La Bible d’une grand’mère/71

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L. Hachette et Cie (p. 197-202).

LXXI

BALAAM ET SON ÂNESSE

(1357 ans avant J.-C., fin de la 40e année de la sortie d’Égypte)



Les Israélites, étant partis de ce lieu, campèrent dans les plaines du pays de Moab, près du Jourdain. Balac, roi de Moab, voyant la frayeur de ses sujets et connaissant les victoires que les Israélites avaient remportées sur les peuples voisins, appela les vieillards de son conseil et leur dit : « Allez chez Balaam, qui est un devin… »

Paul. Comment, un devin ?

Grand’mère. Oui, un devin comme ceux de Pharaon, un homme qui prétend deviner ce qui se passera dans l’avenir. Balac dit donc : « Allez chez le devin Balaam, qui demeure près du fleuve de l’Euphrate, vous lui direz : « Viens maudire un peuple qui est venu d’Égypte, qui couvre toute la terre, tant il est nombreux, et qui s’est campé près de nous. Ce peuple est plus fort que le mien ; maudis-le donc pour que je puisse le vaincre, parce que je sais que ce que tu béniras sera béni, et que ce que tu maudiras sera maudit. »

Les vieillards de Moab et de Madian partirent, emportant avec eux de l’or pour payer le devin, et ayant trouvé Balaam, ils lui firent connaître la volonté du roi Balac ; ils lui remirent l’or qu’il lui envoyait.

Balaam répondit : « Restez ici la nuit, et je vous ferai savoir ce que m’aura dit Jéhova, le Dieu du peuple d’Israël. »

Petit-Louis. Comment, Jéhova ? Est-ce que le bon Dieu s’appelle Jéhova ?

Grand’mère. Jéhova veut dire en hébreu celui qui est. C’est le nom que Dieu s’est donné lui-même du fond du buisson ardent. Par respect, les Juifs n’osaient pas le prononcer ; ils disaient Adonaï, ce qui veut dire le Seigneur.

Balaam consulta le Seigneur pendant la nuit.

« Garde-toi de maudire ce peuple, parce que je l’ai béni, » lui répondit le Seigneur.

Le lendemain, Balaam dit aux envoyés : « Retournez à votre roi Balac. Je ne puis rien, parce que Jéhova ne me permet pas d’aller avec vous. »

Quand les vieillards eurent rapporté au roi Balac la réponse de Balaam, il fit venir les principaux de son royaume, et les renvoya à Balaam, avec promesse de présents magnifiques, s’il voulait bien venir maudire le camp des Israélites.

« Que puis-je faire contre le Dieu d’Israël ? dit Balaam. Quand même votre roi me donnerait son palais plein d’or et de pierres précieuses, je ne pourrais rien contre Jéhova. Restez encore cette nuit ; je le consulterai de nouveau, et je verrai ce que je pourrai dire. »

Il consulta le Seigneur, qui lui dit : « Ces hommes sont venus t’appeler. Va avec eux, mais ne fais que ce que je t’ordonnerai de faire. »

Heureux de pouvoir gagner l’or qu’on lui promettait, Balaam se leva de grand matin, sella son ânesse, et se dépêcha de partir avec les envoyés de Balac. Le Seigneur fut irrité qu’il se fût mis en route sans demander ce qu’il devait faire.

Pendant le voyage, l’ânesse de Balaam s’arrêta tout court comme si elle voyait quelque chose d’effrayant. Elle se jeta de côté pour quitter le milieu du chemin ; Balaam voulut l’empêcher de s’écarter et la frappa ; l’ânesse s’arrêta en témoignant encore plus de frayeur, et voulut reculer au lieu d’avancer, Balaam la frappa plus fort, mais l’ânesse résistait toujours et montrait une véritable terreur. Balaam continua à la battre sans pouvoir la faire avancer ; elle finit par tomber sur ses genoux.

Jeanne. Pauvre bête ! c’est qu’elle était trop fatiguée.

Grand’mère. Non, ce n’était pas la fatigue ; c’était un Ange qui s’était placé devant l’ânesse ; il tenait à la main une épée nue et l’empêchait d’avancer. Balaam ne voyait pas l’Ange et continuait à battre la pauvre bête.

Par un grand miracle, Dieu permit que l’ânesse put parler ; elle dit donc à Balaam, d’une voix humaine et plaintive, comme l’eût fait une personne raisonnable :

« Que vous ai-je fait ? pourquoi m’avez-vous battue trois fois ?

— Parce que tu l’as mérité et que tu ne veux pas m’obéir. Je voudrais avoir une épée pour te tuer, répondit Balaam, aussi étonné qu’irrité.

— Ne vous ai-je pas toujours obéi et servi avec fidélité ? Vous ai-je jamais résisté ?

— Jamais, dit Balaam. et c’est pourquoi je te bats. »

Au même moment l’Ange se fit voir. Balaam, se prosternant jusqu’à terre, l’adora.

« Pourquoi as-tu battu ton ânesse par trois fois ? Elle t’a sauvé la vie, car si elle avait voulu passer, je t’aurais tué avec mon épée, et elle n’aurait eu aucun mal. Le Seigneur m’a envoyé pour m’opposer à ton voyage, que tu entreprends pour faire le mal. »

Balaam lui répondit avec grand respect :

« Je ne savais pas, Seigneur, que vous vous opposiez à moi. S’il ne vous plaît pas que j’aille chez Balac, je m’en retournerai.

— Non ; va avec les gens que tu accompagnes, mais prends garde de ne rien dire que ce que le Seigneur te commandera. »

Balaam continua donc son chemin avec les envoyés qui l’accompagnaient. Ils arrivèrent chez Balac. Celui-ci les attendait avec impatience, et il vint au-devant d’eux à une grande distance du camp d’Israël.

« Pourquoi n’êtes-vous pas venu tout de suite quand j’ai envoyé chez vous ? dit Balac à Balaam. Avez-vous craint que je n’eusse pas de quoi payer votre peine ?

— Me voici, répondit Balaam. Mais comment pourrai-je dire autre chose que ce que me commandera le Dieu vivant ? »

Ils entrèrent ensemble dans une ville, près d’une montagne, au-dessus de Baal. Le lendemain, Balac, ayant envoyé des présents à Balaam, l’emmena avec lui sur la montagne et lui fit voir tout le camp des Israélites.

Balaam, ayant reçu les ordres du roi, fit dresser sept autels, sur lesquels on immola sept veaux et sept béliers. Ensuite, ouvrant la bouche et prenant la parole, au lieu de maudire les Israélites, il fut obligé par l’Ange du Seigneur de prononcer des paroles de bénédiction, et de prophétiser un avenir de gloire et de bonheur pour le peuple d’Israël.

« Qu’avez-vous fait ? lui dit Balac. Je vous ai fait venir et je vous ai payé pour les maudire ; et voilà que vous les bénissez !

— Que pouvais-je faire contre le Dieu d’Israël, qui forçait ma bouche à prononcer les paroles que j’ai dites ? répondit Balaam.

— Ce lieu est sans doute habité par le Dieu d’Israël ; venez dans un autre endroit, d’où vous pourrez les maudire, » dit Balac.

Ils allèrent bien loin, ils recommencèrent les sacrifices des sept autels ; mais Balaam fut encore obligé de bénir au lieu de maudire.

L’ange du Seigneur se place devant Balaam
L’ange du Seigneur se place devant Balaam


Une troisième fois, Balac le fit recommencer ailleurs ; là encore, Balaam fut obligé non seulement de bénir le camp d’Israël, mais de prophétiser la défaite et la mort de Balac et de tous les peuples qui s’opposeraient au Dieu d’Israël et à son peuple. Balac, devenu furieux, reprocha vivement à Balaam sa trahison, et refusa de lui donner les magnifiques présents qu’il lui avait promis. Balaam, qui désirait les avoir, voulut adoucir Balac ; il lui dit donc en s’en allant avec lui : « Le Dieu d’Israël a été plus fort que moi et m’a obligé de prononcer d’autres paroles que celles que je vous avais promises ; mais écoutez mon conseil, et vous serez débarrassé des Israélites, et la colère de leur Dieu les écrasera. Au lieu d’envoyer des guerriers au-devant d’eux pour les empêcher d’entrer dans votre royaume, envoyez-leur des femmes et des filles gaies et agréables, avec des fruits, des mets appétissants, des liqueurs fortes ; quand ils auront bu, mangé, causé avec ces femmes, ils les prendront en gré ; ils les verront souvent ; vos filles épouseront les jeunes gens d’Israël ; ils s’habitueront à vos idoles, ils leur offriront des sacrifices en compagnie de leurs femmes ; leur Dieu se mettra dans une grande colère, il les exterminera tous, et vous en serez débarrassés. »

Petit-Louis. Quel coquin d’homme, ce Balaam ! C’est dommage que l’Ange ne l’ait pas tué tout de suite, au lieu de faire peur à la pauvre ânesse.

Grand’mère. Sois tranquille, Balaam aura sa punition pour avoir résisté au bon Dieu ; il va être massacré avec Balac et tous ses amis.

Balac suivit l’abominable conseil de Balaam, et beaucoup d’Israélites se laissèrent en effet entraîner par les femmes moabites et madianites, et si bien, qu’ils consentirent à sacrifier aux faux dieux. Le Seigneur, justement irrité, ordonna à ses Lévites de tuer tous les coupables Israélites qui s’étaient laissé corrompre.

Moïse commanda donc le massacre des coupables. Phinéès, fils du grand prêtre Éléazar, aperçut un Israélite qui entrait dans la tente d’une mauvaise femme madianite, à la vue de Moïse et d’une foule de gens qui pleuraient devant le tabernacle. Phinéès, indigné, entra lui aussi dans la tente, et perça de son poignard l’Israélite et la femme madianite. Le conseil de Balaam avait déjà porté de tels fruits, et le mal était devenu si grand dans le peuple de Dieu, que les Lévites furent obligés de mettre à mort quatre-vingt mille coupables,

Valentine. Comment ! quatre-vingt mille coupables ?

Grand’mère. Oui, mon enfant ; et cela montre jusqu’à quel point une grande punition était nécessaire pour maintenir ce peuple mauvais et lâche dans le service du vrai Dieu. Ces exécutions étaient terribles, mais elles étaient justes et nécessaires. Le Seigneur fut apaisé et dit à Moïse : « Phinéès, fils d’Éléazar, a bien agi ; en récompense de son zèle pour mon culte, c’est lui qui sera grand prêtre après Éléazar. »

Moïse fit ensuite le dénombrement, c’est-à-dire le compte de tous les Israélites ; il s’en trouva six cent un mille sept cent trente, sans compter les femmes et les enfants.