La Belle libertine/Texte entier
Frontispice | |
Que tout Bande que tout S’Embrase, |
INTRODUCTION.
La vanité ou l’intérêt ont toujours
été les motifs de ceux qui
ont écrit des mémoires ; les miens
ſont uniquement le déſir d’amuſer
& d’inſtruire. On ne manquera
pas de dire, en liſant le titre
de cet ouvrage ; mais nous
ſavons tout cela, on voit cela
par-tout ; l’art de multiplier les
jouiſſances, en variant les préludes
& les poſitions, eſt pouſſé
à sa perfection ; d’ailleurs, le
principe & le réſultat ne ſont-ils
pas toujours les mêmes ?
enc...ner & dé....ger,
cela eſt vrai : mais c’eſt la façon
de le faire qui fait tout ; & j’en
appelle à tous les libertins, à
tous ces charmans roués, que
la curioſité, l’occaſion ou la
néceſſité ont fait paſſer des bras
de la ducheſſe dans ceux de la
ſimple villageoiſe du boudoir
voluptueux de l’élégante courtiſane
dans le cabinet modeſte
de la timide griſette ; par-tout
ils ont pu trouver un joli minois,
belle gorge, jolie motte,
ſans doute même au village
plus de fermeté, plus de fraîcheur
naturelle ; mais cette
propreté recherchée, ces
toilettes galantes & laſcives, ces
appartemens élégamment meublés,
où le jour eſt adroitement
intercepté par des rideaux
couleurs de roſe ; ces glaces
qui deviennent des tableaux
animés ; les minauderies d’une
femme galante qui fait augmenter
le déſir en le prolongeant,
& doubler le plaiſir en
retardant le moment de la
jouiſſance ; mais tous ces jolis
préliminaires qu’un homme délicat
multiplie à l’infini, & préfère
au moment du bonheur ; mais
enfin, cette langueur délicieuſe
qui ſuccède au délire ; où
trouve-t-on tous ces avantages ?
eſt-ce au village ? ſeroit-ce même
auprès des bergères d’Idalie,
qui n’ont jamais éxiſté que dans
l’imagination des poëtes ? non,
ce n’eſt qu’auprès de ces jolies
coquines qui réuniſſent la
fineſſe au tempérament, & qui
ſuppléent à l’expérience par
l’inſtruction.
C’eſt donc pour elle eſſentiellement que j’écris mes aventures libertines, Je croirois faire un vol à mes contemporaines, à la proſpérité galante, ſi je cachois mes jolies découvertes ; & ſi mes lecteurs bandent une ſeule fois en les liſant, je ſuis aſſez dédommagée de mes peines, & je ne demande d’autre témoignage de leur reconnoiſſance, que de voir quelquefois l’effet de mon ouvrage.
Après un ſi joli début dans la carrière du plaiſir, je dois faire de grands progrès, & ſi cette partie de ma vie a fait ſur mes prosélytes, l’effet que je dois en attendre, les mêmes principes m’engageront à leur en donner une ſeconde que mon expérience rendra ; à-coup-sûr, plus inſtructive que la première.
PREMIERE PARTIE.
Premiers ſacrifices à l’Amour.
Il faut donner, malgré moi, un air d’importance à mon hiſtoire, & débuter, ſuivant l’uſage, par ma généalogie. Je ne ſuis pas habile dans l’art héraldique, quoique d’antique nobleſſe ſe ſoit greffée ſur ma roture ; mais ai-je beſoin d’ayeux ? une jolie femme ne jouit-elle pas de tous les avantages ? ſi j’étois née d’un ſang illuſtre, j’aurois le bon ſens de ne m’en pas vanter ; ma conduite galante terniroit la mémoire de mes ancêtres, elle amuſe mes contemporains ; le public connoît mes jolis quartiers : voilà mes titres.
Les adages ſont quelquefois vrais : Bon chien chaſſe de race. Je devois donc être, comme on va le voir, une des plus ardente prêtreſſe de Vénus.
Un roué m’a donné l’être : entendez par ce mot, ſi uſité à la cour & dans les couliſſes, un homme qui, avec quelque ſorte d’eſprit, s’en adjuge libéralement beaucoup plus qu’il n’en a ; détracteur du mérite, fourbe, ſéducteur, marchant à ſon but par la fraude & l’aſtuce ; ſans foi, ſans pudeur, ſans autre crainte que celle de manquer d’argent ; égoïſte parfait, rapportant tout à lui ; ayant fait de la fauſſeté une profonde étude, & ne connoiſſant point de plaiſir ſupérieur à celui de tromper : je l’avoue à regret, tel étoit le caractere de mon pere.
Ma mere ne valoit pas mieux ; très-digne compagne d’un époux qui avoit une auſſi mauvaiſe conduite, il y avoit entr’elle & lui aſſaut continuel de traits répréhenſibles, & les deux médecins ſe paſſoient l’émétique & la ſaignée.
Mon pere étoit peintre en mignature ; il avoit de l’eſprit, des manieres, étoit bel homme, avoit étudié ſon art & les femmes à Paris ; ſon pinceau étoit ferme, ſa touche hardie & voluptueuſe ; auſſi étoit-il chéri des femmes qui ſe faiſoient toutes peindre d’après nature. Les maris auroient pu voir ſon talent d’un mauvais œil, s’il ne leur eût pas adroitement offert un dédommagement charmant : il avoit épouſé ma mere par amourette, & lui avoit appris ſon art ; mais par un calcul fort bien entendu, elle manquoit toutes les femmes, & ne pouvoit attraper que les hommes ; par cet accord heureux, tandis que mon pere alloit peindre une jeune femme, ſon époux enchanté venoit prendre ſéance dans le boudoir de ma mere, & tout le monde étoit content.
Mon pere gagnoit beaucoup ; ma mere recevoit encore davantage ; une pluie d’or tomboit ſur notre maiſon, mais elle ne s’y arrêtoit pas ; le jeu de mon pere, la coquetterie de ma mere étoient deux ruiſſeaux par leſquels cette abondante pluie s’écouloit rapidement : ils étoient criblés de dettes, & toujours aux expédiens.
Le projet de ma mere étoit de m’aſſocier à ſon commerce galant dès que j’aurois atteint l’âge heureux des déſirs ; c’étoit auſſi mon plan, & je calculois déjà, même avant de ſentir palpiter mon ſein, le nombre de conquêtes que devoient faire mon goût naiſſant pour les hommes & une figure qui promettoit d’être plus que paſſable. Mais le ciel ſe rit des projets les mieux combinés ; un jour mon pere peignoit la jeune épouſe du major de la ville, homme vieux & brutal, dans le charmant coſtume de la belle coucheuſe de Porporati, lorſque ſon mari, qui n’étoit pas dans la confidence, entra bruſquement, & la ſurprit dans cette attitude ; il ne connoiſſoit ni les regles de la peinture, ni les privileges de peintres, & ſans ſe donner la peine d’examiner ſi mon pere avoit le droit de peindre les femmes ſans chemiſe, il lui paſſa ſon épée au travers du corps, & renvoya ſon cadavre à ma mere.
Quoique ma mere ne fût pas très-attachée à ſon mari, l’horreur de ce ſpectacle lui cauſa une révolution ſi violente, qu’elle ne revint de ſon premier ſaiſiſſement, que pour retomber dans des convulſions qui la conduiſirent en peu de jours au trépas : elle étoit, ainſi que le fut Julie d’Etange, dans une poſition qui rendoient tous des ſecours de l’art inutiles : ce fut ainſi qu’en huit jours de tems je perdis mon pere, ma mere, ma fortune & mes eſpérances.
La mere de mon pere étoit retirée dans une petite ferme qu’elle appelloit ſa terre, à cinq lieues de Bordeaux. Inſtruite de mes malheurs, elle m’envoya chercher par un homme de confiance ; & je n’emportai de ma ville natale que les regrets de pluſieurs paillards qui convoitoient mes appas naiſſans ; car nos créanciers avoient partagés nos triſtes dépouilles & m’avoient laiſſée à-peu-près dans l’état de ſimple nature.
J’étois affligée de quatorze ans qui en valoient ſeize. Née ſur les bords du Rhin, tranſportée dans une province méridionale de la France, je réuniſſois en moi la force des habitans du nord, & le tempérament chaud de ceux du midi. Elevée dans un village, tout contribuoit à augmenter l’énergie dont la nature libérale m’avoit douée, & je me trouvois fatiguée d’une ſurabondance de vie, lorſque je connus un jeune habitant du bourg qui parut me diſtinguer de mes compagnes. Me prévint-il ? mes yeux & ma voix l’engagerent-ils ? Je ne m’en ſouviens pas ; d’ailleurs, j’ai plus d’une fois fait des avances, parce que j’ai reconnu que c’était la meilleure façon d’être entendue : la nature n’eſt pas cérémonieuſe.
J’aurois pu, mieux qu’une autre, faire ce que la bourgeoiſie appelle des façons ; je valois la peine d’être déſirée ; j’étois dans l’âge floriſſant, ma taille étoit déja élevée, ma gorge aſſez formée pour fixer les regards ; j’avois un embonpoint qui annonçoit la plus conſtante ſanté ; mon buſte étoit arrondi & tel que les gens de goût le déſirent ; mes cuiſſes offroient des contours heureux & une élaſticité rare ; mes feſſes auroient eu des autels chez les Grecs, & des préférences chez nos cardinaux ; voilà ce que j’étois… ah ! folle que je ſuis, j’oublie de parler de ma tête ; c’eſt que cette partie de moi-même, comptée pour quelque choſe par les hommes, a toujours été foible & très-ſubordonnée à une autre. J’avois la fraîcheur d’une roſe nouvelle, les dents blanches & bien rangées, les yeux bleus, d’une grandeur ordinaire, mais d’une expreſſion unique lorſqu’ils vouloient obtenir ou faire eſpérer ; la bouche petite, accompagnée de deux foſſettes que nos fins matois appellent les niches de l’amour ; les levres vermeilles, les cheveux châtains, clairs & bien plantés, & par une ſingularité aſſez rare, les ſourcils & un autre endroit qu’on connoîtra bientôt, auſſi noirs que l’ébene ; ces avantages réunis formoient l’enſemble d’une phyſionomie ſéduiſante, & mon innocence aux abois lui prêtoit une attraction à laquelle peu de mortels euſſent réſiſté : enfin on diſoit de moi : Elle eſt ſi jolie qu’elle eſt plus aimable que ſi elle étoit belle.
Hélas ! à qui étoient deſtinés tous ces charmes ? rarement on accorde ſes prémices à celui qui les mérite ; mais
L’occaſion, la douce égalité,
& plus que tout cela, le beſoin irréſiſtible
de me ſatisfaire, n’ayant point
de principes moraux, n’étant ſoutenue
par aucune conſidération préſente,
brûlant de me jetter dans la débauche,
pouvois-je me rendre difficile ? Mon
premier docteur auroit eu lui-même
beſoin des leçons d’une coquette, mais
au village, & pour une fille auſſi
précoce & auſſi indulgente que moi,
tout étoit excellent : preſſés tous deux
de jouir, nous abrégeâmes les
préliminaires. Le plus difficile n’étoit pas
de tromper une ayeule octogénaire,
mais de trouver dans la maiſon, qui
ne ſe prêtoit pas à la choſe, un lieu
où nous puſſions nous joindre ſans
être ſurpris. Le bon la Fontaine a dit
vrai :
Sommes-nous donc en ce bas-monde
Pour toutes nos aiſes avoir ?
Sans doute il faut appliquer cette réflexion aux premiers ſacrifices que les jeunes perſonnes font à l’amour ; rarement on eſt couché ſur un lit de roses. Pour moi, la cave au bois fut mon premier temple, quelques fagots de ſarmens mon premier autel ; que ce réduit reſſembloit peu au boudoir voluptueux de nos charmantes coquettes : c’étoit peu que d’avoir riſqué de me caſſer le cou en eſcaladant un bûcher pour parvenir au rendez-vous, c’étoit peu que mon amant eût paſſé avec peine par un ſoupirail étroit pour y arriver ; il falloit ſe dépêcher de peur que la ſempiternelle maman n’eût la fantaiſie de faire une queſtion à ſa petite fille bien-aimée. Nous voilà donc encavés, éclairés par un rayon mourant de la lune ſur ſon déclin ; me voilà dans les bras de mon… Je ne ſavois encore quel nom alloit lui mériter ſes nouvelles fonctions, je l’appris bientôt ; dépêchons-nous, lui dis-je mon cher… — Je ne demande pas mieux, mais où ſe mettre ? — Je n’en ſais rien. — Ni moi ; cependant pas un moment à perdre. — Je le ſens. — Hé bien ! debout, mais impoſſible. — Ecoute, je vais arranger ces ſarmens, & je me mettrai deſſus. — A merveille. — M’y voici ; ſuis-je bien ? — Non, avance un peu davantage, écarte tes cuiſſes ; embraſſe-moi de toutes tes forces, ſur-tout ne fais pas de bruit, & prends garde de crier ; une douleur néceſſaire te conduira au plaiſir. — Brûlée du plus ardent déſir, je me réſigne, je me prête, je m’ajuſte ; mais, grands dieux ! quand avec un redoutable poignard, qui ne ſe trouvoit point alors en proportion avec moi ; & dont j’ai connu le prix dans la ſuite, il voulut forcer la réſiſtance involontaire que je lui oppoſois, je ne pus m’empêcher de jetter un cri étouffé, & de lui dire avec le ton de cette langueur délicieuſe qui peint ſi fortement la douleur & le plaiſir, ah méchant !… cher ami… quel mal tu me fais… arrête… va plus doucement… je me meurs… Inſenſible à mes plaintes, il enfonçoit toujours, je gémiſſois encore, il continua, un coup vigoureux m’arracha le dernier cri ; il rompit la foible barriere qui s’oppoſoit à notre félicité, & ſon triomphe me fit ſentir une volupté dont je n’avois eu que des idées confuſes. Peu s’en fallut que je ne ſortiſſe vierge du temple ſouterrain ; ſans ma conſtante réſignation & la vigueur de mon Hercule, nous perdions le fruit de nos travaux. Il eſt vrai que mon heureuſe conformation me rendoit étroite à l’excès ; je n’avois jamais connu l’onaniſme, ni ſes ſecours trompeurs, & j’étois trop paſſionnée pour me contenter d’une demi-jouiſſance ; mais je ne ſais ſi l’on m’entend, j’ai joué la prude ſans m’en appercevoir ; j’ai emprunté des mots qui n’ont pas la force des termes techniques, mais je ſuis trop franche pour vouloir me forcer dorénavant à chercher des expreſſions qui, en m’embarraſſant beaucoup, affoibliroient la chaleur de mes avantures.
Après cette premiere jouiſſance, nous convînmes de nous retrouver le lendemain au même lieu, & je remontai joindre ma bonne maman, avec une ſécurité, un calme apparent dont une ancienne coquette ſe ſeroit fait honneur, tant j’étois précoce & deſtinée à profeſſer un jour l’art d’en impoſer. Ardente comme Vénus au fort du combat, ai-je beſoin de maſquer mes plaiſirs & de ſéduire le plus habile phyſionomiſte par le calme ſéducteur de mes traits : coloris, attitude, ſon de voix, rien ne me trahit, & ma jupe baiſſée, moi ſeule connois mon ſecret ; celui qui ſort de mes bras reſte dans l’étonnement : c’eſt lui qui eſt ſurpris, je ne la ſuis jamais.
Le ſecond rendez-vous fut plus agréable ; moins d’inquiétudes & plus d’adreſſe nous rendirent promptement heureux. Je n’avois ſenti la veille que l’approche du plaiſir ; malgré les légères cuiſſons qui en retardoient encore l’exiſtence, je le connus ; nature, jeuneſſe, ſanté ſont des maîtres uniques. Je me prêtai à tout ; je ſaiſis avec un frémiſſement inconnu, le v.t de mon amant ; j’aidai à le diriger dans ſa route obſcure ; moins effrayée de ſes proportions, je hâtai l’inſtant où, répandant enſemble cette liqueur brûlante, qui mit le comble à mon délire, nos âmes confondues s’anéantirent pour renaître. Ce ſoir nous eûmes le tems de redoubler ; mon f...eur le déſiroit, J’en mourois d’envie ; nos ſarmens élaſtiques devinrent le trône de la volupté. Sans s’arrêter aux careſſes délicates, ſans rendre à mes jolis tetons les hommages qu’ils méritoient, ſans employer ces délicieux préliminaires que j’ai connus depuis, mon amant me coucha une ſeconde fois ; paſſant les bras ſous mes reins, j’élevois mes jambes ſur ſes hanches, & il me procura une ſoif qui ne put s’appaiſer que par des libations abondantes.
Les femmes, avares de leurs plaiſirs, veulent que leurs amans ménagent leurs forces, & ne dé....gent qu’après avoir limé long-tems ; je n’ai jamais aimé cette économie, parce que je trouve dans le nombre ce qu’un ſeul ne peut me procurer ; je veux obtenir tout & ſans réſerve ; tant pis pour celui qui s’épuiſe, un autre l’a bientôt relevé ; ces accolades demi-ſeches me donnent peu de plaiſirs, & j’aimerois autant être f...ue par un eunuque.
Cette premiere affaire n’ayant rien de piquant & de varié, il ſeroit peu amuſant de ſavoir combien elle a duré, c’eſt pourquoi je paſſerai rapidement à la ſuite d’un auſſi ſingulier début.
Auſſi-tôt que j’eus perdu mon pucelage, le ſéjour de la campagne me devint inſupportable ; mon payſan me procuroit à la vérité quelques momens de plaiſirs, mais ces momens étoient trop courts & trop rares ; il avoit développé dans mon cœur un volcan qui retenoit avec peine ſes laves brûlantes ; ma tête, mon cœur, mon c.n, tout chez moi étoit en feu ; je ſoupirois après le ſéjour d’une ville qui pût me procurer des jouiſſances toujours nouvelles & toujours renaiſſantes ; heureuſement je vis mes vœux comblés : parmi les amis de ma bonne maman, étoit un riche négociant de Libourne, qui avoit une femme aveugle & dévote, & une fille de dix-huit ans, pleine de feu & de tempérament ; il venoit deux fois l’année paſſer huit jours dans notre chaumiere. J’étois dans le mal-aiſe que je viens de peindre, lorſqu’il y arriva avec ſa fille : nos cœurs ſe devinerent ; une douce ſympathie nous unit ; nous couchâmes enſemble, quelques charmantes poliſſoneries firent le reſte. Zélie, qui avoit tout pouvoir ſur ſon pere, n’eut pas de peine à le déterminer à me demander à ma bonne maman, qui conſentit aſſez difficilement à mon départ. La veille de ce jour tant déſiré où je devois quitter ma demeure ruſtique, elle me fit un long ſermon en particulier, ſur la vertu : il étoit, je crois, fort beau, très-pathétique : mais comme je n’en ai pas retenu un ſeul mot, je ne peux, mon cher lecteur, t’en faire part ; d’ailleurs je te crois aſſez de goût pour préférer les petites avantures d’une jeune fille qui f..t, aux ſermons d’une grand’mere qui prêche.
Au fait ; me voilà à Libourne ; cette petite ville à quatre lieues de Bordeaux, étoit devenue l’aſyle des plaiſirs depuis que le parlement y étoit exilé. Mon bon négociant étoit plus occupé de vendre ſon ſucre & ſon café que de veiller ſur ma conduite & ſur celle de ſa fille. Sa femme, comme je l’ai dit, étoit vieille, aveugle & dévote, ainſi nous avions liberté toute entiere, & nous en profitions bien.
Mon inexpérience avoit beſoin d’un guide ; Zélie, brune piquante, plus formée que je ne l’étois, de taille à braver vingt ſatyres & de force à les terraſſer, partagea ſes plaiſirs avec moi ; je ne lui diſſimulai rien, c’eût été vainement. La nature m’a donnée le talent heureux de maſquer mes jouiſſances, elle m’a refuſé celui de cacher mes déſirs ; un mal-aiſe involontaire ſe fait alors ſentir, mes joues ſe colorent, mes yeux ont une langueur mêlée de feu : mon amie auroit donc deviné mes beſoins irréſiſtibles ; d’ailleurs une fille de dix-huit ans ne ſait-elle pas ce qu’il faut à celle de quinze ? Elle me fit connoître un grand garçon d’une belle figure, jeune, nerveux, & dont l’aimable enſemble inſpiroit la gaieté, nous fûmes bientôt arrangés.
Les exemples de la capitale ont fait bien des proſélytes dans les provinces : dieux ! comme on s’y moque des mamans ! Celle de Zélie auroit juré ſur ſon pſautier que ſa fille étoit une veſtale, hé-bien, c’étoit à côté d’elle, ſéparée par une ſimple cloiſon que nous faiſions partie quarrée ; mon tempéramment aſſez décidé par mes eſſais de campagne, n’attendoit pour ſe développer qu’un profeſſeur robuſte, le hazard me l’avoit fourni. Tandis que Zélie f...oit ſur ſon lit à deux pas de moi, avec une ardeur égale à ſes moyens, j’étois livrée ſur un ſopha voiſin, aux careſſes redoublées d’un amant plus chaud que le ſien ; careſſes qui, toutes délicieuſes qu’elles étoient, excédoient mes forces ; je n’étois pas encore totalement formée ; mon f...eur dont le v.t ſuperbe auroit triomphé des femmes de la cour, voyant que je me piquois au jeu, & que je ne voulois pas paroître inférieure à Zélie, m’attaquoit par des coups ſi poignans, & me ménageoit ſi peu, parce qu’il ſentoit avec quelle luxure je me prêtois, que mes lévres deſſéchées par ſes ardens baiſers, & mes efforts ne pouvoient prononcer un mot néceſſaire… de grâce, cher ami, arrête un inſtant… beaucoup mieux traitée que par mon villageois, plus éclairée ſur les détails du joli métier auquel je me conſacrois, mon brave inſtituteur ne connoiſſoit d’autre maniere de chanter mes louanges, qu’en me mettant dans le cas d’en mériter de nouvelles. Ainſi, ſe paſſoient des nuits rapides pour des gens qui les employoient ſi bien ; à peine repoſée d’un coup qui m’avoit fatiguée, mon amant qui b...doit comme douze carmes, m’en offroit un ſecond, puis un troiſième, puis un autre : & moi, la complaiſance même, ne voulant pas paſſer pour un enfant, & déſirant montrer à Zélie
Qu’aux âmes fortunées
La vigueur n’attend pas le nombre des années.
je ſuccombois plutôt que de céder.
Malgré mes excès amoureux, il n’y
a pas long-temps que je ſuis maîtreſſe
de moi, & que je demande quartier
par le mot, aſſez. Dans mes premières
années de ſervice, il m’eût été
impoſſible de le prononcer.
Pendant un été toutes nos nuits furent conſacrées à ce joli jeu, mais plus je recevois, plus je voulois théſauriſer.
Il falloit battre la retraite aux premiers traits de l’aurore ; mon amant & celui de Zélie, qui étoient freres, ſe retiroient conduits par une ſoubrette intelligente, qui les introduiſoit avec le même myſtere. On ſe doute bien que j’avois le cadet ; vingt ans, vingt degrés de force étoient ſon partage ; s’il étoit invincible, je reſtois invaincue ; après nos ébats ſi répétés, nous nous jettions, ma camarade & moi, dans les bras de Morphée, qui nous couvroit des pavots de la volupté. Heureuſe jeuneſſe ! à notre lever nous étions fraîches comme la roſée du matin, éclatantes de ſanté & prêtes à recommencer ; cela eſt ſi vrai que malgré mes travaux nocturnes, je ſentois un vuide pendant le jour ; j’étois une petite pelotte de graiſſe, & je craignois de maigrir faute d’un aliment ſi néceſſaire ; car les dieux m’ont accordé un rare privilège ; plus j’ai ſacrifié à l’amour, ou, ſans périphraſe, à mes plaiſirs, plus ma ſanté eſt devenue robuſte, & plus mon corps a pris de développement.
Contentes de nos amans, nous vivions, Zélie & moi, dans l’union la plus parfaite ; jamais le moindre nuage de jalouſie ne vint obſcurcir nos beaux jours ; j’étois cependant mieux ſervie que ma fidelle amie ; mon amant avoit cinq ans de moins que ſon frère, &, dans les champs de l’amour, il n’en eſt pas comme dans les champs de mars, il faut, pour triompher, vieux guerriers, jeunes f...eurs ; mais je faiſois regagner à Zélie par ma complaiſance ce que ſon amant pouvoit perdre en vigueur ſur le mien. J’avois une croupe ſuperbe ; le cul de Manon, ſi bien chanté par Darnaud, eût rougi devant le mien. Belcourt (c’étoit le nom du f...eur de Zélie), en étoit fou, mais nous ne nous permettions aucune infidélité : cependant par complaiſance pour mon amie, lorſque Belcourt, après avoir rompu quelques lances, commençoit à plier, je me couchois à plat ventre ſur le lit de Zélie, qui poſoit ſa tête entre mes deux jambes, & ſe faiſoit le plus joli turban turc de mes deux feſſes découvertes juſqu’aux reins : cette vue ranimoit auſſi-tôt le brandon de Belcourt qui menaçoit de s’éteindre, & je ſauvois ainſi à la voluptueuſe & brûlante Zélie la honte d’être ratée.
Juſqu’ici je n’avois eu que deux amans, l’un agricole, l’autre bourgeois : une douce philoſophie m’engageoit à parcourir tous les rangs de la ſociété. Un jeune robin m’apperçut à la promenade publique ; mon agréable ſénateur trouva ſans doute ma tournure plus arrondie que les in-folio ſecs ſur leſquels il feignoit de s’appeſantir ; il lui prit fantaiſie de me feuilleter ; il me donna la préférence, il aimoit mieux le fait que le droit.
Je me promenois avec Zélie, lorſqu’il ſaiſit l’inſtant où je marchandois un œillet, pour m’offrir un faiſceau de fleurs que la bouquetiere diſoit être deſtiné à une préſidente. Ma vanité fut flattée d’enlever ce bouquet à la dame au mortier, & je fus ſenſible à ſa galanterie ; le bouquet & l’aſſurance de ſes ſentimens, dont il me dit un mot, me décidèrent en ſa faveur. Je pouvois être obſervée ; il falloit le quitter malgré moi ; le rendez-vous fut pris pour le lendemain au même lieu, & je rentrai chez mon amie plus allumée que jamais, me préparer à de nouveaux aſſauts, en faiſant bonne contenance contre mon aſſaillant ordinaire.
Le jour ſuivant je trouvois mon bel inconnu qui m’attendoit ; il me pria par ſix lignes qu’il me donna avec une orange, de le précéder hors de la ville : Zélie toujours complaiſante, m’y ſuivit ; celui que je nommerai Monroſe ne s’y fit pas attendre ; il me déclara ſon amour ; il vit dans mes yeux ſon ſuccès, & me pria de me rendre ſur le ſoir au même endroit. Avec quelle impatience j’attendis que notre planette eut fait ſa révolution diurne, & le moment délicieux où je devois ſentir les effets des offres du galant magiſtrat.
Zélie qui avoit des ménagemens à garder, me laiſſa ſeule courir les riſques de l’entrepriſe ; & aſſurée que mon joli fémur étoit un bouclier contre lequel tout preux chevalier devoit rompre ſa lance, elle me ſouhaita bon voyage. J’arrivai ; Monroſe étoit en habit de bonne fortune, il en paroiſſoit cent fois plus aimable : peins-toi, cher lecteur, un garçon de vingt-quatre ans, bien deſſiné, taille avantageuſe, belles jambes, nez aquilin, marchant avec nobleſſe, parlant en termes trop recherchés pour moi, qui cependant feignois de les entendre, en un mot reſſemblant moins à un robin qu’à un jeune officier de dragons.
Que je ſuis heureux, me dit-il, charmant enfant, car j’ignore votre nom, vous cédez à mes déſirs… — Mon nom, monſieur, eſt Adeline, & l’envie de répondre à votre honnêteté, a décidé ma démarche : que me voulez-vous ? — Je veux vous adorer toute ma vie, & vous donner des preuves du plus violent amour ; faites-moi la grâce d’entrer dans un pavillon que j’ai à deux pas d’ici, où je n’ai jamais reçu d’auſſi jolie perſonne que vous.
Je ne me fis point prier ; j’avois tout prévu ; j’arrive, & je trouve un ſalon bien éclairé, ſuivi d’un boudoir qui me ſembla délicieux. Ce ſpectacle étoit nouveau pour moi ; ſon élégante ſimplicité me parut d’un luxe très-recherché ; le goût y régnoit plus que la magnificence, & rien de ce qui eſt commode, n’y étoit épargné. Adeline ne ſe trouvoit plus réduite à ſes fagots ; elle ne voyoit plus même qu’avec mépris le ſopha de Zélie. Elle alloit s’exercer ſur un charmant lit à la turque, & voir ſes petites ſingeries répétées dans les glaces qui l’environnoient. Le preſſant Monroſe ne perdit pas un temps précieux ; il me prit dans ſes bras, & me porta ſans peine ſur le lit deſtiné à nos ébats amoureux. Un baiſer laſcif, une main libertine qui parcouroit mes tetons, une autre qui ſaiſit mon joli c..in, me firent perdre connoiſſance ; mes genoux fléchirent, ma voix s’éteignit. J’étois abſorbée, cependant je brûlois de mille feux ; il me plaça commodément, il coupa tout ce qui s’oppoſoit à ſon ardeur : & dans ſix ſecondes, il étoit dans mes bras, dans tout moi. C’eſt aller aſſez vîte en beſogne : mais où la facilité eſt ſans meſure, la délicateſſe n’eſt-elle pas ſuperflue ?
Déjà je ſentois les coups de cet athlète aimable, déjà j’avois ſecondé ſes efforts par des mouvemens rapides, lorſque j’éprouvai une ſorte de fureur qui juſques-là m’étoit inconnue. Je tournai la tête par haſard, & vis dans la glace du fond nos corps entrelacés & le méchaniſme du grand œuvre. Ce coup-d’œil porta dans mes ſens une nouvelle flamme ; je ſerrai fortement Monroſe, j’enveloppai ſes reins de mes jambes croiſées, je paſſai mes bras autour de ſon cou, je me ſoulevai avec une vivacité continue, & l’excitant à ne plus retenir la liqueur brûlante qu’il ménageoit pour prolonger ma jouiſſance, je ſentis ce beaume délicieux porter, par un contraſte inoui, le feu dans toutes les parties de mon c.n, & y faire ſuccéder une
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J’enveloppai ses reins de mes jambes croisées, je passai mes bras autour de son cou, et mes mouvemens furent si précipités… |
fraîcheur bienfaiſante. Mon ami redoubla
ſans quitter priſe ; une volupté plus
artiſtement offerte m’engagea à ce que
je n’avois pas encore fait avec mes
deux premiers maîtres : je dé....geai
huit fois, aurois-je pu me retenir,
f...ue par le charmant Monroſe ? Il
me provoquoit par des attouchemens
nouveaux pour moi ; ſa langue amoureuſe
chatouilloit la mienne, pour y
exciter des ſenſations délicates ; ſon
v.t avoit la fermeté & la blancheur
de l’ivoire ; ſes c....lles étoient telles
que les peint Piron, en bloc arrondies
& toujours intariſſables ; ſon
libertinage rafiné me promettoit des
leçons variées, ſi j’avois pu faire
un cours plus ſuivi ſous ce docteur,
qui ne ſe plaignoit que d’un défaut
aſſez rare : il ſe trouvoit gêné dans
mon c.n, ſans doute les dames de
qualité le mettoient plus à ſon aiſe.
Quoi qu’il en ſoit, j’ai toujours aimé,
en bonne connoiſſeuſe, des piſtolets
à la Monroſe, dont la proportion ſe
trouve analogue à mes formes ; je
laiſſe Dugazon jouir, avec Aſtleys,
d’un v.t de dix ou douze pouces ;
je n’en veux point, & je ne diſputerai
jamais le braquemart de l’âne
de la Pucelle. J’ai vu de ces monſtres,
je les ai reſpectés ; j’en ai donné le
bénéfice à qui l’a voulu : & malgré
l’uſage des plaiſirs & mes vingt-huit
ans, je mérite encore par cette prudence
les complimens de mes f...eurs.
SECONDE PARTIE
Mes infidélités & l’enlèvement de ma toiſon, me font perdre un riche entreteneur.
Je continuai mes viſites au pavillon
de Monroſe, pendant huit jours ;
quoique nous fuſſions unis comme
le lière à l’ormeau, il fallut ſe ſéparer.
Si j’étois reſtée à Libourne,
je l’aurois quitté plus tard, ou je
l’aurois gardé en troiſieme, comme
je l’avois en ſecond, car je ſentois
qu’il m’étoit néceſſaire de faire de
nouvelles découvertes ; je n’étois
point embaraſſée de conduire une
intrigue, le jour m’offroit place pour
deux encore : il avoit le ſoir, on
ſait à qui mes nuits appartenoient ;
j’étois donc veuve le matin & même
preſque toute l’après-midi ; on gémira
ſûrement pour moi de cette
cruelle privation.
Je nageois ainſi dans une mer de volupté, lorſqu’un événement ſiniſtre m’enleva à mes amans ; un exprès vint m’annoncer que ma bonne maman venoit d’avoir une attaque d’apopléxie, & que ſi je voulois recevoir ſes derniers adieux, je n’avois pas un moment à perdre.
La nature ne perd jamais ſes droits ſur les cœurs même les plus corrompus ; j’adorois ma bonne maman, je ne perdis pas un inſtant pour voler auprès d’elle ; j’arrivai aſſez à tems pour recevoir ſa bénédiction & ſon dernier ſoupir.
Mon intention étant d’amuſer mon lecteur, & non pas de l’intéreſſer, je lui ferai grâce de cette triſte ſcène & de ſes ſuites. J’avois ſeize ans ; J’étois charmante, maîtreſſe abſolue de ma perſonne, mais ſans fortune, & ſans moyens honnêtes pour ſubſiſter ; je ſavois très-bien me parer, mais j’ignorois même l’art de faire mes parures.
A une demi-lieue de notre habitation, demeuroit un ancien militaire, homme de quarante-cinq ans, retiré du ſervice, avec la croix ; il jouiſſoit d’une fortune conſidérable, qu’il mangeoit, partie dans la terre ſuperbe qu’il habitoit l’été, partie à Bordeaux où il paſſoit tous les hivers. C’étoit un homme de plaiſir qui n’avoit jamais voulu ſe marier pour être ſon maître abſolu ; il m’avoit entre-vue à la dérobée, & il ſe promettoit de me cueillir dès qu’il me croiroit mûre : il apprit la mort de ma bonne maman & l’embarras où je me trouvois. Comme il ne vouloit pas ſe compromettre avec mon curé qui étoit le ſien, & la langue la plus méchante qui exiſtât, il me dépêcha, en cachette, une femme-de-charge adroite, qui lui ſervoit ſans doute à de pareils meſſages ; cette bonne dame vint me porter de ſa part des conſolations, m’offrir des ſecours, & ſonder le terrein, elle étoit connoiſſeuſe ; elle vit bien qu’elle avoit affaire à une jeune fille ſans expérience, mais non pas à une pucelle. Cette découverte la mit à ſon aiſe ; elle me propoſa tout uniment d’être la maîtreſſe de M. Belval, qui me donneroit une maiſon toute montée à Bordeaux, & vingt louis par mois pour mes menus plaiſirs ; je fus enchantée de cette honnête propoſition ; comme elle avoit tout pouvoir, nos conditions furent bientôt ſignées, & nous convînmes que ſi-tôt que j’aurois mis ordre aux petites affaires de maman, je me rendrois à Bordeaux chez M. Belval, qui alloit m’y devancer ; elle me remit de ſa part cent louis d’avance ; en deux jours de temps, j’arrangeai toutes mes affaires, & je renouvellai le bail de mon fermier.
Je partis pour Bordeaux, & je deſcendis à une maiſon ſuperbe que Belval y occupoit ſur les allées de Tourny, où il m’avoit fait préparer un appartement délicieux.
Je trouvai donc un entreteneur à qui j’aurois dû pardonner d’être plus âgé que moi, puiſqu’il m’aimoit ſincérement, & qu’il fût le ſeul de tous les hommes que j’ai connu qui m’ait juré une paſſion ſolide, & qui ſe ſoit attaché à moi pour moi-même : malheureux ! il méritoit un meilleur traitement.
J’étois partie de mon village avec une dignité qui en impoſoit à ſes ſtupides habitans ; je portai l’orgueil juſqu’à ne pas faire mes adieux à cette cave chérie qui avoit reçu ma première offrande à l’amour ; je ne vis pas même celui qui m’avoit ouvert la carrière des plaiſirs ; je fus quelques jours enivrée de ma gloire ; je ne m’occupai que de ma toilette, de mes projets de curioſité libertine, & des moyens de tromper celui qui faiſoit tout pour moi ; j’eus peu de peine à le ſubjuguer ; rien de ſi aiſé que de régner ſur un cœur qui ſe livre de bonne foi : c’eſt pourquoi ſi j’ai trouvé de la gloire à me moquer de tous mes amans, lorſqu’ils ſe croyoient plus fins que moi, je ſentois un léger ſcrupule d’attriſter Belval, mais mon penchant invincible m’entraînoit ; de plus, n’eſt-il pas d’uſage que celui qui comble de biens une femme galante, doit être ſa dupe ?
Me Voilà donc entrée dans la lice ſi long-tems déſirée ; j’ai une garde-robe, des bijoux, je jouis d’une aiſance & d’une ſorte de conſidération neuve pour moi : cet ami me traitoit avec égard ; il étoit careſſant, aſſez bien conſervé, & me donnoit des nuits meilleures que je ne l’avois ſoupçonné : il cherchoit à me mettre de toutes les parties d’amuſement ; elles me flattoient en ſa préſence, elles me raviſſoient en ſon abſence. Voyant qu’il étoit déterminé à m’aimer trop ſérieuſement, je le laiſſai faire, & comme j’avois beaucoup de liberté, j’en profitai deux jours après ma priſe de poſſeſſion.
Toujours fidelle à mes principes, Long-champ, jeune homme que je n’avois qu’entre-vu, & qui devoit partir ſous peu, me pria de lui donner quelques paſſades, ou plutôt je l’engageai de tenter l’aventure : une autre femme ne s’y fût pas prêtée, parce que cette intrigue étoit de nature à me jetter dans les plus grands dangers : hé-bien, ce motif au contraire me décida ; je trouvai que débuter dans le monde par un coup auſſi hardi, me feroit une éclatante réputation, & que mes plaiſirs avec Long-champ devant-être éphémères, je pourrois ſous peu m’arranger avec un autre ; ce fut alors que voulant ménager, & monter par degré au comble de la témérité dont tu verras des traits, j’oſai me le faire mettre, par cet étourdi, derrière le paravent du ſalon où Belval méditoit ; il fut cocu & content ; car après ma gentilleſſe, je lui ſautai au cou, & l’engageai à éteindre l’incendie qui venoit d’être allumé, volupté dont la dupe me tint compte, & dont je fis mon profit, car en bonne arithmétique, deux valent mieux qu’un. Ce que je raconte ici prouve bien que les amans, comme les maris, doivent ſe méfier des careſſes affectées de leurs maîtreſſes. Les hommes le ſavent : cependant, je n’ai jamais manqué de les prendre dans ce piège uſé, qui devient toujours neuf, & dangereux dans mes mains ; je crois que nulle femme n’a porté plus loin que moi ce patelinage ſéduiſant qui captive le cœur & les ſens.
Après Paris, il n’eſt point de ville où le ſpectacle ſoit plus brillant & plus fréquenté qu’à Bordeaux, je les ſuivois tous ; le théâtre eſt pour une femme ardente d’une reſſource ſinguliere ; c’eſt là qu’elle jette le mouchoir ou le reçoit ; là les lumieres augmentent ſa beauté, la parure lui donne de l’éclat, ſes yeux ſe promènent ſur un ſérail maſculin ; les ariettes amoureuſes échauffent l’imagination ; les ballets, ſouvent très-libertins, excitent les déſirs par une pantomime laſcive ; tout y reſpire la licence, & une courtiſane ſe dit avec orgueil ; je puis choiſir celui qui me plaira le mieux, depuis le ſeigneur couché négligemment au balcon, juſqu’au coëffeur perché dans les quatriemes loges ; depuis l’hiſtrion qui joue les rois, juſqu’à ſon humble confident.
Je me ſuis rarement préſentée à un ſpectacle dans le deſſein d’y ſuivre la pièce, & ſi je l’avois voulu, je n’aurois pu le faire ; ce n’eſt pas par ton que je fais cet aveu, mais l’attention ou le beſoin de m’inſtruire n’ont jamais eu d’empire ſur mon cœur : tu ſais que, ſelon le chevalier de Bouflers, ce mot n’eſt qu’un ſynonyme honnête : j’ai toujours ignoré, en faiſant ouvrir ma loge, ſi je ne ſerois pas un quart-d’heure après, conquérante ou conquiſe ; je n’ai connu qu’un embarras, non celui de refuſer, mais de ſatisfaire tous les prétendans en mes faveurs ; en effet, il n’eſt pas facile d’arranger cinq ou six inſurgens qui offrent en une ſoirée leurs joyeux ſervices : refuſer net me paroît impoſſible ; que deviendroient la politeſſe, l’urbanité qui engagent à ne pas refuſer ce qui peut convenir, ſur-tout quand le marché eſt amuſant. Je mérite bien l’application de ce vers d’une tragédie de ſociété :
Pour vous f..tre, il ne faut que vous le demander.
Un ſoir à l’Ami de la Maiſon, je réſolus d’en introduire un de plus dans la mienne. Luberſac, jeune officier, ſe trouva près de moi ; ſans doute, mes regards lui firent beau-jeu ; il me débita de ces lieux communs qui paroiſſent toujours vrais à une femme, quoiqu’elle les ſache par cœur ; il me loua beaucoup, & avec adreſſe ; ce moyen eſt puiſſant ; il immole chaque nuit mille vierges ſur les autels de la volupté : il me peignit ſa paſſion naiſſante & rapide ; aſſurément c’étoit ſon vrai caractère : il me voyoit depuis ſix minutes, & craignant qu’on ne baiſſât la toile, il ſe hâta de ſe prendre dans mes filets, & me demanda la permiſſion de me faire ſa cour ; cette phraſe antique s’entend de reſte : comme ceci étoit une aventure de ſpectacle, je jugeai à propos de faire un coup de théâtre ; je lui dis avec la fermeté d’une femme de diſtinction, de venir à mon hôtel, ſans uniforme, de ſe faire annoncer à ma femme-de-chambre ; & que je me chargeois du reſte.
Luberſac rit beaucoup, ſans doute, de la rapidité de ſa conquête, & cette facilité en eût peut-être diminué le prix s’il avoit eu plus de vingt-quatre heures à me donner : quoi qu’il en ſoit, il fut exact au rendez-vous ; ma ſoubrette le renferma dans ſa chambre, où je paſſai avec lui tout le tems que je pus voler au pauvre Belval, qui fut traité comme après l’aventure du paravent, c’eſt-à-dire, qu’afin de détourner ſes ſoupçons ſur mes abſences, je le comblai de feintes careſſes, & le plongeai dans une mer de volupté, ce qui me coûtoit d’autant moins, que lorſqu’il me le mettoit, ou je ſortois des bras de Luberſac, ou j’allois y retourner ; dans ces deux cas l’imagination y étoit allumée, & mon lord pot-au-feu, qui croyoit devoir répondre à mes prévenances ; me procuroit des plaiſirs qui, s’ils n’étoient pas très-vifs, pouvoient au moins faire nombre.
Dès que je fus informée que mon jeune Céſar étoit entré, je ne le laiſſai pas morfondre ; j’étois légère, quoique graſſette : je monte quatre à quatre, j’ouvre, & me voilà enlevée par mon joli priſonnier.
Certain d’être dans la plus grande liberté, aſſez connoiſſeur pour ſavoir qu’il falloit agir, & non pérorer, il me preſſe amoureuſement dans ſes bras ; & me prie de ne le pas faire mourir d’impatience ; la mienne étoit égale : pouvois-je le faire déſirer long-tems ? Faute d’autre meuble ; il me renverſa ſur le lit de Roſette, après avoir jetté une lévite qui l’embarraſſoit, & me fit voir une lance en arrêt, qui eût fait peur à une combattante moins aguérie que moi. Me trouvant bien placée, la gorge découverte, les jambes, écartées, toute auſſi nue que je pouvois l’être, Luberſac animé par un ſourire expreſſif, ſe précipita à mes genoux, & dévorant des yeux l’autel où il alloit s’immoler, il y imprima mille baiſers qui me cauſerent un ébranlement dans tout le genre nerveux qui l’auroit inquiété, ſi ſa langue adroitement alongée n’eût chatouillé mon clitoris & porté l’ivreſſe de mon âme au dernier période. Jugeant alors que j’étois aſſez émue pour me donner les plaiſirs les plus vifs, il ſe leva rapidement, & me le mit avec toute l’ardeur d’une premiere jouiſſance ; mes pieds appuyés contre le mur qui formoit la ruelle, me prêtoient une force ſupérieure. Plus il me ſerroit de près, plus je le lui rendois ; l’action & la réaction parfaitement égales produiſoient une puiſſance méchanique d’un mouvement très-exact ; mais ce bel ordre dura peu ; je ſuis trop ardente, quand je jouis pour la premiere fois, pour garder une poſition ferme : bientôt je fus inondée d’un torrent de plaiſirs, & je ne me ſentis plus pour trop ſentir.
Le vigoureux Luberſac ſe trouva ſi glorieux de ſon triomphe, ſi enchanté de ma voluptueuſe élaſticité, qu’il ſe trouva encore en état de m’engager à un autre aſſaut. Nous avions employé au premier, vingt minutes qui avoient paſſé comme vingt ſecondes ; je voulois deſcendre pour éviter les ſoupçons ; mais mon ardeur qui n’étoit que plus vive après les premieres libations, & l’état radieux de Luberſac, vainquirent mon inquiétude.
J’étois relevée & à-peu-prés remiſe en ordre, lorſque mon amant me dit : — Non, adorable Adeline, je ne puis vous quitter encore ; la maniere trop commune que nous avons employée, vous auroit-elle déplu ? Eſſayons-en une autre pour varier nos attitudes & nos plaiſirs : peut-être ne connoiſſez-vous pas la reſſource d’une chaiſe ? Les dames de ma garniſon s’en ſervent avec ſuccès. Elles y trouvent en même-temps poſition avantageuſe, promptitude à la quitter, & diſcrétion ; car tout autre meuble eſt ſouvent un témoin qui dépoſe fortement, quoique muet.
Une chaiſe m’écriai-je, ah ! la bonne folie… mais on doit être très-mal… ; Je ne crois pas la choſe commode ; voyons à tout haſard ; j’y conſens, puiſque vous le voulez : & je me jette ſur une chaiſe à doſſier un peu relevé…… Pardon, divine Adeline, me dit mon officier, ce n’eſt pas cela ; permettez : je me leve, il retourne la chaiſe, en appuie le dos, en le renverſant contre la muraille, avançant la partie baſſe d’environ deux pieds, ce qui forma un talus point trop rapide. Il me pria de me mettre ſur le dos de cette chaiſe couchée : toujours complaiſante, je m’ajuſte de mon mieux ; il ſépare mes cuiſſes & m’enc..ne vigoureuſement. Les premieres ſecouſſes me firent un plaiſir inoui ; mes jambes enveloppoient ſes reins comme deux ſerpentaux : il avoit une main ſur ma gorge, & l’autre ſous mes feſſes qu’il careſſoit. Je trouvai la poſition délicieuſe ; la fermeté du point d’appui, l’élaſticité que j’en empruntois, la force impulſive que mon amant employoit, n’ayant pas la reſpiration gênée, ainſi que l’a ſouvent l’homme couché ſur un lit, lorſque la femme amoureuſe le ſerre trop étroitement dans ſes bras, tout concourut à doubler les ſenſations que j’avois éprouvées au premier coup, & me firent perdre l’uſage de la parole. Mon amant & moi finîmes enſemble ; nous fûmes inondés par nos mutuelles libations, qui diſparurent bientôt par les ſoins de l’officieuſe Roſette.
Luberſac avoit beſoin de reſtaurans ; je le laiſſai avec Roſette qui lui ſervit un déjeûner analogue à la circonſtance. Elle étoit jeune & jolie : la ſcène dont elle venoit d’être le témoin paſſif, devoit la mettre en bonne diſpoſition, & je ne doute pas que mon galant militaire ne ſe ſoit conſolé avec elle de mon abſence. J’ai eu plus d’une fois des ſoubrettes qui m’ont eſcamoté des paſſades ; mais qu’y faire ? il faut que tout le monde s’amuſe.
Cet avant-déjeûner m’avoit bien fait mériter le mien ; mais toujours ſoumiſe à l’occaſion, il falloit le gagner encore. Deſcendue dans ma chambre, je trouvai Belval dans un moment de gaîté ; je lui demandai, en riant moi-même, quel en étoit le ſujet : je viens de lire, me dit-il, dans cette brochure nouvelle, une aſſez plaiſante aventure.
L’héroïne, introduite dans une abbaye de Bernardins, pour les plaiſirs de dom prieur, trouve moyen de le cocufier avec un jeune novice ; la ſcène ſe paſſe dans un dortoir, point de meuble commode, une chaiſe ſe préſente ; le moinillon qui vaut mieux que dom Frapart, cloue ſi fortement la petite friande, que la maudite chaiſe ſe briſe. Le couple amoureux tombe avec fracas, le bruit attire les cénobites qui ſortent de leurs loges ; tu peux juger du reſte, ma chere Adeline… A ces mots, je pars d’un éclat de rire ; & vîte, mon ami, lui dis-je, eſſayons-en, caſſons une chaiſe. — Volontiers ; ce n’eſt pas la premiere fois que je m’en ſuis ſervi. Mais toi, tu ne connois pas cette plaiſanterie. — Moi, point du tout ; eſt-ce que je me suis trouvée réduite à cette néceſſité ? Mais, pour t’amuſer, rien ne me coûte. Alors je joue l’Agnès ; je me place ſur la chaiſe avec mal-adreſſe, & me voilà corrigée par Belval qui m’arrange lui-même. Excitée par le ſouvenir du premier acte, & cependant occupée de l’objet préſent, je m’agitai de maniere à rompre une chaiſe de fer : celle-ci ſans doute étoit enchantée ; elle réſiſta.
Belval ; qui étoit un profeſſeur émérite, me fit lever les jambes & les fixa ſur ſes épaules ; alors pouſſant ſon v.. avec roideur, il me fit ſentir de nouveau que, dans cette attitude, tout s’emploie ſans perte. Il appelloit cette élévation maniere chinoiſe : il prétendoit avoir eu dans ſes voyages une femme de Canton, qui la lui avoit appriſe, comme en vogue dans ſon pays. J’avoue que je trouvai cette méthode excellente, & qu’elle me donna un appétit dévorant que je m’empreſſai de calmer, en déjeûnant auſſi, comme on le faiſoit à l’étage ſupérieur. Peut-être m’y copia-t-on ; car lorſque j’y remontai, je trouvai Roſette un peu en déſordre, & je me rappellai ces deux vers :
Eh ! combien en eſt-il ? non pas un, mais cinquante,
Qui foutent la maîtreſſe, enſuite la ſervante.
J’avois encore un autre travailleur de ſemaine, qui m’attendoit au rez-de-chauſſée dans une ſalle à manger ; & je lui devois une éclipſe. Je fus l’y joindre au moment convenu, en ſorte que tout marchoit bien, & que mes trois f...eurs me croyoient dans le plus grand beſoin de leurs careſſes, & me les prodiguoient.
Je ſavois que j’étois maîtreſſe de conſerver Ducaſtel (c’eſt celui de la ſalle à manger) ; il falloit donc tirer parti de mon étranger. En quatre minutes je mis Ducaſtel ſur le côté, & je volai retrouver Luberſac. Dès qu’il me vit entrer, il ſe plaignit de mon abſence ; je ſouris. Il me demande pourquoi : au lieu de le conſoler, je ne daignois pas partager ſes peines : c’eſt, lui répondis-je, parce que je crois que vous vous en êtes ſuffiſamment diſtrait pendant mon abandon forcé ; on pelote, en attendant partie. — Quoi ! vous me faites l’injuſtice, belle Adeline, de penſer que… (en regardant Roſette qui baiſſoit les yeux.) Mais j’ai la preuve… — Qui ne prouve rien… Au reſte, je ſuis bonne princeſſe, & je n’ai pas le temps de vous gronder. Je viens vous donner une heure, voilà une bien longue pénitence, n’eſt-ce pas ; alors ceſſant de faire l’enfant, il détache avec adreſſe un fichu importun, & me prie de ſi bonne grâce de faire diſparoître mes jupes que dans l’inſtant Roſette fit de moi la religieuſe en chemiſe[ws 1]. Ah ! chere Adeline, s’écria-t-il, dans le tranſport de la volupté, que ne puis-je m’attacher à vous ! le jour que vous m’accordez eſt le plus heureux de ma vie, mais il aura la rapidité d’un éclair ; les jouiſſances que vous me procurez ſont trop délicieuſes pour un mortel ordinaire ; après les avoir ſavourées, il ne me reſtera plus qu’à mourir…… Quelle gorge ! en y imprimant mille baiſers : quel bouton de roſe ! en le preſſant entre ſes lèvres brûlantes ; puis relevant tout ce qui s’oppoſe à ſa vue, ſa bouche amoureuſe, ſa langue libertine, rendent hommage à toutes les parties de mon corps.
Les préliminaires ſont charmans, mais quand ils ſont trop longs à régler, en amour comme ailleurs, ils éloignent la concluſion du traité ; un petit mouvement d’impatience lui annonça que je ne voulois pas ſeulement être amuſée par des bagatelles ; peut-être avoit-il ſes raiſons pour temporiſer : Luberſac, voulant me prouver qu’il étoit digne de me combattre, me dit : Voluptueuſe Adeline, ſerions-nous réduits à une monotonie fatigante ? plus de bord de lit, plus de chaiſe ; daignez, puiſque vous êtes à votre aiſe, vous prêter à une façon nouvelle. — Je le veux bien, que faut-il faire ? — Le plaiſir vous l’apprendra. Alors il ſe coucha ſur le dos, dans toute la longueur du lit, & m’attira doucement ſur lui ; dès que j’y fus, il plaça avec adreſſe ſon v.t, droit comme un pieu, dans mon c.n, qui ſe trouvoit exactement au-deſſus de lui, & le fit entrer juſqu’à la garde par trois légers mouvemens ; à peine eus-je goûté cette jolie maniere, que je le couvris de mon corps, & que je m’agitai comme ſi j’avois eu l’expérience de la choſe. Mon amant qui faiſoit mon rôle & moi le ſien, ſoutenoit mes tetons dans ſes mains ; quoique très-fermes, dans cette poſition ils peuvent perdre de leur forme ; il me rendoit les coups que je lui portois avec une vîteſſe égale à la mienne, ce nouveau genre de combat me fit évanouir huit fois de ſuite ; ne pouvant plus y tenir, je tombois ſans mouvement ſur ſon ſein ; il quittoit alors ma gorge, & paſſant ſa main ſur mes feſſes, il me ſerroit tendrement, en m’accablant de careſſes : ou je ne m’y connois pas, ou c’eſt bien ainſi que deux corps n’en font qu’un.
Je trouvai cette leçon expérimentale ſi bonne, que nous la recommençâmes trois fois pour ne pas l’oublier.
Hélas ! pourquoi nos jouiſſances ſont-elles bornées par la néceſſité du repos ; il fallut reprendre des habits dont il eſt ſi joli de ſe paſſer, quand on veut, d’après mes principes d’économie, tirer le meilleur parti d’un jeune homme vif & vigoureux.
Ma parure rajuſtée par Roſette & par mon amant, non ſans couvrir de baiſers reconnoiſſans toutes les parties qu’il ſembloit cacher avec peine, je le laiſſai dans cette langueur délicieuſe dont les véritables amans ſavent encore jouir, & que le bon Jean-Jacques ſçut ſi bien définir[1]. Je lui donnai pour l’amuſer le théâtre gaillard, bien aſſurée que la lecture de Meſſaline, de Vaſta, & de la comteſſe d’Olonne, &c. tourneroient à mon profit : j’ordonnai à ma ſeconde de porter à dîner au pauvre incarcéré ; J’avois eu ſoin de faire monter du Bourgogne & de l’huile de girofle de la veuve Amphoux, qui a des qualités ſi connues des ſectateurs de Vénus.
Il fallut ainſi me mettre à table : tu te perſuade que j’y officiai bien après ma douce matinée, ayant paſſé ſous trois amateurs, & peut-être ſacrifié pour ma part plus de vingt fois dans cinq attaques : il fallut un peu de relâche pour mieux recommencer, car ma curioſité n’étoit pas encore ſatisfaite ; j’eſpérois, que mon jeune lieutenant m’offriroit encore quelque nouveauté avant de partir.
Un ami vint propoſer une partie de promenade à Belval, & je reſtai maîtreſſe chez moi ; j’allois vîte trouver mon charmant voyageur, à qui j’étois bien réſolue de ne laiſſer aſſez de force que pour ſortir de chez moi, lorſque le petit Ducaſtel m’arrêta au paſſage : ſa préſence qui m’eût été très-agréable dans un autre moment, me déſeſpéra ; je ne pus m’empêcher de lui faire ſentir ſon importunité ; je le boudai, je le grondai, mon petit provincial ne quittoit pas priſe ; il m’excédoit, Voilà les femmes, diſoit-il. Le pauvre diable ne pouvoit concevoir mon caprice ; je changeai de batterie, de peur qu’il ne lui ſoupçonnât une cauſe étrangère : je m’adoucis & lui dit qu’une violente migraine avoit fait naître mon humeur, qu’elle diminuoit un peu, & que j’étois toujours ſenſible à ſon aſſiduité. — Si cela eſt, chère amie, vous ſavez avec quelle diſtraction vous m’avez traité ce matin, ſans doute vous commenciez à ſouffrir, je ne m’en ſuis cependant pas apperçu ; vous pourriez dans cet inſtant heureux, où vous êtes libre, me dédommager des privations auxquelles vous m’avez réduit. Après cette invitation à laquelle je n’avois pas la force de rien oppoſer, il me conduiſit vers mon ottomane ; j’allois m’y aſſeoir lorſque je penſai que Luberſac pouvoit haſarder de deſcendre, ayant entendu ſortir Belval ; alors j’engageai Ducaſtel, ſous prétexte d’une plus grande ſûreté, à nous rendre dans cette ſalle à manger qui lui étoit deſtinée ; j’ai toujours eu la précaution de fixer une piece à chacun de mes amans, afin qu’ils ne ſe rencontraſſent pas, s’ils manquoient l’heure déſignée ; malgré cette prudence, j’y ai été priſe, comme on le verra ailleurs.
Me voilà donc à demi-forcée de ſuivre Ducaſtel ; pour m’en défaire il s’agiſſoit d’un rôle de complaiſance, & de commander à mes ſens ; dès que nous fûmes ſeuls, il m’attaqua en homme qui avoit déſiré long-tems ; je le prévins qu’il trouveroit peu de plaiſir dans mes bras, parce que je ſentois renaître ma migraine ; il n’en crut rien : je m’aſſis ſur le bord de la table, ne voulant montrer que ma déférence, il ne vouloit point de cette poſition, je n’en voulois point d’autre, croyant en être plutôt quitte : vaine erreur ! il finit par la trouver bonne, & j’eus beau jouer la nonchalante, je n’en reſſentis pas moins beaucoup de volupté.
Dans cette attitude, la femme preſque droite, attachée au col de ſon f..teur, a tout le buſte qui porte ſur les parties inférieures, ce qui la rend plus étroite ; & augmente la ſenſation du frotement : je voulois lui dérober le plaiſir que j’éprouvois malgré moi, en retenant les marques qu’il en recevoit tous les jours : il n’en fut pas la dupe, & ſoit qu’il crût me guérir, car il ſavoit que f..tre eſt mon remède univerſel, ou que la table l’amuſât, il me lima une heure malgré moi : pour l’engager à la retraite, je lui offris à dîner pour le jour ſuivant, avec promeſſe d’un deſſert complet ; nous fîmes un peu de toilette, & nous nous quittâmes.
Mon importun éloigné, je montai près de mon jeune hôte qui s’ennuyoit de ne pas travailler. Un bon conſommé, un chapon au gros ſel, un perdreau rouge, des œufs au jus, avoient formé ſon modeſte dîner ; le pauvre homme ! il avoit ſablé ſa bouteille de Chambertin, bu trois verres de liqueurs des Iſles, pris ſon café ; il étoit auſſi frais qu’à ſon entrée ; j’avois auſſi réparé mes forces, elles étoient complettes, car la bagatelle de Ducaſtel ne mérite pas d’être miſe en ligne de compte pour une femme comme moi.
Dieux ! que vous m’avez fait languir, déſeſpérante Adeline, s’écria Luberſac dès qu’il m’apperçut ; m’abandonner à une ſolitude affreuſe, lorſque je ſais que vous etiez ſeule : — Pas tout-à-fait, lui répondis-je, j’avois quelqu’un que je brûlois de renvoyer, mais me voici, le jour s’avance, réparons les inſtans perdus. — Il faut donc vous quitter demain, adorable maîtreſſe : hélas ! vous ſavez que l’amour doit ſe taire quand l’honneur & le devoir parlent ; ſans cette loi rigoureuſe je ſerois à vous toute la vie, malgré vous-même ; puiſque vous êtes généreuſe, j’ai penſé en vous attendant, à vous offrir une nouvelle idée ; peut-être elle ne l’eſt pas pour vous, mais nous ne l’avons pas exécutée aujourd’hui, eſſayons-la ; il voulut encore que j’ôtaſſe mes vêtemens ; je le refuſai, & lui promis que la nuit je me mettrois toute nue, afin qu’il fut pleinement ſatisfait de ſa viſite.
Vous me paroiſſez très-libre avec Roſette, me dit-il, elle vous aime, il faut l’employer à augmenter vos plaiſirs ; reprenons le pied du lit… à merveille : mettons ce couſſin ſous vos feſſes, pour les élever davantage, & placer votre joli c.n à ma juſte hauteur… autre couſſin ſous la tête, même deux… cela eſt divin ; allons ma reine m’y voici… quelle volupté… que de délices… O ! femme inconcevable, il me ſemble que plus je le fais avec toi, plus tu es étroite ; une fée protectrice t’accorde-t-elle le don d’être toujours vierge comme les houris de Mahomet ? — Je n’ai point d’art, je tiens de la nature ce que vous louez, vous voyez que je n’en profite pas mal. Quelques coups m’impoſèrent ſilence ; dès que mon amant me vit occupée, il appella Roſette, & lui dit : Prenez-la jambe droite de madame, mettez-vous à côté de moi ; touchez-moi par un contact entier de votre corps ; ſoulevez la jambe d’Adeline à la hauteur de mon épaule, ſans la ſerrer ; vous ſentirez ainſi chaque mouvement que je ferai ; ce mouvement ſe communiquera à ma belle patiente ; & toi, chere amie, laiſſe tomber la jambe gauche & allons notre train. Il redouble ſes ſecouſſes, je les lui rendis en les triplant ; Roſette m’encourageoit des yeux & de la voix ; je n’en avois pas beſoin, toute entiere à l’action, trouvant cette maniere excellente, qui mieux encore que la table ne laiſſe à la grotte de Cithére qu’un paſſage étroit, en quatre minutes je fus inondée d’un nectar brûlant, & je ſentis encore augmenter ma jouiſſance lorſque ma petite Roſette, s’aviſant d’elle-même de paſſer derriere Luberſac, & de relever ma jambe qui touchoit terre, elle l’éleva à la hauteur de l’autre, ce qui faiſoit une eſpèce de brouette, & montrant l’envie de me ſervir, pendant que mon ami me l’enfonçoit rapidement, elle le pouſſoit de toutes ſes forces en ſuivant ſes coups, afin de l’engager à ne pas quitter priſe.
Nous fûmes plus d’une heure étroitement enlaſſés : même vigueur de part & d’autre, toujours nouvelle complaiſance : mais que notre poſition étoit différente ! Luberſac étoit hors d’haleine & prêt à demander grâce aux deux lutins qui le deſſéchoient à force de le preſſer ; Roſette ſouffroit le martyre de Tentale au milieu des eaux : moi ſeule infatigable, inépuiſable, agitée, palpitant de plaiſir, je déſirois encore ; car je n’ai jamais éprouvé ce que nous diſent les médecins & les naturaliſtes, que ce plaiſir prolongé ſe change en ſouffrance inſupportable : dans la même ſéance le dernier coup a toujours été pour moi plus agréable & mieux ſenti que le premier.
Il étoit déjà tard. J’avois une viſite indiſpenſable que je ne pouvois éloigner. Je ſortis. Je laiſſai Roſette glaner un peu dans le champ que je venois de moiſſonner ; elle méritoit bien quelque calmant, & ſon tempérament allumé par l’exemple, demandoit un ſoulagement que notre invincible héros ne lui refuſa pas, mais, dont il fut ſans doute économe, car il m’attendoit après ſouper. D’ailleurs, n’étions-nous pas au pair ? S’il avoit dit deux mots le matin à cette bonne fille, on ſait ce que j’avois fait : ſi, après ſon café, il avoit fouragé ſa prairie, je n’avois pas été plus ſage : s’il vouloit eſſayer en mon abſence quelque nouvelle poſture avant de me conſacrer partie de la nuit, n’avois-je pas encore à m’en faire donner par Belval ?
Je dépêchai un brelan qui m’excédoit, & de retour chez moi, je trouvai mon vieux amant en titre, à qui ma vue étoit toujours agréable : nous ſoupâmes gaiement, nous nous couchâmes de même. J’avois beſoin de l’endormir ; je lui prodiguai les careſſes que je ſavois lui plaire : il ſe diſtingua pour les payer, & je ne le vis dans les bras du ſommeil, qu’après avoir reçu deux fois la preuve de ſa ſenſible amitié. Quand je le ſentis bien endormi, je me gliſſai du lit, ſans qu’il pût ſe réveiller, & le laiſſai ronfler à ſon aiſe : on voit que j’ai encore le talent de plonger dans une ſorte de léthargie ceux dont je veux me délivrer, pour aller ailleurs, & de les quitter ſans qu’ils s’en apperçoivent. Je me ſuis procuré cent fois deux jouiſſances nocturnes par cette manœuvre hardie.
Belval ſe repoſant ſur ſes lauriers, je courus en cueillir de nouveaux ; Luberſac m’attendoit. — Enfin, vous me tenez parole, me dit-il, tendre Adeline ; mais, hélas ! les momens qui nous reſtent ſeront bientôt écoulés : vous m’avez promis une faveur, je la ſollicite à vos genoux. — Non, vous n’aurez point à vous plaindre… Je vis que la ruſée Roſette avoit mis des draps blancs, qu’elle avoit allumé ſix bougies, & qu’elle avoit préparé des rafraîchiſſemens analogues à la fête ; je n’avois qu’un léger corſet, il diſparut : je m’élançai dans le lit ; mon amant auſſi dépouillé que moi, s’y trouva en même-tems : — Belle Adeline, de grâce… cette chemiſe… — Vous êtes exigeant, il faut donc tout vouloir avec vous. Me voilà comme Vénus ſortant du ſein des eaux, & lui comme Adonis, quand la déeſſe le reçoit dans ſes bras : nous faiſons mille folies : il me dit les plus jolies choſes du monde ſur chaque agrément qu’il découvre : auſſi honnete, je ſaiſis toutes ſes formes nerveuſes : nous allumons un incendie par nos attouchemens libertins ; nous ſommes obligés de nous ſéparer pour reſpirer un peu : j’avois les reins en feu, & ne pouvois plus me tenir couchée. — Je n’en puis plus, j’étouffe. — Ce n’eſt rien ; eſſayons une poſture qui permettra à l’air environnant de nous rafraîchir. — Ah ! oui, je veux tout ce que vous propoſez. — Hé-bien, ma divine, mettez-vous à genoux, élevez la croupe, qu’elle ſoit bien haute ; appuyez-vous ſur les mains, tenez la tête baſſe, tournez-la de mon côté pour recevoir mes baiſers, & laiſſez-moi faire. Ainſi placée, il s’arrête un moment, admire mes feſſes, qu’il trouve plus fermes & plus belles que celles d’Aſpaſie ; mon dos graſſouillet & d’un contour heureux l’enchante ; mais tout-à-coup furieux de s’amuſer à des détails, d’une main délicate il ouvre l’antre de la volupté, & m’enfonce ſa p.ne au point de me forcer à un cri douloureux. Bientôt calmée par les charmes du plaiſir, je lui fis ſentir mon approbation à cette découverte ; je m’agitai avec une telle ardeur, qu’il jugea que la maniere avoit mon ſuffrage. — Chere & ſenſible Adeline, êtes-vous contente ? me diſoit-il avec une voix douce & inſinuante. — Ah ! oui, mon cher ami, tu es délicieux ! — Sentez-vous, bel enfant, plus de volupté qu’aux autres coups ? — Ah ! le dernier eſt toujours le meilleur par excellence… mais… je me… meurs…
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Chere et sensible Adeline, êtes vous contente ? ah ! le dernier coup est toujours le meilleur… mais… je… me… meurs… |
tu m’inondes d’une roſée brûlante…
quoi ! encore… encore ! puis-je reſter
dans tes bras ? non, tu ne m’as pas
encore pénétrée auſſi profondément :
ah ! la curioſité eſt la mere du ſavoir !
Déjà le ciel commençoit à blanchir, l’aurore fidelle avant-couriere du ſoleil, alloit paroître. Roſette, moins occupée & conſéquemment plus ſage, nous en avertit : je me levai : mon amant, déſolé de me quitter, m’embraſſa pour la derniere fois. J’étois debout ; il ne put réſiſter à un nouveau déſir : au milieu de la chambre & sans autre appui que celuî de Roſette, qui me ſoutint dans ſes bras, il me le mit encore ; nous pensâmes tomber tous trois dans l’inſtant d’anéantiſſement ; les forces de cette pauvre enfant ne pouvoient ſupporter deux corps qui s’abandonnoient : l’amour nous favoriſa ; & lui, dé....geant en Hercule, me dit ces mots à jamais gravés dans mon cœur : — Tiens, chere Adeline ; reçois mon âme… C’eſt ainſi qu’en partant, je te fais mes adieux.
Nous nous r’habillâmes, & je m’apprêtois à me ſéparer de ce cher & inépuiſable f..eur, lorſqu’il m’arrêta avec un ſérieux qui m’étonna ; il s’aſſit ſur un canapé, me fit aſſeoir à côté de lui, & me dit : Adeline, je viens d’avoir des preuves aſſurées de votre tempérament & de votre goût pour le plaiſir ; vous f..tez comme un ange, Adeline, vous dé....gez comme un dieu, mais aimez-vous ? — Quelle demande me fais-tu là, lui répondis-je en riant, dé....ge-t-on lorſqu’on n’aime pas, & les torrens de f..tre dont je viens de t’inonder, ne ſont-ils pas des preuves certaines de mon amour ? — Non, Adeline, ne nous trompons pas, ils prouvent ton tempérament & non ton amour. — Comment donc faut-il te le prouver ? — Par un don preſqu’auſſi précieux pour moi que celui de toute ta perſonne. — Quel eſt-il ? — Celui de cette toiſon d’ébène, me dit il en la découvrant, & l’empoignant avec une eſpèce de fureur. — Mais quelle folie ! — Folie tant que tu voudras, mais, nouveau Jaſon, je n’ai combattu que pour t’enlever cette charmante toiſon, j’y attache mon bonheur, me la refuſeras-tu ?
Si j’euſſe conſervé une ombre de raiſon, j’aurois envoyé Luberſac à tous les diables ; il m’avoit f..tue autant que fille honnête puiſſe l’être ; ma curioſité étoit bien ſatisfaite : il partoit, je n’avois aucun eſpoir de le revoir ; ma toiſon m’étoit mille fois plus précieuſe que ſon eſtime : hé-bien ; malgré toutes ces réflexions, il fit tant, pérora ſi bien, joua ſi ſupérieurement le rôle de jaloux, de déſeſpéré, que je n’eus pas la force de lui réſiſter, & l’officieuſe Roſette coupa avec lui ce charmant taillis, ſans y laiſſer le plus petit baliveau. Luberſac, fier de ſa conquête, fit mille folies, & après l’avoir baiſé cent fois, il le ſerra dans une bonbonniere que je lui donnai : il me jura qu’il mourroit avec ce précieux reliquaire, & nous nous ſéparâmes enchantés l’un de l’autre.
Je retournai promptement auprès de Belval ; il dormoit profondément ; je me déshabillai ſans bruit ; je me
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mais quelle folie !… folie tant que tu voudras, mais nouveau Jason, je n’ai combattu que pour t’enlever cette charmante toison. |
gliſſai à ſes côtés, & pour m’aſſurer
s’il ne ſavoit rien de mon eſcapade,
j’eus la curioſité de l’éveiller. — Ah !
friponne, me dit-il, tu m’éveilles, tu
me le paieras : il dit, ſaute ſur moi,
s’apprète à m’enc...er ; mais, ô ſurpriſe !
il ne retrouve plus ce boſquet charmant
qui ombrageoit l’entrée du temple
du plaiſir. La tête de Méduſe changeoit,
dit-on, en pierre ceux qui
oſoient la regarder. La vue de mon
c.n tondu fit ſur Belval un effet abſolument
contraire ; ſon v.t prit bien le
froid du marbre, mais il en perdit
toute la fermeté ; il diſparut dans ma
main qui faiſoit de vains efforts pour
l’arrêter, — Que veut dire ceci, Adeline,
me dit-il d’un ton ferme &, ſérieux ?
pourquoi donc n’avez-vous plus
de poil ? qui vous l’a coupé ? où eſt-il ?
Je ſentis bien alors toute mon imprudence ;
mais ſans me démonter, je lui
répondis, en affectant de rire comme
une folle, que tourmentée par une
puce qui s’y étoit réfugiée, & ne pouvant
l’attraper, j’avois cru plaiſant
d’abattre la forêt pour attraper le gibier.
— Et qu’avez-vous fait de cette
coupe, me dit-il froidement ? — Je
l’ai jettée par la fenêtre. — Par la fenêtre ?
en ce cas elle ne ſera pas perdue,
puiſque la ſeule qui s’ouvre donne
ſur la petite terraſſe ; je vais l’aller
chercher, j’attache trop de prix à
toute votre perſonne, pour en perdre
un ſeul poil. En diſant ces mots, il
paſſa ſa robe-de-chambre, & malgré
tous mes efforts pour l’arrêter, il deſſendit
ſur la terraſſe, y chercha une
minute, & remonta tranquillement.
Je m’attendois à une ſcène violente,
ou du moins à des reproches ; il ne
me dit pas un mot déſagréable, il ſembla
même pendant le dîner redoubler
d’attention & de prévenance ; cependant
j’eſſayai en vain de ramener la
converſation ſur le ton plaiſant &
poliſſon, je ne pus y réuſſir. Après le
dîner, il rentra ſeul dans ſon cabinet,
& au bout de dix minutes, il m’envoya
par ſon valet-de-chambre un
billet conçu en ces termes :
« Je m’étois flatté, Adeline, de ſuffire à votre bonheur ; je me ſuis trompé ; vous êtes trop jeune pour moi, ou je ſuis trop vieux pour vous ; ſéparons-nous ſans bruit ; allez coucher chez votre tondeur, emportez promptement votre linge, vos robes, vos effets & tous vos bijoux ; dans deux heures vos paquets peuvent être faits & enlevés ; dans deux heures un quart, mon valet-de-chambre a ordre de fermer ma maiſon ; vous ſerez trop prudente pour l’expoſer à vous faire un mauvais compliment, & vous en ſerez ſortie ; il eſt chargé de vous remettre deux cents louis ; c’eſt la derniere marque que vous recevrez de mon amitié ».
Je reçus ce billet en reine de théâtre ; je ne doute pas que ſi j’euſſe été me jetter dans ſes bras, Belval ne m’eût tout pardonné, car il m’aimoit réellement ; je ſuis même certaine qu’il s’y attendoit ; mais je crus qu’il étoit au-deſſous de moi d’aller demander grâce, & je lui fis dire que je n’avois pas beſoin de deux heures pour ſortir de ſa maiſon, que ma femme-de-chambre feroit mes paquets & les feroit porter chez madame Dumarſan, chez laquelle j’allois me retirer ; en même-tems je fis avancer un fiacre, j’y montai après avoir donné mes ordres à Roſette, & me fit conduire à la ſalle de la comédie, où demeuroit Dumarſan & la petite Théodore ſa femme : comme ma table étoit excellente, & que tous les ſoirs on jouoit au creps chez Belval, je m’étois liée intimement avec le mari & la femme. Dumarſan, maître des ballets à Bordeaux, étoit à-la-fois joueur, ivrogne & le plus grand putaſſier de toute la troupe, & la petite Théodore étoit la premiere gourmande de la ville : ma maiſon offroit donc tapis verd au […/…][ws 2]
Ce fut ainſi que je quittai Belval, le plus honnête de tous les hommes. Une heure après Roſette m’apporta tous mes effets, & deux cens louis que lui remit le valet-de-chambre de Belval, qui partit le ſoir même pour ſon château.
TROISIEME PARTIE.
Je ſuis grugée par des comédiens, &
réduite à faire le commerce en détail.
En arrivant chez Théodore, je ne lui
avois pas dit, non plus qu’à ſon mari,
que j’étois brouillée avec M. Belval,
auſſi m’avoient-ils reçue à bras ouverts :
mais lorſqu’ils virent Roſette arriver
chez eux avec mes malles, leurs mines
commencérent à s’allonger, & Dumarſan
m’adreſſant la parole avec
un ſourire faux : — Que veut dire
cela, ma charmante, me dit-il, eſt-ce
qu’il y auroit de la querelle dans le
petit ménage ? on peut ſe bouder, mais
il ne faut jamais ſe quitter ; fi donc !
M. Belval eſt un homme eſſentiel, un
homme à ménager ; il a quarante-cinq
ans à la vérité, il ne b..de plus comme
un ſous-lieutenant, mais il paie bien,
voilà l’eſſentiel : allons, point d’étourderie,
point d’enfantillage, continua-t-il,
en me prenant la main, je me
charge de vous raccommoder, &
vous m’en aurez tous deux obligation ;
en même-tems il m’entraînoit vers la
porte pour me ramener chez Belval :
Je fus donc obligée de lui avouer ma
rupture : on ſent bien que tous les
torts étoient du côté de l’entreteneur,
& que la petite impure étoit blanche
comme colombe ; mais j’avois affaire
à des connoiſſeurs qui ne prenoient
pas le change : quand Dumarſan ſe fut
aſſuré, par les informations qu’il prit
chez Belval, que notre réconciliation
étoit impoſſible, il changea de
batteries & forma, avec Théodore, le plan
de m’arracher juſqu’à la derniere
plume.
D’abord on m’accabla de careſſes ; Théodore me fit coucher avec elle, & me fit paſſer une nuit aſſez agréable par ſes agaceries libertines ; je n’ai jamais connu de coquine plus vive & plus lubrique ; je lui en fis mon compliment. — Si toutes les femmes, me dit-elle, me reſſembloient, elles ne ſeroient jamais la dupe des hommes, & ſe paſſeroient aiſément d’eux. Comme je n’étois pas, à beaucoup près, de ſon avis, je la laiſſai dire pour ne pas trop lui faire connoître mes goûts, & pour jouir, en attendant mieux, de ce genre de plaiſir qui ne peut convenir qu’à une femme dont les reſſorts ſont uſés. J’ai épouſé, me dit-elle, ce roué de Dumarſan, je ne ſais trop pourquoi, car il étoit rongé de vé..le & ne dé....geoit plus ; mais je voulois avoir le nom de dame, & n’ayant pu être la ſervante de J. J. Rouſſeau, je m’en conſolai en devenant la femme d’un danſeur : je ne fus pas plutôt mariée avec lui, que je m’apperçus qu’il étoit brutal, ivrogne, joueur & putaſſier ; je ne fus pas aſſez ſa dupe pour m’en chagriner : je fis avec lui aſſaut de gourmandiſe & de lubricité ; je br..le toutes les filles qu’il f..t, & elles ne ſortent du lit de Dumarſan, que pour paſſer dans le mien : je bois, je mange, je médis, je danſe, je me br..le & je dé....ge ; voilà ma vie : ſi tu m’en crois, Adeline, tu feras de même, & je t’initierai à nos plus ſecrets myſtères.
Cet aveu en méritoit un autre ; je la remerciai de ſa bonne volonté, en lui avouant enfin que, telle charmante que me parut une femme, je trouvois toujours qu’il lui manquoit quelque choſe, & que j’aimois mieux un v.t qu’un doigt. — Mais ce v.t, b....eſſe, me dit-elle en riant, ne b..de pas à volonté. — On ne s’en tient pas à un ſeul, on en prend quatre, ſix, douze, s’il le faut. — A merveille ; mais tous ces v.ts-là peuvent te donner la v...le. — Hé-bien, l’on s’en f..t. — Oh ! voilà une réponſe ſans réplique ; avec de pareils principes, tu ſeras bientôt auſſi pu..in qu’Adeline ta patrone, & Dugazon ſon émule. — J’eſpère bien les ſurpaſſer. En nous entretenant ainſi, le jour vint ; nous nous levâmes : alors Théodore fit la revue de tous mes effets, & en faiſant l’éloge de pluſieurs de mes bijoux, elle me força de lui en donner au moins pour cent louis, qu’elle eut l’air de recevoir par complaiſance : j’en connoiſſois peu la valeur alors, & j’étois généreuſe comme une p..in, c’eſt tout dire. Tandis que nous étions à cet examen, Dumarſan vint nous ſurprendre, & je ne pus m’empêcher de lui offrir une boîte d’or émaillée, qu’il vouloit m’acheter ; ce petit examen me coûta au moins mille écus : ce ne fut pas tout : Dumarſan s’étant informé de l’état de mes finances, ſut aiſément qu’elles montoient à environ trois cens louis ; auſſi-tôt il forma le projet de ſe les approprier, & dès le ſoir même il me dit : Ma charmante, je vais jouer cette nuit chez le duc, je ſuis heureux, donne-moi dix louis, je te mettrai de moitié dans mon jeu ; j’acceptai ſa propoſition ; je lui donnai dix louis ; il y fut le ſoir, & Théodore m’emmena coucher avec elle, voulant abſolument, diſoit-elle, me convertir ; elle fit pour cela l’impoſſible, mais elle n’en vint pas à bout : vainement, elle épuiſa les reſſources des plus ſavantes tribades ; je dé...geai, mais ſans plaiſir ; je ſentois un vuide affreux ; elle allumoit l’incendie, mais elle ne pouvoit l’éteindre, & je lui dis que je ne me prêterois à ſes folies qu’autant qu’elle ſe muniroit d’un bon v.t pour m’achever.
Nous étions encore au lit quand Dumarſan revint du jeu : — Nous n’avons pas été heureux, me dit-il, ma charmante ; j’ai ſué ſang & eau toute la nuit, & je n’ai pu que tripler notre argent ; en même-tems il jetta trente louis ſur le lit ; Théodore ſe jetta deſſus en riant, diſant qu’elle étoit auſſi de moitié in-petto ; nous nous amusâmes à nous arracher ces louis, & quand ce jeu finit, elle en avoit au moins vingt.
Dumarſan répéta ſa petite ruſe pendant trois ou quatre jours, & ſe diſant toujours malheureux, il gagnoit toujours au point que ſi je n’avois pas joué à la petite bataille avec Théodore, je me ſerois trouvée en gain de cent louis au moins ; tout cela me donnoit grande confiance dans le jeu de Dumarſan, c’étoit où il m’attendoit. Un matin qu’il m’apportoit cinquante louis de bénéfice. — Il y a ce ſoir, nous dit-il, un coup ſuperbe à faire, le fils du premier préſident donne un ſouper ſuperbe à Caderan, il y aura un Pharaon, c’est le duc qui taillera ; la banque ſera de deux mille louis, & le duc m’a offert de prendre un quart ; veux-tu, ma charmante, être de moitié avec moi ; j’acceptai bien volontiers la propoſition ; je lui comptai deux cents cinquante louis qu’il me promit bien de me doubler, & le ſoir il partit d’un air triomphant ; mais hélas ! le lendemain il étoit déjà dix heures du matin, qu’il n’étoit pas encore rentré, lui qui venoit tous les jours nous éveiller avant huit heures. Nous nous levons, Théodore & moi, aſſez froidement, elle ſonne ſon domeſtique, & demande des nouvelles de ſon mari : on lui annonce qu’il eſt rentré à trois heures du matin, & qu’il eſt incommodé ; nous paſſons auſſi-tôt dans ſa chambre ; nous le trouvons pâle, défait, jouant le déſespéré ; il m’annonce qu’au bout d’une heure la banque a ſauté, qu’ils en ont ſur-le-champ refait une ſeconde, qui a ſauté de même, dans laquelle il m’avoit également intéreſſée pour moitié, & finit ſa complainte par me demander deux cent cinquante louis qu’il faut qu’il renvoye ſur l’heure, parce qu’on les lui a prêté ſur ſa parole ; je lui dis que je ne les avois pas ; il s’emporte, me parle de procédés, & finit ainſi que ſa femme, par me traiter de petite ſalope : — Voila, lui dit-il, ce que c’eſt que de recevoir chez vous une petite pu.tin qui n’eſt bonne qu’à barboter au pont de la Motte. Théodore renchérit encore ſur les horreurs que me dit ſon mari, & cette ſcène finit par me tirer cent louis comptant, & un billet de cent cinquante, pour l’aſſurance duquel Théodore ſe nantit de deux bracelets ſuperbes que m’avoit donné Belval, & qui valoient au moins deux mille écus. Déſeſpérée d’avoir été traitée auſſi durement, je ſortis de chez Théodore, chez laquelle une penſion de huit jours, & la peine de br...ler cette vilaine petite boſſue, me coûta plus de vingt mille livres ; ce qu’il y eut pour moi de plus affreux, c’eſt que j’appris depuis qu’il n’y avoit eu ni ſouper, ni banque à Caderan, & que Dumarſan avoit été coucher cette nuit même avec une petite danſeuſe nommée Aſpaſie, celle à laquelle un de nos roués titrés, neveu d’un miniſtre, avoit eſcroqué pour douze mille livres de diamans.
Voilà le tour que me fit Dumarſan ; j’ai ſu depuis que c’étoit une de ſes plus légères gueuſeries : faut-il s’étonner après cela ſi ce miſérable ſauteur a cinquante mille livres de rente, après s’être fait payer deux fois ſes dettes par la Dubarry ?
Je ſortis de chez Dumarſan, avec cinquante louis dans ma bourſe, & dépouillée de mes bijoux les plus précieux ; je fus me loger à l’hôtel de l’Empereur, chez Fidele, & je m’y abandonnois à ma douleur, ne ſachant comment réparer mes ſotiſes, lorſque ma bonne Roſette, que la Théodore avoit eu ſoin d’écarter, revint me trouver : elle avoit été inſtruite de ma ſcène & de ma ſortie de chez Dumarſan : je pleurois quand elle entra chez moi ; cette bonne fille me ſauta au col, & employa tous les moyens de conſolations qui étoient en ſon pouvoir : je fus ſenſible à ce témoignage d’attachement : Hé quoi ! ma petite maîtreſſe, me dit-elle, vous avez été dupe de deux ſcélérats, faut-il donc pour cela vous chagriner : ils vous ont volé, mais ils n’ont pu vous ravir cette charmante tête qui en fera tourner tant d’autres ; vous avez perdu quelques centaines de louis, mais un peu de complaiſance & une demi-douzaine de coups de c.ls répareront tout cela ; ne nous ſéparons plus, laiſſez-moi le ſoin de faire venir l’eau au moulin, & je vous réponds qu’il ne chommera pas.
Roſette parvint à me conſoler : je lui remis l’intendance générale de ma maiſon & même de mes charmes, & j’eus bientôt lieu de m’applaudir de la confiance ſans borne que je lui donnai.
Au bout de deux jours, elle entre dans ma chambre en riant comme une folle, tire mes rideaux, me réveille, & ſaute dans ma chambre en criant : — Victoire, ma petite maîtreſſe, victoire ! je le tiens, le vieux coquin !
— Auras-tu bientôt fini toutes ces folies, lui dis-je, & veux-tu bien t’expliquer ?
— C’eſt ce que je m’en vais faire, me dit-elle, en s’aſſeyant ſur mon lit ; écoutez-moi bien.
Il y a dans cette ville, un vieux cuiſtre bien laid, bien ladre, bien fripon, & encore plus paillard ; c’eſt un notaire, que l’archevêque a voulu faire pendre pour avoir, d’un ſeul coup de filet, volé cent mille livres à l’archevêché dont il étoit le receveur ; il a une fortune immenſe dont il jouit impunément, parce qu’il paie largement la protection du commandant, dont il eſt l’âme-damnée ; il y a long-tems qu’il vous lorgne, & qu’il eſt amoureux-fou de vous ; vous viviez encore avec Belval, que déjà il vouloit vous avoir ; il s’eſt adreſſé à moi, & a commencé par offrir dix louis pour une heure d’entretien : vous devinez bien comment j’ai reçu cette propoſition, mais le vieux coquin eſt tenace, il n’a pas lâché priſe, & chaque fois qu’il me voyoit, il augmentoit ſeulement de cinq louis ; enfin je l’avois amené ſans vous en parler juſqu’à cent, lorſque ce matin, en allant chez lui, j’ai vu ſur ſon bureau une paire de bracelets, que j’ai reconnu pour être les vôtres ; j’ai voulu ſavoir par quel hasard ils étoient entre ſes mains, & j’ai appris que Dumarſan ſe trouvant dans un moment de beſoin, les avoit mis en gage chez lui pour cent louis : l’idée m’eſt venue ſur-le-champ de vous faire rentrer dans votre bien : Ces bracelets, ai-je dit au notaire, appartiennent à ma maîtreſſe, & je lui ai raconté la manière dont Dumarſan vous les avoit escroqués ; rendez-les lui, & je vous promets qu’elle viendra paſſer un acte chez vous ce ſoir même : — Comment veux-tu que je faſſe, m’a-t-il répondu ? ces bracelets ne ſont pas à moi : je ne les ai en nantiſſement que pour cent louis & l’intérêt, & ils valent plus de deux mille écus, Dumarſan me les feroit payer. — Ecoutez-moi, lui dis-je, tout ceci peut s’arranger aiſément ; ma maîtreſſe a donné à Dumarſan ces bracelets en nantiſſement d’un billet de cent cinquante louis qu’elle lui a fait ; en lui payant ces cent cinquante louis, il faut qu’il lui-rende ſes bracelets : donnez-nous cette ſomme, nous irons payer Dumarſan, & les bracelets nous reviendront. — Tu arranges fort bien tout cela ; m’a-t-il dit, mais je t’ai offert cent louis, & non pas cent cinquante ; — Bon, ai-je répondu, n’allez-vous pas chicaner pour cinquante louis ; ſongez que vous n’auriez pas mademoiſelle Adeline pour mille, & que ce n’eſt que l’envie de ravoir ſes bracelets, auxquels elle eſt fort attachée, qui peut la décider à avoir pour vous un peu de complaiſance ; enfin, j’ai ſi bien péroré, qu’il a conſenti à tout ; donnez-moi la reconnoiſſance de Dumarſan, je vais la lui porter, & ce ſoir nous irons chercher vos bracelets & votre billet.
Je donnai à Roſette la reconnoiſſance ; elle la porta à Duprat, & le ſoir, au ſoleil tombant, je me fis conduire chez lui, après m’être coſtumée le plus modeſtement poſſible, pour éviter d’être remarquée.
Roſette m’accompagnoit en qualité de tante ; on nous introduiſit dans le cabinet du vieux paillard, qui ne ſe fit pas attendre long-tems. Je vis paroître un grand homme décharné, vieux, laid & dégoûtant, tel que me l’avoit peint Roſette ; ſa bouche toujours pleine de tabac qu’il mâchoit, ſe ſentoit de dix pas ; quelques dents noires étoient enchâſſées dans des gencives rongées par le ſcorbut ; je penſai vomir à la ſeule idée que cette bouche infecte alloit s’approcher de la mienne ; j’étois prête à regagner la porte, lorſque Roſette me raſſura, en me diſant tout bas : Ne craignez rien, il ne baiſe pas.
Effectivement, après quelques complimens d’uſage le vieux ſatyre vint au fait, & me dit que je n’aurois pas grand’peine à gagner mes bracelets & à acquitter mon billet qu’il me préſenta, puiſqu’il n’étoit ni b..gre ni f..teur, qu’il n’encul..t ni n’enco....t, mais qu’il ſe contentoit de la vue & de quelques petites complaiſances, dans leſquelles il étoit ſeul patient ; en même-tems il me plaça ſur une chaiſe, les bras appuyés ſur le dos, une jambe pliée & l’autre droite ; quand je fus dans cette attitude, il pria Roſette de me relever mes jupons juſqu’aux reins ; elle le fit, & lui découvrit, ſans vanité, le plus joli de tous les culs paſſés, préſens & futurs : mon vieux bouc étoit en extaſe, il ſe mit à genoux devant ſes deux globes d’ivoire ; d’une main il tenoit ſa lorgnette pour mieux en ſaiſir les contours, de l’autre il tira de ſa culote un v.t flaſque & deux c....les pendantes ; il agitoit ſans ceſſe ce triſte engin, en s’écriant à chaque ſecouſſe : Oh ! le beau cul ! oh ! le ſuperbe cul !
Roſette promenoit ſur ma croupe & ſur mes feſſes une main complaiſante, elle lui en faiſoit admirer les formes divines & les deux foſſettes charmantes ; curieuſe de voir la figure hétéroclite, je détournai un peu la tête, & voyant mon vilain qui ſecouoit avec force ſon lâche Priape, que rien ne pouvoit roidir, tandis que ſes deux c....les ſuſpendues dans une longue bourſe ridée, faiſoient des ſauts & des bonds, je ne pus m’empêcher de partir d’un éclat de rire, le plus franc peut-être qui me ſoit échappé de ma vie ; il valut à mon cul un tendre baiſer, après lequel il ſe releva, & la ſcène changea.
Il me fit mettre à genoux devant lui, la gorge abſolument découverte, & ayant armé Roſette d’une grande poignée de verges qu’il cachoit derrière ſes livres, il fit tomber ſa culote, & nous livra à diſcrétion, à moi ſon v.t, à Roſette ſon derrière, ſur lequel elle appliquoit de tout ſon cœur & de toute ſa force, cent coups de verges, tandis que d’une main je lui b...lois le v.t, & de l’autre je lui chatouillois les c....les, pour tâcher de rallumer ce tiſon éteint ; enfin, au bout d’un grand quart-d’heure de peines & de ſecouſſes, le vieux coquin leva les yeux au ciel, croiſa ſes mains ſur ſa poitrine, & s’écria : Ah ! mon Dieu !… quel plaiſir !… je dé....ge ! en même-tems quelques goutes de f..tre tombérent ſur mes mains, mais froides, mais claires, & ne reſſemblent en rien à cette liqueur divine, à ce baume brûlant qui nous donne la vie, & qui eſt celle de l’univers.
Le notaire, enchanté de cette libation, ne ſavoit comment m’exprimer toute ſa reconnoiſſance ; s’il eût joint les effets aux paroles, j’aurois pu prolonger la ſéance ; mais comme je vis qu’il s’en tenoit à des mots, je me hâtai de le quitter, en lui promettant cependant de revenir le voir quand il voudroit à pareil prix ; je ne croyois pas être priſe au mot, & je fus fort étonnée quand il me dit, en me ſerrant bien fort la main : Eh bien, divine enfant, à demain à la même heure. Je lui fis une grande révérence, & Roſette, à laquelle il donna un double louis, lui aſſura que je me rendrois à ſa galante & généreuſe invitation : Ce n’eſt pas cela que j’entends, nous dit-il, je veux aller demain ſouper avec vous ; Roſette lui dit qu’il ſeroit le bien venu, & nous nous retirâmes.
Ma complaiſance doit ſans doute être admirée par mes lecteurs ; mais elle devoit encore être miſe le lendemain à une bien plus rude épreuve : je ſemblois préſager mon malheur ; le matin je dis à Roſette que j’en avois aſſez de ſon maudit notaire, & que j’étois décidée à ne pas lui donner à ſouper ; mais elle me prêcha ſi bien, qu’elle m’y fit conſentir, à condition qu’elle iroit faire le marché avec le vieux ſcélérat ; elle y fut en effet, & il fut convenu qu’il me compteroit cent louis, & qu’il ne coucheroit pas, mais qu’il me ferait tout ce qu’il voudroit.
Le marché fait, il vint le ſoir dans ſon habit de bonne fortune, qui étoit brun, avec un petit galon d’or ; nous ſoupâmes en poſte, car je ne pouvois le regarder, ni le voir manger, ſans éprouver des maux de cœur affreux ; quand nous eûmes quitté la table, nous paſſâmes dans mon ſalon ; alors il compta à Roſette cent louis, fit bien exactement fermer les fenêtres & les ſourdines qui étoient en dehors, après quoi il me pria de me mettre nue comme la main ; je n’y conſentis qu’à condition qu’il donneroit cinq louis à Roſette, ce qu’il fit ſans héſiter ; quand je fus abſolument nue, il fit retirer Roſette ; auſſi-tôt qu’elle fut ſortie, il mit les verroux, ferma la porte à double tour, & prit la clef dans ſa poche : j’avoue que tous ces préparatifs & tant de précautions commençoient à m’inquiéter ; ce fut bien pis quand je le vis tirer de deſſous ſa veſte une longue poignée de verges qu’il ne me préſenta pas, mais dont il ſe diſpoſa à me frapper ; je lui dis en vain que je n’entendois pas cette plaiſanterie ; il me répondit ſéchement que je m’y ferois, & qu’il vouloit avoir du plaiſir pour ſon argent : en même-tems il prit d’une main ſon v.t qu’il ſecouoit tant qu’il pouvoit, & de l’autre il ſe mit à me pourſuivre dans tous les coins de la chambre, me frappant ſans pitié : je criois, je pleurois, je jurois, mais toujours inutilement ; le ſcélérat ſembloit prendre plaiſir à mes larmes, & chaque coup qu’il m’appliquoit faiſoit hauſſer ſon thermometre d’un degré ; je voulus tenter de lui arracher
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Je poussois cependant des cris si aigus, que bientôt la porte fut enfoncée, et on m’apporta des secours…. |
ſes funeſtes verges ; mais quand il
me voyoit prête à m’élancer ſur lui,
il me les préſentoit au viſage & la
crainte d’être défigurée me faiſoit lui
abandonner mon pauvre derrière qu’il
mit tout en ſang.
Je pouſſois cependant des cris ſi aigus, que bientôt toute la maiſon fut à la porte ; il fallut l’enfoncer, car le ſcélérat ne voulut jamais ouvrir : qu’on juge de l’étonnement des ſpectateurs de trouver, d’un côté, une jeune fille toute nue, & dont le ſang couloit à grands flots, qui, ſans ſonger à cacher ſes charmes à des yeux avides & curieux qui les dévoroient, ne s’occupoit qu’à pleurer, & de l’autre côté, un vieillard furieux haletant de luxure, tenant encore d’une main ſon v.t qu’il ſecouoit encore involontairement, & de l’autre une énorme poignée de verges teintes de ſang.
A ce ſpectacle Roſette ne ſe poſſéde plus, elle s’élance comme une lionne ſur ce bourreau ; mais ce ne ſont pas ſes verges qu’elle veut lui arracher, c’eſt ſon v.t même qu’elle empoigne & qu’elle tortille, au point de le faire tomber évanoui ſur le parquet : cependant les ſpectateurs parvinrent à l’arracher de deſſus ſa proie, & à faire revenir à lui le maudit vieillard honteux & déſeſpéré d’avoir manqué ſon coup. Roſette avoit paſſé rapidement de la rage à la pitié, & pendant qu’elle m’aidoit à me r’habiller & à me ſouſtraire à ſa vue & aux queſtions des curieux, on fit paſſer Duprat dans un cabinet, & je rentrai dans ma chambre. Le bruit de cette ſcène étoit déjà parvenu aux oreilles du duc de D***, qui demeuroit à deux pas de mon hôtel ; il me connoiſſoit beaucoup & me protégeoit ; il vint chez moi, ſuivi d’une meute de comédiens, qui ne le quittent jamais ; ils furent tous enchantés de trouver Duprat dans cet état ; car s’il étoit généralement mépriſé de tout Bordeaux, il étoit encore plus abhorré des comédiens dont il étoit le caiſſier pour le compte du commandant de la ville, qui s’étoit fait donner la régie du ſpectacle, & qui l’exploitoit à ſon profit ſous le nom de Duprat, qui mangeoit également les directeurs, les créanciers & les comédiens.
Le duc de D***, qui haïſſoit & mépriſoit également Duprat & ſon protecteur, fut enchanté de trouver l’occaſion de perdre l’un & d’humilier l’autre ; il fit ſur-le-champ. venir un jurat qui reçut ma plainte criminelle ; le drôle étoit un vieux paillard qui conſtata après un examen très-approfondi, l’état affreux dans lequel Duprat m’avoit miſe. Le duc vouloit qu’on le conduisît en priſon ; mais la protection ouverte du commandant lui ſauva ce ſurcroît d’avanie.
Je paſſai une nuit très-agitée. & très-douloureuſe ; cependant, grâces aux ſoins & aux attentions de Roſette, qui eut le courage de ſucer mes écorchures les plus graves, je n’eus point de fièvre, & je commençois à m’endormir, lorſque je fus réveillée, par un vieux vilain, petit homme, vêtu, d’un habit bleu galonné en or, portant une croix de Saint-Louis, qui avoit forcé Roſette de m’éveiller & de lui ouvrir ma chambre, s’annonçant comme porteur d’ordres ſupérieurs.
Je ſuis, me dit-il en barbouillant & en me jettant ſa ſalive au viſage, monſieur le chevalier B*** de F***, lieutenant de meſſieurs les maréchaux de France ; le vicomte de H***, lieutenant de maire, eſt mon gendre ; il a la haute-police ſur toutes les coquines de la ville, & il ne tient qu’à lui de vous faire mettre au cachot & de vous y faire pourrir, pour la ſcène ſcandaleuſe qui eſt arrivée chez vous ; il convient bien à une drôleſſe comme vous de compromettre un honnête homme qui a la foibleſſe de s’amuſer avec vous. — Comment, s’amuſer, monſieur, il m’a aſſaſſinée. — Taiſez-vous, je ſais tout ; il vous a donné quelques coups de verges, mais il vous avoit donné cent louis, il vous en avoit donné cent cinquante la veille, & vous l’aviez fouetté ; ce n’eſt donc qu’un prêté pour un rendu, & encore avez-vous deux cens cinquante louis de bon. Le comte de F***, qui eſt ſon ami, eſt inſtruit de tout, & vous ordonne non-ſeulement, de retirer la plainte criminelle que vous avez eu l’audace de faire hier, contre lui, mais encore de ſortir ſous deux heures de Bordeaux, & ſous vingt-quatre heures de la province. — Monſieur le chevalier, lui dis-je je ſortirai de Bordeaux, de la province même, mais ma plainte ſubſiſtera ; c’eſt monſieur le duc de D*** qui me l’a fait faire, il la ſuivra ; c’eſt mon protecteur ; & Roſette va l’aller prier de paſſer ici. Le petit B*** pâlit au nom du duc ; il arrêta Roſette, & prenant un ton plus radouci, il s’aſſied auprès de mon lit, & me dit : Ecoute-moi, mon enfant, je ſuis bon, moi, j’aime les jolies filles, tout le monde le ſait ; j’entretiens même la Piccini en tout bien tout honneur ; car, quoiqu’on diſe ; qu’elle a donné la v...le à trois ou quatre perſonnes, elle n’en a pas moins ſon pucelage, & j’en ſuis certain, puiſque je la g...uche, mais voilà tout : eh bien, mon enfant, je veux te rendre ſervice, ton hiſtoire d’hier eſt diabolique ; mais que feras-tu quand tu plaideras contre ce coquin de Duprat, qui eſt le plus grand ſcélérat de toute la ville, & qui a dans ſa manche le commandant & le parlement entier ; ce ſera le pot de terre contre le pot de fer : tu comptes ſur ton duc ; mais une fille qu’on lui lâchera, ou cent louis que Duprat lui prêtera, lui fermeront la bouche ; ne vaut-il pas mieux tirer parti de cette aventure ; voilà cinq cens louis, ajouta-t-il en jettant ſur mon lit dix rouleaux, prens-les ; dans une heure, j’enverrai à ta porte une chaiſe de poſte bien conditionnée, que tu garderas pour aller où bon te ſemblera : ſigne-moi ſeulement ce papier, me dit-il, en me préſentant un déſiſtement de ma plainte.
J’héſitois ; mais il me repréſenta le pouvoir abſolu du commandant, le crédit du notaire, la foibleſſe du duc, le danger que je courois en reſtant à Bordeaux ; il defit devant moi les rouleaux de louis, me les compta ; enfin, il fit tant, que je ſignai & fis mes paquets : au bout d’une heure, je vis arriver à ma porte une très-belle chaiſe attelée de trois chevaux qui appartenoient au commandant, & conduits par un de ſes poſtillons ; j’y montai avec Roſette, & je quittai ainſi Bordeaux avec ſix cens louis en or, & pour près de vingt mille livres en bijoux, robes & linge : j’avois été bien fouettée, mais les verges furent bien payées, & malgré quelques douleurs que j’éprouvois de tems-en-tems, nous ne pouvions nous regarder, Roſette & moi, ſans étouffer de rire.
QUATRIEME PARTIE.
Mes voyages ; mes nouvelles découvertes ;
mes premieres amours.
On s’eſt trompé ſi on m’a cru aſſez
inſtruite pour n’avoir plus beſoin de
maîtres : avec une pratique ſuffiſamment
éclairée de l’acte myſtérieux qui
produit nos plaiſirs, je n’étois pas plus
ſavante qu’une femme ordinaire ; mon
orgueil en ſouffroit : j’étois dévorée
d’une ſecrette inquiétude ; je voulois
connoître le jeu des organes par leſquels
je donnois & je recevois des
flammes voluptueuſes ; je voulois connoître
le méchaniſme, ſi compliqué,
des muſcles fermes ou flexibles, des
nerfs érecteurs ou extenſeurs, des
glandes tuméfiées ou applaties ; je
voulois palper les parties internes ou
externes, dont l’exiſtence & l’harmonie
faiſoient ma félicité ; je voulois
apprendre où ſont ces divins réſervoirs
qui renferment la liqueur ſacrée, &
découvrir comment ſe forme cette ſécrétion
précieuſe, comment elle s’épure
& paſſe par les ramifications de
canaux imperceptibles. Auquel de mes
amans aurois-je pu juſqu’à préſent demander
des lumières ; tous m’auroient
répondu : Notre talent eſt de ſonder
tes jolies profondeurs, nous en laiſſons
l’anatomie à ceux qui veulent ſe rendre
utiles, nous ne voulons être qu’agréables.
Cependant, le hasard me ſervit : je fus à Toulon voir lancer un vaiſſeau de guerre ; fatiguée de parcourir cette ville, dont la poſition eſt ſi enchantereſſe, & d’examiner ce qu’une femme voit ſi mal, je m’étois aſſiſe au Champ-de-Mars : un jeune chirurgien de marine prit place à côté de moi ; la converſation s’ouvrit, nous parlâmes vaiſſeaux, modes ; fortifications ; ſpectacles, &c. ; comme il eſt décidé que chacun doit parler de ſon métier, voilà mon bourgeois d’Epidaure, qui m’amène à ſes talens, & me détaille les cures incurables faites par ſa jolie main, jolie à la vérité, auſſi, eût-il ſoin de me la montrer. Il étoit embarraſſé de m’offrir les ſecours de ſon art ; me voyant une ſanté auſſi brillante que celle d’Hébée, ne pouvant parler du préſent, il penſa au futur. — Madame habite cette province, je m’en apperçois à cet accent agréable & cadencé, qui, dans sa bouche à tant de charmes, ſi jamais un ſort contraire vous ſoumettoit à quelque accident chirurgical, j’oſe vous ſupplier de ne me pas oublier. Ce que je ſais, ce que j’apprendrai, tout eſt à vous, & dans cette infortune, Duvaucel eſt à vos ordres. — Vous êtes obligeant, monſieur, & vous méritez ma reconnoiſſance ; vous me parlez avec une douceur qui annonce une âme franche & ſenſible ; je le regardois ; mes yeux n’ont jamais fixé impunément un jeune homme ; quelques regards encore plus déterminés ne lui permirent de proférer que ces mots entrecoupés ; ah ! madame… en vérité… son embarras me pénétra ; une coquette s’en ſeroit moquée, une vraie courtiſanne, préférable à ces femmes fausses, ne mépriſe jamais celui qui eſt ſubjugué par ſes charmes. Je lui rendis ſa premiere hardieſſe : Point de complimens, lui dis-je, monſieur ; nous ſommes jeunes, d’un ſéxe différent, les égards les réuniſſent ; vous pouvez m’être utile pour l’exécution d’un projet, j’en ſerai reconnoiſſante ; venez me trouver chez la dame Beatrix, chez qui je loge, & ſi vous conſentez à m’obliger, je reſterai quelques jours ici.
La tête penſa lui tourner : rendez-vous donné & reçu pour le lendemain à mon lever ; huit heures du matin ſonnent, on me l’annonce ; je reſte au lit : il entre, le voilà près de moi.
Pour lui peindre ma ſingulière envie en termes clairs il falloit commencer par lui montrer que je n’étois qu’une femme galante ; pourquoi ne pas le lui prouver ? je lui découvris donc inſenſiblement mes vues & mes appas ; il auroit mal fait dans ce moment une démonſtration anatomique, mais j’étois sûre d’une excellente leçon de phyſique ; je le voyois tout en feu, je n’étois pas moins ardente ; un drap fin & léger faiſoit ma couverture ; il m’aſſommoit, je fis un mouvement qui envoya tout au diable ; ce fut la premiere minute d’une jouiſſance délicieuſe ; Duvaucel ne ſe retenant plus, me couvrit la gorge de baiſers ſi répétés, que je craignis d’être dévoré par ce lutin.
Il eſt inutile, mon bon ami, lui dis-je, de mettre trop d’obſtacle à votre ardeur ; mais faiſons notre petit marché ; je veux des leçons ſur différentes parties de votre art, ſi vous conſentez à me les donner ſans réſerve, je n’en aurai pas davantage pour vous. — Eh ! madame, répondit-il, ne vous ai-je pas tout offert avant même de vous connoître ; dans ce moment où vous me découvrez mille beautés, dont je déſirerois être poſſeſſeur, exigez ma vie, elle eſt à vous ; demain, aujourd’hui, ce matin même nous commencerons, mais de grâce, accordez-moi une heure. Si vous m’ordonniez de vous obéir à l’inſtant, impoſſible, impoſſible ; mon âme eſt anéantie, elle ne peut recevoir que de vous une nouvelle exiſtence. Pendant ce diſcours, mon viſage devoit être rayonnant ; peu-à-peu je lui offrois la vue de mes plus ſecrets agrémens ; je n’y tenois plus ; je voyois chez lui les ſymptômes les plus majeſtueux ; aurois-je fait la bégueule pour la premiere fois ? non, & ſi j’ai trop retardé ſon bonheur, la ſeule raiſon eſt que je voulois l’enchaîner & en faire un maître docile.
Viens, lui dis-je, beau jeune-homme, viens prouver à ton écoliere qu’elle ne s’eſt point trompée. La foudre lancée par Jupiter irrité eſt moins rapide, moins incendiaire que le trait dont Duvaucel me frappa ; je n’avois pas fini mon invitation, qu’il étoit ſur moi & dans moi ; le joli f...teur ! taille élégante, belle, peau, figure d’Adonis, vigueur de Mars, d’une ſoupleſſe, d’une vîteſſe inconcevable ; folâtre, careſſant, unique.
Je lui prodiguois les richeſſes de mon tempérament, tout en me le mettant, il me diſoit ſans ceſſe, & de mille façons, qu’il n’avoit pas conçu qu’une femme put être auſſi raviſſante, je ſoutenois ſa bonne opinion ; & je dé....geai juſqu’à me fatiguer, ce qui étoit rare : succulent comme un chapitre complet de Cordeliers, il faiſoit jaillir la ſource du plaiſir, juſqu’au fond de ſa retraite ; jamais, jamais, je n’avois été ſi délicieuſement perforée.
Je le priai de me laiſſer faire un peu de toilette, il apporta un flacon ; il en avoit un ſur lui d’une eau qu’il dit précieuse, & dont l’odeur suave portoit au cerveau une douce ivreſſe ; il voulut me laver lui-même : il me parfuma & me paſſa une chemise ; voulant s’aſſurer ſi j’avois repris la fraîcheur qu’il me déſiroit, il imprimoit ſa bouche ſur tout ce qui s’offroit à ſes yeux avides : il ſe fixoit ſur ma jolie motte qu’il trouvoit charmante, relevée, graſſette, potelée : le poil couleur d’ebéne dont elle eſt ombragée, eſt ſi bien planté, qu’il forme un triangle équilatéral dont plus d’un galant géomètre a voulu prendre les heureuſes proportions. Il craignoit, m’ayant vu porter la main plus bas, que je ne ſentiſſe quelques légères cuiſſons ; en homme de l’art, il ſépara mes lèvres avec un adreſſe ſingulière, & ne découvrant que feuilles de roſe ; Amour, s’écria-t-il, tu n’eus jamais de temple auſſi fraîchement décoré ! il en baiſa l’entrée, & agitant légèrement ſa langue, il me força à une preuve de ſenſibilité qui l’enchanta ; mon joli Ganimède qui étoit la complaiſance même, voulut que je priſſe du chocolat : en me le verſant, il me baiſa la main avec un air de gratitude qui me pénétra.
Nous étions dans un pays chaud ; je n’avois qu’un jupon de mousseline des Indes, il étoit en veſte & en culotte de baptiſte, l’inſpection qu’il venoit de faire, & mille baiſers par ſecondes ſur mes jolis tetons firent ſauter un bouton qui me laiſſa voir mon Duvaucel b..dant comme l’arc de Cupidon. Je voulois faire un cours d’anatomie, pouvois-je ne pas m’arrêter à des détails qui y étoient analogues ? j’avois palpé, ſenti, uſé beaucoup de v.ts ; celui de mon nouvel ami réuniſſoit tout ce que je déſirois : huit pouces étoient ſa longueur, je n’ai jamais aimé plus que cela : ſa grosseur renforcée dans la culaſſe, empliſſoit ma main à ſon milieu, ſa tête audacieuſement levée, étoit d’une couleur & d’un poli qui annonçoient la jeuneſſe & la ſanté ; ſes c...les remplies d’un ſperme abondant, promettoient ce qu’elles tenoient, des plaiſirs répétés : un poil noir ombrageoit cet arbre voluptueux : enfin c’étoit un v.t tel que Cléopâtre n’en eut jamais à ſa diſpoſition : il m’offroit ſes ſecours après une abstinence forcée de trois jours, jugez combien il me devenoit neceſſaire !
Duvaucel voyant avec quelle complaiſance je le patinois & le b...lois, non par cette triſte néceſſité qui nous y détermine trop ſouvent, mais pour lui prodiguer par reconnoiſſance toutes les careſſes que je pouvois imaginer, m’enleva ſur mon lit & me fit encore dé....ger ſix fois en moins de ſix minuttes ; il me prioit ſi tendrement de l’avertir quand je voudrois finir, par un baiſer plus appuyé que les autres, que je le lui promis : trois fois encore je lui donnai le ſignal convenu, trois fois il m’arroſa par une pluie féconde. Ah ! comment ne meurt-on pas dans les bras d’un auſſi aimable enfileur ; je craignois qu’il ne me fit oublier les hommes que j’avois eu, & qu’il ne me dégoûtât de ceux que je devois avoir ; enfin nous dinâmes enſemble, nous ſoupâmes, nous couchâmes enſemble, & pendant huit jours j’ai plus f..tue avec lui qu’avec tous mes amans précédens.
Nous réglâmes nos amuſemens & nos études ; il me fit connoître un artiſte qui avoit, en cire, un syſtême complet d’anatomie ; il ſervit à Duvaucel, à me donner dix leçons ſur les parties ſexuelles de l’homme & ſix ſur celles de la femme, j’appris à-peu-près tout ce que je voulois ſavoir, & après avoir fait mes remercimens au galant démonſtrateur, forcée à le quitter, je ſentis pour la première fois mes yeux humides ; avant cette épreuve, je ne me ſerois jamais crue capable de cette foibleſſe, mon adage étoit, un perdu, cent retrouvés ; mais celui-ci en valoit quatre, j’étois excuſable ; je me livrai donc à ma ſenſibilité ; quoique fort affligé lui-même, en me diſant adieu, il voulut me le mettre encore ; je ne le voulois pas, je ne pus réſiſter ; enfin ma voiture m’attendoit, il fallut nous ſéparer ; j’embraſſai bien tendrement mon cher eſculape & lui prouvai bien ſincérement que ſon ſcalpel avoit fait une bleſſure à mon cœur.
Roſette avoit reconnu trop peu d’uſage à Duvaucel, pour ne pas craindre de le gêner par ſa préſence ; elle avoit toujours eu ſoin de ſe retirer au premier ſignal ; mais en fille digne de mon choix & admiſe à ma confidence, elle avoit toujours sçu profiter d’une porte vîtrée, pour voir tout ce qui ſe paſſoit, auſſi ne lui étoit-il rien échappé ; elle me l’apprit avec une émotion qui me fit deviner ſes déſirs ; vous allez diner à Hieres, me dit-elle, je vous ſuis inutile ; ſouffrez que je demeure, je vous rejoindrai demain à Sollieres chez Suzanne ; vous m’y trouverez à votre paſſage, nous parlerons de vous, M. Duvaucel & moi ; j’y conſentis.
Le jeune homme étonné de la voir reſter, lui en demanda la raiſon, elle la lui donna, & lui, en garçon reconnoiſſant, prodigua ce qui lui reſtoit à cette pauvre fille qui m’apprit, à notre réunion, que ce que je lui avois laiſſé valoit mieux encore que du neuf, & que jamais elle n’avoit été auſſi joyeuſement célébrée.
J’allai joindre mon amie Saint-Aubin, qui depuis quelques jours étoit à Hyeres avec un Anglais ; elle vouloit que je connuſſe cette petite ville célèbre par ſes parfums, d’ailleurs très-agréablement ſituée ſur une éminence dont le pied s’étend vers la mer, & qui n’eſt pas moins renommée pour ſes excellens fruits.
Je découvrois des fenêtres de mon hôtel, un vallon rempli d’orangers dont les fleurs odorantes parfumoient l’air qui venoit juſqu’à moi ; plus loin la vue ſe porte ſur des marais ſalins, & l’aſpect de la mer termine ce coup-d’œil qui s’embellit par les navires qui paſſent pour gagner Marſeille ou le Levant. Saint-Aubin aimoit la promenade ; elle n’avoit rien de mieux à faire ; le chevalier Walton étoit attaqué du Spléen, ſa maîtreſſe avoit beſoin de moi pour ſe diſtraire, ne pouvant jouir des conſolations galantes que de jeunes provençaux lui offroient, parce que Walton étoit mauvais plaiſant.
Nous fûmes au jardin ſi connu de M. Fille, planté de ces arbres précieux qui portent des pommes d’or ; ce verger délicieux qu’un poëte comparoit aux Champs-Elyſées, au jardin des Heſpérides ou d’Eden, eſt d’un produit ſupérieur à celui d’une terre conſidérable : là, je foulois aux pieds la fleur d’orange ; ce fruit d’une forme & d’une couleur ſi agréable, ſe préſentoit par-tout ſous ma main ; plus loin l’ananas, le poncire, le citron, la bergamotte offrent leurs parfums variés ; les berceaux d’Idalie & de Paphos étoient moins enchanteurs ; auſſi j’y cueillis… Quoi ?… L’amour.
Entrées dans la maiſon du jardinier, un jeune garçon, beau comme Hylas, s’y préſenta avec une aisance décente. — Parlez-vous français ? mon ami, lui dis-je. — Oui, madame, ſans cela je ſerois bien à plaindre. — Pourquoi donc ? — C’eſt que je dois partir inceſſamment pour aller chercher du ſervice à Lyon ou à Paris. — Etes-vous décidé pour l’une de ces deux villes ? ſi vous trouviez à vous placer plus près, vous éviteriez les fatigues d’un long voyage. — Sans doute, madame, mais on dit qu’on ne ſait rien dans son pays. Je ris de son ingénuité, j’avois la preuve du contraire ; je connois une dame, lui dis-je, qui vous prendroit & vous habilleroit en jockei ; voudriez-vous être jockei ? — Tout ce que vous voudrez, madame, pourvu que ma maîtreſſe ſoit de vos amies. — Mais vous êtes honnête : comment vous appellez-vous ? — Honoré Bienfait. — Oui, en vérité ; je ne changerai pas ce nom, & c’eſt moi qui vous prendrai ; êtes-vous votre maître ? — Pas tout-à-fait, madame, j’ai une tante. — Faites la venir. Mon petit homme partit comme un coureur il m’amena ſa tante eſſouflée, qui me donna ſon cher Honoré, le recommandant à Dieu & à mes bonnes grâces ; tout fut dit, &c me voilà dame ſuzeraine de mon futur jockei, dont la jolie figure étoit bien accompagnée par ſes cheveux déjà coupés dans ce coſtume.
Saint-Aubin ſe douta de mes vues & me dit à voix baſſe ; après la chere que tu as faite à Toulon, tu avois beſoin de ce Cure-dent ; je lui avois tout raconté ; je ris beaucoup de ſon idée : elle auroit bien voulu que Milord lui permit pareille emplette : elle me félicita ; nous revînmes, nous couchâmes enſemble & fîmes en parlant du jockei, beaucoup de folies de filles.
J’avois grande envie de faire travailler à la garde-robe d’Honoré & de commencer ſon éducation ; je ne m’étois point encore régalée de prémices ; cet enfant étoit ſuperbe ; il avoit près de cinq pieds, une tournure agréable, de grands yeux noirs, bordés de belles paupieres, des ſourcils arqués & bien fournis, des lèvres vermeilles, des dents très-blanches, & des joues vraies petites pommes d’api.
En ſortant d’Hiérès, afin que Walton ne ſe doutât de rien, je fis monter mon page derriere ma voiture, à cent pas de la ville je l’appellai, & je le fis entrer, ſous prétexte que je craignois pour lui un coup de ſoleil ; il obéit en rougiſſant, & le voilà vis-à-vis de ſa dame. — Eh bien ! Honoré, êtes-vous bien aiſe d’être avec moi ? Très-aiſe, madame. — Vous comptez donc vous attacher à moi ? aurois-je le déſagrément, après avoir fait beaucoup pour vous, de vous voir par inconſtance chercher une autre maîtreſſe ? — Non, madame, je ne vous quitterai jamais, à moins que vous ne me chaſſiez. — Ce n’eſt sûrement pas mon intention ; mais, dites-moi, ſerez-vous bien obéiſſant ? — Mettez-moi à l’épreuve, madame, je n’ai point encore ſervi, je ſerai ſans doute mal-adroit, mais l’intention y ſera. — Fort bien, mon ami, avec de l’intention on n’eſt pas long-tems mal-adroit ; je lui parlois avec une douceur qui avoit l’air de le flatter ; il commençoit à oſer lever les yeux, qu’il avoit preſque toujours tenu baiſſés, quand traverſant un ruiſſeau profond, que mon cocher avoit mal coupé, mon petit voyageur, peu accoutumé au caroſſe, quitte ſon couſſin & tombe la tête ſur mes genoux. — Eh ! mon dieu : pauvre garçon, ne vous-êtes vous pas bleſſé ? — non, madame. Voyons ; je le tâte ; je relève ſon toupet, qui maſquoit le plus joli front ; je paſſe ma main ſur ſa tête & ſon viſage ; il n’avoit rien, mais j’eus le plaiſir de ſentir baiſer cette main, ce qu’il fit par un excès de reconnoiſſance, & ſi involontairement, qu’il en rougit comme d’un crime. — Raſſurez-vous, Honoré, j’aime les marques de ſenſibilité ; je ſerois fâchée que vous euſſiez un cœur dur. — Ah ! madame, il ne l’eſt pas… au… contraire… — au contraire ; eſt-ce que vous en auriez déjà fait l’eſſai ? auriez-vous quitté une amie pour me ſuivre ? — non, madame ; vos bontés me mettent hors de moi, & je ne ſais… comment je les ai méritées ; par votre douceur : me promettez-vous de faire tout ce que je vous conſeillerai ? — Oh ! je vous le jure. — Ecoutez, je veux faire votre bonheur ; mais j’ai des fantaiſies auxquelles il faudra que vous vous prêtiez ; par exemple, je veux que, quand nous ſerons enſemble, ſans témoins, vous ne coupiez pas tout ce que vous dites par ce mot madame ; je ſuis votre maîtreſſe, n’eſt-ce pas ? — oui. — Appellez-moi donc votre maîtreſſe, & ſeulement madame en public. — Je n’oſerai jamais prendre cette liberté. — Hé-bien, lorſque vous m’appellerez autrement, je ne vous répondrai pas. — Mon dieu… ! ici il y eut un ſilence aſſez long ; Honoré ne ſavoit comment renouer la converſation ; j’en fis les frais : d’où vous vient cet embarras ? n’eſt-il pas vrai que ſi j’étois habillée en ſimple bergere, vous ne ſeriez pas auſſi timide ? il ſourit ; — vous répondriez à mes prévenances avec égalité ; je n’ai point d’orgueil, je ne veux point avoir ſur vous la fauſſe ſupériorité que donne la richeſſe ; je prétends que vous ſoyez parfaitement libre avec moi, & que vous ne me rendiez que les ſervices qui ne coûteront point à votre cœur. — Oh ! mada… oh ! ma chere maîtreſſe ; aurois-je pu eſpérer ce bonheur ? je ne ſais ce qui ſe paſſe dans ce cœur qui vous obéira ſans ceſſe ; je ne me ſuis point encore trouvé dans un pareil état ; il eſt vrai que le pauvre enfant avoit le viſage couvert de ſueur, O ! nature, tu parles avec une force irréſiſtible ; je lui tendis la main, il la prit ; je ſerrai la ſienne légèrement ; il me le rendit avec un doux frémiſſement ; j’attirai ſa main ſur mes genoux ; il l’y fixa : je le dévorois des yeux ; ſans doute il lut dans les miens : je le baiſai malgré moi, ſur la bouche ; il appuya ſes jolies lèvres ſur les miennes, & verſa quelques larmes ; dans cette poſition, il étoit preſque tout entier ſur moi, nous y reſtâmes deux minutes ; je lui donnai des preuves ſenſibles de ma bienveillance, & voyant que nous arrivions à Sollieres, je le fis relever.
J’y trouvai Roſette qui m’attendoit ; la coquine avoit bien l’air d’un lendemain de nôces. Elle ne m’eut pas plutôt apperçue, avec ma nouvelle ſuite, qu’elle me dit. — Mon dieu, madame, le joli mouton que vous avez trouvé ! — Oui, mais ne va pas le mettre dans ta bergerie. — Pas de quelque tems au moins ; comment nommerai-je mon camarade ? — Honoré. — Seigneur Honoré, joli ſerviteur d’une maîtreſſe charmante, j’ai l’honneur de vous offrir mes petites inſtructions, afin que madame ſoit bien ſervie. Mademoiſelle, répondit le jeune adoleſcent, je vois que madame n’avoit aucun beſoin de moi, puiſque vous lui êtes attachée ; c’eſt par bonté que… — Oh que non ! mon ami, vous ferez ce que je ne pourrois exécuter ; entendons-nous, & tout ira bien. Cette derniere phraſe me plut médiocrement ; je dis à Roſette de faire ſervir, & que ſans cérémonie, nous dînerions tous trois ; cela s’effectua, & j’envoyai chercher des chevaux de poſte à Toulon, pour gagner le Beauſſet, & arriver le ſoir à Marſeille,
Cette ville charmante a toujours été l’aſyle de la liberté, le ſéjour de la licence, enfin, le paradis des femmes : on y fait ce qu’on veut, on y fait autant de connoiſſances qu’on le déſire, car les occaſions y ſont auſſi communes que les réverberes. Pluſieurs projets m’y amenoient ; m’y amuſer, faire habiller Honoré, & jouir de ſon étonnement à la vue des ſpectacles variés qui s’offrent à Marſeille ; je ne quittai point mon éleve, de peur que quelque grecque amoureuſe ne me l’enlevât ; je n’eus pas la même inquiétude ſur Roſette, qui étoit en état de ſe défendre contre la légion des grecs Pharaoniques, qui ruinent les hommes ſans enrichir les femmes.
J’envoyai chercher un tailleur ; je lui ordonnai une lévite & un gilet verd-pomme, collet, paremens, ceinture couleur de roſe, le tout chargé d’un énorme galon d’argent ; quand on compoſe ſa livrée, il faut qu’elle ſoit galante : ſi quelque jour j’y ajoute des armes, j’aſſure qu’elles ſeront parlantes.
Mon gentil Honoré fut en vingt-quatre heures vêtu, coëffé, botté ; je lui donnai le plus beau linge, & pour cauſe ; je le fis baigner ; je le parfumai ; il ne ſe reconnoiſſoit plus, & je jouiſſois de mon pouvoir magique, dont cette métamorphoſe n’étoit qu’un eſſai.
Je ne cachois rien à Roſette ; elle connut mes intentions, & pour m’éviter des ſoins faſtidieux, je la chargeai de prévenir le petit de mes favorables déſirs, que je voulois ſatisfaire la nuit ſuivante ; elle s’en acquitta bien ; au retour de la comédie, nous ſoupâmes en poſte pour arriver plutôt à la concluſion ; on mit dans ma baſſinoire des paſtilles à l’ambre ; je bus de la crême de roſe ; j’en fis prendre au Néophite amoureux ; je lui donnai des diabolo de Naples, dont il ne connoiſſoit pas la force, & je me déshabillai devant lui ; alors Roſette lui dit : pendant que j’arrange la toilette, prenez le mouchoir de madame, ſes jarretieres, ſes bas : mon valet de chambre, qui m’avoit menacé de mal-adreſſe, étoit d’une dextérité ſinguliere ; j’avois la gorge découverte, il la dévoroit des yeux ; j’eus la malice de lui dire : — Honoré, vous me regardez beaucoup, eſt-ce que vous n’avez jamais vu de femmes ? — Je vous demande pardon, mais pas d’auſſi belle que vous. — Une bonne maîtreſſe ne ſe gêne point avec des domeſtiques qu’elle aime ; je vous regarde comme une ſeconde Fanchette, votre âge, votre innocence me ſont garants de votre prudence ; il alloit répondre. Roſette coupa la phraſe, & lui dit : Honoré, ouvre le lit de madame, donne lui la main, couvre la bien, & tu verras que les nouveaux ſont mieux traités que les anciens : puis elle ſe retira, en lui souhaitant bonne nuit.
Honoré devoit coucher dans mon antichambre : il tournoit autour de moi, pour arranger traverſin, oreiller, couverture ; tout en ſe rendant utile, il rencontra mes pieds & ſans le vouloir ; m’y procura une démangeaiſon bien ſentie : je ſuis très-chatouilleuſe, ou plutôt j’aime à être chatouillée, c’eſt un de mes plaiſirs ; je tirai donc une jambe du lit pour la lui livrer ; gratte un peu, mon petit ami : il le fit avec tant d’adreſſe, il avoit des doigts ſi légers, qu’il me forçoit à des mouvements qui l’enchantoient en lui prouvant qu’il ſe rendoit utile : ſes mains, du pied gagnerent la jambe, le genouil, la cuiſſe ; il étoit hors de lui : — Êtes-vous chatouilleuſe par-tout, ma belle maîtreſſe ? — Oui mon ami, avance un peu ; — Mais je ne puis y atteindre, le lit eſt trop targe. — Tu as raiſon, viens deſſus, à côté de moi, tu ſeras plus à ton aiſe. Il monte, & commence par frotter doucement les bras & les epaules ; je conduiſis ſa main ſur ma gorge pour l’engager à s’étendre un peu plus loin : il parut embarraſſé ; je le déterminai par un mouvement qui fit gliſſer ſa main ſur ma motte en même-tems qu’il approchoit mes tetons de ſon viſage : mon jeune enfant les couvrit de baiſers, & ſes doigts ne ſachant plus où ſe fixer, ſe promenoient par-tout, & y portoient le délire. — Viens, Honoré, viens plus près de moi, tu me fais bien plaiſir, tu m’en feras plus encore, dépouille toute honte avec tes habits, Roſette dort, tu la réveillerois en ſortant, je veux faire ton bonheur. — Ah ! vous ſerez obéie, ma belle maîtreſſe… quel plaiſir… comme je vous chatouillerai ! En un inſtant il fut deshabillé & couché près de moi. — Belle & bonne maîtreſſe, par où voulez-vous que je commence ? tous ſes doigts étoient en mouvement, mais ce qui valoit mieux encore, c’eſt que la nature avoit été pour lui généreuſe & précoce ; il portoit un outil de ſociété qui auroit fait honneur à un jeune homme de vingt ans, & dont il ne ſavoit ou n’oſoit que faire en ſi belle occaſion, puiſqu’il le tenoit alternativement caché de chaque main. Pour le forcer de le laiſſer en liberté, je lui dis : Honoré, paſſe tes bras ſous les miens, pour frotter doucement mes épaules ; on conçoit que pour cette manœuvre il falloit qu’il fût couché ſur moi, alors ſa bouche étoit près de la mienne, ſon corps portoit en entier ſur le mien, & ſon joli Priape battoit ma motte & augmentoit mon déſir ; dans cette ivreſſe,
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Tous ses doits étoient en mouvemens, mais ce qui valoit mieux encore étoit son outil de Société qui lui faisoit honneur à son âge… |
ne voulant perdre ni mon tems ni
ſes forces, je lui donnai un baiſer
comme il n’en connoiſſoit pas, je
le ſerrai contre mon ſein, & inſinuant
ma langue dans ſa bouche,
je crus qu’il devenoit fou de plaiſir.
— A moi, dit-il, ma belle maîtreſſe,
ſi vous le permettez, & dans
l’inſtant, la ſienne porte dans mon
cœur le feu de ſa ſalive bouillante.
Je n’avois point à craindre d’être ratée,
rien ne me retint davantage :
— viens, mon cher petit, connois
le ſuprême bonheur, & ſouviens-toi
que c’eſt à ta maitreſſe que tu dois
la première leçon ; imites-moi & obéis
à la nature. Alors je pris de la main
gauche ſon jeune v.t, & me l’introduiſis
où je le voulois ; à peine fut-il
entré, que je lui donnai quelques coups
de cul à la Créole, mon heureux
enfant me les rendit, & me procura
un plaiſir délicieux : je ne puis peindre
la jolie mine qu’il fit en dé....geant
dans un c.n pour la première fois de
ſa vie. Je voulois le faire relever,
il me répondit d’un air enfantin, je
vous avois bien dit que vous me chaſſeriez
un jour. — Aimable enfant qui
ne connoît ni tes forces ni ta foibleſſe,
c’eſt pour te ménager que je veux me
priver des plaiſirs que tu me donnes.
— N’eſt-ce que cela ? — En même-tems
le voilà qui pique des deux,
prend d’abord le trot, enſuite le galop,
& nous arrivons enſemble au bout
de la carrière. A ce coup, fatigué
malgré lui, il reſte immobile ſur moi,
en me regardant avec une langueur
qui ſembloit me demander grâce pour
n’avoir pas fait plus. Je le comblai
de careſſes & d’éloges, il me couvroit
de baiſers, je ne pouvois contenir
ſa vivacité ; il vouloit continuer,
j’exigeai qu’il ſe repoſât, je
l’arrangeai à côté de moi, je plaçai
ſa tête ſur mon ſein, & nous
dormîmes ainſi de bonne foi, juſqu’au
jour ; notre réveil fut délicieux ;
je n’ai jamais conçu qu’on
pût être auſſi bon à quinze ans ; il
ne vouloit pas lâcher priſe ; je ſonnai
Roſette pour me débarraſſer de ſes
perſécutions.
Je ne voulois plus reſter à Marſeille, je craignois que mon Honoré ne devînt bientôt, ainſi que Céſar, la femme de tous les maris, & le mari de toutes les femmes : je voulois le conſerver pour moi, & m’en tenir à lui pendant quelques tems ; une ſorte de mal-aiſe, qui venoit ſans doute de mes plaiſirs trop fréquens, me rendoit ce régime néceſſaire, & me détermina à aller prendre les bains d’Aix. La crainte d’altérer ma ſanté, & l’attachement que j’ai pour Honoré, qui me ſuffit, m’ont fait former un nouveau plan de conduite. Cette circonſtance partagera donc naturellement ma vie en deux époques ; j’ai profité de ma retraite à Aix, pour écrire cette premiere partie ; ſi mon projet de réforme ne peut s’exécuter, ſi mon tempérament reprend ſa premiere vigueur, ſi je rentre enfin dans la carriere des plaiſirs, fidelle à mes principes, je ne manquerai pas de faire part au public de mes nouvelles découvertes.
- ↑ O ! tems heureux des plaiſirs ! ſi je regrette l’âge où l’on vous goûte, ce n’eſt pas ſeulement pour le moment de la jouiſſance, mais pour celui qui la ſuit ; femmes ſenſibles, voulez-vous ſavoir ſi vous êtes aimées, examinez bien vos amans en ſortant de vos bras.
- ↑ Note de Wikisource : Voir Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, Abbé du Prat, 1683, éd. de 1920 (présente sur Wikisource).
- ↑ Note de Wikisource : la page se termine ici brutalement. La page suivante commence sur un nouveau paragraphe. Aucune autre édition de cet ouvrage n’est disponible en ligne, pour insérer le passage manquant.