La Belle Coutelière/03

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Bibliothèque-Charpentier (p. 20-33).


III


Le surlendemain de l’Assomption, sur le coup de cinq heures du soir, Maurette était assise à la coupée de la boutique, ourlant des mouchoirs, lorsque devant la maison s’arrêta un quidam, le nez en l’air, qui, après avoir considéré le grand malchus planté à la clef de voûte de l’ogive, entra en saluant :

— Bonsoir, la compagnie !

— Salut à vous !

L’homme avait une casquette d’estamet à retroussis, une blouse de cotonnade grise à empiècements, un pantalon de treillis et de gros souliers. Il portait sur sa large échine un vieux sac de soldat qui semblait avoir eu la pelade, et tenait à la main un fort bâton d’agrafeil, autrement dit de houx.

— C’est vous, le bourgeois ? demanda-t-il à Mauret qui limait à l’étau.

— Oui, mon ami.

— Voilà ; c’est votre compère Coyrat qui m’envoie.

— Ah ! bien ! bien !… Posez votre sac et mettez-vous.

Le nouveau venu défit la boucle de la bretelle, posa son sac sur un établi et prit un escabeau. C’était un garçon de vingt-cinq ans environ, de taille moyenne, carré, bien membré, robuste. Sa tête était très grosse ; ses cheveux rudes descendaient bas sur son front, et sa figure rasée, au nez camard, aux traits forts, avait une visible expression de ruse sournoise et tenace.

— Sans être trop curieux, comment est votre nom ? demanda Mauret.

— Capdefer.

— Ça serait à dire alors que vous avez la tête dure ? dit en badinant le coutelier.

— Oh ! comme ça…

— Vous devez avoir soif ? fit après un instant le bourgeois. Nous allons aller boire chopine et nous parlerons de nos affaires en attendant le souper.

Et Mauret, ayant ôté son tablier, tous deux sortirent.

En rentrant après avoir fait leur accord, Mauret mena son ouvrier dans une chambrette au-dessus du bûcher, donnant sur la cour. L’autre posa son sac et ils revinrent à la cuisine.

Le souper fut assez silencieux. Capdefer ne paraissait pas bavard, et il se bornait à répondre brièvement aux questions du bourgeois, touchant les choses et conditions du métier à Bergerac et à Nontron où il avait travaillé. Reine, elle, était contrariée de la présence dans la famille d’un étranger dont la physionomie ne lui plaisait guère, et elle pensait à Kérado.

Le lendemain, tout en tirant son aiguille, elle le guetta de la fenêtre de la chambre au-dessus de la boutique, mais il ne parut pas.

Le surlendemain, point de Kérado. Le troisième jour, énervée, elle descendit avec son ouvrage et se mit à sa place habituelle à la coupée afin de se dédommager en le voyant de plus près. Mais ce jour-là encore l’employé des tabacs ne se montra pas. « Serait-il malade, se demanda Maurette, ou bien craint-il d’être remarqué en passant trop souvent ? » Et elle cherchait des raisons, des explications. « Il y en a tant d’autres filles qui l’aimeraient s’il voulait ! » se disait-elle en songeant aux paroles de la Marion. Dix fois le jour, elle quittait son ouvrage, montait à sa chambre, se regardait au miroir, se trouvait belle, tourniquait un instant, puis redescendait. Le quatrième jour, rien encore ; ses anxiétés augmentaient et elle avait envie de pleurer. Le cinquième jour, la pauvrette n’y tint plus.

Vers cinq heures du soir, elle prit sa seille et, au lieu de descendre directement à la porte Marinière pour aller à la fontaine des Angles, elle s’en alla passer devant le Coq Hardi et appela Toinette :

— Tu ne viens pas à la font ?

— Si… espère-moi.

Et en attendant son amie, Reine regardait distraitement l’enseigne de tôle suspendue à une potence de fer ouvragé, où le peintre avait représenté naïvement un grand coq rouge bien crêté attaquant un serpent dressé sur sa queue…

— Tu es bien aimable de m’être venue quérir, dit Toinette, en descendant le chemin de la fontaine.

— Depuis dimanche je ne t’avais vue…

— Et tu voulais avoir de mes nouvelles ?

— Hé, oui !

— Et puis, de quelqu’un plus, peut-être ?

— De quelqu’un plus ?

— Pardi ! ne fais pas l’innocente !

— Que veux-tu dire ?

— Que tu grilles de savoir ce que fait ton Breton !

— Moi ?… point !…

— Alors, je ne dis rien !

— Dis tout de même !

— Tu mériterais que je ne te dise rien, mais je suis bonne camarade… Eh bien, ma petite, il est à faire les inventaires des plantations dans les communes… Il rentre des fois qu’il est dix heures du soir, d’autres fois point ; ainsi ne te tracasse pas : c’est demain dimanche, tu le verras.

Après avoir babillé un moment à l’ombre des platanes de la fontaine, les deux jeunes filles posèrent la seille de cuivre sur leur tête et remontèrent vers la ville.

Un peu avant d’arriver à l’endroit où le chemin de la fontaine rencontre celui qui va de la porte Marinière au Port-de-Montglat, Toinette se planta :

— Eh bien ! tu peux dire, ma belle, que tu as du bonheur !

— Et comment ça ?

— Regarde sur le chemin du Port !

Sur ce chemin s’avançait un grand garçon en veste de coutil, guêtré jusqu’aux genoux et coiffé d’un chapeau en paille de Manille. Maurette le reconnut soudain et devint rose.

— Marchons plus vite ! fit-elle.

— Pourquoi ? Il te fait peur ?

À dix pas de la porte, sous les remparts, Kérado joignit les deux amies et les salua, laissant voir son front partagé en deux par une ligne un peu oblique où le hâle s’arrêtait à la partie protégée du soleil par le chapeau. Il admirait la belle Reine, et il avait raison, ma foi ! Grande, svelte, sa démarche aisée malgré le fardeau, révélait, sous une mince robe d’indienne, des formes harmonieuses que le jeune homme osait à peine deviner. L’effort de la montée faisait palpiter les narines et soulevait le corsage de la petite, et, sous la seille de cuivre brillant, sa figure aux lignes pures se détachait avec une beauté de statue grecque. Dans ce paysage pierreux, brûlé du soleil, au pied de ces vieux murs roux où pendait un cactus poussé dans une meurtrière obstruée, à l’ombre d’un figuier au tronc difforme qui penchait sur le chemin, n’était l’ogive de la vieille porte, on eût dit à la voir une canéphore antique à l’entrée d’une cité de l’Hellade.

Si le Breton avait été seul avec Maurette, tous deux eussent été un peu embarrassés ; heureusement, Toinette était là.

— Vous revenez de bonne heure, ce soir, monsieur Kérado !

— Oui… Après avoir couru toute la semaine, il me tardait de rentrer.

— Ça se comprend. Il fait meilleur là-haut, à l’ombre des tilleuls de la promenade, que sur les plantations… et puis il y a la vue…

— Oui, répondit naïvement le commis des tabacs, il y a une belle vue sur la plaine et la rivière…

— Et aussi sur la rue du Grel, ajouta malicieusement Toinette.

— C’est très vrai !…

Tous trois étaient en ce moment arrêtés à quelques pas de la porte. En disant ces dernières paroles, Kérado regardait avec amour la belle Reine qui baissait les yeux et se troublait.

— Tenez, vous qui aimez tant le réséda, en voici, dit Toinette en en prenant un brin au corsage de son amie.

— Oh ! Toinette ! fit celle-ci.

— Ah ! merci ! dit le Breton, mais je ne veux pas le prendre sans la permission de mademoiselle Reine.

Celle-ci, confuse, gardait le silence.

— Qui ne dit mot consent ! fit Toinette. Maintenant, monsieur Kérado, passez devant, s’il vous plaît.

Et l’employé des tabacs, après un dernier regard à Maurette, s’en alla heureux avec son petit brin de réséda.

Arrivée devant sa maison, Toinette, en quittant son amie, lui demanda en riant :

— Faudra-t-il lui dire que tu t’es enquise de sa santé ?

— Oh ! ne fais pas ça !

Malgré cette défense, lorsque Kérado vint souper avec le docteur et Gaudet, Toinette lui en fit la confidence dans un coin, ce qui rendit l’amoureux si heureux qu’il n’en mangea pas, et que le lendemain il croisa tout le jour sur la promenade d’où il voyait la maison de sa belle.

Les jours ensuivants, il passa devant la boutique si souvent, que Capdefer finit par s’en donner garde. Quant à Maurette, on eût juré qu’elle ne s’en apercevait pas, mais c’eût été à tort. Indifférente de maintien, son cœur battait bien fort lorsqu’elle oyait le pas de son amoureux qu’elle reconnaissait de loin. Mais ce fut bien autre chose lorsqu’un jour, au lieu de passer en lui jetant un coup d’œil très amiteux, Kérado tourna court et entra dans la boutique en saluant. Elle en devint pâle et répondit par une légère inclination de tête, sans lever les yeux.

— S’il vous plaît, je voudrais un couteau, dit-il à Mauret.

— Comment vous le faut-il ?

— Un bon couteau… avec un canif…

Le chaland fut long à choisir. Il prenait successivement tous les couteaux que le patron avait portés au jour, sur le taulier. Le Breton était là, tout près de Maurette, qui lui tournait le dos, très occupée à sa couture. Lui, un peu penché, ouvrait et fermait les couteaux et fréquemment jetait un coup d’œil avide sur les grosses nattes de Reine enroulées en un lourd chignon et maintenues par un peigne ouvragé. De là, son regard coulait sur la nuque où foisonnaient des petits frisons noirs qui descendaient drus, très bas sur le cou…

De l’enclume où il forgeait une lame d’eustache, Capdefer regardait d’un mauvais œil cet acheteur qui ne lui disait rien qui vaille. On eût dit, à le voir, un dogue prêt à défendre le bien de son maître. Était-il devenu amoureux de la fille de son bourgeois ? Rien ne le faisait supposer. Jamais il ne lui parlait, et c’est à peine s’il la regardait d’un œil froid. Peut-être était-il comme le chien de l’hortolan.

Au demeurant, très affectionné aux intérêts de la maisonnée, il ne s’épargnait en chose quelconque pour sa prospérité, tout comme s’il eût été de la famille. À la boutique, il bûchait avec ardeur et ne regardait pas à une heure de plus lorsque l’occasion le requérait. Il faisait toute besogne sans rechigner, et même tournait la meule pour le repassage, ce qui était un office, non d’ouvrier, mais d’apprenti. Et puis, fils de pieds-terreux, il s’entendait aux travaux rustiques, et, quoique ce ne fût pas dans les conditions de son embauchement, il aidait le bourgeois aux champs. Mauret avait quelques journaux de pays sur la « plaine du Roy », comme on appelle ce grand plateau où ceux de Montglat ont leurs héritages, et, selon les saisons, il fallait travailler la terre, ensemencer, donner des façons et lever le revenu. Ainsi, le lendemain du jour où le vérificateur des tabacs avait fait son emplette, le maître et le compagnon commencèrent à ramasser la récolte de la Saint-Michel : blé d’Espagne, haricots et pommes de terre. Cela dura quelques jours. Ils partaient le matin après avoir déjeuné, et, à midi, la bourgeoise leur portait le dîner, tandis que Maurette gardait la maison.

Justement, une après-midi elle cousait seulette à la boutique, tout son monde étant aux champs, lorsque tout à coup Kérado entra. Elle se leva tout émotionnée, et lui, la voyant seule, n’était guère moins ému. Il se remit pourtant, et après le portage amiteusement demandé, expliqua qu’il avait un rasoir à faire repasser… Puis, comme s’il avait craint que Maurette ne le crût pas, il le tira de sa poche et le lui donna. Tous deux, à ce moment, se regardèrent, et la petite, comprenant que le rasoir n’était qu’un prétexte, rougit fort. À son corsage, elle avait un petit bouquet de réséda ; Kérado le lorgnait et le désirait ; aussi, après avoir ajouté qu’il n’était pas pressé de son rasoir, il s’enhardit à remarquer que Reine aimait le réséda.

— L’odeur en est si douce, dit-elle.

— Moi, je l’aime beaucoup aussi… surtout depuis quelque temps…

— Ah !

— Oui… depuis le samedi où je vous rencontrai à la porte Marinière.

Elle rougit encore et ne répondit pas.

— Voudriez-vous me donner un brin de celui que vous avez là… comme l’autre jour ? demanda le Breton.

— Il est déjà tout fané !

— N’importe ! donnez-m’en tout de même !

Maurette jeta un coup d’œil dans la rue et vit Gadras, le savetier d’en face, qui, tout en tapant sur une semelle, regardait de ce côté.

— On me verrait… dit-elle.

Et, devant la déception de son amoureux, elle ajouta :

— Une autre fois…

Sur cette promesse, Kérado s’en alla, radieux, et Reine reprit sa place.

Elle avait tort sans doute de se défier du cordonnier ; il l’eût vue donner une fleur au commis des tabacs, et même un baiser, qu’il n’en eût rien dit : c’était dans l’esprit du pays. En ce temps, à Montglat, les lois de la nature primaient généralement les conventions sociales, et il y était à peu près admis qu’une jeune fille peut légitimement avoir un amant. On y faisait l’amour un peu comme au temps des seconds Valois. Sans trop s’attarder dans le sentiment, les galants allaient à la réalité tangible. Quant aux suites, on s’épousait quelquefois, car une certaine loyauté régissait ces liaisons qui étaient ordinairement relevées par la fantaisie et même le danger : témoin le poignet de Viermont : de rares désespérées seulement recouraient parfois à des moyens extrêmes. Dans cette heureuse ville, les mœurs étaient très tolérantes. Celui qui voyait deux amoureux se joindre dans un lieu écarté fermait les yeux et n’en soufflait mot. Au besoin, on leur « prêtait la main », c’est-à-dire qu’on facilitait leurs rendez-vous — à charge de revanche.

Toutes les sévérités de l’opinion étaient réservées aux femmes infidèles à leur époux, mais il y en avait peu ; en ce moment on n’en comptait que deux dans la ville ; l’une, excusable, car son mari, mauvais goujat, joueur et débauché, l’avait quasiment abandonnée et la battait comme blé sur le sol lorsque par hasard il revenait au logis ; l’autre, gente et frisque femelle mariée à un vieil imbécile, qui ne voulait coucher avec sa femme qu’à la lune nouvelle, n’était pas du pays. Ainsi se vérifiait, à Montglat, la justesse de l’aphorisme de Jean-Jacques.

Non certes, le vieux bobelineur n’eût rien dit, car il était tout réjoui de voir l’amour naissant de ce joli couple. Aussi quand, une huitaine après, Kérado vint chercher son rasoir, et trouvant l’huis clos, resta là planté, tout déferré, le bonhomme s’empressa de le renseigner :

— Ils sont tous à vendanger sur la plaine du Roy !

Et comme la plaine a bien une lieue de traversée en tous sens, il ajouta complaisamment que la vigne de Mauret était sur le chemin de Virazel, pas loin de la « cafourche » des Bos, et qu’à côté il y avait un boqueteau de pins.

Kérado le remercia chaleureusement, et, comme il était de bonne heure, impatient de voir sa mie, il descendit par la porte de la Bombarde entre les vergers enclos de murailles, traversa le ravin ombragé de noyers, d’amandiers, de figuiers, de grenadiers, où court un filet d’eau venant de la fontaine des Angles, et prit le roidillon qui monte à la plaine. Là, il enfila le chemin de Virazel, comme s’il allait voir des tabacs.

On était en pleines vendanges. De tous les côtés, on voyait des gens embesognés à cueillir le raisin, et le Breton croisait souvent des « montures », chevaux, mulets ou ânes, qui portaient des « comportées » de vendange à la ville. Lorsque la vigne se trouvait en bordure du chemin, le maître lui faisait la politesse coutumière de le convier à goûter le raisin ; mais Kérado, pressé, remerciait et passait. En approchant du carrefour des Bos, il regardait curieusement autour des pins, lorsque soudain, près d’une petite grange ombragée par un sorbier, il aperçut la belle Reine portant un panier. À mesure qu’il avançait, il se demandait s’il allait s’arrêter, et il hésitait, craignant d’éveiller les soupçons des parents. Mais bientôt il fut tiré d’embarras. Devant la grange, le coutelier était installé, et « boulait » — ce qui est à dire écrasait le raisin dans une comporte avec une fourche de châtaignier, à trois dents. — L’homme était de joyeuse humeur, la vendange abondait et elle était bien mûre ; aussi, lorsque sa pratique fut tout près de lui, il le héla :

— Hé ! monsieur Kérado, sans vous commander, venez un peu tâter notre raisin !

Le jeune homme, ravi de cette invitation, ouvrit la claire-voie et s’approcha. Elle était là, celle qui hantait sa pensée nuit et jour, debout après avoir vidé son panier dans la comporte. Sur ses joues roses, quelques cheveux, échappés de ses bandeaux épais, voltigeaient, agités par un petit vent frais ; et à l’ombre de son grand chapeau de paille, ses yeux eurent une expression de douceur pénétrante lorsqu’elle répondit au salut de son amoureux.

— Petite, dit le coutelier, présente un raisin à M. Kérado… de ces pieds-de-perdrix, là-bas… tu sais…

— Oh ! mademoiselle, je ne voudrais pas vous donner cette peine ! fit-il.

Un regard de l’enfant lui répondit que ce n’était pas une peine, mais un plaisir très grand. Elle prit dans la grange son petit panier de vîmes blancs à mettre le raisin de table, et s’en fut à la cueillette.

Pendant ce temps, le père et l’amoureux causaient, et, incidemment, Mauret dit que le rasoir n’était pas prêt, mais qu’il le serait à la fin de la semaine, sans faute ; à quoi répondit Kérado qu’il n’en était pas pressé, en ayant un autre.

Reine revint bientôt avec les grappes bien arrangées sur des feuilles fraîches, et, tenant son panier à deux mains, comme une corbeille, elle les offrit à son galant.

Lors, enhardi, lui dit :

— Mademoiselle, vous vous y connaissez mieux que moi… Voulez-vous me choisir une grappe ?

Maurette prit la plus belle, et, la tenant par la queue, l’offrit au jeune homme.

Elle était ravissante ainsi. Sa beauté régulière, la grâce de son attitude, la simplicité naïve de son action évoquaient la vision d’une scène antique. C’était un tableau charmant, aux tons adoucis par l’ombre du sorbier trouée par un rais de lumière dorée qui se jouait sur la grappe. Rien n’y manquait, pas même comme repoussoir, là-bas, au fond de la vigne, Capdefer qui levait la tête et regardait d’un air bourru.

En prenant le raisin, Kérado toucha les doigts de Maurette, et ce contact furtif les fit frissonner délicieusement tous les deux.

Cependant la mère, curieuse, apporta son panier à la comporte et caqueta un moment. Puis, ayant remercié, adressé un dernier regard à son amoureuse, le grand Yves s’en alla heureux comme un roitelet, ainsi qu’on dit, ne sais pourquoi.

Parce qu’il avait déclaré au coutelier aller à Virazel voir des tabacs, il fut obligé de continuer de ce côté-là, ce qui l’éloignait beaucoup de Montglat. Mais il ne plaignait ni son temps ni sa peine et cheminait gaiement en se remémorant tous les détails de cette bienheureuse rencontre.

Maintenant, c’en était fait. Par l’échange de leurs pensées muettes, par leurs regards qui s’étaient mariés, par le frisson qu’ils s’étaient donné mutuellement au contact de leurs doigts, l’amour les avait pénétrés jusqu’au plus profond de l’être, et les tenait tout entiers, corps et âme, maintenant et jusqu’à la mort… ou à l’oubli.