La Bible d’une grand’mère/192

La bibliothèque libre.

CXCII

CONSTERNATION DES JUIFS — ESTHER VA CHEZ LE ROI

(Même année, 509 ans avant J.-C.)



L’ordre du roi ayant été affiché à Suse, Mardochée le vit comme tous les Juifs, et bientôt on n’entendit que cris et gémissements dans toute la ville. Mardochée envoya secrètement à Esther une copie de l’édit du cruel Aman, et lui fit dire qu’il fallait qu’elle allât chez le roi pour obtenir la grâce du peuple israélite. Esther, consternée, lui fit répondre : « Tâchez de trouver un autre moyen de nous sauver tous. Vous savez que toute personne qui se présente chez le roi sans être appelée, est tuée immédiatement. Il a plus d’un mois que le roi ne m’a fait appeler ; comment donc irai-je chez lui sans mourir ? Et je ne pourrai lui rien dire. »

Mardochée lui fit dire encore : « Si vous laissez massacrer le peuple d’Israël, vous périrez comme nous. Qui sait si ce n’est pas pour notre salut et le vôtre que Dieu a permis qu’Assuérus vous ait placée sur son trône ? »

Alors Esther lui envoya dire : « assemblez les Juifs qui sont dans Suse ; jeûnez, et priez pour moi pendant trois jours. Je ferai de même avec les filles qui me servent ; puis j’irai trouver le roi sans y être appelée, et je m’exposerai à la mort pour sauver Israël. »

Mardochée alla aussitôt exécuter l’ordre que lui avait donné Esther.

Le troisième jour, Esther se revêtit de ses habits royaux, et arriva jusqu’à la salle qui précédait celle où se tenait le roi ; Esther tremblait ; elle était soutenue par une de ses filles de service ; une autre tenait la queue de son manteau ; Esther vit le roi assis sur son trône, en face de la porte. Quand il leva la tête pour voir qui osait venir sans son ordre, ses yeux étincelèrent de fureur ; Esther, saisie de frayeur, s’affaissa comme évanouie dans les bras de sa suivante.

Le roi l’ayant reconnue, Dieu toucha son cœur ; il se leva, alla vers elle avec empressement, et, la soutenant dans ses bras, il l’embrassait en disant : « Esther, qu’as-tu ? que crains-tu de moi ? Je suis ton frère. Tu ne mourras pas. Cette loi n’a pas été faite pour toi, mais pour tous les autres. »

Voyant qu’elle restait dans le silence et inanimée, il prit son sceptre d’or, qui était le signal de la grâce du roi, la toucha avec le bout du sceptre, et, l’embrassant encore, il lui dit : « Pourquoi ne me parles-tu pas ? »

Esther, revenue à elle et rassurée par ces témoignages de tendresse, lui répondit : « Seigneur, vous m’avez paru comme un ange de Dieu, et mon cœur a été troublé par la crainte de votre gloire. Car, Seigneur, vous êtes admirable, et votre visage est plein de grâce. »

Le roi était tout troublé de la voir si pâle, et il sentit son cœur touché de tendresse : « Que veux-tu, Esther ? lui dit-il. Que me demandes-tu ? Quand tu me demanderais la moitié de mon royaume, je te le donnerais. »

Esther lui répondit : « Seigneur, je vous supplie de venir aujourd’hui au festin que je vous ai préparé ; et qu’Aman vienne avec vous ; plus tard vous saurez ce que j’ai à vous demander.

— Qu’on appelle Aman, dit aussitôt le roi, afin qu’il obéisse à la volonté de la reine. » Le roi et Aman vinrent donc au festin de la reine ; le roi fut si charmé d’Esther, qu’il lui dit encore une fois : « Que désires-tu que je te donne ? Dis-moi ce que tu désires. Quand ce serait la moitié de mon royaume, je te jure que je te le donnerai. »

Esther n’eut pas encore cette fois le courage de lui demander la grâce des Juifs ; elle se borna à dire : « Si j’ai trouvé grâce devant le roi, et qu’il veuille m’accorder ce que je désire, que le roi vienne encore demain, et Aman avec lui, pour un festin que je leur préparerai, et, après, je déclarerai au roi ce que je souhaite ardemment. »

Le roi le promit, et Aman sortit de chez la reine, plein de joie de la faveur qu’elle lui témoignait.

Valentine. Je trouve qu’Esther aurait dû demander tout de suite au roi la grâce des Juifs, puisqu’il était si aimable pour elle ; c’était très-imprudent d’attendre pour une chose si importante.

Grand’mère. La pauvre Esther avait grand’peur de fâcher le roi ; elle reculait tant qu’elle pouvait le moment de s’expliquer ; mais Dieu veillait sur les restes de son peuple, et donnait au roi des sentiments favorables à Esther.

Le roi quitta Esther en lui promettant de revenir le lendemain. Aman était bouffi d’orgueil ; en sortant du palais, il trouva Mardochée assis sur le seuil de la porte. Non-seulement le saint homme ne se prosterna pas devant Aman, mais il ne bougea pas de sa place, et ne tourna même pas la tête de son côté, quand Aman passa devant lui.

Aman rentra chez lui dans une grande colère contre cet insolent Mardochée ; il fit venir ses amis et sa femme Zarès, et, après leur avoir raconté ce qui lui était arrivé, il ajouta : « La reine Esther n’a invité aucun autre que moi à dîner chez elle avec le roi. Je suis comblé de faveurs, mais tout cela ne me donnera aucune satisfaction tant que je verrai le Juif Mardochée demeurer assis en ma présence devant la porte du palais. Que faut-il que je fasse ? »

Sa femme Zarès lui dit : « Ordonnez qu’on dresse une potence de cinquante coudées de haut, et dites au roi, demain matin, qu’il y fasse pendre Mardochée sur l’heure. Vous irez ainsi plein de joie au festin de la reine. » Ce conseil plut à Aman ; il ordonna qu’on dressât cette haute potence pendant la nuit.

Valentine. Là ! Je l’avais bien dit. Voilà Esther qui va être cause de la mort de son oncle ! Ce pauvre Mardochée ! c’était bien la peine d’élever cette nièce pour qu’il meure par sa faute !

Grand’mère. Calme-toi, chère enfant ; le bon Dieu est toujours là. Il n’arrivera aucun mal à Mardochée, et Aman sera sévèrement puni.

Valentine. Comment cela ?

Grand’mère. Tu vas le voir tout à l’heure.