La Bêche (Verhaeren)
À l’orient du pré, dans le sol rêche
Est là, pour à toujours, qui grelotte, la bêche
Lamentable et nue ;
Sous le ciel sec, la terre sèche ;
Et rien, sinon la maigre bêche,
Latte de bois mort, latte de bois nu.
— Fais une croix sur le sol jaune
Avec la longue main,
Toi qui t’en vas, par le chemin —
La chaumière d’humidité verdâtre
Et ses deux tilleuls foudroyés
Et des cendres dans l’âtre
Et sur le mur encor le piédestal de plâtre,
Mais la Vierge tombée à terre.
— Fais une croix vers les chaumières
Avec ta longue main de paix et de lumière —
Des crapauds morts dans les ornières infinies
Et des poissons dans les roseaux
Et puis un cri toujours plus pauvre et lent d’oiseau,
Infiniment, là-bas, un cri à l’agonie.
— Fais une croix avec ta main
Pitoyable, sur le chemin —
Aux verrous rouillés des étables,
L’orde araignée, elle a tissé l’étoile de poussière ;
Et la ferme sur la rivière,
Par à travers ses chaumes lamentables,
Comme des bras aux mains coupées,
Croise ses poutres d’outre en outre.
— Fais une croix sur le demain,
Définitive, avec ta main —
Un double rang d’arbres et de troncs nus sont abattus,
Au long des routes en déroutes,
Les villages — plus même de cloches pour en sonner
Le hoquetant dies iræ
Désespéré, vers l’écho vide et ses bouches cassées.
— Fais une croix aux quatre fronts des horizons.
Car c’est la fin des champs et c’est la fin des soirs ;
Le deuil au fond des cieux tourne, comme des meules,
Ses soleils noirs ;
Et des larves éclosent seules
Aux flancs pourris des femmes qui sont mortes.
À l’orient du pré, dans le sol rêche,
Sur le cadavre épars des vieux labours,
Domine là, et pour toujours,
Plaque de fer clair, latte de bois froid,
La bêche.