La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Rois/Livre 4

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 30 (p. 224-248).
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LIVRE IV.

Or il arriva qu’Ochozias roi d’Israël, étant tombé par les barreaux d’une salle à manger en Samarie, en fut très-mal. Et il dit à ses domestiques ; allez consulter Belzébub ou Belzébuth, le dieu d’Acaron, pour savoir si je pourrai en réchapper… en même temps un ange du seigneur parla à élie le thesbite, et lui dit : va-t’en aux gens du roi de Samarie, et dis-leur : est-ce qu’il n’y a pas un dieu en Israël ? Pourquoi consultez-vous un dieu en Acaron ; c’est pourquoi, voici ce que dit Adonaï : ô roi ! Tu ne releveras point de ton lit, ô roi ! Mais tu mourras de mort. Et ayant parlé ainsi, élie s’en alla. Les gens du roi retournerent donc vers lui, et lui dirent : il est venu un homme, qui nous a dit tu ne releveras point de ton lit, ô roi ! Mais tu mourras de mort[1] ;… cet homme est très-poiloux, et il a une ceinture de cuir sur les reins. Ah ! C’est élie le thesbite, dit le roi. Et aussi-tôt il envoya un capitaine avec cinquante soldats pour prendre élie, qui était sur le haut d’une montagne. Le capitaine dit à élie : homme de Dieu, le roi t’ordonne de descendre de ta montagne. élie lui répondit ; si je suis homme de Dieu, que la foudre descende du ciel et te dévore toi et tes cinquante hommes. Et la foudre descendit du ciel et dévora les cinquante hommes et le capitaine. Le roi Ochosias envoya aussi-tôt un autre capitaine avec cinquante autres soldats. Le capitaine dit à élie : allons, allons, homme de Dieu, descends vite. élie lui répondit : si je suis homme de Dieu, que la foudre descende du ciel et te dévore toi et tes cinquante. Et la foudre descendit et dévora encore ce capitaine et cette cinquantaine[2]. Les enfans des prophetes, qui étaient à Jérico, vinrent dire à élisée : ne sais-tu pas que le seigneur doit enlever aujourd’hui élie ? élisée répondit : je le sais ; n’en dites mot… et cinquante enfans des prophetes suivirent élie et élisée jusqu’au bord du Jourdain. Alors élie prit son manteau ; et l’ayant roulé, il en frappa les eaux du Jourdain, qui se diviserent en deux parts ; et élie et élisée passerent à sec. Quand ils furent passés, élie dit à élisée : demande-moi ce que tu voudras avant que je sois enlevé d’avec toi. élisée lui répondit : je te prie que ton double esprit soit fait en moi. élie lui dit : tu me demandes là une chose bien difficile ; cependant, si tu me vois quand je serai enlevé, tu l’auras ; mais si tu ne me vois point, tu ne l’auras pas[3]. Et comme ils continuaient leur chemin en causant ensemble, voici qu’un char de feu et des chevaux de feu descendirent et séparerent élie et élisée ; et élie fut enlevé au ciel dans un tourbillon[4]. élisée ramassa le manteau qu’élie avait laissé tomber par terre ; il prit le manteau, il en frappa les eaux du Jourdain ; mais elles ne se diviserent pas. élisée dit : eh bien, où est donc ce dieu d’élie ! Mais en frappant les eaux une seconde fois, elles se diviserent à droite et à gauche ; et élisée passa à pied sec. Or élisée monta delà à Béthel ; et comme il marchait dans le chemin, de petits enfans, étant sortis de la ville, se moquerent de lui en lui disant : monte, monte, chauve. élisée se retournant les anathématisa au nom du seigneur ; et en même temps deux ours sortirent d’un bois, et déchirerent quarante-deux enfants[5]. Or le roi d’Israël, Joram, fils d’Achab, régnant dans Samarie, et le roi Josaphat régnant dans Jérusalem, et un autre roi régnant dans l’Idumée, s’étant joints ensemble contre un roi de Moab, ayant marché par le désert pendant sept jours, et n’ayant d’eau ni pour leur armée ni pour leurs bêtes ; le roi d’Israël Joram dit : hélas ! Hélas ! Le seigneur nous a ici joints trois rois ensemble, pour nous livrer dans les mains de Moab. Le roi Josaphat dit : n’y aurait-il point ici quelque prophete d’Adonaï, pour prier Adonaï ? Un des gens du roi répondit : il y a ici le bouvier élisée, fils de Saphat, lequel était valet d’élie. Et Josaphat dit : la parole du seigneur est dans lui. Alors Joram roi de Samarie, Josaphat roi de Jérusalem, et le roi d’édom, allerent trouver élisée[6]. Joram roi de Samarie dit à élisée : dis-nous pourquoi le seigneur a assemblé trois rois pour les livrer aux mains du roi de Moab ? élisée lui répondit : vive Adonaï Sabaoth si je n’avais de respect[7] pour la face de Josaphat roi de Juda, je ne t’aurais pas seulement écouté ; et je n’aurais pas daigné te regarder ; mais maintenant qu’on m’amene[8] un harpeur. Et le harpeur vint chanter des chansons sur sa harpe ; et la main d’Adonaï fut sur élisée… les israélites battirent les moabites, qui s’enfuirent… le roi de Moab, ayant vu cela, prit son fils aimé qui devait régner[9] après lui, et il l’offrit en holocauste sur la muraille ; et les israélites, étant épouvantés, s’en retournerent chacun chez soi. Un certain jour élisée passait par le village de Sunam ; et il y avait une grande dame dans ce village qui lui donna du pain… cette femme dit à son mari : je vois que cet homme, qui passe souvent chez nous, est un saint homme de dieu ; fesons-lui faire une petite chambre ; mettons-y un petit lit, une table, une chaise et une lampe. Un jour donc élisée étant venu dans le village de Sunam, il alla loger dans cette chambre ; et il dit à son valet Gihézi : fais-moi venir cette sunamite ; et elle vint. élisée dit à son valet : demande-lui ce qu’elle veut que je fasse pour elle, si elle a quelque affaire, si elle veut que je parle au roi d’Israël Joram, ou au prince de sa milice ; que faut-il que je fasse pour elle ?[10]. Son valet Gihézi lui répondit : est-ce que cela se demande, ne vois-tu pas que son mari est vieux, et qu’elle n’a point d’enfant ? élisée la fit donc revenir, puis lui dit : tu auras[11] un enfant dans ta matrice, si à dieu plait, dans un an… cette femme eut donc un fils au bout de l’année… l’enfant mourut. La mere fit seller son ânesse, et alla trouver l’homme de Dieu sur le mont Carmel[12]. Cette femme ayant fait des reproches à élisée, il dit à Gihézi son valet : mets ta ceinture, prends ton bâton et marche ; si tu rencontres quelqu’un, ne le salue point ; si on te salue, ne réponds point ; mets ton bâton sur le visage de l’enfant, pour le ressusciter. Gihézi courut donc, et mit son bâton sur le visage de l’enfant ; mais l’enfant ne branla point, et la parole et le sentiment ne lui revinrent point. Gihézi revint donc dire à son maître que l’enfant ne voulait pas ressusciter. élisée entra donc dans la maison, et trouva l’enfant, mit sa bouche sur sa bouche, ses yeux sur ses yeux, ses mains sur ses mains, et se courba sur l’enfant. Et la chair de l’enfant se réchaufa ; et élisée descendant du lit se promena dans la maison par-ci par-là ; et puis il remonta, et se courba sur lui ; et l’enfant bâilla sept fois, et ouvrit les yeux[13]. élisée revint ensuite à Galgala ; il y avait une grande famine[14]. Les enfans des prophetes demeuraient avec lui ; et il dit à un valet : prends une grande marmite, et fais à manger pour les enfans des prophetes. Le valet, ayant trouvé des coloquintes, les mit dans sa marmite… les prophetes, en ayant goûté, s’écrierent : homme de Dieu, la mort est dans la marmite. Oh bien donc, dit élisée, apportez-moi de la farine. Ils apporterent de la farine ; il la mit dans la marmite ; et il n’y eut plus d’amertume dans le pot. Or il vint un homme de Baal-Salisa, qui portait des prémices et vingt pains d’orge, avec du froment nouveau dans sa poche… le cuisinier lui répondit : il n’y en a pas là pour servir à cent convives. élisée dit : donne, donne cela au peuple, afin qu’il mange ; car Adonaï dit, ils mangeront et il y en aura de reste. Le cuisinier servit donc ces pains devant le peuple ; ils mangerent et il y en eut de reste, selon la parole d’Adonaï[15]. Or Naaman, prince de la milice du roi de Syrie, était un homme grand et honoré chez son maître ; car c’était par lui qu’Adonaï avait sauvé la Syrie ; il était vaillant et riche, mais lépreux. Or des voleurs de Syrie ayant fait captive une fille d’Israël, cette fille était au service de la femme de Naaman. Cette fille dit à sa maîtresse : plût à dieu que monseigneur eût été vers le prophete qui est à Samarie ! Donc Naaman alla au roi son maître, et lui raconta le discours de cette fille. Le roi de Syrie lui répondit : va, j’écrirai pour toi au roi d’Israël. Il partit donc de Syrie. Il prit avec lui dix talents d’argent, six mille pieces d’or et dix robes… Naaman vint donc avec ses chariots et ses chevaux, et se tint à la porte de la maison d’élisée. Et élisée lui envoya dire : lave-toi sept fois dans le Jourdain ; et ta chair sera nette[16]. Il s’en alla donc, se lava sept fois dans le Jourdain, et sa chair devint comme la chair d’un enfant… Naaman dit donc à élisée : certainement il n’y a point d’autre dieu dans toute la terre, si ce n’est le dieu d’Israël ;… je ne ferai plus d’holocaustes à d’autres dieux ; mais je te demande de prier ton dieu pour ton serviteur ; car lorsque le roi mon maître viendra dans le temple de Rimnon pour adorer, et que je lui donnerai la main, si j’adore aussi dans le temple de Rimnon, il faut que ton dieu me le pardonne. élisée lui répondit : va t’en en paix…[17]. Quelque temps après, Benadad roi d’Assyrie assembla toute son armée : il monta, et vint assiéger Samarie… or il y avait grande famine en Samarie ; et la tête d’un âne se vendait quatre-vingts écus, et un quart de boisseau de crotins de pigeons cinq écus[18]. Et le roi d’Israël passant par les murailles, une femme s’écria et lui dit : ô roi monseigneur ! Sauve moi. Et le roi lui répondit : comment puis-je te sauver ? Je n’ai ni pain, ni vin ; que veux-tu me dire ? Et la femme repartit : voilà ma voisine qui m’a dit, donne-moi ton fils afin que nous le mangions aujourd’hui, et demain nous mangerons le mien ; nous avons donc fait cuire mon fils, et nous l’avons mangé ; je lui ai dit le lendemain : fesons cuire aussi ton fils afin que nous le mangions ; elle n’en veut rien faire ; elle a caché son enfant. Le roi, ayant entendu cela, déchira ses vêtemens, et passa vite la muraille. Il dit : que Dieu m’extermine si la tête d’élisée, fils de Saphat, demeure aujourd’hui sur ses épaules, car c’est lui qui nous a envoyé la famine[19]. Or élisée était assis dans sa maison. Des vieillards étaient avec lui. Le roi envoya donc vers lui un homme. Mais élisée dit à ses amis : prenez garde ; quand cet homme viendra pour me couper le cou, fermez bien la porte… comme il disait cela, le bourreau arriva et lui dit : voilà un grand mal ; que pourrons nous attendre du seigneur ? élisée lui répondit : écoute la parole du seigneur ; car voici ce que dit le seigneur. Demain à cette même heure le sac de farine se vendra trente-deux sous, et deux sacs d’orge se donneront pour trente-deux sous. Or pendant ce temps-là le seigneur fit entendre un grand bruit de chariots, de chevaux, et d’une grande armée dans le camp des syriens ; et tous les syriens s’enfuirent pendant la nuit, abandonnant leurs tentes, leurs chevaux, leurs ânes, et ne songeant qu’à sauver leur vie… tout le peuple aussitôt sortit[20] de Samarie et pilla le camp des syriens : et le sac de farine fut vendu trente-deux sous, et deux sacs d’orge trente-deux sous, selon la parole d’Adonaï… or élisée parla à la femme dont il avait ressuscité l’enfant, et lui dit : va t’en toi et ta famille où tu pourras ; car Adonaï a appellé la famine ; elle sera sur la terre pendant sept ans… pour élisée, il s’en alla à Damas. Benadad roi de Syrie était alors malade ; ses gens vinrent en hâte lui dire : voici l’homme de Dieu. Surquoi le roi dit à Hazaël : qu’on aille vite au-devant de l’homme de Dieu avec des présents ; qu’on le consulte si je pourrai relever de ma maladie… Hazaël alla donc vers élisée avec quarante chameaux chargés de présents ; et quand il fut devant élisée, il lui dit : ton fils le roi de Syrie m’a envoyé à toi avec ces présents, disant : pourrai-je guérir de ma maladie ? élisée lui dit : va t’en, dis-lui qu’il guérira ; cependant le seigneur m’a dit qu’il mourra. Et l’homme de Dieu disant cela se mit à pleurer[21]. Hazaël lui dit : pourquoi monseigneur pleure-t-il ? élisée dit : c’est que je sais que tu feras grand mal aux fils d’Israël ; tu brûleras leurs villes, tu tueras avec le glaive les jeunes gens, tu fendras le ventre aux femmes grosses… Hazaël lui dit : comment veux-tu que je fasse de si grandes choses, moi qui ne suis qu’un chien ? élisée répondit : c’est qu’Adonaï m’a révélé que tu seras roi de Syrie… le lendemain Hazaël, ayant quitté élisée, vint retrouver Benadad son maître qui lui dit : eh bien, que t’a dit élisée ? Il répondit : ô roi ! Il m’a dit que tu guériras. Alors il prit une peau de chevre mouillée, la mit sur le visage du roi, et l’étouffa. Le roi mourut, et Hazaël régna à sa place[22]. En ce temps-là le prophete élisée appella un des enfans des prophetes, et lui dit : prends une petite bouteille d’huile, et va-t’en à Ramoth de Galaad ; quand tu seras là, tu verras Jéhu fils de Josaphat, fils de Namsi, et tu lui répandras en secret ta bouteille sur la tête, en lui disant : voici comme parle Adonaï, je t’oins roi d’Israël. Aussitôt tu ouvriras la porte et tu t’enfuiras… le jeune prophete alla donc en Ramoth de Galaad… et versa sa bouteille d’huile sur la tête de Jéhu, lui disant : je t’ai oint roi sur le peuple d’Israël de la part du seigneur, à condition que tu vengeras le sang des prophetes, etc… or Jéhu frappa le roi Joram son maître d’une fleche entre les épaules, qui lui perça le cœur ; et il tomba mort de son chariot. Ochozias roi de Juda, son ami, qui était venu le voir, s’enfuit par le jardin. Jéhu le poursuivit, et dit : qu’on le tue aussi celui-là ; et il fut tué… … et Jéhu leva la tête vers une fenêtre, où était Jézabel veuve du roi d’Israël Achab… et il dit : qu’on la jette par la fenêtre. Et on la jetta par la fenêtre ; et la muraille fut mouillée de son sang… or Achab avait eu soixante et dix fils dans Samarie. Et Jéhu écrivit aux chefs de Samarie, et leur manda : coupez les têtes des fils de votre roi, et venez nous les apporter demain dans Israël… dès que les premiers de la ville de Samarie eurent reçu ces lettres du roi Jéhu, ils prirent les soixante et dix fils du roi Achab, leur couperent le cou, et mirent leurs têtes dans des corbeilles… Jéhu fit mourir ensuite tout ce qui restait de la maison d’Achab, tous ses amis, tous ses officiers, tous les prêtres ; desorte qu’il ne resta plus personne. Après cela il vint à Samarie ; il rencontra les freres d’Ochosias roi de Juda ; il leur demanda : qui êtes-vous ? Ils lui répondirent : nous sommes quarante-deux freres d’Ochosias roi de Juda. Et Jéhu dit à ses gens : eh bien, qu’on les prenne tout vifs. Et les ayant pris vifs, il fit égorger tous les quarante-deux dans une citerne ; et il n’en resta rien… Athalie, mere d’Ochozias, voyant son fils mort, et les quarante-deux freres d’Ochozias morts, fit tuer tous les princes du sang royal ; mais Josabeth, sœur d’Ochozias, cacha le petit Joas fils d’Ochozias… et sept ans après, Joiadad grand-prêtre fit tuer par le glaive Athalie[23]. La vingt-troisieme année de Joas fils d’Ochozias roi de Juda, la fureur du seigneur s’alluma contre Israël ; et il les livra entre les mains d’Hazaël roi de Syrie… et élisée étant tombé malade, un autre Joas roi d’Israël vint le voir. élisée dit au roi Joas : apporte-moi des fleches. Puis il dit : ouvre la fenêtre à l’orient ; jette une fleche par la fenêtre ;… frappe la terre avec tes fleches… le roi Joas ne frappa la terre que trois fois. L’homme de Dieu se mit en colere contre le roi Joas, et lui dit : si tu avais frappé la terre cinq fois, six fois, ou sept fois, tu aurais exterminé la Syrie ; mais puisque tu n’as frappé la terre que trois fois, tu ne battras les syriens que trois fois… puis élisée mourut ; et il fut enterré[24]. Or il arriva que des gens qui portaient un corps mort en terre apperçurent des voleurs ; et en s’enfuyant ils jetterent le corps mort dans le sépulcre d’élisée… dès que le corps mort toucha le corps d’élisée, il ressuscita sur le champ et se dressa sur ses pieds…[25]. Pendant le regne de Phacée roi d’Israël, Teglatphalassar roi des assyriens vint en Israël, il prit toute la Galilée et le pays de Nephtali, et en transporta tous les habitants en Assyrie…[26]. Salmanasar roi des assyriens marche contre Ozée fils d’éla, qui régnait sur Israël à Samarie. Et Ozée fut asservi à Salmanasar, et lui paya tribut[27]. Mais Ozée ayant voulu se révolter contre lui, il fut pris et mis en prison chargé de chaînes… Salmanasar dévasta tout le pays ; et étant venu à Samarie, il l’assiégea pen- dant trois ans ; et la neuvieme année d’Ozée Salmanazar prit Samarie, et transporta tous les israélites au pays des assyriens dans Ola, dans Habor, dans les villes des medes, vers le fleuve Gozan… et cela arriva, parce que les enfants d’Israël avaient péché contre leur dieu Adonaï[28]. Or le roi d’Assyrie fit venir des habitants de Babylone, de Kutha, d’Ava, d’émath, de Sépharvaïm, et les établit dans les villes de la Samarie à la place des enfants d’Israël… quand ils y furent établis, ils ne craignirent point Adonaï ; mais Adonaï leur envoya des lions, qui les égorgeaient[29]. Cela fut rapporté au roi des assyriens, auquel on dit : les peuples que tu as transportés dans la Samarie, et auxquels tu as commandé de demeurer dans ses villes, ignorent la maniere dont le dieu de ce pays-là veut être adoré ; et ce dieu leur a détaché des lions ; et voilà que ces lions les tuent, parce qu’ils ignorent la religion du dieu du pays. Alors le roi des assyriens donna cet ordre, disant : qu’on envoie en Samarie l’un des prêtres captifs ; qu’il retourne, et qu’il apprenne aux habitants le culte du dieu du pays…[30]. Ainsi un des prêtres captifs de Samarie, y étant revenu, leur apprit la maniere dont ils devaient adorer Adonaï…[31]. Ainsi chacun de ces peuples se forgea son dieu ; et ils mirent leurs dieux dans leurs temples, et dans les hauts lieux. Chaque peuplade mit le sien dans les villes où elle habitait. Les babyloniens firent leur soccoth Bénoth, les cuthéens leur Nergel, les émathiens leur Asima, les hévéens leur Nébahas et Terthah, pour ceux de Sépharvaïm ils brûlerent leurs enfants en l’honneur d’Adramélec et d’Anamélec. Or tous ces peuples adoraient Adonaï, et ils prirent les derniers venus pour prêtres des hauts lieux… et comme ils adoraient Adonaï, ils servaient aussi leurs dieux, selon la coutume des nations transplantées en Samarie… [32]. La quatorzieme année du roi ézéchias roi de Juda, Sennachérib roi des assyriens vint attaquer toutes les villes fortifiées de Juda, et les prit… alors ézéchias envoya des messagers au roi des assyriens disant : j’ai péché envers toi ; retire-toi de moi ; je porterai tous les fardeaux que tu m’imposeras. Le roi d’Assyrie lui ordonna donc de payer trente talents d’argent, et trente talents d’or… ézéchias donna tout l’argent qui était dans la maison d’Adonaï et dans les trésors du roi… or les serviteurs du roi ézéchias allerent trouver Isaïe le prophete ; et Isaïe leur dit : dites à votre maître, voici ce que dit Adonaï : ne crains point les paroles blasphématoires des officiers du roi d’Assyrie ; car je vais lui envoyer un certain esprit, un certain soufle ; et il apprendra une nouvelle après laquelle il retournera dans son pays ; et je le frapperai dans son pays par le glaive… cette même nuit l’ange du seigneur vint dans le camp des assyriens, et il tua cent quatre-vingt-cinq mille hommes… et Sennachérib roi des assyriens, s’étant levé au point du jour, vit tous ces corps morts, et s’en retourna aussitôt. En ce temps-là ézéchias roi de Juda fut malade à la mort. Le prophete Isaïe fils d’Amos vint lui dire : voici ce que dit le dieu Adonaï : mets ordre à tes affaires, car tu mourras, et tu ne vivras pas… alors ézéchias tourna sa face contre la muraille, et pria Dieu, disant : seigneur, souviens-toi, je te prie, comment j’ai marché dans la vérité et dans un cœur parfait, et que j’ai fait ce qui t’a plu. Et il sanglota avec de grands sanglots… et Isaïe n’était pas encore à la moitié de l’antichambre, qu’Adonaï revint lui faire un discours, disant : retourne et dis à ézéchias chef de mon peuple, voici ce que dit Adonaï, dieu de David ton pere : j’ai entendu ta priere ; j’ai vu tes larmes ; je t’ai guéri ; et dans trois jours tu monteras au temple d’Adonaï, et j’ajouterai encore quinze années à tes jours[33]… bien plus, je te délivrerai, toi et cette ville, du roi des assyriens, et je protégerai cette ville à cause de moi et de David mon serviteur. Alors Isaïe dit : qu’on m’apporte une marmelade de figues. On lui apporta la marmelade ; on la mit sur l’ulcere du roi, et il fut guéri… mais ézéchias ayant dit à Isaïe : quel signe aurai-je que le seigneur me guérira, et que j’irai dans trois jours au temple d’Adonaï ? Et Isaïe lui dit : voici le signe du seigneur, comme quoi le seigneur fera la chose qu’il t’a dite, veux-tu que l’ombre du soleil s’avance de dix degrés, ou qu’elle retourne en arriere de dix degrés ? ézéchias lui dit : il est aisé que l’ombre croisse de dix degrés ; ce n’est pas ce que je veux qu’on fasse ; mais que l’ombre retourne en arriere de dix degrés. Le prophete Isaïe invoqua donc Adonaï ; et il fit que l’ombre retourna en arriere de dix degrés, dont elle était déjà descendue dans l’horloge d’Achaz…[34]. Manassé, fils d’ézéchias, avait douze ans lorsqu’il commença à régner… il dressa des autels à Baal… et à toute l’armée du ciel dans les deux parvis du temple d’Adonaï… il fit passer son fils par le feu ; il prédit l’avenir ; il observa les augures, fit des pythons et des aruspices[35]… il s’endormit enfin avec ses peres, et fut enseveli dans le jardin de sa maison… … Josias avoit huit ans lorsqu’il commença à régner ; et il régna trente et un an ; et il fit ce qui est agréable au seigneur… or un jour le grand-prêtre Helkias dit à Saphan secrétaire : j’ai trouvé le livre de la loi dans le temple du seigneur en fesant fondre de l’argent…[36]. Saphan secrétaire dit au roi : le grand-prêtre Helkias m’a donné ce livre. Et il le lut devant le roi… et le roi Josias déchira ses vêtemens… et il dit au grand-prêtre Helkias, et à Saphan secrétaire : allez, consultez Adonaï sur moi et sur le peuple touchant les paroles de ce livre qu’on a trouvé. Et le roi assembla tous les prêtres des villes de Juda ; et il souilla tous les hauts lieux… il souilla ainsi la vallée de Tophet, afin que personne ne sacrifiât plus son fils[37] ou sa fille à Moloc… il ôta aussi les chevaux que les rois de Juda avaient donnés au soleil à l’entrée du temple… il tua tous les prêtres des hauts lieux qui étaient à Béthel… et brûla sur ces autels des os de morts… puis il dit à tout le peuple : célébrons la pâques en l’honneur d’Adonaï votre dieu, selon ce qui est écrit dans ce livre du pacte avec Dieu…[38]. Il n’y eut point avant Josias de roi semblable, qui revînt au seigneur de tout son cœur, de toute son ame et de toute sa force ; et on n’en a point vu non plus après lui… cependant l’extrême fureur d’Adonaï ne s’appaisa point, parce que Manassé pere de Josias l’avait fort irrité. C’est pourquoi Adonaï dit : je rejetterai Juda de ma face, comme j’ai rejetté Israël ; et je rejetterai Jérusalem et la maison que j’ai choisie[39]. En ce temps-là le pharaon Néchao roi d’égypte marcha contre le roi des assyriens au fleuve de l’Euphrate ; et Josias marcha contre lui, et il fut tué dès qu’il parut… pharaon Néchao prit Joachaz le fils de Josias, et l’enchaîna dans la terre d’émath, afin qu’il ne régnât point à Jérusalem ; et il condamna Jérusalem à payer cent talents d’argent et un talent d’or… et pharaon Néchao établit roi à Jérusalem éliakim autre fils de Josias, et lui changea son nom en celui de Joachin[40]. En ce temps-là Nabucodonosor roi de Babylone marcha contre Juda ; et Joachim fut son esclave pendant trois ans… après quoi il se révolta… alors le seigneur envoya des troupes de brigands de Chaldée, de Syrie, de Moab, d’Ammon, contre Juda, pour l’exterminer selon le verbe que le seigneur avait fait entendre par ses serviteurs les prophetes…[41]. Et Joachim s’endormit avec ses peres ; et son fils Joachim régna à sa place. Et Nabucodonosor vint avec ses gens pour prendre Jérusalem. Joachim roi de Juda sortit de la ville, et vint se rendre au roi de Babylone avec sa mere, ses serviteurs, ses princes, ses eunuques, la huitieme année de son regne… et le roi Nabucodonosor emporta tous les trésors de Jérusalem, ceux de la maison d’Adonaï et ceux de la maison du roi : il brisa tous les vases d’or que Salomon avait mis dans le temple selon le verbe d’Adonaï… il transporta toute la ville de Jérusalem[42], tous les princes, tous les hommes vigoureux de l’armée, au nombre de dix mille, et tous les hommes ouvriers, et tous les orfevres… il fit transporter à Babylone Joachim, et la mere de Joachim, et ses femmes, et ses eunuques, et les juges, de la terre de Juda en captivité ; et sept mille hommes robustes de Juda, et tous les ouvriers robustes ; ils furent tous captifs à Babylone… et il établit Roitelet tributaire Mathania oncle de Joachim, qu’il appella Sédécias… la colere d’Adonaï s’alluma plus que jamais contre Jérusalem et Juda ; il les rejetta de sa face. Et Sédécias se révolta contre le roi de Babylone… donc le roi de Babylone marcha avec toute son armée contre Jérusalem, et il l’entoura tout au tour… et le neuvieme jour du mois il y eut grande famine en Jérusalem, et le peuple n’avait point de pain… tous les gens de guerre s’enfuirent la nuit par la porte du jardin du roi ; et Sédécias s’enfuit par un autre chemin. Et l’armée des chaldéens poursuivit le roi, et le prit dans la plaine de Jérico… ils l’amenerent devant le roi de Babylone dans Réblata ; et le roi de Babylone lui prononça son arrêt… on tua ses enfants en sa présence, on lui creva les yeux, on le chargea de chaînes et on l’emmena à Babylone… Nabuzardan général du roi Nabucodonosor brûla la maison d’Adonaï, et la maison du roi, et toutes les maisons dans Jérusalem… il transporta captif à Babylone tout le peuple qui était demeuré dans la ville ; il laissa seulement les plus pauvres du pays pour labourer les champs et cultiver les vignes. Nabuzardan emmena aussi Saraïas le grand-prêtre, et Sophonie le second prêtre, trois portiers et un capitaine eunuque, et cinq eunuques de la chambre du roi Sédécias, et Sopher capitaine qui commandait l’exercice, et soixante chefs qu’on trouva dans la ville… et Nabucodonosor roi de Babylone les fit tous mourir dans Réblata.

  1. nous n’examinerons ici que les objections de Mylord Bolingbroke. Selon lui " élie le thesbite est un personnage imaginaire ; et Thesbe sa patrie est aussi inconnue que lui. Ces premieres paroles confirment que chaque bourgade, dans tous ces pays-là, avait son dieu qui en valait bien un autre. Il était indifférent au roi Ochosias, d’envoyer chez le dieu Adonaï, ou chez le dieu Belzébub. Il paraît qu’élie était très connu du roi Ochosias ; puisque, lorsque ses gens lui dirent qu’il est venu un fou poiloux avec une ceinture de cuir, il dit tout d’un coup : c’est élie. Il ne crut pas devoir consulter un homme que toute sa cour regardait avec dérision. "
  2. Mylord Bolingbroke continue ainsi. " cet élie, qui fait descendre deux fois la foudre sur deux capitaines, et sur deux compagnies de soldats envoyées de la part de son roi, ne peut être qu’un personnage chimérique ; car s’il pouvait se battre ainsi à coups de foudre, il aurait infailliblement conquis toute la terre en se promenant seulement avec son valet. C’est ce qu’on disait tous les jours aux sorciers : si vous êtes sûrs que le diable, avec qui vous avez fait un pacte, fera tout ce que vous lui ordonnerez, que ne lui ordonnez-vous de vous donner tous les empires du monde, tout l’argent et toutes les femmes ? On pouvait dire de-même à élie : tu viens de tuer deux capitaines et deux compagnies à coups de tonnerre ; et tu t’enfuis comme un lâche, et comme un sot, dès que la reine Jésabel te menace de te faire pendre ! Ne pouvais-tu pas foudroyer Jésabel, comme tu as foudroyé ces deux pauvres capitaines ? Quelle impertinente contradiction fait de toi tantôt un dieu, et tantôt un gougeat ? Quel homme sensé peut supporter ces détestables contes, qui font rire de pitié et frémir d’horreur ? " ces invectives terribles seraient à leur place contre les prêtres des faux dieux ; mais non pas contre un prophete du seigneur, qui ne parle et n’agit jamais de lui-même, et qui n’est que l’instrument du seigneur. Il n’a point fait son marché avec Dieu, comme les sorciers prétendaient en avoir fait un avec le diable.
  3. l’enlévement admirable d’élie au ciel se prépare ; mais d’où ces fils de prophetes le savaient-ils ? Pourquoi élie roule-t-il son manteau ? Pourquoi diviser les eaux du Jourdain, comme avait fait Josué ? Le char de feu, dans lequel élie monta, ne pouvait-il pas l’enlever aussi bien à la droite qu’à la gauche du Jourdain ? nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus. on s’est beaucoup tourmenté pour savoir ce que c’est que ce double soufle, ou ce double esprit, qu’élisée, valet et successeur d’élie, demande à son maitre. Il lui demande un esprit aussi puissant que le sien, un esprit qui en vaut deux ; c’est le duplici panno d’Horace ; c’est, comme nous disons, enfermer à double tour. à l’égard de la réponse d’élie, les commentateurs ne l’ont jamais expliquée. Torniel pense qu’elle signifie : si tu as les yeux assez bons pour me distinguer quand je serai dans mon char de feu environné de lumiere, ce sera signe que tu auras autant de génie que moi ; mais si tu ne peux me voir, ce sera signe que tu seras toujours médiocre. Surquoi Toland dit, que le savant Torniel est encore plus médiocre qu’élisée. Nous n’approuvons pas ces écarts de Toland.
  4. ce char de lumiere, ces quatre chevaux de feu, ce tourbillon dans les airs, ce nom d’élie, ont fait penser au Lord Bolingbroke et à Monsieur Boulanger, que l’avanture d’élie était imitée de celle de Phaëton qui s’assit sur le char du soleil. La fable de Phaëton fut originairement égyptienne : c’est du moins une fable morale, qui montre les dangers de l’ambition. Mais que signifie le char d’élie ? Les écrivains juifs, dit le Lord Bolingbroke, ne sont jamais que des plagiaires grossiers et maladroits.
  5. si l’histoire de quarante-deux petits garçons était vraie, dit encore Milord Bolingbroke, " élisée ressemblerait à un valet qui vient de faire fortune ; et qui fait punir quiconque lui rit au nez. Quoi, exécrable valet de prêtre, tu ferois dévorer par des ours quarante-deux enfants innocents pour t’avoir appellé chauve ! Heureusement il n’y a point d’ours en Palestine ; ce pays est trop chaud, et il n’y a point de forêt. L’absurdité de ce conte en fait disparaitre l’horreur ". C’est ainsi que s’explique un anglais ; qui avait cet esprit puissant, ce double génie que demandait élisée, mais qui avait aussi double hardiesse. Je n’oserais assurer qu’il n’y ait point d’ours en Galilée ; c’est un pays plein de cavernes, où ces animaux venus de loin, auraient pu se retirer.
  6. c’est toujours Mylord Bolingbroke qui parle. " si on voyait trois rois, l’un papiste et les deux autres protestans, aller chez un capucin pour obtenir de lui de la pluie, que dirait-on d’une pareille imbécillité ? Et si un frere capucin écrivait un pareil conte dans les annales de son ordre, ne conviendrait-on pas de la vérité du proverbe : orgueilleux comme un capucin ". Ces paroles du Lord Bolingbroke ne peuvent faire aucun tort à élisée. On peut dire qu’élisée entendait, qu’un orthodoxe ne doit parler à un hérétique que pour tâcher de le convertir.
  7. M Colins et Mylord Bolingbroke disent que cette réponse d’élisée est bien d’un bouvier qui a fait fortune. Mais le jacobin Torquémada dit que c’est la noble fierté d’un prophete, qui daigne s’abaisser à parler à un roi hérétique qu’il aurait pu mettre à l’inquisition.
  8. pourquoi élisée ne peut-il prophétiser sans le secours d’un ménétrier ? Ces insolens anglais le comparent to an old letcher who can not suive if he does not fumble . Nous nous garderons bien de traduire ces paroles infames.
  9. l’action du roi de Moab est d’une autre nature que celle du prophete élisée, qui ne peut prophétiser si on ne joue du violon ou de la harpe : elle prouve que les juifs ne furent pas les seuls de ces cantons qui sacrifierent leurs enfans. Mais devaient-ils s’enfuir parce que leur ennemi, le roi de Moab, fesait une action abominable qu’ils commirent souvent eux-mêmes ? Au contraire ils devaient presser le siege, ils devaient abolir cette horrible coutume, comme les romains défendirent aux carthaginois d’immoler des hommes, et comme César le défendit aux sauvages gaulois.
  10. dès qu’élisée est logé et nourri par une dévote, il oublie qu’il est infiniment au-dessus du roi Joram, auquel il disait tout-à-l’heure, qu’il ne daignait le regarder ni lui parler. Il se dit ici son favori, et demande s’il peut rendre service à sa dévote auprès du roi Joram. qualis ab incessu processerit et sibi constet . Il semble qu’élisée change ici de caractere ; on peut dire qu’il préfere le plaisir de rendre service, au maintien de la dignité de son ministere le plaisir de rendre service. (Id.)
  11. nous ne sommes pas de ces gausseurs impies, qui prétendent que le texte insinue que le prophete fit un enfant à sa dévote ; nous sommes bien loin de soupçonner une chose si incroyable d’un disciple de prophete, devenu prophete lui-même, et auquel il n’a manqué qu’un char de feu, et quatre chevaux de feu, pour égaler élie.
  12. on demande pourquoi élisée envoie son valet ressusciter le petit garçon avec son bâton, puisqu’il savait bien que son valet ne le ressusciterait pas. On demande pourquoi il lui ordonne de ne saluer personne en chemin. Il est clair que c’est pour aller plus vite ; et Calmet remarque que Jesus-Christ ordonne la même chose à ses apôtres dans st Luc. Mais pourquoi courir si vite pour ne rien faire ?
  13. les incrédules se moquent de ce miracle d’élisée et de toutes ses simagrées, et de toutes ses contorsions ; ils disent que ce n’est là qu’une fade imitation du miracle d’élie, qui ressuscita le fils de la veuve de Sarepta. Mais il y a un sens mystique ; et ce sens est, qu’il faut se proportionner aux petits pour leur faire du bien. Le révérend pere Don Calmet, profond dans l’intelligence de l’écriture, ne doute pas, après plusieurs autres peres, que le bâton du valet d’élisée ne soit évidemment la synagogue, et qu’élisée ne soit l’église romaine.
  14. et encore famine, et toujours famine ; et toujours preuve, que ce beau pays de Canaan, avec ses montagnes pelées, ses cavernes, ses précipices, son lac de Sodome et son désert de sables et de cailloux, n’était pas tout-à-fait aussi fertile que de bonnes gens le chantent ; et qu’il en faut croire st Jérôme plutôt que les espions de Josué, qui rapporterent sur une civiere un raisin que deux hommes avaient bien de la peine à soulever. (Id.) — Par l’expression de bonnes gens qui chantent la fertilité de la Judée, Voltaire désigne l’abbé Guenée, auteur des lettres de quelques Juifs, auxquelles il répondit par un Chrétien contre six Juifs, et qui a donné depuis, en quatre Mémoires, des recherches sur la Judée. (B.)
  15. ce passage semble indiquer bien des choses ; mais la plus remarquable est, que des évangiles racontent la même chose de Jesus-Christ, afin que l’ancien testament fût en tout une figure du nouveau.
  16. Naaman fut fort étonné qu’on lui ordonnât de se baigner pour la galle. Il y avait de beaux fleuves à Damas, qui pouvaient le guérir ; mais ces fleuves n’avaient pas la vertu du Jourdain, purifiante par la vertu d’élisée.
  17. il est bien juste que le général du roi de Syrie, ayant été guéri de la galle par élisée, confesse que le dieu d’Israël est le plus grand de tous les dieux, et jure qu’il n’en servira jamais d’autre ; mais il est bien étrange que dans le même moment il demande la permission d’adorer le dieu Rimnon. Il est encore plus étrange que le juif élisée lui donne cette licence sans restriction, sans modification. Si c’est par esprit de tolérance, élisée soit beni ! Salut à élisée ! Ce n’est pourtant pas le premier juif qui ait trouvé bon qu’on adorât d’autres dieux qu’Adonaï. Jacob avait trouvé bon que son beau pere, et ses deux femmes, et ses deux servantes, eussent d’autres dieux ; un petit fils de Mosé, ou Moyse, avait été prêtre des dieux de Michas dans la tribu de Dan ; Salomon, et presque tous ses successeurs, adoraient des dieux étrangers ; et malgré les lévites, malgré l’atroce et cruelle stupidité de la nation, les juifs furent souvent plus tolérants qu’on ne pense.
  18. et toujours famine dans la terre promise !
  19. il faut avouer que, si élisée avait envoyé la famine par malice dans la terre promise, le roi Joram aurait été excusable de lui faire couper le cou ; puisqu’élisée aurait été cause que les meres mangeaient leurs enfans. Pour la femme, qui avait donné la moitié de son fils pour souper à sa voisine, c’est une grande question, dit Du Marsais, si elle avait le droit de manger à son tour la moitié de l’enfant de cette comere selon son marché ; il y a de grandes autorités pour et contre. Ce passage de Du Marsais fait trop voir qu’il ne croyait point cette avanture, et qu’il la regardait comme une de ces exagérations que les juifs se permettaient si souvent.
  20. dieu merci, si élisée a envoyé la famine, il envoie aussi l’abondance ; et un grand sac de farine ne coutera que trente deux sous. On est seulement un peu surpris que le roi de Syrie s’enfuie tout d’un coup sans raison ; mais c’est encore un miracle d’élisée.
  21. la conduite d’élisée ne paraît pas cette fois si édifiante. Il dit au capitaine Hazaël : capitaine, va dire au roi qu’il guérira ; mais je sais qu’il mourra. Il est difficile d’excuser le prophete sans une direction d’intention. La solution de cette difficulté est peut-être, que le prophete ne veut pas effrayer le roi, mais il veut que la parole du seigneur s’accomplisse.
  22. nous voilà retombés dans cet épouvantable labyrinthe d’assassinats multipliés que nous voulions éviter. Les rois de Syrie disputent de crimes avec les roitelets de Juda et d’Israël. Le seigneur avait ordonné à élisée d’oindre Hazaël christ et roi de Syrie ; il n’en fait rien ; mais Hazaël n’en est pas moins roi pour avoir étouffé son souverain avec une peau de chevre. élisée avait aussi un ordre exprès d’Adonaï d’aller oindre Jéhu roi christ d’Israël : il envoie à sa place un petit prophete ; et dès que Jéhu est oint, il devient plus méchant que tous les autres : il assassine son roi Joram ; il assassine le roi de Juda Ochosias, qui était venu faire une visite à son ami Joram ; " il assassine sa reine Jézabel, qui ne valait pas mieux que lui, et la donne à manger aux chiens ; il assassine soixante et dix fils du roi Achab mari de Jésabel, et on met leurs têtes dans des corbeilles ; il assassine quarante-deux freres d’Ochosias roitelet de Jérusalem. Athalie grand-mere du petit Joas assassine tous ses petits-fils dans Jérusalem, à ce que dit l’histoire, à la réserve du petit Joas, qui échappe : elle avait près de cent ans, selon la computation judaïque, et n’avait d’ailleurs aucun intérêt à les égorger ; elle ne commet tous ces prétendus assassinats que pour le plaisir de les commettre, et pour donner un prétexte au grand-prêtre Joiada de l’assassiner elle-même. Enfin c’est une scene de meurtres et de carnage, dont on ne pourrait trouver d’exemple que dans l’histoire des fouines, si quelque coq de basse-cour avait fait leur histoire. " ce sont les propres paroles du curé Mêlier ; nous ne pouvons les réfuter qu’en avouant cette multitude effroyable de crimes, et qu’en redisant ce que mes deux prédécesseurs et moi avons toujours dit, que le seigneur n’abandonna son peuple aux mains des ennemis, que pour le punir de cette persévérance dans la cruauté, depuis l’assassinat du roitelet de Sichem et de tous les sichémites jusqu’à l’assassinat du grand-prêtre Zacharie, fils du grand-prêtre Joiada, par le roi Joas petit-fils de la reine Athalie : ce qui fait une période d’assassinats d’environ neuf cents années presque sans interruption ; et les mœurs de ce peuple, depuis le rétablissement de Jérusalem jusqu’à Adrien, ne sont pas moins barbares.
  23. les critiques disent qu’il ne profita point aux hébreux d’être le peuple de Dieu, et que s’il avait été expressément le peuple du diable, ils n’auraient jamais pu être plus méchants ni plus malheureux. Il est vrai que ce peuple est d’autant plus coupable, que Dieu ne cesse jamais d’être avec lui, soit pour le favoriser, soit pour le punir. Les autres nations, et jusqu’aux romains-mêmes, se vanterent aussi d’avoir leurs dieux présents parmi elles, mais de loin à loin, et rarement en personne ; mais depuis le temps d’Abraham le seigneur Adonaï habita presque toujours avec les hébreux, leur parlant de sa bouche, les conduisant par sa main ; de sorte que le plus grand des prodiges opérés sur cette petite nation, est qu’elle ait persévéré presque sans relâche dans l’apostasie et dans le crime.
  24. les critiques cherchent en vain à comprendre pourquoi le melch de Samarie Joas auroit exterminé les syriens s’il avoit jetté sept fleches par la fenêtre. élisée savait donc non seulement ce qui devait arriver, mais encore ce qui devait ne pas arriver, et le futur absolu, et le futur contingent. Songeons que la prophétie est une chose si surnaturelle, que nous ne devons jamais l’examiner selon les regles de la sagesse humaine.
  25. les critiques ne se lassent point de faire des objections. Ils demandent pourquoi le seigneur ne ressuscita pas élisée lui-même, au lieu de ressusciter un inconnu que des voleurs avaient jetté dans sa fosse ? Ils demandent ce que devint cet homme qui se dressa sur ses pieds ! Ils demandent si c’était une vertu secrette, attachée aux os d’élisée, de ressusciter tous les morts qui les toucheraient ? à tout cela que pouvons-nous répondre ? Que nous n’en savons rien.
  26. enfin voici le dénouement de la plus grande partie de l’histoire hébraïque. C’est ici que commence la destruction des dix tribus entieres, et bientôt la captivité des deux autres : c’est à quoi se terminent tant de miracles faits en leur faveur. Les sages chrétiens voient avec douleur le désastre de leurs peres, qui leur ont frayé le chemin du salut. Les critiques voient avec une secrete joie l’anéantissement de presque tout un peuple, qu’ils regardent comme un vil ramas de superstitieux enclins à l’idolâtrie, débauchés, brigands, sanguinaires, imbécilles et impitoyables. On dirait, à entendre ces critiques, qu’ils sont au nombre des vainqueurs de Samarie et de Jérusalem. Cette révolution nous offre un tableau nouveau, et de nouveaux personnages. Quels étaient ces peuples et ces rois d’Assyrie, qui vinrent de si loin fondre sur le petit peuple qui avait habité près de la Célésyrie, de Dan jusqu’à Bersabé, dans un terrein d’environ cinquante lieues de long sur quinze de large, et qui espéra dominer sur l’Euphrate, sur la Méditerranée et sur la mer Rouge ?
  27. qui était ce Téglatphalassar et ce Salmanazar, par qui commença l’extinction de la lampe d’Israël ? Ces rois régnaient-ils à Ninive ou à Babylone ? à qui croire, de Ctésias ou d’Hérodote, d’Eusebe ou de Syncelle extrait par Photius ? Y a-t-il eu chez les orientaux un Bélus, un Ninus, une Sémiramis, un Ninias, qui sont des noms grecs ? Tonas Concoleros est-il le même que Sardanapale ? Et ce Sardanapale était-il un fainéant voluptueux, ou un héros philosophe ? Chiniladam était-il le même personnage que Nabucodonosor ? Presque toute l’histoire ancienne trompe notre curiosité : nous éprouvons le sort d’Ixion en cherchant la vérité ; nous voulons embrasser la déesse, et nous n’embrassons que des nuages. Dans cette nuit profonde que dois-je faire ? On m’a chargé de commenter une petite partie de la bible, et non pas l’histoire de Ctésias et d’Hérodote. Je m’en tiens à ce que les hébreux eux-mêmes racontent de leurs disgraces et de leur état déplorable. Un roi d’orient, qu’ils appellent Salmanazar, vient enlever dix tribus hébraïques sur douze, et les transporte dans diverses provinces de ses vastes états. Y sont-elles encore ? En pourrait-on retrouver quelques vestiges ? Non, ces tribus sont ou anéanties, ou confondues avec les autres juifs. Il est vraisemblable, et presque démontré, qu’elles n’avaient aucun livre de leur loi lorsqu’elles furent amenées captives dans des déserts en Médie et en Perse ; puisque la tribu de Juda elle-même n’en avait aucun sous le regne du roi Josias, environ soixante et dix ans avant la dispersion des dix tribus, et que dans cet espace de temps tout le peuple fut continuellement affligé de guerres intestines et étrangeres, qui ne leur permirent gueres de lire. Il peut se trouver encore quelques-uns des descendants des dix tribus vers les bords de la mer Caspienne, et mêmes aux Indes, et jusqu’à la Chine ; mais les prétendus descendants des juifs, qu’on dit avoir été retrouvés en très petit nombre dans ces pays si éloignés, n’ont aucune preuve de leur origine : ils ignorent jusqu’à leur ancienne langue ; ils n’ont conservé qu’une tradition vague, incertaine, affaiblie par le temps. Les deux autres tribus de Juda et de Benjamin, qui revinrent à Jérusalem avec quelques lévites après la captivité de Babylone, ne savent pas même aujourd’hui de quelle tribu ils descendaient. Si donc les juifs, qui avaient habité dans Jérusalem depuis Cyrus jusqu’à Vespasien, n’ont pu jamais connaître leurs familles, comment les autres juifs, dispersés depuis Salmanazar vers la mer Caspienne et en Scythie, auraient-ils pu retrouver leur arbre généalogique. Il y eut des juifs qui régnaient dans l’Arabie heureuse sur un petit canton de l’Yemen du temps de Mahomet dans notre septieme siecle, et Mahomet les chassa bientôt : mais c’étaient, sans doute, des juifs de Jérusalem, qui s’étaient établis dans ce canton pour le commerce, et à la faveur du voisinage. Les dix tribus, anciennement dispersées vers la Mingrélie, la Sogdiane et la Bactriane, n’avaient pu de si loin venir fonder un petit état en Arabie. Enfin, plus on a cherché les traces des dix tribus, et moins on les a retrouvées. On sait assez que le fameux juif espagnol Benjamin De Tudele, qui voyagea en Europe, en Asie et en Afrique au commencement de notre douzieme siecle, se vanta d’avoir eu des nouvelles de ces dix tribus que l’on cherchait en vain. Il compte environ sept cents quarante mille juifs vivants de son temps dans les trois parties de notre hémisphere, tant de ses freres dispersés par Salmanazar, que de ses freres dispersés depuis Titus et depuis Adrien. Encore ne dit-il pas si dans ces sept cents quarante mille sont compris les enfants et les femmes ; ce qui ferait, à deux enfants par famille, deux millions neuf cents soixante mille juifs. Or comme ils ne vont point à la guerre, et que les deux grands objets de leur vie sont la propagation et l’usure, doublons seulement leur nombre depuis le douzieme siecle, et nous aurons aujourd’hui dans notre continent quatre millions neuf cents vingt mille juifs, tous gagnant leur vie par le commerce ; et il faut avouer qu’il y en a d’extrêmement riches depuis Bassora jusques dans Amsterdam et dans Londres. D’après ce compte, très modéré, il se trouverait que le peuple d’Israël serait, non seulement plus nombreux que les anciens parsis ses maîtres, dispersés comme lui depuis Omar, mais plus nombreux qu’il ne le fut lorsqu’il s’enfuit d’égypte en traversant à pied la mer Rouge. Mais aussi il faut considérer, qu’on accuse le voyageur Benjamin De Tudele d’avoir beaucoup exagéré suivant l’usage de sa nation et de presque tous les voyageurs. La relation du rabbi Benjamin ne fut traduite en notre langue qu’en 1729 à Leide ; mais cette traduction étant fort mauvaise, on en donna une meilleure en 1734 à Amsterdam. Cette derniere traduction est d’un enfant de onze ans, nommé Baratier, français d’origine, né dans le margraviat de Brandebourg-Anspach. C’était un prodige de science, et même de raison ; tel qu’on n’en avait point vu depuis le prince Pic De La Mirandole. Il savait parfaitement le grec et l’hébreu dès l’age de neuf ans ; et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’à son âge il avait déjà assez de jugement pour n’être point l’admirateur aveugle de l’auteur qu’il traduisait : il en fit une critique judicieuse ; cela est plus beau que de savoir l’hébreu. Nous avons quatre dissertations de lui, qui feraient honneur à Bochart, ou plutôt qui l’auraient redressé. Son pere, ministre du saint évangile, l’aida un peu dans ses travaux ; mais la principale gloire est due à cet enfant. Peut-être même ce singulier traducteur, et ce plus singulier commentateur, méprise trop l’auteur qu’il traduit ; mais enfin il fait voir, qu’au moins Benjamin De Tudele n’a point vu tous les pays que ce juif prétend avoir parcourus. Benjamin s’en rapporta sans doute dans ses voyages aux discours exagérés, emphatiques et menteurs, que lui tenaient des rabbins asiatiques, empressés à faire valoir leur nation auprès d’un rabbin d’Europe. Il ne dit pas même qu’il ait vu certaines contrées imaginaires dans lesquelles on disait que les juifs de la premiere dispersion avaient fondé des états considérables. " la ville de Théma, dit Benjamin, est la capitale des juifs au nord des plaines de Sennaar ; leur pays s’étend à seize journées dans les montagnes du nord : c’est là qu’est le rabbi Hanan, souverain de ce royaume. Ils ont de grandes villes bien fortifiées ; et delà ils vont piller jusqu’aux terres des arabes leurs alliés : ils sont craints de tous leurs voisins. Leur empire est très vaste ; ils donnent la dixme de tout ce qu’ils ont aux disciples des sages qui demeurent toujours dans l’école, aux pauvres d’Israël, et aux pharisiens, c’est-à-dire à leurs dévots. " dans toutes ces villes il y a environ trois cents mille juifs ; leur ville de Tanaï a quinze milles en longueur, et autant en largeur. C’est là qu’est le palais du prince Salomon. La ville est très belle, ornée de jardins et de vergers, etc. ". Benjamin ne dit point du tout qu’il ait été dans ce pays de Théma, ni dans cette ville de Tanaï : il ne nous apprend pas non plus de quels juifs il tient cette relation chimérique. Il est sûr qu’on ne peut le croire ; mais il est sûr aussi, que s’il est un juif ridiculement trompé par des juifs de Bagdad et de Mésopotamie, il n’est point un menteur qui dit avoir vu ce qu’il n’a point vu. Benjamin probablement alla jusqu’à Bagdad et à Bassora : c’est là qu’il apprit des nouvelles de l’isle de Ceylan ; et on l’a condamné très mal à propos d’avoir dit que l’isle de Ceylan, qui est sous la ligne, est sujette à d’extrêmes chaleurs. Enfin, son livre est plein de vérités et de chimeres, de choses très sages et très impertinentes ; et en tout, c’est un ouvrage fort utile pour quiconque sait séparer le bon grain de l’ivraie. Benjamin ne parle point des parsis, qui sont aussi dispersés que la nation judaïque, et en aussi grand nombre ; il n’est occupé que de ses compatriotes. Le résultat de toutes ces recherches est, que les juifs sont par tout, et qu’ils n’ont de domination nulle part ; ainsi que les parsis sont répandus dans les Indes, dans la Perse, et dans une partie de la Tartarie. Si les calculs chimériques du jésuite Pétau, de Whiston et de tant d’autres, avaient la moindre vraisemblance, la multitude des juifs et des parsis couvrirait aujourd’hui toute la terre. Revenons maintenant à l’état où étaient les deux hordes, les deux factions hébraïques de Samarie et de Jérusalem. Achas régnait sur les deux tribus de Juda et de Benjamin : cet Achas, à l’âge de dix ans, selon le texte, engendra le roi ézéchias ; c’est de bonne heure. Il fit depuis passer un de ses enfants par le feu, sans que le texte nous apprenne s’il brûla réellement son fils en l’honneur de la divinité, ou s’il le fit simplement passer entre deux buchers selon l’ancienne coutume, qui dura chez tant de nations superstitieuses jusqu’à Savonarole dans notre seizieme siecle. Les paralipomenes disent, qu’un certain roitelet d’Israël, nommé Phacée, lui tua un jour cent vingt mille hommes dans un combat, et lui fit deux cents mille prisonniers : c’est beaucoup ! Cet Achas était alors, lui et son peuple, dans une étrange détresse : non seulement il était vexé par les samaritains, mais il l’était encore par le roi de Syrie nommé Rasin, et par les iduméens. Ce fut dans ces circonstances que le prophete Isaïe vint le consoler, comme il le dit lui-même aux chapitres sept et huit de sa grande prophétie, en ces termes. " le seigneur continuant de parler à Achas, lui dit : demande un signe, soit dans le bas de la terre, soit dans les hauts au dessus. Et Achas dit : je ne demanderai point de signe ; je ne tenterai point Adonaï. Eh bien, dit Isaïe, Adonaï te donnera lui-même un signe ; une femme concevra ; elle enfantera un fils, et son nom sera Emmanuël ; et avant qu’il mange de la crême et du miel, et qu’il sache connaître le bien et le mal, ce pays que tu détestes sera délivré de ces deux rois (Rasin et Phacée) ; et dans ces jours Adonaï sifflera aux mouches qui sont au haut des fleuves d’égypte et du pays d’Assur ; Adonaï rasera avec un rasoir de louage la tête, et le poil d’entre les jambes, et toute la barbe du roi d’Assur, et de tous ceux qui sont dans son pays… et Adonaï me dit : écris sur un grand rouleau avec un stilet d’homme, Mahershaal asbas, qu’on prenne vite les dépouilles . " c’est dans ce discours d’Isaïe, que des commentateurs, appellés figuristes, ont vu clairement l’avenue de Jesus-Christ, qui pourtant ne s’appella jamais ni Emmanuel, ni Mahershaal asbas, prends vite les dépouilles . Poursuivons nos recherches sur la destruction des dix tribus. *Livre II, chap. xxxviii, v. 6 et 8. **Le mot hébreu alma signifie tantôt fille, tantôt femme, quelquefois même prostituée. Ruth étant veuve, est appelée alma. Dans le cantique des cantiques et dans Joel, le nom d’alma est donné à des concubines. (Sous-note de Voltaire.)
  28. nous voyons que de tout temps, quand des peuples barbares et indisciplinés se sont emparés d’un pays, ils s’y sont établis. Ainsi les goths, les lombards, les francs, les sueves, se fixerent dans l’empire romain ; les turcs dans l’Asie Mineure, et enfin dans Constantinople ; les tartares quitterent leur patrie pour dominer dans la Chine. Les grands princes, au contraire, et les républiques, qui avaient des capitales considérables, ne se transplanterent point dans les pays conquis, mais en transporterent souvent les habitants, et établirent à leur place des colonies. Cet usage, qui changea en grande partie la face du monde, se conserva jusqu’à Charlemagne ; il fit transporter des familles de saxons jusqu’à Rome. Ces transportations des peuples paraissaient un moyen sûr pour prévenir les révoltes. Il ne faut donc point s’étonner que Salmanazar donna les terres du royaume d’Israël à des cultivateurs babyloniens, et à d’autres de ses sujets.
  29. les critiques demandent pourquoi Dieu n’envoya pas des lions pour dévorer Salmanazar et son armée, au lieu de faire manger par ces animaux les émigrants innocents, qui venaient cultiver une terre ingrate devenue déserte ? Si on leur répond que c’était pour les forcer à connaître le culte du seigneur, ils disent que les lions sont de mauvais missionnaires ; que ceux qui avaient été mangés ne pouvaient se convertir ; et que le prêtre hébreu, qui vint les prêcher de la part du roi de Babylone, ne suffisait pas pour enseigner le catéchisme à toute une province. Mais probablement ce prêtre avait des compagnons, qui l’aiderent dans sa mission. Si on veut s’informer chez les commentateurs, qui étaient ces peuples de Cutha, d’Ava, d’émath ? Plus ils en parlent, moins vous êtes instruit. C’étaient des peuplades syriennes ; on n’en sait pas davantage. Nous ne connaissons pas l’origine des francs qui s’établirent dans la Gaule Celtique, ni des pirates qui se transplanterent en Normandie. Qui me dira de quel buisson sont partis les loups dont mes moutons ont été dévorés ?
  30. c’est une chose bien digne de remarque, que cette opinion des grecs, à chaque pays son dieu, fut déjà reçue chez les peuples de Babylone, comme cette maxime en Allemagne et en France, nulle terre sans seigneur . Mais comment fesaient ceux qui adoraient le soleil, ou qui du moins révéraient dans le soleil l’image du Dieu de l’univers ? Nous dirons que les persans étaient alors les seuls qui professaient ouvertement cette religion, et qu’ils ne l’avaient point encore portée à Babylone ; elle n’y fut introduite que par le conquérant Kir ou Kosrou, que nous nommons Cyrus.
  31. on reste stupéfait quand on voit, qu’aussitôt que cette nouvelle peuplade fut instruite du culte d’Adonaï, elle adora une foule de dieux asiatiques inconnus, Soccot Bénot, Nergel, Asima, Tartha, Adramélec, Anamélec, et qu’on brûla des enfants aux autels de ces dieux étrangers. M Basnage, dans ses antiquités judaïques, nous apprend que, selon plusieurs savants, ce fut ce prêtre hébreu, envoyé aux nouveaux habitants de Samarie, qui composa le pentateuque. Ils fondent leur sentiment sur ce qu’il est parlé dans le pentateuque de l’origine de Babylone, et de quelques autres villes de la Mésopotamie que Moyse ne pouvait connaître ; sur ce que ni les anciens samaritains, ni les nouveaux, n’auraient voulu recevoir le pentateuque de la main des hébreux de la faction de Juda, leurs ennemis mortels ; sur ce que le pentateuque samaritain est écrit en hébreu, langue que ce prêtre parlait, n’ayant pu avoir le temps d’apprendre le chaldéen ; sur les différences essentielles entre le pentateuque samaritain et le nôtre. Nous ne savons pas qui sont ces savants. M Basnage ne les nomme pas.
  32. Hérodote parle d’un Sennaérib, qui vint porter la guerre sur les frontieres de l’égypte, et qui s’en rétourna parce qu’une maladie contagieuse se mit dans son armée ; il n’y a rien là que dans l’ordre commun. Que le roitelet de la petite province de Juda s’humilie devant le roi Senna Rérib, qu’il lui paie trente talents d’argent, et trente talens d’or, c’est une somme très forte dans l’état où était alors la Judée ; cependant ce n’est point une chose absolument hors de toute vraisemblance : mais que le prophete Isaïe vienne de la part de Dieu dire à ézéchias que le roi Senna Chérib a blasphémé ; qu’un ange vienne du haut du ciel frapper et tuer cent quatre-vingts cinq mille hommes d’une armée chaldéenne ; et que cette exécution, aussi épouvantable que miraculeuse, soit inutile, qu’elle n’empêche point la ruine de Jérusalem ; c’est-là ce qui semblerait justifier l’incrédulité des critiques, si quelque chose pouvait les rendre excusables. Ils ne comprennent pas comment le seigneur, protégeant la tribu de Juda, et tuant cent quatre-vingts-cinq milles de ses ennemis, abandonne, sitôt après, cette tribu dont la verge devait dominer toujours, laisse detruire son temple, et voie impunément cette tribu et celle de Benjamin, avec tant de lévites, plongés dans les fers. ô altitudo ! humilions-nous sous les décrets impénétrables de la providence ; mais qu’il nous soit permis de ne point admettre les explications ridicules que tant d’auteurs ont données à ces événemens inexpliquables.
  33. les critiques, comme Milord Bolingbroke et M Boulanger, prétendent que le prophete Isaïe joue ici un rôle très-triste et très-indécent, de devoir dire à son prince, dès qu’il est malade, tu vas mourir. ézéchias est représenté comme un prince lâche et pusillanime, qui se met à pleurer et à sanglotter quand un inconnu a l’indiscrétion de lui dire qu’il est en danger ; et à peine cet Isaïe est-il sorti de la chambre du roi, que Dieu lui-même vient dire au prophete, le roi vivra encore quinze ans. Sous quelle forme était Dieu, quand il vint annoncer à Isaïe son changement de volonté dans l’antichambre ? Ces incrédules ne se lassent point de censurer toute cette histoire ; il faut combattre contre eux depuis le premier verset de la bible jusqu’au dernier.
  34. une nuée d’autres incrédules fond sur cette marmelade de figues, et sur cet horloge. Tous ces censeurs disent que le mal d’ézéchias était bien peu de chose, puisqu’on le guérit avec un emplâtre de figues. ézéchias leur paraît un imbécille, de croire qu’il est plus aisé d’avancer l’ombre que de la reculer. Dans l’un et l’autre cas les loix de la nature sont également violées, et tout l’ordre du ciel également interrompu. La rétrogradation de l’ombre ne leur paraît qu’une copie renforcée du miracle de Josué. La plupart des interprêtes croient que le soleil s’arrêta pour Josué, et recula pour ézéchias. Isaïe même, au chapitre trente-deux de sa prophétie, dit, le soleil recula de dix lignes ; ce qui probablement signifie dix heures. Mais il est clair qu’Isaïe se trompe ; l’ombre est toujours opposée au soleil ; si l’astre est à l’orient, l’ombre est à l’occident ; pour que l’ombre reculât de dix heures vers le matin ; il aurait fallu que le soleil se fût avancé de dix heures vers le soir. De plus, si ces degrés, ces heures, signifient le nombre des années qui sont réservées à ézéchias, pourquoi l’ombre du style ne rétrograde-t-elle que de dix degrés, et non pas de quinze ? Le plus long jour de l’année en Palestine n’est que de quatorze heures : c’eût été encore un miracle de plus ; car il est impossible que le soleil paraisse quinze heures et plus, quand il n’est que quatorze heures sur l’horizon. Une autre difficulté encore, c’est que non-seulement les juifs ne comptaient point le jour par heures comme nous ; mais que de plus ils n’eurent ni cadrans, ni horloges. Enfin, il y aurait eu un jour entier de perdu dans la nature, et une nuit de trop. Ce sont-là des embarras où se jettent des ignorants téméraires qui imaginent des miracles, et qui même les expliquent. Telles sont les réflexions de plusieurs physiciens. On peut leur dire que le prophete Isaïe n’était pas obligé d’être astronome, et même que Don Calmet, qui a voulu expliquer dans une dissertation cette rétrogradation, a fait beaucoup plus de bévues qu’Isaïe. On est obligé de dire qu’il n’entend rien du tout à la matiere, et que dans tous ses commentaires il n’a fait souvent que copier des auteurs absurdes, qui n’en savaient pas plus que lui.
  35. ou Manassé, roitelet de Juda, n’avait jamais entendu parler du miracle du cadran de son pere, et des autres miracles d’Isaïe ; ou il ne regardait Adonaï que comme un dieu local, un dieu d’une petite nation qui fesait quelquefois des prodiges ; mais qui était inférieur aux autres dieux ; ou Manassé était tout-à-fait fou : car il n’y a qu’un fou qui puisse, après des miracles sans nombre, nier ou mépriser le dieu qui les a faits. Cette inconcevable incrédulité de Manassé fils d’ézéchias peut faire penser, qu’en effet le pentateuque, à peine écrit par ce prêtre hébreu qui vint enseigner les samaritains, n’était pas encore connu ; la religion judaïque n’était pas encore débrouillée ; rien n’était constaté, rien n’était fait : autrement il serait impossible d’imaginer comment le culte changea tant de fois depuis la création jusqu’à Esdras.
  36. nouvelle preuve, ou du moins nouvelle vraisemblance, très-forte, que le prêtre hébreu, venu à Samarie, avait enfin achevé son pentateuque, et que le grand-prêtre juif en avait un exemplaire. Tout ce qui peut nous étonner, c’est que ce prêtre ne le porta pas lui-même au roi, et l’envoya avec très-peu d’empressement et de respect par le secrétaire Saphan. S’il avait cru que ce livre fût écrit par Moyse, il l’aurait porté avec la pompe la plus solemnelle ; on aurait institué une fête pour éterniser la découverte de la loi de Dieu et de l’histoire des premiers siecles du genre humain ; c’eût été une nouvelle occasion de dire, que la lumiere soit, et la lumiere fut ; car le peuple hébreu était plongé dans les plus épaisses ténebres.
  37. ce petit article est curieux. D’abord ce Josias souille les hauts lieux : souiller un lieu réputé sacré, c’était le remplir d’immondices, y répandre des excrémens et de l’urine. La vallée de Tophet était auprès du petit torrent de Cédron ; c’était-là que l’on jettait les corps des suppliciés à la voirie, et qu’on sacrifiait ses enfants. C’est la premiere fois qu’il est parlé dans l’écriture de chevaux consacrés au soleil. Cette coutume était visiblement prise du culte des perses. Presque chaque ligne concourt à prouver, que jamais la religion hébraïque n’eut une forme stable qu’après le retour de la captivité ; les juifs emprunterent tous leurs rites, toutes leurs cérémonies des égyptiens, des syriens, des chaldéens, des perses. Il n’est pas aisé de concevoir comment ce Josias tua tous les prêtres de Béthel ; car Béthel, tout voisin qu’il était de Jérusalem, ne lui appartenait pas : c’était à Béthel que s’était établi ce prêtre qui était envoyé aux samaritains, et qu’on suppose avoir écrit le pentateuque. S’il amena avec lui d’autres missionnaires pour enseigner aux samaritains la religion israélite, le melk Josias, en les tuant, ne fut donc qu’un assassin, un tyran abominable. La coutume de brûler des os de morts, et sur-tout de bêtes mortes, pour souiller des lieux consacrés, était un usage des sorciers : on voit dans la vie du dernier des Zoroastres, que ses ennemis cacherent dans sa chambre un petit sac plein d’os de bêtes, afin de le faire passer pour un magicien. Voyez Hide.
  38. si Josias propose de faire la pâques selon le rite indiqué dans ce livre du pacte avec Dieu, dans ce livre unique trouvé par le grand-prêtre au fond d’un coffre et donné au roi par le secrétaire Saphan, on n’avait donc point fait la pâques auparavant ; et en effet aucun des livres de l’écriture ne parle d’une célébration de pâques sous aucun roi de Juda ou d’Israël, ni sous aucun des juges : c’est encore une confirmation de cette opinion, très-répandue et très-vraisemblable, que la religion hébraïque n’était point formée ; que les livres judaïques n’avaient jamais été rassemblés, et, selon tant de doctes, qu’ils n’avaient point été écrits ; que tout s’était fait d’après des traductions vagues et changeantes ; et que c’est ainsi que tout s’est fait dans le monde.
  39. l’auteur du livre des rois nous dit que jamais roi ne fut si pieux, n’aima tant Dieu, que Josias ; et il ajoute que Dieu, pour récompense, rejette sa maison et Jérusalem, parce que Manassé pere de Josias l’avait offensé. C’est surquoi tous les critiques se récrient. Le prêtre de Juda, disent-ils, qui écrivait ce livre, veut insinuer que tous les rois de la terre n’auraient pu prendre Jérusalem, si le seigneur ne la leur avait pas livrée ; mais pour que le seigneur leur permette de détruire cette Jérusalem qui devait durer éternellement, il faut qu’il soit en colere contre elle : il ne peut être en colere contre Josias ; il l’est donc contre son pere. C’est puissamment raisonner : aussi ne répliquons-nous rien à cet argument.
  40. si Polybe et Xénophon avaient écrit cette histoire, convenons qu’ils l’auraient écrite autrement. Nous saurions ce que c’était que ce grand empire d’Assyrie, qui est l’instant d’après anéanti dans l’empire de Babylone ; nous apprendrions pourquoi ce Josias, favori du seigneur, se déclara contre Néchao roi d’égypte. C’était un grand spectacle que la puissance égyptienne combattant contre l’Asie ; c’étaient de grands intérêts, et qui méritaient d’être au moins exposés clairement. Les paralipomenes nous apprennent, que le pharaon d’égypte envoya dire au melk Josias : qu’y a-t-il entre toi et moi, melk de Juda ? Je ne marche point contre toi, c’est contre une autre maison que Dieu m’a ordonné d’aller au plus vîte ; ne t’oppose point à Dieu qui est avec moi, de peur qu’il ne te tue . Remarquez, lecteurs attentifs et sages, que toutes les nations adoraient un dieu suprême, quoiqu’il y eût mille dieux subalternes, mille cultes différents : c’est une vérité dont vous trouverez des traces dans tous les livres grecs et latins, comme dans les livres hébreux, et dans le peu qui nous reste du zenda vesta, et des védams. Le roi d’égypte Néchao dit : Dieu est avec moi. Le roi de Ninive en avait dit autant. Le roi de Babylone disait : Dieu est avec moi. Voyez l’iliade d’Homere ; chaque héros y a un dieu qui combat pour lui.
  41. le juif qui a écrit cette histoire court bien rapidement sur le plus grand et le plus fatal événement de sa patrie ; il semble qu’il n’ait voulu faire que des notes pour aider sa mémoire. Cette destruction de Jérusalem, cette captivité de la tribu de Juda, ces rois de Babylone et d’égypte qui semblent se disputer cette proie, ces brigands de Chaldée, de Syrie, de Moab et d’Ammon, qui se réunissent tous contre une misérable horde de Juda sans défense, tout cela n’est ni annoncé ni expliqué : cette histoire est plus seche et plus confuse que tous les commentaires qu’on en a faits. La saine critique demandait (humainement parlant) que l’auteur débrouillât d’abord les deux empires de Ninive et de Babylone ; qu’il nous instruisît des intérêts que ces deux puissances eurent à démêler avec l’égypte et avec la Syrie ; comment la petite province de Judée, enclavée dans la Syrie, subit le sort des peuples vaincus par le roi de Babylone. L’auteur nous dit bien que Dieu avait prédit tout cela par ses prophetes ; mais il fallait écrire un peu plus clairement pour les hommes. Au moins, quand Flavien Joseph raconte l’autre destruction de Jérusalem, dont il fut témoin, il développe très-bien l’origine et les événements de cette guerre ; mais quand, dans ses antiquités judaïques, il parle de Nabucodonosor qui brûle Jérusalem en passant, il ne nous en dit pas plus que le livre que nous cherchons en vain à commenter. Flavien Joseph n’avait point d’autres archives que nous. Tous les documents de Babylone périrent avec elle ; tous ceux de l’égypte furent consumés dans l’incendie de ses bibliotheques. Trois peuples malheureux, opprimés et subjugués, ont conservé quelques histoires informes : les parsis ou guebres, les descendants des anciens bracmanes, et les juifs. Ceux-ci, quoique infiniment moins considérables, nous touchent de plus près, parce qu’une révolution inouie a fait naître parmi eux la religion qui a passé en Europe. Nous fesons tous nos efforts pour démêler l’histoire de cette nation, dont nous tenons l’origine de notre culte ; et nous ne pouvons en venir à bout.
  42. nous ne pouvons dire aucune particularité de cette destruction de Jérusalem, puisque les livres juifs ne nous en disent pas davantage ; mais il y a une observation, aussi importante que hardie, faite par Mylord Bolingbroke et par M Fréret : ils prétendent que les prophetes étaient chez la nation juive ce qu’étaient les orateurs dans Athenes ; ils remuaient les esprits du peuple. Les orateurs athéniens employaient l’éloquence auprès d’un peuple ingénieux ; et les orateurs juifs employaient la superstition et le style des oracles, l’enthousiasme, l’ivresse de l’inspiration, auprès du peuple le plus grossier, le plus enthousiaste et le plus imbécille qui fût sur la terre. Or, disent ces critiques, s’il arriva quelquefois que les rois de Perse gagnerent les orateurs grecs, les rois de Babylone avaient gagné de-même quelques prophetes juifs. La tribu de Juda avait ses prophetes qui parlaient contre les tribus d’Israël ; et la faction d’Israël avait ses prophetes qui déclamaient contre Juda. Les critiques supposent donc que les nouveaux samaritains, étant attachés par leur naissance à Nabucodonosor, susciterent Jérémie pour persuader à la tribu de Juda de se soumettre à ce prince. Voici sur quoi est fondée cette opinion. Jérusalem est sur le chemin de Tyr, que le roi de Babylone voulait prendre. Si Jérusalem se défendait, quelque faible qu’elle fût, sa résistance pouvait consumer un temps précieux au vainqueur ; il était donc important de persuader au peuple de se rendre à Nabucodonosor, plutôt que d’attendre les extrémités où il serait réduit par un siege, qui ne pouvait jamais finir que par sa ruine entiere. Jérémie prit donc le parti du puissant roi Nabucodonosor contre le faible et petit melk de Jérusalem, qui pourtant était son souverain. Cette idée fait malheureusement du prophete Jérémie un traître ; mais ils croient prouver qu’il l’était, puisqu’il voulait toujours que non seulement la petite province de Juda se rendît à Nabucodonosor, mais encore que tous les peuples voisins allassent au-devant de son joug. En effet, Jérémie se mettait un joug de bœuf ou un bât d’âne sur les épaules, et criait dans Jérusalem : voici ce que dit le seigneur roi d’Israël : c’est moi qui ai fait la terre, et les hommes et les bêtes de somme dans ma force grande et dans mon bras étendu ; et j’ai donné la face de la terre à celui qui a plu à mes yeux ; j’ai donné la terre à la main de Nabucodonosor mon serviteur ; et je lui ai donné encore toutes les bêtes des champs ; et tous les peuples de la terre le serviront, lui et son fils, et les fils de ses fils ; et ceux qui ne mettront pas leur cou sous un joug et sous un bât devant le roi de Babylone, je les ferai mourir par le glaive, par la famine, et par la peste, dit le seigneur . Jamais il ne s’est rien dit de plus fort en faveur d’aucun roi juif. Jérémie fait dire à Dieu-même que ce Nabucodonosor, qui fut depuis changé en bœuf, est le serviteur de Dieu, et que Dieu lui donne toute la terre à lui et à sa postérité. Ainsi donc, humainement parlant, Jérémie est un traître et un fou aux yeux de ces critiques : un traître, parce qu’il veut soulever le peuple contre son roi, et le livrer aux ennemis : un fou, par toutes ses actions et par toutes ses paroles, qui n’ont ni liaison, ni suite, ni la moindre apparence de raison. Ils alleguent sur-tout la fameuse lettre de Seméia au pontife Sophonie : Dieu vous a établi pour faire fouetter à coups de nerfs de bœuf ce fou de Jérémie qui fait le prophete . Ce qui les confirme encore dans leur opinion, c’est que les juifs retirés en égypte, où Jérémie se retira aussi, le punirent de mort comme un perfide, qui avait vendu son maître et sa patrie aux babyloniens. Mais c’est la seule tradition qui nous apprend que Jérémie fut lapidé par les juifs dans la ville de Taphni ; les livres juifs ne nous en disent rien. à l’égard de tant de prisonniers de guerre que Nabucodonosor serviteur de Dieu fit mourir impitoyablement, ce sont là des mœurs bien féroces. Les juifs avouent qu’ils ne traiterent jamais autrement les autres petits peuples qu’ils avaient pu subjuguer ; ainsi l’histoire ancienne, ou véritable ou fausse, n’est que l’histoire des bêtes sauvages dévorées par d’autres bêtes. M Du Marsais, dans son analyse, fait une réflexion accablante sur cette premiere destruction de Jérusalem, et sur les suivantes. Quoi, dit-il, l’éternel prodigue les miracles, les plaies et les meurtres, pour tirer les juifs de cette féconde égypte où il avait des temples sous le nom d’iaho le grand être, sous le nom de Knef l’être universel ; il conduit son peuple dans un pays où ce peuple ne peut lui ériger un temple pendant plus de cinq siecles ; et enfin quand les juifs ont ce temple, il est détruit ! Cela effraie le jugement et l’imagination ; on reste confondu quand on a lu cette inconcevable histoire ; il faut se consoler en disant, qu’apparemment les juifs n’avaient point péché quand l’éternel les tira d’égypte, et qu’ils avaient péché quand l’éternel perdit son temple et la ville.