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La Bible d’une grand’mère/87

La bibliothèque libre.
L. Hachette et Cie (p. 236-238).

LXXXVII

LA FILLE DE JEPHTÉ

(1180 ans avant J.-C.)



Après quelques années de désordre, Jephté, fils de Galaad, fut nommé juge des enfants d’Israël pour les sauver des Ammonites, qui les combattaient toujours. Jephté fit tout ce qu’il put pour désarmer les Ammonites et avoir la paix, mais ils ne voulurent pas y consentir. Alors Jephté invoqua le Seigneur et lui promit, s’il lui donnait la victoire, de lui offrir, en victime d’action de grâces, la première personne de sa maison qui viendrait le complimenter.

Valentine. Par exemple ! C’est bien cruel ! Tuer quelqu’un qui n’est coupable d’aucun crime et qui vient au contraire lui témoigner son amitié en le complimentant !

Grand’mère. Jephté avait certainement fait un vœu très-imprudent ; et le bon Dieu le lui fit sentir rudement, mais tu vas voir qu’il n’était question de tuer personne. Dieu permit en effet que la première personne qui vint au-devant de lui fût sa propre fille, sa fille unique qu’il aimait tendrement. Elle accourut Jephté et sa fille.
au-devant de son père à la tête de ses jeunes compagnes, toutes dansant et chantant.

En l’apercevant, Jephté fut pénétré de douleur, et fut obligé de révéler à sa fille la promesse qu’il avait faite au Seigneur. Vous jugez de la consternation, de la désolation de la malheureuse fille et de ses compagnes ; mais, voyant le désespoir de son père, cette fille courageuse l’exhorta à tenir sa promesse : elle lui représenta que c’était évidemment la volonté du Seigneur et qu’elle était prête à accomplir le vœu de son père.

« Mon père, ajouta-t-elle, accordez-moi une seule grâce. Laissez-moi demeurer deux mois encore avec mes compagnes. Je prierai le Seigneur de me donner le courage nécessaire pour vous quitter, pour abandonner l’espérance d’avoir une famille et me consacrer pour toujours au service du Seigneur. »

Le malheureux Jephté lui accorda ces deux mois qu’elle demandait ; elle les passa à pleurer avec ses compagnes et à prier le Seigneur. Elle revint auprès de son père après ce temps, calme, résignée et prête pour le sacrifice.

Jacques. C’est très-beau à elle, mais il ne s’agissait donc pas de la faire mourir ?

Grand’mère. Non, cher enfant ; il n’était question que de la consacrer au service du Temple, comme font maintenant nos religieuses quand elles quittent leurs familles pour se consacrer au service de Dieu.

Jacques. C’est égal, je ne trouve pas que le courage de cette pauvre fille diminue la faute du père. Et si j’avais été le bon Dieu, j’aurais déposé ce méchant père, et j’aurais fait régner sa fille à sa place.

Grand’mère, souriant. Je ne sais, cher enfant, si tu aurais bien fait, mais je crois que la fille eût été un triste juge, un fort mauvais général, et qu’elle eut été très-malheureuse au milieu de ce peuple désobéissant, méchant, insupportable et toujours mécontent

Quant à Jephté, il a été bien plus puni de son imprudence par le chagrin de s’être privé pour toujours de sa fille, qu’il aimait tendrement, qu’il ne l’eut été par une mort subite.