Elle avait un’immens’richesse… GRIOLET.
- Il était simple fusilier…
- Elle avait un’immens’richesse…
- Ell’vit le troupier, la princesse…
- Il vit la princess’, le troupier…
- Pour lui vlà qu’ell’se prit d’tendresse…
- Et qu’ils se l’dir’nt sur du papier !
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire,
- Les princess’s ador’nt les soldats,
- Sans hésiter on peut y croire,
- Car c’est dans tous les almanachs.
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire,
- Etc., etc.
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire,
- Elle aimait tant, cett’grand’princesse…
- Elle aimait tant ce p’tit troupier…
- Qu’ell’l’épousa, le cœur en liesse…
- Il devint princ’, fichu métier !
- Grâce à l’amour de la princesse…
- Grâce au courag’du p’tit troupier… CLAUDINE.
- Il arriva qu’en leur vieillesse…
- Grâce au courag’du p’tit troupier…
- Ils régnèr’nt sur le monde entier !…
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire…
- Les princess’s épous’nt des soldats !
- Sans hésiter on peut y croire,
- Car c’est dans tous les almanachs.
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire…
- Etc., etc.
- Ça, mes enfants, c’est de l’histoire…
A ce moment on entend au dehors un appel de trompettes.
- On fait l’appel, entendez-vous…
- Allons, morbleu ! dépêchons-nous.
- Oui, c’est assez se divertir ;
- A son devoir fidèle,
- Un bon soldat doit obéir
- Quand le clairon l’appelle !
- Oui, c’est assez se divertir ;
- Oui, c’est assez se divertir,
- A son devoir fidèle,
- Un bon soldat doit obéir
- Quand le clairon l’appelle.
- Oui, c’est assez se divertir,
Tous les soldats sortent par le fond à gauche, après avoir repris leurs fusils et leurs sacs.
Alors, vous voilà complètement rassurée, mademoiselle ?
Complètement… et tenez, il me semble que si j’avais été homme, j’aurais voulu être soldat.
Vraiment…
Mais on vous attend… (Lui faisant une révérence.) Au revoir, mon lieutenant… au revoir.
Elle entre à gauche, premier plan.
Décidément elle est adorable, cette jeune fille… Quelle charmante petite femme ça ferait… (On entend au-dehors le roulement d’une voiture et la voix de Della Volta.) Quelqu’un !… Allons retrouver mes soldats.
Il sort par le fond à gauche.
Scène XI
Nous y sommes… (Passant sa tête par l’entrebâillement de la porte.) Tiens !… la porte est ouverte… (Il la pousse et entre.) La tourière aura oublié de la refermer… Entrez, mon cher marquis… (Bambini entre. — Regardant autour de lui.) Eh bien ! où êtes-vous donc ?
Par ici… à votre gauche…
Ah ! bon… nous voici dans le couvent où ma fille Stella a été élevée… je vais la demander… (Regardant la statue qui est à droite.) Ah ! justement la supérieure…
Il s’avance et salue.
Mais non… c’est une madone.
Une madone… vous croyez ?… (Il met son lorgnon.) C’est ma foi, vrai… je suis très distrait… il y a même des gens qui, à cause de cela, se figurent que j’ai la vue basse…
Quelle erreur… (A part.) Il est myope comme une taupe…
Personne… et aucun bruit… Tout le monde est à l’office, probablement…
Probablement…
Mon avis est que nous ne dérangions pas ces saintes femmes… Nous avons le temps d’attendre… Ah ! ah ! Stella ne se doute guère que je viens la chercher pour la marier…
Croyez-vous qu’elle consentira…
À vous prendre pour époux… il serait curieux qu’elle osât résister aux ordres de la duchesse et aux miens… Vous êtes le marquis Ernesto Bambini, moi le duc Della Volta, deux grands noms, deux arbres généalogiques qui veulent enlacer leurs rameaux ?…
D’ailleurs, c’est un cas de force majeure… ce mariage est absolument indispensable pour mettre fin au procès qui divise nos deux vieilles branches…
Procès que vous avez perdu d’avance, avouez-le… et qui vous ruinerait de fond en comble…
On ne sait pas… les avocats sont si adroits… Mais, du reste, peu importe, puisque vous glissez dans la corbeille une renonciation à toute prétention sur mes biens…
Oui, je fais cette sottise… je suis tellement amoureux.
Nous ferons le mariage le plus tôt possible… (A part.) Il n’aurait qu’à changer d’avis… (Changeant de ton.) Mais, dites-moi, comme on sent bien qu’on est ici dans l’asile de la piété et du recueillement… Quel calme… quelle tranquillité… quelle sérénité…
Pas un bruit !
Pas un souffle !… (On entend fredonner.) Ah ! Si… si… écoutez… il me semble que j’entends des chants sacrés…
- En avant, Fanfan-la-Tulipe,
- Mille millions d’une pipe en avant !
- Vive le vin,
- Vive ce jus divin !…
C’est la supérieure… elle me parait bien enrhumée…
Oh ! oui…
Je ne reconnais pas du tout les airs…
Les deux voix chantent en même temps et très fort.
Mais ce sont des voix d’hommes…
Des hommes ! allons donc…
Voyons… voyons… (Il regarde à gauche et pousse un cri en rétrogradant vivement.) Oh !…
Ah !…
Ils se trouvent dos à dos.
C’est plein de soldats !…
Des militaires…
Les Français !…
Mais alors, beau-père…
Que sont devenues… les…
Les pensionnaires…
Et les religieuses…
Je n’ose y penser !… c’est… c’est horrible !…
Effroyable !…
À ce moment entrent vivement par la gauche les pensionnaires poursuivie par des soldats
Scène XII
LES PENSIONNAIRES.
|
LES SOLDATS.
|
- Enfin vous voilà, Dieu merci !
- D’où venez-vous, courant ainsi ?
- De soldats la route était pleine
- Et nous revenons au logis,
- Toute tremblante, j’y ramène
- Mon troupeau de jeunes brebis.
- Bien !… mais parmi votre famille
- Grand Dieu !… je ne vois pas ma fille !… LA PRIEURE.
- Ah ! pardonnez-moi,
- J’étais si troublée,
- Qu’en ces lieux, je croi
- L’avoir oubliée !
- Eh quoi ! ma fille est restée
- Aux pris’avec un corps d’armée !…
- Où peut-elle être, ma Stella ?
- Et qu’en ont-ils fait ?
- Me voilà !
Scène XIII
- Ma fille !… elle est vivante !… enfin !
- Son père…
- Ce vieux parchemin ?
- A tous ces braves militaires
- Soyez ici reconnaissant ;
- En bons camarades, en frères,
- Ils ont veillé sur votre enfant !
C’est très bien, messieurs… serviteur !…
Il leur tourne le dos.Voilà tout !
Il n’use pas sa langue, ce coco-là.
Allons, Stella, partons pour Novare.
Un moment ! (Aux soldats.) Mes amis, un seul mot.
Venez, venez donc !
Laissez-la faire, mon bonhomme.
Je ne suis pas votre bonhomme !
- Pour recevoir un régiment,
- J’étais seule en ce vieux couvent
- Et fort en peine !
- Mais quand je vis ce régiment.
- De mon cœur je bannis viv’ment
- Un’crainte vaine !
- Soldats de ce brav’régiment,
- Vingtièm’demi-brigade,
- De près, de loin, dès ce moment
- Je suis votr’petit’camarade !
- Ah !
- Désormais pour le régiment
- Qui s’expose aux dangers d’la guerre,
- Chaque soir au Dieu très clément
- Je ferai bien dévotement
- Ma prière. II
- Ma prière.
- Je demande qu’au régiment
- On se rappelle simplement
- À la veillée
- Que, servante du régiment,
- Avec lui j’ai passé gaîment
- Une journée !
- Soldats de ce brav’régiment,
- Vingtièm’demi-brigade,
- N’oubliez pas que dès c’moment
- Je fus votr’petit’camarade !
- Ah !
- En échang’, pour le régiment
- Qui s’expose aux dangers d’la guerre,
- Tous les soirs au Dieu très clément
- Je ferai bien dévotement
- Ma prière !
- Allons, allons,
- Dépêchons
- Et partons !
- Allons, allons,
- Petite amie,
- Jamais n’oublie,
- En t’éloignant,
- Ce vieux couvent.
- Ici personne,
- Chère mignonne,
- Crois bien cela,
- Ne t’oubliera !
- Vous partez… Allons, courage !
- Oui, c’est bien… elle en aura.
- Vous partez… c’est grand dommage. LE DUC, même jeu.
- Il se peut… mais laissez-la !
- Vous partez… c’est grand dommage.
- Vous partez… moi, ça m’chiffonne.
- Ça suffit… Allons, c’est bon !
- Quittez-nous, puisqu’on l’ordonne.
- Per Bacco ! laissez-la donc !
- Petite amie,
- Jamais n’oublie,
- Etc.
- De ce jour passé parmi nous,
- Souvenez-vous.
- De ce jour passé parmi nous,
- Oui, je vous le promets, Stella
- S’en souviendra !
- Oui, je vous le promets, Stella
Aux soldats.
- En vous disant adieu ce soir,
- Amis, je conserve l’espoir
- Qu’un jour nous pourrons nous revoir.
Le duc cherche à l’entraîner, elle lui échappe et redescend près des soldats.
- Petit Français, gentil Français,
- Viens délivrer notre patrie,
- Par les femmes de l’Italie
- Tu seras bien reçu, tu sais,
- Gentil Français !
- Petit Français, gentil Français,
- Etc.
- Petit Français, gentil Français,
Les pensionnaires sont rangées à droite, les soldats à gauche forment la haie et portent les armes. Stella, arrivée au fond, se retourne et envoie à tous des baisers. — Tableau.
ACTE DEUXIÈME
Un riche salon donnant sur une terrasse à l’italiene. — Au fond on aperçoit le haut des arbres du parc et tout à fait dans l’éloignement les maisons de la ville de Novare.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, le duc assis devant un guéridon dépouille une volumineuse correspondance, la duchesse est assise à gauche, les seigneurs les entourent.
Tout va bien… les dépêches qui nous arrivent ici, à Novare, sont excellentes.
Il court cependant des bruits…
Pourtant ne disiez-vous pas vous-même qu’en allant chercher notre fille à son couvent, il y a quelques jours, vous aviez rencontré des Français ?
Peuh !… une poignée de soldats que le premier consul pousse en avant pour faire croire qu’il a une armée… un ramassis de vieillards et d’éclopés, bons tout au plus à faire peur aux petits enfants et à l’aide desquels il tente de faire une diversion…
Qui ne trompera personne.
Personne… D’ailleurs le colonel Badanowitz est à deux lieues d’ici, qui les surveille… mais laissons cela et parlons de choses plus sérieuses.
Oui, le duc a raison… Vous savez, messieurs, que nous donnons aujourd’hui une fête, où l’on signera le contrat de mariage de notre fille avec le marquis Bambini.
Toutes nos félicitations.
Messieurs, je compte sur vous… je veux que toute la noblesse de Novare assiste à cette soirée… Le gouverneur de Milan lui-même, doit s’y faire représenter par son neveu qui arrive exprès de Turin.
Ah ! oui, son neveu, un jeune monsignor que l’on dit assez écervelé.
Parfait…
À ce soir donc, messieurs.
À ce soir !
Ils remontent.
Et surtout imprégnez-vous bien de cette idée !… Il n’y a pas d’armée française, il n’y en a pas.
Les seigneurs sortent.
Scène II
Voilà nos invitations faites. Tout marche à merveille.
Pourvu qu’à présent Bambini ne change pas d’avis… nous serions ruinés…
Vous avez toujours peur, Ascanio… il n’y a pas de danger, il est éperdument amoureux de Stella.
C’est bien là-dessus que je compte. (Bas.) Mais du reste, le voici, nous allons savoir à quoi nous en tenir.
Bonjour, marquis !
Comment allez-vous ce matin ?
Faiblement… bien faiblement.
Qu’avez-vous donc ?
Toujours mes vapeurs, ma migraine.
- Examinez bien ma figure,
- Et remarquez mes yeux battus,
- En me regardant, j’en suis sûre,
- Vous ne me reconnaîtrez plus !
- Mon teint, fait de lis et de rose,
- A perdu toute sa fraîcheur,
- Et quand vous en saurez la cause,
- Vous me plaindrez du fond du cœur…
- J’ai ma migraine !
- Je ressens d’immenses douleurs !
- Hélas !… je me soutiens à peine…
- J’ai ma migraine
- Et mes vapeurs !
- D’habitude, aimable et légère,
- Je ris du matin jusqu’au soir,
- Car j’ai le plus doux caractère,
- Le plus charmant qu’on puisse voir !
- Mais soudain, — quelle turlutaine, —
- Je voudrais battre mon époux…
- Je brise tout… la porcelaine…
- Les cristaux !… c’est que, voyez-vous,
- J’ai ma migraine !
- Il me semble que je me meurs !
- Par instant je respire à peine !
- J’ai ma migraine
- Et mes vapeurs !…
Ce ne sera rien, une indisposition de jolie femme.
Taisez-vous, vous me feriez oublier que j’ai une grande fille.
Qu’importe, si vous paraissez être sa sœur. (A part.) Ça n’est pas bête ça !
Flatteur !
Si nous nous occupions un peu de nos petites affaires.
Volontiers. Nous signons toujours le contrat ce soir ?
Tel est notre projet… Cependant, avant d’aller plus loin, nous avons besoin, la duchesse et moi, d’avoir avec vous un entretien confidentiel.
Vous m’intriguez… qu’avez-vous donc à me dire ?
Je ne déteste pas ça…
Eh bien ! j’irai droit au fait… marquis, Stella n’est pas ma fille.
Qu’est-ce que vous dites ?
C’est la mienne…
À vous ?… (Montrant le duc.) Et ce n’est pas celle de… Je n’y suis pas du tout… Expliquez-vous.
Ecoutez… Il y avait une fois à Madrid, une cantatrice appelée la Rosita… cette grande artiste appartenait à une noble famille du Poitou… (A la duchesse.) C’est bien du Poitou, n’est-ce pas ?
Du Poitou, parfaitement… Elle avait été forcée de se mettre au théâtre pour élever sa fille.
Ah !… mais comment avait-elle une fille ?
De la façon la plus naturelle… Ses nobles parents… du Poitou, lui avaient fait épouser malgré elle un homme…
Un gentilhomme, qu’elle ne pouvait aimer… il avait quatre-vingt-un ans et il était brutal…
Où il fut mangé quelque temps après par les Peaux-Rouges.
À quatre-vingt-un ans, il devait être bien dur. (Au duc.) Continuez.
Si j’ajoute qu’à cette époque se trouvait également à Madrid un certain secrétaire d’ambassade, beau cavalier, qui devint épris de la Rosita ; si je dis enfin que, fou d’amour, il offrit sa main à la grande et noble artiste, j’aurai tout dit et vous connaîtrez à fond tous les détails de cette histoire.
J’ai compris, le secrétaire d’ambassade…
Beau cavalier.
C’était vous !… la grande et noble artiste, c’était madame la duchesse.
Et Stella est la fille du teintu… (Se reprenant vivement.) du gentilhomme qui a été mangé par les Peaux-Rouges.
Voilà !… Maintenant vous savez notre secret… à vous de nous dire si cela modifie vos projets…
Du tout… puisque pour tout le monde mademoiselle Stella est la fille du duc… qu’est-ce que ça me fait… j’épouse… j’épouse plus que jamais.
J’en étais sûre…
Ma charmante future sait-elle que nous signons le contrat ce soir ?
Pas encore, mais nous allons l’en prévenir…
On entend au fond deux, coups de feu.
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Quelque garde qui chasse le lapin dans votre parc.
Scène III
Bonjour, maman… bonjour, papa…
Comment c’est vous, mademoiselle, qui faites tout ce tapage !… d’où venez-vous donc ?
De la chasse !… c’est si amusant de chasser… de monter à cheval… de franchir les haies… hop-là ! hop-là !… de tirer des coups de fusil… pif ! paf !…
Elle est étonnante…
Oui, maman… (Elle pose son fusil. — Revenant.) De quoi s’agit-il donc ?
De votre mariage avec M. le marquis Bambini…
Bambini salue.
De mon mariage… mais je vous ai déjà dit que je ne voulais pas me marier…
Vous ne voulez pas… Qu’est-ce à dire ?… Sachez, mademoiselle, qu’une jeune fille de bonne famille ne doit avoir d’autres volontés que celles de ses parents…
Pourtant… si je n’aime pas monsieur…
C’est un détail…
Sans importance…
Evidemment…
Il nous convient… c’est l’essentiel…
D’ailleurs, c’est parce que nous vous aimons que nous tenons à ce mariage…
Parce que vous m’aimez ?
- Ah ! vraiment je le déclare,
- Les parents sont étonnants
- C’est d’une façon bizarre
- Qu’ils adorent leurs enfants !
- On les choie, on les caresse,
- Quand ils sont petits, petits,
- Ce sont trésors de tendresse,
- Et soins jamais ralentis ;
- On est, pendant leur enfance,
- Heureux de leur obéir,
- Ils parlent, et l’on devance
- Jusqu’à leur moindre désir !
- Pour eux, constamment en peine,
- On les gâte tant qu’on craint
- De leur causer une gêne,
- Ou le plus mince chagrin.
- Mais lorsque la jeune fille
- Atteint dix-huit ou vingt ans,
- Elle voit dans sa famille
- Des changements surprenants.
- Pour se débarrasser d’elle,
- Dût-on la sacrifier,
- On lui dit : Mademoiselle,
- Vite, il faut vous marier !
- Qu’il vous plaise ou non, qu’importe !
- Voilà votre époux, bonsoir !
- Avec lui prenez la porte,
- Au plaisir de vous revoir !
- Sans pitié pour ses alarmes,
- On n’écoute pas ses cris,
- On ne veut pas voir ses larmes,
- On lui répond : Obéis !
- Avec de tels mariages,
- Qu’advient-il, gens imprudents ?
- C’est que dans tous ces ménages
- On voit beaucoup… d’accidents !
- Ah ! vraiment je le déclare,
- Les parents sont étonnants,
- C’est d’une façon bizarre
- Qu’ils adorent leurs enfants LE DUC.
Elle veut nous donner une leçon !
Assez, mademoiselle… plus un mot et préparez-vous à nous obéir.
Excusez-moi, ma mère, mais ça me serait impossible.
Nous signerons le contrat ce soir.
Je ne signerai rien !
C’est trop fort !… Mademoiselle, allez vous habiller.
Non, non, non ! mille fois non ! je vais m’enfermer dans ma chambre et je n’en sortirai pas.
Ella entre à gauche.
A-t-on idée de ça !
Courez après elle.
Eh ! laissez-moi donc vous !… je sais ce que j’ai à faire. (Elle remonte.) Ah ! il faudra bien qu’elle m’obéisse !
Elle sort à la suite de Stella.Scène IV
C’est l’équitation qui la met dans cet état-là ?
Ne faites pas attention, pur enfantillage… J’espère que ça ne vous refroidit pas ?
Moi ?… vous ne me connaissez guère, au contraire, ça m’excite, ça me monte.
J’aime ce caractère. (A part.) Il est idiot heureusement. (Haut.) Voyez-vous, mon ami, elle a comme ça des turlutaines depuis ce jour où elle a rencontré à son couvent cette troupe de soldats français…
Ah ! dites donc… à propos de ces Français, savez-vous ce que l’on dit ?
Non.
On prétend qu’ils ont marché en avant et que leur avant-garde a pénétré dans la ville.
Dans Novare ! à dix lieues de Milan. (Riant.) Ah ! ah ! mais c’est impossible… les dépêches disent tout le contraire… ça n’a pas le sens commun.
Pendant ces derniers mots, on a vu paraître au fond Robert, Monthabor et Griolet qui s’orientent. Griolet a un paquet à la main.Vous me rassurez.
Allez chez le notaire, mon ami, et ne vous préoccupez pas de toutes ces sottises.
J’y vole… à bientôt.
Il sort par la gauche.
À Novare… allons donc !… est-ce qu’ils oseraient jamais y pénétrer.
Scène V
Les trois soldats se sont montré le duc et sont descendus près de lui.
M. le duc Della Volta ?
C’est moi. (Se retournant et se trouvant en face de Robert.) Hein !… Eux ici ?
Tiens !
Le père de la petite.
Que voulez-vous ?
Jetez les yeux sur ce papier.
Lisez !
- C’est un billet de logement !
- C’est un billet de logement.
- Il est en règle strictement,
- Et vous allez évidemment.
Avec beaucoup d’empressement.
- Nous recevoir très poliment.
- C’est un billet de logement.
- Que nous faut-il ?… un’bagatelle,
- Bien peu de chose assurément.
- Place au feu, place à la chandelle.
- Et des égards… énormément !
- Non, pour quitter mon domicile
- Je vous donnerai de l’argent TOUS LES TROIS.
- Hein ! de l’argent !
- Vous l’irez dépenser en ville…
- Du tout, lisez le document,
- C’est un billet de logement.
- Etc.
(Parlé.) Ah ! vous voulez loger chez moi !…
- Eh bien ! j’ai ce qu’il vous faut :
- Deux mansardes magnifiques
- Tout en haut.
- Tout en haut !
- Vous y serez bien au chaud,
- Avec mes vieux domestiques,
- Tout en haut !
- Tout en haut !
- Chez moi, ne vous gênez pas,
- Vous trouverez la cantine
- Tout en bas.
- Tout en bas !
- Et vous prendrez vos repas,
- Mes amis, à la cuisine,
- Tout en bas.
- Tout en bas ! MONTHABOR.
- Tout en bas !
- Morbleu ! vous moquez-vous de nous ?
- Chut ! calmez-vous !
- J’vas flanquer tout sens d’ssus dessous !
- Chut ! calmez-vous !
- Monseigneur voudrait-il, vraiment,
- Insulter notr’brav’régiment ?
- Vous vous trompez assurément,
- Relisez bien le document.
- Quel document ?
- Ce document !
- C’est un billet de logement,
- Etc.
C’est entendu, militaires, on aura pour vous les plus grands égards. (Il remonte. — À part.) Vite un mot au colonel Badanowitz pour le prévenir que les Français sont ici. (Haut, au fond.) Beaucoup d’égards !…
Il disparaît en ricanant.Scène VI
Mordieu !… c’est qu’il a l’air de se moquer de nous !
Ah ! mille tonnerres ! si on ne se retenait pas, quel plaisir on aurait à tambouriner les côtes d’un pékin de cette espèce-là.
Pas de bêtises… du calme, Monthabor, du calme…
Je me dompte, mon lieutenant… je comprends les sentiments internes qui vous agitent… C’est le papa de la petite… sufficit !… on respectera l’amphibie.
Le papa de la petite… qu’est-ce que tu entends par là ?
Parbleu !… j’entends qu’elle vous a tapé dans l’œil, la jolie colombe du couvent… c’est visible à l’œil nu.
Allons donc !… ça n’a pas le sens commun… moi, un simple lieutenant, sans le sou… tu croirais que je suis amoureux…
Un peu, mon neveu…
Elle l’est…
Mais, Dieu merci, je n’ai pas la cervelle fêlée… et comme je ne peux nourrir le fol espoir de devenir jamais son mari…
Pourquoi donc pas ?
Allons, farceur, tais-toi… pas de mauvaise plaisanterie.
C’est bon, je clos mon bec… (A part.) mais je garde mon idée.
Quel crâne mobilier !… (S’asseyant dans un grand fauteuil et rebondissant sur les élastiques.) Cristi ! en v’là un d’un moelleux… Essayez donc ça, papa Monthabor.
Voyons !… (Rebondissant sur les élastiques) Cré nom !… on dirait qu’on est assis dans du beurre…
Le fait est qu’on est remarquablement bien dans ces machines-là…
Pour faire la siesta… comme ils disent…
Oh ! la siesta !
On entend au dehors le bruit de deux vigoureux soufflets. Robert, Monthabor et Griolet se relèvent d’un bond en s’écriant : Hein !Qu’est-ce que c’est que ça ?
Parbleu ! c’est Claudine… Je reconnais sa manière.
Scène VII
Si vous en voulez d’autres, ne vous gênez pas… (Elle lève la main, les domestiques reculent.) Je vous dis que j’ai à parler au soldat Griolet… (Montrant Griolet.) Et tenez, le voilà… (Repoussant vigoureusement les deux domestiques qui trébuchent.) Laissez-moi donc passer, clampins !… (Elle descend.) A-t-on jamais vu !…
- Eh bien ! en voilà dès manières !
- Vous voulez m’empêcher d’passer.
- Apprenez que les cantinières,
- Ça n’a jamais su reculer.
- Comme un canich’dans un jeu d’quilles,
- Vous prétendez me recevoir,
- Allons, rentrez dans vos coquilles
- Ou ventrebleu ! vous allez voir !…
- Si l’un de vous s’approche,
- Je crois qu’ça lui cuira,
- Car ma répons’la v’là :
Faisant le geste de donner des soufflets.
- V’li ! v’lan !
- Mets-ça dans ta poche,
- V’li ! v’lan !
- Attrap’ça !
Les domestiques sortent.
- En amour c’est la même affaire,
- Faut pas toucher à qui me plaît.
- C’est pas par mauvais caractère,
- Mais j’ai la têt’près du bonnet.
- Supposons qu’un beau jour j’adore
- Quelque garçon à l’air vainqueur,
- Ah ! si jamais quelque pécore
- Prétendait m’disputer son cœur,
- Je n’lui f’rais pas d’reproche,
- J’suis trop poli’pour ça
- Mais j’crierais : halte-là !
- V’li ! v’lan !
- Mets ça dans ta poche,
- Vl’i ! lv’lan !
- Attrap’ça !
Vertudieu ! je vois qu’il ne ferait pas bon de s’y frotter.
Oh ! mais non !
Pour lors donc, c’est moi que vous cherchez ?
Oui, mon petit… histoire de savoir si vous avez terminé mon costume.
Le voilà !… je n’ai plus qu’un point à y faire.
Il s’assied et coud.
Oh ! oh ! à Milan… comme vous y allez… Ça ne doute de rien, les femmes… nous n’y sommes pas encore
Mais nous y serons bientôt, je l’espère… j’ai là un brave homme d’oncle…
Bah ! un Français ?
Non, un Champenois… qui est établi aubergiste, et que je ne serais pas fâchée d’embrasser.
Et tatati, et tatata ! En voilà-t-il, des paroles pour nous mettre dedans… Vous ne voyez donc pas, mon lieutenant, que toutes ces fariboles-là, c’est un prétexte pour venir vous retrouver…
Oh !
Il se pique et suce son doigt.
Moi ?… voilà une idée, par exemple !
Taisez-vous donc… vous allez me faire rougir devant lui.
Ce diable de Monthabor, je ne sais pas ce qu’il a aujourd’hui… à l’entendre, on croirait, ma parole d’honneur, que je suis un don Juan de régiment.
Au grenier !
Avec les souris…
Ah bah ! nous en avons vu bien d’autres… Il me semble que nous n’avons pas pour habitude de nous dorloter dans des lits de plume… Est-ce que par hasard vous devenez des sybarites !
Des sybarites, jamais !
Va donc pour le grenier, nous y serons très bien.
Je vas voir ça. (A part.) J’aurai l’œil au grain. (Haut.) Et quand on voudrait vous fourrer dans une cabane à lapins, je vous réponds, mon lieutenant, que grâce à moi, vous y serez comme un cœur… (le regardant amoureusement) comme un cœur…
Mais c’est de la démence… elle est passionnée pour cet homme !
On entend une musique de danse dans un salon voisin.
Tiens, tiens !… entendez-vous ?
On danse par là.
C’est une fête.
Les invités de monseigneur vont venir dans ce salon, vous ne pouvez pas rester ici.
C’est bien… nous allons nous retirer… venez, major !
Il sort par le fond à droite.
Oui, oui.
Il prend un sorbet sur le plateau. Griolet l’imite, ils boivent.
Eh bien !… voyons, venez, je vais vous conduire à vos chambres.
Il remonte.
On y va… (Remontant à son tour et regardant au fond à gauche.) Ah ! nom d’une pipe !… en voilà des habits brodés, et des femmes d’un décolleté…
Décolletées !… voyons…
Décolletées !… Ici Griolet… suivez-moi…
Elle sort par le fond à droite.
Voilà ! voilà !
Il disparaît.
Ces Italiennes vous ont un galbe… Eh bien, voyons, Monthabor, veux-tu bien t’en aller !
Il sort par le fond à droite au moment où les invités entrent en valsant.Scène VIII
- Dansons
- Et valsons !
- Que la fête
- Soit complète,
- Dansons
- Et valsons !
- Mais je ne vois pas votre fille,
- Où donc est la belle Stella ?
- Stella dans sa chambre s’habille
- Et dans un instant sera là.
- Dansons
- Et valsons !
- Que la fête
- Soit complète,
- Dansons
- Et valsons !
- Nous loger ainsi !… moi, ça m’blesse ?
A un domestique qui est près de lui.
- Le patron ?… J’voudrais lui parler.
- Voici madame la duchesse. MONTHABOR.
- C’est bon… J’m’en vas l’interpeller.
- Voici madame la duchesse.
S’avançant vers la duchesse.
- Pardon, duchess’si j’vous attaque,
- Mais, mill’z’yeux ! on veut nous fourrer
- Dans une espèce de baraque
- Et j’viens…
La duchesse se retourne, il recule en poussant un cri !
- Ah !…
- Ah !…
- Nom d’un Cosaque !
- Margot !…
- Bernard !
Chancelant.
- Je puis à peine respirer !
Elle s’évanouit dans les bras de Bambini qui la dépose dans un fauteuil, le duc et tous les invités accourent.
- La duchesse se trouve mal !
- Au fond, ça nous est bien égal !
- Eh quoi !… ma femme évanouie !
- Un verre d’eau…
- De l’eau, malheur !
- Quelle amère plaisanterie !
Prenant sa gourde.
- Pour ça le rhum est bien meilleur…
- Buvez !
Il fait boire la duchesse à même sa gourde.
- MONTHABOR.
Ah ! pouah !… quelle infamie !
- Vous voyez, la v’là rétablie !
- C’est ce soldat qui vient d’oser
- D’un ton tout rempli de rudesse…
- Suffit !… Je m’en vas m’excuser…
- Deux mots à madam’la duchesse…
Il écarte du geste les invités et s’approche de la duchesse.
- Quoi ! te v’là donc, Margot !
- Par grâce, pas un mot !
- C’est bon, je ne f’rai pas d’esclandre
- Mais ici, où je vais t’attendre,
- Tu vas revenir, il le faut.
- Soit !… j’y serai !… mais pas un mot !
Haut en souriant.
- Je vous pardonne cette offense,
- N’en parlons plus… c’est oublié !…
L’orchestre du bal se fait entendre. — Aux invités très gaîment.
- Soyons, soyons tout à la danse
- Et reprenons notre gaîté !…
- Soyons, soyons tout à la danse
- Et reprenons notre gaîté !…
- Marquis, la valse nous appelle.
- Valsons, valsons, ma toute belle.
- Dansons
- Et valsons !
- Que la fête
- Soit complète,
- Dansons
- Et valsons !
Tout le monde s’éloigne par la gauche en valsant. — Monthabor reste seul.
Scène IX
En voilà une histoire !… ma femme grande dame !… duchesse !… Ah ! il va falloir qu’elle me dise ce qu’elle a fait de la petite… À cette idée-là le cœur me bat… (La duchesse rentre vivement par la gauche.) La voilà…
Fermez les portes… Bernard…
Oui !… (Après avoir fermé les portes.) Là… nous sommes bien seuls…
Parlez donc, maintenant… que me voulez-vous ?
Tu ne me tutoies plus… C’est bon, c’est bon… Je comprends, à cause de l’autre, du numéro 2… Alors, t’es devenue duchesse, rien que ça !… c’est un peu plus distingué que quand tu repassais des chemises…
Je vous en prie… plus bas…
Quant à mon successeur, là vrai, Margot, je ne peux pas t’en faire compliment… c’est une jolie cassure… (Regardant les meubles.) Et si tu as gagné du côté du pigeonnier… (Se rengorgeant.) tu as rudement perdu du côté du pigeon… mais enfin, n’importe… c’est ton affaire… Tu préfères les ducs aux teinturiers… Ça ne me regarde pas… aussi ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit… et si je t’ai fait venir, c’est pour te demander ce que tu as fait de notre fille.
Nous y voilà… (Haut) Notre fille… (A part.) Si je lui dis… il fera rompre le mariage, ce sera un scandale…
Eh bien !… voyons… j’attends…
C’est impossible… (Haut.) Je n’ose vraiment vous dire…
Tu n’oses pas… (Avec un cri.) Margot ! notre fille… elle vit… elle existe… n’est-ce pas ?…
Oui… oui…
Ah !… nom d’une pipe… tu m’avais fait une peur…
Oh ! non !… pas ce mensonge… ce serait affreux… gagnons seulement du temps…
Où est-elle ?… Dis… Oh !… attends donc… cette jeune fille, Stella… est-ce que par hasard ?…
Non ! non !… vous vous trompez…
Stella est la fille de mon mari… la fille du duc Della Volta…
Tant pis… J’avais cru… à cause de l’âge… et puis parce que… Je ne sais pas… la sympathie… Enfin !… la nôtre… la nôtre ?…
La nôtre… vous me pardonnerez… Bernard… je me suis séparée d’elle…
Bon !… Je comprends… Tu n’as pas osé avouer à ce vieux singe que tu avais un enfant…
Justement…
Et alors ?
Alors… (A part.) Que lui dire ?… (Haut.) Alors ! je l’a laissée en France… dans un grand pensionnat…
En France… L’adresse ?… Donne-moi l’adresse ?…
Je veux bien… mais à une condition, Bernard…
Voyons…
C’est que vous ne direz à personne que vous êtes mon premier mari…
C’est que vous agirez comme si nous ne nous étions jamais vus…
Accepté !…
Vous me le jurez ?
Parbleu !… pourvu que je revoie ma fille, voilà tout ce qu’il me faut… Cette adresse ?
Ah !… ma foi… au hasard… (Haut.) A Paris… chez les Bénédictines… rue de Sèvres…
À Paris… J’étais si près d’elle… et je ne me doutais pas… Ah ! nom d’une bombe !… j’ai hâte maintenant que la campagne soit finie pour retourner là-bas… pour courir rue de Sèvres… pour dire à ma fille : viens dans mes bras, ma chérie… Ah ! que c’est bête, satané chien ! que c’est bête !…
Ce pauvre Bernard !… (Hésitante.) Mais non… non… je ne peux pas faire autrement.
Scène X
Ah ! mon lieutenant… si vous saviez…
Quoi donc ?
Non… rien… Madame la duchesse, je vous présente M. Robert, mon lieutenant, un lapin qui n’a pas froid aux yeux…
Monsieur !
Madame !
Eh bien ! et moi ?… il ne me présente pas…
Ah ! duchesse, je vous cherche de tous les côtés… on s’étonne de votre absence… (Regardant les soldats.) Oh ! oh ! encore ces gens !
Evitons de nouvelles insolences et débarrassons le plancher…
Il va pour sortir.
Oui… et vivement…
Du tout… restez donc… (Regardant le duc.) Ah ! tu as été grossier avec nous, toi !… Je vas te repiger…
Tu entends… allons ! du leste !…
Il veut sortir.
Mais restez donc… et attendez un peu… vous allez voir… (Au duc.) Pardon, mon cher… pardon, mon très cher…
Hein ?
Je causais avec madame la duchesse…
Vous causiez…
Amicalement… C’est une très brave femme… Je lui disais qu’on nous avait colloqués dans les mansardes… et elle me répondait : C’est impossible, mon mari a manqué de tact… J’entends que vous soyez logés au premier étage, dans une des plus belles chambres de l’hôtel…
Qu’est-ce qu’il chante ?
Vous avez dit cela ?
Certainement… n’est-ce pas, madame ?… (Bas et vivement.) Pas vrai, Margot ?
Oui, oui… Nous devons recevoir de notre mieux, ces braves militaires…
Mais.
Je le veux, Ascanio !…
C’est différent… permettez-moi seulement de vous faire remarquer que… à cause de ce bal, de cette fête…
Une fête !… C’est moi qui aurais voulu voir ça…
Tu en as envie… attends… (Au duc.) Oui, la fête… Justement, mon très cher… nous en parlions… madame la duchesse disait : Quelques uniformes militaires feront très bien… et alors… elle nous a invités…
Invités !… Vous !…
Il va nous faire flanquer à la porte !
Il est fou…
N’est-ce pas, madame ?… (Bas.) Pas vrai, Margot ?…
Oui… oui… certainement…
Comment !… elle consent !
Mais, ma chère amie…
C’est différent… (A part.) Je n’y comprends plus rien… (A sa femme.) Expliquez-moi au moins…
Ménageons-les… On ne sait pas ce qui peut arriver…
C’est vrai… (A lui-même.) Quel diplomate !… elle est très forte !
Cette chambre sera la vôtre… Je vais donner des ordres… pour que rien ne vous manque. (saluant gracieusement.) Messieurs !
Médème !…
Les deux autres s’inclinent.
Suivez-moi, Ascanio…
Elle sort par la gauche.
Oui… ma chère amie… Etonnante !… Elle est étonnante !…
Il sort.
Scène XI
Mais, c’est de la féerie…
Ah çà ! Monthabor, vous êtes donc devenu sorcier ?
Vous savez, on a des petits talents de société… Mais, c’est pas tout ça… s’agit de nous astiquer pour le bal.
Oui, faut faire honneur au régiment… je vas aller emprunter les bottes du sergent.
Mais avant, mon fiston, emménageons dans notre nouvelle cage.
Elle est superbe, et dorée sur toutes les coutures.
Allons-y… c’est là dedans que je serai bien pour donner le coup de fion à l’uniforme de Claudine.
Venez-vous, mon lieutenant ?
Oui, oui… je vous suis.
Et ensuite, Griolet, on se dérouillera les jambes.
Ils sortent en valsant, et en faisant des grâces.
Scène XII
C’est elle !… c’est bien elle que j’aperçois là-bas… plus jolie encore mille fois que sous ses vêtements de pensionnaire… Ah ! pourquoi ne suis-je qu’un simple lieutenant, sans sou ni maille… Tandis qu’elle !… (S’interrompant.) Allons, je crois que Monthabor a raison et que décidément je deviens un peu fou…
Il remonte vivement en voyant entrer Stella.
J’ai pu m’échapper un instant… J’étouffe au milieu de ce bal.
Elle s’essuie les yeux avec son mouchoir.
Qu’a-t-elle donc ?
Quelqu’un !… (Très surprise.) Monsieur Robert ! ici !
Vous vous rappelez mon nom ?…
Oh ! oui !… (S’arrêtant un peu confuse de ce qu’elle vient de dire.) et ceux de vos camarades aussi… Pendant ces quelques heures que j’ai passées au milieu de vous, vous avez tous été si bons pour moi… (Avec un soupir.) Ah !… ce jour-là, j’étais heureuse, tandis qu’aujourd’hui…
Aujourd’hui, en effet, il me semble apercevoir sui votre visage…
Je viens de pleurer…
Vous avez pleuré ?
Et quel est le motif de votre chagrin ?… (Se reprenant.) Oh ! pardon… je vous interroge…
Oh ! ce n’est pas un secret… je vais me marier…
Vous marier !…
À un homme que je déteste… Ah ! j’ai bien lutté, allez !… je me suis mise en colère… j’ai frappé du pied… mais ma mère a été inflexible… Ah ! monsieur Robert, que dois-je faire ?
Obéir !
Vous me dites cela d’un ton…
- Tenez, j’aurai de la franchise,
- Demain je pars… il faut, Stella,
- Il faut qu’aujourd’hui je vous dise
- Ce que je ressens là.
- J’ose vous le dire,
- Ange radieux,
- Ah ! je ne respire
- Que pour vos doux yeux
- Oui, je vous ai vue,
- Et depuis ce jour,
- Mon âme vaincue
- S’ouvrit à l’amour.
- J’ose vous le dire,
- Ange radieux,
- Ah ! je ne respire
- Que pour vos doux yeux.
- Un tel aveu…
- Pardon !… de cet amour funeste
- Je saurai me guérir… bientôt je resterai
- Couché sur quelque champ de bataille — et du reste
- Je ferai pour cela, tout ce que je pourrai…
- Ah ! je vous le défends !
- Stella ! chère Stella !
- Ai-je bien entendu ce que vous dites là ?
- A cet aveu tendre,
- Je le dis bien bas,
- Vous devez comprendre
- Tout mon embarras.
- Mes lèvres sont closes,
- Je crains de parler,
- Car il est des choses
- Qu’on doit deviner.
Mais non ! c’est un rêve que nous faisons là !… non, non, c’est impossible !… Adieu, Stella ! nous ne devons plus nous revoir.
Il sort par le fond dans le plus grand désordre.
Scène XIII
Ah ! monsieur Monthabor, il a un brave et noble cœur, le lieutenant Robert !
C’est une crème… une vraie crème… On l’aime tout de suite, n’est-ce pas ? Faites excuse… je dis ça… c’est pas pour vous… c’est pour moi… parce que vous, une demoiselle de haute naissance… la fille d’un duc… (A part.) C’est drôle… il y a quelque chose qui me tarabuste la cervelle… quand je regarde cette jeune fille, il me semble que… Est-ce que par hasard Margot m’aurait trompé ?…
Allons, il faut retourner dans ce bal !…
Oh ! il n’y a pas… il n’y a pas.. j’en aurai le cœur net… (Haut.) Pardon, mademoiselle… un mot…
Parlez !…
Pourquoi me demandez-vous cela ?
Une idée, que je vous dis… une curiosité… histoire de m’instruire en voyageant… et si vous vouliez bien…
Mon Dieu ! j’ai un souvenir bien vague de mon enfance… mais il me semble, au contraire, qu’à cette époque-là, mes parent ne devaient pas être très heureux…
Ah !… alors, il n’y avait pas de lambris dorés ?
Il s’en faut… une petite chambre… autant que je me rappelle… avec des gravures sur les murs…
Le Juif Errant ?
Peut-être bien…
Et… et votre papa ?… À cette époque… est-ce qui avait des habits brodés ?…
Oh ! non… c’est même bien bizarre… Dans ces souvenirs lointains, je le vois très différent de ce qu’il est maintenant… il avait une tout autre figure.
Il a eu bien tort d’en changer… et quand vous étiez toute petite, toute petite… est-ce que vous ne vous souvenez pas d’un grand danger que vous avez couru… d’un accident ?…
Ah !
Une voiture lancée à fond de train…
Un cheval emporté, qui vous a renversée… foulée aux pieds.
Oui… mais comment savez-vous cela ?
Ne faites pas attention… dites… parlez !…
Je les vois encore, arrivant sur moi… je voulus fuir, mais je n’eus pas le temps… À ce moment un cri répondit aux miens… un homme m’enleva dans ses bras… pleurant… me couvrant de baisers…
C’est ça !… c’est ça !
Il me transporta dans notre chambre… me coucha dans mon petit lit… puis pendant ma maladie qui fut longue… il m’apportait tous les soirs des gâteaux, des joujoux…
Un Polichinelle ?…
Oui… un grand Polichinelle… mais ce qu’il y avait de plus singulier, ce que je me rappelle très bien, c’est que lorsqu’il me présentait ces gâteaux et ces joujoux, il n’avait jamais les mains de la même couleur…
Tantôt jaunes… tantôt bleues…
Tantôt vertes… un teinturier !… (Avec force.) Ah ! j’en étais bien sûr !
Qu’avez-vous ?
Ce que j’ai… Oh ! je ne suis pas fou… Écoute… ta mère a divorcé… j’étais le numéro un… l’autre, le vieux singe d’ici, c’est du faux… le vrai, le v’là !
Que voulez-vous dire ?
Ce que je veux dire… (Lui prenant les mains.) Regarde-moi… regarde-moi bien dans le blanc des jeux.
Oui !…
Le teinturier, le Polichinelle, le tambour-major, tout ça ne fait qu’un… et cet un-là, c’est moi…
Vous… mon Dieu !… mon Dieu !
Elle chancelle et tombe évanouie dans les bras de Monthabor.
Eh bien !… qu’est-ce que j’ai fait là… j’ai bien travaillé… Mon enfant, mon enfant… voyons… reviens à toi.
Ah ! tonnerre !… y a-t-il longtemps que j’attends ce mot-là… Ah ! tiens, je t’aimais déjà avant de savoir… mais maintenant c’est bien autre chose. Une belle fille comme ça… à moi… Nom d’une pyramide !… j’en suis comme une bête !… (S’essuyant les yeux.) Quand on n’a pas l’habitude.
Vous la prendrez, mon père, car maintenant nous ne nous séparerons plus.
Aïe !… V’là une phrase qui me tombe comme une cheminée sur l’occiput.
Comment !… vous voudriez me quitter ?
Dame !… je ne peux pas rester ici… il n’y a pas de place pour deux pères… D’ailleurs, je suis soldat et il faut que je marche en avant.
Oui… mais moi, je peux vous suivre.
Bien, mon enfant… merci !… mais je n’accepte pas ça.
Pourquoi ?
Parce que t’as été élevée comme une princesse… et que moi, je ne pourrais t’offrir que ma paie… dix sous par jour…
Il te faudrait endosser l’habit de cantinière.
Eh bien !… est-ce qu’il m’ira plus mal qu’à une autre ?
Non… mais tu serais obligée de te contenter de l’ordinaire du troupier.
Le pain de munition… je l’adore !
Tu n’es pas difficile… mais je ne veux pas que tu sois malheureuse. Tu resteras avec ta mère… je viendrai t’embrasser de temps en temps… et je m’en retournerai content.
Monthabor ! Monthabor !
Quelqu’un !… Je ne te connais plus… éloigne-toi…
Il remonte avec sa fille.
Scène XIV
Monthabor !…
Quoi ?… qu’est-ce qu’il y a ?
C’est bon… on y va… (Bas, à Stella en lui montrant Claudine.) Regarde, voilà comme tu serais.
Il sort par le fond.
Ah ! Claudine… (Poussant un cri.) Oye !… J’ai eu tort de mettre les bottes du sergent… (A Claudine) Il est fini, complètement fini, votre uniforme.
Un uniforme…
Et fignolé !… je ne vous dis que ça. (Montrant la droite.) Je l’ai étalé là, sur deux chaises, il fait un effet…
Pendant la ritournelle du couplet, Stella entre vivement dans la chambre de droite.
- Il est là ce bel uniforme
- Tout pimpant, tout luisant, tout frais,
- En lui donnant un’joli’forme
- C’est aux vôtres que je pensais !
- Oui, cher’Claudine, avec ivresse
- En le confectionnant pour vous,
- Je ne voyais, je le confesse,
- Que ce qu’il y aurait dessous !
- Le corsage c’est ça qui m’occupe,
- Sur votre bust’va se mouler ;
- Les plis de cette heureuse jupe
- Sur vos hanches vont s’étaler.
- En songeant que bientôt peut-être
- Il emboîterait vos appas,
- Je m’disais que j’voudrais bien être
- Cet uniform’que je n’suis pas. (Parlé.) Eh bien ! voyons Claudine, êtes-vous satisfaite ? (Poussant un cri.) Oye !
Griolet, je suis contente de vous.
Enfin !… v’là donc une bonne parole
Oui, avec ce bel uniforme, je finirai peut-être par plaire à Robert.
Encore !… Et c’est pour ça que je l’aurais cousu amoureusement… (Poussant un cri.) Oye ! que je suis donc fâché d’avoir emprunté les bottes du sergent !…
Scène XV
Griolet !… Claudine !… Ah ! vous voilà !
Eh bien ? qu’est-ce qu’il y a donc, mon lieutenant ?
Il y a que Monthabor revient du quartier, et qu’il faut vous tenir prêts, mes enfants, parce que d’un moment à l’autre nous pouvons recevoir l’ordre de partir d’ici.
Comment partir ?
Oui… l’état-major est réuni… je ne sais pas ce qui se passe, mais paraîtrait qu’il y a de mauvaises nouvelles dans l’air.
Ah bah ! ça se dissipera… En attendant, nous sommes invités au bal, et moi j’éprouve le besoin de gigotter un brin.
Venez, venez, monsieur le notaire, c’est ici que l’on va signer le contrat.
Le contrat !… de qui donc ?
De mademoiselle Stella !
De mad… (se reprenant vivement.) de la petite bourgeoise ?…
Oui… (Avec effort.) Partons…
Un instant… faut que je voie ça…
Je suis d’une inquiétude… je ne sais pas ce qu’est devenue Stella… Bambini et le duc la cherchent partout… et ils ne reviennent pas… Voici mes invités, ne laissons rien paraître…
Elle remonte d’un air riant et va recevoir les invités.Scène XVI
- Par devant monsieur le notaire,
- Nous allons signer au contrat
- De la belle et riche héritière
- Des nobles ducs Della Volta !
- Asseyez-vous… ma fille va paraître…
- Voici le duc qui nous l’amène…
Au duc qui entre.
- Eh bien ?
- Je ne l’ai pas trouvée !…
- Où peut-elle être ?
A Bambini qui entre.
- Eh bien ?
- Eh bien ?
- Rien… absolument rien !
- Quoi ! la future n’est pas là !
- Appelons-la…
- Stella !… Stella !
- Quoi ! la future n’est pas là !
Scène XVII
- On m’appelle…
- Qu’ai-je vu là !
- C’est mon costume…
- Eh quoi ! ma fille…
- Non ! je ne suis pas votre fille…
- Grand Dieu ! que veut dire cela ?…
- Mill’z’yeux ! j’sens mon cœur qui gambille !
- Mon père… le voilà !…
- Ah !…
- Oui, c’est mon père !
- Plus de mystère !
- Tout haut je viens le déclarer !
- Et je l’espère,
- Rien sur la terre,
- Rien ne pourra nous séparer. LE DUC.
- Quoi ! c’est son père !
- Triste mystère,
- Qui tout à coup vient m’atterrer !
- À ma colère,
- Rien sur la terre,
- Non, rien ne peut se comparer !
- C’est moi son père !
- Plus de mystère !
- Tout haut je viens le déclarer,
- Et je l’espère
- Rien sur la terre,
- Ne pourra plus nous séparer !
- Quoi ! c’est son père !
- Plus de mystère !
- Stella vient de le déclarer.
- Ah ! je l’espère,
- Rien sur la terre,
- Ne pourra plus nous séparer !
- De ce mystère,
- Voile éphémère,
- Quand tu viens de te déchirer.
- Je désespère
- Et vois sur terre
- Contre moi tout se conjurer !
- Quoi ! c’est son père !
- Drôle d’affaire !
- Pouvait-on se le figurer !
- Rien, je l’espère,
- Sur cette terre
- Ne pourra plus les séparer !
- Quoi ! c’est son père !
- Mauvaise affaire !
- Car ils vont pouvoir s’adorer !
- Je désespère
- Et vois sur terre
- Contre moi tout se conjurer !
- Quoi ! c’est son père !
- Triste mystère !
- Qui tout à coup vient m’atterrer !
- Je désespère
- Et vois sur terre
- Contre moi tout se conjurer !
- Quoi ! c’est son père !
- Triste mystère !
- Pouvait-on se le figurer !
- Mauvaise affaire,
- Et que va faire
- Notre cher duc pour s’en tirer !
- Stella, que prétendez-vous faire ?
- Vous quitter… et suivre mon père !…
- Que m’importe un titre éclatant,
- Le luxe dont on m’environne,
- Pour un destin bien moins brillant !
- Sans regrets je les abandonne !
- Non, désormais, je ne suis plus
- Une noble et riche héritière,
- J’ai troqué ces dons superflus
- Pour l’humble habit de cantinière !
- Ah !
- Je suis mamzelle Monthabor,
- La fille du tambour-major !
- Je vous le dis bien franchement,
- Parmi vous j’étais mal à l’aise,
- Car je sens sous ce vêtement
- Battre le cœur d’une Française !
- Voici mes vrais, mes seuls amis,
- Je m’enrôle sous leur bannière,
- C’est le drapeau de mon pays
- Et nom d’un’pipe, j’en suis fière !
- Ah !
- Je suis mam’zelle Monthabor,
- La fille du tambour-major !
- Bravo ! bravo ! ma fille,
- Je reconnais mon sang !
- Laiss’ta noble famille
- Et partons sur-le-champ !
Lieutenant… lieutenant ! je viens vous prévenir que nous sommes cernés.
Cernés !
Le colonel Badanowitz a été prévenu, et comme nous ne sommes ici qu’une poignée d’hommes, on bat en retraite.
Alors, en route !
Ils remontent tous les cinq.
- Non ! non !… vous ne sortirez pas !…
- Et pourquoi ?
- Les Français de Novare à cette heure
- Sont partis… ROBERT, MONTHABOR, GRIOLET, etc.
- Que dit-il ?
- Vous êtes seuls dans ma demeure
- Et je vous fais mes prisonniers.
Partis jusqu’aux derniers !
Il tire du fourreau son épée qui est enveloppée de papier de soie.
- Prisonniers !…
- Tu plaisantes, mon bon…
- Faites-nous place…
- Non ! non ! non !…
- Alors, sabre en main !…
- Qui commence ?
C’est la danse
Le duc retire le papier de soie qui entoure son épée.
- Formons le bataillon carré !…
Ils forment le bataillon carré, Stella et Claudine au milieu, Robert, Monthabor, Griolet et le sergent Morin autour d’elles, en carré, faisant face aux seigneurs le sabre à la main.
- Nous sortirons bon gré, mal gré !
- A tous nous vous faisons la nique ! MONTHABOR, envoyant des coups de pointe.
- Gar’là-dessous, mes amours, ça pique !
Ils remontent, toujours en bataillon carré, au milieu des seigneurs qui cherchent à les attaquer et auxquels ils présentent de tous côtés la pointe de leurs sabres.
- Venez-y, — venez-y donc !
- De vous, nous aurons raison,
- Celui qui s’y frott’s’y pique !
- Messeigneurs, bon gré mal gré,
- Notre bataillon carré
- Sort en vous faisant la nique !
- Pas de trêve, de pardon,
- Et d’eux pour avoir raison
- Montrons une âme héroïque !
- Empêchons, bon gré mal gré,
- Que ce bataillon carré
- Sorte en nous faisant la nique !
Les Français battent en retraite en tenant leurs adversaires en respect et la toile tombe au moment où ils atteignent le fond du théâtre, poursuivis par la foule furieuse des seigneurs.
Tableau.
ACTE TROISIEME
Le théâtre représente une salle d’auberge. — Au fond, une large porte et de grandes fenêtres garnies de plantes grimpantes et donnant sur la rue. — Portes latérales. — Un petit bahut au fond. — Au milieu du théâtre, une caisse.
Scène PREMIÈRE
Au lever du rideau, Clampas est au milieu du théâtre, les Italiens et les Italiennes l’entourent.
- Chut ! chut ! il faut de la prudence,
- Cachons jusqu’au bruit de nos pas,
A Clampas.
- Nous vous écoutons en silence,
- Parlez, Clampas… parlez bien bas !
- Personne ne peut nous entendre ?
- Personne ne peut nous surprendre ? LES CHŒURS.
- Non, personne… pas de danger !
- Vous êtes de bons patriotes ?
- Des ennemis de nos despotes ?
- Oui… nous détestons l’étranger !
Eh bien alors, écoutez-moi bien… Vous voyez cette caisse, adressée à M. Palamos, rue Bonifacio, 27… un des nôtres… un chaud… Que croyez-vous qu’elle contienne ?
C’est écrit dessus… (Lisant.) « Pâtes alimentaires. »
Oui… c’est écrit dessus… mais dedans il y a… (Baissant la voix) il y a des drapeaux français.
Des drapeaux !
Que Palamos m’envoie… en fraude… et que je vous distribuerai le jour où nos libérateurs entreront dans Milan.
On porte la caisse au fond.
Hélas ! ils sont encore loin d’ici…
Peut-être pas si loin que vous croyez…
Je puis me fier à vous, n’est-ce pas ?
Oui… oui…
Si je vous disais que je cache ici… dans mon auberge… deux Français…
Deux Français !…
Un soldat… et une vivandière…
Nous voulons les voir…
C’est bien dangereux… il y a des patrouilles qui passent à chaque instant… Enfin, soit !… Mais au moindre danger…
Oui… oui…
Clampas va avec précaution ouvrir la porte de droite, premier plan.
- D’abord ma nièce que voilà,
- Française et de plus cantinière.
- Est-il vrai ?
- Si ça peut vous plaire !
- De plus, un brave lieutenant,
- Officier du mêm’régiment :
- Monsieur Robert !… A Robert.
- Soyez sans crainte,
- Vous pouvez répondre à l’étreinte.
Robert serre les mains que l’on tend vers lui.
- Mais comment êtes-vous ici ?
- L’histoire est simple.
- Et la voici…
- Attendez !… l’idée est nouvelle.
- Par prudence faisons semblant
- De danser une tarentelle
- En l’écoutant !
On prend des tambours de basque et on fait semblant de danser pendant que Robert raconte.
- Nous étions à Novare
- Logés dans un château,
- Voilà qu’sans crier gare,
- Subito,
- Jugez de l’équipée,
- Un tas d’seigneurs soudain
- Contre nous met l’épée
- A la main !
- Lors nous nous défendons
- Contre ces escogriffes
- Et nous nous escrimons
- Pour sortir de leurs griffes !
- Ils croyaient à leur gré
- Nous t’nir… je t’en souhaite !
- En bataillon carré
- Nous faisons notr’retraite !
- Mais pendant que dans l’ombre
- Nous décampions viv’ment,
- Dans un bois la nuit sombre
- Nous surprend !
- Fuyant ces bons apôtres,
Montrant Claudine.
- Tous deux nous nous trouvons
- Séparés d’nos trois autres
- Compagnons !
- En vain je crie… en vain j’appelle,
- Rien ne répond à notre voix !
- Claudine et moi, chance cruelle,
- Nous étions seuls dans ce grand bois !
- Mais le matin…
Un sbire ouvre la porte du fond, jette un regard dans la salle puis tourne le dos ; un moment de silence. — Robert reprend.
- Voilà qu’un’voiture
Voyez l’aventure,
- Vient à passer…
Même jeu. — Un moment de silence.
- Claudin’lèv’la tête…
D’vant nous ell’s’arrête,
- Deux cris s’échapp’nt…
Même jeu.
- Deux cris d’allégresse !
- C’était Clampas !…
- Deux cris d’allégresse !
Mon oncle !… ma nièce !…
À ce moment un des Italiens en sentinelle s’écrie : Une patrouille !… Aussitôt on forme deux groupes adroite et à gauche et les Italiennes cachent Robert et Claudine derrière leurs jupes qu’elles étalent ; entrée de la patrouille de soldats autrichiens conduite par un sergent. — On fait semblant de danser la tarentelle. Le sergent, qui s’est avancé, regarde un moment ce tableau, puis il fait un signe de tête qui veut dire : Tout va bien ! — Il rejoint ses hommes au fond et sort avec eux. — La patrouille s’éloigne. — Robert et Claudine reprennent leurs places.
- Enfin, enfin il nous emmène,
- Et bien cachés à tous les yeux,
- Sans craint’qu’ici l’on nous surprenne,
- Dans Milan nous voilà tous deux ! LES CHŒURS.
- Ah ! quel bonheur !… il les emmène
- Et bien cachés à tous les yeux,
- Oui, sans crainte qu’on les surprenne,
- Dans Milan les voilà tous deux !
- Et maintenant éloignez-vous…
- Eloignons-nous !
En s’en allant.
- Eloignons-nous… de la prudence…
- Soyons discrets… parlons bien bas,
- Le moment de la délivrance
- Peut-être ne tardera pas !
Les chœurs sortent par le fond.
Scène II
Vous le voyez, mes amis… mon auberge est le rendez-vous des bons patriotes et vous êtes en sûreté chez moi.
Merci, monsieur Clampas…
Mon brave oncle !…
Vous nous avez sauvés… mais nos pauvres camarades, que sont-ils devenus ?… Où est Monthabor ?… Où est Stella ?…
Et Griolet, où est-il ?… Depuis que je ne l’ai plus là sous la main pour le tarabuster, il me semble qu’il me manque quelque chose…
Vous verrez que vous finirez par l’adorer.
C’est bien possible… lui, au moins, il fait tout ce qu’il peut pour qu’on l’aime…
Allons, allons, mes enfants… est-ce que vous allez encore vous disputer ?…
Non… nous avons à songer à des choses plus sérieuses… car nous ne pouvons pas rester ici… Dès ce soir il faut que Claudine et moi nous ayons rejoint notre régiment…
Quitter Milan… mais c’est impossible…
Pourquoi ?
Parce qu’on vient d’afficher sur tous les murs une nouvelle ordonnance… À partir d’aujourd’hui, on ne peut plus sortir de la ville sans un sauf-conduit du gouverneur.
Aïe !
Qu’importe !… Nous forcerons la consigne… il en arrivera ce qui pourra…
Attendez donc !…
Quoi ?
Il me pousse une idée… (Montrant la caisse qui est déposée au fond.) Palamos… un de mes amis… habite une petite maison…
« Rue Bonifacio, 27… »
En haut du faubourg… tout près des portes de la ville… S’il consentait à vous recevoir chez lui, de là il vous serait facile de saisir une occasion et de vous glisser dehors.
Oui…
Bravo !… excellente idée… et je vais aller moi-même lui demander s’il consent à nous donner asile…
Vous, Claudine… sous ce costume…
Soyez donc paisible… On n’est pas née d’hier… Vous allez voir… (Elle va à un bahut et en tire une cornette et un manteau de paysanne.) Voilà l’affaire. Voyons, mille canons, aidez-moi donc !
Tout de suite…
Un panier maintenant…
Robert lui donne un grand panier.
Et le parapluie de ma défunte…
Il lui donne un gros parapluie rouge.
Là… m’y v’là… ni vu ni connu…
N’importe… soyez prudente…
À pas peur, mon lieutenant, on a le fil…
Oui, madame… je suis le maître, entendez-vous !
Cette voix… il me semble…
C’est un vieux monsieur qui est venu hier soir loger ici avec sa femme… Ils se disputent tout le temps… mauvaises figures… (A Robert.) Rentrez vite dans votre chambre…
Oui…
Et toi… File au galop…
Claudine sort.Scène III
Oui, madame, je suis le maître !… (Descendant très en colère.) A-t-on jamais vu pareille chose !… Oser élever la voix après m’avoir ridiculisé… c’est trop fort !… Quelle honte !… moi, un noble duc, avoir épousé une ex-blanchisseuse !… la femme d’un teinturier !… et elle a l’audace de me dire qu’elle a perdu au change !… (Retournant à gauche.) C’est indécent, madame !… (Redescendant.) Oh !… je suis crispé !… et ce Bambini qui ne vient pas… (Apercevant Clampas.) Ah ! Si, le voilà… (Allant à Clampas.) Enfin, Bambini…
Pardon, signor, vous vous trompez…
Pas possible !… (Mettant son lorgnon.) Tiens, c’est l’aubergiste…
Mais je crois que voilà la personne que vous demandez…
Il remonte et sort.
Ah !… cher duc…
Arrivez donc… je commençais à craindre que vous n’eussiez renoncé à vos projets de mariage.
Vous l’aurez… je ne me suis installé ici que pour mieux continuer mes recherches…
Auriez-vous quelque indice ?
Oui… je suis convaincu que celui qui nous l’a enlevée, ce Robert, s’est réfugié dans Milan…
Le drôle !… Si nous le pinçons son affaire est claire…
Fusillé… mais il s’agit de le pincer… Une fois que nous le tiendrons, nous tiendrons Stella…
C’est évident…
Ah çà, et vous ?… vous venez de chez le gouverneur de Milan… vous a-t-il donné ce sauf-conduit dont on a besoin maintenant pour circuler sans être inquiété ?
Il vous l’enverra tout à l’heure.
Bon…
De plus il met une escouade de sbires à votre disposition…
Très bien…
Bah ! et pourquoi ?
À cause de son neveu… vous savez… le jeune monsignor…
Oui… oui… le mauvais sujet ?
Précisément… il devait arriver ce matin à Milan… et pas de nouvelles !… on craint qu’il n’ait été attaqué en route…
Ce serait fâcheux… (Grand bruit au dehors, roulement d’une voiture. — Acclamations.) Hein ? qu’est-ce que c’est que ça ?
Un carrosse qui s’arrête à la porte.
Un carrosse…
Oui… et dans ce carrosse le neveu du gouverneur !…
Ah bah !
Il descend chez moi… quel honneur !… (Criant.) Beppo !… Josepha !… Catarina !… vite, vite !…
Plusieurs domestiques accourent.
Alors le voilà retrouvé…
C’est cela… allez, allez… Moi je cours passer un habit et recevoir ce jeune homme… il pourra nous servir.
Parfait… à tout à l’heure.
Il sort vivement par la gauche, deuxième plan. — Le duc sort par la gauche premier plan. — Cris au dehors, acclamations :
Vive monseigneur !…
Scène IV
C’est bien, mes amis, c’est bien !
Allez, mes frères, et que la paix du Seigneur soit avec vous… Dominus Domino…
Monsignor… quel honneur pour ma maison !…
Il suffit, aubergiste… dites à mon cocher de venir prendre mes ordres…
Oui, monsignor…
Il sort avec les domestiques.
Nous y voilà !
Ils se mettent en face l’un de l’autre, se regardent et se mettent à rire.
Satané major !… Savez-vous que vous avez eu là une crâne idée ?
Je le crois, mon fiston… mais quoi ! nous avions appris que Robert était dans Milan, fallait bien venir le rejoindre.
Sans doute… mais comment ?… c’était là le hic !
Oui… nous nous creusions la boussole, lorsque tout à coup passe sur la route un carrosse conduit par un petit cocher anglais… Dans le carrosse se trouvait le neveu du gouverneur flanqué d’un gros capucin.
Nous les faisons descendre tous les trois.
Avec une exquise politesse… et nous leurs empruntons leurs habits…
Avec une exquise politesse…
Nous les endossons… et… fouette, cocher !…
Nous filons au galop… pendant que nos trois infortunés voyageurs…
Dans un costume… d’un léger, d’un léger…
Bah ! il fait si chaud !
Ils se regardent et pouffent de rire.
Ah ! ah ! ah ! satané Monthabor !
Ah ! ah ! ah ! farceur de Griolet !… (Voyant s’ouvrir la porte de gauche.) Oh ! quelqu’un !… silence dans les rangs !
Scène V
Où est-il ?… (Lorgnant.) Ah ! le voilà !… Quel air noble. (Saluant.) Monsignor !
Le vieux de là-bas !
Nom d’un pépin !… (A Griolet.) Tiens-toi bien…
N’aye pas peur… (Au duc) A qui ai-je l’honneur ?…
Le duc Della Volta pour vous servir.
Comment donc, cher duc, enchanté, nom d’une bouffarde ! (Monthabor lui flanque un grand coup de coude.) Oh !… (Au duc étonné.) Pardon, une crampe d’estomac, (Bas à Monthabor.) Eh vite ! il faut prévenir Stella…
J’y cours…
Monsignor il désirait parler à moi…
Trop tard à la soupe !… (Bas et vivement à Stella lui montrant Della Volta.) Le duc…
Oh !… (Haut à Griolet.) What are the orders of monsignor ?
Ya… (A part.) Qu’est-ce qu’elle veut dire ?
Vous avez vos ciseaux ?…
Comme tailleur… toujours !
Débarrassez-le de son lorgnon, je réponds du reste.
Bon…
Il remonte un peu.
Ah !… c’est le cocher ?
Ça y est… (Ramassant le lorgnon.) Je le tiens !
Il doit avoir une figure espiègle… (Se tâtant.) Où diable ai-je fourré mon lorgnon ?
Cherche !
Je le tenais à l’instant… (A Griolet.) Il y a longtemps, monsignor, que ce garçon est à votre service ?…
Cinquante-trois ans.
Comment ?
Animal !
Cinquante-trois ans de père en fils… nous étions tous cochers dans la famille de môa.
- Je suis l’petit cocher,
- A very nice cocher,
- Je cours
- Toujours, toujours,
- Je cours
- Sans accrocher !
- Yes, c’est moi,
- Je croi,
- Le roi
- A very nice cocher,
- Des beautiful cochers !
- Aoh ! yes le gentil
- Pretty
- Little cocher !
- If you please je suis sans rival,
- Je conduis avec grâce et force
- Un horse,
- Un cheval,
- Deux horses, trois horses
- All right, cinq, six, ça m’est égal !
- Je n’ai jamais fait une seule chute,
- Je suis adroit ;
- Yes, avec moi
- Pas de culbute !
- Je conduis break, dog-cart, mail-coach,
- Brougham, laudau, bus, stage coach,
- Buggy, berlin, cab, hackney-coach
- Je suis l’petit cocher,
- Je suis l’petit cocher,
- Etc.
- Je suis l’petit cocher,
- Monsignor aim’les joli’s miss,
- Mais il avait l’humeur changeante,
- J’en avais conduit plus de dix
- Et tout’s de couleur différente,
- Des black,
- Des fair,
- Des brown,
- Des white,
- Des green,
- Des blue,
- Les red carrott !
- All right ! all right !
- Hip ! bip ! hip !
- Je suis le petit cocher,
- Etc.
- Je suis le petit cocher,
Il est très drôle… très drôle… (Se tâtant et cherchant toujours son lorgnon.) Il sera tombé dans mes bottes… (A Griolet.) Ce petit gaillard-là a dû vous conduire à plus d’un rendez-vous galant… hein ? chez les Angéla… les Julietta ?
Idiot !… (Haut.) Claudina… c’est une Vésuvienne… (A part.) Détournons la conversation… (Haut.) Mais vous, monsieur le duc, dans quel but, tirez-vous vos guêtres par ici ?
Mes guêtres ?…
Griolet donne un coup de poing à Monthabor.
Je veux dire vos sandales.
Moi, je suis à la poursuite d’une jeune personne…
C’est toi qu’il cherche… il faut l’éloigner à tout prix…
Laisse-moi faire… (Haut au duc, reprenant l’accent anglais.) Oh ? ce était très drôle… Monsignor il avait rencontré gioustement ce matin une petite miss…
Vraiment… racontez-moi donc ça…
Moi ?… (A part.) C’est que je ne sais pas du tout… (Haut.) Non… voyez-vous… ça me gênerait… J’aime mieux que ce soit mon cocher…
Il raconte très bien… Allez-y, John…
on ! yes… Cette matin je condouisais monsignor à Milan… lorsque au moment d’entrer dans cette ville, mon maître il aperçoit par le portière oune petite demoiselle qui était assise dessus la route et qui pleurait… beaucoup fort… comme une biche… Aôh ! elle était bien jolie, bien jolie cette petite miss sous son costume de vivandière…
Vivandière… elle était en vivandière ?
Où veut-elle en venir ?
Sais pas…
Oh yes… vivandière français… dix-sept à dix-huit ans… des cheveux blonds et des yeux noirs…
Le signalement de Stella… (Vivement.) Continuez…
Alors monsignor il descend de son carrosse pour consoler la petite… et elle lui avouyait qu’elle avait enfui elle de chez ses parents… qu’elle avait perdu ses compagnons de route et enfin qu’elle ne savait plus du tout ce qu’elle allait devenir.
Continuez… continuez… et alors ?
Oh ! alors, monsignor il a fait monter la jolie miss dans son carrosse et il a ordonné à môa tout bas de la conduire dans son petit maison du faubourg.
O tempora ! ô mores !
Voilà l’histoire… (Riant.) Oh ! oh ! oh ! elle était bien drôle, n’est-ce pas ?
Mes projets ? (Poussant le coude au duc.) Voyons… est-ce que ça se demande ?
Il faudrait être bête comme un chou pour ne pas comprendre.
Le révérend père a raison… et je comprends parfaitement… mais, monsignor, halte-là, vous n’irez pas plus loin !…
Bah ! et pourquoi ?
Parce que cette femme, c’est ma fille !
Votre fille !
Et, je vous supplie de me la rendre… il y va de ma fortune…
Il suffit… on est troubadour ou on ne l’est pas… (Au duc.) Je vous la rends…
Ah ! monsignor…
Mais je la regrette… elle m’allait comme un gant… (Voyant Stella qui lui apporte une plume et du papier.) Je vais écrire un mot.
Il écrit.
Très bien, mon fils… (Au duc.) Vous n’aurez qu’à remettre ce billet à dame Léonora, — c’est la duègne, — et elle transvasera la tendre brebis entre vos mains… vostribus manibus…
Voici la lettre…
Merci. (La regardant.) Pardon… vous avez oublié l’adresse…
Il la lui rend.
Ah ! oui… oui… l’adresse…
Saperlotte, nous ne connaissons pas la ville… quelle adresse lui donner ?
Je ne sais… (Apercevant la caisse.) Ah ! en voilà une sur cette caisse… (Lisant et soufflant à Monthabor.) « Rue Bonifacio, 27. »
Rue Bonifacio, 27…
Rue Bonifacio, 27.
Il rend la lettre au duc.
Tout en haut du faubourg… Je vais lancer mes sbires… ils iront plus vite que moi… Ah ! monsignor, mille remercîments, je vous devrai plus que la vie, je vous devrai ma fortune… (En sortant.) Victoire ! je la tiens donc !
Il sort vivement par le fondScène VI
Enfin, le voilà parti !
Bon débarras !
Ouf !… (Rejetant son capuchon en arrière et ouvrant sa robe.) J’étouffe là-dessous…
Maintenant, agissons vite…
Il s’agit de savoir si c’est bien ici que notre lieutenant est caché.
Scène VII
Je n’entends plus rien…
C’est lui !…
ROBERT.
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LES TROIS AUTRES.
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- Non plus de chagrins, plus de peine,
- Je vous revois, chère Stella !
- Allons ! entre vous pas de gêne
- Et sur votre cœur pressez-la !…
- Quoi ! vous permettriez cela ?
- Ce devrait être fait déjà…
- Il faut obéir à papa !…
Robert prend Stella dans ses bras.
- Ça s’est battu dans vingt batailles
- Et c’est timid’, comprend-on ça !
- Maintenant l’baiser des fiançailles,
- Allons, mill’bomb’s, embrassez-la !
- Quoi ! vous permettriez cela ?
- Ce devrait être fait déjà…
- Il faut obéir à papa !…
ROBERT.
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LES TROIS AUTRES.
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Mais comment se fait-il ?… ces costumes ?
Nous vous expliquerons cela plus tard…
Et Claudine… Claudine… où est-elle donc ?
Elle va rentrer dans un instant…
Clampas entre.
Hum !… hum !… quelqu’un !
Oh ! ne craignez rien… (A Clampas.) Clampas, ce sont mes amis…
Ah bah !…
Oui, mais, assez d’attendrissement comme ça… mes enfants, ça brûle… le temps presse.
Notre carrosse est là… vous allez partir avec nous…
Faut attendre Claudine…
Ah diavolo !… nous n’en avons pas…
Ah !… et le gouverneur qui vient d’en envoyer un au duc Della Volta !
Vous l’avez ?
Eh non !… Comme il n’était pas là, je viens de le remettre à sa femme.
Alors, qu’allons-nous faire ?
Ascanio !… où êtes-vous, Ascanio ?
Mouvement.
C’est la voix de Margot… elle vient par ici. (Avec force.) Mes enfants, laissez-moi avec mon ex… elle a le sauf-conduit… il nous le faut !… et je l’aurai !… (A part.) quand je devrais l’étrangler.
Mais…
Je vous dis de me laisser… j’en fais mon affaire.
Allons, Griolet… obéissons.
Et nous, allons nous assurer que la voiture est prête.
Robert et Griolet sortent par la droite. — Stella entraîne Clampas et disparaît avec lui par le fond.Scène VIII
Oui, nom d’une bombe, je l’aurai, mais je crois que ça va être rude.
Ascanio !… Comment ! il n’est pas là !… Il n’a plus le moindre égard…
On dirait qu’elle a ses nerfs…
Et c’est à un pareil homme que j’ai sacrifié mes plus belles années… que j’ai toujours été fidèle… on n’a pas idée de ça !
Employons d’abord la douceur… nous verrons après…
Un révérend !… Ah ! il faut que je lui demande conseil… (S’approchant.) Mon père…
Que désirez-vous, ma fille ?
J’ai besoin de vous consulter sur un cas de conscience, et je vous prie de vouloir bien m’entendre.
Il faut d’abord que vous sachiez que j’ai été mariée deux fois.
Ce n’est pas de trop.
Ça dépend… J’ai épousé en secondes noces un grand seigneur pas jeune du tout, sec, laid, grincheux et ratatiné… (vivement.) Mais, pardon, j’ai peut-être tort d’en dire du mal…
Du tout… au contraire…
Comment ?
Il faut toujours dire ce que l’on pense.
Eh bien ! je l’avouerai, mon père, je ne l’ai jamais aimé.
Très bien, mon enfant, voilà de bons sentiments.
Ah !
Et ne l’aimant pas… est-ce que vous le trompâtes ?…
Vous dites, mon père ?
Ah ! quant à ça, jamais !
Tant pis, car il le méritait bien.
Sans doute, mais…
Continuez, ma chère enfant, vous m’intéressez progressivement.
Enfin !… je vivais résignée à mon sort… lorsque dernièrement…
Elle s’arrête.
Eh bien… parlez… dernièrement…
- Devant moi, contre toute attente,
- Mon premier mari se présente…
- Vous m’intéressez fortement,
- Continuez, ma chère enfant.
- Son bonnet à poil, pittoresque,
- Avait un plumet gigantesque !
- Ça rentre dans le fourniment,
- Continuez, ma chère enfant.
- Vous le dirais-je, à cette vue,
- Ce grand plumet… je fus émus ! MONTHABOR.
- Ça se comprend facilement,
- Et j’vous approuve absolument.
LA DUCHESSE.
|
MONTHABOR.
|
- Depuis ce jour, je le confesse,
- Mon Bernard m’apparaît sans cesse.
- Ça s’explique naturellement,
- Continuez, ma chère enfant.
- Je lui trouve belle figure,
- Fier maintien et mâle tournure.
- C’est un être plein d’agrément,
- Continuez, ma chère enfant.
- Et dans mes longues insomnies,
- Je revois ses buffleteries.
- Ça rentre dans le fourniment,
- Et j’vous approuve absolument.
LA DUCHESSE.
|
MONTHABOR.
|
Ah ! c’est affreux… n’est-ce pas ?
Mais non… c’est assez naturel.
Naturel !… que dites-vous ?
Je dis… (Rejetant tout à coup son capuchon en arrière et tendant les bras à la duchesse.) Eh ! nom d’une bombe, Margot, viens donc que je t’embrasse !
Bernard !…
Crelotte !…
Toi ici !… à Milan !…
Eh oui… J’y suis avec notre fille…
Avec Stella ?
Oui, mais il faut que nous fuyions au plus vite… et puisque te voilà des nôtres, tu vas me donner le sauf-conduit que tu as dans ta poche.
Mais… mais le duc !
Voyons ! veux-tu nous sauver oui ou non ?
Tiens… Bernard ! le voilà !
À la bonne heure !… Décidément, Margot, tu es une bonne fille… (Allant ouvrir la porte de gauche.) Griolet… mon lieutenant… venez !
Qu’y a-t-il ?
Scène IX
Je le tiens, je le tiens !… en route, mes enfants.
Et Stella ?…
Elle ne peut être loin… Nous allons la chercher.
Il remonte avec Griolet, le duc Della Volta paraît au fond.
Adieu, monsieur Robert…
Robert !… c’est lui ! enfin !
Il fait un signe au fond, quatre sbires s’approchant doucement.
Adieu, papa Clampas, on parlera souvent de vous au régiment.
Il lui donne une poignée de main.
Ah !
Pris !… mais seul ! (Faisant un signe aux autres.) Silence (Aux sbires.) Me voici !
Il remonte avec eux près de la porte du fond.
Allons, aujourd’hui tout me réussit… car notre fille est retrouvée… mes hommes viennent de l’arrêter.
Oh !
Elle aussi, prisonnière… pauvre Stella !
Les sbires l’entraînent, il sort.
Ah ! monseignor !… Ah ! mon révérend !… quel service vous m’avez rendu…
Un service ?… nous ?
Sans doute, mes sbires ont tout de suite trouvé ma fille à l’adresse que vous m’avez indiquée.
Ah bah !
Pas possible !
En costume de vivandière… impossible de s’y tromper.
Chut !
Et immédiatement ils l’ont conduite au palais du gouverneur !… Encore une fois tous mes remercîments.
Ça n’en vaut pas la peine.
Oh si, car je triomphe !… (A la duchesse.) Et maintenant je suis sûr qu’elle épousera Bambini.
Ah ! Comment ?
J’ai trouvé un moyen irrésistible… mais pour cela j’ai besoin de vous… Venez, venez et vous verrez…
Il disparaît avec elle par le fond.
Qu’est-ce qu’il chante ?
Tout est prêt… nous pouvons partir… (Regardant autour d’elle.) Où donc est Robert ?
Arrêté !
Arrêté !… que dites-vous ?
Mais nous avons le sauf-conduit, nous sommes libres et nous le sauverons… Venez, venez !
Ils sortent tous par la gauche.
A droite, premier plan, l’auberge de Clampas. — Au deuxième plan, le porche d’une église. — À gauche, premier plan, une maison à balcon, puis une rue en perspective. — Au fond à droite, un pont praticable.
Scène PREMIÈRE
- Un mariag’s’apprête,
- Qu’ici chacun de nous
- Aujourd’hui fasse fête
- Aux deux jeunes époux !
- Savez-vous la nouvelle
- Qu’on répète tout bas ?
- Non, parlez… Quelle est-elle ?
- Nous ne la savons pas…
- On dit que sur la route
- Les Français s’approchant,
- Vont avant peu sans doute
- Pénétrer dans Milan…
- Qu’ils vienn’nt !… on les attend !
- Chut ! Prenez garde
- Et taisez-vous !
- On nous regarde,
- Séparons nous !
Les Italiens se séparent et remontent. Le duc et Bambini avancent causant ensemble.
Scène II
Portez cet ordre à la prison et que l’on conduise de suite cet officier hors de la ville.
Le sbire salue et sort.
Alors vous rendez la liberté à ce Robert ?
Eh ! sans doute… un trait de génie !… c’était le seul moyen de faire obéir Stella. J’ai chargé ma femme de lui dire simplement ceci : Robert est entre nos mains, si vous voulez le sauver, épousez Bambini.
Et elle a consenti ?
À l’instant et sans hésiter.
Moi qui avais rêvé un mariage d’inclination.
Eh bien ?… de quoi vous plaignez-vous, elle vous épouse par amour.
Pour un autre… ça n’est pas la même chose.
Mais si, ça revient au même… j’ai pris immédiatement toutes les mesures nécessaires. En ce moment, la duchesse l’habille… car moi j’ai déclaré que je ne voulais la voir qu’à l’instant de la cérémonie… et tout à l’heure vous allez la conduire à l’autel… mais on doit nous attendre. Allons, venez…
Ça ne fait rien, j’aurais préféré être épousé pour moi-même.
Il sort avec le duc.
Qu’est-ce qu’ils manigancent, encore ces deux-là ?
Scène III
- Clampas… Ah ! mon ami…
- Robert !…
- Oui, c’est bien moi…
- Je suis en liberté sans qu’on m’ait dit pourquoi ;
- Mais de la ville il faut que sur-le-champ je sorte…
- Pour vous c’est le salut…
- Mon salut… que m’importe
- Stella !… qu’en ont-ils fait ?…
- ROBERT.
Je l’ignore… partez !
- Non… non… je veux savoir…
On entend sonner les cloches.
- Ces cloches… écoutez…
Scène IV
- A l’église rendons-nous,
- Et, suivant l’usage,
- Félicitons les époux
- De leur mariage.
- A l’église rendons-nous,
- Allons, ma fille… allons, Stella.
- Stella ! dit-elle… ah ! la voilà !…
- Oui, je comprends… on la marie
- Et c’est pour me sauver la vie…
S’avançant et jetant son manteau et son chapeau.
- Arrêtez !…
- Un Français !…
- Il se perd !
- Vous vous trompez, je vous le jure. ROBERT.
- Eh bien, je veux voir sa figure.
- Vous vous trompez, je vous le jure.
Il écarte le voile de la mariée.
- Claudin’!
- Le pot aux ros’est découvert !
- Ciel ! qu’ai-je vu là ?
- Ce n’est pas Stella !
- Que le bon Dieu vous patafiole !
- Je vous croyais bien loin d’ici,
- Et j’allais soutenir mon rôle…
- Jusqu’au moment de dire : oui !
- Eh quoi ! c’était Claudine !
- On se moquait de moi !
- Vous allez, j’imagine,
- Vous venger…
- Oui, ma foi.
Aux sbires, montrant Robert et Claudine.
- Qu’on les saisisse
- Sur-le-champ,
- Et qu’on les punisse
- A l’instant !
- Qu’on les saisisse
Clampas et le peuple entourent Robert et Claudine et tirent leurs poignards.
- Non, non ! nous saurons les défendre.
- Amis, merci !… je dois me rendre.
- Vite à la prison !
- Plus d’espoir !
- Qu’avez-vous fait là ?
- Mon devoir !
Les sbires vont les entraîner. — Les Italiens se consultent du regard pour savoir s’ils doivent les laisser partir. — Tout à coup, on entend au loin et en sourdine une musique militaire jouant le Chant du départ. — Moment d’émotion. — Tout le monde écoute.
- Ecoutez !…
- Ecoutez !…
- Ces accents militaires…
- C’est le Chant du départ !… Ah ! je le reconnais.
- Silence !…
Tout le monde écoute avec anxiété. La musique se rapproche de plus en plus.
- Ce sont les Français !
- Les Français… nos amis, nos frères !
- Ah ! comme des sauveurs ici recevons-les !
- Eux dans Milan !… que veut dire cela ?
- Les voilà !… Vivat !…les voilà !
Tout le monde se précipite vers le fond du théâtre. — L’avant-garde de l’armée française paraît sur le pont, d’abord les sapeurs, puis Griolet et les tambours ayant à leur tête Monthabor, en grand uniforme, Stella à sa gauche, puis la musique jouant le Chant du départ, puis les soldats. — On agite les chapeaux, les mouchoirs, les drapeaux. — Des fenêtres on jette des fleurs aux soldats. — On rompt les rangs. — Les Italiens et Italiennes entourent les Français, leur serrent les mains et les embrassent. — Stella et Monthabor courent vivement à Robert. — Griolet s’élance vers Claudine. — Tous les cinq forment deux groupes étroitement embrassés.
- Il est temps que je fasse
- Volte-face.
- Il est temps que je fasse
Agitant son chapeau.
- Vivent, vivent les Français !
- Mes amis, je vous attendais !…
- Dans mes bras, quelle ivresse,
- Je vous presse.
- Dans mes bras, quelle ivresse,
- Plus de chagrin désormais,
- A vous, Robert, et pour jamais !
- Allons, je l’vois… la chose est claire,
- Il n’m’aim’ra jamais…
- C’est certain…
- Épousez-moi… J’suis votre affaire…
- Vous avez raison… v’là ma main !
- Margot, n’y a plus qu’un’chose à faire, Montrant Robert et Stella.
- Marions bien vit’ces deux enfants…
- Volontiers…
- Mais…
- Toi, tu vas t’taire !
- Je suis ruiné !… Les chenapans !
- Nous n’f’rons qu’une seul’famille,
- Papa Monthabor…
- Nous n’f’rons qu’une seul’famille,
- Et vive la fille
- Du tambour-major !
Au public.
- Nous avons, pour vous divertir,
- Combattu d’estoc et de taille,
- Si voulez nous applaudir,
- Nous aurons gagné la bataille.
- Le bruit ne m’a jamais fait peur ;
- Si l’on en doutait qu’on essaie !…
- Frappez, messieurs, avec vigueur,
- Frappez bien fort… rien ne m’effraie !…
- Je suis mam’zelle Monthabor,
- La fille du tambour-major !…
Reprise en chœur. — Tableau.